M. l`ambassadeur, chers amis et collègues, Il va sans dire que je

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M. l`ambassadeur, chers amis et collègues, Il va sans dire que je
M. l’ambassadeur, chers amis et collègues,
Il va sans dire que je suis très reconnaissant au Président de la République française, d’avoir
bien voulu me décerner le grade de chevalier dans l’ordre national de la Légion d’honneur. Ce
grand honneur me touche profondément.
Par cette distinction, la république française a tenu à rendre hommage à mes
recherches consacrées à l’histoire des relations culturelles et intellectuelles entre la France et
les Pays-Bas, à travers les siècles.
Mes rapports avec les lettres et la culture françaises remontent en effet, M. l’ambassadeur, à
plus d’un demi-siècle. Depuis mes études de français au sein de l’université de Nimègue et,
mon doctorat, en 1971, consacré au cabinet parisien des frères Jacques et Pierre Dupuy, si
célèbre à leur époque par le réseau très étendu de leur correspondance aux quatre vents de la
République des Lettres, je n’ai cessé d’attirer l’attention sur l’importance historique des
rapports culturels entre nos deux pays. Ma nomination à cette université en 1976, comme
titulaire de la chaire de l’histoire des relations intellectuelles entre les pays de l’Europe
occidentale, y a sans doute beaucoup contribué. Elle m’a permis de consacrer la plupart de
mes travaux à l’Europe des esprits dans laquelle les rapports entre la France et la République
des Provinces-Unies ont occupé une place si privilégiée. Ainsi, avons-nous pu étudier les
riches correspondances d’André Rivet, grand théologien calviniste français, au service du
stathouder Frédéric-Henri d’Orange, et de Claude Saumaise, illustre philologue et professeur
de Leyde, toujours à la recherche de cette liberté et de cette franchise intellectuelle illimitées,
qui lui avaient manqué dans la France de Louis XIII et de Richelieu. À la faveur de ces
travaux, notre attention a été attirée par les « journaux de Hollande » souvent rédigés par
l’élite intellectuelle des huguenots dispersés à travers toute l’Europe et diffusée par la librairie
des Provinces-Unies. C’est peu de dire que cette presse périodique en langue française a joué
un rôle considérable dans la diffusion des idées nouvelles, dans la naissance d’une véritable
République des Sciences et l’épanouissement des Lumières.
Ces études nous ont également montré que les habitants des Pays-Bas et tout particulièrement
les autorités politiques de cette république ont plus d’une fois estimé, si multiples et si
amicales qu’aient été leurs relations, qu’il valait mieux toutefois maintenir avec la France une
certaine distance : Gallia amica, sed non vicina : « restons amis, mais point de voisinage !».
Certes, nos relations ont parfois été mises à rude épreuve : ce fut le cas en 1672, notre
« Rampjaar », lorsque l’expansionnisme français se manifesta avec force et que les troupes
françaises envahirent nos territoires. Et si l’arrivée des Français en 1795 fut applaudie par les
cercles progressistes néerlandais, l’animosité ne tarda pas à se faire jour à l’égard de
l’occupant. À l’inverse et à une époque plus récente, le gouvernement français a parfois eu du
mal à supporter une politique jugée trop libérale concernant les stupéfiants ou, plus
récemment encore, l’intransigeance du ministre néerlandais, chargé de contrôler les
engagements pris par la France de ramener ses déficits sous la barre des 3%, en 2015, a été
estimée trop rigoureuse et trop calviniste dans son insistance sur la nécessité de s’en tenir aux
règles européennes.
Mais en dépit même de ces confrontations et frictions, les rapports entre nos deux pays
demeurent excellents et notre culture reste profondément influencée par la culture française.
Comme beaucoup d’Européens, les Néerlandais sont depuis longtemps attirés par la France, le
style de vie français, la cuisine française, bref par le modèle français, tout en préservant
l’authenticité première de la culture néerlandaise.
Je fais partie, M. l’ambassadeur, de ces nombreux Européens et Néerlandais qui entretiennent
un lien particulier avec la France. Ce lien ne s’est pas limité à son histoire culturelle sous
l’Ancien Régime, et au monde savant de la République des Lettres, centre d’intérêt le plus
important de mes recherches. Le prix Descartes-Huygens qui m’a été attribué en 2004 et une
invitation du professeur Marc Fumaroli, membre de l’Académie française et professeur du
Collège de France à venir faire quelques conférences en l’année 2005-2006 dans cette illustre
institution, m’ont attiré, un peu par hasard, vers un tout autre monde, a savoir celui de la Cour
de Versailles.
