Le rôle du verre sur l`effervescence et la mousse du Champagne

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Le rôle du verre sur l`effervescence et la mousse du Champagne
Le rôle du verre sur l’effervescence
et la mousse du Champagne…
expériences à l’appui
il y a quelques années pour mieux comprendre et expliquer le rôle
joué par la nature, la forme et les conditions d’utilisation du verre
sur les caractéristiques de l’effervescence et de la mousse des vins
effervescents. À la suite d’une enquête menée auprès de restaurateurs
(essentiellement en France et au Japon) sur les conditions de service
de ces vins, différents paramètres ont été étudiés mettant plus particulièrement en évidence l’importance des conditions de rinçage et
d’essuyage des verres.
Abstract: We propose an overview of some experiments carried out
a few years ago in order to have a better understanding on the foam
formation and foam stability of champagne wines. Chemistry, shapes
and the ways of use have been investigated. Following a questionnaire
sent to restaurant owners (essentially in France and in Japan), we have
collected some informations and studied various parameters to measure
the impact of washing, rincing, drying and storage of the glasses.
1. Introduction
La qualité et la finesse de l’effervescence et de la mousse des vins
de Champagne sont des thèmes qui ont été très utilisés par les
grandes maisons de Champagne, les vignerons et l’interprofession
pour la communication auprès des prescripteurs et des consommateurs au cours du XXème siècle. Mais, dans la pratique, et jusque
ces dernières années, aucune étude scientifique n’a été menée
pour tenter de comprendre les raisons qui expliquent pourquoi,
en fonction de la qualité des vins et des conditions de service,
l’effervescence est plus ou moins généreuse et alimentée par des
bulles de dimensions variables. Dans le même sens, aucun travail
n’explique pourquoi la collerette est plus ou moins persistante,
la mousse plus ou moins fine, etc. Précisons toutefois que les chefs
de cave et les œnologues grâce à leur sens de l’observation, étaient
capables de résoudre un certain nombre des difficultés rencontrées,
quant à la qualité de cette effervescence, mais sans bien en comprendre
toujours les raisons.
Ce n’est que dans le courant des années 80, que concomitamment,
le laboratoire d’œnologie de l’université de Reims et le service de
recherche de Moët & Chandon ont entrepris un certain nombre
de travaux pour étudier l’influence des différents paramètres tant
chimique (composition du vin) que physique (type de verre utilisé
et conditions du service), sur la finesse de l’effervescence et la stabilité
de mousse des vins de Champagne.
Les recherches réalisées par Moët & Chandon l’ont été dans le cadre
d’un projet Eureka, BUFOM EU 267, mené conjointement avec les
brasseries Heineken au début des années 90.
2. Enquête menée auprès des prescripteurs
Préalablement à l’étude de l’influence des conditions de service du
Champagne sur les caractéristiques de l’effervescence et de la mousse
de ces vins, une enquête a été menée auprès d’un certain nombre
de prescripteurs, restaurateurs en particulier en France et au Japon.
Il s’agissait de mieux cerner la variabilité des conditions de service
du Champagne et son influence sur les caractéristiques de l’effervescence. Dans la pratique, cela permettait d’échanger avec ces
prescripteurs et de comprendre ce qui les amenait à utiliser des
conditions de service particulières.
De ces échanges, nous retiendrons les points suivants :
Sur les 37 lieux de consommation étudiés, les verres étaient lavés à
la main dans 16 de ces lieux. Quant aux autres, les verres y étaient
lavés dans des lave-verres dans 16 cas, mais aussi au lave-vaisselle
(avec assiettes et couverts !!!) dans 5 cas ;
À part un restaurateur n’essuyant pas les verres, ceux-ci l’étaient
avec un torchon en coton dans 2/3 des cas et avec d’autres tissus
dans 1/3 des cas.
Avant utilisation, les verres étaient stockés soit debout posés sur
leur pied dans 21 cas, soitt à l’envers sur un support dans 13 cas.
