20100212 - Alter Echos 289 - Enceintes et sans toit

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20100212 - Alter Echos 289 - Enceintes et sans toit
Enceintes et sans toit
Alter Echos
n°289
Action sociale
12/02/2010
Marinette Mormont
À Bruxelles comme en Wallonie, on trouve parmi le public des structures d’hébergement des femmes enceintes ou
venant tout juste d’accoucher. Qui sont-elles ? Quelles problématiques rencontrent-elles ? Petit tour d’horizon avec
quelques acteurs de terrain.
Emmanuel Condé est en charge d'un projet de promotion de la santé au sein de l'asbl Comme chez Nous1, centre
d'accueil de jour pour personnes sans-abri à Charleroi. Au cours des dernières années, il a été alerté par le nombre de
femmes enceintes qui fréquentent le centre d'accueil : entre 15 et 19 cas sur une centaine de femmes par an. De
Charleroi, direction Bruxelles, à l'hôpital Saint-Pierre. Ici des femmes enceintes ou sur le point d'accoucher et sans
logement arrivent régulièrement. Pas de chiffres précis, mais c'est de l'ordre d'une fois par semaine. Pour toutes ces
femmes, le besoin premier, c'est évidemment de trouver un toit. Mais au-delà de cette demande à traiter en urgence,
se posent les questions du suivi médical de la grossesse et de la relation mère-enfant qui s'installera après
l'accouchement.
De plus en plus de grossesses
chez les ados
À Bruxelles, les femmes enceintes qui se retrouvent à la rue ont souvent été victimes d'un mariage qui tourne mal ou
de violences intrafamiliales. Ou alors il s'agit de femmes sans-papiers ou avec des statuts administratifs très précaires.
Les maisons d'accueil reçoivent notamment de plus en plus de demandes d'admission de la part de femmes arrivées
récemment d'Afrique du Nord ou d'Afrique subsaharienne pour des raisons économiques, de regroupement familial ou
liées à des situations de guerre. « Nous recevons des appels des hôpitaux pour trouver un logement à ces femmes. Le
problème c'est que le réseau est saturé, car les temps d'accueil sont de plus en plus longs », explique Anne Devresse,
directrice de la Maison rue Verte2.
Autre constat, l'augmentation du nombre de demandes d'admission dans les maisons d'accueil provenant de mineures
enceintes. C'est le cas à Bruxelles comme en Wallonie. Pour Agnès Crabbe, directrice de la maison d'accueil
Chèvrefeuille3, cette augmentation s'expliquerait par une forte augmentation du nombre de grossesses chez les
adolescentes. « Ces jeunes filles sont placées chez nous par le SAJ (Service d'aide à la jeunesse) ou le tribunal de la
jeunesse, car elles ont des problèmes familiaux, explique Agnès Crabbe. Dans des cas plus rares, ce sont les parents
qui font la démarche de nous les amener. Les jeunes filles se protègent moins qu'auparavant des MST et des
grossesses : il y a eu un moment une certaine phobie dans la population liée à la peur du sida. Mais cela a un peu
disparu. »
Une urgence : trouver un toit !
Ina est actuellement logée à la Maison rue Verte, à Saint-Josse. Depuis sa grossesse, elle crapahute de structure
d'accueil en logement précaire et inversement : « Quand j'étais enceinte, j'ai été au Casu puis dans une maison
d'accueil d'urgence. Tout un travail social a été mis en route pour que j'aie les papiers nécessaires pour pouvoir entrer
dans un logement privé, car j'avais un droit de séjour provisoire. Après la naissance, j'ai habité quelques mois dans un
appartement. Quand mon petit garçon a eu trois, quatre mois, je me suis retrouvée à nouveau au Casu. Mais ce n'était
pas équipé, je ne pouvais pas facilement laver mon bébé, je ne pouvais pas y rester durant la journée. » Sans parler
des conditions d'hygiène peu acceptables pour un nourrisson. « Je passais la journée chez des amis ou dans un snack.
J'ai ensuite atterri chez Fedasil, puis chez une amie, avant d'arriver à la Maison rue Verte », raconte-t-elle.
Begoña Cainas et Anne-Cécile Noël, du service social de l'hôpital Saint-Pierre à Bruxelles s'emploient, au jour le jour, à
trouver des solutions pour orienter ces femmes vers un hébergement. Les scénarios sont fonction des profils
rencontrés. Mais quelles que soient les situations, le manque de logements, même transitoires, est criant.
Quand les femmes ne sont pas en situation illégale, elles sont orientées vers les maisons d'accueil pour femmes. Mais
le réseau est souvent saturé car les sorties sont de plus en plus difficiles, inaccessibilité du logement oblige. Les
demandeuses d'asile avec des enfants sont orientées vers les centres fédéraux de Fedasil. Pleins, eux aussi.
Actuellement, avec l'augmentation du nombre de demandes d'asile, des femmes sont logées avec leurs bébés dans des
hôtels, dans des conditions de vie qu’on devine pas évidentes surtout après un accouchement. Dans certains cas
extrêmes, on a recours à des hospitalisations sociales. Quant aux patientes sans-papiers, elles vont séjourner chez des
compatriotes, au Samu social ou encore au centre d’accueil d’urgence Ariane. Le couvent des Sœurs de Mère Thérésa,
à Saint-Gilles, en accueille aussi quelques-unes. Mais il s’agit là de réponses précaires ou relevant de la charité, les
solutions structurelles faisant défaut.
