la comptabilisation du capital humain : nouvel outil de - e-RH
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LA COMPTABILISATION DU CAPITAL HUMAIN : NOUVEL OUTIL DE GESTION DE LA R.S.E ? Jean-Paul Méreaux, Maître de conférences, Université de Reims Champagne-Ardenne [email protected] Jimmy Feige, Maître de conférences, I.U.T. de Troyes [email protected] Ababacar Mbengue, Professeur des universités, Université de Reims Champagne-Ardenne [email protected] Résumé : Au sens strictement comptable, comptabiliser le capital humain n’est guère possible à de rares exceptions près. Dès lors, les entreprises ont opté pour d’autres outils de gestion afin de mesurer la gestion de leur capital humain. Ces outils de gestion essentiellement des tableaux de bord recensent des indicateurs de nature qualitative regroupés sous l’expression indicateurs R.S.E. (Responsabilité Sociale et Environnementale). Ils constituent pour les entreprises, notamment celles cotées en bourse, un vecteur d’information important car ils permettent aux parties prenantes d’appréhender les actions mises en œuvre en matière de politique sociale de l’entreprise. Cependant, ces indicateurs ne rendent compte qu’imparfaitement de la gestion du capital humain mise en œuvre dans l’entreprise et surtout ne sont pas adaptés dès lors que l’on cherche à aller au-delà en se plaçant dans une perspective d’évaluation financière. Cette approche est rendue nécessaire si l’on souhaite disposer d’outils de gestion permettant de mesurer la valeur du capital humain. Il faut compléter les outils de gestion R.S.E. existants en proposant une lecture complémentaire dans une optique comptable et financière. L’objectif de cet article est de montrer que la mesure comptable du capital humain peut constituer un nouvel outil de gestion R.S.E. permettant de compléter les instruments de gestion R.S.E. existants. Dans le cadre d’une recherche-intervention menée dans un groupe de distribution, nous mobilisons donc modèle basée sur le tryptique masse salariale, connaissances et compétences pour évaluer comptablement le capital humain. Mots clés : Capital humain - Outils de gestion - Evaluation - Approche comptable 1 LA COMPTABILISATION DU CAPITAL HUMAIN : NOUVEL OUTIL DE GESTION DE LA R.S.E ? Introduction Les entreprises françaises sont de plus en plus « responsables » de leurs impacts environnementaux et sociaux (Coulon, 2006) ; la R.S.E. incite en effet les dirigeants à considérer les retombées économiques, sociales et environnementales de leurs actions (Paradas, 2011). La commission Européenne définit la R.S.E. comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et leurs relations avec leurs parties prenantes ». La R.S.E. peut être définie comme l’application des valeurs du développement durable au niveau de l’entreprise (Mauléon, Silva, 2009). Pour les organisations, la satisfaction des parties prenantes constitue un facteur déterminant dans l’adoption d’une démarche R.S.E. (Bonneveux, Saulquin, 2009) ; et le consommateur est la cible de nombreuses actions R.S.E. (Binninger et Robert, 2011). Ainsi, les entreprises communiquent sur leurs pratiques de R.S.E. en déclinant les préceptes du Développement Durable dans leur stratégie (Mauléon, Silva, 2009). Ces dernières en font un thème majeur (Bory et Lochard, 2009). Aussi, dans les entreprises du CAC40, des questions de nature sociétale sont posées à l’occasion de présentation de résolutions (Amann, Caby, Jaussaud, Piniero, 2007). Les initiatives les mieux recensées et les plus structurées sont souvent le fait de grandes entreprises (Berger-Douce, 2008). La R.S.E. est par conséquent surtout étudiée au sein de celles-ci (Imbs, Ramboarison Lalao, 2012). Si les approches de développement durable de petites entreprises sont plus rares (Paradas, 2011), la responsabilité sociale des entreprises reste un enjeu stratégique pour les organisations de toutes tailles. Avec le manque de ressources humaines (Hattabou, Louitri, 2011) ou de connaissances, de temps et d’informations (Berger-Douce, 2008), le manque de ressources financières et organisationnelles constitue des freins pour ces dernières (Paradas, 2008). Des PME sont toutefois actives dans l’exercice d’une responsabilité sociale (Imbs, Ramboarison Lalao, 2012) ; et elles doivent