Le Théâtre des divers cerveaux du monde de Tommaso Garzoni
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Le Théâtre des divers cerveaux du monde de Tommaso Garzoni
Le Théâtre des divers cerveaux du monde de Tommaso Garzoni, Paris, 1586 Copyright (c) 2009 by Centre d'Etudes Supérieures de la Renaissance Si vous utilisez ce document pour la recherche, prière de référencer l'URL du document. If you use this document for research, please reference this URL. Cette création est mise à disposition sous un contrat Creative Commons "Paternité - Pas d'utilisation commerciale - Pas de modification" . This work is licensed under a Creative Commons "Attribution-Noncommercial-No Derivative Works" 2.0 France License . Première publication : 23 juillet 2009 Mise à jour : Jeudi 23 Juillet 2009 Garzoni, Tommaso (1549-1589) LE THEATRE DES DIVERS CERVEAUX DU MONDE. AUQUEL TIENNENT PLACE, selon leur degré, toutes les manieres d'esprits & humeurs des hommes, tant louables que vicieuses, deduites par discours doctes & agreables. Traduict d'Italien, par G.C.D.T. A PARIS, Pour Felix le Mangnier, Libraire juré en l'Université de Paris, au Palais en la Gallerie allant à la Chancellerie. M.D.LXXXVI. AVEC PRIVILEGE DU ROY. Jehan [unclear] ( Le Mangnier, Félix - Paris - 1586) [1v] EXTRAICT DU PRIVILEGE du Roy. LE Roy par ses Lettres patentes données à Paris le septiesme jour de Febvrier 1586. signé Yver[sic], est permis à Jean Houzé Libraire à Paris d'Imprimer ou faire Imprimer Le Theatre des divers Cerveaux, traduit d'Italien en François, Par Gabriel Chapuis pendant le temps & terme de neuf ans: Et deffenses à tous autres Libraires & Imprimeurs d'en imprimer ny faire imprimer vendre ny distribuer autre que ledict auroit faict imprimer, pendant ledict temps de neuf ans, sur peine de confiscation desdicts Livres & d'amande, arbitraire comme plus emplement est declaré en ses Lettres données à Paris le jour & an que dessus. [2] A NOBLE ET TRES-VER tueux, Pierre Habert Conseiller du Roy, Secretaire de sa Chambre, de ses Finances, & de la Maison et Coronne de France: Bailly de son Artillerie, & Garde du scel d’icelle. &c. MOnsieur, attendant chose plus digne de vous, & accomplie de tous poincts comme vous estes accomply de toutes vertuz, j’ay osé, veu votre facilité & humanité si grande, vou[sic] acheminer ce Theatre des divers Cerveaux, procedé d’un gentil Cerveau Italien, & faict François, par vostre accoustumé labeur, & diligence. Je croy que vous aurez du plaisir, à remarquer selon vostre grand jugement, quels sieges y doivent tenir tant de nobles Esprits, & rares Cerveaux, qui embelissent la Court du plus grand, magnanime & Religieux Prince du monde, entre autres, ce Phoenix des bons Cerveaux: cet exemplaire de toute vertu, & A.ij. [2v] d’une miraculeuse memoire, vous le conois sez sans que je le nomme, & un bon nombre d’autres, lesquels par leur perfections, paroissent & eclairent entre une infinité d’hommes lettrez, comme le Soleil entre les autres estoilles. Bref vous aurez du plaisir & contentement d’y assigner lieu propre & pecu- lier, à un nombre infiny d’autres cerveaux, de quelque humeur qu’ils soient menez en ce miserable temps, où le vice ha prins tel pied & racine, qu’il semble braver la vertu & lui tenir le pied sur la gorge. O temps! ô moeurs! Je prie Dieu de changer tellement les bizarres cerveaux des hommes, qu’en fin l’heresie face place à la religion, le vice à la vertu, l’hypochrisie à la verité, la simulation à la sincerité, & les mauvais aux bons. Passez donc icy le temps: & ce pendant je prieray Dieu: Monsieur, vous donnez en santé tresheureuse & longue vie. De l’Université ce 20. May. 1586. Vostre tres-humble & tres-affectionné serviteur, Gabriel Chappuys. 