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é
vénement
É v é n e m e n t
Le Titanic à l’origine de la conv ention sur la sauvegarde
de la vie humaine en mer
Les 1 500 morts et disparus dus en grande partie aux capacités insuffisantes des canots
de sauvetage du Titanic ont durablement marqué les esprits. Mais la première vraie
convention internationale date de 1929. Le travail de Sisyphe se poursuit.
T
rois heures après la collision avec un iceberg, le
Ti t a n i c coule le 15 avril
1912, par mer plate, avec à bord
2 200 passagers et membres
d’équipage. La capacité totale
des canots de sauvetage est de
1 178 personnes. 700 embarquent. 1 500 meurent. Le mythe
se crée. D’autres naufrages, aussi
d ramatiques, ont eu lieu à la
même époque, notamment celui
de l’Empress-of-Ireland à la suite
d’un abordage au Canada deux
ans plus tard, le 29 mai 1914, qui
a fait 1 012 victimes, et du Lu s itania coulé par les Allemands en
1915, qui a fait 1 200 morts. Mais
le Titanic est mythique parce que,
depuis les canots de sauvetage,
les 700 rescapés ont vu dispara î t re, par mer calme, avec le
navire, des vies humaines qui
auraient pu être sauvées.
Fin 1913, sous la pression de l’opinion publique, une conférence
internationale est organisée à
Lo n d res afin d’élaborer une
convention internationale re l at i ve à la sauvegarde de la vie
humaine en mer (Solas, safety of
life at sea). Elle s’attaque, ave c
succès, à la cause première du
naufrage : l’iceberg. Un serv i c e
de surveillance des glaces est
créé et les routes de l’Atlantique
Nord sont réglementées. Aucun
autre naufrage résultant de la collision avec un iceberg n’a été
enregistré depuis 1912.
Des questions
qui perdurent
Les autres questions posées par
le naufrage du Titanic sur la sécurité de la navigation maritime ont
été plus complexes, d’autant que
 Bro c h u republicitaire concernant les deux paquebots
de la White Star Line, l’Olympic et le Titanic (1912).
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le terrain n’était pas vierge. Les
principaux pays maritimes
avaient des réglementations précises et complètes, notamment
la France (la loi de 1907) et l’Ang l e t e r re (le Merchant Shipping
Act 1894 qui a été modifié en
1906). Un orateur anglais, lors de
la conférence du Comité maritime
international (CMI) de Copenhague de 1913, a jugé ce dernier
texte parfait dans la mesure où
il « consiste seulement en un petit
nombre de règles générales et
laisse aux armateurs toute la re sponsabilité de la bonne navigabilité de leurs navires ». Un autre
s’est demandé si le mouvement
en faveur des réformes provenait
des récents progrès dans la construction navale ou de la trop grande indulgence des experts des
sociétés de classification ou des
inspecteurs de la navigation.
construction navale que dans
l’établissement de dispositions
r é g l e m e n t a i res détaillées à la
condition, cependant, que l’armateur réponde de la navigabilité
de son navire, sa responsabilité
ne devant pas être dégagée du
Agir sur quels leviers ?
seul fait qu’il n’est pas en contravention avec les règlements.
Selon la motion qui a clôturé la
c o n f é rence précitée du CMI ,
« toute réglementation qui entraverait les progrès de la construction navale serait plus nuisible
qu’utile ». Enfin, sur un grand
nombre de questions telles que
l’état de navigabilité du navire,
le tirant d’eau et le franc-bord,
les instruments nautiques, la surveillance des navires, les législations des grands pays maritimes
étaient, sinon uniformes, du
moins équivalentes.
Un accord a cependant pu être
trouvé à Londres en 1914 sur un
petit nombre de principes généraux : l’élaboration d’un standard
Sur quels points devait ensuite
p o rter l’unification qui était souhaitée, sachant que des divergences techniques, juridiques
et philosophiques existaient ?
D’aucuns ont considéré que les
canots de sauvetages n’ont pas
été pas un élément très sérieux
de sécurité, qu’ils ont été plutôt dangereux à cause de leur
poids et que l’augmentation du
nombre de canots de sauvetage
à la fin du XIXe siècle n’a pas eu
d’effet significatif sur le nombre
de vies sauvées à la suite de
naufrages.
La sécurité de la navigation était,
pour d’autres, davantage le résultat des progrès réalisés dans la
La première
convention
internationale
sur la protection de la
vie en mer a été signée
à Londres le 20 janvier
1914. Mais la Grande
Guerre ayant éclaté,
elle n’a jamais été
ratifiée et n’est jamais
entrée en application.
“
de compartimentage pour les
navires se livrant principalement
au transportde passagers, lequel
s’élève progressivement avec la
longueur du navire, le nombre
des engins de sauvetage devant
ê t re suffisant pour embarq u e r
toutes les personnes se trouvant
à bord ; la télégraphie sans fil ou
la reconnaissance des certificats
émis pour certifier la conformité
des navires aux dispositions de la
convention.
