Histoire - memoria.dz
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Lettre de l'Editeur Pour une vive mémoire AMMAR KHELIFA [email protected] es nations se hissent par le savoir et se maintiennent par la mémoire. C’est cet ensemble d’événements qui se créent successivement aujourd’hui pour qu’un jour on ait à le nommer : Histoire. Sans cette mémoire, imbue de pédagogie et de ressourcement, l’espèce humaine serait tel un atome libre dans le tourbillon temporel et cosmique. L’homme a eu de tout temps ce pertinent besoin de vouloir s’amarrer à des référentiels et de se coller sans équivoque à son histoire. Se confondre à un passé, à une ancestralité. Cette pertinence va se confiner dans une résistance dépassionnée et continue contre l’amnésie et les affres de l’oubli. Se contenir dans un souvenir, c’est renaître un peu. L’intérioriser, c’est le revivre ; d’où cette ardeur permanente de redécouvrir, des instants durant, ses gloires et ses notoriétés. En tant que mouvement dynamique qui ne s’arrête pas à un fait, l’Histoire se perpétue bien au-delà. Elle est également un espace pour s’affirmer et un fondement essentiel dans les domaines de prééminence et de luttes. Transmettant le plus souvent une charge identitaire, elle est aussi et souvent la proie pitoyable à une éventualité faussaire ou à un oubli prédateur. Seule la mémoire collective, comme un fait vital et impératif, peut soutenir la vivacité des lueurs d’antan et se projeter dans un avenir stimulant et inspirateur. Elle doit assurer chez nous le maintien et la perpétuation des liens avec les valeurs nationales et le legs éternel de la glorieuse révolution de Novembre. Il est grand temps, cinquante ans après le recouvrement de l’indépendance nationale, de percevoir les fruits de l’interaction et de la complémentarité entre les générations. Dans ce contexte particulier et délicat, les moudjahidate et moudjahidine se doivent davantage de réaffirmer leur mobilisation et leur engagement dans le soutien du processus national tendant à éterniser et à sacraliser l’esprit chevaleresque de Novembre. Ceci n’est qu’un noble devoir envers les générations montantes, qui, en toute légitimité, se doivent aussi de le réclamer. A chaque disparition d’un acteur, l’on assiste à un effacement d’un pan de notre histoire. A chaque enterrement, l’on y ensevelit avec une source testimoniale. Le salut de la postérité passe donc par la nécessité impérieuse d’immortaliser le témoignage, le récit et le vécu. Une telle déposition de conscience serait, outre une initiative volontaire de conviction, un hommage à la mémoire de ceux et de celles qui ont eu à acter le fait ou l’événement. Le témoignage devrait être mobilisé par une approche productive d’enseignement et de fierté. Raviver la mémoire, la conserver n’est qu’une détermination citoyenne et nationaliste. Toute structure dépouillée d’histoire est une structure sans soubassement et toute Nation dépourvue de conscience historique est une nation dépourvue de potentiel de créativité et d’intégration dans le processus de développement. C’est dans cette optique de rendre accessibles l’information historique, son extraction et sa mise en valeur que l'idée de la création de cette nouvelle tribune au titre si approprié : Memoria, a germé. Instrument supplémentaire dédié au renforcement des capacités de collecte et d’études historiques, je l’exhorte, en termes de mémoire objective, à plus de recherche, d’authenticité et de constance. [email protected] LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE (3) www.memoria.dz Supplément N°41 - Novembre - 2015 P.07 P.07 P.12 P.20 Fondateur Président du Groupe AMMAR KHELIFA Direction de la rédaction Zoubir KHELAIFIA Coordinatrices Meriem Khelifa Chahrazed KHELIFA Les six historiques les 22 historiques Reporter - Photographe Abdessamed KHELIFA Rédaction Adel Fathi Aïssa Kasmi Boualem Touarigt Dr Boudjemaâ HAICHOUR Leila BOUKLI Hassina AMROUNI Zoubir Khélaifia Direction Artistique Halim BOUZID Salim KASMI Impression SARL imprimerie Ed Diwan Contacts : SARL COMESTA MEDIA N° 181 Bois des Cars 3 Dely-Ibrahim - Alger - Algérie Tél. : 00 213 (0) 661 929 726 + 213 (21) 360 915 Fax : + 213 (21) 360 899 E-mail : [email protected] [email protected] le 1er novembre 1954 P.09 P.07 Histoire 1er Novembre 1954 Le message perpétué P.11 Histoire Aux origines du 1er Novembre 1954 le 8 mai 1945 P.15 Histoire la désillusin politique ahmed benbella P.09 P.19 Histoire la décantation P.23 Histoire la nuit du destin P.28 Histoire les étapes du déclenchement P.35 Histoire les actions du 1er novembre 1954 P.43 Histoire Réflexions d’un moudjahid sur la commémoration du 1er Novembre hocine ait ahmed P.09 P.49 Histoire 61e Anniversaire de la révolution - FILIATION GéNéALOGIQUE DU FLN HISTORIQUE - UNE RéVOLUTION ARMéE SEUL RECOURS ESPèRè mohamed Khider www.memoria.dz Supplément du magazine ELDJAZAIR.COM Consacré à l’histoire de l'Algérie P.67 P.89 P.71 Edité par : Le Groupe de Presse et de Communication Maxime-Charles Keller de Schleitheim claudine chaulet Y ves mathieu mohamed boudiaf les guillotinés de oulmene P.85 guerre de libération P.63 Histoire Les chouhada Fizi Med Lakhdar, Fizi Salah, Fizi Mohamed Ben Ali et Benchikha Mostefa les guillotinés de oulmene P.67 Histoire Guerre de Libération Nationale Yves Mathieu, militant méconnu P.85 Histoire Abdelkrim Hassani Authentique soldat de l’ombre P.89 Histoire Claudine Chaulet n’est plus Octobre funeste pour les Chaulet abdelkrim hassani P.75 HISTOIRE D'UNE VILLE P.95 Ain témouchent, la perle de l'oranie Karine Keller de Schleitheim SOMMAIRE P.63 P.29 Dépôt légal : 235-2008 ISSN : 1112-8860 Dans notre prochaine édition, vous lirez un témoignage exclusif sur les transmissions de l'ALN de Zine El Abidine BOUABDALLAH, membre de la DVCR du MALG. Ain Témouchent 1er Novembre 1954 Le message perpétué Par Adel Fethi Guerre de libération Histoire Plus que toute autre commémoration, celle du déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954 revêt toujours un caractère exceptionnel dans la vie de la nation, avec ce regain d’intérêt accru, chez les nouvelles générations, pour l’histoire de la guerre de Libération, et toutes les curiosités qu’elle ne finit pas de susciter : découvrir de nouvelles facettes des hommes qui ont été à l’origine du passage à l’action armée, dénicher dans la mémoire des survivants des faits, des batailles, des situations inédites, replacer ce moment charnière dans le contexte historique, intense et complexe, qui a forgé le mouvement national algérien et son interconnexion avec les mouvements d’indépendance dans le monde… I l y a soixante et un an, un groupe de jeunes militants nationalistes décide de transcender toutes les rivalités politiques qui rongeaient alors le principal parti nationaliste (le PPA/MTLD) et d’annoncer le déclenchement de l’insurrection armée. Aux origines du 1er novembre 1954 : le 8 mais 1945. Le mouvement national a commencé à se radicaliser réellement et, par-là, à se réorganiser, au lendemain des terribles massacres perpétrés par les forces coloniales sur les populations civiles dans l’Est algérien. La répression qui s’abat sur les militants (arrestations, condamnations…) ne fera que les galvaniser et précipiter la création d’une branche paramilitaire, l’Organisation spéciale (OS), constituée par les militants les plus aguerris et les plus déterminés. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . (8) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Huit des neuf chefs historiques du FLN initiateurs du déclenchement du 1er novembre 1954 Avril 1954, six cadres de l’organisation (Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi, Mostefa Ben Boulaïd, Rabah Bitat, Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche) fondent le Comité révolutionnaire d’unité et d’action (CRUA), duquel découlera, le 10 octobre 1954, le Front de libération nationale (FLN). Les événements vont alors s’accélérer à une vitesse vertigineuse qui a pris beaucoup de monde de cours, à commencer par le grand leader du mouvement national lui-même. Vingt jours plus tard, le FLN proclame le déclenchement de la lutte armée. Les six dirigeants prendront le soin de lancer un appel le jourmême, destiné à la population et à l’opinion publique en général, pour LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE expliquer les motifs du soulèvement et les buts de la révolution qui allait changer le cours de l’histoire, et exhorter les Algériens à y adhérer en masse. Les récits d’anciens moudjahidine foisonnent de témoignages et de détails sur cet intermède douloureux qui donna lieu au 1er Novembre 1954. L’épisode des tiraillements entre les militants dits radicaux et le leader du parti, Messali Hadj, et la longue période de tergiversations qui s’en est suivie, ont été pendant longtemps occultés par l’historiographie, alors que l’idée de la révolution s’était fermentée et cristallisée dans ces débats et ruptures déchirantes que d’aucuns voyaient, alors, comme fatale au nationalisme algé- (9) Messali Hadj www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Manifestation des militants de l'Etoile de Nord Africaine de Messali Hadj rien. C’est donc, dans ces moments d’incertitude et d’abattement pour tant d’anciens militants et certains pionniers, que la décantation eut lieu. De la désillusion électorale de 1947 aux déboires de l’OS en 1950, à la crise du MTLD, le mouvement national évoluait dans un climat particulièrement hostile avant de se ressaisir et d’opter pour la voie de salut, celle de l’insurrection armée. Il faut dire que jusqu’à la veille de cette date fatidique du 1er novembre 1954, la confusion régnait encore dans les rangs du mouvement natio- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . nal qui constituait le socle sur lequel devait s’appuyer la lutte annoncée. Une large partie de la population, et même des militants engagés, était encore sous l’emprise des « messalistes », quand le mot d’ordre de l’insurrection armé fut lancé. Il y a aussi le fait que les fondateurs du CRUA, puis du FLN, n’avaient pas eu le temps de structurer les militants et de se faire connaitre auprès de la population qui n’assimilait pas forcément tous les enjeux. Manque d’information et de coordination, impréparation dans certaines ré- ( 10 ) gions, y compris parfois celles qui sont considérées comme pionnière de la lutte… En dépit de toutes les insuffisances et des divisions politiques et claniques, la décision fut adoptée par un noyau assez déterminé pour la maintenir et se préparer à en affronter les contrecoups prévisibles : la répression coloniale – qui n’avait en réalité jamais cessé –, la propagande politique venant de certaines factions nationalistes hostiles à la révolution armée, et qui s’empressèrent d’ailleurs de qualifier les hommes du 1er Novembres d’«aventuriers». Il fallait aussi penser à donner à l’insurrection une organisation moderne et efficace et surtout à gagner l’adhésion totale et indéfectible du peuple. D’où l’impératif d’une profonde action politique assumée sur le terrain par les combattants eux-mêmes. Cette organisation a mis deux ans pour s’établir. La timidité des actions de sabotage et d’attentats menées durant les premiers mois par les petits groupes combattants, mal équipés et parfois mal encadrés, a fait que les autorités coloniales et le gouvernement français de l’époque n’ont pas donné cher de la peau de ces nationalistes présentés tantôt comme des « égarés », tantôt comme des « bandits de grands chemins »… C’est là où résident justement le génie et le caractère exceptionnel de ces hommes, qui n’ont cédé devant aucune contrariété, et Dieu sait qu’ils en avaient eu sans cesse pendant les sept ans et demi de guerre. C’est le principal message que nous livre et perpétue cet anniversaire chaque année. Adel Fathi Supplément N° 41- Novembre 2015. Aux origines du 1er Novembre 1954 Rassemblement des tribus, le 22 mai 1945 à Kherrata. En présence du général Henri Martin (à dr.) le 8 mai 1945 Par Adel Fethi Guerre de libération Histoire La première grande décantation vécue par le mouvement national s’est produite lors des grandes manifestations du 8 mai 1945, où les forces coloniales se sont acharnées contre les populations civiles dans toutes les villes où elles ont exprimé leur soif de liberté et d’émancipation. Décantation dans le sens où ce mouvement allait se radicaliser davantage et s’organiser dans la perspective des luttes à venir. Et ce n’est sans doute pas un hasard si l’Organisation spéciale (OS), l’organe paramilitaire du PPA, fut créée moins de deux ans plus tard. Cette organisation avait comme objectif de recruter et de former des militants pour des actions de guérilla. Du coup, les émeutes de Sétif, Guelma et Kherrata consacrèrent en fait la rupture définitive entre les Algériens et les colons et évacua toute possibilité de cohabitation. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 12 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération C e jour-là, dans les rues de Paris et dans toute la France, la nation chante la capitulation de l’Allemagne nazie. Au même instant, de l’autre côté de la Méditerranée, des milliers d’Algériens qui ont participé à cette victoire se rassemblent dans les rues de Sétif, de Guelma, de Bida et d’autres villes, afin de revendiquer le droit à l’indépendance de leur pays. Des manifestations qui tournent mal et qui se soldent par une sanglante tragédie, à laquelle participent l’armée française, la Légion étrangère et des milices de colons, plus zélés encore. La répression aura fait des milliers de mort – 45 000 selon les statistiques officielles – et mis fin à toute possibilité d’assimilation, telle que chantée par les laudateurs du colonialisme et certaines voix modérées, y compris au sein du mouvement national, comme Ferhat Abbas ou les Oulémas qui, depuis cette date, avaient cessé de faire l’apologie de l’intégration qui caractérisait leur discours. Au sein du parti indépendantiste, le PPA, la tendance était plutôt à la mobilisation et à l’élargissement de leur champ d’action. Il faut dire que la désillusion avait commencé bien avant 1945. Se fiant aux discours officiels, certains musulmans d’Algériens espéraient que sera mis en application le droit des peuples à disposer d'eux-mêmes. Parmi eux, Messali Hadj, chef du PPA, interdit depuis 1939. Messali Hadj ayant été jeté en prison, des milliers de ses partisans défilent le 1er mai 1945 à Alger et dans d’autres villes pour demander sa libération. La répression, avec son LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Histoire Massacres généralisés de la population algérienne ( 13 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Association des Oulémas lot d’assassinats et d’arrestations, était déjà au rendez-vous. Une semaine plus tard, lors des grandioses manifestations organisées à Sétif, les Algériens criaient, entre autres slogans : «Istiqlal, libérez Messali !», «Indépendance», «L’Algérie est à nous !» Cela prouve que les militants nationalistes étaient au cœur de l’événement, et que leur démarche participait d’une lutte politique, pacifique jusquelà, qui avait commencé à prendre forme dès la naissance de l’Etoile nord-africaine, en 1926. Les militants du PPA avaient reçu la consigne de ne pas porter d'armes, ni d'arborer le drapeau algérien, lors des manifestations, histoire de ne pas s’exposer aux forces de l’ordre et d’éviter parlà leur acharnement. La suite, on la connait tous : un scout musulman, à Sétif, n'en tient pas compte et brandit le drapeau au cœur des quartiers européens. La police se précipite. Le maire socialiste de la ville, un Européen, la supplie de Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ne pas tirer. Il est abattu de même que le scout. L'insurrection s'étend à des villes voisines, avec la même intensité et le même lot de victimes et d’arrestations. La répression fut à la mesure de la détermination des manifestants, guidés et stimulés par des militants engagés et bien instruits. Sans chercher à anticiper vraiment les événements, les militants nationalistes ne voulaient pas pour autant rater ce tournant décisif dans l’histoire de la lutte des Algériens contre le colonialisme, pour ressouder les rangs et fonder une nouvelle union des partis nationalistes sur une base commune et stimuler davantage la poussée nationaliste naissante. Il faut dire que la première expérience d’union avait eu lieu deux ans avant ces événements. Le 10 février 1943, en pleine Seconde Guerre mondiale, Ferhat Abbas propose le Manifeste du peuple algérien, approuvé par le PPA et les Oulémas, mettant clairement ( 14 ) en avant l’indépendantisme du PPA : une république algérienne disposant de sa nationalité et sa citoyenneté propres. Après le rejet, tout à fait prévisible, du Manifeste par le gouvernement et de la classe politique française dans son ensemble, les nationalistes algériens fondent, en 1944, les Amis du manifeste et de la liberté (AML), pour défendre son programme et lancer une campagne de sensibilisation auprès des populations. Le PPA fut, naturellement, le fer de lance de cette campagne qui a eu, très rapidement, l’adhésion de centaines de milliers d’Algériens qui s’en revendiquaient pleinement. C’est à partir de là que le discours radical du PPA va se distinguer, et ses slogans connurent un franc succès surtout dans les milieux ruraux. Pour tenter de freiner cet élan libérateur, les autorités coloniales décident, en avril 1945, c’est-àdire un mois avant les événements du 8 mai, d’arrêter le leader nationaliste, Messali Hadj et plusieurs cadres dirigeants du PPA. Les militants réagissent par des manifestations de protestation dans plusieurs villes du pays, notamment à Oran et à Alger, le 1er mai, à l’occasion de la célébration de la fête des travailleurs. Celles-ci sont réprimées dans le sang. Elles préludent au grand massacre du 8 mai. Pour les nationalistes, le recours à la violence politique était désormais la seule option possible face à un colonialisme incorrigible. Adel Fathi Supplément N° 41- Novembre 2015. l a désillusion politique Par Adel Fethi Guerre de libération Histoire Après les événements du 8 mai 1945, l’heure, pour les militants nationalistes, est au bilan et à la réflexion pour adapter la lutte pour la libération du pays aux nouvelles réalités qui s’imposaient. L’idée qui est venue, aussitôt, à Messali Hadj et à ses compagnons, c’était de tenter de participer aux législatives de 1946 en créant le Mouvement pour le triomphe des libertés démocratiques (MLTD), comme vitrine légale, pendant que le PPA devait poursuivre son activité clandestine, avec bientôt une branche paramilitaire, l'Organisation spéciale (OS), créée une année plus tard en vue de préparer la lutte armée. L e succès obtenu aux élections municipales de 1947 permettra aux militants du mouvement de participer à des assemblées élues et, du coup, mettra en veilleuse la stratégie de l'OS qui était de précipiter l’insurrection armée. Redoutant un razde-marée des nationalistes, les autorités coloniales mirent en place des plans de trucages des prochaines élections. Malgré cette première grande désillusion politique qui va bientôt mettre fin à la logique électoraliste adoptée dans la tactique du PPA/MTLD, le parti nationaliste a réussi à élargir sa base populaire et à s’allier de nombreuses organisations et associations à caractère social ou éducatif : scouts, associations d'étudiants, médersas, mouvements de femmes, etc. Tout en restant légaliste et respectueux des lois en vigueur, il se présente, clairement et ouvertement comme un parti qui revendique la souveraineté et la lutte pour l'indépendance d'un peuple colonisé. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 16 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Le 5 avril 1949, l’OS attaque la poste d’Oran A cela, il faudrait ajouter le double impact psychologique et politique qu’a eu cette expérience électorale chez les nationalistes algériens. Porter la voix de l’Algérie opprimée jusqu’au Parlement français, à Paris, était, pour eux, aussi bien un défi qu’une manière d’élargir l’audience du parti qui poursuivait son implantation et sa structuration à travers toutes les régions du pays, et même sur le territoire de la France «métropolitaine», où il existait une forte tradition de lutte, politique et syndicale, au sein de la communauté algérienne composée essentiellement d’ouvriers. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Au sortir de la Seconde Guerre mondiale, le gouvernement français tentait d’adopter un nouveau profil envers ses colonies, en concédant quelques droits. Dans cette optique, l’ouverture de la vie parlementaire aux «Indigènes» était perçue comme un moyen de canaliser les tensions politiques au sein des élites locales, en créant un semblant de débat pour mieux occulter la réalité de l’occupation. Une première dans l’histoire : les «musulmans d’Algérie» se voient accorder le droit d’envoyer des représentants au Palais-Bourbon, mais toujours dans le même cadre du système ségrégationniste qui sévit depuis l’établissement du Code de l’indigénat. Car, en effet, en cette année 1946, le double collège est ( 17 ) supprimé dans la majorité des territoires d’Afrique noire, alors qu’en Algérie, ce même corps électoral est durablement divisé en deux. Les uns votent dans le premier collège, ils sont pour la majorité des citoyens d’origine française (mais aussi européenne) et les autres votent dans le second collège, ce sont les citoyens d’origine musulmane. Pour ces élections de 1946, le PPA/MTLD présentera une liste dans chacun des départements, et avec un certain succès puisqu’ils verront l’élection d’un certain nombre de dirigeants politiques connus, qui vont plus tard jouer des rôles prépondérants aussi bien dans le mouvement national que dans la guerre de Libération nationale. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire On peut citer par exemple Ahmed Mezghena et Mohamed Khider, à Alger ou Mohamed-Lamine Debaghine à Constantine. Le MTLD profitera de la campagne électorale pour s’adresser directement à la population et la transformer en véritable campagne de sensibilisation. Son programme est axé sur une seule préoccupation : la réhabilitation du politique, autrement dit les revendications relatives au statut de l’Algérie et des Algériens, aux libertés démocratiques et à la représentation politique en général. Le parti n’est donc jamais sorti de sa ligne de conduite ; au contraire sa participation aux joutes électorales lui a permis de raffermir sa position vis-à-vis du colonialisme. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Cependant, au bout de trois années d’existence légale et de plaidoiries sur la tribune du Parlement, les militants nationalistes se sont aperçus que leur légalisme avait atteint ses limites devant un pouvoir colonial qui a placé des garde-fous dans tous ses arsenaux juridique, législatif et institutionnel. D’autant plus que le mouvement national était, à cette époque, en crise. En 1950, la crise au PPA était à paroxysme, à cause de l’exacerbation des rivalités entre les différents groupes qui le composaient et le leader, jusquelà incontesté et incontestable. Au même moment, l’OS venait d’être démantelée, la plupart de ses dirigeants arrêtés. L’occasion pour les partisans de l’option révolution- ( 18 ) naire, y compris ceux qui étaient incarcérés, de radicaliser davantage leur action. Mais la tâche s’avérait aussi difficile que périlleuse dans une conjoncture marquée par des divisions profondes à tous les niveaux, organique, politique et même idéologique (crise dite «berbériste» de 1949). Tous les activistes se sont alors résignés au retour à la clandestinité et à l’action militante, en attendant la décantation politique qui ne tardera pas à se produire, tout en œuvrant à la maturation de l’idée de l’insurrection dans les milieux paysans et ouvriers qui seront finalement le fer de lance de la Révolution. Adel Fathi Supplément N° 41- Novembre 2015. la décantation Par Adel Fethi Guerre de libération Histoire A partir de 1950, la crise au PPA était à son apogée. Les membres l’Organisation spéciale (OS) étaient déterminés à intensifier leur action, après son démantèlement et la vague d’arrestations qui s’en est suivie. Tous ont été contraints de renouer avec la clandestinité, après un bref passage dans la vie politique légale, où certains ont même été élus députés. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . E n avril 1950, ce petit noyau de militants radicaux (Ben Bella, Aït Ahmed, Khider…) organisa le célèbre hold-up de la poste d'Oran qui a renfloué les caisses de l’organisation, avec un ( 20 ) butin de 3,17 millions de francs. Cet épisode a sonné la rupture définitive avec toutes les approches politiques antérieures, qui avaient été expérimentées par la direction du mouvement national, sans résultat probant. Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Alors que le travail de structuration et de mobilisation, notamment dans les campagnes, avait atteint un stade très avancé, à mesure que les fractures à l’intérieur du parti s’accentuaient, les autorités coloniales ont réussi à démanteler l’Organisation spéciale, en démolissant ses structures fraichement installées et en arrêtant ses principaux dirigeants et des centaines des militants à travers le pays. Plusieurs membres dirigeants ont été jugés et condamnés par contumace pour leur implication LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 21 ) dans différents attentats. L’une de ses têtes pensantes, Ahmed Ben Bella fut arrêté en mai 1950. La découverte de l'OS par l’ennemi a fortement déstabilisé la direction du parti, qui, pour se préserver, décida rapidement de dissoudre sa branche paramilitaire et de ne plus se réclamer d’éventuelles actions armées ou violentes. Ce qui amena, sur le coup, les partisans de l’option révolutionnaire, ou «les activistes» comme on les appelait au sein du parti, à montrer un profil bas et à se mettre, conjoncturellement, à l’écart des divisions latentes qui couvaient au sein du PPA/MTLD, entre les deux clans antagonistes, centralistes et messalistes. La décantation va s’accélérer, lorsque le parti décide de tenir son deuxième congrès en 1953. Les partisans et les opposants d'un Congrès national s'affrontent, ce qui provoque une scission au sein du MTLD à l’été 1954. Le conflit fera ressortir trois courants politiquement et idéologiquement antagoniques : d’abord, les partisans du «zaïm», Messali Hadj, constituent le courant des «messalistes», imprégnés de l’esprit ouvriériste, hérité de l’Etoile nord-africaine, et aussi des idées de la Renaissance islamique cher à Chakib Arslane, qui avait inspiré Messali dans les années trente. Le deuxième bloc forme les « centralistes » qui représentent la majorité des membres du Comité central du parti qui, eux, ont une vision moins ouvriériste et en tout cas moins idéologisée. Enfin, la troisième tendance ouvertement radicale, les « activistes », regroupent les partisans de l’action armée. Ces membres vont plus tard www.memoria.dz Guerre de libération Histoire La maison de Lyes Derrich où s'est tenue la réunion des 22 se retrouver au sein du groupe des « 22 », puis au sien du «Comité des neuf» qui sont à l'origine du déclenchement de la guerre de Libération nationale, le 1er novembre 1954. Qui est, objectivement, responsable de l’éclatement de la crise du parti ? Si les lectures sur cet épisode tumultueux de l’histoire du mouvement national divergent, les historiens et, surtout les témoins de ces événements, s’accordent à dire que les centralistes assument une importante part de responsabilité. Qu’on en juge ! Au congrès d’avril 1953, les membres du Comité central, à qui Messali avaient donné les pleins pouvoirs, étant lui-même en résidence surveillée, interdisent carrément aux militants de l’OS d’y prendre part. Seul Ramdane Ben Abdelmalek, l’adjoint de Larbi Ben M’hidi, est autorisé à suivre les travaux à titre d’observateur. Néanmoins, cette marginalisation par la direction du parti va, para- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . doxalement, profiter aux activistes, en ce sens que ceux-là pouvaient désormais se consacrer pleinement à mettre en place leur plan, sans éveiller les soupçons de la police coloniale qui voulait, à tout prix, repérer les meneurs lors des assises du parti. En plus de cet antécédent qui provoqua un schisme irrémédiable avec les jeunes militants dit « activistes », les centralistes sont accusés de mauvaise gestion et notamment de dilapidation des caisses du parti. Aussi, il leur est reproché de s’être facilement laissé influencer par Jacques Chevalier, député-maire d’Alger, qui les a encouragés à écarter Messali Hadj, et d’évacuer ainsi toute option révolutionnaire que le leader du mouvement national avait, tactiquement, commencé à brandir face à l’occupant. Des discussions secrètes ont eu lieu à l’hôtel Aletti (actuellement Es-Safir), à Alger, à laquelle étaient présents Benyoucef ( 22 ) Benkhedda et des membres influents du Comité central. Le plan a été cependant dévoilé et mis en échec grâce à la vigilance des « messalistes ». En l’absence d’arbitrage dans ce conflit, un groupe de membres du Comité central, se nommant « neutralistes », prit l’initiative de lancer un « appel à la raison». Parmi les neutralistes, on trouvera Benhabilès, Mahsas, Boulahrouf et Belkacem Radjef. Mais la scission entre « centralistes » et « messalistes » s’avérait irrémédiable. A la fin, les «centralistes», tout comme les «neutralistes» rejoignirent le Front de Libération nationale peu après le déclenchement de l’insurrection armée. Durant ce laps de temps, les activistes accéléraient la cadence, en multipliant les réunions. D’abord avec le groupe des « 22 », constitué d’anciens membres actifs de l’OS et de la plupart des dirigeants de la Révolution, réunis dans la deuxième quinzaine de juin 1954. Ce groupe désigna ensuite un comité de cinq responsables (Benboulaïd, Ben M’hidi, Didouche, Bitat et Boudiaf), renforcé un peu plus tard par Krim Belkacem, pour former ce qui est communément le Comité des six chefs historiques. Le comité effectue un découpage territorial et désigne des chefs de zone, avec des adjoints. Le 23 mars, le Comité révolutionnaire de l’unité et d’action (CRUA) est créé, qui lui-même devient Front de libération nationale, le 10 octobre. Adel Fathi Supplément N° 41- Novembre 2015. 1er Novembre 1954 la nuit du destin Par Adel Fethi Guerre de libération Histoire En choisissant la date du 1er novembre, qui coïncidait avec la fête de la Toussaint chez les Français, pour déclencher l’insurrection armée, les dirigeants du FLN – ou le «Comité des neuf» – entamaient déjà la guerre psychologique contre l’ennemi. Mais, pour le reste, il n’y avait aucune instruction obligeant les combattants à mener leurs premières actions à une heure précise. Ce qui explique que beaucoup de régions n’ont pas connu d’attentats conséquents dès le premier jour. L’essentiel pour les moudjahidine était de donner le coup d’envoi à la lutte et d’adresser à la même occasion un appel au peuple algérien pour l’inciter à y adhérer en masse. S i on exceptait les Aurès, toutes les autres régions ont quelque peu trainé la patte avant de se lancer pleinement dans l’action armée, pour diverses raisons, qui tiennent souvent de la logistique ou d’un manque d’encadrement. Mostefa Benboulaïd fut sans doute le seul chef de la Révolution à pouvoir aligner, dès le premier jour, près de 400 combattants, sans compter les «bandits d’honneurs» comme Grine Belgacem qui l’ont suivi dans sa zone. C’est pourquoi, le retentissement de l’insurrection y était plus marquant. Et c’est grâce à un armement de qualité, estimé à une bonne centaine de fusils italiens Statti datant de la Seconde Guerre mondiale, que les moudjahidine de la future Wilaya I ont pu donner des frayeurs à l’armée coloniale et la déstabiliser pendant au moins deux ans, avant la grande discorde qui va considérablement affaiblir ce premier fief de la Révolution. Avec une série d’attentats et d’actions de sabotage d’envergure à travers toute la région (de Khenchela à Biskra, en passant par le mont Chelia), les Aurès montrait la voie aux autres zones. Grine Belkacem Rabah Bitat Amar Ouamrane Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 24 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire 1 3 4 2 Photo rare prise en 1954 : 1- Abbas Laghrour. 2- Mostefa Ben Boulaid. 3- Sidi Henni. 4- Mamoun Khaldi Pourtant, historiquement, les premiers groupes constitués pour enclencher le processus était ceux de l’Algérois. C’est, en effet, dans la Mitidja que, sans doute, les premières actions ont eu lieu. Dans la nuit du 31 octobre au 1er novembre, deux groupes composés de quelques dizaines d’hommes s’apprêtaient à attaquer deux casernes de l’armée françaises à Boufarik et à Blida. Dans cette dernière ville, le groupe était sous la conduite de Rabah Bitat lui-même, chef de la IV. Il est à la tête LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE d’une petite vingtaine d’hommes, venus essentiellement de Kabylie après la défection tardive de la plupart des militants locaux qui s’étaient engagés au départ pour mener des actions. Nonobstant ces désagréments, aggravés par le manque d’armes – selon des témoignages, ils ne disposaient ce jour-là en tout et pour tout que de deux armes à feu – les combattants ont pu s’introduire dans la dite caserne et réussi à récupérer un important lot d’armes, avant de se replier rapidement. ( 25 ) A Boufarik, le second groupe conduit par Amar Ouamrane, ancien adjoint de Krim Belkacem et chef opérationnel de la zone IV, souffrait des mêmes lacunes. Il avait comme mission principale, lui aussi, de récupérer des armes, avec la complicité d’un soldat algérien de faction, qui n’est autre que le frère de Lakhdar Bentobbal. L’Histoire retiendra que c’est le groupe de Boufarik, avec un Souidani Boudjemaa pour seconder Ouamrane, qui lancera la première action militaire digne de ce nom dans www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Krim et Bentobal au maquis la guerre qui commence. Il s’agit des premières actions spectaculaires : des bombes artisanales posées sur la route Blida-Boufarik et sur la voie ferrée Alger-Oran. Cela s’est passé exactement à 23h 45. C’est-à-dire un quart d’heure avant l’heure « H ». Ce qui a fait dire à certains historiens que la guerre de Libération nationale a commencé, non pas le 1er novembre, mais le 31 octobre. Dans l’Algérois, pourtant, il y eut plusieurs opérations déclenchées dans l’intérieur de la région et qui ont eu un certain succès. On peut citer, à titre d’exemple, l’incendie d’une coopérative d’agrumes et d’une usine de transformation de l’alfa dans les environs de Blida. D’autres actions ont connu moins de succès, comme les attaques prévues contre l’usine à gaz de l’EGA (Electricité et gaz Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . d’Algérie), un dépôt d’hydrocarbures sur le port et l’immeuble de la radio, qui ont été bien attaquées, mais n’ont subi que des dommages très légers, en raison sans doute de l’impréparation et, encore une fois, d’un manque d’encadrement et d’armement. En Oranie, la situation était encore plus complexe. Le premier responsable, Larbi Ben M’Hidi, secondé par Abdelhafid Boussouf et Ramdane Abdelmalek, tous originaires de l’Est du pays, ne disposaient, pour toute la région, que d’une soixantaine de combattants et d’une dizaine d’armes de guerre. Dans ces conditions, il leur était quasiment impossible d’envisager des attaques d’envergure, comme ce fut le cas dans les Aurès ou dans l’Algérois. Mais, des attaques ont été tout de même menées, ne serait-ce que ( 26 ) pour marquer symboliquement l’événement. Ainsi, quelques fermes, un transformateur, une gendarmerie et une mairie furent notamment ciblés par les moudjahidines de la première heure, même si les dégâts déplorés par l’ennemi étaient minimes. Pour les mêmes raisons invoquées plus haut, la région du NordConstantinois (zone II) n’a pas connu d’actions plus retentissantes en cette nuit du 1er novembre. Didouche Mourad et ses compagnons durent alors se contenter de lancer quelques attaques sans envergure dans les campagnes, en épargnant ce jour-là le chef-lieu de la zone. En somme, le bilan de nuit du 1er novembre apparaît assez maigre, voire décevant pour certains dirigeants qui ambitionnaient de déstabiliser dès le premier jour l’état-major de l’armée ennemie. Les historiens les plus objectifs ont recensé une centaine d’attentats (de faible ou moyenne envergure) en une trentaine de lieux. S’agissant des pertes dans les rangs de l’ennemi, le bilan fait état de seulement dix morts. Mais c’est surtout les très faibles quantités d’armes récupérées qui ont le plus déçu les moudjahidines, parce que c’était pour eux, à ce moment-là, une priorité absolue. Cela dit, pour eux, le vrai succès c’est d’avoir proclamé la lutte armée, d’avoir «allumé la mèche» selon l’expression de Didouche Mourad, en attaquant simultanément des cibles coloniales sur un front qui s’étend à 1 500 kilomètres, avec si peu de moyens et un nombre de combattants si limité. Un défi qui est loin d’être mince. Adel Fathi Supplément N° 41- Novembre 2015. 1er Novembre 1954 Les étapes du déclenchement Par Boualem Touarigt Guerre de libération Histoire Après les répressions de mai 1945, le mouvement de libération se radicalise. Le parti qui a porté la revendication de l’indépendance et qui avait un profond ancrage populaire, le MTLD qui a succédé respectivement au PPA et à l’Etoile Nord-Africaine voit naître en son sein un courant radical qui regroupe les militants les plus décidés à la lutte armée contre le système colonial. Le congrès du MTLD de 1947 marque le point de départ vers le recours à la lutte armée. On décide de mettre sur pied une organisation paramilitaire secrète chargée de sa préparation. D e 1947 à 1954, le chemin vers la lutte armée connaît des péripéties qui font reculer puis accélérer le déclenchement de la guerre de libération nationale. En 1950, l’Organisation Spéciale est découverte par la police coloniale et subit la répression. Ses membres entrent dans la clandestinité. Les premiers maquis se sont constitués en Kabylie dès 1947, dirigés par Belkacem Krim et Amar Ouamrane. Mostéfa Benboulaïd forme les premiers groupes dans les Aurès et constitue des caches d’armes. La crise du MTLD s’accélère et aboutit à une division entre les partisans de Messali qui reste fermé à toute évolution du fonctionnement du parti, et les « centralistes » partisans du comité central qui regroupe essentiellement des représentants des intellectuels et des couches moyennes qui ont adhéré en nombre au parti. Les deux tendances sont hésitantes face à la lutte armée et privilégient la lutte politique légale Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 28 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire avec la participation aux élections. Elles restent méfiantes vis-à-vis de l’aile radicale du parti qui est pour un recours rapide à la lutte armée. Les deux tendances ne veulent pas se couper des militants de base qui rejettent les voies légales de lutte. En avril 1953, le congrès du MTLD, qui écarte la plupart des anciens de l’OS, décide en même temps de relancer l’OS. Benboulaïd est chargé de cette mission. Il reste cependant sans soutien et sans moyens. Les centralistes et les radicaux se rapprochent. C’est la création du CRUA (Comité révolutionnaire pour l’unité et l’action), le 23 mars 1954, conçu comme une structure chargée d’unifier le parti en vue du déclenchement de la lutte armée. Il comprend deux radicaux partisans de la lutte armée Mostéfa Benboulaïd et Mohammed Boudiaf, et deux centralistes Mourad Bouchebouba et Bachir Dekhli. C’est une étape décisive dans la préparation du 1er novembre. Les centralistes du MTLD restent cependant hésitants et évitent de s’engager ouvertement pour la lutte armée. Devant cette situation, les radicaux vont décider de précipiter le déclenchement de la guerre de libération nationale, sans attendre de reconstituer l’unité du parti et malgré le faible niveau de préparation. Ils agissent à l’insu des centralistes qui ne sont pas mis dans le coup. Deux personnalités vont jouer un rôle décisif dans la préparation du déclenchement. Mostéfa Benboulaïd est membre du comité central à l’issue du congrès d’avril 1953. Il a été chargé de préparer la lutte LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE De g. à dr. : Krim Belkacem, Mohamedi Said, M’hamed Bougara, Sadek Dehiles, Zammoum et Amar Ouamrane armée. Il a organisé les premiers groupes armés qui tiennent les Aurès et s’est mis à constituer les premiers stocks d’armes acquises par ses propres deniers auprès des revendeurs, notamment en Libye et rapatriées clandestinement en Algérie. Il a une grande autorité sur ses troupes qu’il réussit à unifier malgré de nombreuses difficultés. Il tente de sauver l’unité du mouvement Mostefa Benboulaid Mohamed Boudiaf ( 29 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire national, mais ses efforts sont restés vains devant l’intransigeance de Messali qui refuse d’engager le parti dans la lutte armée. Ses tentatives de rapprochement avec les centralistes furent un échec, ceux-ci étant revenus sur leurs promesses d’aides. Mohamed Boudiaf a été responsable de l’OS pour la région du Constantinois. Après la dissolution, il est muté en France où il est chargé de l’organisation à la direction du MTLD. Il a Mourad Didouche comme adjoint. Il est resté en contact étroit avec les anciens cadres de l’OS qui sont passés à la clandestinité : Ben M’hidi, Boussouf, Abdelmalek Ramdane. Il est en relation avec la Délégation extérieure qui représente le MTLD Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . au Caire : Mohamed Khider, Hocine Aït Ahmed, Ahmed Ben Bella. En mars 1954, il est en contact avec les militants du MTLD en France, notamment les étudiants. L’idée d’une troisième force, tournée vers l’action immédiate, commence à prendre forme. Il reçoit l’appui d’Ahmed Mahsas, ancien de l’OS, condamné pour l’attaque de la poste d’Oran, évadé de la prison de Blida vivant clandestinement en France. Boudiaf rentre en Algérie et participe à la création du CRUA. Quelque temps après, il rend visite à la Délégation extérieure du Caire où Ben Bella, ancien chef de l’OS, lui donne les adresses des caches d’armes constituées avant le démantèlement de l’organisation. Mourad ( 30 ) Didouche et Zoubir Bouadjadj récupèrent ainsi les armes que cachait Mustapha Zergaoui à la Casbah et les entreposent à Crescia dans la ferme de Kaddour Hedjin. En avril 1954, Ben Boulaïd entre en contact avec Belkacem Krim qu’il rencontre dans un café de la Casbah. Les deux révolutionnaires tombent d’accord pour déclencher la lutte armée avant la fin de l’année. Mais les ponts ne sont pas définitivement coupés ni avec Messali ni avec les centralistes. Ben Boulaïd et Boudiaf rencontrent secrètement Hocine Lahouel à Genève qui les assure de son soutien et de son aide matérielle. Quelques jours plus tard, une réunion regroupe des représentants des radicaux dans le local de Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Mourad Boukechoura à la rue Mulhouse à Alger : Ben Boulaïd, Boudiaf, Didouche, Ben M’hidi, Bitat, Krim et Ouamrane. Les participants étaient convaincus de ne pouvoir compter que sur eux-mêmes et ils optent pour un déclenchement de la lutte armée à brève échéance, sans attendre de soutien ni de Messali ni des centralistes. Ils se mirent d’accord sur la division de l’Algérie en cinq régions dont la Kabylie. A la fin du mois de mai 1954, Krim et Ouamrane présentent à Boudiaf leurs sept chefs de régions qu’ils ont regroupés dans un hôtel de la rue du Chêne, l’hôtel Saint Martin : Moh Touil, Saïd Babouche, Ali Zamoum, Mohammed Zamoum, Mohamed Yazourène, LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Casbah : Café El-Arich où Benboulaïd rencontra Krim et Ouamrane pour la première fois ( 31 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Hocine Lahouel Ali Mellah, Gherbi Guemraoui. Le 3 juin 1954, les sept se retrouvent dans une maison de la rue Montpensier à Alger. Le découpage du territoire est confirmé ainsi que les noms des responsables. Chaque chef de zone a une liberté d’action totale dans la désignation de ses adjoints et dans la fixation des objectifs. C’était au cours de cette même réunion que Boudiaf aurait été chargé d’assurer la coordination du mouvement. Les mois de juin et juillet 1954 furent la période la plus difficile pour ce noyau de militants qui s’attelaient à préparer le déclenchement de la lutte armée. Lamine Debaghine qu’ils avaient sollicité pour prendre la tête du mouvement se montra réticent. Chargé d’une mission de consultation auprès de Moulay Merbah qui représente Messali à Alger, Belkacem Krim perd ses dernières illusions. Benboulaïd constate que Hocine Lahouel ne veut pas s’enga- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ger réellement pour la lutte armée. C’est la rupture. Les six radicaux qui avaient déjà constitué les premiers groupes de combattants décident de franchir une nouvelle étape en ne comptant pas sur des soutiens qui viendraient des messalistes ou des centralistes. Ils décident de réunir un groupe de militants sûrs et prêts à s’engager dans la lutte armée. C’est la « réunion des 22 ». En juillet 1954, Messali organise le congrès du MTLD qui se tient à Hornu en Belgique. Les centralistes sont empêchés d’y participer. Tous les adversaires de Messali sont exclus. Les centralistes répliquent en organisant leur propre congrès le 15 août 1954 au Nadi Errachad à Alger. Messali et ses fidèles en sont exclus. La scission est consommée. Les radicaux, quant à eux, accélèrent la préparation du déclenchement et rejoignent leurs régions respectives. Le mouvement connaît alors ses premières défections. A Constantine et à Blida, des militants, travaillés par la propagande des centralistes, reculent au vu de la faiblesse des moyens dont ils disposent. Par contre, en Kabylie et dans les Aurès, l’organisation a bien avancé. Benboulaïd pouvait compter sur quatre cents hommes décidés et armés pour déclencher la guerre de libération. La situation est la même en Kabylie. Les groupes sont constitués et les objectifs fixés. Dans la capitale aussi les préparatifs sont bien avancés. A l’ouest, Ben M’hidi et son adjoint Boussouf éprouvent de grandes difficultés pour acquérir des armes. ( 32 ) Le 10 octobre 1954, Zoubir Bouadjadj, véritable régisseur de la Révolution, récupère les chefs de région à qui il a donné rendez-vous au café El Kamal à Bab-el-Oued. Ceux-ci se réunissent dans une maison à Climat-de-France. C’est là qu’ils auraient décidé la création d’un nouveau mouvement politique, le Front de libération nationale appuyé sur une branche armée, l’Armée de libération nationale. On se met d’accord sur le contenu d’une proclamation politique qui devrait être diffusée le jour du déclenchement de la guerre de libération. On fixe la date au 1er novembre à 0 heure. Mais on maintient le secret par précaution. Le 24 octobre 1954, se tient la dernière réunion des six chefs de la Révolution. Elle a lieu au domicile de Mourad Boukechoura à la Pointe Pescade. Les participants approuvent le projet de déclaration qui avait été élaboré par Boudiaf et Didouche ainsi qu’un tract de l’ALN. Boudiaf devait partir le lendemain pour le Caire afin de remettre le texte qui devait être lu à la radio à l’heure du déclenchement. C’est ce jour que fut prise la photo historique qui fut tirée par le photographe Tomas au 14 avenue de la Marne à Bab el Oued. Le mercredi 27 octobre, Mourad Didouche rejoint son PC à Condé Smendou. Les combattants d’Alger tiennent leur dernière réunion le 29 octobre au domicile de Abdelkader Guesmia à Bab El Oued. Boualem Touarigt Supplément N° 41- Novembre 2015. Par Boualem Touarigt Guerre de libération L Histoire es cinq chefs de zone du FLN s’étaient entendus sur les objectifs à fixer pour le déclenchement de la Révolution le 1er novembre 1954. Ils ne cherchaient pas des actions exclusivement militaires qui leur auraient donné une supériorité sur l’armée française. Les objectifs étaient d’abord politiques. Ils avaient plusieurs messages à faire passer : le premier aux militants du mouvement national. Des combattants, réagissant à l’impasse dans laquelle s’est enfermé le courant patriotique et refusant de prendre parti dans les luttes fratricides en cours, ont décidé de passer à l’action. Tout le monde doit désormais se déterminer par rapport au combat qui s’engage. Le deuxième message est destiné au peuple algérien pour lui rendre espoir et l’encourager à prendre part à la lutte qui s’ouvre. Le FLN délivre aussi un message aux autorités françaises leur demandant de tenir compte de la réclamation de l’indépendance qu’ils ont à chaque fois rejetée. Il confirme qu’il accepte la présence des Français d’Algérie qui seront considérés comme citoyens algériens à égalité de droits et de devoirs. La plate-forme de discussion qu’il présente est simple : il demande la reconnaissance du droit à l’indépendance pour les Algériens. Il propose de fait une Algérie algérienne, égalitaire et même multi confessionnelle. Les actions menées le 1er Novembre ont pour but de recentrer la lutte politique sur la revendication d’indépendance et les moyens d’y parvenir. Elles vaudront surtout par leur dimension psychologique et leur portée politique. du tout nouveau FLN (encore inconnu, le monde n’allait apprendre son existence que le lendemain) avaient beaucoup insisté sur l’impression que les combattants devaient laisser à la population. L’action psychologique était capitale. Le peuple algérien devait voir des combattants en uniformes, bien armés, disciplinés. Ils allaient pour la première fois observer Zone 1 : la détermination des Chaouias leur armée nationale, une vraie armée. Il ne s’agissait pas de bandes hétéroclites et indisciplinées. Dès le Mostefa Ben Boulaïd, le chef de la zone 1 a décidé début de la révolution, il fallait frapper un grand coup, de regrouper ses combattants le samedi 30 octobre. convaincre la population, l’impressionner, gagner sa Un premier groupe de soixante hommes dirigés par confiance. Tahar Nouichi est réuni près de Foum Toub. Mostefa Le chef de la zone 1 avait défini les objectifs et Ben Boulaïd s’occupe directement du deuxième réparti les combattants. Abbas Laghrour attaquera comprenant près de 150 moudjahidine. Le dimanche 31 octobre, aidé par deux de ses adjoints Bachir Khenchela, appuyé par le groupe d’Ammar Maâche. Chihani et Adjel Adjoul, il leur distribue les armes, Mekki Achouri a été désigné pour T’Kout, Belkacem de vieux fusils Mauser et Sttati. Il déballe un lot de Méziani pour El Ksar, Mostefa Goughali pour tenues américaines achetées en gros auprès des fripiers Inoughissen, Ali Benchaïba, Messaoud Benaïssa de la région et des chaussures de marche, les fameux et Layachi Batsi pour Ichemoul, Mohamed Cherif « Pataugas » qui deviendront bientôt célèbres et même Slimani, Sadek Bendaïkha et Mansour Goughali pour interdits par les autorités françaises. Il tient à ce que ses Barika, Ismaïl Kechroud pour Aïn Touta. Bachir Hadji moudjahidine soient impeccables. Les six dirigeants et Hadj Moussa pour Khroub et Aïn M’lila. Ahmed Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 34 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Nouaoura a été désigné pour Arris. Batna, chef lieu d’arrondissement a été réparti entre Ali Baazi, Cherif Benakcha, Belkacem Grine et Hadj Lakhdar. Mostefa Ben Boulaïd a prévu d’isoler même pendant seulement une courte période la partie centrale des Aurès. Il pense aux répercussions dans l’opinion française et internationale. Cette action, si elle réussit, déclenchera également un sentiment de fierté auprès des militants et de la population. La Révolution sera prise au sérieux et impressionnera LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE par les capacités de ses combattants. Il a prévu d’installer une véritable psychose dans les Aurès. Plusieurs localités seront harcelées. La vingtaine d’hommes qui compose le commando de Hadj Lakhdar dont notamment Bouchemal, Messaoudi, Baha pénètre dans Batna à deux heures du matin, en coupant à travers champs. Pour ne pas attirer l’attention, les combattants entrent par groupes de deux emmitouflés sous leurs kachabias qui camouflent leurs tenues et leurs armes. Chaque unité d’attaque a un groupe de protection ( 35 ) pour la couvrir et assurer son repli. A Biskra, les combattants ont attaqué le commissariat, le siège de la commune mixte et la centrale électrique. Des wagons d’essence ont été incendiés et une attaque à la bombe a été menée contre la redoute militaire. Aussitôt avisée par téléphone, la gendarmerie de Batna prévient les casernes de la ville qui sont averties quelques minutes avant l’heure fixée pour le déclenchement des attaques de l’ALN. L’alerte est déclenchée. Il www.memoria.dz Guerre de libération Histoire n’y a plus d’effet de surprise. Hadj Lakhdar et son commando se replient sans s’affoler. Il est trois heures du matin. Ils abattent les deux sentinelles de la caserne des chasseurs alpins et décrochent en prenant la route de Lambèse. Abbas Laghrour qui dirige le commando de Khenchela attendra sans résultat à Aïn Silane l’arrivée d’Ammar Maâche. Celui-ci dira deux jours plus tard qu’il y a eu erreur sur le lieu de la rencontre. Quand Laghrour rentre seul dans la ville, les militants avec qui il devait faire sa jonction ne l’avaient pas attendu. Ils avaient pris le commissariat et désarmé les policiers sans