donc être étudiées du fait de leur importance dans le tissu économique (Quairel, Auberger, 2005 ; Bonneveux, Saulquin, 2009). Face à la notion de R.S.E., le choix de pratiques de R.S.E. traduit une maturité plus ou moins grande de l’entreprise (Saulquin & Schier, 2007) ; des choix ou de contraintes expliquent l’engagement responsable (Klarsfeld et Delpuech, 2008). L’activité « socialement responsable » peut en effet permettre à une PME de nouer des liens avec la communauté locale (Quairel, Auberger, 2005). Les pratiques de R.S.E. de 84 PME françaises les plus rentables en 2006 rend cependant compte de comportements très « classiques » en matière de R.S.E. (Berger-Douce Sandrine, 2008). Il est vrai que l’intégration de pratiques de R.S.E. dans les PME peut impliquer la mise en œuvre de normes nouvelles ainsi que de nouveaux modes de management en son sein (Hattabou, Louitri, 2011). Dès lors, les entreprises ont mis en place des outils de gestion essentiellement des tableaux de bord afin de recenser des indicateurs de nature qualitative regroupés sous l’expression indicateurs R.S.E. Ils constituent pour les entreprises, notamment celles cotées en bourse, un 2 vecteur d’information important car ils permettent aux parties prenantes d’appréhender les actions mises en œuvre en matière de politique sociale de l’entreprise. Cependant, ces indicateurs ne rendent compte qu’imparfaitement de la gestion du capital humain mise en œuvre dans l’entreprise et surtout ne sont pas adaptés dès lors que l’on cherche à aller au-delà en se plaçant dans une perspective d’évaluation financière. Cette approche est rendue nécessaire si l’on souhaite disposer d’outils de gestion permettant de mesurer la valeur du capital humain. Il faut compléter les outils de gestion R.S.E. existants en proposant une lecture complémentaire dans une optique comptable et financière. L’objectif de cet article est de montrer que la mesure comptable du capital humain peut constituer un nouvel outil de gestion R.S.E.permettant de compléter les instruments de gestion R.S.E. existants. A cet effet, nous nous appuyons sur notre modèle basé sur le tryptique masse salariale, connaissances et compétences pour évaluer comptablement le capital humain. Dans une première partie, nous précisons ce que recouvrent les notions d’outils de gestion et de mesure de la dimension sociale de la R.S.E. Dans une deuxième partie, nous présentons l’approche retenue dans les référentiels comptables nationaux en matière de comptabilisation du capital humain et notre modèle visant à proposer un nouvel indicateur R.S.E. que nous mobilisons dans le cadre d’une recherche-intervention menée dans un groupe de distribution. I. Notion d’outils de gestion et utilisation « socialement responsable » I.1. Outils de gestion : une notion à délimiter Selon les auteurs, les outils de gestion recouvrent des définitions multiples. Pour Moisdon (1997), c’est « un ensemble de raisonnements et de connaissances reliant de façon formelle un certain nombre de variables issues de l’organisation, qu’il s’agisse de quantités, de prix, de niveaux de qualité ou de tout autre paramètre, et destiné à instruire les divers actes classiques de la gestion, que l’on peut regrouper dans les termes de la trilogie classique : prévoir, décider, contrôler ». Au sens large, David (1998) définit les outils de gestion comme « tout dispositif formalisé permettant l’action organisée ». Detchessahar et Journé (2007), se référant aux travaux d’Hatchuel et Weil (1992), considèrent que l’outil de gestion peut être vu comme un conglomérat singulier constitué d’un « substrat formel » porteur « d’une philosophie gestionnaire » et « d’une vision simplifiée des relations organisationnelles ». Le substrat formel de l’outil désigne l’ensemble des supports concrets représentatifs de l’outil (tableaux, graphiques,...) ; la philosophie gestionnaire correspond aux comportements de travail que l’outil est censé promouvoir (procédures, grille d’évaluation) et la vision simplifiée des relations organisationnelles définit la scène et les participants à la scène dont l’outil vient régler le jeu (utilisateurs, spécialistes). Les outils de gestion peuvent donc être considérés comme des instruments de stabilisation et de contrôle des comportements