Le débat, comme moyen d`expression orale. Ce que préconisent les
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Le débat, comme moyen d`expression orale. Ce que préconisent les
Le débat, comme moyen d’expression orale. Ce que préconisent les Instructions Officielles : L’élève doit être capable d’écouter le maître, de poser des questions, d’exprimer son point de vue, ses sentiments. Il s’entraîne à prendre la parole devant les autres pour reformuler, résumer, raconter, décrire, expliciter un raisonnement, présenter des arguments. Les enjeux du débat : Il est essentiel de faire prendre conscience aux enfants que le langage est un outil, de percevoir qu’il est un moyen d’action sur les choses (nommer, décrire), sur autrui (demander, interroger, argumenter), sur soi (s’exprimer, se questionner, se défendre). Lié à des interactions, l’oral est plus qu’une simple expression. Il met en jeu des valeurs et renvoie à la question des relations de l’individu avec les autres. A l’heure où l’implicite collectif et la culture du groupe prédominent dans le comportement des enfants, il semble nécessaire de ménager des espaces pour l’organisation et la confrontation rationnelle et maîtrisée des points de vue. Le débat incite à une « présence intellectuelle » plus grande dans la mesure où les savoirs individuels résultant de l’expérience privée sont mis en commun, entre pairs. L’élève est ainsi incité à se décentrer de son point de vue, à prendre en compte les propositions de chacun, à argumenter(…), il participe dans ce sens « à un travail de métacognition important ». Le débat s’inscrit dans une « perspective sociale de la production du savoir ». Cette conception de l’acte d’apprendre, dont les référents théoriques sont développés par les « socio-constructivistes » semblent constituer un prolongement de ce qui était déjà à l’œuvre dans la mise en place des travaux de groupe. La mission pour l’enseignant consiste à savoir mettre en jeu et en questionnement tel ou tel savoir dans un réseau de communication. L’enseignant peut orienter la conduite du discours par un étayage important (relances, reformulation, apport de contre-exemples, validation de points de vue) ou choisir de rester en retrait pour observer les interactions entre les élèves et favoriser un conflit socio-cognitif. Dans le domaine de la Littérature de jeunesse : D’après sa définition, un texte littéraire est « un texte qui résiste à une compréhension totale et immédiate ». La compréhension et l’interprétation sont complémentaires puisque l’interprétation consiste à donner une dimension personnelle à la lecture et la compréhension est le fait de construire le sens de cette lecture. « Le maître guide les élèves dans leurs efforts de compréhension. (…). L’enseignant éduque ainsi ses élèves à la nécessaire rigueur qui préside à tout acte de lecture. C’est aussi l’occasion d’attirer l’attention sur les aspects les plus ouverts de l’œuvre et de susciter des conflits d’interprétation qui vont contraindre à un effort d’argumentation. Chaque lecture, lorsqu’elle a fait l’objet d’un travail de compréhension et d’interprétation, laisse en suspens des émotions et pose de multiples questions susceptibles de devenir des thèmes de débat particulièrement riches » d’après les Instructions Officielles. Dire Lire Attitudes : dans une situation de dialogue collectif : - s’ouvrir à la communication, au dialogue, au débat et, simultanément percevoir l’importance de la prise de parole (ne pas parler pour parler) ; Ecrire Attitudes : La production d’écrit développe : - l’habitude de prendre appui sur l’écrit pour structurer sa pensée, pour garder une trace. - apprendre à structurer ses idées, à prendre intérêt à la langue, à rechercher les moyens d’exprimer précisément sa pensée ; - rechercher l’usage d’un vocabulaire précis, en adaptant son niveau de langue à la situation. Etre capable de : - dans le cadre d’un travail collectif, reformuler avant de le commenter l’intervention d’un autre élève ou du maître en en respectant les idées ; Etre capable de : - lire couramment des textes adaptés au niveau du cycle 3 ; - participer à des échanges au sein de la classe : en attendant son tour de parole / en écoutant autrui / en restant dans les propos de l’échange / en exprimant un avis, une préférence / en exposant son point de vue et ses réactions. - reformuler (oralement ou par écrit) le thème principal d’un texte informatif court lu ou entendu dans le cadre des activités de la classe. Avoir compris et retenu : que le sens d’une œuvre littéraire n’est pas immédiatement accessible, mais que l’interprétation ne peut s’affranchir des contraintes du texte. Le débat pour une interaction entre pairs : Cette séance fait partie d’un projet de Littérature de jeunesse qui a pour but de construire un jeu de société du type « Cluedo » à partir des romans policiers lus en classe. L’objectif principal de ce débat est de dégager le genre du roman Crime caramels de Jean-Loup Craipeau à l’aide de la première de couverture du livre. De plus, ce débat est une introduction à une mise en réseau de romans publiés par un même éditeur « Mini Syros ». Je vous propose la fiche de préparation de cette séance en annexe 1. Le débat est donc centré sur la capacité des élèves à confronter leurs prédictions pour aboutir à un maximum d’informations. La notion de prédiction désigne ce qui se met en place dans la tête du lecteur lors d’une prise d’indice première et avant qu’il ne lise littéralement le texte à venir. Voici quelques prédictions émises par les élèves et qui leur ont permis de recueillir le plus d’informations possible : - « C’est une histoire où il y aura des crimes car c’est écrit dans le titre. » à quoi un autre élève rétorque : « je pense qu’il y aura un seul crime car il n’y a pas de « s » au titre ! » - « C’est vraiment une histoire de crime car il y a beaucoup de rouge, comme du sang, sur la couverture du livre. » à quoi répond un autre élève : « On dirait que c’est le sang de la personne avec les pieds par terre. » / «Cette personne a été tirée par les pieds et c’est son sang qui dégouline par terre ! » ajoute un élève. - « Le mort est un homme car il a des chaussures et un pantalon d’homme. » / « Oui, c’est un adulte car il a l’air beaucoup plus grand que l’autre personne. » - « C’est l’enfant qui l’a tué ! » à quoi réplique un autre élève : « Je ne pense pas que c’est lui qui l’a tué car il a très peur, regardez ses yeux ! » / « Et un enfant aurait du mal à traîner le corps du mort.» - « Je ne sais pas ce que veut dire polar.» dit un enfant alors quelqu’un d’autre propose de regarder dans le dictionnaire la définition de ce mot. A l’écoute de cette définition, les élèves ont un indice supplémentaire pour dire que nous avons affaire à une histoire de crime. - La boîte tenue dans la main de l’enfant est associée aux caramels cités dans le titre mais les élèves n’ont pas trouvé de justification. A la lecture de la quatrième de couverture : « Gilles adore les bonbons. Pour une poignée de caramels volés, il est embarqué dans un drôle de trafic… Et le voilà avec un mort sur les bras ! » Mots-clés : gourmandise, imagination, culpabilité, cadavre. », les élèves ont été ravis de valider certaines prédictions. « Mais ce n’est pas l’enfant qui a tué, ce doit être quelqu’un d’autre… » Cette phrase a engendré une forte motivation pour lire le premier chapitre de Crime caramels. Cette interaction a permis aussi de donner et d’enrichir un vocabulaire spécifique : « première et quatrième de couverture, auteur, titre, illustrateur, éditeur, collection, chapitre d’un roman ». Le débat d’interprétation d’un texte littéraire : La séance proposée est inspirée d’un ouvrage, Littérature au quotidien, qui porte sa réflexion autour de deux questions simples : - En quoi le questionnaire de lecture traditionnel aide-t-il les élèves en difficulté ? - En quoi favorise-t-il l’interprétation du texte, c’est-à-dire la mise en réseau des mots d’un auteur avec la personnalité d’un lecteur ? Les auteurs de l’ouvrage ont conçu des activités qui aideraient l’élève à interroger un auteur au travers d’un texte et aussi s’interroger soi-même en tant qu’individu, faire en sorte que le lecteur devienne partie prenante du texte. Il s’agit de travailler à partir de situations de résolution de problèmes de lecture : - passer du questionnaire au questionnement pour aider les élèves, tous les élèves, pour faire du lecteur-scolaire un lecteur capable d’interprétation ; - concevoir des activités dans