La première convention internationale sur la protection de la vie
humaine en mer a été signée à
Londres le 20janvier 1914. Mais, la
Grande Guerre ayant éclaté quelques mois plus tard, elle n’a jamais
été ratifiée et n’est jamais entrée
en application. Certaines de ses
dispositions ont été néanmoins
adoptées par un certain nombre
de pays, notamment l’Angleterre,
qui a modifié le Merchant Shipping
Act le 10 août 1914 et en a appliqué
les dispositions aux navires qu’elle
a construits sur ses chantiers à
partir de 1916.
Une nouvelle Solas
en 1929
Après la guerre, la réglementation anglaise étant parmi les plus
strictes du monde, elle a voulu la
voir appliquée au plan international pour des raisons de concurrence. L’Allemagne a rapidement
reconstruit sa flotte selon les standards de la Convention de 1914.
Quant aux États-Unis, ils ont
adapté la construction navale aux
progrès techniques. L’Angleterre
s’est aperçue que les dispositions
de la Convention de 1914 n’étaient
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plus adaptées aux méthodes de
construction des navires à passagers, et le board of Trade a,
pour cette raison, fait réaliser
auprès des chantiers, des armateurs, des architectes navals, des
sociétés de classification, une
vaste enquête qui l’a conduite à
inviter en 1921 à une réunion officieuse les Français, les Belges et
les Américains pour élaborer une
nouvelle convention.
En 1927, le Board of Trade a
envoyé aux grands États maritimes, signataires de la Con-
vention de 1914, un Mémorandum exposant les travaux
e n t repris en Angleterre depuis
1914 et les discussions de la
conférence officieuse de 1921, et
a proposé de réunir une conférence internationale pour réviser
la Convention de 1914.
Cette conférence s’est réunie en
avril 1929. Son but a été d’appliquer un standard international
de sécurité pour tous les navire s
à passagers, lequel a été, en fait,
essentiellement destiné au trafic
sur l’Atlantique Nord.
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Le domaine de la Convention qui
sera signée le 31 mai 1929 sera
plus étendu que celui du texte de
1914, car applicable aux navires
s’éloignant des côtes de plus de
20 milles contre 150 milles en
1914, et la nouvelle réglementation s’appliquerait à tous les trafics y compris avec les colonies
des pays développés. Le s
Européens se sont opposés aux
Américains qui voulaient tout
réglementer, ce qui n’aurait plus
laissé suffisamment de latitude
aux capitaines pour pourvoir à la
sécurité de leurs navires. Des
compromis ont donc dû être trouvés sur les principaux sujets reflétant l’évolution des techniques,
mais qui n’ont plus eu beaucoup
de rapport direct avec le naufrage
du Ti t a n i c, à l’exception du
nombre des canots de sauvetage.
Le sujet principal semble bien
avoir été l’installation de la radiotélégraphie à bord des navires
d’une certaine taille ; une chose
difficile à imaginer aujourd’hui !
Dans les années 1920, la plupart
des paquebots avaient à bord les
appareils de TSF et un personnel
compétent. Mais encore fallait-il
être entendu en cas d’appel de
détresse. À quel type de navire
devait-on imposer l’obligation de
veille ? Elle impliquait d’avoir à
bord trois opérateurs, et cela avait
un coût ! Fallait-il limiter l’obligation de veille aux paquebots ou
l’étendre également aux cargos ?
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dant, insuffisantes et ont entraîné
en 1974 la refonte du texte de la
convention de 1960.
Le Titanic est donc bien à l’origine de la convention sur la sauvegarde de la vie humaine en mer
par l’émotion que cette catast rophe a suscitée. Mais son
apport au plan technique est
limité, la première vraie conve ntion qui a été ratifiée, et appliquée, datant de 1929. Depuis lors,
les textes des conventions suc-
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Le problème posé a été résolu
grâce à un appareil auto-alarme
en cas de réception d’un SOS.
Mais, à défaut, la veille permanente a été imposée aux grands
navires. Pour le reste, les grands
thèmes de la convention de 1914
ont été respectés :
- compartimentage étanche des
navires : « Les navires doive n t
être compartimentés aussi efficacement que possible, eu égard
à la nature du service auquel ils
sont destinés. […] Le degré de
compartimentage assuré par l’application de ces règles varie avec
la longueur du navire et le service auquel il est destiné de telle
manière que le degré de compartimentage le plus élevé corre sponde aux plus longs navires
essentiellement affectés au transport de passagers » ;
- cloisonnements étanches aux
extrémités avant et arrière et aux
extrémités de la tranche des
machines ;
- confirmation, en
ce qui concerne
les engins de sauvetage, du principe selon lequel
ceux-ci doivent
être en nombre
suffisant pour
re c e voir toutes
les personnes à
b o rd, le nombre
et la capacité des
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canots étant fixés d’après la longueur du navire. Possibilité est
cependant offerte aux États de
remplacer certaines embarc ations par des radeaux qui ont fait
la preuve de leur efficacité pendant la guerre. Des dispositions
L’incendie sera
la cause
principale des
grands accidents des
années 1930 et 1940.