À noter également que 2 prescripteurs rinçaient les verres avant
utilisation. Un rafraîchissement des verres dans des conditions
variables était réalisé dans 7 cas.
Le Tableau 1 précise les températures de service des vins (température
du réfrigérateur où est refroidi le vin)
Tableau 1 : Température de service des vins dans 37 lieux de consommation
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Résumé : Cet exposé résume différentes expérimentations menées
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par Bruno Duteurtre
Ancien directeur, Laboratoire de recherche Moët & Chandon, 13 avenue Foch - Épernay
par Bertrand Robillard
Directeur R&D, Institut Œnologique de Champagne, ZI de Mardeuil - Épernay
3. Influence de l’état de surface
Ces températures fraîches peuvent surprendre, mais rappelons
qu’une majorité des restaurateurs interrogés sont des Japonais.
Habituellement, les Champenois conseillent des températures plus
proches de 10° C.
On constate ainsi un écart de 7° C entre les températures extrêmes,
ce qui représente des variations très importantes.
Notons également que le remplissage des verres était de moitié
dans 8 cas, au 3/4 pour la majorité (27 cas) et ras-bord dans deux cas.
Enfin, dans le cas des restaurants réalisant le service du champagne
à la coupe, la durée de vie des bouteilles était la suivante :
<2 heures
10
Une demi-journée
9
Une journée
8
2 jours
3
>2 jours
0
Nous n’abordons pas ici tous les critères de service sur lesquels a
porté l’enquête, mais l’on perçoit déjà que les conditions de consommation des vins effervescents sont très variables, et pourtant cette
enquête ne prend pas en compte la consommation à domicile, lors
de cocktails, etc.
On peut résumer les différents paramètres externes du vin qui peuvent
influencer la qualité de l’effervescence ainsi :
Forme du verre : flûte ou coupe en particulier,
Qualité du verre : chimie et propriété de surface,
Age du verre,
Lavage, séchage, rinçage,
Température du liquide et du contenant,
Façon de verser.
4. Influence des matières grasses
Le lavage et le rinçage des verres doivent être réalisés de manière
à ne pas laisser de traces de substances hydrophobes sur la peau
du verre qui vont limiter l’effervescence et s’opposer en particulier
à la stabilité de la collerette.
Cela peut-être visualisé lorsque les verres sont lavés au lave-vaisselle
(action des produits de rinçage en particulier), mais aussi lorsque
les convives féminines laissent, au premier contact du verre,
des traces de rouge à lèvres sur le bord du verre, provoquant par
la suite une instabilité de la collerette. Ce même phénomène peut
être observé, lorsqu’en accompagnement à la dégustation du
champagne, des amuse-gueules tels qu’olives, canapés de charcuterie,
etc. sont servis. Ces aliments, forts agréables au demeurant, laissent,
après ingestion, des traces sur le bord du verre dont le caractère
hydrophobe s’exprime par une régression de la collerette.
Le mécanisme physique qui explique ce phénomène dit de glissement
est visible sur le schéma ci-dessous (3). Une particule de lipide (bleue)
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Photo 1 : Mise en évidence du phénomène de nucléation hétérogène
En 1996, Lehuédé et Robillard (1) ont réalisé une expérience permettant
de montrer que l’effervescence des vins de champagne est liée à une
nucléation hétérogène due à la présence de particules engendrant
la formation des bulles. Pour cela, deux verres neufs d’un même lot
ont été utilisés, l’un nettoyé normalement à l’eau du robinet et
essuyé avec un torchon, et l’autre nettoyé selon la procédure SAPI
qui permet d’obtenir des verres dépourvus de toute entité
physique pouvant s’adsorber sur les parois. Le procédé SAPI, s’applique
comme suit :
1) Nettoyage dans une cuve à ultra-sons contenant du Déconex
12PA (2 min. à 60° C),
2) Rinçage extensif à l’eau déionée,
3) Nettoyage en cuve à ultra-sons contenant du Déconex 20NS
(2 min. à 60° C),
4) Rinçage extensif à l’eau déionisée,
5) Rinçage en cuve à ultra-sons à 80° C.