3 PREFACE, LE THEATRE DE l'Hauteur aux spectateurs. NE trouvez chose merveilleuse, tresnobles spectateurs, de voir les merveilles antiques estre susciteés[sic] de nostre temps: comme si le siecle present, differant de ceux là qui sont passez, en la maniere que le fer rouillé dif fere de l'or, requeroit choses moin dres: ne vous esmerveillez dy-je, voyant les Theatres, uniques exemples de la grandeur Romaine, se former aujourd'huy, & se presenter devant voz yeux ornez & ceints ou entournez des plus beaux ornemens, que les modernes ouvriers ayent peu recueillir &. tirer des A iij PREFACE. [3v] anciens & vieils Architectes. Carbien que les forces des nepveuz soient inegales à celles de noz ancestres, les esprits neantmoins des modernes ne sont tels, qu'ils se lais sent vaincre & surmonter d'eux: ains par une singuliere grandeur d'enten dement, ils aspirent aux choses mesmes, voire à plus grandes, comme il est advenu, à nostre Ouvrier, lequel tres-debile de force & valeur, a voulu neantmoins par une treshaute hardiesse & entreprinse essayer de bastir un Theatre, non toutesfois materiel, mais intellectuel, pour plusieurs conditions (se remettant au jugement des autres) ou egal ou superieur à ceux des anciens. Me voicy en prospective de vant voz yeux: daignez voir les por tes, les arcs, les sieges, & vous rendre en tout & par tout diligens specta PREFACE. 4 teurs de mon edifice, & vous verrez la hauteur, la capacité & la grandeur ou egaller ou surpasser celle de tous les autres Theatres precedens. Je me rejouy en moymesme, pource que je me voy pouvoir contendre & debatre en partie, avec celuy de Marcellus basty à la Dorique, & à l'Ionique ensemble avec ses triglif fes, metopes, colonnes & bases de singulier ornement, pource que j'ay deux ordres d'artifice, quasi le Dorique & l'Ionique aussi: l'un de louange artificielle, l'autre de blasme, comme vous pouvez voir, & j'ay pour bases & pour colonnes, certains cerveaux & grands esprits (ce qui me sert d'ornement particu lier) ornez de mille bordures, & d'in finies palmes & trophées. Je ne pense devoir ceder en capacité & grandeur à celuy d'Emilius Scaurus, veu Theatre de Marcellus. Theatre Scaurus A iiij PREFACE. [4v] qu'il ne comprenoit en son tour & pour pris plus de septante mille personnes: & je tiens (si je ne m'abuse) en mes tresamples & spa cieux sieges, tous les hommes qui sont au monde. Je pourrois, mais je ne le veux, me preferer, sans autre chose, à celuy que le superbe & victorieux Titus Quintus Flamminius bastit, avec l'ayde de soixante mille esclaves, veu qu'il est tout certain & manifeste, qu'une grande structure & edifice est plus honorable, quand il est faict & composé par une seule personne, que par plusieurs congregees ensemble. Je pourrois aussi, si je voulois me vanter & glorifier de quelque concurrence à celuy de Pompee, lequel, par une grande multitude de Paintres, fut par le commandement de Neron, tout mis en Theatre de Flamminius. Amphitheatre de Pompée. PREFACE. 5 or, en une seule nuit, afin de le monstrer, le jour ensuivant, au Roy des Armeniens: au lieu que j'ay esté par un seul Paintre, en peu de jours, sans modelle d'autre devant luy, & basty & orné tout ensemble, par l'estude indefatigable, & travail invincible de l'es prit d'iceluy. Trouverez vous pas que ce mien Architecte ait beaucoup faict, reprenant quasi comme un Antée nouveau, du bas de la terre, où l'envie le tient enseve ly, une courageuse force & vigueur, à ces entreprinses de Thea tres, tant magnanimes & gene reuses? a il pas introduit, comme au cheval Troyen, une si grande quantité d'Heroz en mes sieges, qu'il me fait reputer à la seule apparence telle que je demonstre exterieurement, PREFACE. [5v] une tressuperbe machine? M'a il pas faict au moyen de ces cerveaux pacifiques & tranquilles, en la maniere du magnifique Temple de la Paix, jadis edifié à Rome? m'a il pas faict un Arsenal Pireen, par les hardiz, braves & belliqueux? un simulachre de Jupiter Olimpique, par les Joviaux? un Temple de Minerve, par les sages? une Forteresse d'Athenes & de Sion, par les vertueux? Un mur de Babylone, par les stables & fermes? Un Licée de Platon, au moyen des doctes & sçavans? Une Tour de Phare, par les accorts? Un Colosse Rhodian, par les graves? Une Piramide du Nil, par les subtils & aiguz? Un temple de Diane Ephesienne, par l'entrée des vertueux? Or quelle grandeur me pouvoit il donner plus grande? Les cercles, rondeurs, PREFACE. 