La protection contre
l’incendie sera l’un des
sujets principaux de
la convention de 1948.
“
ont par ailleurs été prises pour
améliorer les dispositifs de mise
à l’eau des canots ;
- sécurité de la navigation : la
convention n’a fait que rappeler
des règles qui étaient déjà en
vigueur concernant les serv i c e s
météorologiques, la recherche
des glaces, la vitesse dans le voisinage des glaces, les routes de
l’Atlantique Nord, les règles
d’abordage et les signaux d’alarme de détresse et d’urgence.
- certificats : la convention a prévu
l’émission par l’État d’immatriculation ou toute autre personne
ou organisme dûment autorisé
par celui-ci, de certificats de sécurité après inspection et visite pour
tous les navires à passagers
conformes aux dispositions de la
c o n vention et de certificats de
sécurité ra d i o t é l é g raphique et
leur reconnaissance par les autres
gouvernements contractants.
La convention de 1929 prévoyait
un essai de stabilité mais pas
de règle spécifique. Elles sero n t
introduites dans les conventions
p o s t é r i e u res. La convention n’a
pas traité, par ailleurs, des
lignes de franc-bord qui ont fait
l’objet d’une autre conve n t i o n
signée à Lo n d res le 5 j u i l l e t
1930. Enfin, elle ne comportait
p ratiquement aucune disposition contre l’incendie.
cessives sur la sauvegarde de la
vie humaine en mer ont évolué
en fonction des progrès de la
technique et des accidents qui
forment un couple que l’on peut
qualifier d’infernal.
Les accidents récents les plus
g ra ves ont concerné des tra n sbordeurs (Herald-of-Free-Enterp r i s e en 1987 et l ’ E s t o n i a e n
1994), ce qui est statistiquement
sans doute assez prévisible
compte tenu du très gra n d
nombre de ce type de navire s .
Mais le nombre des accidents
g ra ves n’a plus rien de comparable avec celui que l’on a connu
il y a cent ans.
La réglementation maritime reste
un travail de Sisyphe.

Luc Grellet
Reed Smith
avocat au barreau de Paris
Rappel historique
Le Titanic est construit pour la White Star Line en Irlande du Nord de 1909
à 1912. À cette époque, la concurrence est très forte entre les compagnies maritimes britanniques et allemandes qui veulent détenir le
record du tonnage et de la vitesse sur la traversée de l’Atlantique Nord.
Pa rti d’Eu rope le 11 avril pour sa première tra versée de l’Atlantique, le
Titanic a coulé le 15 avril 1912, 3 heures après avoir heurté un iceberg.
La présence d’icebergs lui avait été signalée par plusieurs navires qui
le précédaient, mais il a maintenu une vitesse de 22,5 nœuds, autori-
Depuis que les constructions en acier se sont généralisées 30 ans
auparavant, la longueur des navires, leur tonnage et leur vitesse n’ont,
en effet, cessé de croître. De 150 m environ en 1880, on est rapidement
passé à plus de 200 m (Lusitania et Mauretania construits pour la
sée par la réglementation de l’époque, mais certainement excessive
dans ce contexte.
La coque du Titanic comportait 16 compartiments étanches. La conception du paquebot devait lui permettre de rester à flot avec quatre
Cunard) en 1907. Le Titanic faisait 269 m, comme ses deux sisterships
qui n’ont pas défrayé la chronique : l’Olympic et le Gigantic (rebaptisé
Britannic après le naufrage du Titanic).
En ce début du XXe siècle, les navires transatlantiques naviguent à
compartiments envahis. À la suite de collision avec l’iceberg, l’eau a
envahi les cinq premiers. Il était perdu. Comme tous les paquebots de
cette époque, le Titanic n’avait pas assez de canots de sauvetage
pour les passagers et l’équipage. Leur capacité était, sur le Titanic de
25 nœuds et mettent 5 jours pour rejoindre les États-Unis au prix d’une
« effroyable dépense de charbon », note le doyen Ripert dans l’édition
de 1929 de son traité.
1 178 personnes pour 2 200 personnes embarquées. En outre, pour des
raisons techniques, les canots n’ont pu embarquer que 700 personnes ! 1 500 personnes ont donc péri avec le navire.
L’incendie oublié
L’incendie sera pourtant la cause
principale des grands accidents
des années 1930 et 1940, du
Georges-Philippar en mai 1932
au Normandie dans le port de
New York en 1942. La protection
contre l’incendie sera l’un des
sujets principaux de la conve ntion suivante, celle de 1948.
L’ a rticle 61 de la convention de
1929 prévoyait en effet que des
c o n f é rences internationales
seraient organisées pour pro c éder à sa révision. Puis est venue
celle de 1960. Les dispositions
adoptées sur la protection contre
le feu se sont avérées, cepen-
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