Libéré en octobre 2005 de mes obligations administratives à Nimègue où je dirigeais
depuis 1992 un institut de recherches et où j’occupais le poste de doyen de la faculté de
lettres, j’ai pu alors donner suite à l’invitation à faire partie avec ma femme d’une équipe de
recherches chargée de la publication de la correspondance de Mme de Maintenon. Ce fut pour
nous une raison de plus pour nous installer à Paris entre 2005 et 2011 et avoir ainsi l’occasion
d’y séjourner en dehors de nos vacances et de mes semaines de recherches et d’y vivre ainsi la
vie de tous les jours dans ce qui est devenu notre seconde patrie.
Il va de soi, M. l’ambassadeur, que la distinction que le gouvernement français a bien voulu
me décerner n’a pu l’être que grâce à un grand nombre de personnes qui, au cours de ma
carrière universitaire, m’ont entouré et qui ont facilité mon travail. Je pense tout d’abord à
mes nombreux collègues et élèves de l’ancien institut Pierre Bayle du département d’histoire
de la faculté des lettres et à tous les collègues de cette faculté qui avec générosité et
dévouement ont tout fait pour favoriser mon travail. Et tout particulièrement aux collègues et
amis avec lesquels j’ai rédigé et publié des livres dont la plupart ont été consacrés à un ou à
plusieurs aspects des relations franco-néerlandaises.
Comme je viens de le dire, j’ai entamé en quelque sorte une nouvelle vie en 2005, l’invitation
de M. le professeur Marc Fumaroli à venir faire quelques conférences au Collège de France
m’ayant finalement permis de participer à une équipe de recherches et, bientôt après, à
coordonner cette équipe en vue de publier intégralement la riche correspondance de l’épouse
secrète de Louis XIV. Grâce à la collaboration de cette équipe franco-néerlandaise, nous
avons achevé l’année dernière la publication des sept volumes de la correspondance active.
Cette même année, cette édition a été couronnée par le prix Sévigné dont la remise a eu lieu
au château de Versailles. Je tiens à exprimer ici ma grande reconnaissance à M. Fumaroli pour
la confiance qu’il m’a sans cesse témoignée. Il a d’emblée soutenu notre projet et il a eu
l’amabilité de rédiger la préface du premier tome de notre édition. Son prestige et ses lettres
de recommandation nous ont ouvert de nombreuses archives privées et facilité nos
consultations des fonds anciens des bibliothèques publiques. Je tiens également à remercier
Mme Catherine Hémon-Fabre qui a été le trait d’union de notre équipe au Collège de France :
son amabilité et son tact ont garanti la réussite de notre entreprise.
La plupart d’entre vous ne manqueront pas de savoir que depuis neuf ans je passe ma vie en
compagnie de deux dames, Mme de Maintenon et ma propre femme, Eugénie Estourgie. Si le
gouvernement français a décidé à me décerner la légion d’honneur, tout le mérite en revient à
Eugénie. Il y a plus de 45 ans qu’a débuté notre aventure commune et ce n’est pas pousser
trop loin les choses lorsque j’affirme que ta présence et ta collaboration dans tout ce que j’ai
fait n’ont pas seulement été considérables, mais que sans ta patience et ton soutien moral et
matériel, je n’aurais pu y arriver. Cela va sans dire pour notre vie privée, mais cela ne vaut pas
moins pour tout ce que nous faisons ensemble dans le domaine intellectuel. Professeur de
français à l’ancien pensionnat Notre Dame des Anges et proviseur de ce lycée, tu as contribué
sans relâche à propager l’amour de la culture française. Depuis 2005, lorsque notre nouvelle
vie a commencé, jour après jour, nous avons fait équipe pour travailler aux différents volumes
de cette édition de la correspondance de Mme de Maintenon. Nos compétences sont
parfaitement complémentaires : ta bonne mémoire touchant les moindres faits de l’histoire du
règne de Louis XIV ne cesse de m’étonner et ta connaissance étendue de la généalogie de la
noblesse française, où je me perds assez vite, ton habileté à te retrouver dans cet
enchevêtrement des familles apparentées et entrelacées les unes dans les autres sont tout à fait
stupéfiantes. La seule conclusion que je puis tirer de tout ceci est que nous ne pouvons que
partager l’honneur que le gouvernement français m’a rendu ou pour mieux dire nous a rendu.
Comme nous avons la chance, l’un et l’autre, d’être en bonne santé, nous espérons
poursuivre notre travail commun, et continuer de jouir ensemble de la compagnie de Mme de
Maintenon et de cultiver nos bons rapports avec la France qui est devenue pour nous deux
notre seconde patrie.