Mémoires d`Algérie (6) Les dernières confidences du général Paul
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Mémoires d`Algérie (6) Les dernières confidences du général Paul
Région DEF DIMANCHE AVRIL 2012 40 MARDI 329 JANVIER 32 Mémoires d’Algérie (6) Les dernières confidences du général Paul Aussaresses glace, c’est Monsieur Bouteflika, le président de la République algérienne, interrogé par un journaliste français. Il a dit : « Tout ce qu’a fait, dit, écrit Paul Aussaresses, il l’a fait dans l’honneur ! » Ça m’a fait plaisir d’entendre ça. Parce que, figurez-vous, c’était l’expression de la vérité. Vous faites de la politique ? Non, mais ça m’intéresse. Si l’on pense que votre préférence va à l’extrêmedroite, on se trompe ? Non, c’est vrai. Je connais Marine Le Pen, pour avoir dansé avec elle. J’ai trouvé qu’elle avait avec moi quelque chose de commun : la taille ! Si vous me demandez ce que je pense d’elle… Oh, je n’en pense que du bien ! Mais j’ai voté pour Sarkozy… Le général Aussaresses avait fait scandale en reconnaissant l’utilisation de la torture lors de la guerre d’Algérie. Âgé de 94 ans, il vit désormais en partie en Alsace. Et il assume toujours son passé: «On a fait ce qu’on devait…» Une propriété protégée par une haie sombre, dans une rue tranquille de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. Il n’y a pas de nom sur la boîte aux lettres ; pas de sonnette non plus, juste un gros chien aboyeur, plus impressionnant que méchant. Ici – où, paraît-il, parviennent régulièrement des lettres quémandant des autographes – vit une légende de l’armée française : le général Paul Aussaresses. Une légende sulfureuse : si sa vie est un roman, ce n’est pas un récit à l’eau de rose, mais d’action, avec son quota de violences… Et il n’a pas le profil à tenir toujours le rôle du gentil. Ce général fut espion, marchand d’armes, formateur des futurs soldats du Vietnam, combattant de la Seconde Guerre et d’Indochine… Et, surtout, un protagoniste, en 1957, de la « bataille d’Alger ». Un conflit pendant lequel il a reconnu, et même justifié, dans des interviews et des livres publiés au début des années 2000, l’utilisation de la torture. Certains lui ont reproché les faits ; d’autres, de les avoir révélés. En s’invitant chez le général, on pouvait craindre un accueil plutôt froid ; il est en réalité très courtois. Âgé de 94 ans, fatigué (le dernier hiver l’a éprouvé), entendant mal et ne voyant pas mieux «J’ai été obligé de tirer» Le général Aussaresses dans sa maison de la vallée de Sainte-Marie-aux-Mines. Il a abandonné le bandeau qui cachait son œil blessé au profit de lunettes noires. Photos Jean-Marc Loos (il a perdu un œil au combat), le militaire ne s’est pas défilé, s’exprimant de façon claire, avec une pointe d’accent du Sud-Ouest. Ces confidences sont-elles les dernières ? Le vieil homme, qui se dit croyant et pratiquant, a prévenu ses proches qu’il exigera la présence d’un aumônier militaire quand sa dernière heure sera venue. «Pas de repentance» Général Aussaresses, êtesvous heureux en Alsace ? Je réponds, avec un point d’exclamation : oui, je suis heureux en Alsace ! Bio express H Le général de brigade Paul Aussaresses est né en 1918 dans le Tarn. H Pendant la Seconde Guerre mondiale, il devient parachutiste et intègre les services secrets. H En 1955, il est officier de renseignements à Philippeville, en Algérie. Il sert ensuite en Indochine, et revient en Algérie en 1957, pour participer à la « bataille d’Alger » auprès du général Massu. H Au début des années 60, il forme des militaires américains pour la lutte contre la guérilla. En 1973, il devient attaché militaire au Brésil, où il donne également des cours. Qu’est-ce qui vous plaît ici ? Les Alsaciens… et les Alsaciennes ! Mais nous allons plutôt parler de l’Algérie, où vous avez combattu le FLN. Cette période a marqué votre vie, j’imagine… Grandement ! Vous avez confirmé l’utilisation de la torture durant cette guerre. Vous estimez que c’était un moyen nécessaire, dans ces circonstances ? Je trouve que c’était nécessaire, quand nous l’avons fait, et utile… S’il fallait le refaire, vous le referiez ? Si c’était à refaire, je referais ce chemin. Je ne serais pas content, mais je le referais… C’était pour la France. C’est le devoir d’un soldat. J’assume. C’était une vraie guerre. « Notre sang vert, c’est pour la France… » Votre « sang vert » ? Un de mes chefs m’avait dit : « Depuis que je vous connais, je trouve que vous avez le sang vert ! » J’ai dit : « Qu’est-ce que vous voulez dire par là ? » C’est un jeu de mots, avec une chanson : « Notre sang versé pour la France ! » Ça ne veut pas dire que je suis content d’avoir le sang vert, mais j’ai le sang vert ! Vous appelez la petite maison où vous dormez la « casbah ». Vous pensez encore souvent à ce que vous avez fait en Algérie ? [Il rit] Alors là… Je reste muet. Mais si je réfléchissais pour vous répondre, je vous dirais que j’y pense tout le temps… Après vos révélations sur la torture, le président Chirac a demandé que l’on vous retire votre Légion d’honneur. Comment l’avez-vous vécu ? C’était