leur faire de mal. Le moudjahid Athmani avait fait sauter le transformateur électrique de la ville. Un autre groupe attaque la caserne bien que mise en alerte et tue un lieutenant de garde. Tout le groupe se replie. A T’Kout les gendarmes s’enferment dans leur brigade qui essuie des tirs et ils n’en sortiront pas. Le village est coupé du monde. D’ailleurs dans toute la région les lignes téléphoniques ont été sabotées. Arris est isolée par les combattants de l’ALN. Ahmed Nouaoura ne s’était pourtant pas manifesté à l’heure prévue. Le village de Foum Toub sera isolé pendant une semaine. A sept heures du matin, l’autocar reliant Biskra à Arris est arrêté aux gorges de Tighanimine. Les combattants veulent impressionner tous les passagers qui emprunteront la route, annoncer le déclenchement de la révolution et transmettre ainsi un message aux populations. L’opération doit avoir une portée psychologique. Mohamed Sbaïhi parle aux passagers. Il fait descendre le caïd Hadj Saddok et le couple d’instituteurs français qui avaient emprunté le car. Il commence son discours au caïd lui demandant de rejoindre la Révolution en expliquant le but du FLN, les deux instituteurs pris à témoins et devant relayer le message. Car l’ordre des dirigeants de l’ALN qui leur a été rappelé la veille par Ben Boulaïd est clair : « Ne touchez pas à un civil européen ! ». Le caïd qui avait déjà reçu par la poste la déclaration du FLN a compris le sort qui lui serait réservé. Il tire brusquement le pistolet qu’il avait enfoncé dans sa large ceinture. Par réflexe, Mohamed Sbaïhi lâche instinctivement une rafale de mitraillette. Il abat le caïd mais touche involontairement les deux instituteurs qui n’étaient pas visés. Le mari est atteint à la poitrine et son épouse plus légèrement à la hanche. Le caïd est hissé dans le Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . car qui démarre aussitôt, laissant les deux instituteurs sur le bord de la route. Le groupe décroche. Quelques heures plus tard, une colonne qui arrive à sortir d’Arris récupère l’institutrice qui n’est que blessée et son époux mort accidentellement, touché par les balles destinées au caïd de Mchounèche. A Ouldja les combattants attaquèrent la maison du caïd. Dans la zone 2, Mourad Didouche a vu la défection des militants de la ville de Constantine, acquis au déclenchement de la lutte armée mais en désaccord avec Boudiaf. Ses combattants menés par Zighout Youcef, Lakhdar Bentobbal, Mostefa Benaouda, Badji Mokhtar mèneront plusieurs attaques : la gendarmerie de Condé Smendou, les casernes du Khroub et de Souk Ahras, la mairie de Saint Charles, le dépôt d’essence de l’armée à Khroub, la mairie de El Arrouch où deux gardes communaux furent désarmés, la mine de Nador. Zone 3 : la longue expérience des premiers maquisards Dans la zone 3, Belkacem Krim a fixé les objectifs à ses chefs de daïra à qui il a laissé toute la latitude d’organiser leurs attaques. Ceux-ci le suivent depuis plusieurs années : Moh Touil de Draa el Mizan, Ali Zamoum de Tizi Ouzou, Mohamed Zamoum de Mirabeau, Ali Mellah et Saïd Babouche de Fort National, Mohamed Yazourène d’Azzazga et Ahmed Guemraoui du Sud Djurdjura. Krim insisté sur le côté psychologique. Il faut annoncer une période nouvelle, redonner l’espoir aux militants dont beaucoup sont encore indécis et installer un climat d’insécurité au sein des forces de l’ordre. Il n’a que cent trente hommes armés à sa disposition. Il est confiant et il est sûr de ses combattants qui tiennent le maquis depuis plusieurs années. Comme Ben Boulaïd, il imposera aux maquisards le port d’uniformes et leur donnera l’ordre de coudre des galons et des insignes, malgré leurs réticentes. Il cherchait lui aussi à impressionner fortement les populations et à leur donner confiance. Le bilan est spectaculaire : les dépôts de liège et de tabac de Bordj Menaïel, Camp du Maréchal, Azzazga, Draa el Mizan, Tizi Ghenif ont brûlé. Des attaques ont été menées contre les gendarmeries de Tigzirt et d’Azzazga, les sièges des communes de Draa El Mizan (où le garde champêtre a été tué) de Rebeval (où la mairie et la poste on été incendiées) et de Abbo. Partout, ( 36 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire plusieurs attaques. Ils feront sauter le transformateur électrique situé à Ouillis à l’est de Mostaganem. Ils attaquent la gendarmerie et le siège de la commune de Cassaigne ainsi que deux fermes entre Ouillis et Bosquet. Un Européen qui se trouvait par hasard à la gendarmerie de Cassaigne a été atteint par une balle perdue. Il y eut un accrochage à Turgot plage, près d’Oran et à Cap Ivi, à 25 kilomètres de Mostaganem. Ahmed Zabana maintiendra un climat d’insécurité pendant plusieurs jours à Tlélat. Trois jours plus tard, la préfecture annoncera que huit Algériens avaient été tués. Abdelmalek Ramdane figure au nombre de ces premiers martyrs, tombé au cours d’un accrochage les moudjahidine, en maquisards aguerris refusent sur le territoire de la commune de Bousquet, près de le combat et se retirent dans les caches préparées à Cassaigne. l’avance. Ils maîtrisent parfaitement la technique de guérilla et s’attendent à une guerre longue et difficile. Zone 4 : le choc psychologique malgré Dans la zone 5, Ben M’hidi et ses chefs de commandos des défections Abdelmalek Ramdane, Abdelhafid Boussouf, Hadj Zoubir Bouadjadj responsable du secteur d’Alger avait Benalla, Ahmed Zabana n’ont pas reçu les armes qu’ils attendaient, le convoi venant du Maroc ayant déjà arrêté ses objectifs et désigné ses combattants. été intercepté. Ils décident tout de même de mener Rabah Bitat avait réuni les chefs de groupe le 29 LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 37 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire octobre chez Abdelkader Guesmia à Bab El Oued. Abderrahmane Kaci Abdallah est chargé de faire sauter l’usine à gaz du Ruisseau. Il est accompagné de son neveu Mokhtar, d’Abdelkader Guesmia, Brahim Sekat, Omar Djellal. Il y a aussi Kaddour Hadjin avec son vieux camion qui a servi à transporter le premier stock d’armes dans sa ferme de Crescia. Ils passent par le toit de la scierie adossée au mur de clôture et placent quatre bombes artisanales. Ils allument les mèches et s’enfuient par le camion de Hadjin. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Le commando de Merzougui est composé de Chaal, Toudjine, Adim, Madani, Boutouche, Belamane et Djefafla. Leur objectif est l’immeuble de la radio à la rue Hoche. Merzougui arrive à une heure du matin ramenant trois bombes artisanales dans un couffin. Les engins sont placés leurs sur le rebord des fenêtres du rez-de-chaussée et une fois les mèches allumées, les membres du groupe quittent précipitamment les lieux dans le véhicule qui les attendait. ( 38 ) Belouizdad doit conduire son équipe au port pour faire sauter un réservoir des pétroles Mory. Il a avec lui Benguesmia, Ben Slimane et Herti. Ils prennent soin de voler un véhicule pour se déplacer. Arrivé sur place, Belouizdad se hisse sur le rebord de la cuve qu’il avait déjà repérée, place ses bombes et allume les mèches. Le groupe repart avec la voiture volée qu’il ramènera à son parking. Ahmed Bisker et son groupe composé de Mesbah, Benaï et Braka Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire attaqueront le central téléphonique et Nabti est chargé d’incendier le dépôt de liège d’Hussein Dey. A la veille du déclenchement, Rabah Bitat était furieux. La propagande de Hocine Lahouel avait réussi à dissuader de nombreux militants de Blida de rejoindre le mouvement. Le samedi 30 octobre à 15 heures, accompagné de son adjoint pour Blida Souidani Boudjema, le chef de la zone 4 du FLN rencontra Zoubir Bouadjadj. Il chargea celui-ci de récupérer au square Bresson un groupe de 21 combattants envoyés par Krim Belkacem pour participer aux opérations du 1er novembre. Zoubir Bouadjadj les emmena à Crescia et les logea dans la ferme de Kaddour Hadjin. Il y aura en tout deux cents hommes envoyés par la zone 3 et dirigés par Ouamrane pour épauler la zone 4, dont beaucoup furent hébergés dans une ferme de Bouinan. Le 30 octobre Hadjin a retrouvé Zoubir Bouadjadj à Alger. Ils vont à Crescia récupérer la vingtaine de combattants venus de Kabylie. Ils retrouvent Souidani à Souma puis tout le groupe rejoint le lieu de rendezvous avec Bitat et Ouamrane qui est fixé à Hallouya près de Boufarik. A minuit moins le quart, soit 15 minutes avant l’heure fixée, Ouamrane, Souidani et leurs hommes sont en embuscade devant LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 39 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire la caserne de Blida lorsqu’ils entendent l’explosion de trois bombes. Les combattants qui devaient détruire le pont tout proche se sont trompés d’heure ou ont paniqué. Dans la caserne, l’alerte est donnée. Ouamrane et Souidani se précipitent dans le poste de garde et désarment les sentinelles. Ils récupèrent leur complice qui les attendait, le caporal-chef Saïd Bentobbal et tout le monde décroche. A Blida, les combattants conduits par Bitat et Bouchaïb attaquent la caserne Bizot. Ils disposent eux aussi d’un complice à l’intérieur, le caporal Khoudi. L’attaque ne réussira pas par manque de sang froid, les soldats ayant été alertés Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 40 ) par les explosions de Boufarik. Trois martyrs tomberont dans l’accrochage qui s’en est suivi. Par contre les attaques contre la coopérative d’agrumes de Boufarik et la Cellunaf de Baba Ali ont réussi et les dépôts ont été brûlés. Par ailleurs les combattants de l’ALN se sont attaqués à plusieurs ponts : celui de l’Oued Kerma à la sortie de Birkhadem, celui de l’Oued Mimoun à la sortie de Boufarik. Ils attaquèrent aussi un ouvrage à la sortie de Benchaâbane, près de Boufarik, sur la route départementale qui mène vers Saint Charles et déposèrent des bombes sur le trajet du train Alger Oran. Boualem Touarigt Supplément N° 41- Novembre 2015. Réflexions d’un moudjahid sur la commémoration du 1er Novembre Mr Kasmi Aïssa, Ancien moudjahid et cadre supérieur de la DGSN Guerre de libération Histoire Toute nation est en droit d’être fière de son histoire et de sacraliser ses gloires et ses épopées qui la distinguent des autres nations. Nul ne peut construire solidement son avenir sans avoir pris pleinement conscience de son passé et mis en valeur les sacrifices des générations passées pour défendre et préserver leur terre, leur dignité ainsi que les éléments fondamentaux de la personnalité nationale et ses caractéristiques. L’histoire de l’Algérie a connu à travers les différentes étapes de son évolution des moments glorieux et des épisodes immortels dont les nouvelles générations doivent s’enorgueillir et s’en inspirer pour mieux s’armer en vue de se frayer un chemin parmi les nations modernes et respectables. Or, il n’est guère possible d’apprécier une chose à sa juste valeur pour pouvoir la préserver comme la prunelle de ses yeux, si on l'ignore ou on feint de l’ignorer ou si l’on ne fournit pas l’effort nécessaire pour la découvrir, la connaitre sous tous ses aspects, en mesurer la valeur et en tirer profit éventuellement. En fait, la question que l’on peut légitimement se poser ici est la suivante : peut-on aimer quelque chose ou même quelqu’un sans le connaitre, sans l’approcher ? Nous savons tous que la relation d’appartenance à une patrie ou à une société implique pour les membres de ladite société des devoirs incompressibles et non facultatifs parmi lesquels l’obligation de connaitre leurs origines, leurs racines, leurs aïeuls, les étapes franchies par leur peuple, ses souffrances et ses espérances afin de poursuivre leur glorieux combat en ajoutant une pierre aussi modeste soit-elle à l’édifice national. Etre conscient de cette appartenance et aspirer à une citoyenneté pleine et entière signifie une bonne assimilation du concept, ô combien complexe, des droits et des devoirs, sachant que c’est le devoir qui crée le droit et non le contraire. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 42 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire La philosophie du colonialisme français dans sa conquête de l’Algérie La stratégie et les objectifs du colonialisme français dans l’occupation de l’Algérie s’illustrent parfaitement à travers les déclarations de la plupart des conquérants français, notamment les officiers de l’armée coloniale tels que Bugeaud, Saint Arnaud, Cavaignac, De Rovigo, Changarnier, Lamoricière, Montagnac, Randon, Canrobert, Dumas, Pélissier, et autres. Les dites déclarations traduisent la haine indicible que vouaient les colonisateurs aux arabes musulmans algériens, authentiques propriétaires de cette terre sacrée. Nous citerons ici trois témoignages seulement comme exemple pour illustrer cette haine mortelle : Le colonel Montagnac : Le colonel Montagnac : « Lettres d’un soldat » : « Voilà, mon brave ami, comment il faut faire la guerre aux Arabes. Tuer tous les hommes jusqu' à l' âge de quinze ans, prendre toutes les femmes et les enfants, en charger des bâtiments, les envoyer aux îles Marquises ou ailleurs; en un mot, anéantir tout ce qui ne rampera pas à nos pieds comme des chiens. » Général De Rovigo : « Puisqu’on ne les civilisera pas, il faut les refouler loin comme des bêtes féroces qui abandonnent le voisinage des lieux habités. Il faut qu’ils reculent jusqu’au désert devant la marche progressive de nos établissements et qu’ils soient rejetés pour toujours dans les sables du Sahara. » LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Le général Ibos dans son livre Le général Cavaignac : un dictateur républicain, p124 : « Ce sont des sangliers à deux pieds ! » Évoquant la discrimination raciale pratiquée par la France coloniale durant sa présence en Algérien, Ferhat Abbas a écrit, dans son ouvrage : La Nuit coloniale (1962), page 47 : « Lorsqu’un Algérien dit qu’il est Arabe, les juristes français lui répondent : Non, tu es Français ! Et lorsqu’il vient réclamer les mêmes droits accordés aux Français, les mêmes juristes lui rétorquent : C’est impossible, tu es Arabe !... Aux yeux de la loi coloniale, il n’est plus Algérien et n’est pas encore Français. Non, il n'est rien, au plan national ou civil. Il est désormais dépourvu de tout. C’est-à-dire qu' il n'est chez lui, ni en Algérie, ni en France, ni n’a aucune patrie nulle part ailleurs. C’est ici que réside la réalité du drame vécue par les Algériens et dont découlent tous les autres drames ». La stratégie de l’occupant colonial visant à exterminer tous les habitants autochtones d’Algérie, appelés « indigènes musulmans », s’est soldée par la mort de plus de 6 millions d’Algériens durant la période allant de 1830 à 1872, à travers les tueries massives, préméditées et organisées qu’il a perpétrées dans toutes les régions du pays sans exception et en laissant les épidémies faire des ravages dans la population locale (la peste a dévasté le pays quatorze fois, en plus du choléra, de la typhoïde et d’autres maladies toutes aussi destructives les unes que les autres). ( 43 ) C’est sur ces méthodes que la France coloniale a fondé sa stratégie de conquête, d’occupation et de colonisation de l’Algérie, en codifiant le pillage de ses richesses, l’asservissement de ses enfants, leur appauvrissement à la limite de la famine. Profitant de leur détresse incommensurable, les autorités coloniales n’ont pas hésité à incorporer les jeunes Algériens de force pour aller défendre les couleurs de la France impériale sur les champs de bataille qui faisaient rage dans le vieux continent, de 1870 à 1945. La facture : 69 000 Algériens ont laissé leur vie pour le drapeau français (3000 en 1870, 26 000 durant la Grande guerre « 1914-1918 » et 40 000 durant la Seconde Guerre mondiale), alors que 13 000 autres seront expulsés vers le Pacifique et Bilad Esham. La résistance armée contre l’occupation française - La bataille de Staoueli de 1830, dans laquelle se sont distingués l’Agha Ibrahim, Ben Saâdi, Ben Zaâmoum et toutes les tribus proches d’Alger. - L’Emir Abdelkader - Ahmed Bey durant 17 ans (1830-1847) ; - Boumaâza ou Si Mohamed ben Abdallah (1845-1847) ; - La tribu des Zaâtchas (1849), Chérif Mohamed ben Abdallah (1851-1871), Chérif Boubaghla (1951-1954), Lalla Fatma N’Soumer (1857), Bennacer Benchohra (1851-1874), la révolte des Ouled Sidi Cheikh (1864-1881), El-Hadj El-Mokrani et Cheikh Ahaddad (1871-1872), Cheikh Bouamama (1881-1882). www.memoria.dz Guerre de libération Histoire La lutte politique continue depuis le début du XXe - L’Emir Khaled (1912-1924), Messali Hadj, Ferhat Abbas, Ibn Badis et tant d’autres leaders (de 1926 à 1954) ; - Le climat politique et psychologique instauré par la Seconde Guerre mondiale, qui a changé la donne et incité les peuples colonisés à se libérer de l’hégémonie coloniale ; - Le regroupement des dirigeants du mouvement national sous la bannière de l’Association des amis du manifeste et de la liberté (AML), dont Ferhat Abbas, Messali Hadj et Bachir El-Ibrahimi (14 mars 1944) ; - Le discours du général de Gaulle à Brazzaville, le 30 janvier 1944, dans lequel il a promis d’accorder l’indépendance aux colonies françaises d’Afrique dès la fin de la guerre. Le message des événements du 8 mai 1945 Les manifestations du 8 mai 1945, réprimées dans le sang, constituent en fait le détonateur ou le coup de tonnerre qui a accéléré de façon décisive la marche irrésistible du peuple algérien vers sa libération du joug colonial. Ayant pris naissance à Sétif, cette insurrection se répandra comme une trainée de poudre pour embraser la plupart des régions de l’Est, de Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . l’Ouest et du Centre du pays, en particulier à Guelma, Kherrata, Blida, Saïda, Oran, Alger, TiziOuzou, Béjaïa et autres. Pour réprimer les manifestants, les autorités coloniales ont mobilisé tous leurs moyens de répression, de torture et d’extermination massive et mis à contribution l’armée, la police, les milices armées composées de colons racistes et haineux ainsi que l’aviation et la marine de guerre. Ce fut un véritable génocide, un crime contre l’humanité commis de façon délibérée, organisée, alors que le même général de Gaulle qui avait promis l’indépendance à la fin de la Seconde Guerre mondiale, était aux commandes de la France. Le nombre de victimes a dépassé 45.000 martyrs en l’espace de quelques jours durant lesquels s’est distingué à Guelma le sanguinaire André Achiary, qui a été promu plus tard et reçu la Légion d'honneur de la République française, le 17 Janvier 1946. Ces massacres ont fini par convaincre une fois pour toutes ceux parmi les algériens qui croyaient encore à l’illusoire option d’intégration et continuaient à réclamer l’égalité en droits, que la France arrogante ne pouvait jamais accepter l'indépendance de l'Algérie, quelles que soient les circonstances. Les évènements du 8 mai 1945 ont donc fait sortir les assimilationnistes de leur illusion et leur crédulité, après avoir compris que la France n’est nullement prête à abandonner l'Algérie qui n’était que trois ( 44 ) départements faisant partie intégrante du territoire français et non une colonie comme toutes les autres. Le peuple algérien, dans sa majorité, a tiré la leçon de ces massacres, convaincu qu’il était que ce qui a été pris par le feu et le fer ne pouvait être arraché que par le feu, le fer et le sang. En plus des milliers de morts et de blessés parmi les hommes, les femmes et les enfants, nombre de militants sont restés en prison de 1945 jusqu'à l'indépendance (17 ans), à l’exemple du grand militant Mohammed Saïd Maazouzi, que Dieu lui prête longue vie. Il vient de nous gratifier d’un superbe ouvrage de 431 pages racontant son parcours de nationaliste intrépide et restituant avec une grande humilité les souffrances vécue par le peuple algérien dans son épopée unique dans l’histoire de l’humanité. Préparation de la grande insurrection armée Instruit par les enseignements tirés des événements du 8 mai 1945, le mouvement national, notamment le Partie du peuple algérien (PPA), a pris la décision courageuse de créer l’Organisation Spéciale (OS) le 16 février 1947, chargée de recruter les militants, de les former et de les préparer à la grande insurrection armée qui sera finalement déclenchée le 1er novembre 1954. Le commandement de cette organisation avait été confié, à sa création, à Mohammed Belouizdad, remplacé Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire plus tard par Hocine Aït Ahmed, puis enfin par Ahmed Ben Bella, lesquels représentaient la nouvelle génération de jeunes militants lassés par les intrigues et les surenchères politiques stériles adoptées par leurs aînés. Les événements s’accéléraient et les choses se clarifiaient davantage après la lourde défaite subie par l'arrogante armée française au cours de la fameuse bataille de Diên Biên Phu (du 20 Novembre 1953 au 7 mai 1954), sous la conduite du célèbre général Giap. En dépit des circonstances extrêmement difficiles dans lesquelles évoluait le peuple algérien à cette époque, ses enfants qui croyaient en leur partie et en ses valeurs immuables, étaient déterminés à aller de l'avant et à ressusciter l'Algérie. Ils allumèrent la flamme de la grande révolution armée et jurèrent de ne déposer les armes que le jour de la victoire ou du martyre. Grâce à la volonté de Dieu, la victoire fut de leur côté. Il y eut d’abord la réunion des « 22 » le 25 juin 1954 à El-Madania, chez Lyès Derriche, pour décider de la proclamation de la guerre, suivie rapidement d'une rencontre le 23 octobre 1954, chez Mourad Boukechoura à Raïs Hamidou, pour élaborer le plan d’action du déclenchement de l’insurrection armée. Ont assisté à cette rencontre historique : Mustapha Benboulaid, Mohamed Boudiaf, Krim Belkacem, Larbi Ben M’hidi, Didouche Mourad et Rabah Bitat. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Illustrations du génie du peuple algérien durant la Guerre de libération Lorsque les premières balles des vaillants combattants algériens ont retenti à travers toutes les régions du pays, en cette nuit du 1er novembre 1954, leurs échos sont parvenus dans toutes les majestueuses montagnes d'Algérie, des Aurès à l’Ouarsenis, en passant par le Djurdjura, les Bibans et les Babors, jusqu'aux fins fonds du Hoggar et du Tassili. Le génie du peuple algérien s’est illustré au cours de la révolution, à travers les étapes et actions suivantes : • La déclaration du 1er Novembre et son contenu ; • La confiance en Dieu et la désignation des combattants par le nom de "moudjahidine", tout en annonçant le début de chaque bataille par le cri d’Allah Akbar ; • Le soutien massif et indéfectible apporté par la population aux moudjahidine ; • Le soulèvement populaire du 20 août 1955 (Zighoud Youcef) ; • La plateforme de la Soummam (20 août 1956) ; • L'unité nationale et l’extraordinaire élan de solidarité entre tous les algériens ; • La Bataille d'Alger et les héros de la Casbah (El-Mahrousa) ; • La résistance héroïque des moudjahidine dans les maquis et la fedayin et moussebeline dans les villes et villages, hommes et ( 45 ) femmes, en particulier dans les zones rurales où les femmes ont pris la place des hommes pour continuer la lutte jusqu'à la victoire finale ; • Le génie des officiers supérieurs de l'Armée de libération nationale qui, bien que n’ayant pas fréquenté les hautes académies militaires, ont pu donner des leçons inoubliables aux officiers les plus décorés de l’armée française ; • L’action diplomatique efficace menée par les représentants du Front de libération nationale sur la scène internationale, de Bandung à New York, du Caire à Rabat, en passant par Genève, Rome et Madrid ; • La création du Gouvernement provisoire (GPRA) le 19 septembre 1958 ; • La mise en échec de tous les complots et machinations machiavéliques du colonialisme français (l’action des renseignements et d’infiltration) ; • Constance et persévérance face aux souffrances et sacrifices immenses supportés par la population et les moudjahidin ; • Ajournement des différends et conflits internes jusqu'à après la victoire ; • Décision de porter la guerre sur le sol français et mobilisation des expatriés pour les collectes de fonds pour constituer le budget de la Révolution ; • Manifestations du 11 Décembre 1960 dans la capitale et d'autres villes du pays ; www.memoria.dz Guerre de libération Histoire • Manifestations du 17 octobre 1961 à Paris, sur le terrain même de l’ennemi, sous les balcons de l’Elysée et à travers les plus grandes rues de la capitale des Lumières et du fameux triptyque : "liberté, égalité, fraternité" ; • Les négociations d’Evian face aux politiciens français les plus érudits ; • 19 Mars 1962 (proclamation du cessez-le-feu) ; • Référendum d'autodétermination le 1er Juillet 1962 : 5.975.581.962 Oui, 16.534 Non, sur un total de voix exprimées : 5.992.115. • Démarrage fulgurant du train de l'Indépendance, brisant toutes les barrières et désamorçant toutes les bombes posées sur son chemin par les stratèges du colonialisme. La situation dramatique de l’Algérie postindépendance • Un million et demi de martyrs que Dieu ait leur âme (la plupart étaient des jeunes) ; • Trois millions de personnes placées dans des camps entourés de barbelés ; • 400.000 prisonniers et détenus ; • 300.000 réfugiés en Tunisie et au Maroc ; • 700.000 personnes déplacées des zones rurales vers les villes ; Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . • 8.000 villages détruits ou brûlés, réduits en ruines ; • Des milliers d’invalides de guerre, de veuves et d’enfants de chouhada ; • La plupart des Algériens souffraient de l'extrême pauvreté et du chômage endémique (5 millions de chômeurs) ; • 94% des hommes et 98% des femmes étaient analphabètes ; • Moins de 14% des enfants étaient scolarisés ; • 116 millions de francs dont disposait le Trésor public ont été transférés en France ; • Départ de tous les cadres dirigeants et de maitrise des établissements publics ; • Infrastructure détruites, archives brûlées dans plusieurs administrations et institutions par les criminels de l'Organisation de l’armée secrète (OAS) et leurs adeptes. CONCLUSION Je pense que la grandeur de la Révolution algérienne avec tout ce qu’elle a réalisé comme exploits, hauts faits d’armes et sacrifices consentis généreusement par les enfants de ce pays, nous impose le devoir d’éditer des centaines, voire des milliers d’ouvrages, de témoignages, de récits et de chroniques afin de constituer les matériaux indispensables qu’utiliseront ( 46 ) demain nos historiens pour écrire les pages glorieuses de l’histoire de la nation algérienne. Chaque parcelle du territoire algérien, de l'Est et à l'Ouest, du Nord et au Sud, est irriguée du sang de nos valeureux martyrs. Chaque famille, chaque martyr, moudjahed, fidaї, moussebel ou prisonnier détient une part de cette histoire commune à tous et qu’il ne doit pas garder pour lui comme un bien personnel. Mon souhait le plus cher est de voir un jour l’un de nos historiens écrire un ouvrage portant le titre : La guerre de 132 ans entre l'Algérie et la France, à l’instar du grand volume édité par le grand historien et homme politique, le défunt Ahmed Tewfik El-Madani, intitulé : La guerre de 300 ans entre l'Algérie et l'Espagne (1976). Si nous voulons réellement être fidèles au serment des chouhada et dignes de recevoir leur précieux héritage, chacun d'entre nous est appelé à se remettre en cause et à calquer son attitude et son comportement quotidien sur les nobles principes qui ont constamment animé nos valeureux moudjahidine morts ou encore vivants, à savoir : l’amour de la patrie, le dévouement, la probité morale, le rejet de la corruption et du vice, la sacralisation du savoir et le travail créatif et honnête. Aïssa Kasmi Ancien cadre supérieur de la DGSN Supplément N° 41- Novembre 2015. 