Notice sur la Chaire-au-Diable, près de Jublains

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Notice sur la Chaire-au-Diable, près de Jublains
Auteur, titre et références du texte :
VERGER (F.J.), Notice sur la Chaire-au-Diable, près de Jublains (Mayenne), Poitiers, Saurin Frères,
imprimeurs, rue de la Mairie n° 10, 1835.
Mis en ligne par :
Archives départementales de la Mayenne
6 place des Archives — 53000 LAVAL, France
[email protected]
Date de première mise en ligne : 2004-08-06.
Référence : FR-AD53-BN-0016
Texte relu par :
Joël Surcouf
d’après un exemplaire conservé aux
Archives départementales de la Mayenne
(cote : Mf 34).
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sur le site des Archives de la Mayenne :
http://www.lamayenne.fr
NOTICE
SUR
LA CHAIRE-AU-DIABLE,
PRÈS DE JUBLAINS (MAYENNE).
par F. J. Verger
de Nantes
Poitiers
Saurin Frères, imprimeurs
rue de la Mairie n° 10
1835
L'abbé Lebeuf dit, dans un passage sur Jublains : « Aux environs, se voit un bloc de
pierre, élevé sur un petit tertre, dans une commune plantée de vieux hêtres : ce bloc est
taillé en forme de fauteuil, et sur le marchepied est l'empreinte de deux pieds en griffes.
Les habitans du lieu l'appellent la Chaire-au-Diable. Il serait plaisant que cette chaire au
diable eût donné le nom de Diablintes aux habitans de ce canton, comme il le serait que
cette expression, ils travaillent comme des diables, tirât son origine du village de
Jublains, dont les habitans passent pour les plus laborieux du pays du Maine. »
Renouard parle de la Chaire-au-Diable en ces termes :
« Dans la commune d'Aron, sur le chemin de Jublains à Mayenne, en arrivant à la
chaussée qui traverse l'étang de la Forge, on voit une table de 6 mètres 50 centimètres
de longueur sur 3 mètres 25 centimètres de largeur. Elle est gisante à terre : ses
supports ont disparu. On a gravé assez profondément sur cette table de pierre une figure
grossière d'homme avec des griffes. On croit dans le pays que c'est la figure du diable. »
En lisant ces deux descriptions de la Chaire-au-Diable, nous avons pensé que leurs
auteurs n'avaient pas vu ce monument. L'abbé Lebeuf parle d'un bloc de pierre, et
Renouard d'une table de 6 mètres 50 centimètres de longueur. A coup sûr cela ne peut
s'appliquer à ce que nous avons vu, et il y en aurait une autre dont on n'a pas
connaissance dans le pays. L'abbé Lebeuf parle d'une petite commune plantée de vieux
hêtres. Nous pensons qu'il y a ici une erreur de sens ou d'impression ; car cette
commune (celle d'Aron) ne paraît pas avoir été plantée spécialement en hêtres.
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Commune devrait peut-être s'entendre du lieu où gît cette pierre, lieu qui est ce qu'on
appelle un commun, un terrain vague, et fréquemment dans le pays un pâtis ou
pâtureau. Il pouvait s'y trouver quelques hêtres qui auront été abattus, car on n'en voit
pas un seul près de la pierre.
Nous n'avons point remarqué de figure d'homme, ni de griffes sur le marchepied.
Nous allons donner une troisième description de cette pierre. Nous nous flattons qu'elle
aura le mérite de l'exactitude. Nous y joignons un dessin, pris sur le lieu même, qui
aidera à comprendre ce que nous avons à en dire.
Sur le bord de la route de Mayenne à Jublains et à environ 2 mille mètres de ce bourg,
après avoir passé la chaussée qui traverse l'étang d'Aron, on voit sur la gauche une
grosse pierre appelée la Chaire-au-Diable. Elle est à peu près à égale distance de la route
et de la ferme à laquelle elle a donné son nom, c'est-à-dire à 40 ou 50 pas de l'une et de
l'autre.
Cette pierre en granit grossier est gisante sur le sol, ou plutôt sur d'autres roches de.
même nature qui se trouvent en cet endroit en assez grande quantité. Presque toutes
sont au niveau du sol. La Chaire-au-Diable s'élève au dessus à environ 1 mètre de
hauteur. Elle a 5 mètres de circonférence au dessus du rebord qui lui forme une espèce
de socle ou de base. Sa forme est à peu près ronde, sauf du côté nord-est où nous
l'avons dessinée ; cette face est presque droite sur une longueur de deux mètres.