et des processus (David, 1998). Ces définitions laisseraient à penser que les outils de gestion recouvrent des notions multiples et que toute tentative de définition stricto-sensu serait vouée à l’échec. D’ailleurs, cette vision se trouve renforcée par les débats sur les outils de gestion et leur rôle. Les outils peuvent donc être envisagés sous le dualisme machine-langage. Colasse (1996) quant à lui considère que le mot « outil est dangereux » dans la mesure où « il suggère que l’on a affaire à un instrument complètement passif, alors que les outils sont actifs ». Pour Bayon (1996), « tenter de définir l’outil de gestion constitue un pléonasme car on devrait plutôt se demander quels sont les outils au service de la gestion ? ». Berry (1996) considère que le problème est directement lié à la diversité des langues de gestion et que « les chiffres constituent un moyen très commode » 3 pour comprendre certains problèmes de gestion. Il est donc très difficile de définir les outils de gestion (Colasse, 1996) parce qu’ils peuvent être de nature très différente. Il peut s’agir d’une grille de rémunération du personnel ou d’un budget de trésorerie (Colasse, 1996), d’un tableau de bord (Malo, 2000), de progiciels de gestion intégrés en passant par les méthodes de scoring et les outils et méthodes d’ordonnancement de la production (De Vaujany, 2006). Dans les entreprises, les outils de gestion sont constitués pour l’essentiel des outils de backoffice principalement destinés à traiter les données de l’entreprise tels que les progiciels de gestion intégré et les outils de front-office construits à partir de base de données tels que DataWarehouse (Ducrocq, 2000). Ces outils de gestion sont souvent centrés sur les aspects comptables et financiers afin de permettre d’exercer un contrôle continu sur l’activité des filiales, ce qui amène les responsables financiers des entreprises à privilégier des outils tels que le reporting, la gestion budgétaire ou les tableaux de bord. Tort (2006) a confirmé ce rôle des tableaux de bord et du reporting au niveau des outils de gestion comptables et financiers utilisés par les entreprises. Ses travaux conduits auprès de grandes entreprises ont montré que près de 90 % de ces entreprises pratiquent cette approche. Cependant, qu’il s’agisse de tableaux de bord ou de reporting, les outils de gestion ne se limitent plus aux seuls indicateurs financiers car les entreprises intègrent de plus en plus sous la pression des parties prenantes d’autres indicateurs de nature qualitative tels que les indicateurs R.S.E. Il s’agit ici en autres d’appréhender et de mesurer la gestion de la dimension sociale de l’entreprise. I.2. Dimension sociale de la R.S.E. et mesure de la performance extra financière Concept large et peu stabilisé (Saulquin, Schier, 2007), le management responsable est un concept identique à celui de responsabilité sociale des entreprises (David, Dupuis et Le Bas, 2005). Ce management renvoie donc aux trois dimensions suivantes : la qualité environnementale, la prospérité économique et la justice sociale. Les liens entre GRH et R.S.E sont étroits et interdépendants. En effet, la GRH se doit en effet de garantir qu’en interne, la R.S.E. est bien appliquée à l’égard des salariés. Pour le principe, la R.S.E. doit permettre de dépasser les contraintes légales qui relèvent d’obligations minimales. Une politique de formation ambitieuse peut par exemple favoriser l’employabilité des salariés et contribuer à la résolution du problème de chômage de longue durée (Persais, 2010). Par ailleurs, le fait de s’inscrire dans une démarche de R.S.E. permet d’augmenter le pouvoir d’attraction de l’entreprise ainsi que la mobilisation des acteurs en interne. A cela s’ajoute l’amélioration du moral et de la motivation de ses employés ainsi que de leur implication dans les processus de décision qui influent de manière positive sur la compétitivité de la firme. La GRH est aussi étroitement liée à la gestion des connaissances au sein des organisations (Alavi et Leidner, 2001). Cette gestion passe donc par la mobilisation des outils de GRH. Il appartient alors aux responsables RH de contrôler, mesurer et intervenir dans la construction, la diffusion et l’usage des connaissances des employés (Tessier et