61 é ANNIVERSAIR E DE LA REVOLUTION Dr Boudjemâa HAICHOUR. Chercheur universitaire, ancien ministre FILIATION GéNéALOGIQUE DU FLN HISTORIQUE UNE RéVOLUTION ARMéE SEUL RECOURS ESPèRè Guerre de libération Histoire Peut-on parler d’une même filiation généalogique entre le FLN historique et le FLN Post-indépendance ? Au plan épistémologique saurions-nous parler de continuité ou de rupture dans le processus consacré au FLN à la fois en tant que mouvement de libération et tant continuateur de l’effort d’édification nationale ? De tels questionnements nous renvoient à une lecture politique qui a marqué les débats dans le cadre du Système du Parti unique et la controverse née au lendemain de la promulgation de la Constitution de 1989 permettant la création de Partis. C ’est sans doute dans ce bouillonnement des idées que chacun va à sa vision des choses. Ainsi dans un contexte d’une géopolitique marquée par un nouvel ordre mondial régenté par l’énergie qui définit les équilibres endogènes et exogènes des Nations, alors que l’Algérie célèbre le 61ème anniversaire de sa glorieuse Révolution du 1er Novembre 1954, Une date mémorable inscrite en lettres d’or dans l’histoire contemporaine. On est interpelé à trancher toute cette chronologie des faits historiques permettant aux jeunes générations de transcender ces nuances dans la clarté d’un débat politique serein dans toute la communion inspirée des grands sacrifices de notre peuple ayant recouvert son indépendance au prix d’un million et demi de nos valeureux martyrs. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Personne ne peut oublier les conditions de misère, de famine, d’humiliation, de discrimination, d’expropriation, de dépossession et d’un Code de l’indigénat qui reposait sur la violence et le déni de justice imposé par la puissance coloniale française. L’analphabétisme battait son plein où plus de 90% ne fréquentait pas l’école « indigène » qui permettait d’obtenir juste le certificat primaire élémentaire. En face quelques talebs enseignaient le Coran dans des maisons de fortune sorte de gourbis, l’Association des Ulémas créera à travers le pays des écoles privées tel l’institut Ibn Badis de Constantine.Il y avait aussi des écoles d’obédience PPA/MTLD comme celle d’El Katanyia qui verra nombreux militants devenant à l’indépendance des Chefs d’Etat comme Mohamed Boukharouba alias Houari Boumediene ou Ali Kafi… ( 48 ) Les pouvoirs de l’Etat colonial s’exerçaient dans des « Communes indigènes » sur le modèle des Bureaux arabes par des Caïds dont la majorité leurs sont inféodés. Elles seront remplacées sous la IIIème République par les « Communes mixtes » dirigées par un administrateur civil. Le combat politique prend forme après toutes les insurrections populaires anti coloniale menées par l’Emir Abdelkader, Hadj Ahmed Bey, Cheïkh El Mokrani, les Bel Haddad, Cheïkh Bouamama les Zaâtchas, les Ouled Sidi Cheïkh… toutes ces révoltes finissent par faire émerger la formation d’élites politiques à commencer par l’Emir Khaled qui dès Avril 1919 avait envoyé dans le secret absolu un mémorandum au Président Wilson demandant à la Conférence de paix pour que l’Algérie soit mise sous tutelle de la future Société des Nations (SDN). Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Depuis son journal El Ikdam, il crée son parti « La Fraternité Islamique » dans l’esprit de l’Islam des « Jeunes Algériens ». L’Emir Khaled intervenait dans un langage populaire imagé par des proverbes du terroir, lançant des idées de son programme telles : un réseau d’écoles libres, d’une presse en langue arabe, l’organisation des émigrés en France etc…L’Administration coloniale finit par lui imposer l’exil volontaire vers Alexandrie puis Damas. Même l’élite jeune algérienne le lâcha craignant son charisme et son éloquence durant les campagnes électorales. Il revient à Paris dans le giron du Parti communiste dans le combat de lutte anti impérialiste de l’indépendance de l’Algérie. Il est sans aucun doute le précurseur des courants politiques qui vont voir le jour dès 1923.Ainsi naissait l’Etoile Nord Africaine (ENA) dirigée par Messali Hadj et fondée à Paris en Juin 1926 dans le sillage du Bolchevisme en tant que premier mouvement indépendantiste Algérien. Nombreux sont ceux des émigrés du Maghreb qui adhéraient aux idées de l’ENA. Des liens de solidarité ancrés dans l’amour de la Patrie mais surtout des valeurs ancestrales de leur origine maghrébine. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE L’EMIGRATION POURVOYEUSE ESSENTIELLE DES FINANCES « El Ghorba » ou l’Exil des Algériens en France puis en Europe entre les deux guerres venus entreprendre les travaux pénibles de reconstruction et de développement économique de la Métropole sera le cadre d’une militance politique d’un genre nouveau d’une élite formée dans le syndicalisme et les mouvements politiques d’Europe ouvrant les horizons d’un nationalisme moderne. Dans sa sève confrérique Hadj Messali qui aura pour compagne Emilie Bousquant, fille aînée d’un mineur anarchiste et syndicaliste de Neuves-Maisons en Meurtheet-Moselle, il commencera à s’initier avec elle aux luttes ouvrières. L’idée d’émancipation indépendantiste ne pouvait passer que par la doctrine marxiste-leniniste pour les Colonies et donc s’inscrire tout au début dans le PCF où sera créée une Fédération des militants originaires des colonies françaises. L’Etoile Nord Africaine sera le mouvement qui va englober les Maghrébins mais surtout les Algériens. Et c’est Abdelkader Hadj Ali, membre du Comité Exécutif de l’Union Inter-coloniale qui recruta les premiers adhérents à l’ENA dont Hadj Messali dont ils seront les deux présents au nom de l’ENA au Congrès anti-impérialiste tenu durant l’hiver 1927. ( 49 ) UNE CONSTITUANTE SOUVERAINE DANS L’ESPRIT DE L’ISLAM Hadj Messali en tant qu’affilié à une confrérie ne pouvait admettre l’idée d’indépendance que dans l’esprit de l’Islam. En ce moment l’Emir Chakib Arslan qui vulgarisait à partir de la Suisse un certain arabo-islamisme fait connaissance en 1935/36 avec Messali qui s’engageait quant à lui dans un projet de société sur la base d’une Constituante souveraine au suffrage universel. En fait la culture politique de la génération de Messali n’avait idée de se lancer dans l’insurrection armée jusqu’au moment ou le FLN déclare au monde sa Révolution un 1er Novembre 1954. Alors que le PCF voulait satelliser l’ENA, résolument patriotiquement algérienne, en 1928 Hadj Ali disparait laissant place à Messali Hadj qui s’identifia avec son combat indépendantiste. En 1933 il crée la « Glorieuse Etoile » dissoute peu après en 1934. Messali commença une série de séjour dans les prisons françaises. Le 27 Janvier 1937 le Gouvernement Blum interdisait l’ENA et le 11 Mars de la même année, Messali fonde son Parti, le PPA (Parti du Peuple Algérien) en transférant son siège à Alger avant d’être arrêté et condamné à deux ans de prison ferme avec des compagnons tels Moufdi Zakaria qui venait en 1936 de composer l’hymne du PPA : www.memoria.dz Guerre de libération Histoire أال في سبيل احلرية و(جنم شمال افريقية مثاال الفدا والوطنية ولتحي فيها العربية أال في سبيل احلرية فداء اجلزائر فداء اجلزائر روحي و مالي ))فليحي(حزب االستقالل وليحي شباب الشعب الغالي ولتحي اجلزائر مثل الهالل أال في سبيل االستقالل ======================= « Fidaou El Djazaïr Rouhi Wa Mali Ala Fi Sabili Al Houryia Falyahia Hizb Alistiklal Wa Najm Chamal Ifriqia Wal Yahia Chabab Alghali Mithalou AlFida Walwatania Wali Tahia Al Djazaïr Mithla el Hilal Wali Tahia Fiha Al Arabia Ala Fi Sabili Alistiqlal Ala Fi Sabili Al Hourryia ». Cet hymne est sans doute « l’Appel au sacrifice suprême » de tous les combattants de la liberté pour que vive l’Algérie libre et indépendante. Moufdi Zakaria composera « Min Djibalina Talâa Sawt Al Ahrar Younadina IlIstiqlal» (De nos montagnes s’est élevée la voix des hommes libres qui nous appellent à l’indépendance). « Qassaman » suivra et qui sera « Le Serment » composé à la demande du dirigeant FLN Abane Ramdane en 1955 dont le refrain est « Fachhadou-Fachhadou-Fachhadou » (Attestez !-Attestez !-Attestez !) qui est l’Attestation en l’Unité divine premier pilier de l’Islam. Au mois de Septembre 1939, le PPA fut dissous et ses journaux « El Oumma » et « Le Parlement Algérien » furent interdits. Messali Hadj libéré en Août fut à nouveau arrêté en Octobre et fut condamné en Mars 1941 à seize ans de travaux forcés. Face à la repression presque toute la Direction du Parti fut décapitée. Mohamed Boudiaf fonctionnaire aux impôts dans le Constantinois et Mohamed Khider syndicaliste dans le secteur des tramways à Alger, furent les militants du PPA et qui devinrent les chefs historiques du FLN au lendemain de la Révolution. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . UNE NOUVELLE GéNéRATION D’HOMMES D’ACTION Une nouvelle génération non émigrée prend les destinées du Parti en la personne de Lamine Debbaghine, médecin de formation dès 1942 en l’absence de Messali. Le PPA prend le dessus dans l’animation des meetings à travers le pays. Messali fut détenu en 1943 puis transféré en résidence surveillée à Boghari, ensuite à In Salah et 1944 à Chellala. Il sera à nouveau orienté vers Paris pour revenir à Bouzéréah à l’approche des massacres de 1945. Il sera emprisonné à El Goléa puis à Brazzaville le 23 Avril en 1945. LA REVOLUTION DE TOUTES LES ESPéRANCES « RESSOURCEMENT NOVEMBRISTE ET DEVOIR DE MéMOIRE » Soixante et un ans après le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 1954, quels enseignements peut-on tirer de l’immortelle guerre de libération nationale ? Les témoins et les acteurs de cette histoire n’ont pas tout dit ou du moins n’ont pas eu le recul pour le dire. En ce moment où le monde arabe traverse des bouleversements systémiques sous l’appellation de « Printemps arabe », certains daignent les qualifier de révolutions, ce concept semble être galvaudé et n’exprime pas le sens à donner à ces changements. Les théoriciens néocoloniaux donnent une définition réductrice de la notion de révolution, car celleci a un contenu politique de décolonisation, un programme et des attaches millénaires à la Patrie non soumises aux convoitises de ceux au nom de la démocratie et des droits de l’homme veulent spolier les ressources des nations. ( 50 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire RéVOLUTION ALGéRIENNE FACE AU COLONIALISME ET L’OTAN Lorsque la Révolution algérienne s’est déclarée à la face du monde contre le colonialisme français assisté par les forces de l’OTAN, appelant le peuple à se mobiliser et à s’engager dans une guerre de libération nationale, le peuple algérien a fini par arracher son indépendance nationale au prix de grands sacrifices. «A vous qui êtes appelés à nous juger...» C’est par cette phrase, pleine de significations et de symboles, que la proclamation du 1er Novembre 1954 s’adressa au peuple algérien et aux militants de la cause nationale sur le bien-fondé du déclenchement de la Révolution. La Toussaint était rouge ce 1er Novembre 1954 pour les Français d’Algérie. Tout a commencé lorsque quelques militants, anciens membres de l’OS, mise en place en 1946 et démantelée par la police en 1950, ont décidé de se regrouper et déclencher l’action insurrectionnelle. Le MTLD était divisé en deux clans qui s’affrontaient sans merci. Les Centralistes qui dénonçaient le culte de la personnalité de Messali Hadj et les partisans de ce dernier. Ne pouvant venir au bout de leurs querelles, quelques anciens de l’OS (Organisation Spéciale), ont crée le CRUA (Comité Révolutionnaire pour l’Unité et LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE l’Action), qui au départ était au nombre de cinq : Mohamed Boudiaf, Mostefa Benboulaïd, Larbi BenM’Hidi,Rabah Bitat et Mourad Didouche puis les rejoint Krim Belkacem qui tenait le maquis en Kabylie. Ce comité rallie à son projet Ahmed Ben Bella, Aït Ahmed et Mohamed Khider qui étaient au Caire. Ce sont ces neuf hommes qui prendront l’initiative de l’insurrection armée. Entre Messalistes et Centralistes la scission est consommée. Le 10 Octobre 1954 les six membres du CRUA présents à Alger décident la lutte. Ils créent l’aile politique appelée FLN et l’aile militaire appelée ALN. La date de l’insurrection est fixée au lundi 1er Novembre 1954, jour de la Toussaint chez les français où les soldats en fête désertent les casernes. QUI RéDIGEA LA DéCLARATION DU 1er NOVEMBRE 1954 ? Mohamed Boudiaf et Mourad Didouche étaient chargés de rédiger la proclamation de Novembre ou du moins sous leur dictée que sont définis les buts et les moyens du nouveau mouvement. Deux mois plutôt, les Six s’étaient répartis les Zones ou Wilayates qu’ils venaient de créer. Mohamed Boudiaf chargé de la coordination et de la liaison avec le Caire avait été élu Président. ( 51 ) UN MOUVEMENT DE RéNOVATION DéNOMME FLN Le mouvement de rénovation crée sous le nom du FLN, va offrir la possibilité à tous les patriotes de toutes les couches sociales et de tous les Partis d’adhérer individuellement à la cause nationale de libération pour la restauration de l’Etat algérien souverain, démocratique et social dans le cadre des principes islamiques. Au matin du 1er Novembre 54 les armes ont parlé à travers l’ensemble du pays. C’est le commencement de la fin d’une ère coloniale qui est restée 132 ans. Une Révolution d’héroïsme et de la foi vient d’inscrire en lettres de sang et d’or la plus belle page de gloire de l’histoire de l’Algérie plusieurs fois millénaires Le sentiment de l’urgence de passer à l’action découle de la conscience patriotique et de l’attachement aux valeurs universelles dont la dignité et les droits de l’homme ne sont pas des moindres. LES NEUF HISTORIQUES SONT-ILS LES HERITIERS DU MESSALISME ? Les neufs historiques sont-ils les héritiers du Messalisme? On relève que les initiateurs du 1er Novembre ont rallié à eux les islamistes, les notables de toutes obédiences, laïques, berbères, des amis de la cause algérienne de toutes confessions mais dans le gros des troupes proviennent de la paysannerie. Il y aura selon la www.memoria.dz Guerre de libération Histoire déclaration du 1er Novembre 1954 l’Appel à une adhésion personnelle se dissociant de leurs formations politiques telles UDMA,Ulémas, PCA tout en mettant le bloc historiquement dirigeant au centre de la décision et de l’orientation de la Révolution.Le flambeau de cette lutte de libération nationale est pris par une Génération de Jeunes purs, enthousiastes et dynamiques RéVOLUTION OU L’ACTE FINAL DE LA DéCOLONISATION Que d’insurrections populaires ont eu lieu depuis la résistance, contre le système de l’injustice et de la terreur coloniale, d’un guerrier affilié à la Zaouïa Qadiria, l’Emir Abdelkader. La continuité de l’action résistante reflète si bien celle logique d’une Nation fière de son passé plusieurs fois millénaire et fonde et explique l’aboutissement à une éclatante Révolution populaire. Plus qu’un élan contestataire, la révolution fut l’acte de tout un peuple qui se souleva sous la direction d’une élite militante farouchement attachée à la légitime cause du combat révolutionnaire jusqu’à l’arrachement de l’indépendance nationale. Cette guerre de Libération Nationale qui a abouti à la décolonisation, devint aussitôt un modèle en Afrique, en Asie et en Amérique Latine. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Le 1er Novembre 1954 consacra le début de la fin d’une présence coloniale et va ainsi aboutir à la renaissance de l’Etat moderne dans tous ses aspects. Le vent de la libération traversa l’ensemble du territoire, du nord au sud, de l’est à l’ouest. 1er NOVEMBRE 54 OU SOURCE DE LEGITIMATION La révolution algérienne n’est pourtant ni la révolution française jacobine ni celle bolchevique. Elle est à l’image de la grandeur de son peuple. Elle est née de la profonde conviction des militants, elle ne glorifie point le culte de la personnalité comme ce fut le cas ailleurs. L’imaginaire national revisite la période 1954-1962, mais écrire l’histoire de la Révolution nécessite des matériaux que sont les archives et les témoignages des acteurs qui sont la source de légitimation de la vérité historique. Mais l’histoire de la Révolution algérienne reste douloureuse. Certains acteurs restent muets devant des situations vécues. Et comme disait Montesquieu : « Tout citoyen a le devoir de mourir pour sa Patrie, mais nul n’est tenu de mentir pour elle ». Plus de sept km de rayonnages et des milliers de tonnes de nos archives sont déposées à Vincennes, Aix en Province ou Nantes. La revendication de rapatrier nos archives relève de notre souveraineté nationale. ( 52 ) SOIXANTE ET UN ANS APRèS... La commémoration de la Révolution qui intervient dans une étape nouvelle et importante pour notre pays, celle de la concrétisation des réformes politiques et institutionnelles annoncées par le Président Abdellaziz Bouteflika depuis le 15 Avril 2011 va être l’occasion de rendre public l’Avant Projet de la Révision Constitutionnelle attendu vers la fin de l’année 2015. Soixante et un ans après, quel regard ont donc les nouvelles générations sur cette grandiose révolution qui reste toujours un modèle de décolonisation du XXe siècle ?. Est-elle perçue comme l’événement le plus marquant de notre histoire de libération nationale ? Pour certains c’est une révolution, pour d’autres c’est une guerre de libération et même les historiens se trouvent partagés quant à la définition des concepts. Une guerre suppose que l’Algérie était un Etat et qu’elle déclarait la guerre à un pays étranger dans les mêmes conditions institutionnelles de droit international de la notion d’un Etat avec son territoire, son armée régulière, sa diplomatie et l’ensemble de ses institutions dans une option unitaire du territoire. Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire LA RéVOLUTION ALGéRIENNE N’EST PAS D’ESSENCE IDèOLOGIQUE Une révolution est, par contre, l’essence même d’une organisation populaire sous la conduite d’un mouvement de libération nationale qui a pour mission de mener, à la manière d’une guérilla, le combat pour l’indépendance du pays. Cela suppose une organisation militaire non de type classique mais une résistance anticoloniale par tous les moyens de lutte. Or, au lendemain de la conquête française, il y avait l’Emir Abdelkader avec son territoire, son armée, son Etat à l’ouest et Hadj Ahmed Bey dans le beylicat de l’est avec son armée et son organisation beylicale, qui ont mené alternativement la bataille contre les Français. Depuis, l’Algérie était une colonie de peuplement et non un protectorat comme ce fut le cas de la Tunisie et du Maroc par exemple. Guerre ou révolution, nous laissons ce débat de côté. Les hommes d’histoire et les chercheurs s’en occupent si bien. Novembre 1954 à juillet 1962, telle fut la période de lutte d’un peuple décidé à recouvrer sa liberté et son indépendance. Une période qui vit la chute d’une République et où plus de deux millions de soldats français, sans compter ceux de l’Otan, se sont succédés en Algérie pour y faire une guerre dont le lourd tribut d’un million et demi de chouhadas a été payé par le peuple algérien. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Par ailleurs, en France, et jusqu’à ce jour, comme le fait remarquer Benjamin Stora, la guerre de libération nationale algérienne « continue de structurer en profondeur la culture politique française contemporaine ». LA RéVOLUTION DE NOVEMBRE 54 : LA FOI ET LA DéTERMINATION Le peuple algérien a incontestablement mené une révolution qui restera inscrite en lettres d’or dans les pages de l’histoire contemporaine de l’humanité. Le peuple, unanime derrière le FLN et appuyant l’ALN, est sorti victorieux devant la plus importante force militaire que fut la France et ses alliés. Que d’atrocités vécues par notre peuple. Aujourd’hui, la France officielle reconnaît enfin la réalité de la guerre qu’elle a menée dans notre pays ainsi que les exécutions sommaires et tortures endurées par notre peuple. Drames et déchirements ressurgissent épisodiquement dans notre mémoire meurtrie et la guerre de libération nationale nous livre chaque jour des problèmes non encore réglés des deux rives de la Méditerranée. Se pose alors la question de savoir comment assurer cette histoire pour la transmettre aux générations avec le maximum d’authenticité et donc de vérités historiques ? Nommer la guerre, revenait à reconnaître une existence séparée de l’Algérie. Aussi, pour la France, la question algérienne a été toujours conçue ( 53 ) comme une affaire intérieure, ce qui fausse, au départ, toute approche. L’attachement des Algériens à leur Patrie et leur disposition inconditionnelle à la défendre, les armes à la main, obligea les Français à revenir sur leur fausse conception de la réalité. Jacques Soustelle, en annonçant à son arrivée, en tant que nouveau Gouverneur d’Alger, qu’un choix avait été fait par la France. NI ASSIMILATION NI INTéGRATION MAIS RESTAURATION D’UN éTAT Ce choix s’appelle « l’intégration», souligna le changement important imposé aux responsables français sur un champ de guerre qui s’étendait à l’ensemble du territoire national. Du projet d’assimilation on passait à celui d’intégration, mais trop épris de leur liberté, les Algériens repoussaient toutes les offres car un seul objectif comptait: libérer le pays du joug colonial. Conscient de la progression des événements, Michel Debré expliquait en 1956, avec passion, les enjeux et soutenait que «le destin de la France sera scellé d’une manière décisive en Algérie». La Révolution de Novembre 54 est devenue un modèle marquant, certes, par son organisation, sa discipline et son efficacité, mais elle l’est devenue aussi par les limites sans cesse repoussées du sacrifice dont nos compatriotes ont fait preuve. La foi et la hargne des Algériens ont laissé beaucoup de traces. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire ON NE PEUT éTOUFFER LES CAUSES JUSTES Toutes les guerres sont sales. D’autres le deviennent encore plus parce que, quelque part, des noms de criminels notoires, de bourreaux incontestés ou de monstres reconnus leur sont associés. Aussaresses, Bigeard,Le Pen les Papon... et beaucoup d’autres encore, avaient ajouté à la salissure de la guerre celle du mépris, de la haine et de la non considération de l’être humain. Pour la seule ferme Ameziane de Constantine, de 1957 à février 1961, plus de 108.175 personnes avaient subi la torture, soit plus de 500 torturés par semaine, une véritable usine à torture (1). Certains ont certes fini, au crépuscule d’une vie trempée de sang, par reconnaître leurs forfaits inavouables (2), d’autres continuent à nier, et d’autres enfin comme Aussaresses, affichent l’insolence et préfèrent faire l’apologie du crime. Il n’y a aucune fierté à tirer de la torture, quelle que soit sa forme. DE LA TORTURE DANS TOUTE SA MONSTRUOSITé De la géhenne à l’asphyxie par le gaz, à la baignoire, à tous les types d’atteintes à la dignité des hommes, la torture est toujours abjecte (3). Elle ne fait qu’en avilir les auteurs et les éclabousser de leur propre monstruosité. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Mais l’atrocité de la guerre ne s’arrête point à la torture d’individus. Elle s’étend à celle du nombre. C’est ainsi que, en 1959, un rapport officiel fait état d’un million de regroupés dans les camps de concentration (4). Et même Michel Rocard, alors stagiaire de l’ENA, rapporte le chiffre de «deux millions d’Algériens dans les camps de concentration» (5). Les Algériens mourraient autrement aussi. 40.000 d’entre eux ont été décimés par les mines antipersonnel alors que 80.000 en sont restés handicapés à vie. L’enfermement sans jugement était devenu monnaie courante. L’assignation à résidence des militants nationalistes était la règle, les déplacements massifs de populations et internements relevaient de l’arbitrage. Autant d’injustice, d’atrocité et de terreur qui renforçaient la foi du peuple, autour de l’ALN, en la lutte armée jusqu’à la libération totale et entière du territoire national. La France a eu recours à tous les moyens et subterfuges pour falsifier la réalité, mais on ne peut étouffer les causes justes surtout lorsqu’elles sont aussi nobles. Les images d’archives n’arrivaient point à camoufler ou à faire oublier la réalité, et les innombrables saisies de journaux et d’ouvrages s’étaient avérées vaines. ( 54 ) 586 JOURNAUX ET 269 PéRIODIQUES SAISIS Plus de 586 journaux et périodiques et 269 en Métropole seront saisis, écrit l’historien américain Harrison. Pendant toute la durée de la guerre, il y a eu 44 saisies par an en Algérie et 60 en Métropole, révèle B. Stora alors que, pour la seule année 1960, on a dénombré plus de 154 saisies et en 1961 plus de 127 saisies. Des ouvrages tels que « la Question », «la gangrène», « Nuremberg pour l’Algérie », «la mort de mes frères», n’apparaissent que tardivement alors que la censure frappe des films comme «Algérie en flammes» de Vautier, les «Statues meurent aussi» d’Alain Resnais ou «Murielle ou le temps de retour» ou, encore, «J’ai huit ans», drame psychologique de Yann le Masson et qu’animent les enfants algériens par leurs dessins. Dans le climat de guerre marqué par la violence, la passion et la tragédie, que de gouvernements ont démissionné. C’est uniquement à partir du discours du Général De Gaulle sur l’autodétermination du 16 septembre 1959 que la télévision a commencé, dans son émission « Cinq colonnes à la une », à traiter de la guerre d’Algérie . Mais les seules images de la vraie guerre seront diffusées aux USA par Fox Moviettone, qu’on ne verra que plus tard, dans le documentaire de l’Anglais Peter Baty «la guerre d’Algérie» ou les années algériennes diffusé en 1991 en tant que documentaire français. Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire L’OPINION FRANçAISE AUX COTéS DU PEUPLE ALGéRIEN L’opinion française se mobilise contre les affres de la guerre. Les intellectuels tels que François Mauriac, Jean-Paul Sartre, Jacques Vergès, les porteurs de valises du réseau Jeanson etc., se mettent de la partie pour aider le peuple algérien dans sa lutte contre le colonialisme. En ce sens, l’ouvrage de Laurent Schwarz «le problème de la torture dans la France d’aujourd’hui» est plus qu’édifiant. Après cinq ans d’une guerre cruelle, De Gaulle comprend l’impossibilité pour la France d’aller plus loin sur le chemin hasardeux de la guerre. Il appelle à l’autodétermination et dira «si je ne résous pas cette affaire, personne ne le fera à ma place, la guerre civile s’installera et la France perdra». De Gaulle comprenait le danger. L’OAS, à elle seule, avait tué plus de 6.000 hommes et femmes, selon l’un de ses responsables, sans compter la terre brûlée et la destruction massive de tout ce qui est mémoire de notre peuple. UNE DES PLUS BELLES RéVOLUTION DU XXe SIèCLE Toute guerre qui se prolonge, sans que se concrétise un espoir de victoire, engendre la lassitude, note à juste titre B. Stora (6).Après les accords d’Evian, l’Algérie retrouvait son indépendance après avoir mené l’une des plus grandes révolutions de ce siècle. En Algé- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE rie, cette guerre se nomme Révolution. C’est l’acte fondateur de l’Etat moderne dont la carte sera déposée à la Cour de La Haye en tant que nation millénaire et dont l’Etat, au sens moderne, s’affirme en termes de droit international. Le 1er mars 1962, un rapport transmis à l’ONU évalue le nombre de musulmans pro-français à 263.000 personnes (7) et le 19 mars de la même année, les ponts vers la paix sont jetés. Une paix qui, longtemps après, ne sera pas moins intense que la guerre elle-même. En Algérie c’est une véritable guerre populaire c'est-à-dire une Révolution au sens étymologique du terme. C’est un Peuple qui en a ras-le-bol d’une injustice séculaire, voulant être aliénante qui a décider d’affronter les mains nues l’arsenal de guerre le plus moderne de son temps. Elle est à la fois une Révolution accomplie c'est-à-dire devant aboutir à des profondes mutations sociales, cultuelles et économique. Parce qu’elles sont trop profondes, les blessures causées par la guerre demeureront, des dizaines d’années plus tard, un obstacle à l’oubli. Sans haine ni passion, les Algériens auront gardé les terribles séquelles d’une colonisation des plus atroces. En face, les politiciens français continueront, tout aussi longtemps, de nier la guerre. Mais le Peuple Algérien est déclaré uni dans son combat libérateur derrière un mouvement de rassemblement qui prit le nom de FLN. Il y a eu une tentative ( 55 ) d’un Front uni lors du Congrès musulman rassemblant les Elus, les Ulémas et les Communistes le 7 Juin 1036 mais qui resta dans des revendications assimilationnistes au lendemain du Gouvernement Léon Blum. Messali Hadj au nom de l’ENA a rejeté la charte revendicative lors d’un meeting à Alger. Il déclara en substance : « Cette terre bénie qui est la nôtre, cette terre de la Baraka, n’est pas à vendre, ni à marchander, ni à rattacher à personne. Cette terre a ses enfants, ses héritiers, ils sont là vivants et ne veulent la donner à personne. L’ENA qui notre Parti, votre Parti qui est lui pour l’Indépendance de l’Algérie ». DE LA MUTATION A LA RUPTURE AVEC LE ZAIMISME De l’ENA au PPA puis au MTLD, l ’OS, le CRUA c’est cette chaîne ininterrompue de combats qui est la matrice généalogique de ce que sera le couple FLN/ALN qui au nom des 22 historiques engage la Révolution armée en opérant non une mutation mais une rupture avec le « Zaimisme » avec celui qui fut nommé « le père du mouvement de libération ». L’histoire officielle l’avait mis au banc des accusés lorsqu’il a décidé de créer son MNA. Il reviendra aux chercheurs et historiens de dépoussiérer les archives et de relire le contexte pour qu’au recul, arriver à présenter dans toute la vérité historique les fondements de toute initiative et tirer le bon www.memoria.dz Guerre de libération Histoire grain de l’ivraie. Une manière de revisiter l’histoire contemporaine sans passion ni parti-pris. L’ALGéRIE EN GUERRE ET LA CHARTE ATLANTIQUE On ne peut pas éluder le débarquement anglo américain à Alger en Novembre 1942 et la Charte de l’Atlantique signée entre Churchill et Roosevelt en Août 1941 reconnaissant le droit des Peuples à l’Autodétermination. C’est dans ce cadre que fut expédié un texte aux Alliés puis au Gouvernement Général de l’Algérie fin 1942 dont les grands traits seront publiés par Ferhat Abbas suivis de 29 Elus algériens sous le titre « L’Algérie dans le Conflit mondial-Manifeste du Peuple Algérien ». De plus en plus l’autonomie politique de l’Algérie en tant que Nation souveraine est revendiquée, la reconnaissance de la Nation Algérienne et l’indépendance complète de l’Algérie après-guerre. En un mot il s’agit de la re-naissance de l’Etat Algérien. DE GAULLE ET LA COMMISSION DES RéFORMES CONSTANTINE LE 12/1 DECEMBRE /1943 Mais le Général De Gaulle arrivant à Alger dans cette période fait remplacer le Gouverneur Général Peyrouton Marcel par le Général George Catroux qui rejeta au nom du Comité FLN français le Manifeste Algérien. Une Commission des réformes crée par le Général De Gaulle et présentée à Constantine le 12 Décembre 1943. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Elles firent l’objet de l’ordonnance du 7 Mars 1944.Cette ordonnance fut rejetée et dénoncée par les élus algériens (Elus-Ulémas et bien sûr le PPA. Le deuxième Front après celui de 1936, est celui des « Amis du Manifeste Algériens » fondé par Ferhat Abbas en Mars 1944 qui refuse toute idée d’assimilation. Dès le 1er Mai au 8 Mai 1945, les responsables du PPA furent arrêtés et l’idée du 8 Mai jour de l’Armistice fut retenue pour entamer des manifestations pacifiques qui furent vites réprimées. La répression sanglante du Huit Mai 1945 à Sétif, Guelma et Kherrata et partout à travers le pays sera annonciatrice du commencement de la fin de la Colonisation en Algérie préparant ainsi l’insurrection du 1er Novembre 1954 sous la bannière du FLN. Il faut dire qu’en guise de condamnation par la puissance coloniale, l’arrestation des membres de l’OS finira par briser le MTLD menant au procès de 251 Militants de l’OS et son démantèlement sans oublier les élections truquées de 1948. Les militants emprisonnés étaient durement traités et nombreux étaient torturés où plusieurs de ces détenus laissèrent la vie à Lambèze , Bérouaguia etc…Et le rêve d’une lutte maghrébine faisait son chemin entre les trois Partis( Istiqlal- Néo Destour et le PPA qui fut suivi par la création du Bureau du Maghreb Arabe qui donna naissance début 1948 à un Comité de Libération du Maghreb Arabe resté très symbolique eu égard à la géopolitique du Machrek de l’époque. ( 56 ) Avec la Révolution égyptienne des Officiers libres de 1952, Khider et Aït Ahmed se retrouvèrent au Caire rejoints par la suite par Ben Bella qui formèrent la Délégation extérieure du PPA/MTLD. LES FRAUDES ELECTORALES DE L’ADMINISTRATION COLONIALE La recherche de concours extérieur par la présence de la Délégation extérieure au moment où un schisme organique et politique entre Légalistes et ceux qui prônent l’action armée disloqua le PPA et créant le MTLD confié à Mezerna qui cohabitait avec l’OS Para-militaire et les vieux du PPA.C’est en fait le choix de Messali Hadj. Dès lors la pratique électorale n’étant plus crédible aux yeux de nombreux algériens, l’idée de recourir à l’action armée qui marquera la rupture avec le « Zaïm » Messali Hadj et les « Jeunes Loups » qui s’impatientent pour mener le combat armé contre la Colonisation après les fraudes successives de l’Administration coloniale. Ils accusent Messali d’opter pour la voie électoraliste par tout un courant de Jeunes activistes qui réclamaient la tenue d’un Congrès National de 1947 de Belcourt qui concéda la création de l’OS chargée de préparer le soulèvement armé. Elle fut une concession de la part de Messali Hadj pour sauvegarder l’unité du Parti. Mais très vite l’OS fut secoué par le « complot berbériste » et fut démantelée par l’administration coloniale à Tébessa grâce à une trahison d’un des membres Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire de l’OS qui remonta la filière. Il eut au total 363 arrestations qui furent tous torturés et jugés dans les Grands procès de 1951/1952. Ceux qui réussirent à s’évader formeront l’armature du futur FLN/ ALN. DE LA CRISE DU MTLD ET LA GENèSE DU FLN En fait c’est de la scission due à la crise du MTLD que remonte la genèse du FLN au moment où Messali tenait du 13 au 15 Juillet 1954 son Congrès d’Hornu à huit clos en Belgique réunissant quelques 300 délégués qui proclama Messali Président à vie. Quelques mois plus tard les Centralistes se réunissent dans un garage au Hamma dans le quartier de Belcourt, fief militant du MTLD. Une résolution fut votée pour la déchéance de Messali Hadj, Mezerna et d’autres fut prononcée dénonçant par la même occasion le travail fractionnel du Congrès d’Hornu. Pendant l’été 1954, la rébellion contre le comité central où centralistes et Messalistes en vinrent aux mains notamment dans le Constantinois. Mais pour que le FLN réussisse à déclencher l’insurrection du 1er Novembre 1954, il fallait contourner et dépasser la figure charismatique de Messali Hadj dans un enjeu stratégique et sur fond de déchirement. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE LE GROUPE DES 22 Il faut dire que les origines du FLN se trouvent dans le courant radical du PPA/MTLD et chez les clandestins de L’OS. Une nouvelle structure dénommée CRUA dont ses membres se sont réunis à la Medersa Al Rachad présidée par Mostefa Ben Boulaïd préconisa pour dépasser les clivages par cette instance qu’on retrouve dans le 1er Numéro « Le Patriote Algérien ». En se radicalisant, le CRUA reprit contact avec les anciens de l’OS et des membres de la délégation extérieure au Caire. A l’insu de deux congrès fratricides qui rendirent évident le clivage entre activistes et centralistes, que Boudiaf et Benboulaïd convoquèrent début Juin 22 militants anciens de l’OS pour en finir avec les affrontements entre frères. La réunion du « Comité des 22 » se tint dans le quartier Clos Salembier à Alger et décide de lancer sans attendre le combat armé. L’ELECTION DU CONSEIL DE LA RéVOLUTION DES SIX Les 22 élisent une instance collégiale de cinq membres composé de Mostefa BenBoulaïd, Larbi Ben Mhidi, Rabah Bitat, Mourad Didouche et Mohamed Boudiaf. Ce Conseil de la Révolution a appelé au boycott de la Conférence nationale Centraliste et du Congrès Messaliste d’Hornu. Pourtant Quatre militants avec Med Mechati tous constantinois contestèrent la dési- ( 57 ) gnation du Conseil de la Révolution par méfiance à l’endroit de Med Boudiaf et restèrent à égale distance des centralistes et des messalistes. Krim Belkacem et Ouamrane se rallièrent aux « groupe des 22 » dont Krim serait inclus dans le Comité des Cinq devenant « Conseil de la Révolution des Six». Se sont les réunions des 22 au 24 Octobre 1954 qui fixèrent définitivement la nuit du 31Octobre au 1er Novembre 1954 la date de l’Action armée par la Déclaration de la Révolution du 1er Novembre 1954 signé par le sigle « Front de Libération Nationale ». Aurait-il un autre Appel au nom de l’Armée de Libération Nationale », bras armé du FLN ? Dans la déclaration du 1er Novembre il est à retenir notamment : « La Restauration de l’Etat Algérien, Démocratique et Social dans le cadre des Principes Islamiques ». Aujourd’hui 61 ans après le déclenchement de la Révolution du 1er Novembre 54, Il faudrait toute la bonne volonté inébranlable d’hommes et de femmes sincères des deux rives pour qu’une communication plus adéquate s’installe. Les efforts conjugués, déployés par Son Excellence le Président de la République Abdelaziz Bouteflika et par les différents Président Français autant qu’actuellement le Président François Hollande et même du temps de Jacques Chirac, finiront par faire aboutir de nombreuses démarches dont le seul objectif était d’assainir ces relations, que l’Algérie aussi bien que la France sont dans l’obligation d’entretenir. www.memoria.dz Guerre de libération Histoire LE DEVOIR DE MEMOIRE DE DEUX NATIONS SE PARTAGEANT UNE HISTOIRE Les actions grandioses effectuées dans ce sens constituent des jalons de premier ordre dans la relance des relations entre les deux pays et leur refondation dans l’esprit de ces deux nations millénaires qui partagent une portion importante de l’histoire. Désormais, la page de l’histoire semble tournée d’un côté comme de l’autre de la Méditerranée. Les regards des jeunes générations des deux nations scrutent l’horizon, la main tendue vers un meilleur avenir. Novembre 1954 était entamé sous le signe de la Libération, Novembre 2015 est entamé sous celui d’une possible Réconciliation. Plus d’un Soixantenaire plein d’enseignements ! Le Président Benkhedda ne cessait de répéter que « le 1er Novembre 54 n’est pas une rupture avec le passé ; il n’est pas une irruption spontanée. Le 1er Novembre c’est l’aboutissement d’un long processus de maturation. C’est dans la filiation des idées de l’ENA, du PPA et du MTLD que le FLN tire ses références ». Le processus de démocratisation entamé par notre pays et les réalisations grandioses de l’ère Bouteflika donnent à penser que l’Algérie veut laisser aux générations un héritage qui lui permettent d’affronter les défis de ce XXI ème siècle. Faut-il laisser le passé à l’histoire sans que la mémoire ne soit confisquée de par et d’autre de la Méditerranée ? Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . En rendant un vibrant hommage au 50ème Anniversaire du 20 Aout, le Président Bouteflika écrivait : « Dans ce processus long et complexe porté à l’incandescence de notre guerre de libération nationale, les batailles menées par notre valeureuse Armée de Libération Nationale constituent bien sûr autant de repères de mémoire qu’il appartient à la recherche historique et aux médias de restituer sur le terrain de la connaissance et de populariser pour l’édification de nos jeunes générations». VERS UN POUVOIR D’éTAT ATTESTE PAR UNE RéELLE LéGITIMITé Le FLN/ALN a bel et bien réussi à mener le serment de Novembre : l’indépendance de l’Algérie. Il faut donc rétablir « la vérité historique et relever les erreurs les plus fréquemment commises car cette histoire reste à écrire » dira Mohamed Boudiaf en guise d’introduction à son livre. Le FLN fut dans sa totalité subordonné au Pouvoir d’Etat, lequel se confondit pratiquement avec l’ALN qui s’est transformée en ANP, armée républicaine dont les missions furent constitutionnellement délimitées et reconnues. Mais l’idée du Secrétaire général du Parti FLN annonçant selon sa prémonition que le Parti FLN présentera son propre Candidat aux Présidentielles de 2019, préfigura-t-elle d’un « Etat Civil » dont le concept sera probablement connu dans la mouture finale de la prochaine Révision Constitutionnelle à l’initiative de SE Abdellaziz ( 58 ) Bouteflika, Président de la République constitutionnellement et Président du Parti statutairement. Ainsi se profile la transition démocratique réclamée par l’Opposition transférant le Pouvoir d’une légitimité tantôt historique et révolutionnaire vers une légitimité démocratique et citoyenne où chaque Parti en lice aura son Candidat et ses commissions de contrôle à tous les niveaux du cheminement électoral dans toute la transparence et le suivi des opérations en présence d’observateurs nationaux et étrangers. Tel sera le destin attendu par les héritiers de la Révolution de Novembre dans la sérénité, la solidarité et le vivre-ensemble. Gloire a nos martyrs et vive l’Algérie, Nation plusieurs fois qui se projette dans le concert des Nations développées. Par Dr Boudjemâa Haïchour, Chercheur Universitaire, ancien Ministre Bibliographie : (1) Voir cahier de la République N° 38 année 1961. (2) Jean-Pierre Votor, «Confessions d’un professionnel de la torture», ed. Rames, Paris 1980 (3) Pierre Vidal Naquet, «la torture dans la République», ed. Maspéro, Paris 1983. (4) Le Monde du mardi 18 avril 1959. (5) Benjamin Stora, «la gangrène et l’oubli», ed. La découverte, Paris, 1992 (6) Idem p.115. (7) 20.000 militaires de carrière, 40.000 militaires de contingents, 58.000 harkis, 20.000 mokhaznis, 15.000 groupements mobiles, 60.000 groupements d’autodéfense, 50.000 fonctionnaires et anciens combattants. (8) Benyoucef Benkhedda : « Les origines du 1er Novembre 1954 » Editions du CN RMN R Ministère des Moudjahidines Alger 1999. (9) Gilbert Meynier : « Histoire intérieure du FLN 1954/1962 Casbah éditions Alger 2003. (10) Mohamed Boudiaf : « La préparation du 1er Novembre 1954 » Editions Dar El Khalil Alger 2010. (11) Mttthew Connelly : « L’arme secrète du FLN- Comment De Gaulle a perdu la guerre d’Algérie » Editions Payot Paris 2011. (12) Colette et Francis Jeanson : « L’Algérie hors la loi » préface Abdellaziz Bouteflikaz-Editions ANEP Alger 2006. (13) Dr Salah Belhadj : « Les origines du Pouvoir algérien- Crises internes du FLN 1956/1965. Editions Benmerabet-Alger 2014. (14) Ahmed Boudjeriou : « Guerre d’Algérie- Mintaqa 25 Constantine » onda Alger 2010. (15) Ali HAROUN : « l7ème Wilaya- La guerre du FLN en France 1954/1962. Casbah Editions-Alger 2005. Supplément N° 41- Novembre 2015. Les chouhada Fizi Med Lakhdar, Fizi Salah, Fizi Mohamed Ben Ali et Benchikha Mostefa Les guillotinés de Oulmène Par Zoubir Khélaifia Guerre de libération Histoire Brutalement, ils sont tirés de leur sommeil. A l’aube de cette nuit estivale du 3 juillet 1957, veille de l’Aïd El-Kébir, Fizi MohamedLakhdar, Fizi Salah, Fizi Med Ben Ali et Benchikha Mostefa, tous issus de Oulmène, douar situé à quelques encablures de la ville d’Ain Beida, dont il dépend administrativement, sont conduits à la guillotine de la prison Koudiat de Constantine. Condamnés à mort par la cour militaire de cette ville, ils allaient passer de vie à trépas. Des "Allahou Akbar", "Tahya El-Djazaïr" fusaient de toutes les cellules où les détenus se sont bien évidemment donné le mot en signe de solidarité avec les leurs. Le couperet allait tomber d’un instant à l’autre mais les quatre moudjahidine, imperturbables devant la mort, l’affrontent avec dignité. A l’heure H, ils n’étaient plus de ce monde mais ils ont inscrit leur nom sur le registre des chouhada ayant sacrifié leur vie pour la liberté. L eur histoire remonte au début de la guerre de libération, dans les Aurès-Nememchas. Les hostilités ouvertes, le 1er novembre 1954, il ne restait plus aux chefs de l’insurrection de la zone 1 que d’étendre la guerre à toutes les contrées de la région. Mais il fallait choisir où mettre les pieds pour ne pas tomber dans les griffes du colonialisme. Les familles susceptibles d’épouser la cause sont triées sur le volet. L’erreur est interdite car la France coloniale avait l’œil partout. Des émissaires sont donc dépêchés dans la ville d’Ain Beida et ses environs pour sensibiliser la population, organiser le maquis et enrôler de nouvelles recrues aptes à livrer bataille à l’ennemi. Si El-Mouldi, Lahcène Marir, Lazhar Cheriet et d’autres moudjahidine ayant participé au soulèvement armé sont les pre- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . miers Nememchas à être chargés de cette difficile mission dans la grande tribu des Haraktas. Du côté d’Oum El Bouaghi, appelé Canrobert durant l’époque coloniale, ce sont plutôt Chaâbane Laghrour, Si M’hamed Remili, El-Hadi Rézaïmia et Mohamed Salah Hedroug qui ont pris la lourde responsabilité d’accomplir cette mission. La guerre a commencé mais fallait-il encore qu’elle s’inscrive dans le temps et c’est ce qui a fait qu’une course contre la montre a été engagée pour son extension à tout le territoire aurésien. Une mission certes difficile mais pas impossible pour des hommes ayant défié l’une des plus grandes puissances armées mondiales de l’époque. A leur arrivée dans la région d’Ain Beida, ces combattants de novembre ont pris attache avec les chefs des tribus dans l’objectif de structurer la ville et ses environs. Mohamed-Lakhdar ( 60 ) Fizi est ainsi désigné responsable de la tribu de Oulmène avec pour mission d’alimenter le maquis en ravitaillements et collecter les renseignements. Sa maison est ainsi devenue une plaque tournante à travers laquelle transitaient les moudjahidine, y compris au retour d’un accrochage ou d’une bataille dans les djebels limitrophes et fortement boisés de Guern H’mar et Boutekhma. Deux djebels devenus plus tard un enfer pour les soldats français qui osaient rarement s’y aventurer. Mohamed-Lakhdar Fizi est en quelque sorte devenu les yeux de l’ALN et ses oreilles. Rien ne se fait sans qu’il soit le premier à être au courant. Bien évidemment, il a imposé une discrétion absolue à tous les membres de sa tribu qui, il faut l’avouer, a payé un lourd tribut durant la guerre de libération. Mohamed-Lakhdar est né en 1908 au douar Oulmène et de son Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Chahid Fizi Mohamed Lakhdar Chahid Fizi Salah mariage naquirent huit enfants dont deux filles. L’aîné Djemoï est tombé au champ d’honneur en 1956 dans la bataille de Guern H’mar. Son neveu, Fiziz Salah et son beau-fils Fizi Mohamed Ben Ali ont également payé de leur vie leur engagement dans la lutte contre l’occupant. C’est dire tout le sacrifice consenti par ce paysan et sa famille dans le combat libérateur. Au début de la guerre, Delfi Brahim est désigné chef de la région d’Ain Beida où il a accompli un travail remarquable tant dans l’organisation du maquis que dans la sensibilisation de la population avant d’être remplacé par Hamdi Hadj Ali à l’issue du congrès de la Soummam à la fin de l’année 1956. A cette époque, la guerre faisait rage et il fallait coûte que coûte tenir tête à l’ennemi qui employait tous les moyens pour creuser le fossé entre la population et l’ALN. Peine perdue puisque les accrochages se multi- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE pliaient à un rythme infernal et les pertes dans les rangs ennemis augmentaient au fil des mois. Malgré les tueries collectives et les répressions atroces, la famille Fizi ne s’est jamais départie de sa mission. Au contraire, son engagement aux côtés de l’ALN est irréversible et définitif jusqu’au 3 mai 1956. La mort des trois enfants français, Jean-Paul Morio, Jean Romain Almeras et Gilbert Bousquet dont les corps ont été découverts à Oulmène, allait sonner le glas pour cette famille révolutionnaire. Les soupçons sont alors dirigés sur la famille Fizi et une répression terrible s’abat sur toute la tribu où de nombreuses arrestations sont opérées. Mohamed-Lakhdar Fizi, Salah Fizi, Mohamed Ben Ali Fizi, Bouzid Fizi et Benchikha Mostefa soupçonnés d’être les auteurs du kidnapping des trois enfants et de leur exécution sont arrêtés et conduits à la prison d’Ain Beida. L’histoire de ces ( 61 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Chahid Fizi Mohamed Ben Ali trois enfants est jusqu’à aujourd’hui entourée de zones d’ombre bien qu’elle soit attribuée au FLN qui aurait intimé l’ordre de réaliser cette opération pour créer une véritable rupture entre les Algériens de la région et les colons. Une histoire qui reste à vérifier tellement elle a fait couler beaucoup d’encre, y compris en France où les medias de l’époque ont sauté sur l’occasion pour ternir l’image du FLN. N’est-ce pas que la France coloniale a accompli des atrocités inimaginables, assassinés des civils, tués des femmes et des enfants, brûlés des régions entière au napalm et soumis aux pires exactions des innocents ? Le FLN a bien entendu nié toutes les accusations portées contre lui par des médias survoltés, à la solde de l’occupant. Bouzid Fizi est le premier à mou- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Chahid Mostefa Benchikha rir dans la prison d’Ain Beida. Il n’a pas résisté à la torture et aux sévices subis lors des différents interrogatoires au non moins sinistre 2e bureau, réputé pour être le lieu où sont commises les pires exactions. Les quatre autres ont tant bien que mal tenu sans jamais avouer quoi que ce soit ni donner des noms des membres de l’ALN. La tribu n’a pas non plus échappé à la vindicte des soldats français qui ont presque tout brûlé et commis les atrocités les plus abjectes. L’encerclement de cette mechta durera plusieurs mois alors que les quatre détenus croupissent dans la prison d’Ain Beida où avant d’être transférés à Constantine, ils y ont passé plusieurs mois. Ce n’est là que le prélude à ce qui leur arrivera plus tard malgré l’absence de preuves de leur implication dans la ( 62 ) mort des trois enfants. Le fait que leurs corps aient été découverts à Oulmène a suffi à leur mettre sur le dos cette affaire. A Constantine, ils sont emprisonnés à Koudiat dans l’attente d’être jugés par la cour militaire. Cette dernière n’a pas fait dans la dentelle en prononçant la peine capitale à leur encontre dans un simulacre de procès, inique et injuste. La nuit du 03 juillet 1957, Fizi Med Lakhdar, Fizi Salah, Fizi Med Ben Ali et Benchikha Mostefa sont guillotinés, sacrifiant ainsi leur vie, leurs familles pour que vive l’Algérie libre. Leurs noms resteront à la postérité comme les 300 guillotinés entre 1956 et 1959 et comme tous les combattants tombés au champ d’honneur. Zoubir Khélaifia Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de Libération Nationale Yves Mathieu, militant méconnu Par Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire Avocat et militant anticolonialiste, Yves Mathieu est né en Algérie. Engagé aux côtés des Algériens, durant la guerre de libération nationale, son parcours demeure méconnu de la génération post-indépendance. C ontrairement à nombre de militants anticolonialistes, élevés au rang de héros, en raison de leur combat pour l’Algérie (Maurice Audin, Fernand Yveton, Jacqueline Guerroudj,etc.), Yves Mathieu est toujours resté dans l’ombre. Un besoin de discrétion volontaire imposé, selon sa fille, Viviane Candas, par son engagement prématuré d’abord au sein des réseaux de résistants français durant la Seconde Guerre mondiale, puis comme militant anticolonialiste, proche des milieux communistes, notamment du «Rassemblement démocratique africain ». Exclu du PCF en 1957, à la suite de son adhésion au Front de libération nationale, Yves Mathieu verra son parcours militant prendre un tournant charnière. Voulant faire revivre cette figure paternelle qu’elle aura peu connue car prématurément arrachée à la vie le 16 mai 1966, dans des conditions tragiques, la cinéaste a réalisé « L’Algérie du possible, la révolution d’Yves Mathieu » dont l’avant-première mondiale a eu lieu à la cinémathèque algérienne le 15 octobre dernier, en sa présence. Maurice Audin