6 estudes, Obelisques antiques, les Termes de Diocletian, la Machine d'Adrian, le Pantheon tant superbe, me feront quasi dire, qu'ils n'ayent concurrence suffisante & egalle à ceste mienne grandeur: & n'estoit que ma gloire est fort dangereuse, à cause du mauvais peuple qui a prins place aux plus bas sieges, entré par force au dedans, j'oserois dire, que quant au superbe bastiment, je suis un autre Olimpe, soustenu non par la force & valeur, ains du grand esprit au moins d'un nouveau Atlas. Mais ceste tres vile canaille me ruine, pource qu'elle m'occupe indignement tant de sieges, & avec une si grande presomption & insolence, que d'un Theatre tres noble, je sembleray paravanture à quelqu'un faict & devenu une estable tres deshonneste, ou PREFACE. [6v] une cuisine de personnes viles & basses seulement. Les Vains me feront sembler & paroistre une vanité du monde: les inconstans une legereté de jeunesse: les Curieux, une vraye curiosité exterieure: les delicats & dedaigneux un mont de fiente fumeuse: les passionnez un labyrinthe obscur & tenebreux: les ocieux, & pa resseux me feront paroistre un songe transitoire: les morts & insensez, une roche: les Goffez & lourdauts, une pure gofferie: les timides, & irresoluz, justement une brouillerie: les debiles & lourds une cabanne de paisan: les despourveuz de soin & memoire, une fausse imagination, les sots & simples, une simplicité & bestise: les diminuez, une cuve de celles de Bergame: les vuides, un hospi PREFACE. [7] tal de fols de Milan. J'ay peur que les causeurs & languagers me fassent sembler une chaire de chansons & balivernes: les Pedantésques & Sophistiques, une escole puerile: les Glorieux & Scavantereaux, une prospective de Paintres: les Glorieux & solennels, un chasteau basty en l'air: j'ay peur que les incivils me fassent sembler une maisonnette de paisan: les ignorans, un pilier, qui ne se mouve: les doubles & malicieux, une de ces Galeaces Venetiennes, de la flotte, quand elles deceurent & abuserent la flotte ennemie: les Bouffons, une scene de Come diens: les Dissoluz, une table pour gourmander & jouer: les immoderez, une machine temeraire & arrogan te: les Vicieux, en general, un barquerot desjoinct de toutes parts: PREFACE. [7v] En fin j'ay peur que les non reposez, qui n'ont aucune cesse, me fassent sembler une maison caduque & rompue, les Contentieux, une sale du Criminel: les Malins & per vers, un Conciliabule d'iniquité: les fascheux & audacieux un vieil escueil de mer, rompu & cassé: les Melancholiques & sauvages, une forest de bestes: les Alquimistes, une boutique de phiole, chapelles & Alembics: les Astrologues, une sphere toute rompue: les fols, une chose extravagante: les Brutaux, une estable de bestes: les Terribles & en diablez un Enfer: ceux qui font & ordonnent à leur teste, un basti ment & fabrique, sans mesure, sans ordre, & sans aucun moyen, & ceux desquels le diable (comme l'on dit) ne se veut mesler ny empescher, une chose trop fantastique & trop PREFACE. 