Bourdon, 2009). Les pratiques RH qui favorisent les politiques de gestion des connaissances sont relatives au recrutement, à l’évaluation, à la rémunération, à la formation, à la communication, au temps de travail, à la gestion des carrières. Ainsi, la politique sociétale de l’entreprise se réalise par des pratiques de gestion de ressources humaines tels que le recrutement, la formation, la participation, l’information et la communication (Persais, 2010). A partir d’une étude réalisée auprès de 106 professionnels RH appartenant majoritairement à des entreprises industrielles de taille importante, Coulon (2006) montrent toutefois que les pratiques GRH intègrent assez peu la notion de R.S.E. ; ces organisations répondent 4 essentiellement à des règles de droit. A partir de l’étude de rapports sur le développement durable des entreprises françaises (CAC 40), si l’on étudie la communication dont l’objet est celui du développement durable, il est montré que les salariés restent privilégiés par rapport aux fournisseurs ou encore aux clients (André et al., 2011). La R.S.E. constitue un défi pour la GRH dans les grandes entreprises (Imbs, Ramboarison Lalao, 2012) ; et les pratiques de GRH socialement responsables mises en œuvre au sein des PME sont donc étroitement liées au degré de formalisation des politiques de GRH, ce qui suppose un effectif respectable. Acquier (2007) réalise un rapprochement entre le courant de littérature gestionnaire R.S.E. et outil de gestion. L’objectif poursuivi est désormais celui de pouvoir quantifier la R.S.E. et évaluer la performance extra financière des entreprises telles que le montrent Saulquin et Schier (2007) en proposant des indicateurs sociaux en croisant le modèle de performance extra-organisationnelle - axe social de Morin, Savoie et Beaudin (1994) et le modèle de R.S.E. de la GRI volet social (2002). Cette quantification peut aussi être réalisée grâce à un outil tel que le Balanced Scorecard (Kaplan et Norton, 1992) comme le montrent Meysonnier et Rasofolo-Distler (2011) dans le cadre d’une recherche-intervention conduite dans un groupe opérant dans le secteur du logement social. Ces chercheurs mettent en évidence que les indicateurs R.S.E. ne doivent pas être dissociés de la mesure de la performance économique sinon ils perdent de leur acuité et ne sont pas utilisés pour le pilotage opérationnel. Dès lors, pour faire le lien entre performance économique et le volet social de la R.S.E, des approches complémentaires peuvent être envisagées et nous nous intéressons à celle centrée sur la lecture comptable du capital humain. II. Modèle d’évaluation comptable du capital humain et R.S.E. II. 1. Le capital humain dans les référentiels comptables nationaux La recherche sur le capital humain s’est récemment réactivée du fait de son rôle central dans la performance durable des organisations (Cappelletti, 2010). Selon la définition de l’OCDE, le capital humain recouvre les connaissances, les qualifications, les compétences et les autres qualités d’un individu qui favorisent le bien-être personnel, social et économique (Keeley, 2007, p. 30). Le capital humain fait donc référence aux connaissances, aux compétences, aux expériences, ainsi qu’aux motivations et attitudes des salariés d’une organisation. Il s’agit de la composante du capital intellectuel - avec le capital structurel ainsi que le capital relationnel - qui a la plus grande valeur (Gates et Langevin, 2010). Des divergences de traitement sur le capital humain selon les approches retenues dans les principaux pays industrialisés ont été mises en évidence par Lilly et Reed (1999). La différence majeure est liée au traitement comptable des frais de recherche et développement. Dans certains pays, une distinction est opérée entre frais de recherche et frais de développement. Les premiers sont considérés comme une charge alors que les deuxièmes peuvent être enregistrés à l’actif du bilan des entreprises sous certaines conditions, ce qui permet d’intégrer partiellement le capital humain dans les comptes annuels comme le montre le tableau comparatif présenté ci-dessous : 5 Etats Unis Frais de recherche Frais de développement Non selon les US GAAP (Generally Accepted Accounting Principles) Non selon les US GAAP Royaume-Uni Allemagne