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Les conflits de la zone
saharo-sahélienne
Recherches et mise en page par
Je ne juge pas… je livre, sommairement triés, les media tels qu’ils sont… à chacun de faire son opinion.
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Les conflits de la zone saharo-sahélienne
Conférence prononcé par Bernard Lugan devant les attachés de défense de la zone
Maghreb Sahel, le 14 juin 2012 à l’école militaire (Paris)
La région saharo sahélienne connait actuellement six conflits. D’Ouest en Est, ceux du Sahara
occidental, du Mali (Azawad et Aqmi), du Nigeria (Boko-Haram), des confins du Tchad(Toubou et
Darfour) et celui des Bedja au Soudan.
Tous s’inscrivent dans une continuité historique et ils revêtent aujourd’hui des formes nouvelles.
Nous pouvons les regrouper en deux catégories :
1) Les conflits périphériques qui présentent peu de risques de contagion ou qui sont
actuellement sous contrôle. Il s’agit de celui du Sahara occidental et de celui des Bedja que je ne
traiterai pas, me contentant d’en donner les grandes caractéristiques.
La question du Sahara occidental qui est l’archétype d’un « conflit gelé » est la conséquence des
amputations territoriales subies par le Maroc a l’époque coloniale et du contentieux frontalier
algéro-marocain.
Depuis cessez-le-feu de 1991, le front du Sahara occidental est gelé mais le Polisario connaitune
dérive mafieuse (et intégriste ?).
Le 23 octobre 2011, trois humanitaires espagnols ont ainsi été enlevés dans un camp de refugies
contrôlé par le Polisario par des « dissidents » d’Aqmi. Désormais, la question est de savoir quand
Algérie cessera d’instrumentaliser et de soutenir le Polisario.
La question des Bedja est limitée a un pays, le Soudan, et elle est liée au sort d’une population
misérable qui ne bénéficie pas de la manne pétrolière qui s’écoule par Port-Soudan.
2) Les conflits de la zone centrale qui présentent des risques directs ou indirects de coagulation
ou de contagion et qui répondent a deux formes :
- Religieuse, avec Aqmi et Boko Haram.
- Territoriale et ethnique, avec la revendication de l’Azawad et les problèmes qui se posent dans
les périphéries du Tchad avec la question Toubou et la guerre du Darfour.
Mon expose sera articule autour de 4 points :
1) L’arc de tension saharo sahelien, ses caractéristiques naturelles et ses permanences.
2) La région saharo sahélienne un monde de tradition jihadiste.
3) L’Azawad, un conflit ancien qui prend aujourd’hui des formes nouvelles.
4) La question du Tchad et de ses périphéries.
L’arc de crise saharo sahélien
Tous ces conflits se déroulent dans une zone qui présente neuf grandes caractéristiques
originales :
- C’est une région immense qui couvre plus de 8 000 000 km2 de désert et plus de 3 000 000 km2
de Sahel et qui est vide d’hommes.
- Son relief, souvent accidente est propice au camouflage de petits commandos mobiles.
- Chaque tribu saharienne, arabe ou touareg, ne contrôle qu’une partie des axes traditionnels, ce
qui produit donc une fragmentation des itinéraires.
- Il s’agit d’un milieu dans lequel les populations, essentiellement nomades, ont une tradition de
violence en raison de la concurrence pour les maigres ressources en eau ou en pâturages.
- C’est un milieu écologiquement fragile.
- Il s’agit d’un monde de contacts traditionnellement ouvert mais qui est aujourd’hui cloisonne par
des frontières artificielles,
- Au point de vue économique, la région est une terre a prendre, ses matièrespremières (uranium,
fer, pétrole, etc.) y attirant de nouveaux acteurs comme la Chine, l’Inde.
- La région est une plaque tournante pour les flux migratoires clandestins qui se déversent en
Europe et elle est devenue un des principaux axes du trafic des stupéfiants, 15% de la production
mondiale de cocaïne transitant par le Sahara. Ce phénomène a la fois mafieux et terroriste
transnational utilise les anciennes structures précoloniales de circulation alors que la lutte
engagée contre lui est bloquée par les frontières.
- Au point de vue politique, toute la région est face a une grande réalité qui est que les Etats y
sont tous des créations coloniales artificielles forçant a vivre ensemble des Nord « blancs » et des
Sud noirs.