8 extreme. Parquoy me trouvant en ceste maniere, je ne me veux pas trop eslever, de peur que ne m'advinst, tant plus grand seroit le faut, par l'insolence de ces bestes, une plus grande descente, voire ruine. Et pourtant je me descouvre & ma nifeste volontiers aux yeux d'autruy tel que je suis, afin que chacun me pouvant à son aise voir & contempler, des pieds jusques à la teste, l'on voye, si je suis un Theatre, ou vraiment une chose estrange, & dif ferente de ceste cy. Il est bien vray que je juge & estime qu'en la ma niere que les hideux masques, mis & appliquez par artifice aux belles tapisseries de Flandre, les rendent aux yeux d autruy plus excellens & merveilleux: ainsi pourroyent bien d'avanture ces cerveaux difformes accommodez par l'art & industrie PREFACE. [8v] de mon Architecte, me faire pareillement, de ceste part, apparoi stre un Theatre Roial & seigneurial. Regardez moy donc par le menu, tel que je suis, je me tiens ferme, & ne suis aucunement esmeu, ny esbranlé par voz yeux & prefences. [9] TABLE DES DISCOURS. Des cerveaux paisibles & tranquilles, discours I. Des cerveaux hardiz & belliqueux, disc. 2. Des cerveaux gaillards & Joviaux, disc. 3. Des cerveaux facetieux. disc. 4. Des cerveaux arguts. disc. 5. Des cerveaux accorts, fins & rusez disc. 6. Des cerveaux vifs, pronts & esveillez. disc. 7. Des cerveaux subtils, aiguz, & de jugement. disc. 8. Des cerveaux scavans & entendus. disc. 9. Des cerveaux vertueux & nobles. disc. I0 B ij [9v] Legers de Cerveau. Des cerveaux vains. disc. II. Des cerveaux instables, inconstans & lunatiques. disc. I2 Des cerveaux curieux. disc. I3. Des cerveaux dedaigneux, despiteux & plein de caprices. disc. I4. Des cerveaux passionnez & descoura gez. disc. I5. Ecervellez. Des cerveaux ocieux & paresseux. disc. I6 Des cerveaux morts, stupides, insensez & lourdauts. disc. I7. Des cerveaux goffes, sans goust ny grace, ineptes & miserables. disc. I8. Des cerveaux timides, irresoluz, embarassez & enveloppez. disc. I9. Des cerveaux debiles, bas, infirmes, rebouschez & lourds. disc. 20. Des cerveaux, sans memoire, soucy, & negligens. disc. 2I. [10] Des cerveaux sots & simples. disc. 22. Des cerveaux diminuez & de prime face. disc. 23. Des cerveaux desnuez & vuides. disc. 24. Cerveaux petits. Des cerveaux causeurs, langagers & mordans. disc. 25. Des cerveaux Pedantesques & sophistiques. disc. 26. Des cerveaux glorieux & scavantereaux. disc. 27. Des cerveaux glorieux & solennels. disc. 28. Cerveaux grands. Des cerveaux pratics, experimentez & masles. disc. 29. Des cerveaux stables, massifs, constans & forts. disc. 30. Des cerveaux libres. disc. 3I. B iij [10v] Des cerveaux resoluz & hardiz. disc. 32. Des cerveaux se resentans. disc. 33. Des cerveaux universels, industrieux & ingenieux. disc. 34. Des cerveaux sages & graves. disc. 35. Des cerveaux Cabalistiques. disc. 36. Sans cervelle du tout. Des cerveaux niais & incivils. disc. 37. Des cerveaux ignorans. disc. 38. Des cerveaux doubles & malicieux. 39. Des cerveaux boufons, plaisans & flateurs principalement. disc. 40. Des cerveaux dissoluz en jeux, gourmandises & deshonnestetez. disc. 4I. Des cerveaux immoderez en avarice, ambitions, en arrogance, fierté naturelle, en temerité & impudence. disc. 42. [11] Des cerveaux vicieux en general. dis. 43. Des cerveaux fantastiques, sans repos, & rompuz. disc. 44. Des cerveaux estranges, litigieux & contentieux, disc. 45. Des cerveaux malins & pervers, divisez en desloyaux parjures, mesdisans & envieux. disc. 46. Des cerveaux facheux & fiers par l’ingratitude, pertinacité & obstination de coeur: rigueur & severité de nature, impieté & cruauté. disc. 47 Des cerveaux melancholiques & sauvages. disc. 48. Des cerveaux d’Alquimistes. discours 49. Des cerveaux d’Astrologue. disc. 50. Des cerveaux étourdiz & extravagans. disc. 5I. Des cerveaux fols, furieux & brutaux. disc. 52. B iiij [11v] Des cerveaux terribles, indontez, endiablez, entraversez, precipiteux, trepanez, bijarres, heteroclites. disc. 53. Des cerveaux, qui ordonnent & sont faicts à leur fantaisie. disc. 