Risquer d`interroger les pratiques professionnelles par les
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Risquer d`interroger les pratiques professionnelles par les
Risquer d’interroger les pratiques professionnelles par les personnes en difficultés. Un exemple d’approche dans le cadre de la formation. René DOLIGNON, militant ATD Quart-monde _______________________________________________________________________________ Travailler nos représentations, analyser les situations ensemble Dans une co-formation (qui implique ensemble des professionnels et des personnes en situation de grandes difficultés), nous travaillons d’abord sur nos représentations. On apprend à se connaître, personnes qui vivent des situations de pauvreté et professionnels de la santé. Nous, militants qui vivons ou avons vécu des situations de pauvreté et qui sommes engagés dans une association, nous représentons des familles et des gens de la précarité, de la grande pauvreté. On parle de notre vécu, de notre parcours de santé. Eux, les professionnels de la santé et les travailleurs sociaux, ils parlent de leur travail. Ce travail sur les représentations nous aide à nous comprendre, à comprendre nos façons de dialoguer, à apprendre comment se regarder, à apprendre comment discuter ensemble. Nous travaillons ensuite à partir de récits d’expérience sur la rencontre des uns et des autres. Les récits des militants sont plus des histoires fortes parce que c’est des histoires de souffrance et de réalité. Les récits des professionnels parlent de leur rencontre des gens de la précarité dans leur travail, tout en étant attentifs à notre histoire de misère. Du travail à partir des récits d’expérience, nous avons tiré des thèmes, par exemple : accueillirécouter-communiquer; peur et agressivité ; préjugés et jugements. J’ai participé à l’atelier Peur et agressivité. La peur et l'agressivité sont toujours en moi, mais j’essaie de les contrôler. Les trois jours m’ont aidé. Je parle maintenant plus respectueusement aux assistantes sociales, qui étaient aussi présentes. Pour la 4ième journée de bilan, six mois après, nous avons joué du théâtre-forum. J’ai joué mon propre rôle. C’est plus difficile de jouer la personne violente que d’être violent dans la réalité parce que c’est deux choses différentes. Quand on joue le rôle du violent, on se contrôle. Quand on est dans la réalité, on se contrôle pas, on ne réfléchit même pas parce que la violence dépasse la pensée. L’importance que l’analyse des expériences de vie soit faite et transmise par les personnes elles-mêmes C'est important parce qu'il faut que le professionnel comprenne que la misère est là vis-à-vis de la santé et il faut qu'elle soit reconnue par les professionnels de santé et par les travailleurs sociaux visà-vis de la souffrance et des malades. C'est une sorte de message qu'on dit de notre vécu et du vécu des autres personnes de la précarité. Quand on vit la misère, aux yeux des autres, c'est compliqué parce que ça détruit les couples, l'avenir des enfants, ça détruit le moral et c'est des questions que les professionnels évitent d'en parler. C'est pourquoi on étouffe aussi cette question dans le monde. Les apports des personnes en difficultés aux professionnels On apporte aux professionnels notre savoir. Notre savoir, c'est notre vécu. Les professionnels et le monde de la précarité peuvent très bien s'entendre et faire alliance. Quand on fait alliance, c'est le partage du savoir. On fait connaître aux professionnels les causes des maladies de la misère qui peuvent aussi être les mêmes maladies que les riches, mais pas pour les mêmes causes. J'ai toujours eu ce regard de haine sur les gens les plus aisés depuis que je suis petit parce que j'ai vécu la violence. Dans les discussions de la co-formation, j'ai un peu évolué pour être moins sauvage et mettre mon poing dans la poche. Nous faisons comprendre aux professionnels que des histoires comme ça existent, que c'est des histoires de réalité qui se sont vraiment passées, qui sont pas en l'air et qui doivent rester dans les esprits des professionnels. Des difficultés dans cette approche Il y a des gens qui ne savent pas lire, qui ont du mal à comprendre le langage des professionnels. Eux, ils ne comprennent pas non plus notre langage, il faut trouver un langage que les deux partis comprennent. Ma difficulté, c'est aussi de me contrôler dans les discussions parce que quand j'entends de l'injustice, je me mets à gueuler. Un récit d'expérience d'un professionnel parlait d'une personne qui avait été agressée par son mari. La police s'était déplacée. L'assistante sociale était là pour soutenir la personne. La police s'est adressée à l'assistance sociale et a fait une réflexion comme : « Ces gens-là, n'importe comment avec eux, c'est toujours la même histoire ». Ça, ça m'a révolté. De s'adresser à l'assistante sociale et pas à la personne, c'est un manque de respect pour la personne, et à la réflexion, c'est considérer les gens comme des déchets humains. Une autre difficulté, c'est de se rendre compte qu'on met tous des étiquettes. Les professionnels ne doivent pas mettre une étiquette, ne doivent pas juger les personnes de la précarité, mais essayer de comprendre leur histoire. Et les personnes de la précarité ne doivent pas juger les professionnels.