1. Les femmes, agents de paix pour l`ONU

Transcription

1. Les femmes, agents de paix pour l`ONU
Ref. : MO02F05
Thématique : la paix et la réconciliation dans certains pays d'Afrique
Analyse : Le rôle de la femme dans la construction de la paix
Introduction
Cette présente analyse fait suite à une rencontre-débat qui eut lieu le 27 septembre
2004 et dont le thème était « le rôle de la femme dans la construction de la paix ».
Pour nous en parler, étaient présentes : Sœur Marie-Jeanne NYANDURUKO,
psychologue burundaise travaillant au CRID (Centre de Recherche d’Inculturation
et de Développement) et à Nduwamahoro (Non Violence Active) ; et Madame
Jacqueline BUDZA MALOS, Présidente de l’Association des femmes « Forum des
Mamas de l’Ituri » au Congo.
La guerre est habituellement présentée comme une affaire d’hommes et les femmes
considérées comme des victimes de celle-ci. Sans doute est-ce souvent le cas sur le
champ de bataille... Néanmoins, nous ne pouvons faire l’impasse sur les besoins
spécifiques des femmes, leurs rôles, leurs contributions et leurs droits dans les
processus de paix et de reconstruction d’un pays. Assumant les conséquences d’un
conflit, les femmes ne se contentent pas d’essayer de survivre. Au contraire, elles
s’organisent dans leurs communautés, leurs familles, leur village, pour maintenir sur
pied des services de santé, d’enseignement, des réseaux de solidarité, et cela souvent
au-delà de toute frontière ethnique ou culturelle. Les femmes conservent dans les
moments les plus dramatiques, la charge de préserver l’ordre social et la cohésion
de la communauté.
Il est donc important de porter plus d’attention à ces faits. Ces petites ou grandes
actions sont aujourd’hui des germes importants pour la paix et la reconstruction de
la société dans de nombreuses régions du monde.
Nous allons tout d’abord ici établir un petit état de la question en nous référant
notamment à la résolution 1325 des Nations Unies relative à la protection des
femmes en situation de conflit et à leur participation aux processus de paix. Nous
présenterons ensuite les témoignages de nos deux conférencières sur ce thème ainsi
que des éléments du débat qui en ont suivis.
1) Femme, paix et sécurité
1. Les femmes, agents de paix pour l’ONU
1
Déjà en septembre 1995, la quatrième conférence mondiale des Nations Unies
sur les femmes qui eut lieu à Beijin avait mis l’accent sur la priorité pour les
femmes d’assumer leur rôle de leadership dans la construction de la paix.
Ensuite, le 31 octobre 2000, le Conseil de Sécurité des Nations Unies adopta la
résolution 1325 sur « les Femmes, la Paix et la Sécurité ». Ce texte historique
vise à garantir la protection des femmes dans les conflits armés et assurer leur
participation aux processus de prévention des conflits, de maintien et de
consolidation de la paix. Cette résolution reconnaît donc trois réalités, à savoir
l’immense potentiel des femmes dans la résolution des conflits, leur place de
victimes dans les conflits armés, et la nécessité d’intégrer la dimension
sexospécifique aux processus de paix et de reconstruction. La résolution
reconnaît les femmes et les jeunes filles à la fois comme les premières victimes
de tout conflit armé, mais aussi comme une partie essentielle de toute solution
durable.
La résolution 1325 du Conseil de Sécurité procure donc un cadre de gestion
général et une stratégie globale pour la consolidation de la paix, l’égalité de genre
et le développement durable.
En 2002 également, le Secrétaire général de l’ONU, Kofi Annan, faisait rapport
sur la question : « les femmes, qui ne connaissent que trop le prix des conflits, sont aussi
mieux équipées que les hommes pour les prévenir ou les régler. Pendant des générations, les
femmes ont été des éducatrices pour la paix, tant dans leur famille que dans leur société. Elles
se sont révélées indispensables pour ce qui est de bâtir des ponts plutôt que des murs ».
En octobre 2003, le Conseil de Sécurité s’est une nouvelle fois rassemblé pour
évaluer les progrès accomplis dans l’application de la résolution 1325.
Durant cette rencontre, la plupart des délégations s’étaient accordées à
reconnaître qu’il restait encore beaucoup à faire pour parvenir à la pleine mise en
œuvre des possibilités offertes par la résolution.
En 2004 encore, le Conseil de Sécurité s’est réuni à ce propos afin d’affiner les
moyens de protéger les femmes dans les conflits armés, en particulier de la
violence sexiste.
2. Dans la pratique
Le Conseil de Sécurité des Nations Unies reconnaît la contribution fondamentale
des femmes à la promotion de la paix et leur rôle dans le processus de
reconstruction. Mais qu’en est-il réellement sur le terrain ?