lesquelles « dire, lire, écrire » s’articulent autour d’un texte, d’un auteur pour construire les compétences de maîtrise de la langue fondamentales. La démarche retenue, de type constructiviste, s’appuie sur ces phases de travail : - une phase d’appropriation personnelle du texte, suffisamment longue pour permettre une première représentation du récit ; - une phase de recherche à partir d’un problème posé par l’enseignant ; - une mise en commun qui suscite des confrontations, des justifications au regard du texte et de sa façon de l’interpréter. C’est autant l’individu-lecteur que l’élève-lecteur qui justifie son interprétation. - une phase de synthèse pour poser les savoirs construits et les mettre en mémoire. La séance proposée met en place un débat qui permet d’entrer dans les textes par le questionnement. Il s’agit toujours de notre projet de « Cluedo » et principalement d’une mise en réseaux sur le genre policier et l’éditeur « Mini Syros ». Ce débat repose sur le statut du personnage dans le récit. Le support textuel est extrait de « Qui a tué Minou-Bonbon ? » de Joseph Périgot. Déroulement de la séance : Il s’agit dans un premier temps de prélever des indices dans le texte pour élaborer le portrait d’un personnage. Phase 1 : - appropriation du texte par la lecture du début de l’histoire « Qui a tué Minou-Bonbon ? » - Présentation de la première de couverture et répondre à la question : « Quel genre du récit allonsnous trouver ? Les élèves font référence aux précédentes lectures et répondent à la question posée : « C’est un récit policier, c’est une enquête, on doit rechercher un coupable… » Phase 2 : recherche individuelle pour relever les personnages qui apparaissent dans l’extrait distribué. Réponses données : « Le père Latuile, Nico, Minou-bonbon, M. Dubeuf, M. Hursant, Mme. Ajax. » Phase 3 : mise en commun de la liste des personnages. A partir de cette liste, le débat s’engage sur cette question : « Quels sont d’après vous les personnages principaux et les personnages secondaires de cette histoire ? » Ce temps d’échange a permis de dégager les notions de personnages principal et secondaire généralement présentés au début d’un roman. Le fait qu’à ce stade du récit, le chat, le père Latuile, Nico sont des personnages principaux, mais que les autres, secondaires en ce début de récit, peuvent devenir importants pour la recherche de l’intrigue policière était à valoriser pour favoriser la compréhension du roman policier et des autres lectures à venir. Le débat a mis l’accent sur une posture de lecteur à adopter : ne négliger aucun indice. Il s’agit dans ce second temps de définir le statut des personnages autres que le héros : personnage principal, personnage secondaire : ami (=adjuvant) ou ennemi (=opposant). Phase 1 : recherche pour faire le portrait des personnages principaux à l’aide d’un tableau ; les consignes sont de travailler par groupe de trois, de se répartir les tâches pour relever les extraits et dire ce qui est compris. Phase 2 : mise en commun des indices relevés par les élèves. Le débat interprétatif est lancé sur la représentation que se font les élèves de ces trois personnages. Comment je vois le personnage Ce que je lis (Propos des élèves) Minou-Bonbon « Un chat de gouttière plus gourmand (…) que tous les chats. » « Minou-Bonbon est un chat errant, il traîne dans les rues et fouille dans les poubelles pour trouver de la nourriture. » « Oh ! Le cochon ! s’était écrié Latuile, il m’a piqué tous mes bonbons ! T’as même bouffé les papiers avec, et !» « C’est un chat qui aime les bonbons, comme les enfants, il est gourmand! Il avait vraiment très faim ! » « (Le chat s’était caché derrière une cheminée.) » « Il a peur du Père Latuile ; il est craintif. » « (…) Minou-Bonbon ne l’avait plus quitté. » « En fait il n’a pas peur, il est devenu son animal domestique. » « Pendant des années, ils avaient ensemble navigué sur les toits, ils avaient ensemble vieilli, leur poil avait blanchi. » « Il est très heureux avec son maître ; c’est un vieux chat maintenant. » Le père Latuile « Des caramels mous, ça se mange sans dents, les caramels mous. » « Minou-Bonbon est toujours très gourmand mais il n’a plus de dents ! » « (…) quand il allait pisser sur sa porte pour