France Non selon le C.A. Non selon les Grundsatze Ordnungsmassiger Buchfuhrung (G.O.B)1 Non Selon le règlement du Comité de la Réglementation Comptable (C.R.C. 04-06) Non selon les G.O.B. Activable si le projet est nettement individualisé avec de sérieuses chances de rentabilité commerciale (C.R.C. 04-06) Activable si le projet est commercialement exploitable et que la société possède les ressources nécessaires (CA 1985) Tableau 1 : Comparaison des référentiels normatifs comptables nationaux en matière de frais de recherche et de développement Nous constatons, quelque soit les référentiels comptables normatifs, qu’il ne s’agit que d’une évaluation partielle et très spécifique du capital humain dans la mesure où il est nécessaire afin de respecter une certaine orthodoxie comptable de se limiter à la notion d’avantages économiques futurs stricto-sensu. C’est d’ailleurs un des reproches que nous pouvons formuler à l’encontre de ces référentiels de prendre en compte uniquement la comptabilisation des seuls actifs incorporels acquis par l’entreprise, ce qui exclut, compte tenu de conditions très restrictives, d’inscrire à l’actif du bilan, dans leur grande majorité, ceux générés par les salariés de l’entreprise. En résumé, lorsqu’une entreprise achète un bien incorporel, le prix payé intègre implicitement la reconnaissance des compétences des salariés du vendeur mais par contre, il est beaucoup plus délicat de comptabiliser les biens incorporels produits en interne. Par conséquent, il semble important d’élargir cette vision comptable en ne se limitant pas aux seuls biens incorporels acquis ou à ceux produits en interne en optant pour une approche pluridisciplinaire intégrant le management des compétences et des connaissances. En effet, force est de constater que ces aspects sont partiellement pris en compte pour évaluer comptablement les frais de développement puisque si l’entreprise peut les inscrire à l’actif de son bilan, c’est bien parce qu’elle a démontré que le projet lui apporte un avantage économique et qu’indirectement, cela conduit à reconnaître que les compétences et les connaissances mobilisées lui permettent de parvenir à ce résultat. D’où la nécessité d’avoir une vision différente et plus étendue de l’évaluation comptable du capital humain. C’est sur ce point que des chercheurs ont axé leurs travaux. Ainsi, dans la mesure où le capital humain n’est pas une ressource comme les autres dans le sens où il ne s’agit pas d’un bien tangible, mesurable, identifiable stricto-sensu comme peuvent l’être un matériel ou un immeuble, l’outil traditionnel comptable est moins adapté, ce qui a amené les chercheurs à proposer d’autres outils de mesure du capital humain tels que les indicateurs essentiellement de nature qualitative regroupés dans des tableaux de bord. 1 Il est à préciser que les Grundsatze Ordnungsmassiger Buchfuhrung (G.O.B) comprennent seulement les règles et les principes non codifiés développés par la pratique comptable à la différence des US GAAP qui intègre l’ensemble des règles et des principes comptables (écrits ou non). 6 Cependant, le problème reste posé car ces outils ne permettent pas d’obtenir une valeur financière du capital humain qui apparaîtrait dans les comptes des entreprises, Ceci peut sembler, de prime abord, incongru puisque, par essence même, le faire apparaître dans les comptes de l’entreprise ne semble pas a priori envisageable tout au mois avec les règles comptables normatives actuelles. C’est donc une question persistante que celle de la mesure comptable du capital humain. Gates et Langevin (2010) présentent les résultats d’une étude empirique sur l’usage d’indicateurs de capital humain ; leurs résultats montrent que, pour les organisations étudiées, la mise en place de tels indicateurs reste très perfectible. II.2. De l’évaluation comptable du capital humain à la R.S.E. Pour que le management d’une firme puisse s’imprégner de préoccupations environnementales et sociétales, les mécanismes de pilotage, de contrôle et d’évaluation de celle-ci doit en effet intégrer ces nouveaux critères de gestion et d’évaluation pour définir une performance globale (Capron, 2005). Dans cette optique, nous présentons nos travaux axés sur l’évaluation comptable du capital humain. II.2.1. Modèle