54. Des cerveaux desquels le diable mesme (comme dit le vulgaire) ne se veut empescher. disc.55. [12] TABLE DES AUTEURS allegez en cete oeuvre. A August. S. Augustin. Augurel Alan Albert le Grand Alexis Poete Alsidius Ambroise S. Anacharse Scithe Anaximandre André Alciat André Anguillara Ange de Chavazze Ange de Constanzo Ange Politian Annibal Caro Antagoras Antiphanes Antisthenes Apulée Appian Alexandrin Aratus Archelaus Aristophane Aristote Arnaldus de Villa nova. Athenée Averroes Avicienne Aule Gelle [12v] B Balde Balthazar Castiglioni Baptiste Egnace Benoist Varchi. Bernard S. Bernia Berose Bias Boetius C Cariston Cassiodore Celius Cristofle Parisien Ciceron Cirille S. Ciprian Claudian Clearque Concile D’Ispal Corneille Tacite Crates D Damascene Dante David Democrite Demosthene Didimus Diogenes Laertius Diomedes Dionisius Areopagite Dominique Venier E Elian Empedocles Ennius Epicarme Epicure Esaie Esope Eudoxe [13] Euphron Euripide Ezechiel F Fabius Galeota Fabius Qintilianus Fortunius Spire Fançois Marie Molza François Petrarque Hieremie Hierocles S. Hierosme Hoichilace Homere Hortulan Horace Poete I Jamblic S. Jean G S. Jean Chrosistome Galen Jean Boccace Giacopo Bonsadio Jean Guidiccion Gilgilides Jean Picus Gorgias Jean Textor S. Gregoire Romain Jean de Tabia S. Gregoire Nazianzene Joel Prophete Guglia Poete Joseph Hebrieu Joseph Salernitan H Isidore Hamai Rabbin Isocrate Halicarnasse Julian Goselini Heraclide Herodote [13v] Julius Camille Julius Firmicus Julius Morigi Justinian Empereur Justin historien Juvenal L Lactance Firmian Laura Terracina Lincee Poete Lisides Louis Arioste S. Luc Lucain Lucrece Lucian Luigi ou Louis Groto Luigi ou Louis Transillo Manetius Marc Aurele Martial Martian S. Matthieu Mercure Trismegiste Modestin Moise Moriene Musée O Oldracus Orphée Ovide P S. Paul Pausanias Philemen M Macrobe [14] Philon Philostrate Pierre Bembe Pierre Gradanico Pindare Pisistrate Pithagore Platon Plautus Pline Plotin Plutarque Pomponius legiste Pomponius Spreti Porphire Priscian Pronape Poete Properce Poete Ptolomee Raimond Lullius Remy Florentin Rosin S Salomon Saluste Saxon Grammerien Second Seneque Simmacq Simonides Sinesius Socrate Sophocle Solin Stisbon Strabon Strozzapere R [14v] Suidas V Valere le Grand T Virgile Terence Victore Colonne Theodontius Ugue de S. Victor Theodore Ulpian Tibulle Tite Live Z Troge Zenocrate Thucidide Zoroastre. I7 Le THEATRE DES DIVERS CERveaux du monde. L'ON trouve aucuns au monde ayans une si grande persuasion & estime d'eux mesmes, qu'outre la sotte reputation, qu'ils monstrent dehors, par laquelle ils cheminent plus superbes que Paons, & volent plus haut que les Aigles: ont en l'esprit, au dedans, une telle pensee imprimee, & ferme opinion, que l'on ne puisse aisément trouver un cerveau semblable au leur: & quand l'on chercheroit d'un pole a l'auC [17v] THEA. DES DIVERS tre, & d'un bout de la terre, aux extremes limites d'icelle, il semble à celle maniere de gens, qu'ils n'ont leur semblable, d'entendement & sçavoir, ny en la maniere de se conduire & gouverner, tant ils sont allechez & aveuglez par leur propre estime, qui les rend vraiement fols & ridicules à l'endroit des hommes sages. O la grande misere & infelicité de ces hommes là, lesquels, tandis qu'ils se haussent d'eux mesmes, à un degré tant eminent & sublime, sont par le commun advis, abaissez au centre de la plus grande temerité & sottise, qui se trouve au monde: & ceste leur infortune ne procede plus proprement d'autre chose, que de se reputer trop eux mesmes: car il ne faut pas se reputer, mais estre reputez, ou bien monstrer par effects au monde, que I8 CERVEAUX. l'homme, au moins doive estre tenu & reputé. Cresus se tenoit le plus heureux de tous, en monstrant ses thresors: mais le tressage Solon confondit sa temerité, par