Dans tous les cas, c’est l’urgence du logement qui prend le pas sur la grossesse. Stéphanie, logée à la Maison rue Verte
: « Quand on est enceinte et qu'on n'a pas de logement, on pense plus au logement qu'au bébé. On oublie qu’on est
enceinte, le logement, ça nous travaille tout le temps. »
Le suivi médical de la grossesse
Les femmes enceintes qui fréquentent l’asbl Comme chez Nous cumulent souvent différents problèmes de santé :
toxicomanie, handicap, mais surtout des problèmes de santé mentale. « Ce sont souvent des grossesses à risque,
explique Emmanuel Condé. Et la grossesse s’intègre naturellement dans leur manière de vivre, qui ne change pas d’un
iota. » Plus généralement, les problèmes touchant au suivi médical de la grossesse sont plutôt financiers. Agnès
Crabbe : « La population en maison d’accueil a de plus en plus de problèmes de dettes, ce qui a des impacts sur les
besoins primaires de logement, d’alimentation et de santé. Les femmes ont de plus en plus de difficultés à prendre en
charge les frais médicaux et parfois ne se soignent pas. Cela pose aussi problème pour l’achat du lait en poudre. Il y a
un suivi médical des grossesses gratuit via les consultations ONE et l'on pousse vers un suivi en maison médicale.
Sinon, c’est souvent au coup par coup aux urgences et les problèmes ne sont traités qu’aux moments de crise. »
Si les modalités d’un suivi médical démocratique existent, inscrire ce suivi dans la durée relève parfois du parcours du
combattant pour des raisons administratives. « Les femmes ont besoin d’un réquisitoire pour chacune des démarches
médicales effectuées. Ici, on essaye que les mamans gardent les liens avec les services médicaux qu’elles
connaissaient auparavant. La difficulté, c’est que les CPAS ont souvent une convention avec un hôpital et l’octroi d’un
soutien financier pour les frais médicaux empêche le choix des intervenants », précise Anne Devresse. Et c’est la même
chose pour les pharmacies, conventionnées elles aussi. « Pour les médicaments, comme pour le lait, les femmes
doivent souvent courir jusqu'à leur ancien domicile, or tout le monde sait combien les déplacements sont parfois
difficiles avec un bébé… »
Les débuts parfois chaotiques
d'une relation mère-enfant
Favoriser le développement d’une relation épanouie entre une mère et son enfant dans un contexte de grande
précarité, l’enjeu est de taille. C’est une des vocations des centres d’hébergement de type familial. « L’objectif pour
nous est que les femmes enceintes aient un endroit à elles où elles sont en paix, afin qu’elles puissent se consacrer à
l’arrivée de leur bébé. Le temps de séjour prévu est suspendu pendant trois mois, c’est une parenthèse avec le bébé
après la naissance, pour prendre le temps de se connaître, commente Anne Devresse. Autour de l'accouchement, on
essaye de limiter le stress lié au fait qu'elles n'ont pas de logement durable. On a aussi une crèche qui permet de
prendre le temps de faire toutes les démarches nécessaires. »
« Le lien mère-enfant, c'est une question d'autant plus inquiétante que la grossesse se termine la plupart du temps par
une séparation, pour une protection de l'enfant, ce qui augmente encore la souffrance affective de ces femmes »,
s’inquiète Emmanuel Condé. 60 % des femmes qui passent par l’asbl Comme chez Nous ont un enfant et, parmi elles,
80 % ont un enfant placé. « Or cette séparation a des impacts importants et est un facteur déterminant au niveau de
la sortie ou au contraire de l'enfoncement dans la précarité. »
Difficultés à prendre en charge leur quotidien ou difficultés dans leurs relations avec leur enfant… Pour Emmanuel
Condé, les problèmes de santé mentale des femmes qui fréquentent les structures d’hébergement sont préoccupants.
Même s’ils sont loin d’être systématiques. Agnès Crabbe relève d’ailleurs un déficit dans les possibilités de suivi à
domicile après la sortie des maisons d’accueil. « Il manque un suivi beaucoup plus solide à domicile, un suivi quasi
quotidien… Mais il n'y a pas de solution pour cela. Il existe bien des appartements thérapeutiques, mais il y en a
beaucoup trop peu. Or, parfois, se cumulent des problématiques de logement, administratives, psychiques et de
relations mère-enfant... »
6.
7.
8.
Comme chez Nous asbl :
- adresse : rue Léopold, 36 à 6000 Charleroi , Belgique
- voice071 30 23 69.
Maison
- adresse : rue Verte asbl :
- adresse : rue verte, 42 à 1210 Bruxelles , Belgique
- voice02 223 56 47.
Chèvrefeuille asbl :
- adresse : rue Lesbroussart, 104 à 1050 Bruxelles , Belgique
- voice02 648 17 78.

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