Soutenir les émeutiers de novembre

Transcription

Soutenir les émeutiers de novembre
« Soutenir les émeutiers de novembre »
Novembre à nouveau. Les sirènes hurlantes, le ballet incessant
des voitures de flic et de pompiers. Le tramway et le métro qui
s’arrêtent, pour cause d’ « incidents » : caillassages et incendies. Quelque chose se passe. Quelque chose qui n’a pourtant plus
l’évidence des désordres de l’an dernier.
Un incendie devenu latent, qui a quitté la forme explosive et
spectaculaire de l’émeute généralisée.
Cette fois, les médias, moins accueillants, sont trop occupés à se
gargariser de leur rôle pacificateur. Agitant les faits divers sordides pour faire oublier la multiplication des affrontements et des
attaques contre l’État.
Cette fois, pas de traînée de poudre. Comme si, dans le mode
de l’anniversaire, il manquait ce quelque chose qui vous prend
aux tripes.
Ainsi donc, la date du 27 octobre n’a pas donné lieu au remake
annoncé par les renseignements généraux. Elle a été le signal
d’une série d’attaques, de frappes stratégiques, menées par des
groupes organisés, et décidés. L’embrasement généralisé a laissé
place à des embuscades, du corps à corps avec la police, des attaques de bus à main armée. Peut-être un seuil franchi en matière
d’organisation – quoique ; les émeutes de novembre et du reste
de l’année 2005 n’étaient certainement pas le fait de groupes
désorganisés – , plus certainement en terme d’efficacité – les flics
blessés peuvent en témoigner.
Ces affrontements viennent s’ajouter à tous ceux qui ont ponctué l’année écoulée (des cocktails molotov de Villefranche aux
échauffourées de Grigny, en passant par les émeutes du mondial
de football), laissant à penser que quelque chose de novembre ne
s’est jamais arrêté.
Pendant tout un printemps, les étudiantEs ont su s’arrêter,
délaisser leur emploi du temps, s’approprier l’espace de l’université. Ils ont envisagé de détruire ce qui fondait leur existence
d’étudiants ; ce qui conjurait la vie intense, les émotions partagées, les formes d’existence collective. Ils se sont attaqués, dans
un premier temps, non pas aux milices casquées du maintien de
l’ordre, mais à un ensemble de dispositifs qui visent le contrôle
et la pacification des comportements.
C’est en remettant en cause une certaine conception de l’existence, en affrontant la police sous sa forme diffuse, que le mouvement s’est naturellement trouvé face à un autre obstacle : les forces de l’ordre. Alors, le caractère hostile de la police, que certains
subissent quotidiennement – au gré des contrôle au faciès et des
tabassages – les grévistes devenus à leur tout gênants, l’ont expérimenté dans leur chair : sous les coups, et le gaz lacrymogène.
Dans ces circonstances, il ne restait que deux postures possibles
: pleurer ; ou ramasser des projectiles.
Ainsi, dans de nombreuses villes, là où les manifestations émeutières se sont propagées, les étudiantEs ont su saisir ce que
novembre avait rendu disponible : certains gestes, certaines
pratiques, certaines cibles. En adoptant une attitude offensive
vis-à-vis des forces de l’ordre, le mouvement est venu pérenniser
ce que novembre avait déjà mis à nu : que l’affrontement avec la
police est devenu l’évidence politique de l’époque.
. Ce que vient confirmer un porc du syndicat Alliance, interviewé
dans un canard lyonnais. Alors qu’il a été pris « récemment » dans une
embuscade à Vaulx, attaqué au molotov par une trentaine de jeunes cagoulés, il conclut l’interview par ces mots : « On ne se rend pas compte.
En fait, ici, l’émeute est permanente. »
S’affronter à une police qui occupe l’intégralité du territoire, suppose de lui arracher préalablement une portion de
terrain. Les offensives contre les flics sont évidemment à mener
depuis quelque part : depuis un quartier dont on connaît tous
les recoins, mais aussi depuis une vie partagée, une bande, un
crew.
L’université, bien qu’elle soit un espace de contrôle – au même
titre que les couloirs du métro, les galeries marchandes ou les
rues du centre-ville – nous offre peut-être encore l’occasion
d’élaborer une forme de partage et d’organisation.
Tout étudiantE connaît ces moments laissés libres, ces espaces
laissés vacants entre deux créneaux : des instants de glande qui,
pensons-nous, peuvent être l’occasion d’élaborer des moments
de vie collective au sein, et contre, l’université.
Reste à propager ces moments, jusqu’à ce qu’ils submergent
la vie étudiante. Pour que l’espace-temps ainsi libéré permette
l’élaboration d’une politique offensive et efficace, contre l’État,
la police, sa puissance, et son omniprésence.
Il n’y a pas de sujet, ou de type, « émeutier de novembre ».
Et il se peut bien qu’il n’y ait plus de sujet « étudiant ». Tous,
lorsqu’ils se donnent les moyens de mener l’affrontement, participent d’une même guerre. Une guerre qui traverse l’ensemble
de notre existence. Une guerre menée chaque jour contre nous,
et avec nous ; au travail, à la fac, aux assedics ; face aux flics, aux
contrôleurs, aux managers ; dans les espaces quadrillés et pacifiés de la métropole ; dans les banlieues et dans les centre-villes.
Ici, la pacification ne se mène pas à coup de blindés, comme à
Beit Hanoun ou Oaxaca. C’est que le sang fait tâche au pays du
savoir-vivre. La guerre y est sourde et diffuse ; comme un bruit
de fond, qui ne doit pas venir perturber l’illusion du « tout va
bien ». Et malgré tout, l’emballage se craquelle, à chaque émeute, à chaque saillie du ministre de l’intérieur, pour laisser apparaître la réalité de l’affrontement en cours.
C’est dans le cadre de cette pacification à bas bruit que se pose la
question de l’organisation matérielle sur l’université. « Être fidèle
au mouvement anti-cpe » implique de se demander : comment
les communautés de lutte forgées durant le printemps peuvent
perdurer aujourd’hui.
« Soutenir les émeutiers de novembre ». Ce mot d’ordre peut
être un slogan vide de sens – soutenir qui ? soutenir comment ?
– ressassé pendant les manifestations ; ou bien l’occasion de
prendre au sérieux l’attaque à mener contre la métropole. Aux
différents incendies qui se déclarent quasi quotidiennement à
travers la France nous ne pouvons plus répondre par des mots et
des postures : rejoindre la guerre en cours, c’est aussi se donner
des moyens, concrets, de participer aux perturbations du système. Par l’émeute et l’incendie, ou sous des formes qu’il nous
reste à imaginer.
Dès lors « soutenir », implique d’« attaquer à son tour ». Attaquer
le mode de vie universitaire, sans pour autant se cantonner à
l’espace du campus. Les solidarités qui s’y créent doivent être
l’occasion de poursuivre, hors de la fac, l’offensive qui y est
engagée.
N’importe qui, novembre 2006.
. Son dernier coup de force étant de faire sortir de prison un tueur de
cambrioleur. Tout faire pour réveiller les désirs micro-fascistes au sein
de la population. Désormais derrière chaque citoyen peut se cacher un
flic en puissance, qui n’hésitera pas à vous abattre.