d’évaluation comptable du capital humain Pour mesurer le capital humain, nous proposons d’aller au-delà en mixant masse salariale, connaissances et compétences. Cette approche est mobilisée dans une perspective critique dans le cadre d’une recherche-intervention pour évaluer la démarche innovante initiée dans le domaine de la R.S.E. par une P.M.E. du secteur de la distribution. Pour le principe, nous considérons qu’il faut dépasser la vision traditionnelle du traitement en comptabilité des ressources immatérielles et plus particulièrement du capital humain. Nous proposons alors une approche mixte fondée sur la prise en compte d’autres critères en mobilisant non seulement les éléments issus de la comptabilité tels que la masse salariale (salaires et charges) mais aussi les connaissances et les compétences des salariés (cf. figure ci-après) : Compétences Evaluation Valeur comptable de base du capital humain = masse salariale Connaissances Indice compétences = indice ancienneté x pondération* + indice formation x pondération** Valeur comptable corrigée du capital humain = masse salariale x (indice compétences + indice connaissances) 2 Evaluation Indice connaissances = indice formation initiale x pondération*** + indice formation continue diplômante x pondération**** 2 Figure 1 : Modèle d’évaluation comptable du capital humain (Méreaux, Feige, Mbengue, 2012) * Nombre de salariés de l’entreprise n’ayant pas suivi un stage de formation/nombre de salariés de l’entreprise ** Nombre de salariés de l’entreprise ayant suivi un stage de formation/nombre de salariés de l’entreprise 7 *** Nombre de salariés diplômés de l’enseignement supérieur en formation initiale de l’entreprise/nombre de salariés de l’entreprise **** Nombre de salariés diplômés de l’enseignement supérieur en formation continue diplômante de l’entreprise/nombre de salariés de l’entreprise II.2.2. R.S.E. et Modèle d’évaluation comptable du capital humain L’objectif de la R.S.E. est désormais de pouvoir quantifier la R.S.E. et évaluer la performance extra financière des entreprises. Notre modèle permet de mesurer la performance humaine individuelle et collective fondée sur les connaissances et les compétences des personnels, tout en mesurant l’efficacité des formations assurant leur employabilité. Par définition, l’employabilité désigne en effet « la capacité d’un individu à retrouver un emploi » ; « la capacité de réinsertion professionnelle » (Dietrich, 2010, p. 30). Cette notion d’employabilité concerne aussi bien les demandeurs d’emploi que l’ensemble des salariés. L’employabilité dépend du marché du travail et des individus (compétences, ressources en termes de formation, expériences professionnelles, relation sociales).Le terme d’employabilité apparaît largement mobilisé par de multiples acteurs dans le cadre d’une politique d’emploi responsable. Il s’agit ici de dépasser l’approche R.S.E. qui dans ses principes fondamentaux consistent en l’identification de facteurs extra financiers qui permettent de contribuer au développement durable, cela sans sacrifier la performance économique (Rasolofo-Distler, 2010). Pour cela, dans le cadre de cette recherche-intervention, l’objectif est de mobiliser le modèle d’évaluation comptable du capital humain proposé pour appréhender et évaluer la démarche innovante initiée par une P.M.E. du secteur de la distribution. III. Méthodologie de la recherche et premiers résultats Nous présentons dans cette troisième partie notre terrain d’étude, le mode de recueil des données ainsi que les premiers résultats. III. 1. Terrain d’étude et mode de recueil de données III.1.1. Présentation du terrain d’étude de la recherche intervention Le groupe étudié est une PME française familiale qui a une quarantaine d’années d’existence. Le secteur renseigné est celui de la distribution de produits pour lequel l’enseigne a développé une expertise reconnue. Pour l’essentiel, cette entreprise a deux principaux concurrents directs. Les différents magasins du groupe sont essentiellement localisés dans Nord de la France ; très peu de magasins sont situés dans le sud de la France. Les effectifs du groupe s’établissent à 650 collaborateurs répartis entre le siège social et les 125 magasins composés de 3 à 6 employés (environ 500 personnes sur