Toute cette région est concernée par la nouvelle géopolitique résultant du renversement du
régime du colonel Kadhafi. Le président tchadien Idriss Deby Itno avait clairement mis en garde
Paris a la veille de son intervention, affirmant qu’elle allait déstabiliser toute une région aux
fragiles équilibres. Il voyait juste car le colonel Kadhafi déstabilisait et contrôlait tout a la fois une
vaste partie de la sous région.
Il avait en effet une politique saharo sahélienne s’expliquant par ses origines. Né dans une tribu
de nomades chameliers, les Khadafa ou Gueddafa, dont le cœur est la ville de Sabha, il regardait
vers le Sud, alors que, traditionnellement les dirigeants libyens, originaires des villes
commerçantes du littoral, sont tournes vers le Nord.
Numériquement, sa tribu est peu importante mais ses 150 000 membres occupent un espace
stratégique a la jonction de la Tripolitaine et de la Cyrénaïque et a la verticale reliant la
méditerranée au cœur du Sahara, de Syrte a Mourzouk. Elle fait ainsi traditionnellement le lien
avec les Toubous et les Touaregs, ce qui explique les alliances du régime Kadhafi et son attirance
pour le sud saharien et sahélien.
Avec son éviction, c’est toute sa politique saharo sahélienne qui est aujourd'hui abandonnée. Pour
le moment, la nouvelle Libye est réduite a une bande côtière coupée en deux blocs séparés par
1000 km de désert, avec une Tripolitaine regardant vers Tunis et une Cyrénaïque tournée vers
l’Egypte. Cette nouvelle Libye qui est plus « arabe » que sahélienne n’a pas les moyens de
contrôler ses prolongements sahariens qui risquent de devenir un sanctuaire pour Aqmi. Or, tout
l’ensemble saharo sahélien a une ancienne tradition fondamentaliste.
La région a connu des phénomènes jihadistes des le XIème siècle, le premier d’entre eux étant le
mouvement almoravide ne chez les Berbères Lamtuna qui vivaient sur le territoire de l’actuelle
Mauritanie.
Puis, a partir des XVII-XVIIIème siècles, les jihads se succédèrent, de l’Atlantique a la mer Rouge.
Il importe cependant de remarquer que si les Peuls, les Toucouleurs, les Haoussas ; les Arabes
sahariens et soudanais jouèrent un grand rôle dans ces jihads, les Berbères touaregs s’en tinrent
à l’ écart.
Les principaux de ces mouvements furent celui des Toucouleurs qui aboutit a la constitution de
l’empire d’al-Hadj Omar dans la partie occidentale du Sahel ; celui des Peuls de Shekku Ahmadu
dans la vallée moyenne du Niger et l’empire jihadiste Peul-Haoussa de Sokoto fonde par le jihad
d'Osman dan Fodio au début du XIXème siècle (dans le nord de l'Etat actuel duNigeria) dans la
zone actuelle d’opération de Boko Haram.
A l’est du lac Tchad, se développa le mouvement mahdiste qui s’étendit a tout l’actuel Soudan y
compris au Darfour après qu’au mois de juin 1881 Muhamad Ahmed Ibn Abdallah (1844-1885),
eut proclame le jihad.
Le 4 novembre 1883, ses forces détruisirent une armée anglo-égyptienne et le 26 janvier 1885,
elles enlevèrent la ville de Khartoum dans laquelle quatre mille soldats anglo-égyptiens furent
massacrés ainsi que le gouverneur Charles Gordon.Maitre de Khartoum, Muhamad Ahmed fonda
un Etat mahdiste et se donna le titre de calife.
Qu’il s’agisse de Boko Haram, d’Aqmi ou des courants fondamentalistes soudanais, les actuels
mouvements islamistes s’inscrivent donc clairement dans une tradition locale.
Contenus vers le Sud, sur la frontière géographique et raciale qui coupe l’Afrique sahélienne en
deux, et cela du sud Soudan au Nigeria et jusque dans le haut Niger-Sénégal, ils ont pour
principale possibilité d’extension le Nord. Cependant, ils apparaissent comme un corps étranger
en zone touareg.
L’Azawad un conflit ancien qui revet aujourd’hui des formes nouvelles
Les événements de l’Azawad s’inscrivent dans une guerre de cinquante ans qui s’explique la
encore par la longue histoire, celle d' « avant les Blancs ». Dans ces régions, les Bambara ont
longtemps résiste a l'islamisation, regroupes dans des royaumes qui ne furent subjugues qu’a la
veille de la conquête coloniale, au moment des grands jihads, notamment celui d’el Hadj Omar.