l’embêter. » / « Il avait un tas de défauts. » « Il fait des bêtises de chat et des gens de son quartier ne l’aiment pas! » Ce que je lis Comment je vois le personnage « Il naviguait sur les toits du quartier, gaiement, car il adorait son métier de couvreur. » « On apprend son métier ; on comprend pourquoi il s’appelle Latuile ! » « Latuile rigolait tout le temps. » « C’est un homme joyeux et gentil. » « (…) il s’élançait sur sa grande échelle coulissante(…). » « Il est très agile, il ne tombe jamais. » « Le père Latuile était gourmand comme un chat. » « Il est comme Minou-Bonbon, très gourmand. » « (…) Ils avaient vieilli ensemble. » « Il a adopté Minou-Bonbon qui est très heureux avec lui. » « Oh ! Le cochon ! s’était écrié Latuile, il m’a piqué tous mes bonbons ! T’as même bouffé les papiers avec, et !» « Il parle avec un langage familier. » « Il n’était plus question aujourd’hui de monter sur les maisons. Ils passaient leurs journées sur le pas de la porte(…)» « C’est un vieux monsieur à la retraite qui s’occupe bien de son chat. » « (…) ce qui fit tomber les larmes qu’il avait au bord des yeux. » « Il est très sensible, il aimait beaucoup son chat. » Ce que je lis Nico Comment je vois le personnage « Nico était leur meilleur copain, dans le quartier. » « C’est un ami du Père Latuile et de Minou-Bonbon. » « Au CP, il était le premier. » / « Il écrivait sur la route : MINOU BONBON ET UN VOLEURE.» « C’est un enfant, il dit qu’il travaille bien à l’école mais il fait des fautes d’orthographe ! » « Pour s’empêcher de pleurer, Nico sortit une poignée de caramels. » « Il est très triste de la mort de Minou-Bonbon mais il se retient de pleurer, il est courageux. » « (…) c’est qu’il existe des gens qui tuent. Qui tuent des animaux. » « Il n’arrive pas à oublier la mort du chat, il est « dégoûté ». « Quelqu’un, dans le quartier, avait tué Minou-bonbon. » « Il va tout faire pour trouver le coupable et le dénoncer à la police. » Phase 3 : recherche du statut des autres personnages. Les élèves doivent déterminer quels sont les amis et les ennemis de Minou-Bonbon. Un tableau est aussi donné pour relever les informations demandées. Le travail s’effectue en binômes. Le père Latuile Les personnages : Je justifie en notant les indices ami ou ennemi ? pris dans le texte. Ami « (…) Minou-Bonbon ne l’avait plus quitté. » « (…) Ils avaient vieilli ensemble. » Nico Ami « Nico était leur meilleur copain, dans le quartier. » Monsieur Dubeuf Ennemi « Dubeuf, par exemple. Devenu boucher parce qu’il n’aimait pas les bêtes. » Monsieur Hursant Ennemi « Dès qu’il apercevait MinouBonbon, il roulait ses gros yeux de poisson. » Madame Ajax Ennemi « Quant à madame Ajax, c’était la spécialiste des coups de balai. (…)Minou-Bonbon y avait droit (…) quand il allait pisser sur sa porte pour l’embêter.» Cette mise en commun orale et collective s’effectue tout d’abord par le relevé des noms des personnages au tableau puis les élèves se réunissent en fonction de leur choix à cette question : « Qui a bien pu tuer Minou-Bonbon ? » Les élèves doivent appuyer leur accusation en fonction des indices relevés dans le texte. Le débat interprétatif se termine sur les représentations que se font les élèves de ces différents personnages. Leurs propositions ont été discutées et validées au regard du texte. Les personnages du Père Latuile et Nico n’ont pas fait l’objet d’accusation suite aux premiers indices relevés. Pour accentuer le suspense, j’ai posé un acte didactique sur le fait que ce sont des indices relevés dans le début du récit et qu’ils peuvent induire le lecteur en erreur par rapport à l’enquête. Dans un écrit policier, les amis sont parfois les coupables… Chaque élève a eu la possibilité d’emprunter ce roman pour une lecture personnelle au cours du rallye-lecture. (Ils ont été très motivés pour lire la suite de cette histoire car is avaient envie de connaître le dénouement !) Annexe 2 : LE STATUT DU PERSONNAGE DANS LE RECIT « Qui a tué Minou-Bonbon ? » de Joseph Périgot, Editions Syros Jeunesse Quand il était jeune, le père Latuile était un grand navigateur. Il naviguait sur les toits du quartier, gaiement, car il adorait son métier de couvreur. - Eh ! Latuile ! lui criait-on d'en bas, nous tombe pas d' sus ! On en reçoit assez