Fernand Yveton Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 64 ) Document d’histoire Filmé comme une enquête, à partir d’images d’archives, de séquences filmées dès 2009 à Alger, Constantine et Annaba, ville où Yves Mathieu a vu le jour en 1925, mais aussi d’entretiens avec plusieurs personnalités historiques et politiques parmi lesquelles l’ancien président Ahmed Ben Bella, ce road movie de 90 mn revient sur les pas de celui qui fut l’un des avocats du FLN. Evoquant sa démarche dans un entretien (*), Viviane Candas expliquera que « le fil rouge consistait à Jaqueline Guerroudj Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire La cinéaste Viviane Candas, fille de Yves mathieu a réalisé « L’Algérie du possible, la révolution d’Yves Mathieu » dont l’avant-première mondiale a eu lieu à la cinémathèque algérienne le 15 octobre dernier questionner des gens l’ayant connu en m’interrogeant moi-même sur les motifs de son engagement. J’ai finalement retiré quelques éléments sentimentaux, comme une promenade en barque que j’avais faite avec mon père, j’avais ramé, il s’était endormi. Le pari est toujours de retenir l’attention du spectateur. C’est le film qui m’a donné le plus de mal, celui qui aura été le plus difficile à faire. Avec Claudine Dumoulin, nous avons travaillé un an sur le montage. La complexité à régler, c’était la question de la temporalité, l’écoulement du temps ». S’attardant sur les grands projets de l'Etat algérien au lendemain de l'indépendance auquel Yves Mathieu et son épouse ont pris part comme l'alphabétisation, le reboisement des LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE zones bombardées au napalm par l'armée française ou la mise en place d'un système de santé, la réalisatrice consacrera, néanmoins, une grande partie de son documentaire à l'installation du système d'autogestion des domaines agricoles promulgué par le Président Ahmed Ben Bella en mars 1963 par un décret rédigé de la main d'Yves Mathieu comme en témoignent Ahmed Bedjaoui, Mohamed Harbi ou Mourad Lamoudi, acteurs politiques de l’époque. Viviane Candas fera parler d’autres personnes, dont des amis de la famille parmi lesquels Jean Marie Boëglin qui fut le directeur technique du Théâtre national algérien. Tous noteront l'engagement indéfectible d’Yves Mathieu dans la construction de l'Algérie indépen- ( 65 ) dante. Pour sa part, Jacques Vergès, dira de son confrère qu’« il ne savait pas épouser une cause tout en restant lucide. » De leur côté, Ahmed Ben Bella, Mohamed Bédjaoui ou Mohamed Harbi considéreront qu’il fut un « pionnier et une cheville ouvrière infatigable pour la construction d’une Algérie que d’aucuns voyaient comme le pays de tous les possibles ». Tout en revenant sur les visites de plusieurs figures anticolonialistes de l'époque à Alger, plaçant ainsi l’Algérie au centre de toutes les luttes et de toutes les causes justes, la réalisatrice continuera à dérouler les images sur le parcours de son père après la prise de pouvoir par le président Houari Boumediene, le 19 juin 1965, images d'archives et www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Jacques Vergès témoignages de cette journée à l’appui. Yves Mathieu occupera ensuite un poste de professeur à l'institut de gestion et de planification avant de reprendre ses études d'économie à l'université d'Alger puis ouvrir un cabinet d'avocats avec son épouse. Alors que beaucoup de ses compagnons avaient quitté l'Algérie ou étaient en détention, Yves Mathieu continue à exercer son métier et la réalisatrice évoque, sans en donner plus de détails, des « relations avec des officiers de l'armée à Constantine préparant une insurrection ». Autour du film… Revenant longuement sur les circonstances de l’accident qui a coûté la vie à son père – le véhicule dans lequel il se trouvait a été percuté par un camion militaire sur la route entre Constantine et Skikda –, Viviane Candas affirme que c’est cette « quête encore inachevée » qui Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . Mohamed Harbi l’a amenée à faire ce film. D’ailleurs, elle le confiera dans un entretien (*) : « Le film m’a vraiment fait comprendre tout d’abord que je ne saurais jamais la vérité, ainsi que je le dis dans la voix off. J’ai surtout compris qu’Yves Mathieu était un Algérien à part entière et le film constitue cette identité ». Expliquant, par ailleurs, comment son père est resté fortement présent dans le cœur et l’esprit de ceux qui l’ont côtoyé de près, la cinéaste notera encore : « Tout le monde qui se souvient de mon père m’ouvre sa porte en grand, et cela me touche beaucoup. Yves Mathieu n’a pas disparu dans un trou noir de la mémoire collective ». D’autre part et concernant l’importance que constituait ce film pour elle, pour son parcours et le fait qu’il témoignait de son amour profond de l’Algérie, la cinéaste expliquera encore : « J’ai rempli un certain trou noir qui avait marqué mon existence en retrouvant la lumière ( 66 ) du parcours d’un homme. C’est une façon de se réapproprier une expérience, de me réapproprier un passé traumatique et d’en être fière. La figure d’Yves Mathieu surgit à nouveau, incarnée, et plus seulement issue de mon seul souvenir. Le film crée une filiation, cela ne constitue pas seulement l’identité de mon père comme Algérien, cela constitue aussi mon identité par rapport à ce pays et à ce passé. Il explique pourquoi je suis à moitié algérienne, ce qui était très compliqué à faire auparavant. J’ai toujours été plus émue par l’Algérie, par les Algériens surtout, que par la France des Français ». Enfin, elle terminera en disant : « Pour que la jeunesse élargisse le champ des possibles et n’ait pas peur de faire de grandes expériences, il faut que la mémoire des expériences précédentes lui soit transmise. Elle trouvera comment s’en servir ». Hassina Amrouni Sources : Divers articles de la presse nationale Supplément N° 41- Novembre 2015. Maxime-Charles Keller de Schleitheim L’incroyable destin d’un enfant déporté d’Algérie Par Abderrachid Mefti Guerre de libération L Histoire Nous sommes le 18 mai, le lieu ’histoire qui va suivre tire son ori- s’appelle Ouled Djerrah, un hagine de faits réels, meau perché quelque part dans les survenus au cours monts qui ceinturent la ville des Cide l’année 1956, gognes. C’est là qu’une embuscade qui eurent pour meurtrière est tendue par des comthéâtre un douar surplombant les battants de l’ALN, sous la responhauteurs de Lakhdaria, ex-Palestro, sabilité du lieutenant Ali Khodja, à une ville distante de 79 km à l’est une unité de l’armée française, en d’Alger. Le village de Ammal est l’occurrence la 2e section du 9e résitué à sept kilomètres au sud de l’ex-commune mixte L’enfant soldat Maxime de Palestro, dont il dépendait administrativement durant la période coloniale. Il est composé de plusieurs douars ou décheras (hameaux), en l’occurrence Ouled Djerrah, Beni Hini, Beni Dahmane, Ouled Bellemou, Tigueur-Ouacif, Tigrine, Aït-Ouelmène, Tidjedjiga et Aït Amar. Ces hameaux ont été utilisés comme zones de repli par l’Armée de libération nationale algérienne (ALN) du fait de leur position stratégique dans le couloir montagneux de l’Atlas blidéen, qui va du mont Bouzegza au massif de Beni Khalfoun. Le 18 mai 1956, une embuscade tendue par le commando Ali Khodja à une unité militaire française composée d’une vingtaine de soldats va complètement bouleverser la situation. Dès les premiers jours qui suivront cette date, la réaction de l’armée française se traduira giment d’infanterie coloniale basée par un mouvement important de à Palestro. Resté sans nouvelles de cette troupes. Des ratissages de grande envergure, caractérisés par l’utili- unité, l’état-major envoie le lensation de grands moyens militaires, demain dans la région plusieurs vont être entrepris, ce qui aboutira bataillons, dont les commandos paau massacre et à l’extermination rachutistes de l’air affiliés à la base des douars et de leurs habitants, 146 de Réghaïa, le 1er régiment des faits qui marqueront à jamais la étranger de parachutistes (REP) et le 20e BCP, embarqués à bord de guerre d’Algérie. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 68 ) quatre hélicoptères de type Sikorski, pour tenter de la retrouver. Après cinq jours d’intenses ratissages, 18 soldats français de l’unité tombée en embuscade, parmi les 20 qui la composaient, sont retrouvés morts et affreusement mutilés. Dans les heures qui suivirent cette découverte, plusieurs dizaines de villageois seront liquidés dans la région de Ammal en signe de représailles. Des exactions d’une extrême cruauté seront commises par les soldats français contre les populations locales. Le douar de Ouled Djerrah est complètement rasé et ses habitants exterminés. Parmi les cadavres des pauvres villageois, un enfant, l’air hagard, âgé d’à peine quatre ou cinq ans, plongé dans une complainte de larmes et de gémissements, est allongé sur le corps criblé de balles de son père. A la vue des actes odieux et inhumains des parachutistes français, la maman de cet enfant, encore vivante à ce moment-là, se mit à lancer des youyous dans un ultime cri de désespoir. Elle reçut une rafale de mitraillette qui la laissa raide morte. N’en restant pas là, un des commandos se saisit de l’enfant pour le tuer. Il dut son salut à un autre soldat qui s’interposa pour le sauver d’une mort certaine. Les représailles qui ont suivi l’embuscade du 18 mai 1956 ont causé la mort de plus de 200 personnes. Le seul survivant de ce carnage est un enfant, dont les parents ont été assassinés, à l’instar de tous les habitants du douar. Les victimes sont des civils mais aussi des combattants de l’ALN qui se sont Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Des soldats présents lors du baptême de Maxime réfugiés dans les grottes situées à proximité du hameau martyr afin d’échapper aux soldats français. Ils seront achevés aux gaz asphyxiants, qui ne leur laisseront aucune chance. Après avoir accompli leur sale besogne, les militaires français se retirèrent dans leurs garnisons. L’enfant rescapé de ce massacre se retrouvera à la base de l’air 146 de Réghaïa, dont il deviendra la mascotte, affublé d’un pseudonyme : Maxime. Lorsque Maxime est arrivé sur la base militaire 146, il a passé la première nuit chez le médecin-chef de la base, le capitaine Roger Joseph. C’est ce dernier qui a rédigé le compte-rendu de la visite médicale de cet enfant récupéré à Palestro. L’enfant vivra au milieu des soldats, fera même partie des expéditions militaires et autres opérations de «maintien de l’ordre» et sera utilisé dans des missions de renseignement dans le but de connaître le mouvement des combattants de l’ALN parmi la population locale. Le général Alain Dumesnil de Maricourt, commandant en chef de l’armée de l’air en Algérie, instruit le lieutenant-colonel Coulet de la base aérienne de Réghaïa de faire confectionner à Maxime une tenue de parachutiste à sa taille, avec béret, ceinturon et étui à révolver et c’est le lieutenant Jean-René Souêtre qui se chargera de l’encadrer. A la fin de l’année 1956, les commandos parachutistes de l’air (CPA) 40/541 sont alors en pleine préparation et seront officiellement constitués le 3 janvier 1957. A partir de cette date, ils porteront désormais le nom de code «Maxime», leur indicatif radio. Chaque commando compte 102 hommes. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Des journalistes de Paris Match, présents sur la base de Réghaïa en 1959 pour réaliser des reportages en opération au front, découvrent avec stupéfaction la présence de l’enfant soldat de Palestro au milieu des militaires, des avions et des hélicoptères. Ils avaient souhaité lui consacrer un article, sans succès. Le 1er octobre 1959, Maxime-Charles est pupille de la nation sous le nom de Maxime-Charles et le 25 octobre 1959 il est converti à la religion catholique sous le nom de Maxime Keller de Schleitheim par le père Lepoutre, aumônier militaire de la 5e région aérienne en Algérie. C’est aussi en octobre 1959 qu’il se retrouve sous l’autorité parentale d’Yvonne Keller de Schleitheim, l’assistante sociale de la base de Réghaïa, alors que le jugement d’adoption n’est officiellement établi que le 28 décembre 1959. Durant plus de six années, l’enfant soldat est tour à tour affecté à des tâches réductrices et humiliantes et quotidiennement au service des soldats (travaux de cuisine, nettoyage, entretien et diverses autres activités de maintenance). Le 5 juillet 1962, l’indépendance de l’Algérie est proclamée. Les troupes françaises commencent à quitter le pays, à l’instar de celles que comptait la base aérienne 146 de Réghaïa. Maxime Keller sera emmené en France par sa mère adoptive, elle-même militaire, et, une fois devenu adulte, beaucoup de questions commencent à lui tarau- ( 69 ) Baptême de Maxime www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Maxime avec l’assistante sociale der l’esprit. Qui est-il ? D’où vient-il ? Est-il Français ou Algérien ? Catholique ou musulman ? La seule réponse qu’on lui donnera est celle qui consiste à lui expliquer que ses parents sont décédés pendant la guerre d’Algérie et que les Français lui ont épargné la mort et l’ont protégé en lui donnant la nationalité française et en le convertissant au christianisme. Le plus humiliant pour lui, c’est de se retrouver assimilé à un harki, alors qu’il a été victime des harkis, puisqu’ils combattaient dans le camp de l’armée française. Sur les registres de l’état civil français, le jeune enfant est inscrit sous le nom de Maxime-Charles Keller de Schleitheim né le 18 décembre 1951 à Alger. Une fois en métropole, sa mère de substitution lui fait comprendre qu’il devient encombrant pour elle et le considère comme un Arabe pouilleux, celui qui cristallise toutes ses rancœurs nées de la perte de l’Algérie française. Adolescent, Maxime Keller sera inscrit dans une école de formation en hôtellerie et en sortira cuisinier, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ce qui lui permet de devenir autonome par rapport à sa nouvelle vie. Dès les premières années de sa jeunesse – en 1972 il a 21 ans – il fait la connaissance d’une jeune femme avec laquelle il se mariera et aura deux enfants. Quelques années plus tard, il veut embrasser une carrière plus valorisante. Il suivra des études de commerce, mais un grave accident de travail mettra un terme à son activité professionnelle. Il s’installe dans la région de Bordeaux où il vit actuellement entouré de sa famille. Pendant plus de quarante années, le couple Keller se battra pour que justice soit faite dans la recherche de l’origine de Maxime, l’enfant soldat de Palestro. Plusieurs démarches ont été entreprises auprès des autorités françaises par le couple afin de faire parler les archives et les acteurs liés de près ou de loin à ce drame, en l’occurrence les soldats, les officiers et officiers supérieurs de la base 146 de Réghaïa. Personne, ni les militaires ni l’administration, n’a daigné apporter sa contribution à la solution de cet écheveau. L’Etat français restera sourd aux supplications des Keller et les archives restent, à ce jour, inaccessibles. Pis encore, les documents officiels et les photos de Maxime que la mère adoptive détenait et ayant trait à la période allant de 1956 à 1962, c’est-à-dire au cours de sa présence sur la base de Réghaïa, ont été détruits par celleci avant sa mort. Le médecin capitaine de la base 146, Roger Joseph, qui a suivi le dossier médical de l’enfant, et, qui, selon certaines sources détient de précieuses informations quant à l’origine de Maxime, est resté muet. Tous les commandos parachutistes encore vivants refusent de parler. Un seul d’entre eux a eu le courage de livrer quelques informations en octobre 2011. C’est lui qui a appris à la famille que les faits se sont déroulés à Palestro. Il dit avoir sauvé cet enfant alors qu’«il allait se faire tuer par un autre soldat», obligé d’en venir aux mains avec son collègue, «furieux que je ne le laisse pas faire». Selon lui, l’enfant avait trois ou quatre ans, mais plutôt trois que quatre. Actuellement, c’est Karine Keller de Schleitheim, la fille de Maxime, qui a pris le relais de son père pour tenter de percer le mystère qui entoure l’origine algérienne de cette innocente victime de la barbarie des hommes, ceux-là mêmes qui ont rasé son village natal et tué ses parents, quelque part dans la région de Palestro, aujourd’hui devenue Lakhdaria. De cette histoire émouvante et affligeante, Karine Keller à écrit un livre intitulé L’Enfant soldat de Palestro, publié le 18 septembre 2012 aux éditions du Net, puis adapté en une pièce de théâtre en cinq actes. ( 70 ) Abderrachid Mefti Supplément N° 41- Novembre 2015. Lire à la fin la lettre adressée par Karine Keller de Schleitheim au Président François Hollande Entretien avec Karine Keller de Schleitheim, fille de Maxime et auteure de L’enfant soldat de Palestro « LE DEVOIR DE FAIRE LA LUMIère » Par Abderrachid Mefti Guerre de libération Interview Karine Keller de Schleitheim, née le 13 août 1973 à Bordeaux, est la fille de Maxime Keller, l’enfant soldat de Palestro. Elle a suivi toutes ses études à Saint-Joseph de Tivoli de Bordeaux. A l’université Michel-de-Montaigne, elle a participé à des voyages d’échanges Erasmus, étudiant, pour son année de maîtrise de Lettres modernes, à Cambridge, en Angleterre. Elle a également suivi un stage linguistique de trois mois à Seattle aux Etats-Unis. A son retour en France, elle s’inscrit en licence d’anglais. Titulaire du Capes, elle a enseigné le français et le latin au collège et au lycée, à Bordeaux, où elle exerce à ce jour. En mai 2012, elle a publié un recueil de poèmes, Arabesquement vôtres, sonnets divers, et en septembre 2012, une pièce de théâtre, L’Enfant soldat de Palestro qu’elle aimerait voir publiée en Algérie. Cet ouvrage raconte une histoire vraie, émouvante et peu commune : celle de son père qui a survécu aux massacres de populations civiles de Palestro par les troupes françaises, en représailles aux soldats français morts à la suite d’une embuscade, le 18 mai 1956. Elle travaille actuellement sur la traduction en langue anglaise de ce livre, pour une plus large diffusion et se passionne pour l’histoire, la philosophie, mais aussi la poésie, ainsi que d’autres formes d’art, tout en se consacrant à l’écriture. Karine Keller veut montrer comment des liens invisibles et sacrés relient l’homme à sa patrie et résume son ouvrage de la façon suivante : il constitue en quelque sorte un condensé de la guerre d’Algérie et, relatant un évènement marquant de cette guerre, l’embuscade de Palestro (le 18 mai 1956, ndlr), il dénonce l’ampleur de son horreur. Abderrachid Mefti Mémoria : Mémoria : Votre livre L’enfant soldat de Palestro est une histoire véridique survenue durant la guerre d’Algérie. Pouvez-vous nous éclairer davantage à ce sujet ? Karine Keller de Schleitheim : Cette histoire est celle de mon père, qui est d’ailleurs toujours vivant. Selon la version officielle, il a été retrouvé dans un hameau (dechra, ndlr), vers le milieu de l’année 1956, allongé sur le corps de son père mort et c’était le seul survivant de ce hameau, qui a été rasé par l’armée française. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . C’est seulement récemment que nous avons su que les faits s’étaient déroulés à Palestro, grâce au témoignage d’un soldat français présent sur les lieux à cette époque, au cours de laquelle l’armée avait tous les pouvoirs et c’est par des mensonges et le silence que les militaires, aujourd’hui encore, se défendent. L’armée a toujours caché à mon père ses origines et si j’ai écrit ce livre c’est pour que l’on prenne connaissance des agissements de cette armée durant la guerre d’Algérie, mais également pour tenter d’en savoir davantage en portant cette histoire sur la place publique, d’où ce livre… ( 72 ) Mémoria : Pourquoi ce mutisme sur un cas aussi sensible que celui de l’enfance maltraitée au cours de la guerre ? Karine Keller de Schleitheim : L’armée française est restée sourde à toutes nos demandes d’éclaircissements. Mes parents auront passé plus de quarante années de leur vie à chercher des réponses à leurs questions. Internet nous a permis d’avoir accès à beaucoup de données, mais les recherches continuent. Ceux qui n’ont pas été touchés par cette guerre ne peuvent pas comprendre. Mais pour ceux qui ont perdu de la famille, il est impossible d’oublier et c’est même un Supplément N° 12 - Avril 2013. Guerre de libération Interview devoir de faire la lumière sur ce qui s’est réellement passé durant cette guerre, ne serait-ce que pour honorer les morts. Nous menons donc le même combat contre l’oubli, car c’est tout bonnement impossible d’oublier. Depuis qu’il a commencé à comprendre, mon père ne cesse de penser à ses parents qu’il a perdus. Mémoria : Pensez-vous que votre père est originaire de l’un des hameaux ciblés par les soldats français, dont un a été complètement rasé, en l’occurrence Ouled Djerrah ? Le nom de ce village martyr est souvent cité dans les écrits historiques et de presse… Mémoria : Comment votre père s’est-il retrouvé avec une identité qui n’a aucun lien avec ses origines, sa religion et sa culture originelles ? Karine Keller de Schleitheim : Oui, c’est vrai, j’ai pensé à Ouled Djerrah... Ce hameau faisait-il partie de Palestro ? Je ne sais pas. Mon père m’a dit que s’il n’y a qu’un village qui a été rasé, alors ce ne peut être que celuilà, sans nul doute. J’avais également fait quelques recherches pour essayer de comprendre et elles m’avaient également toutes menée vers Ouled Djerrah. Karine Keller de Schleitheim : Sur son état civil, mon père a été inscrit sous l’identité Maxime Keller de Schleitheim, né le 18 décembre 1951 à Alger. Le 1er octobre 1959, il est pupille de la nation, sous le nom de Maxime-Charles. Curieusement, le 25 octobre 1959, il est baptisé sous le nom de Maxime Keller de Schleitheim. Il a été adopté par Yvonne Keller de Schleitheim, l’assistante sociale de la base de Réghaïa, après le jugement d’adoption daté officiellement du 28 décembre 1959. En 1962, il est emmené en France avec sa mère adoptive, militaire, mais il sera pour elle, encombrant. Elle était d’origine pied-noir, et, une fois en métropole, c’est comme si elle lui en voulait de la perte de l’Algérie. Mon père fera des études de restauration puis dérochera un diplôme de cuisinier. Puis, très jeune, il s’est marié, a eu deux enfants. Il fera ensuite des études de commerce, mais il aura un grave accident de travail qui mettra un terme à sa carrière. Il est ensuite resté dans la région bordelaise. Nous n’avons pas épargné notre peine pour trouver la vérité et je ne comprends pas l’attitude de l’Armée française qui fait de la rétention d’informations et qui donne l’impression de se battre contre un moulin à vent. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Mémoria : Votre père et vous êtes déjà venus à Palestro après 1962 ? Karine Keller de Schleitheim : Non, jamais. Nous n’avons jamais eu mention de cet endroit (Ouled Djerrah, ndlr) avant l’an dernier comme étant la région supposée de mon père dans ce que nous avons pu consulter ; le lieu a sciemment été omis, car il y a vraiment une volonté de cacher les faits. Mais mon père espère toujours, néanmoins, retrouver de la famille du côté de Palestro. Je ne comprends pas ce qui a poussé des soldats qui venaient de raser le village à faire d’un petit musulman la mascotte de leur régiment… Je ne comprends pas non plus pourquoi, après si longtemps, l’Etat français reste muet sur ce sujet ? Que craignent les autorités françaises ? Et aujourd’hui encore les anciens commandos parachutistes ne veulent pas parler. Franchement, je ne comprends toujours pas pourquoi ils ont ensuite séquestré un enfant au ( 73 ) point d’en faire leur mascotte qu’ils ont appelée Maxime, allusion au code d’indicatif du commando. Mémoria : Par quel miracle votre père a-t-il échappé au massacre, car il est le seul survivant du hameau ? Karine Keller de Schleitheim : En 2011, nous avons rencontré, en France, un soldat qui était présent sur les lieux du massacre. Il nous apprendra qu’un militaire a voulu tuer mon père, mais il l’en a empêché, alors ils en sont venus aux mains, car le laisser en vie ne faisait pas l’unanimité. Je suppose qu’ils étaient même décidés à ne laisser aucun blessé derrière eux. Quoi qu’il en soit, normalement, les morts sont fouillés et les soldats ont dû sans doute relever leur identité. Mon père m’a appris qu’il se souvient certainement avoir eu un frère jumeau. Il en est sûr et certain. Contrairement à ce qui a été déclaré auparavant, c’est ma grand-mère, Yvonne Keller, qui avait confié à son amie, Suzette Pitavi, qui habitait Birkhadem et qui était mariée avec l’avocat Pierre Pitavi, du barreau d’Alger, que mon père se prénommait Ali. Cela est très émouvant… Mais ces quelques indices relanceront peutêtre les recherches, je suis optimiste et j’espère trouver une piste. C’est le but assigné à mon livre... Un dernier mot… Karine Keller de Schleitheim : Je vous remercie de m’avoir offert cette opportunité de m’exprimer en Algérie, peut-être que des échos parviendront au cœur même de la région où est né mon père. C’est important de faire toute la lumière sur le passé et je garde l’espoir d’y parvenir. Entretien réalisé par Abderrachid Mefti www.memoria.dz Lettre de Karine Keller De Schleitheim au Président François Hollande « Monsieur le Président de la République, Si je vous adresse cette lettre pour introduire mon ouvrage, L’Enfant soldat de Palestro, c’est bien parce que ce livre aborde des thèmes qui vous seront chers : le combat pour les valeurs démocratiques, le combat pour la paix, pour la tolérance, pour la non-violence, pour la réconciliation et l’entente entre les peuples au-delà de tout ce qui peut les désunir. Vous l’aurez compris, ce livre traite de la guerre d‘Algérie, en stigmatisant les abus du système colonialiste français. C’est un livre qui s’inscrit contre le déni de mémoire et pour la reconnaissance des erreurs du passé. J’estime qu’il est de notre devoir, à tous, de témoigner. Comme vous certainement, j’ai entendu un concert de voix s’élever pour que le chef de l’État français actuel reconnaisse les errances dans le traitement de la crise algérienne par les gouvernements en place à l’époque, successivement de gauche, puis de droite. Certes, la tâche est embarrassante, car c’est un dossier qui reste, malgré le temps passé, toujours brûlant. Ce livre s’inscrit contre ce que j’appellerai le déni de mémoire et pour la reconnaissance des erreurs du passé afin de construire un monde juste. Ainsi, qu’il me soit permis de joindre ma voix à celles des autres s’élevant pour vous prier, à l’occasion du cinquantième anniversaire de l’Indépendance de l’Algérie, de faire un geste symbolique, comme vous avez eu le courage de le faire pour la rafle du Vel d’Hiv. Le temps de la réconciliation n’est-il pas venu ? J’ai écrit ce livre pour que la France contemple son passé colonialiste en face. Prendre possession de l’Algérie en 1830, ce fut comme ouvrir la boîte de Pandore. Bien des maux s’en échappèrent, pour le malheur des hommes. Durant ces 130 années d’occupation, la France y a perdu son âme. Elle a cessé d’incarner les droits de l’Homme, et, ironie du sort, elle dut affronter un peuple qu’elle avait réduit en esclavage et qui combattait pour l’idéal révolutionnaire du Siècle des Lumières : « Liberté, Égalité, Fraternité ». Encore aujourd’hui, la France ne peut plus s’ériger en garante des valeurs humaines universelles, tant que durera son amnésie. Non à une France amnésique ! Le conflit qui l’a opposé à l’Algérie n’est pas un détail de l’Histoire, pas plus que ne fut la Shoah. Dire le contraire serait pur négationnisme. Plus que jamais, il importe de dire la vérité sur ce qui s’est réellement passé. Au nom de tous ceux qui vous écrivent pour connaître une triste vérité, parlez, Monsieur le Président de la République ! Ne restez pas silencieux ; l’État doit apporter des réponses à tous ces gens qui sont en quête de vérité. Refuser de parler, c’est être complice. Enfin, ce livre vient appuyer la requête de cet enfant soldat, pupille de la Nation, dont la photographie illustre la couverture de ce livre. Apprenez que toute sa vie, il a attendu une réponse que vous seul pouvez lui fournir. Il voudrait tout simplement que vous l’aidiez dans la reconquête de son identité perdue, volée par l’État français depuis toutes ces années. Une rubrique le concernant se trouve pourtant au Château de Vincennes éclairant son histoire depuis les origines. Vous seul pouvez lui rendre ce qui lui a été volé : son identité. En quoi est-ce si important ? Mettez-vous un instant à sa place. Imaginez que vous soyez un enfant trouvé sur un champ de bataille… un bien piètre champ de bataille en vérité, ayant opposé des militaires suréquipés, surentraînés, à des civils désarmés, sans défense. Autour de vous, le sol est jonché de cadavres et vous pleurez dans les bras de l’un d’eux… une femme, votre mère peutêtre ?... sans doute. (Pardonnez-moi ce qu’une telle image peut avoir de choquant ; c’est la triste réalité de la guerre). Mais une chose est sûre, cette femme a su protéger cet enfant. Les faits sont là ; on ne peut les nier, car c’est au cours d’une opération dite de « maintien de l’ordre » que l’enfant fut récupéré par des paras, puis ramené à la base aérienne 146 de la Réghaïa, pour y devenir la mascotte du commando 40/541. En 1959, il sera baptisé par l’aumônier militaire et aura pour parrain l’architecte et peintre Jean Pandrigue de Maisonseul, ami de Camus et de Le Corbusier, et pour marraine, son épouse, Mireille. Le prénom de « Maxime », indicatif radio du CPA 40/541, lui sera alors donné comme nom de baptême, en hommage aux hommes du commando qui l’avaient trouvé et pris sous leur aile sur la base de Réghaïa. Mais l’adoption plénière effaça toutes les traces de sa véritable identité. Cet enfant, devenu adulte, se heurtera toujours au même mur, chaque fois qu’il posera cette question pourtant fondamentale : « Qui suis-je ? » Imaginez que vous vous posiez cette question toute votre vie. À leur tour, vos enfants se la poseront, car cette interrogation se transmet de génération en génération, comme un héritage, comme un fardeau, l’éternel rocher de Sisyphe qu’il faut porter au sommet de la montagne. Cela porte un nom, le fait de cacher à quelqu’un son nom de famille : c’est le crime de l’identité. Par conséquent, cette requête est légitime. Cet enfant soldat devenu adulte vous la fait sans rancœur et sans haine, comme il l’a faite, sans succès, à vos prédécesseurs. Dénoncer un crime est une raison de vivre et d’espérer, surtout commis envers un enfant. Mais le forfait de l’ancienne République devient le crime de la suivante, si, à son tour, la nouvelle République ne met pas tout en œuvre pour le réparer. Cachez un crime, il éclate au grand au jour ! Ainsi est-on en droit d’attendre d’un État qu’il répare ses torts. Cet enfant devenu aujourd’hui un homme connaîtra-t-il un jour son identité ? L’État français daignera-t-il la lui restituer, après l’avoir si longtemps cachée ? Que justice soit faite ! Une histoire individuelle ne doit pas être niée, a fortiori quand elle est intimement liée à l’État. Toutes ces histoires individuelles mises bout à bout font l’Histoire universelle, celle qui servira peut-être de modèles à d’autres hommes, ou celle qu’il faut combattre, pour qu’elle ne se reproduise plus jamais, celle en tout cas dont il faut garder la mémoire pour en tirer des enseignements. Et l’histoire coloniale française, par son ampleur, par ses conséquences, en France et dans le monde, vaut la peine d’être transmise aux générations futures. Aussi mérite-t-elle d’être tirée de l’oubli, du mensonge. Chaque vie compte et tant que l’on en méprisera ne serait-ce qu’une seule, l’Humanité sera toujours en danger. Alors, j’ose espérer, Monsieur le Président de la République, que vous ne décevrez pas une attente aussi forte dans sa quête opiniâtre, l’espérance restée enfermée au fond de la boîte de Pandore, car vous incarnez un esprit nouveau, celui du changement.» Karine Keller De Schleitheim L’Enfant Soldat MAXIME DE SCHLEITHEIM Interné dans une caserne contre son gré L’enfant otage d’un régiment de parachutistes Par Abderrachid Mefti Guerre de libération Q u’est-ce qui a bien pu pousser l’armée française à faire d’un enfant musulman algérien, dont les soldats venaient de raser le village et tué ses parents, la mascotte de leur régiment ? Le mystère reste entier... Aussi, cet enfant qui marche à peine grandira-t-il sur une base Histoire militaire ! Maxime porte sur son béret l’insigne des commandos de l’air : un cercle qui réunit l’aile et l’étoile, entrant dans la composition du personnel navigant de l’armée de l’air et la dague, symbole des actions du commando. Maxime sera baptisé en octobre 1959 par le père Lepoutre, aumônier militaire de la 5e région aérienne en Algérie. Chose curieuse, il portera déjà le nom de sa mère adoptive, l’assistante Le certificat médical établi par le capitaine Roger Joseph, médecin-chef de la base aérienne 146 de Réghaïa Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA .. ((76 76)) principale interarmes de l’Afrique du Nord, alors que l’adoption plénière ne sera effective qu’au 9 décembre 1959. Il aura pour parrain Jean Pandrigue de Maisonseul, directeur départemental de l’Habitat à Alger et ardent défenseur de la cause algérienne, et pour marraine, son épouse Mireille, qui avaient comme amis Albert Camus, Le Corbusier, Pablo Picasso, Max-Pol Fouchet et le philosophe André Mandouze. Le 26 mai 1956, il est arrêté par l’armée française puis emprisonné pour avoir essayé de négocier une trêve avec le FLN. Défendu énergiquement par Albert Camus, il retrouvera rapidement la liberté. En 1962, Jean de Maisonseul reste en Algérie et devient conservateur du Musée national des Beaux Arts d’Alger. Il entreprendra et réussira des démarches auprès de l’Etat français pour la restitution à l’Etat algérien de trois cents toiles détenues par le Musée du Louvre. En 1975, il quitte l’Algérie pour s’installer à Cuers, près de Toulon (Var) où il décède le 3 juin 1999. Quand Maxime est arrivé à la base militaire 146 de Réghaïa, il a passé la première nuit chez le médecin-chef de la base, le capitaine Roger Joseph. C’est lui qui a rédigé le compte rendu de la visite médicale de cet enfant récupéré à Palestro, qui deviendra la mascotte du GCPA 40/541. Lors de la visite médicale, le médecin-chef, le capitaine Roger Joseph, de la base aérienne 146 de Réghaïa, établit un certificat Supplément Supplément N° N° 09 -41 Janvier - Novembre 2013. 2015. Guerre de libération Histoire médical truffé de maladresses professionnelles. Le compte rendu du médecin comporte un certain nombre d’anomalies, voire d’inexactitudes. Selon les informations recueillies par sa fille, plusieurs détails ont été omis : l’ethnie de cet enfant est pour le médecin «difficilement précisable» ; or il aurait pu au moins préciser la langue qu’il parlait, la tribu à laquelle il appartenait, car il y avait sur la base des spécialistes en linguistique qui connaissaient les dialectes de la région, les ethnies et les coutumes de ces populations. Le nom de ses parents ne se trouve consigné nulle part, alors que la population des villages était recensée afin de connaître les déplacements des combattants de l’ALN. Il faut savoir que le 11e Choc, service action de la DGSE, était stationné sur la Base 146 de Réghaïa. Tous les éléments nécessaires étaient donc disponibles pour connaître avec précision l’ethnie, le village et le nom de l’enfant, puisque les naissances étaient enregistrées à la mairie. Quant aux morts, ils étaient photographiés et répertoriés après les batailles. Son teint blanc n’est pas mentionné. Ses cheveux ne sont pas châtains, mais blonds. Ses yeux ne sont pas gris bleu, mais bien bleus. Sous l’année 1951, on lit 1950. Son année de naissance est manifestement erronée, ce qui est facilement visible sur des photos où apparaissent les dents de lait. A son baptême, le 25 octobre 1959, on voit que LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Document établi par le médecin-chef de la base, le capitaine Roger Joseph Maxime mesurait bien plus que 1,01 m : il n’y a qu’à comparer la taille de Maxime sur les photos du baptême avec celle des paras qui l’entourent, et qui n’étaient généralement pas des nains, pour donner une échelle de grandeur. Maxime devait mesurer environ 1,20 m. Différentes photos prises sur la base militaire montrent que Maxime a grandi depuis, ce qui ( 77 ) prouve que la date de son arrivée à Réghaïa est bien antérieure à la rédaction de ce compte rendu. Sa première tenue militaire était minuscule, et certainement pas celle d’un enfant de 6 ans et demi. De plus, on voit que Maxime a eu des âges différents sur la base, prouvant qu’il y est resté plusieurs années : il porte différentes tenues militaires à mesure qu’il grandit. www.memoria.dz www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Fac-similé de la réponse transmise à l’UNP de Bergerac (Gironde), suite aux sollicitations de Maxime Keller de Schleitheim Le rapport parle de 1,01 m, ce qui doit correspondre en réalité à un enfant âgé d’un peu moins de 3 ans et demi, d’autant que Maxime aura une belle courbe de croissance et mesurera à l’âge adulte 1,81m, si l’on se réfère, avec cette donnée, à la courbe de croissance des garçons, publiée sur le site du Groupe français d’auxologie, la science de la croissance. On comprend mal pourquoi la date de naissance est fixée au 18 décembre 1951, alors que 15 jours plus tard il aurait été en janvier Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . 1952, ce qui aurait été plus avantageux au niveau des études et du sport où une année est importante pour changer de catégorie. Il se trouve donc pénalisé d’une année. Ces inexactitudes sont confirmées par le témoignage du seul commando parachutiste du 40/541 qui a eu le courage de dire ce qui s’était réellement passé : Maxime était âgé de 3 ou 4 ans quand il a été trouvé, «plutôt trois que quatre». C’est lui qui l’a ramené à la base aérienne 146 après une opération militaire de ( 78 ) «maintien de l’ordre», à Palestro, en 1956. A cette époque, les populations civiles ont été victimes des représailles de l’armée française, à la suite de l’embuscade dite de Palestro, survenue le 18 mai 1956. Ce document établi par le médecin-chef de la base a donc été rédigé a posteriori, peut-être afin de légaliser la situation de Maxime sur la base militaire, ou pour d’autres raisons. Mais une chose est sûre : le médecin-chef Roger Joseph n’était pas versé dans la science de la croissance des enfants. Le docteur en chef de la base 146 de Reghaïa, Roger Joseph, est toujours en vie et réside actuellement avec son épouse dans le département des Pyrénées Atlantiques. Il est âgé de 83 ans et détient des informations précieuses sur l’origine de Maxime mais ne veut rien dévoiler. Même l’Union nationale des parachutistes (UNP) n’a pas réussi à faire parler le docteur Roger Joseph Maxime et le Colonel Daviron Le Colonel Daviron était inspecteur des institutions de l’action sociale des forces armées en Algérie, commandant en chef du service régional interarmées de l’action sociale. Il fut également l’ami de la future mère adoptive de Maxime, Yvonne Keller. En 1959, une délégation du CPA 40/541 assista au baptême de Maxime. Parmi ces commandos Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Maxime à Alger, avec sa caravelle, offerte par Pierre Daviron (fils aîné du Colonel Daviron) lorsqu’il est venu à Alger pour le décès de son frère. Ce dernier faisait son service militaire en tant que pilote d’hélicoptère. Au cours d’une livraison d’armes, il a explosé en vol, accidentellement. C’est le colonel Daviron qui signera le 13 août 1959 le certificat d’origine tenant lieu d’acte de naissance de Maxime, pupille de l’assistance publique. parachutistes, on peut identifier Claude Ranfaing, deuxième à partir de la gauche, qui deviendra en 2006 le grand prieur magistral de l’Ordre des templiers. Cette même année 1959, François Coulet, commandant du GCPA 541, fait ses adieux aux armes pour devenir directeur des affaires politiques à Alger. Aujourd’hui plus que jamais, l’histoire de Maxime Charles Keller de Schleitheim va sans doute défrayer la chronique, aussi bien en Algérie qu’en France, car maintenant qu’elle est portée à la connaissance de l’opinion publique cela fera certainement délier des langues. Sa famille est fermement décidée à aller à la recherche de la vérité. Des démarches sont entreprises en Algérie, dans la région d’origine de Maxime, particulièrement dans les fichiers de l’état civil de Lakhdaria (ex-Palestro), Ammal et Beni Amrane, afin de retrouver LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 79 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire La délégation du Colonel Coulet au baptême de Maxime la trace d’un éventuel enregistrement de la naissance d’un garçon originaire de Ouled Djerrah, probablement en 1952 ou 1953. Quant aux archives de la guerre d’Algérie détenues par l’Etat français, elles recèlent des éléments précis sur l’affaire maxime puisque l’administration militaire de la base 146 de Réghaïa était censée gérer tout ce qui touchait à l’activité quotidienne de cette base depuis son installation jusqu’à 1962. Sources : - DossierMaxime présenté par Karine Keller - Divers documents sur la base 146 de Réghaia (1954-1962) Abderachid Mefti Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 80 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Abdelkrim Hassani Authentique soldat de l’ombre Le défunt Abdelkrim Hassani, officier de l'ALN, responsable national de la formation des opérateurs radio, commandant de la base nationale Didouche-Mourad. Par Leila Boukli Guerre de libération Histoire Abdelkrim Hassani dit Si El Ghaouti est le quatrième d’une fratrie de 8 enfants, 5 garçons et 3 filles. Son cadet Chérif, instituteur à Biskra, mourra à Guelma d’où est originaire sa bellef amille, à la suite des événements du 8 Mai 1945. Issue d’une famille de Chorfa, le père Hassani Ben Rabah exerce le métier de cadi à Biskra, ville où Abdelkrim voit le jour, le 23 février 1931. Il y entame ses études primaires, qu’il poursuivra à Batna avant de rejoindre le lycée Albertini de Sétif où il obtient son baccalauréat avec mention bien. D evenu en 1948, membre du Parti du peuple algérien (PPA) alors qu’il était encore au lycée, il s’engage véritablement dans la lutte armée contre le colonialisme français en 1955 en tant que membre de l’organisation politique FLN. Il sera appréhendé cette même année 1955 par la police à Biskra et en 1956 à Tizi Ouzou. Son amour du pays le poussera à abandonner ses études à l’université d’Alger lors de la grève des étudiants du 19 Mai 1956 où il était membre actif de l’UGEMA. Il rejoindra ensuite la Wilaya V pour devenir officier et être l’un des principaux collaborateurs de Abdelhafid Boussouf, responsable du MALG. Nommé lieutenant vers la fin des années 1956, il est chargé de l’instruction du corps des trans- missions. Après avoir dirigé les écoles des transmissions de l’ALN, il reçoit l’ordre en 1959 de rejoindre le ministère de l’Armement et des Liaisons générales du GPRA à Tunis pour la formation d’opérateurs en transmissions. Il supervise la formation de la 5e promotion des transmissions de l’Est. Il est chargé du commandement de la base nationale de la documentation et de la recherche, dite « base Didouche- 1- Abdelhafid Boussouf, 2- Omar Boudaoud à la base Didouche-Mourad Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 82 ) Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire Mourad », fonction qu’il assumera jusqu’à l’indépendance. Après l’indépendance, il deviendra directeur des Transmissions nationales à la Présidence puis directeur de cabinet au ministère de l’Intérieur et directeur général de la Fonction publique en 1976, député puis membre du Comité central du FLN et enfin retraité. Président dans les années 1990 de la Confédération des industriels et des producteurs algériens (CIPA). Abdelkrim Hassani a obtenu un doctorat en droit comparé en arabe et un doctorat de physique. Il occupera d’autres responsabilités toutes aussi importantes, notamment directeur général de la Caisse des retraites (GCRA), directeur général de l’Entreprise nationale des systèmes informatiques (ENSI); président et membre actif du Patronat algérien, rapporteur du CNES, président d’honneur de l’Association d’amitié algéro-vietnamienne et membre fondateur de l’Association nationale des moudjahidine de l’Armement et des Liaisons générales. A la fin des années 1980, Abdelkrim Hassani a écrit Guérilla sans visage qui relate la naissance du corps des transmissions pendant la guerre de libération. Le livre contient des documents de l’époque et de nombreuses photos et se veut un autre témoignage sur la guerre de l’ombre. Le regretté Hassani n’a pas cessé ces dernières années d’apporter ses témoignages sur la guerre de libération nationale en prenant part à tous les débats et tables rondes sur l’histoire de la Révolution algérienne, notamment la mise en place des LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE 1- Abdelkrim Hassani dit Si El Ghaouti, 2- Nelson Mandela De g. à dr.: Rabah Bitat, Hocine Aït Ahmed, Abdelkrim Hassani et Ahmed Ben Bella De dr. à g.: Abdelkrim Hassani , Ahmed Ben Bella, Rabah Bitat, Khider et Hocine Aït Ahmed ( 83 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Abdelkrim Hassani dit Si El Ghaouti, au milieu de la photo 1- Abdelkrim Hassani 2- Mouloud Kacem Naït Belkacem avec une délégation étrangère A dr.: Abdelkrim Hassani et Ferhat Abbas Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 84 ) réseaux de transmissions radio. Nos lecteurs le découvraient dans notre magazine aussi à travers ses écrits et contributions sur le thème. Très proche de la famille Ben M’hidi, notamment du chahid Mohamed-Tahar, son futur beau frère, Abdelkrim est l’époux de Drifa Ben M’hidi, soeur également de Larbi, qui nous révèle que Si El Ghaouti a laissé un livre inachevé sur Mohamed-Tahar. Ils ont ensemble fréquenté la zaouïa Ben M’hidi à Ain M’ila, reconstruite après qu’elle fût totalement détruite par l’armée française, en 1830, ce qui provoqua l’exil vers Tunis de l’aïeul Ben M’hidi ; ensemble, ils fréquentent l’université d’Alger, rejoignent la lutte armée le même jour, l’un vers l’Est, Wilaya II, et l’autre vers l’Ouest, Wilaya V. Ces amis qui, fait du hasard, naîtront le même mois, février, se sépareront en se faisant la promesse solennelle qu’en cas de malheur de l’un ou de l’autre, le survivant s’occuperait des mamans et des soeurs respectives. Mohamed-Larbi tombera au champ d’honneur en 1957. Abdelkrim Hassani dit El Ghaouti respecta le pacte passé entre les deux, jusqu’au vendredi 5 novembre 2010 où il quitta ce monde à l’âge de 79 ans, à la suite d’un accident cérébral, survenu à l’hôpital militaire de Ain Naâdja (Alger). Il est inhumé au cimetière d’El Alia d’Alger. Leila Boukli Supplément N° 41- Novembre 2015. Claudine Chaulet n’est plus Octobre funeste pour les Chaulet Par Hassina Amrouni Guerre de libération Histoire Après Pierre, disparu le 5 octobre 2012, son épouse Claudine le rejoint trois ans plus tard, un 29 octobre. Les deux militants nationalistes sont enfin réunis dans l’éternité. I ls avaient embrassé la cause des Algériens et rallié la Révolution de novembre 1954. Ils ont accompagné le peuple algérien dans son combat pour la liberté, portés par des principes et des idéaux auxquels ils n’ont jamais dérogé. Le peuple algérien, aujourd’hui libre, s’incline humblement devant leur valeureuse mémoire. Après Pierre, il y a seulement trois ans, voilà que nous pleurons aujourd’hui Claudine. Femme courage, femme d’exception. Elle s’en est allée, dans le sillage d’une commémoration, celle de novembre et de sa révolution, novembre, c’était il y a 61 ans. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . De Longeau à Alger Fille d’un officier de gendarmerie et d’une enseignante, Claudine a vu le jour à Longeau en HauteMarne le 21 avril 1931. En 1939, les Guillot s’installent dans le sud de la France. Dans Le Choix de l’Algérie, co-écrit av ec son époux et paru en 2012 aux éditions Barzakh, on lit à propos de ce premier exode : « Je ne sais toujours pas vraiment pourquoi des gens raisonnables se sont lancés ces jourslà sur les routes, mais je sais très bien, encore maintenant, que c’est de là que date mon déracinement, mon arrachement irrémédiable à ( 86 ) la terre et aux souvenirs, à la maison, à la vie… ». Lorsque le père est nommé à Oran, Claudine et sa famille débarquent sur les côtes algériennes. C’est le premier contact avec un pays auquel elle sera irrémédiablement liée. Séjour de courte durée, retour en France en 1944 puis, retrouvailles avec l’Algérie à partir de 1946. Claudine, alors âgée de 17 ans, rejoint les bancs de la Faculté des Lettres d’Alger et a comme professeur André Mandouze, venu en Algérie pour préparer une thèse sur Saint-Augustin. Mandouze, connu pour son franc-parler et ses idées anticolonialistes – il sera signataire du Supplément N° 41- Novembre 2015. Guerre de libération Histoire « Manifeste des 121 » (texte signé en 1960 par des intellectuels français qui dénoncent la guerre), et finira par être expulsé d’Algérie par les autorités coloniales –, fera fort impression sur la jeune femme qui s’intéressera, elle aussi, aux luttes de ce peuple opprimé. Claudine, de plus en plus engagée dans ses idées et ses positions, milite intensément pour la cause algérienne, en participant notamment à la réalisation de la revue Consciences algériennes. Alors qu’elle retourne en 1952, à Paris pour suivre des cours d’ethnologie à la Sorbonne, elle n’hésite pas à prendre sous son aile plusieurs émigrés algériens, auxquels elle dispense des cours du soir. Rencontre avec Pierre Chaulet Le 21 décembre 1954, quelques semaines après le déclenchement de la guerre de libération nationale, elle rencontre au domicile d’André Mandouze, à Hydra celui qui deviendra son époux : Pierre Chaulet, jeune interne en médecine, très engagé dans l’action sociale, en contact avec les indépendantistes. Les deux jeunes militants discutent du contenu du dernier numéro de la revue, de cet échange naîtra une étincelle. Elle écrira encore à propos de cette soirée dans le livre Le choix de l’Algérie : « Ce soir-là sont venus les deux Pierre (Chaulet et Roche) et deux personnes non prévues qui avaient besoin d’asile, Abdelhamid Mehri et Salah Louanchi (…) Quand vers la fin de mon séjour, le 6 janvier 1955, Pierre Chaulet m’a demandé si j’étais d’accord pour continuer avec lui, j’ai dit oui.» LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Claudine et Pierre Chaulet ( 87 ) www.memoria.dz Guerre de libération Histoire Le couple qui partage beaucoup de points communs décide de sceller son union par un mariage catholique qui sera célébré le 12 septembre 1955 en l’église d’Hussein-Dey, cérémonie officiée par le Père Jean Scotto. Un couple au cœur de la guerre d’Algérie Unis pour le meilleur et pour le pire, Pierre et Claudine Chaulet entreront ensemble et de plainpied dans la guerre de libération nationale. Aux côtés d’autres militants nationalistes, ils se joindront au combat de tout un peuple pour recouvrer son indépendance. « J’étais syndicaliste en essayant de défendre les intérêts des étudiants. J’avais compris que le 1er Novembre était un événement extraordinaire qui allait donner enfin un sens aux luttes. C’est donc tout naturellement que je me suis engagée aux côtés de Pierre...», confiera-t-elle encore dans son ouvrage-témoignage. Au mois de septembre 1955, le couple rencontre Abane Ramdane, l’un des dirigeants du Front de libération nationale. Il sera décrit dans le livre des Chaulet comme un homme « un peu enveloppé, très sympathique et direct ». Il leur pose alors la question de confiance : « Est-ce que l’organisation peut compter sur vous ? » Ils répondent séparément par l’affirmative. L’organisation leur confie plusieurs tâches : transport de tracts, évacuations de militants recherchés par les forces coloniales, ainsi que d’autres missions délicates que Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . les auteurs racontent dans leur ouvrage. On leur confiera même le transport de la plate-forme de la Soummam que Claudine cachera dans les langes de son bébé et la délicate mission d’exfiltration d’Abane Ramdane. En effet, tandis que son époux est arrêté le 27 février 1957 par les policiers de la Direction de la surveillance du territoire (DST), Claudine se retrouve seule chargée de l’exfiltration d’Abane Ramdane. Toujours accompagnée de son bébé, elle aide le dirigeant FLN à sortir de la capitale alors quadrillée par les parachutistes français. Au volant de sa 2 CV, elle lui fait rallier Blida et ce n’est qu’une fois sa mission accomplie qu’elle peut enfin se laisser aller et pleurer l’arrestation, le même jour, de son époux. A la libération de Pierre et à la suite de son expulsion d’Alger, le couple part en France pour quelque temps, avant de rejoindre la Tunisie. Claudine enseigne à la faculté de lettres et sciences humaines et poursuit des recherches en sociologie rurale dans la région de l’Enfida. Sous la contrainte d’un exil forcé, le combat se poursuit plus âpre et plus engagé que jamais à partir de Tunis jusqu’en 1962. Au lendemain de l’indépendance, le couple décide de rester dans ce pays qu’ils ont choisi de défendre au péril de leur vie. Pierre, médecin, travaille dans le secteur de la santé, tandis que son épouse rejoint l’Institut national de la recherche agronomique. Elle est fondatrice du Centre national de recherche en économie ( 88 ) et en sociologie rurales qui mène des enquêtes dans les domaines autogérés (elle publiera en 1980 : La Mitidja autogérée. Enquête sur les exploitations autogérées agricoles d’une région d’Algérie, 1968-1970) puis dans les coopératives de la Révolution agraire jusqu’en 1975. La même année, elle est enseignante à l’Institut de sociologie et chercheur au Centre de recherche en économie appliquée (CREA), et responsable de l’équipe « Economie et sociologie rurale ». Elle soutient sa thèse de Doctorat en 1984, avant de devenir maître de conférences, professeur de sociologie à l’Institut de sociologie puis directrice de recherches au CREAD jusqu’en 1994. Au milieu des années 1990, alors que l’Algérie sombre dans les abysses de la violence terroriste, Pierre et Claudine Chaulet quittent le pays pour quelques années. A leur retour en 1999, Claudine continue à encadrer des thèses de magistère en sociologie. Elle prend sa retraite en 2010. Quelques mois après la parution de Le choix de l’Algérie aux éditions Barzakh en 2012, Pierre décède, il est aujourd’hui rejoint par son épouse. C’est du sommeil des justes que Claudine et Pierre reposent désormais au cimetière d’El Madania. Hassina Amrouni Sources : *Divers articles de la presse nationale Supplément N° 41- Novembre 2015. Par Hassina Amrouni Ain Témouchent Histoire d'une ville Située à quelque 70 km à l’ouest d’Oran, au confluent des oueds Senane et Témouchent, la ville d’Ain-Temouchent occupe une place stratégique, en raison de sa proximité avec trois grandes villes de l’ouest algérien, à savoir Oran, Sidi Bel Abbes et Tlemcen. L a ville tire son nom du berbère Thala N’ Touchent qui signifie « Source du chacal ». D'ailleurs, les Témouchentois l'appellent « Aïn el diba ». Elle changera ensuite de nom, au fil des occupations et des invasions. Présence humaine millénaire Lors de fouilles archéologiques opérées sur le site d’El-Malah entre 1900 et 1910, des vestiges datant de la préhistoire, notamment des ossements humains, ont été découverts, prouvant que la région a été habitée depuis les temps immémoriaux. Les restes de « l'homme de Rio Salado » mis au jour, appartiennent au type dit de Mechta, qui vivait dans les grottes du mont Sidi Kacem, massif surplombant l'actuel village de Terga, il y a de cela 50 000 ans. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 90 ) Vers le IIe siècle avant notre ère, entre 1600 et 1200 avant J.-C., arrivent les Phéniciens. En débarquant sur les rives de la Méditerranée, ils vont établir un comptoir commercial qui va permettre à Sufat – nom qui lui sera donné par les Phéniciens – de s’ouvrir aux autres cités du pourtour méditerranéen. Les Romains arrivent à Sufat vers la fin du Ier siècle. Seius Avitus, procurateur de l’empereur romain Hadrien, érige en 119 des fortifications militaires afin de se prémunir contre les attaques ennemies. Sufat sera rebaptisée « Proesidim Surfative » puis se développera pour devenir une grande cité romaine répondant au nom d’Albulae (ville blanche). Ainsi, celle qui, au départ, n’était qu’un poste militaire finit par s’étendre, donnant ainsi à l’administration civile le relais. La région s’ouvre alors au commerce et à l’agriculture. La cité prospère jusqu’à l’in- Supplément N° 41 - Novembre 2015. vasion des Vandales, connus pour semer la destruction sur leur passage. Tentant de faire face au chaos imposé par les troupes d’Hunéric, les Berbères multiplient les révoltes mais ils ne parviennent pas à sauver grand-chose, le vandalisme est passé par là. Les Byzantins leur succèdent apportant leur lot de changement et imposant leurs mutations sociales. Arrivée des Arabes Lorsqu’il investit l’Oranie en 699, Sidi Okba parvient à convertir à l’islam une bonne partie de la population berbère. Il rencontre dans un premier temps une farouche résistance de la part de la population autochtone de confession chrétienne mais cette dernière finira par cohabiter avec ces nouveaux arrivants, plutôt que de livrer une nouvelle fois ba- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE taille. Après leur installation, les Arabes construisent le Ksar Ibn Senan qui sera décrit par l’historien Al Bakri dans un de ses ouvrages comme étant entouré d’agréables jardins arrosés par l’Oued Senan. La vie suit son cours, sans trop de bouleversements jusqu’à ce qu’un gros tremblement de terre, survenu au VIIe, siècle finit par raser la ville. Bien qu’on ne sache pas beaucoup sur la période qui va suivre, les historiens rapportent que les Zenata, notamment la tribu des Maghraoua – qu’on a dit de confession chrétienne – va occuper AinTemouchent et s’attaquer sous la houlette de son chef Khâlid, à une armée arabe dans une bataille appelée « Combat des Nobles » et qui se soldera par la mort du chef fihrite et de plusieurs personnalités de la noblesse arabe qui l’a soutenu lors ( 91 ) Histoire d'une ville Ain Témouchent La ville de Aïn Témouchent www.memoria.dz Histoire d'une ville Le mausolée royal de Syphax de ce combat. Ain-Temouchent sera soumise aux Idrissides puis aux Omeyyades de Cordoue, mais cette dernière se dispute la région avec les Beni Ifren. Bénéficiant d’une paix relative grâce à l’intervention d’un marabout, Ain-Temouchent vivra à nouveau dans le remous avec la crise Fatimide et l’arrivée des Almoravides dans la région à partir de 1070 auxquels succèderont les Almohades. Après l’invasion hilalienne, les Beni Ameur viennent s’installer à Ain-Temouchent. Alliée des Espagnols qui se dirigent vers Tlemcen, cette tribu soutiendra en 1542, Hassan Pacha qui tente de reprendre la capitale des Zianides, tentative qui se soldera par un échec. Confrontée une nouvelle fois aux Turcs, elle parviendra finalement à connaître la paix pendant près de deux siècles. Une mosquée d'Aïn Témouchent Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 92 ) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Après la prise d’Alger par le nouveau colonisateur français, la population autochtone se soulève un peu partout à travers le pays. Les Beni Ameur dont le chef, Si Mahieddine, n’est autre que le père de l’Emir Abdelkader vont s’organiser sous la houlette de ce dernier et attaquer en mai 1831, la garnison d'Oran tenue par les Français, une tentative infructueuse qui sera suivie de beaucoup d’autres, menées pendant 17 ans par l’Emir. C’est d’ailleurs à la suite des accrochages du 6 juillet 1836 entre les hommes de l’Emir Abdelkader et les troupes françaises que le général Bugeaud décide de brûler Ain-Temouchent en signe de représailles. Les Béni Ameur répliquent avec force, obligeant les Français à engager des pourparlers qui aboutiront à la signature, le 30 mai 1837, du Traité de la Tafna, reconnaissant par là la souveraineté de l’Emir sur une bonne partie de l’Algérie mais préservant, toutefois, Ain-Temouchent et ses camps fortifiés, la région étant jugée trop stratégique. Le 26 décembre 1851, un décret signé par le président français, le prince Bonaparte va permettre la création d’un centre de population à la place du camp militaire implanté initialement. La ville est d’abord circonscrite dans l’enceinte fortifiée, avant de voir, dès 1887, la création d’autres quartiers, élargissant ainsi la ville vers le nord, le nord-ouest et sud-ouest. Les colons français et européens commencent à s’installer dans la région dès 1848, la ville offrant de plus en plus de commodités de vie et, deux ans plus tard, le général Pelissier, commandant de la province d’Oran décide de l’établissement d’un « centre de 300 LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE ( 93 ) Ain Témouchent Aïn-Témouchent brûle feux » (foyers). Une année plus tard, Ain-Temouchent compte déjà 420 Européens, une population qui ira en grossissant puisqu’un recensement établi en 1869 fait état de l’installation de 2492 Européens dans la région contre Histoire d'une ville www.memoria.dz Histoire d'une ville Ain Témouchent L'ancien marché hebdomadaire 1737 Algériens et 333 Israélites, chiffre qui passera en 1926 à 8915 Européens contre 4994 Algériens, soit le double. Les occupants étrangers qui prennent possession des terres et des richesses de la population locale vont se lancer dans la culture de la vigne, une culture qui fera la réputation de la ville. Déclenchement de la lutte armée Au lendemain du déclenchement de la guerre de libération nationale, Ain-Temouchent entre de plain-pied dans la lutte envoyant ses plus valeureux fils rejoindre Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 94 ) les maquis de l’Armée de libération nationale. Parmi ses courageux hommes, sacrifiés sur l’autel de la liberté figurent les martyrs Amor Ahmed, compagnon d'Ahmed Zabana, Berrahou Abdelkader dit Kada tombé au champ d'honneur, Maghni Sandid Fatma et d’autres encore. Hassina Amrouni Source : http://temouchent-info.com http://algerie-belle.skyrock.com/ Supplément N° 41 - Novembre 2015. Par Hassina Amrouni Histoire d'une ville Fenêtre ouverte sur le passé, le patrimoine archéologique d’Aïn-Témouchent, qu’il soit à ciel ouvert ou conservé dans les musées, renseigne sur l’histoire millénaire de toute la région. O La colline Skouna utre les vestiges conservés au musée Ahmed Zabaha d’Oran, à l’instar des deux chapiteaux dits de la déesse Maura, mis à jour en 1893, sur le même terrain où fut exhumé quelques années auparavant le document épigraphique commémorant la restauration du temple de cette déesse à Albulae ou encore cette stèle chrétienne datant du Ve siècle, il existe à AïnTémouchent d’autres vestiges historiques méritant une prise en charge effective des autorités concernées afin de les préserver et permettre leur transmission aux générations futures. Tamembrit Site archéologique de Siga Cette cité antique, jadis capitale numide, devenue ensuite ville romaine est située au lieu-dit Takembrit, sur la rive gauche, non loin du fleuve Tafna, commune d'Oulhaça El Gheraba.C’est au sommet de la colline « Skouna » à 220 mètres d’altitude que se trouve le site archéologique et historique. Bien que le nom de Siga ait été cité dès le IVe siècle avant J.-C. par plusieurs auteurs comme Polybe, Pline l'ancien, Strabon, ou Pomponius Mela, il n’en demeure pas moins qu’on ne sait pas trop de choses sur ce site, si ce n’est ce que les fouilles ont révélé. C’est dans les années 1930 que des Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 96 ) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Histoire d'une ville chercheurs commencent à manifester de l’intérêt pour ce site. En 1937, plus exactement, Pierre Grimal y effectue les premières fouilles. Il note dans ses recherches que la population de Siga avoisinait durant la période antique quelque 8000 habitants. Par ailleurs, il relèvera l’existence d’édifices érigés en hauteur. «Sur plus de 4,50m, je n’ai pas rencontré le sol vierge», écrira-t-il. Il ajoutera, par ailleurs, que parmi les vestiges et objets mis au jour, certains appartenaient à la période numide et d’autres à la civilisation romaine. En 1978, d’autres fouilles archéologiques seront engagées par une équipe algéro-allemande où des vestiges seront mis au jour. Ainsi, ont été décou- LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Ain Témouchent Le mausolée royal de Syphax Ruines de Siga situées au lieu-dit Takembrit, commune d'Oulhaça, El-Gheraba ( 97 ) www.memoria.dz Ain Témouchent Histoire d'une ville verts les restes d’une habitation composée de plusieurs pièces, des gravures murales, des outils agricoles et hydrauliques, ainsi que des pièces de monnaies frappées à l’effigie du roi Syphax et de son fils Firmin, la toute première monnaie d’Afrique du Nord. Mais depuis, le site n’a pas révélé Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 98 ) d’autres secrets. Classé monument national en 2014, il a été inscrit dans le plan de protection et de mise en valeur des sites archéologiques adopté la même année par l’APW d’Ain-Temouchent. Pourtant, il continue à être exposé à des actes de vandalisme et de pillage d’où la sonnette Supplément N° 41 - Novembre 2015. Histoire d'une ville Ain Témouchent Un paysage féérique de la côte témouchentoise d’alarme tirée par plusieurs associations locales, à l’instar des « Amis de Beni Saf », « Siga » ou encore l’Office du tourisme de Beni Saf pour que les autorités compétentes agissent au plus vite pour que le site soit enfin protégé. Dernièrement une équipe de chercheurs tchèques a été dépêchée sur les LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE lieux afin d’établir un premier diagnostic, avant que ne soient envisagées voire engagées d’autres actions concrètes en vue de réhabiliter ce site. Hassina Amrouni ( 99 ) www.memoria.dz Ain Témouchent Histoire d'une ville Mausolée royal de Syphax Urgence d’une réhabilitation Situé au sommet de la colline Skouna, sur la rive droite de la Tafna et surplombant à 220 m d’altitude le site de SigaTakembrit, le mausolée royal de Syphax est désigné par les habitants de la région sous l’appellation de « Karkar laâraïess » car pendant longtemps, il a attiré les jeunes mariées qui, le jour de leurs noces, venaient faire le tour du mausolée, suivies de leurs cortèges nuptiaux. En dépit de son importance, ce monument n’a pas joui de l’intérêt qu’il aurait mérité, ne bénéficiant que d’une fouille préliminaire effectuée à la veille de l’indépendance. Cependant, il est régulièrement visité par des pilleurs, en quête d’un éventuel trésor. Le monument fut dégagé et fouillé par G. Vuillemot au début des années soixante. Avant cette date, il était enfoui sous un volumineux amas de bloc de pierres que les habitants de la région désignaient sous l’appellation d’El Kerkoub ou El Kerkar. Bien que des études poussées restent nécessaires pour déterminer avec un peu plus d’exactitude toute l’histoire liée à ce monument funéraire, le mausolée dédié à l’aguelid Syphax qui régna sur le royaume Massaessyle, mérite plus d’attention de la part des autorités compétentes. Hassina Amrouni Sources : - http://algerie-belle.skyrock.com/ -Divers articles de presse Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 100 ) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Par Hassina Amrouni Histoire d'une ville Ain Témouchent L’île de Rachgoun, également appelée Layla, est située à 2 km au large de la côte oranaise. S ’étendant sur une superficie de 26 hectares, l’île plonge à plusieurs centaines de mètres dans les profondeurs de la mer. Figurant parmi les sites classés au patrimoine historique d’Ain-Temouchent, elle semble avoir été habitée depuis la préhistoire même si les objets exhumés par les archéologues et chercheurs lors de fouilles effectuées sur ce promontoire rocheux ne remontent qu’au 7e siècle av. J.-C., avec le débarquement des Phéniciens sur cette rive de la Méditerranée. Il s’agit essentiellement de céramiques qui ont permis une datation exacte. La sentinelle de Rachgoun Culminant à 81 mètres au-dessus du niveau de la mer, le phare de l’île de Rachgoun a été érigé en 1870. D’une hauteur de quinze mètres, ses deux flashs, oscillant toutes les 20 secondes, possèdent par beau temps une portée de 16 miles (29 km). Muni d'un système de fonctionnement à double alternative – l'énergie solaire générée par les rayons solaires et l'énergie électrique produite par un groupe électrogène –, il guide les bateaux transitant par cette partie du golfe de Ghazaouet. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 102 ) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Un statut de réserve naturelle ? Hormis les quatre gardiens chargés de se relayer pour faire fonctionner le phare, l’île de Rechgoun est fort heureusement inhabitée. Véritable réserve naturelle, elle renferme une large variété de plantes et d’animaux dont certaines sont menacés de disparition. D’où l’idée de son classement LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE au statut de réserve naturelle maritime qui a émergé en 2000 afin de la préserver du braconnage. En juillet 2008, la DGF (Direction générale des forêts) entreprend des démarches pour proposer le classement de l'île de Rachgoun comme zone humide ou site Ramsar. Pour cela, l’étude d'expertise est confiée au Pr Semraoui dont la mission consiste à observer la biodiversité de l'île. Le chercheur relèvera, au ( 103 ) Histoire d'une ville www.memoria.dz Ain Témouchent Histoire d'une ville cours de son expédition, la grande variété d’espèces (faune et flore) répandues sur l’île mais dont certaines sont menacées de disparition. Le premier constat établi par le chercheur est un déséquilibre de l’écosystème, en raison d'une surpopulation de goélands et la présence d'une décharge à ciel ouvert. Mais selon lui, l’île demeure un site extraordinaire avec un patrimoine maritime d'une grande richesse. Malheureusement, des espèces ont déjà disparu, comme le dauphin, le phoque-moine ou encore la tortue marine et ce, à cause des actions malveillantes de l’homme qui s’adonne au braconnage sans penser aux conséquences de tels actes. D’ailleurs, des membres de la fondation Nicholas Hulot avaient eux aussi alerté les autorités lo- Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 104 ) cales, lors de leur passage sur l’île en 2006 afin de prendre des mesures urgentes. Au terme de son expertise, le Pr Samraoui a insisté sur la nécessité du classement de cette île. Bien évidemment, cela doit se faire dans le strict respect des normes écologiques pour ne pas altérer les spécificités environnementales du site. Lors de sa récente visite ministérielle, Amar Ghoul, ministre de l’Aménagement du territoire, du Tourisme et de l’Artisanat, avait qualifié l’île de « bijou à valoriser et à réhabiliter ». La balle est désormais dans le camp des décideurs ! Hassina Amrouni Source : Divers articles de la presse nationale Supplément N° 41 - Novembre 2015. Par Hassina Amrouni Ain Témouchent Histoire d'une ville Petit village de la commune d’Oulhaça, dans la wilaya d’Ain-Temouchent, Sidi Yacoub est surtout connu pour sa célèbre mosquée. C onstruite en 1338 par Sidi Yacoub bnou el Hadj el Tlemçani, un des descendants de Fatima-Zahra, fille du Prophète Mohamed (QSSSL), elle sera destinée à l’enseignement du Coran aux habitants du village et à ceux alentour. Sidi Yacoub est né à Tlemcen vers la fin du XIIIe siècle, sous le règne du prince Abdelwadide Abou Said Othman (12821303). C’est dans sa ville natale qu’il entame son cursus scolaire, étudiant le Coran, dès l’âge de 8 ans, notamment auprès de son père El-Hadj. Plus tard, il étudiera les sciences islamiques et approfondira ses connaissances en jurisprudence, surtout à Fez, alors capitale des Mérinides. De retour chez lui, il exerce d’abord la fonction Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 106 ) de cadi avant de s’installer, dès la première moitié du XIVe siècle, à Oulhaça, non loin d’une plage caillouteuse (aujourd’hui plage Sidi Yacoub). Il avait alors pour habitude de faire face à la mer et de méditer. On raconte qu’un jour, alors qu’il se trouvait sur le sommet de la falaise, il vit un voilier espagnol, pris au cœur des vagues. L’ancre est jetée et un canot se dirige vers le rivage. Une fois à terre, les marins demandèrent à Sidi Yacoub : « Serais-tu marabout et aurais-tu jeté un sort contre nous ?», ce à quoi il répondit : « Pas du tout. Je cherche seulement à me procurer du bois de construction ». Ils ajoutèrent alors : « Aide-nous et nous t’en ramènerons à notre prochain voyage », il rétorqua : « Pas la peine, quand vous serez en Espagne, mettez le bois en pile, liez-le puis jetez-le à la Supplément N° 41 - Novembre 2015. Histoire d'une ville LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Ain Témouchent mer en disant : pour toi sidi Yacoub ! Et cela me parviendra ». Ils repartirent et, une fois arrivés à bon port, ils lui firent parvenir le bois demandé. Ce matériau servira à la construction d’une mosquée de « forme carrée, au style andalou et maghrébin avec une toiture à 3 rangées parallèles soutenues par des arcades en cintre brisé et de gros piliers. Le plafond est en arbalétrier et en bois sculpté, semblable à ce qu’on voit à Fez et à Tlemcen, datant de la période mérinide et zianide. » Une fois achevée, Sidi Yacoub y passera beaucoup de temps. La mosquée faisait face à la mer et son emplacement était stratégique, notamment au plan militaire, d’ailleurs, elle sera, un temps, un point de surveillance contre les attaques ennemies qui venaient de la mer. A ce titre, un jour de l’année 1503, des pirates portugais, à bord de sept voiliers, tenteront une incursion mais les villageois, aidés des habitants de la région parviendront à les repousser. Il se consacra dès lors à l’enseignement du Coran et des préceptes de l’islam et les habitants d’Oulhaça, Béni Khaled et Médiouna viendront s’instruire et s’abreuver à la source de son savoir. Versé également dans le soufisme, il éclairait ses congénères de ses connaissances de jurisconsulte, devenant rapidement un saint adulé et respecté pour sa foi, sa sagesse et son altruisme. Sidi Yacoub mourut en 1410 et c’est son fils Ali, après lui son petit-fils fils Sidi Berramdane El-Khalifa et tous les autres descendants qui poursuivront sa mission. Connue dans toute la région, la zaouïa de Sidi Yacoub accueillera de grands noms, à l’image de l’Emir Abdelkader, ( 107 ) www.memoria.dz Ain Témouchent Histoire d'une ville son bras droit El-Bouhmidi ElOulhaçi, cheikh El-Bouabdelli de Bethioua (Arzew). Durant la colonisation, la zaouïa jouera un grand rôle puisque c’est là que les troupes de l’Emir Abdelkader parviendront à venir à bout des forces coloniales françaises, en 1836 lors de la bataille de Sidi Yacoub. Au lendemain du déclenchement de la guerre de libération en 1957, la mosquée de Sidi Yacoub servira de cachette pour les djounoud. Repérée, elle sera bombardée par l’aviation et de nombreux combattants périront en martyrs. La mosquée sera en partie rénovée et ce, grâce à l’engagement des habitants et des fidèles. La zaouïa est aujourd’hui au cœur de la vie cultuelle d’Oulhaça. Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 108 ) En visite dernièrement dans la région, Azzedine Mihoubi, ministre de la Culture, a fait savoir que le dossier de classement de la zaouïa de Sidi Yacoub sera soumis prochainement à son département ministériel par la Direction de la culture de la wilaya afin que le site soit examiné par des experts qui se prononceront ensuite sur son classement en tant que site protégé. Hassina Amrouni Source: http://oulhassa.e-monsite.com/ Livre de Said MOUAS (Ain Témouchent à la recontre du feu sacré) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Bellemou Cheb Nasro Ain Témouchent Histoire d'une ville Connue pour être la ville du raï, Ain-Temouchent a donné à la scène artistique algérienne quelques grands noms de la chanson qui, vivants ou disparus, continuent à en être les dignes ambassadeurs. C onsidéré comme l’une des sommités du chi’îr el melhoun, le parcours de Hadj Khaled Belbey reste méconnu des profanes. Né en 1850 à Oued-Sebbah (commune mixte d'Ain-Temouchent), Khaled Belbey était un poète populaire et soufi dont le style était proche du genre fassih (classique). Epris de savoir, il effectue, après son pèlerinage à la Mecque, un séjour à Damas puis à Baghdad afin d’approfondir ses connaissances. De retour dans sa ville natale, il entreprend dès 1910 l’enseignement du Saint Coran mais il se lance également dans l'écriture de poèmes au style épuré et au vocabulaire recherché. Des poèmes qui feront sa large réputation, même après sa mort survenue le 1er mai 1914 à Ain-Temouchent. Il faut savoir que Blaoui El Houari a composé et chanté l’un de ses poèmes, tandis que le regretté Abdelkader Alloula préparait un travail sur ce grand poète, malheureusement le projet restera inachevé, le dramaturge ayant été happé par la mort. Bellemou Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 110 ) Supplément N° 41 - Novembre 2015. Bellemou, « père du raï moderne » Né en 1947 à Ain-Temouchent, Messaoud Bellemou est un raïman dont l’intérêt pour la musique a commencé à se manifester vers l’âge de 10 ans, avec une exécution quasi parfaite de morceaux musicaux au clairon. Henri Coutan décèlera en lui les qualités d’un futur grand trompettiste. Durant la guerre de libération nationale et au lendemain de l’indépendance, le jeune homme continue à apprendre sur le tas, s’engageant dans la voie du raï, style propre à la région, avec la flûte, le guellal et la percussion longiligne. Il assistait aux cérémonies et qaâdate dans tout l’Oranie pour écouter les cheikhs et cheikhate du raï traditionnel, à l’image de Cheikha Ouachma, Cheikha Bekhta ou Cheikh Brahim. LA REVUE DE LA MÉMOIRE D'ALGÉRIE Vers l’âge de 18 ans – et alors qu’il a atteint une belle maîtrise de son instrument –, il décide de remplacer la flûte, considérée comme l'âme du raï, par la trompette. De 1964 à 1968, il reprend avec son instrument des morceaux du blues oranais. C’est la naissance du pop-raï. Bellemou, qui commence à se faire doucement connaître, sillonne toute la région du sudouest oranais malheureusement sa petite « révolution » musicale n’accroche pas tous les mélomanes. Mais il ne baisse pas pour autant les bras, convaincu qu’il parviendra à rallier d’autres musiciens à sa cause. Il recrute des musiciens, en l’occurrence Hamani Hadjoum et Younès Benfissa. Il enregistre un premier album qui sort en 1973 et Sidi H’bibi figurera parmi les premiers succès. L’opus sera suivi de beaucoup d’autres. ( 111 ) Ain Témouchent Bellemou et sa troupe Histoire d'une ville www.memoria.dz Ain Témouchent Histoire d'une ville Cheb Nasro Bellemou finira par faire des émules dont Khaled, Cheb El-Hindi, Cheba Fadéla, Cheb Sahraoui, Cheb Hamid et on en oublie encore. Digne héritier de ses aînés, Nasreddine Souidi, plus connu sous son nom d’artiste Cheb Nasro, est également natif d'Ain-Temouchent. Il y a vu le jour en 1969. Ayant grandi à Oran, la capitale, il ne pouvait qu’être épris par cette musique qu’il découvrira très jeune et dont il commencera à interpréter des morceaux durant la période du lycée. Encouragé par son voisin, le célèbre chanteur de raï de l'époque Cheb Zehouani, Groupe El-Djazaïr.com . MÉMORIA . ( 112 ) Nasro entreprend de chanter dans les cérémonies familiales avant d’envisager une carrière un peu plus professionnelle. Enregistrant son premier album à l’âge de 18 ans, suivi de plusieurs autres, le public se rallie de plus en plus autour de son style sentimental. Influencé par Bellemou, il continuera à proposer un raï qui plaît beaucoup au public. Installé depuis le début des années 2000 aux Etats-Unis, il continue à faire des apparitions épisodiques sur scène. Hassina Amrouni Supplément N° 41 - Novembre 2015.