La chaire n'est pas placée horizontalement, elle est inclinée du sud au nord. Cette
position indiquerait-elle qu'elle a été remuée ?
Sur son sommet, dont les rebords sont irréguliers, se trouve creusé circulairement le
prétendu siège. Son diamètre est de 50 centimètres ; la profondeur de 10 à 12
centimètres.
De deux côtés se trouvent deux enfoncements, formés, dit-on, par le diable, lorsqu'il
appuya ses membres nerveux sur la chaire. Près du bord et au fond du siège se voit
l'empreinte d'une griffe à cinq doigts. Dans les deux récits précédens il est question de
deux griffes. Nous n'en avons vu qu'une ; encore eûmes-nous de la peine à l'apercevoir,
parce qu'elle était recouverte de sable et de boue. Pour s'assurer s'il y en a deux, il sera
nécessaire de faire nettoyer,cette pierre.
Nous n'avons remarqué autour aucune trace d'ancienne construction ni d'autres pierres
détachées. Elle est tout près d'une haie servant de clôture à un champ ; sur cette haie
sont deux poiriers ; ce sont les arbres les plus voisins de la Chaire-au-Diable.
Voici ce qu'on nous a appris sur l'origine de ce nom, qui remonte, à ce qu'il paraît, à une
époque assez éloignée.
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Des ouvriers essayaient depuis longtemps de construire une chaussée pour traverser les
étangs d'Aron et en retenir les eaux ; mais leur ouvrage n'avançait point, car chaque nuit
voyait s'abîmer sous les eaux le travail du jour précédent. Les ouvriers désespérés
allaient abandonner leur entreprise, quand tout-à-coup le diable leur apparut, et leur dit
qu'il mettrait fin à leurs peines, s'ils consentaient à ce qu'il s'emparât du premier individu
qui passerait sur la chaussée dès qu'elle serait finie. Fatigués de tant de travaux inutiles
qu'ils avaient faits, les ouvriers ne considérèrent que le plaisir de sortir d'embarras, et le
marché fut conclu. L'histoire ne dit pas quels gages furent donnés, quelles arrhes furent
reçues ; toujours arriva-t-il que la chaussée se termina avec une merveilleuse facilité et
comme si le terrain eût été des plus solides.
Ce fut alors que les ouvriers pensèrent sérieusement à la promesse qu'ils avaient faite au
diable. Livrer un homme, c'était en même temps livrer son âme aux tourments éternels.
On délibéra, et dans ce petit conciliabule on prit une résolution que ne désavoueraient
point nos diplomates. On se reporta non à l'esprit, mais aux termes de la convention. On
avait stipulé qu'on livrerait le premier individu, et non le premier homme ; et nos
ouvriers de rire et de battre des mains à l'ingénieuse idée de celui qui avait trouvé cette
petite escobarderie. A malice, malice et demie, dirent-ils. Et ils s'emparèrent d'un chat,
qu'ils placèrent à l'un des bouts de la chaussée, et là, à coups de fouet, ils l'obligèrent à
fuir à l'autre extrémité, le diable était là, attendant sa victime. On imagine quel dut être
son désappointement, à la vue du pauvre animal qu'on exposait à sa fureur. Il l'emporta
cependant, aimant mieux, sans doute tourmenter un chat, que de n'avoir rien à faire. Il
vint se reposer sur la fameuse pierre, où il laissa l'empreinte d'une partie de son corps.
C'est apparemment en quittant cette station qu'il imprima cette griffe sur le siège ; car
dans sa colère les mouvements devaient être brusques et vigoureux, comme un démon
est capable d'en faire.
Récemment cette pierre a été endommagée à l'un de ses bords supérieurs. Il est à
désirer qu'on la respecte, si ce n'est par la crainte de déplaire à monseigneur le diable,
au moins pour ne pas nuire au plaisir des voyageurs, et par respect pour une antiquité
remarquable. Le pays, au reste, y est intéressé ; car il existe des amateurs de toute
espèce de curiosités, et on ne peut que gagner à attirer les étrangers chez soi.
Comme nous l'avons dit, dans notre notice sur Jublains, cette pierre est probablement un
autel druidique, bien qu'elle n'affecte pas la forme ordinaire des peulvens et des dolmens
que l’on voit ailleurs.
Elle n'eût pas conservé un renom pareil à celui qu'elle a, si son origine n'était très
ancienne, et si elle n'eût été consacrée jadis à quelque culte. De là le merveilleux attaché
à son histoire.