Ces événements dramatiques ont laisse des souvenirs qui expliquent le raidissement actuel des
uns et des autres.
Géographiquement et humainement, il existe deux Mali, le fleuve Niger formant une sorte de
frontière intérieure isolant du désert un sud allant jusqu’a la frontière du Burkina Faso et de la
Cote d’Ivoire.
Au Nord, vivent des Touaregs et des Maures, le long du fleuve Niger des Songhai, des Peuls et
des Arabes, plus au Sud des populations d’agriculteurs noirs dont les Bambara.
Pris au piège de l’Etat-nation post-colonial, tous ces peuples furent forces de vivre ensemble.
La démocratie aggrava le problème car les sudistes étant plus nombreux que les nordistes, l’ethno
mathématique électorale leur assura le pouvoir. Les principales victimes de cette nouveauté furent
les Touaregs.
Voila pourquoi la région est en guerre depuis l’indépendance, comme le Sud- Soudan. La
première rébellion touareg éclata en 1962-1963 dans l’Adrar des Iforas au Mali. Elle s’éteignit a la
suite d’une impitoyable répression menée le régime du président Modibo Keita, mais également
en raison de la sécheresse des années 1970 qui poussa les Touaregs vers les camps de refugies
installes en Libye et en Algérie. Depuis, les hostilités n’ont jamais véritablement cesse. Au mois de
janvier 2012, de retour de Libye, les Touaregs du MNLA (Mouvement national de libération de
l’Azawad), culbutèrent l’armée malienne avant de proclamer l’indépendance de la région. Profitant
de l’aubaine, les islamistes d’Al Qaida et ses diverticules régionaux se joignirent au mouvement
avec des objectifs totalement différents puisqu’ils prônent la création d’un califat transnational,
rêvant de faire du Sahel un nouvel Afghanistan.
Dans un premier temps ces groupes islamistes nouèrent des alliances de circonstance avec
certaines fractions touaregs, ce qui leur permit d’étendre leur zone d’influence. Puis ils les
doublèrent avant de les chasser de Tombouctou, de Gao et du fleuve Niger, les repoussant vers
la frontière algérienne, dans le nord de la région de Kidal. Maitres de Tombouctou, ils entreprirent
ensuite d’y « purifier » l’islam en luttant contre le culte des saints considéré par eux comme une
résurgence ou une survivance du paganisme.
Un point essentiel qu’il importe d’avoir toujours a l’esprit est que la revendication de l’Azawad n’est
pas claire. A l’exception des fondamentalistes musulmans, tous les nordistes revendiquent
l’Azawad, soit indépendant, soit autonome, soit encore simplement décentralise, mais ils ne
parlent pas tous de la même région.
Les populations de l’Azawad étant en effet composées de trois grands groupes dont les territoires
sont bien identifies, il existe donc trois Azawad :
- Celui des Touareg, soit le Sahara central. Or ces derniers sont extrêmement divises, leurs
tribus sont regroupées en fédérations au sein desquelles une subtile hiérarchie nourrit d’éternelles
rivalités qui constituent un frein a toute forme d’unité.
- Celui des Maures ou Kounta qui revendiquent une ascendance arabe et qui sont également
divises. Les Chaamba sont ainsi des Arabes se rattachant a la tribu des Beni Sulaym et ils ont
pour cœur territorial l’oasis de Timimoun en Algérie. Les Reguibat qui sont eux aussi
Arabesrevendiquent une filiation idrisside et ils nomadisent entre la Mauritanie et le Sahara
occidental.
- Celui du fleuve a la population composite : Songhai, Peul, Maure et Touareg. Maures et
Touaregs ont toujours été en conflit. Au moment de la poussée coloniale, les Chaamba furent
ainsi les efficaces auxiliaires des Français qui butaient alors sur le bastion touareg. Quant a Aqmi,
il prospère essentiellement chez certains Arabes sahariens, pas chez les Touaregs, a quelques
exceptions près liées a des clivages internes a certains sous clans. Donc, si l’Azawad naissait,
pour éviter des guerres, il faudrait le subdiviser en trois entités (voir Afrique Réelle n°31).
La question du Tchad et de ses périphéries
La encore, nous assistons a une résurgence de conflits immémoriaux inscrits dans une opposition
Nord- Sud doublée d’une guerre de leadership au sein des groupes nordistes,le tout « réactivé »
par la disparition du régime du colonel Kadhafi.