comme ça, d'tuiles ! Latuile rigolait. Latuile rigolait tout le temps. Les nuits de tempête, il ne tenait pas au lit. Il sillonnait le quartier, tout excité. Il applaudissait quand une tuile s'envolait. Et quand une cheminée dégringolait, il criait : Youpi ! Le lendemain, il s'élançait sur sa grande échelle coulissante, avec ses outils de couvreur. Et avec ses bonbons. Oui, plein de bonbons dans les poches du veston. Le père Latuile était gourmand comme un chat. Un jour, pourtant, dans une gouttière, il était tombé sur un chat (de gouttière) plus gourmand que lui, plus gourmand que tous les chats. - Oh ! Le cochon ! S’était écrié Latuile, il m'a piqué tous mes bonbons ! (le chat s'était caché derrière une cheminée). T'as même bouffé les papiers avec, eh ! Pendant des années, ils avaient ensemble navigué sur les toits, ils avaient ensemble vieilli, leur poil avait blanchi. Il n'était plus question aujourd'hui de monter sur les maisons. Ils passaient leurs journées sur le pas de la porte, à mâchonner des caramels. Des caramels mous, ça se mange sans dents, les caramels mous. Nico était leur meilleur copain, dans le quartier. Dès que Nico apparaissait au bout de la rue (et c'était le cas tous les matins d'école), Minou-Bonbon, s'élançait vers lui sur ses vieilles pattes, et lui sautait à la poche. A tous les coups, il récoltait un caramel. - Vieux voleur ! criait gentiment le père Latuile. Nico sortait un bout de craie du fond de son cartable. Il écrivait sur la route : MINOU-BONBON ET UN VOLEURE Nico écrivait ça pour rire, mais surtout pour écrire. Il adorait écrire. Il adorait son métier d'écolier. Au CP, il était le premier. Pourtant, c'était bien vrai qu'il était voleur, ce vieux minou. Il avait un tas de défauts. Aussi comptait-il beaucoup d'ennemis dans le quartier. Dubeuf, par exemple. Le boucher. Devenu boucher parce qu'il n'aimait pas les bêtes. Minou-bonbon changeait de trottoir devant la boucherie, mais il ne pouvait pas s'empêcher d'entrer chez Hursant, le marchand de journaux, en face de l'école : Hursant vendait aussi des bonbons ! Dès qu'il apercevait Minou-Bonbon, il roulait ses gros yeux de poisson. Au CP, on l'appelait Poil-au-nez, parce que de grands poils sortaient de son nez. Quant à madame Ajax, c'était la spécialiste des coups de balai. Toute la journée, elle en donnait à la maison : aux murs, aux meubles et aux pavés ; sa maison était la plus propre de tout le quartier. Minou-Boubou y avait droit - un grand coup sur le dos - quand il allait pisser sur sa porte pour l'embêter. - Minou-Bonbon, Minou-Cochon ! disait père Latuile, tu l'as bien mérité ! Un matin, Nico fut étonné de ne pas trouver ses vieux copains sur le pas de la porte. Bizarre-bizarre. Il jeta un œil par la fenêtre. Le vieux bonhomme était assis dans son fauteuil. Il sursauta quand Nico frappa au carreau, puis tourna la tête, lentement. Et il montra des yeux pleins de larmes." C'est les enfants qui pleurent", se dit Nico. Il écrit sur le mur : SE LES ENFANTS QUI Mais il se ravisa. Poussa la porte. Minou-Bonbon aussi était là. Allongé aux pieds du père Latuile. Bizarrement immobile. Et voila que du sang coulait de son museau. - Il est malade ? demanda Nico. Il est mort ? Le père Latuile dit oui avec sa tête, ce qui fit tomber les larmes qu'il avait au bord des yeux. - On l'a tué à coups de bâton. Il est revenu mourir chez lui. Pour s'empêcher de pleurer, Nico sortit une poignée de caramels. Ça console, les caramels. Il s'accroupit près du pauvre vieux père Latuile. Ils mâchonnèrent tous les deux, silencieusement, en pensant à Minou-Bonbon qui était mort. C'est incroyable d'être mort quand on a été vivant. Ce qui est encore plus incroyable, pensait Nico sur le chemin de l'école, c'est qu'il existe des gens qui tuent. Qui tuent les animaux. Qui tuent même les enfants. Ils existent, et on les croise dans la rue, ces gens qui tuent. Quelqu'un, dans le quartier, avait tué Minou-Bonbon. Dubeuf, le boucher, peut être. Ou l'affreux Poil-au-Nez. Ou bien encore la sèche madame Ajax. Il écrivait sur la route, les murs, et même sur une voiture : QUI A TUE MINOU-BONBON ? Il n'était plus triste, il était en colère. Comment vouliez-vous qu'il écoute la maîtresse ? Plus il pensait à l'assassin, plus il était en colère.