Quatre ans après l’adoption de la résolution, c’est surtout l’incapacité de la
communauté internationale à prévenir le nombre considérable de cas de violence
sexiste pendant les conflits armés qui reste préoccupante. Les exemples n’en
2
sont que trop nombreux en Afghanistan, au Burundi, en Côte d’Ivoire, au
Tchad, dans la région du Darfour, au Soudan ou encore en République
Démocratique du Congo. Ainsi, en RDC, depuis le début de la guerre, en 1996,
le nombre de femmes et de filles victimes de violence sexiste est estimé à 35 000.
Il est indispensable de mettre fin à l’impunité à l’égard de ces actes, dans le cadre
d’une démarche globale visant à rétablir la paix, la justice, la vérité et la
réconciliation nationale.
De plus, même si des progrès indéniables ont été réalisés depuis quatre ans, de
graves lacunes et difficultés sont encore constatées dans de nombreux domaines,
en particulier en ce qui concerne la participation des femmes à la prévention des
conflits et aux processus de paix, la prise en compte des questions liées à l’égalité
des sexes dans les accords de paix, l’attention portée aux contributions et aux
besoins des femmes dans les opérations humanitaires et les opérations de
reconstruction, et la représentation des femmes aux postes de décision.
Trop souvent encore, les femmes restent confinées à la sphère privée, sans
pouvoir accéder aux postes de responsabilités, sans avoir les moyens de
participer aux négociations post-conflit.
Chez nous, la loi relative à la Coopération internationale belge souligne
l’importance de l’égalité entre hommes et femmes comme une dimension
transversale à intégrer dans tous les secteurs d’intervention et les programmes de
développement.
Dans plusieurs régions du monde, la Coopération belge a produit des efforts en
promouvant le rôle des femmes dans les processus de médiation, de
reconstruction et de réconciliation post-conflit. Elle a également appuyé des
organisations qui aident les femmes et les enfants qui ont été victimes de
violences et d’abus sexuels dans les situations de conflit.
Ainsi, en Afghanistan, la promotion des femmes afghanes et de leurs droits
constitue l’axe central de la coopération belge avec ce pays.
Dans la région des Grands Lacs, la Coopération belge oriente ses actions à ce
propos sur deux axes : l’attention particulière à donner aux femmes victimes du
conflit, et le soutien important à fournir aux femmes, à leurs organisations et
leurs réseaux, comme acteurs de reconstruction, de développement et de
démocratisation.
3. Quelques recommandations
Avant toute chose, soulignons l’importance de s’attaquer d’abord aux racines des
causes profondes de la violence : pauvreté, exclusion, injustices économiques,
sociales et politiques, violations des droits de l’homme et absence d’Etat de droit.
Une paix durable est une condition pour le développement et requiert la
participation des femmes.
3
Il est ensuite indispensable que les gouvernements prennent leurs responsabilités
en s’appuyant sur la Convention des Nations Unies pour l’élimination de toute
forme de discrimination à l’égard des femmes afin qu’elles puissent participer aux
processus décisionnels et renforcer la démocratie et la stabilité de la société.
Tout gouvernement devrait faire de l’exécution de la Résolution 1325 une
priorité politique.
Il paraît également important que les gouvernements soutiennent la société civile
et particulièrement les organisations non gouvernementales dans leurs efforts
pour parvenir à une paix durable. Dans ce cadre, les femmes sont à même de
proposer des stratégies et des solutions concrètes pour régler des conflits.
2) Témoignages
A l’occasion de la rencontre-débat du 27 septembre 2004 organisée par Pax Christi
Wallonie-Bruxelles, deux grandes dames sont venues parler de leurs riches
expériences en Afrique. Nous allons ici reprendre les éléments importants de leurs
témoignages qui constituent de véritables exemples vécus du rôle de la femme dans
la construction de la paix ainsi que du débat qui a suivi.
1. Sœur Marie-Jeanne NYANDURUKO
Burundaise, Sœur Marie-Jeanne travaille au Centre de Recherche d’Inculturation
et de Développement (CRID), où, psychologue, elle s’occupe des victimes
souffrant de traumatismes de guerre. Elle œuvre également dans l’association
Nduwamahoro (traduisons par « Non Violence Active ») qui agit pour une
reconstruction de la paix en Afrique centrale.
Selon Sœur Nyanduruko, la femme, que ce soit dans sa vie familiale, politique ou
en société, a pour devoir de protéger et de prendre soin de la vie, et ce, même si
de nombreuses forces négatives dans le monde aujourd’hui empêchent les gens
d’être heureux. Ainsi, malgré les intérêts divers aux niveaux mondial, national ou
local, l’humanité doit toujours pouvoir compter sur les femmes pour protéger la
vie et faire en sorte que le monde soit dirigé de manière plus éthique.