En Libye, dans les régions de Sebha et de Koufra, les combats meurtriers entre les Toubou et les
tribus arabes font que les Toubou revendiquent désormais, eux aussi, un Etat indépendant.
Or, comme la moitie de l’ethnie toubou vit au Tchad ou elle est connue sous le nom de Goranes,
les actuels événements risquent d’y rallumer par contagion une autre guerre, interne celle la, entre
les Toubou-Goranes et les Zaghawa qui sont au pouvoir a N’Djamena.
Pour le moment, au Tchad, le président Deby a la situation sous contrôle, mais il ne peut pas
laisser les Toubou de Libye se faire massacrer au risque de voir ceux du Tchad échapper a son
autorité avec pour résultat de voir se déliter la fragile alchimie ethnique sur laquelle repose son
pouvoir.
Au Tchad, durant plusieurs décennies, la grille de lecture de la situation fut résumée par
l’opposition entre un Nord désertique et islamise d’une part et un Sud agricole chrétien ou
animiste d’autre part.
Cette explication n’ouvrait que sur un seul niveau de lecture alors que depuis les années 1980,
l’imbroglio tchadien s’explique d’abord par les luttes d’influence internes au Nord.
Le 11 aout 1960, quand le Tchad, autre création coloniale, accéda a l’indépendance, les rapports
de force historiques furent bouleverses puisque le pouvoir fut remis a un sudiste, François
Tombalbaye, un Sara originaire de la région du Moyen- Chari.
La revanche historique des Noirs sédentaires sur les nomades ≪ blancs ≫ du BET (Borkou,
Ennedi, Tibesti) fut de courte durée car ces derniers, pourtant fortement divises, s’unirent contre
eux.
En 1966, l’opposition nordiste au régime sudiste se rassembla dans le FROLINAT (Front de
Libération National du Tchad) qui était la réunion de deux courants a base ethno tribale :
1) Celui du Nord rassemblait les Toubou-Goranes et il était compose de deux grands clans :
- Les Tomagra ou Toubou-Goranes du Tibesti-Borkou diriges par Goukouni Weddeye, fils du
Derdei, le chef spirituel des Tomagra.
- Les Anakaza ou Toubou-Goranes d’Oum Chalouba et de Fada avec pour chef Hissene Habre.
2) Celui de l’Est, regroupait plusieurs ethnies autour des Zaghawa vivant dans l’est et au sud de
l’Ennedi, a cheval sur le Tchad et le Soudan. Zaghawa est un terme arabe, les membres de ce
groupe se désignant sous le nom de Beri.
Les rivalités opposant les Toubou- Goranes du Tibesti-Borkou aux Zaghawa et apparentes
originaires de l’Ennedi, ainsi que les oppositions a l’intérieur de ces deux grands groupes
expliquent la vie politique agitée du Tchad ou, moins de 15% de la population ont, depuis près de
trente ans, pris l’ensemble des habitants de ce pays en otage de leurs rivalités claniques et
familiales.
Ainsi, depuis 1990, les Zaghawa contrôlent la présidence avec Idriss Deby Itno ; or ce groupe
représente moins de 3% d’une population estimée aujourd’hui a 9 millions de personnes.
A partir de 2003, le président Deby se trouva pris dans l’engrenage du conflit du Darfour, quand
les rebelles soudanais de l’ALS (Armée de libération du Soudan) et MJE (Mouvement pour la
justice et l’égalité) eurent fait de l’est du Tchad et notamment du homeland des Zaghawa
tchadiens, leur base arrière. Comme il ne parvenait pas a contrôler les siens, le pouvoir de
Khartoum le soupçonna alors de jouer un double jeu et en représailles, il décida d’intégrer des
éléments de l’opposition tchadienne au sein des milices Janjawids dont des Tamas qui sont les
ennemis traditionnels des Zaghawa.
Le président Deby répliqua en soutenant clairement les insurgés du Darfour, ALS et MJE, qui
attaquèrent alors les sanctuaires soudanais de ses propres opposants, ce qui provoqua la
réaction de Khartoum qui arma encore davantage les rebelles tchadiens. Depuis, Idriss Deby fut
plusieurs fois victorieux mais trois grands problèmes demeurent:
1) Celui de sa succession
2) La question du Darfour qui n’est pas réglée3) La contagion libyenne car les Toubous sont a
cheval sur les deux pays, et comme nous l’avons vu, ceux de Libye s’estiment menaces par
certaines tribus arabes.
Bernard LUGAN
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