injuste ! J’aurais pu dire : « Mais ce que j’ai fait, je l’ai fait sur ordre ! » Mais ce serait lâche de le dire, je ne le dis pas, hein ? J’ai agi parce que c’était mon devoir. Vous n’êtes pas pour la repentance par rapport à la façon dont la France a agi en Algérie ? Non, on a fait ce qu’on devait. Vous considérez-vous comme un homme d’honneur ? Ce n’est pas moi qui l’ai dit, en me regardant fièrement dans la On a l’impression que vous avez encore beaucoup de secrets à dire… J’en ai, bien sûr, mais pas beaucoup… Je n’ai plus de révélations à faire. S’il reste des secrets, c’est parce que vous avez promis de les taire, c’est ça ? C’est ça. Est-il vrai que vous avez rencontré Klaus Barbie en Amérique du Sud ? Bien sûr ! Il s’appelait Altmann, il était chez lui, là-bas. J’ai dit aux représentants de nos services : « C’est Barbie, pourquoi on ne le zigouille pas ? » Vous, il vous est arrivé de tuer directement ? Mais j’ai tiré, j’ai été obligé de tirer ! Devant moi… Votre vie est celle d’un personnage de roman… C’est un personnage qui faisait ce qu’on lui disait de faire. Ça s’est passé comme ça… Je me souviens d’une fois, en Indochine, j’entendais parler des colonels, l’un d’eux disait : « Il y a telle chose qui doit être faite », et les autres ont dit : « Qui va le faire ? » Alors, un des colonels a dit : « On va le donner à Aussaresses parce que ça l’amuse ! » Mais ça ne m’amusait pas ! Est-ce que vous considérez que vous avez eu une belle vie ? Oui ! Parce que ma vie se termine avec une belle femme ! Dossier réalisé par Hervé de Chalendar « C’est un bon garçon ! » Le général et Elvire, son amour alsacien. Tout bon roman, quel que soit son registre, doit comporter une histoire d’amour. Le général, assure sa bellefille Martine, fut « un homme à femmes ». Et s’il vit aujourd’hui une bonne partie de l’année en Alsace (il a aussi un appartement boulevard Montparnasse, à Paris), c’est à cause d’un « coup de foudre » : il y a dix ans, déjà octogénaire, il s’est marié avec une jeune septuagénaire alsacienne, rencontrée lors d’une réunion d’anciens parachutistes. Pendant l’entretien, sa femme Elvire, ne cesse de lui prendre la main. Et répète, comme pour nous convaincre : « C’est un gentil garçon ! » Mais on sent bien, malgré tout, que le général garde un sacré caractère… Paul Aussaresses lors d’une prise de commandement à Pau, en 1967. B. Winter : « Bigeard, on l’appelait papa… » Vice-président haut-rhinois de la Fnaca, Bernard Winter, 75 ans, fut parachutiste en Algérie, entre mai 1957 et janvier 1959. Il en a rapporté des blessures. Et une indéfectible affection pour son chef d’alors, le colonel Bigeard. Il avait à peine 20 ans, n’était qu’un appelé et a été jeté dans ce que, d’un euphémisme hypocrite, l’on appelait des « opérations de maintien de l’ordre » en Algérie, mais ce qui était bien une guerre. Natif d’Ensisheim, où il demeure encore aujourd’hui, Bernard Winter avait demandé la Marine. « Trois fois. Ils m’ont drôlement mariné… » Car ils l’ont envoyé chez les paras. Mais finalement, ça ne lui a pas déplu… Il arrive en Algérie en mai 1957. Il est « voltigeur de pointe », autrement dit en première ligne : « Il fallait ouvrir la route… À chaque mètre, on risquait de se faire descendre. » À la tête de ce 3e Régiment de parachutistes coloniaux (RPC) se trouvait un certain Bigeard, alors lieutenant-colonel. « On était en adoration devant ce mec. Il était avec nous, pas planqué derrière… » Ses hommes l’appellent « papa », « Marcel », « Bruno » (son nom de code), voire « le vieux », alors qu’il était tout juste quadra. « Avant le combat, il disait : ‘‘Je veux que tout le monde soit rasé, je veux de beaux morts !’’ » Ou alors : « C’est celui qui tire le premier qui a une chance de s’en sortir. » «Chaque guerre est très, très sale» Bernard Winter, avec la Légion d’honneur qu’il a obtenue, à titre militaire. Il est aussi titulaire de la « 1re classe, nommé au feu », de la valeur militaire et de la médaille militaire. Photo Denis Sollier Bernard Winter participe à toute la bataille d’Alger. « Plus on avançait, plus on voyait les copains morts, plus on oubliait le savoir-vivre… » Il n’en dira pas plus, contrairement à d’autres : « Je ne parlerai jamais de ce que j’ai fait et vu. Je peux juste vous dire que chaque guerre est très, très sale… » Il est blessé deux fois. La premiè- re, une balle lui traverse le corps, sous l’épaule droite, mais ne touche aucun organe vital. La seconde est plus grave : le 18 octobre 1958, il reçoit un coup de fusil de chasse dans le ventre. « J’ai encore des plombs… » Au Noël suivant, à l’hôpital, « les deux filles de Massu m’ont apporté des confiseries et un briquet… » Il est contraint de quitter l’Algérie en janvier 1959. « Je suis allé chez Bigeard, il m’a pris dans ses bras, j’ai pleuré, et on a bu du cognac… » Il a toujours le mot écrit alors par son chef : « Tes sacrifices, tes peines ne seront pas vains, c’est impossible. » L’Alsacien est ensuite affecté à Versailles, et démobilisé en juillet 1959. Il deviendra mineur de fond, dans le Bassin potassique. « Mais sans cette blessure, je serais resté para… »