Face à la situation difficile qu’ont connue et connaissent toujours le Rwanda, le
Burundi et le Congo, les évêques ont mandaté le CRID afin de sensibiliser et
former les communautés de base à l’acceptation mutuelle, à la résolution
pacifique des conflits ainsi qu’à la non violence active. Un grand nombre de
femmes font partie de ce centre.
De même à Nduwamahoro, de nombreuses femmes travaillent afin d’aider les
gens à sortir de leur traumatisme. Elles vont par exemple rendre visite aux
prisonniers pour les écouter, discuter et leur donner des vêtements. Elles
organisent des rencontres entre communautés différentes afin que les personnes
4
se rapprochent au-delà de tout ce qui les a séparées jusque là. Elles vont
également vers les femmes qui ont subi des violences sexuelles afin de les
écouter, les orienter vers des soins d’urgence, et souvent tenter de leur
réapprendre à vivre aux niveaux individuel et communautaire.
Les femmes permettent aux personnes de s’exprimer à propos notamment du
mal qu’elles ont fait ou subi afin d’évoluer vers une démarche de pardon et de
réconciliation. Car la justice ne pourra juger tous les crimes !
2. Jacqueline BUDZA MALOS
Madame Jacqueline BUDZA MALOS est Présidente de l’Association des
femmes « Forum des Mamas de l’Ituri » au Congo.
D’après elle, de nombreuses associations de femmes comme la sienne se sont
constituées en pleine guerre et continuent d’agir actuellement contre la culture de
haine et les violations de tout ordre. Cela leur a permis durant les pires moments
et encore aujourd’hui, de garder l’espoir d’un jour revivre en paix.
Ensuite, la femme est rassembleuse, crée l’unité en affirmant qu’il ne faut pas se
diviser mais rester « un » devant les difficultés. Au-delà de ce rôle, la femme joue
également les rôles d’éduquer, d’interpeller et ne pas taire les injustices.
Non seulement les femmes, mais tout un chacun, homme ou femme, doit
aujourd’hui s’impliquer pour la paix.
3. Débat
Question : Les femmes qui se trouvent aujourd’hui politiciennes, parlementaires ou
syndicalistes et donc au pouvoir aux côtés des hommes, s’inscrivent-elles et agissent-elles
également en faveur de la paix, dans une optique de réconciliation, en respectant une certaine
éthique ?
Il n’y a pas encore de recherche sur ce sujet. C’est un processus qui est lancé et
qui va prendre du temps, surtout après tant d’années d’infériorisation. Les
femmes doivent dépasser leurs complexes, trouver la confiance en elles-mêmes
ainsi que leur place en politique. De plus, il est important que les femmes de la
société civile continuent de se faire entendre et rappellent aux quelques femmes
déjà au pouvoir leurs intérêts collectifs. Mais cela reste encore un défi !
Question : Vos associations tentent-elles donc de réconcilier les ethnies ?
Selon elles, il n’y a jamais eu de conflit ethnique en tant que tel mais seulement
une instrumentalisation des différences ethniques par les politiques qui ne voient
que leur profit personnel. Aujourd’hui, nous avons accepté cette réalité
5
d’instrumentalisation et nous devons à présent chercher des intérêts communs,
des occasions de se rencontrer au-delà des différences. Il s’agit donc de réaliser
un travail de prise de conscience afin que la société ne soit plus ballottée par les
vagues politiques mais développe un sens critique. Ainsi, deux hommes
appartenant à des partis différents doivent rester des frères. Actuellement par
exemple, des émissions radiophoniques n’hésitent plus à pousser des cris d’appel
à la raison. Et de nombreuses associations font aussi ce travail d’éducation en
demandant aux populations de ne plus se laisser manipuler par les politiciens !
Les armes de la femme sont la parole, le bon sens ainsi que sa réelle disposition à
ne pas combattre. Sœur Marie-Jeanne en conte un souvenir marquant. Un jour,
son équipe constituée d’autant de Tutsi que d’Hutu se rend dans une région
fortement occupée par les rebelles afin d’y mener une sensibilisation de la
population. Celle-ci est alors prise dans une embuscade d’enfants soldats armés.
Sans montrer la peur que les membres de la délégation vivent à ce moment-là,
leur objectif reste la recherche de l’humanité qu’il y a en chacun de ces rebelles.
Ils ont ainsi tenté d’initier un dialogue serein emprunt de respect, de politesse, de
démonstration de gentillesse, et ce, même s’ils sont insultants, réclament de
l’argent... Et cela avec l’espoir que les enfants soldats puissent percevoir qu’il y a
autre chose de possible que la violence ou la haine entre des personnes. Dans de
tels cas, au-delà de la parole, deux autres armes doivent donc être le courage et le
sang-froid.
Question : Qu’attendez-vous de la Belgique ?