le terrain). La structure organisationnelle est à la fois classique et originale puisque le dirigeant est assisté de trois directeurs généraux. Elle est classique compte tenu des différentes fonctions qui la compose, à savoir la DAF/Logistique, le développement/RH, le merchandising, le marketing, l’informatique, les achats, l’expansion. L’évolution de ce groupe se réalise naturellement sous l’impulsion du comité de direction, composé de 50 % de nouveaux. Aussi, la connaissance du client et du marché s’affine puisque le groupe a vocation à devenir de plus en plus apprenant. A cet effet, la structure favorise les remontées d’informations du terrain, articulant véritablement le stratégique et l’opérationnel. Après avoir connu un fort développement de ses ventes, la progression du groupe est aujourd’hui plus difficile. Aussi, le dirigeant et ses collaborateurs actionnent entre autres les 8 leviers permettant d’activer une meilleure gestion des connaissances et des compétences de ses collaborateurs. A cet effet, le groupe s’est doté d’un laboratoire - développement RH - qui a pour missions l’étude de ses pratiques et la proposition de meilleures formations dans une optique d’amélioration permanente et de diffusion de bonnes pratiques ; la création d’un journal interne d’information en étant la traduction concrète. III.1.2. Recueil des données L’application est réalisée au niveau du groupe ; les magasins constituent le premier terrain d’expérimentation sur la période 2009 à 2012. Plus précisément, il s’agit de mettre en évidence les variations, positives ou négatives, occasionnées par les éléments qui l’impactent : les indices connaissances et compétences pondèrent en effet la masse salariale par magasin et permettent d’appréhender différemment la gestion du capital humain. Pour traiter les données nécessaires à une telle étude, un tableau Excel a été élaboré ; il contient l’ensemble des informations nécessaires et validés conjointement avec les responsables de l’entreprise pour réaliser les calculs des deux indices et répondre aux objectifs fixés. Ce tableau se compose des éléments d’identification sur le magasin ou le service, sur les salariés et sur la formation. Informations sur le magasin ou le service Informations sur les salariés N° de magasin ; Lieu du magasin ; Nom du service du siège Leur identification : N° de matricule ; Nom du salarié(e) ; Prénom du salarié(e) ; Date de naissance ; Sexe. Leur qualification : Diplôme d'entrée du salarié (é) Leurs parcours /leurs expériences professionnelles : Date d'entrée du salarié(e) dans l'entreprise ; Fonction exercée à l'entrée ; Nombre d'années d'expérience dans cette fonction ; Date d'arrivée du salarié(e) dans un magasin ; Fonction exercée après le changement de magasin ; Date de sortie du salarié(e) du magasin ; Date de sortie du salarié(e) de l'entreprise. La formation qualifiante ou diplômante suivie dans l'entreprise : 2009, 2010, 2011, 2012 : Intitulé de la formation ; Durée en heures. Les stages courts externes de formation suivis par le salarié : 2009, 2010, 2011, 2012 : Intitulé du stage ; Durée en heures. Les autres formations internes suivies par le salarié : 2009, 2010, 2011, 2012 : Intitulé de la formation ; Durée en heures. Tableau 2 : Informations sur les magasins, les services et sur les salariés Afin de recueillir l’ensemble de ces données dont certaines ne sont pas toujours connues avec précisions par l’entreprise (formation initiale, expériences antérieures, etc.), il a été décidé de 9 procéder par voie de questionnaire pour leur recueil. Il est important de rappeler que l’objectif poursuivi est celui de pouvoir évaluer le capital humain par magasin, cela pour en tirer des enseignements, entre autre, sur la qualité des formations actuellement dispensées. L’étude ne pourra cependant pas faire ressortir/mesurer la combinaison des personnels sur les résultats obtenus. Nous pourrons toutefois mesurer les effets des formations et leurs résultats dans une optique d’amélioration continue. Pour cela, des précisions ont été apportées sur la constitution de l’indice connaissances. En effet, une distinction est faite entre les stages courts de formation et les formations internes dispensées spontanément en magasin. La discussion a porté sur les connaissances