le propre jugement, reputé du monde tresprudent & divin. Alexandre mesmement se tenoit pour le fils de Jupiter Ammon, immortel: mais la tourbe des Philosophes, se moqua, à sa mort, par divers Epitaphes, de la sotte persuasion de l'immortalité receuë. Qui estce qui s'est reputé d'un cerveau, plus merveilleux, qu'a fait Sapor Roy des Perses, qui s'appelloit Roy des Roys, compagnon des Estoiles, & frere du Soleil & de la Lune? & neantmoins il fut estimé de tous, en ceste sienne vaine & sotte pensee, un fol des plus solennels & glorieux, qui fussent au monde. Estant donc l'arrogance & re- Hardies se de Cre sus. D'Alexandre le grand. C ij [18v] THEA. DES DIVERS merité des hommes si grande, qu'ils presument non moins de leur cerveau, que faisoit Marsias du sien, & Thamiras, du chant: l'un desquels trop audacieusement enorgueilly, deffia Apollon à sonner, & l'autre les Muses à chanter, quant & luy: & advenant le plus souvent à telles gens, ce qui advint à Phaeton, & à Icare presomptueux, à l'un, pour le chariot, à l'autre, pour les ailes du pere, lesquels tombans miserablement tous deux, donnerent matiere au monde de rire, & se moquer de l'extreme arrogance & presomption de leurs esprits. J'ay entreprins & me suis chargé de confondre les miserables & maladvisez cerveaux, principalement de nostre siecle, & mettre un miroir devant les yeux, particulierement de ceux cy, qui presument tant, auquel regardant, ils De Sapor Roy des Perses. presumption de Marsias & Thamiras. Phaeton & Icare presomptueux. I9 CERVEAUX. puissent voir la deformité & laideur, qu'ils ont en eux mesmes: & puis des autres, tandis qu'ils se reputent les plus beaux & merveilleux cerveaux du monde, comme ils font souvent. Et pource que les choses opposees, quand elles se mettent pres l'une de l'autre, rendent leur opposition plus claire, comme la lumiere se monstre plus claire, pres des tenebres, & la beauté devant la laideur: par ceste raison, je me suis advisé de discourir generalement de tous les cerveaux & humeurs des hommes, que j'ay reduicts à particuliers chefs & determinez: & toucher, par un brief discours, les louables, & les vituperables, à fin que ceux cy tant sages en eux mesmes, entrent en cognoissance de leur propre arrogance & presomption. O Dieu immortel! qu'il y a de cerCiij [19v] THEA. DES DIVERS veaux au monde, je ne scay pas, si je pourray jamais suffisamment deter miner, une si grande diversité d'humeurs, ou caprices, ou natures, ou cerveaux: comme on les voudra nommer, si je ne cherche un cerveau plus grand que le mien, lequel soit meslé de l'impression & idee de celui de tous les autres. Mais quoy qu'il en soit, ainsi debile que je suis, je me mettray & hazarderay à ceste tant haute entreprinse, qui n'a onques esté attentee, par une vraye & derniere determinaison: & par paroles, ores graves, ores mediocres, & ores entremeslees de plaisir & gayeté, selon les sujets des cerveaux, que j'entreprendray d'expliquer, je sortiray de ceste ombreuse forest, à esclaircir generalement tous les cerveaux, par les louan ges & blasmes qui leur conviennent. Pour commancer donc, je dy, 20 CERVEAUX. que laissant à part de traiter du cerveau, en la maniere que les Medecins & Philosophes, lesquels considerent seulement le cerveau, comme membre premier & principal de la vie humaine, maison de l'ame raisonnable, instrument & principe de toutes les vertus animales, comme Galen le considere, au premier De Comme Regimine l'Ausanitatis , teur le & au prend. livre qu'il a fait, De invamento pulsus . Et laissant d'en parler en la signification, par laquelle il est prins pour l'esprit humain seulement, suivant laquelle signification Bocace a dict, Combien qu'à la grandeur de vostre cerveau, ce soit petite chose: entendant par le cerveau, l'esprit, & voulant en parler, en ceste