Il sera intéressant de la comparer aux trois autres pierres du même genre qu'on nous a
dit exister dans les environs. L'art de l'ouvrier se fait à peine remarquer sur celle-ci ; car,
à l'exception du siège ou bassin creusé sur le haut, et de la griffe, qui, probablement, a
été ajoutée à une époque peu reculée, cette pierre paraît avoir une forme donnée par la
nature. Nous sommes d'autant plus porté à le penser, que nous en avons vu plusieurs
autres d'une conformation presque semblable, près d'une ferme située dans une vallée
en face de la forteresse romaine de Jublains.
Nous ne pouvons que confirmer ce que dit l'abbé Lebeuf concernant les travailleurs de
Jublains. Ils ont conservé leur antique renommée. Ils travaillent toujours comme des
diables. Nous avons été à même d'en juger par ce qu'on nous en a dit, et par les ouvriers
que nous avons occupés pour exécuter nos fouilles.
Autres renseignements sur la Chaire-au-Diable.
La notice qu'on vient de lire n'était pas destinée à paraître seule. Je l'avais extraite d'un
second ouvrage sur Jublains et les environs, qui est sous presse en ce moment, pour en
faire lecture au Congrès de Poitiers. Je fus devancé par M.Mangon de la Lande,
archéologue distingué, auquel nous devons un grand nombre de publications
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intéressantes sur les antiquités. Il lut au Congrès une jolie pièce de vers sur un sujet
absolument semblable attribué au pont d'Anzême (Creuse). Je renonçai dès lors à ma
lecture. Le comité de rédaction a jugé ma faible notice digne d'être insérée en entier
dans le compte qu'il a rendu du Congrès1 : il y a beaucoup de bienveillance dans cette
admission. Plusieurs membres de la section d'archéologie, présents à la lecture de M.
Mangon de la Lande, m'ont assuré qu'ils avaient entendu raconter cette fable en divers
lieux.
Pour compléter les renseignements sur la pierre d'Aron, j'ajouterai ce qui est parvenu à
ma connaissance à mon second voyage à Jublains.
On dit que la diablesse, pour aider à l'accomplissement de la promesse de son époux,
apportait des pierres dans son devanteau (tablier), et qu'il en contenait, à chaque fois,
plus de vingt charretées. On ajoute encore que le diable, se voyant joué par les ouvriers,
avait, en partant, donné un si rude coup de pied à la chaussée, qu'il avait toujours existé
un mauvais pas en cet endroit. Un passage de la chaussée était effectivement dangereux
pour les voyageurs depuis un grand nombre d'années ; mais comme apparemment le
diable devient moins méchant, ou qu'il perd de son pouvoir à mesure que nous devenons
meilleurs, le mauvais pas a disparu : la chaussée a été bien réparée.
J'ai eu connaissance, depuis peu de temps, d'un article de feu M. Dugué du Mans, inséré
dans les Mémoires de la Société des Antiquaires de France, où il donne la description
d'une Chaire-au-Diable, qui se rapporte à celle de Renouard que j'ai citée ; mais au lieu
d'être dans la commune d'Aron, elle existait dans celle de Hambers, qui en est voisine. Il
n'est donc plus étonnant que sa description diffère de la mienne. Le monument
d'Hambers a été détruit. Un propriétaire s'en est emparé pour construire une métairie.
Ainsi disparaissent peu à peu toutes nos antiquités, qu'il serait si facile au gouvernement
de conserver en les déclarant nationales et en les payant aux propriétaires.
A ce sujet, je renouvellerai une proposition que j'ai faite en diverses circonstances, et
que je reproduirai sans cesse jusqu'à ce qu'elle ait obtenu quelque succès. Elle
consisterait à obliger les communes à prendre le plan géométral et le dessin de façade de
tout monument dont on ne pourrait empêcher la destruction, soit qu'il appartînt aux
communes ou aux particuliers. Une copie de ces dessins serait déposée aux archives du
chef-lieu de département. Autant que cela serait possible, on y joindrait l'histoire du
monument. Par ce moyen, nous aurions au moins des archives intéressantes. Il serait
bien aussi, quand les communes le pourraient, de prendre le plan en relief.
___________
1
Il a été commis dans cet ouvrage une légère erreur que je dois relever ici. Il est dit, page 236, que je racontai une anecdote
relative à un Pont-du-Diable, situé près de Mayenne. Le pont dont j'ai parlé s'appelle le pont d’Aron.
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