acquises et les liens que l’on peut établir avec la performance, la capacité des personnels à s’adapter ; avec la rémunération et la mobilité également. La discussion a aussi porté sur le caractère obligatoire des formations selon les entreprises. Un point a été particulièrement développé : la pondération à réaliser pour les personnes qui n’ont pas obtenu avec succès le diplôme qui sanctionne la formation ou qui n’ont pas suivi la formation dans sa totalité. Une solution serait de pondérer par rapport au nombre d’heures de présence les différentes personnes qui sont/ont été dans cette situation. La discussion sur l’indice de compétences a été plus longue. Cet indice intègre ce qui relève de l’ancienneté et de la formation professionnelle. Les profils des personnels demandeurs de stages, le caractère obligatoire des stages, leur nature et leurs apports ont été discutés. D’autres aspects des entretiens avec les responsables de l’entreprise ont porté sur les autres méthodes/actions qui sont de nature à développer les compétences et les connaissances des personnels (autoformation ; e-learning ; hiérarchie ; etc.). Les caractéristiques des magasins étudiées seront à considérer par rapport au mode de management, lieu, etc. III. 2. Premiers résultats Les premiers questionnaires ont été envoyés aux salariés avec les bulletins de paie du mois d’octobre en laissant le choix aux salariés entre le retourner à la DRH de l’entreprise ou à l’université. A fin décembre, 250 questionnaires ont été retournés avec un parfait équilibre entre questionnaires retournés à l’entreprise et ceux envoyés à l’université. La première lecture à chaud des questionnaires reçus montre que les parcours sont très diversifiés, parfois atypiques par rapport au secteur de la distribution. Nous notons ainsi que dans plusieurs magasins, des séances de formation internes allant de quelques heures à quelques jours sont dispensées par des salariés hors dispositifs classiques de formation proposés par l’entreprise (recensement des besoins de formation, plan de formation). C’est déjà un premier élément intéressant qui montre la nécessité de dépassement de l’approche traditionnelle en matière d’outil de gestion du capital humain. Cela entraînera nécessairement une adaptation de notre modèle dans la mesure où dans un premier temps, nous nous sommes surtout focalisés dans ce domaine sur les stages courts de formation organisés par l’entreprise et nous n’avons pas intégré ce système de formation spontanée. Conclusion La R.S.E. constitue un enjeu majeur pour nombre d’entreprises aujourd’hui notamment au regard des exigences croissantes des différentes parties prenantes. Mesurer le volet social de la R.S.E. suppose de mettre en place des indicateurs de suivi des actions initiées par les entreprises. Cependant, ces indicateurs sont, comme le montre de nombreux études, de nature qualitative, ce qui rend plus délicat le lien avec la performance économique de l’entreprise notamment dans une perspective d’évaluation comptable et financière. 10 Nous proposons de compléter les outils de gestion R.S.E. existants avec une approche basée sur le tryptique masse salariale, connaissances et compétences pour évaluer comptablement le capital humain. Ce modèle peut en effet permettre de mesurer l’efficacité des formations dispensées au sein de l’entreprise, ce qui peut permettre également d’améliorer l’employabilité des personnels, et la conservation de l’emploi dans une structure apprenante qui a décidé de gérer au mieux la ressource capital humain dans une optique de R.S.E. en l’évaluant comptablement. Références bibliographiques Acquier A., (2007), R.S.E. et outils de gestion : perspectives pour l’analyse des marchés de l’évaluation extra financière, Revue de l’Organisation Responsable, n°2, juillet, p. 5-15. Alavi M., Leidner D.E., (2001), Review: Knowledge Management and Knowledge Management Systems: Conceptual Foundations and Research Issues, MIS Quarterly, vol. 25, n°1, p. 107-136. Amann B., Caby J., Jaussaud J., Piniero J., (2007), Activisme des actionnaires et responsabilité sociale des entreprises : une comparaison Espagne-France-Etats-Unis-Japon, Revue de l’Organisation Responsable, 2, Vol. 2, p. 37-53. 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