particuliere signification seulement, en laquelle il est communément prins en tous les lieux d'Italie, pour une certaine humeur natu- Comme Bocace a prins ce nom de cerveau. Conside ration de Galen touchant le cerveau. Ciiij [20v] THEA. DES DIVERS relle, ou jugement: ou pensee, ou proprieté du cerveau, suivant laquelle maniere lon dira, qu'Octavian Auguste a monstré en sa vieillesse un noble cerveau, à sçavoir une noble humeur, ne priant, en ce temps là, les Dieux, d'autre chose, sinon, qu'ils luy donnassent la force de Scipion, la bien-vueillance de Pompee, & la fortune de Cesar. Et se dira que C. Caligula a monstré un cerveau fort terrible Cerveau noble d'Auguste. & endiablé, à sçavoir une humeur fantastique, de ceste forte, desirant que le peuple Romain n'eust qu'un col, pour pouvoir les tuer tous, d'un coup d'espee. Je trouve qu'en la maniere qu'un arbre ou plante, se divise en divers troncs principaux, & ses troncs se departissent en divers rameaux, ainsi ce nom de cerveau est divisé en diverses significations, ains especes Cerveau diabolique de C. Caligula. 2I CERVEAUX. rdes cerveaux, nommez au monde: car en sa premiere division, il appert, que les uns veritablement se peuvent appeller cerveaux, pour ce que par le jugement & esprit, ils se rendent dignes de ce louable nom. Les autres diminuans un peu de ceste perfection, diminuent aussi du vocable, & s'appellent Cerveaux legers, en Italien, Cervellini , d'où, en la langue Latine, se trouve le terme, de Cerebrosus : les autres diminuans encores plus, sont appellez de nous, Cervelluzzi: comme retenans en eux la moindre partie du cerveau. Les autres degenerans & forlignans des premiers, n'estans toutesfois tant imparfaits, que les seconds, se peuvent appeller de ce nom derivé du vulgaire, de Cervelleti, petis cerveaux. Les autres meritent ce fameux & resonnant nom, de grans cerveaux, Division generale des cerveaux. [21v] THEA. DES DIVERS pour l'abondance de cerveau qu'ils possedent, & pource qu'en eux consiste l'entiere perfection de l'esprit de l'homme. Les autres dependans des extremitez, acquierent plustost blasme, que louange, & sont appellez vulgairement de nous, Cervellazzi. Mais il y a une autre plus particuliere partition ou division de Cerveaux, qui se divisent tous en plusieurs parties comme par similitude, lon a coustume de diviser un genre subalterne en ses especes: car de ceux qui s'appellent Cerveaux, les uns sont les paisibles & reposez: les autres les Braves & belliqueux: les autres les Joviaux & alaigres: les autres les facetieux: les autres, les arguts: les autres, les accords, fins & rusez: les autres, les vifs, pronts & esveillez: les autres, les subtils, aigus de jugement: les autres, les sça22 CERVEAUX. vans & entendus: les autres les vertueux & nobles. Les legers de cerveau se divisent en vains, en re muans, legers, instables, inconstans, & lunatiques: en curieux, en delicats, dedaigneux, despiteux, capricieux & semblables: en passionnez, & descouragez. Ceux que nous appellons, Cervelluzzi, ecervelez, establissent: l'espece des ocieux & paresseux, des morts, stupides, insensez & lourdauts, des goffes, sans goust, sans grace, ineptes & miserables: des timides, irresolus, embarrassez, & envelopez des debiles, bas, infirmes, rebouchez, & lourds, des despourveus de memoire, sans soucy, & negligens: des sots & simples: des diminuez & de prime face, des desnuez & vuides. Les petits cerveaux que nous appellons Cervelleti contiennent ces causeurs, Division particuliere des cerveaux. [22v] THEA. DES DIVERS langagers & mordans, ces pedantesques & sophistiques: ces glorieux, & sçavantereaux, ces glorieux & solennels. Ces grands Cerveaux sont aussi de plusieurs sortes, pource qu'il y a les prati- ques, & masles, les stables, massifs, constans & forts, les libres, les