« Beaucoup de choses ! », nous répondent-elles spontanément.
Tout d’abord, concernant la prolifération des armes, la Belgique doit s’impliquer
et faire pression sur les pays d’où viennent les armes, et principalement
l’Ouganda.
Ensuite, la Belgique doit réfléchir à des actions efficaces et donc agir au sein de
l’ONU pour revoir le fonctionnement de la MONUC qui, en nombre réduit,
n’est plus performante.
La Belgique peut également avoir un rôle à jouer au niveau de la scolarisation des
enfants et la protection des femmes.
Sœur Nyanduruko et Madame Budza Malos attendent ensuite beaucoup des
prochaines élections. Dans ce cadre, la Belgique peut aider le Congo dans leur
préparation, notamment par une éducation civique large de la population.
Elles remercient enfin la Belgique de s’impliquer dans la formation militaire des
officiers congolais.
Un processus de paix est aujourd’hui entamé mais la période actuelle est encore
très délicate. La Belgique doit donc continuer à s’impliquer afin que la Région
des Grands Lacs ne re-sombre pas dans le chaos, et que les efforts de paix ne
soient pas vains. La région est aujourd’hui en pleine période d’adolescence et la
Belgique, son parrain politique, ne peut la laisser à elle-même mais au contraire,
6
elle doit continuer à la guider, la soutenir, lui donner les moyens de sortir de la
crise par deux types d’approche : interventionniste et préventive.
Question : Pouvez-vous préciser ce que vous attendez de la Belgique au niveau des
interpellations des autorités ou de la MONUC ?
Concernant la MONUC, la Belgique pourrait par exemple, interpeller
l’institution onusienne afin qu’elle ne ferme plus les yeux sur le recrutement des
enfants ou l’exploitation des femmes.
La MONUC doit prendre ses
responsabilités et se donner les moyens d’intervenir contre certains agissements.
La Belgique pourrait ensuite intervenir directement auprès des institutions
humanitaires afin de les informer sur l’état de certaines localités, en faisant par
exemple, une demande directe d’intervention dans tel ou tel quartier qui souffre
de grave malnutrition. Les ONG humanitaires ne sont en effet pas toujours
suffisamment informées et sollicitées pour des cas concrets.
Au niveau des chefs rebelles ensuite, la Belgique peut tenter de faire pression sur
eux mais également sur les autorités nationales afin qu’elles arrêtent ces derniers
en cas de graves exactions. Il est urgent que la MONUC sorte de sa base pour
agir dans les zones qui en ont réellement besoin.
Les deux intervenantes reconnaissent que la vision traditionnelle de la femme
évolue actuellement en Afrique mais que beaucoup reste encore à faire ! Chaque
année, est organisée une Journée africaine de la Femme où une attention toute
particulière est attribuée au changement positif auquel la femme peut contribuer
dans un contexte de guerre. Un cheminement est donc entamé mais il va être
long pour arriver à dépasser les complexes après tant d’années d’infériorisation.
7
Conclusion
En période de guerre, le sort des femmes fait souvent l’objet d’une couverture
médiatique. Néanmoins, leur rôle apparaît essentiellement passif. Or, les défis que
les femmes relèvent aujourd’hui quand elles sont prises dans cette tourmente,
attestent désormais de leur rôle incontournable en tant qu’acteurs de changement
vers une société plus pacifique, plus humaine. Le rôle crucial qu’elles jouent dans
les négociations de paix et la reconstruction de la société doit être reconnu haut et
fort.
Même si cette reconnaissance du rôle des femmes ne s’est pas encore totalement
traduite dans les faits, il faut toutefois reconnaître que depuis la résolution 1325, il y
a quatre ans, la situation a évolué. Le regard que la communauté internationale
porte sur les femmes a commencé à changer positivement.
Les atteintes aux droits fondamentaux des femmes lors des conflits ne doivent
néanmoins pas être sous-estimées. Leurs besoins spécifiques de protection, en
particulier face aux violences sexuelles de plus en plus souvent utilisées comme
armes de guerre, ne doivent pas non plus être ignorés.
La guerre est un désastre pour tous, hommes et femmes. Ne sous-estimons
néanmoins pas le courage et la volonté des femmes, véritables actrices de
changement et de construction de la paix !
Bibliographie
http ://www.un.org
http ://www.unesco.org
http ://www.social.gouv.fr
Discours du Ministre Armand De Decker pour la conférence « Femmes, guerre et
paix », organisée par La Commission Femmes et Développement et le
Nederlandstalige Vrouwenraad, 28 septembre 2004, Bruxelles.
Recommandations provisoires suite à la conférence « Femmes, guerre et paix »,
organisée par La Commission Femmes et Développement et le Nederlandstalige
Vrouwenraad, 28 septembre 2004, Bruxelles.
8