Lorsque l’on verse le champagne dans les verres (Photo 1),
une grande quantité de mousse se forme normalement dans les
deux. Après quelques dizaines de seconde, aucune bulle n’apparaît
dans le verre de gauche, lavé selon la procédure SAPI, alors qu’une
effervescence normale se développe dans le verre de droite.
Cette expérience suggère que les trains de bulles observés habituellement et formés sur la paroi du verre proviennent essentiellement
de particules déposées sur le verre durant l’histoire de celui-ci
(poussières ou particules provenant d’utilisations précédentes
et restantes après le lavage). Les quelques poches d’air piégées par
ces poussières seront initiatrices des premières bulles de Champagne.
Par la suite, les expérimentations réalisées par Liger-Belair (2) ont
permis de visualiser dans le détail et de modéliser la nucléation
des bulles dans des conditions réelles.
Schéma 1 : Glissement d’une particule de matière grasse générant la rupture d’un film
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Marchal (4) a décrit des verres dont la maîtrise du nombre d’impacts
permet une meilleure standardisation de l’effervescence et de la
mousse. Toutefois, la stabilité de la mousse, en particulier, est d’abord
dépendante de la composition colloïdale des vins et un verre standardisé ne pourra améliorer celle-ci, même s’il permet l’expression
d’une belle effervescence.
Conclusion
Effervescence et mousse des vins effervescents sont bien évidemment
liées aux caractéristiques physico-chimiques des vins, mais leur
expression et leur stabilité sont fortement influencées par les
conditions de service de ces vins. Nous n’avons abordé que quelquesuns de ces facteurs, mais ces quelques expériences montrent que
tous les efforts des œnologues peuvent être annihilés en quelques
instants à cause d’un service du vin inadapté. Des efforts de communication importants doivent être menés auprès des prescripteurs
pour leur donner une parfaite connaissance des conditions idéales
de service des champagnes et vins effervescents.
Les auteurs remercient la Direction Œnologie de Moët & Chandon
de les avoir autorisé à publier ces résultats
Photo 2 : Effervescence provoquée par un traitement du verre
Références bibliographiques
est capable de glisser le long du film qui sépare 2 bulles. En un temps
extrêmement court, cette particule s’étale jusqu’à casser le film si
la quantité de matière hydrophobe qu’elle contient est suffisante.
5. Maîtrise de l’effervescence
Au regard de tous les phénomènes qui peuvent s’opposer à une
bonne expression de l’effervescence, certains ont imaginé de traiter
la surface interne du fond des verres pour stabiliser l’effervescence.
Si, aujourd’hui, l’on dispose des connaissances permettant de comprendre les phénomènes et donc d’y pallier, nos anciens les avaient
déjà observés depuis longtemps et, en conséquence, imaginés certains
traitements des verres pour pallier l’absence d’effervescence.
Les techniques utilisées autrefois pour procéder au gravage des verres,
afin de créer des sites de nucléation étaient imparfaites, ce qui
provoquait parfois des effervescences généreuses, mais peut-être
inesthétiques comme le montre la Photo 2.
(1) P. Lehuede et B. Robillard, 1996.
Le Champagne dans la flûte.
Pour la science, 229- 14.
(2) G. Liger-Belair, 2002.
La physique des bulles de Champagne.
Annales de physique, 27-34.
(3) A. Dussaud et al., 1994.
Exogeneous lipids and ethanol influences on the foam behavior
of sparkling base wines.
J. Food Sci., 59 (1), 148-151.
(4) R. Marchal, 2006.
Mise au point d’un verre permettant la maîtrise de l’effervescence.
Vers une expression idéale de la mousse.
Revue des œnologues, 121, 39-42.
Quelques conseils pour accèder aux articles techniques
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