resolus, & les hardis: les resentans, les universels, industrieux & ingenieux: les sages & graves, & les Cabalistics. Ceux qui sont du tout sans cervelle, appellez de nous, Cervellazzi, comprennent finalement les lourdauts & incivils: les ignorans, les doubles & malicieux, les bouffons, les plaisans, les basteleurs, & principalement les flateurs, les immoderez en avarice, les ambitions: la naturelle fierté, la temerité & l'impudence, & generalement les vicieux. D'avantage tombent sous ceste espece, tous 23 CERVEAUX. les fantastics, comme ceux qui n'ont repos, & les rompus: les estranges, les litigieux & contentieux, les malins & pervers, divisez en perfides, ou desloyaux, parjures, medisans & envieux, les fascheux & houtains, par l'ingratitude, pertinacité, & obstination d'esprit, la rigueur & severité de nature, l'impieté & cruauté: les melancholiques & sauvages: ceux de l'Alquimiste: ceux de l'Astrologue: ces fols & extravagans: ces fols furieux & brutaux: ces terribles, indontez, endiablez, entraversez, precipiteux, trepanez, bijarres, heteroclites: ceux qui en donnent & font à leur fantasie: & finalement ceux, desquels (comme dit le vulgaire, en commun proverbe) le Diable mesme ne se veut empescher. Ayant donc distingué en tant [23v] THEA. DES DIVERS de divers fils, ceste grande toile du cerveau humain, reste de considerer seulement, l'un apres l'autre, quels, à bon droict, se doivent accepter, & quels par demerite, se doivent fuir & reprouver. Parquoy pour donner un bon ordre à nostre propos encommencé, reprenant les especes des cerveaux, lesquels veritablement se rendent ornez de ce nom digne & glorieux nous dirons que les cerveaux paisibles & reposez, ausquels nous avons assigné le premier lieu, en l'ordre particulier de ce nostre Theatre, sont par merites & par raison, tresdignes de toute louange & honneur, & principaux à la gloire, qui les accompagne & suit. DES CERVEAUX tranquilles & reposez DISCOURS 1. 24 CERVEAUX. PEUT on pas bien dire, que là où regnent les cerveaux tranquilles, regne une paix seraine, une tranquillité doree, ains Dieu mesme, lequel est la mesme paix, & la mesme tranquillité, puis que le Prophete Royal met sa demeure au milieu David. de la paix, disant que, Factus est in pace locus ejus? Et pour quelle occasion Hierusalem est appellee, és saintes lettres, cité de Dieu, là où Esaie dit: Hierusalem civitas Sancta : Sinon pource qu'estant ce nom vulgairement exposé, Vision de paix nous est denoté, que Dieu n'a autre retraite ny repos, qu'és esprits, lesquels regardent seulement à la paix, & à la tranquillité? Nostre Seigneur a il pas en un autre lieu, d'une pure affection, appellé ces heureux là ses vrais enfans, disant, Beati pacifici, quoniam filij Dei voca- Cerveaux. Esaie. [24v] THEA. DES DIVERS buntur? Le dict de Platon s’est trouvé tresveritable & tressainct, quand il a descrit l’homme pour un animal tranquille & doux, car l’homme ne peut mieux demonstrer ce qu’il est, que de se descouvrir en effect tel, sçavoir est paisible & humain, qu’il a esté faict de la nature. Pour ceste cause Aristote, au premier des Politiques a dict, que l’homme est naturellement un animal politique & civil: à quoy Ovide se conformant, a dit aussi Candida pax homines, trux decet ira feras. C'est-à-dire que la paix candide est convenable aux hommes, & l’ire cruelle, aux bestes. Ces esprits paisibles & aggreables servent de grande beauté, de grand ornement, & honneur à l’estat commun d’une Republique, ou d’une Religion: car comme à voir le Ciel nubileux L'homme descrit par Platon. Aristote. Belles com paraisons à pro pos de la paix. & cou- 25 CERVEAUX. & couvert, on ne sçauroit voir chose plus hideuse & espouvantable, & à le voir en paix, avec la clarté accoustumee de ses flambeaux, on ne sçauroit regarder cho se plus belle, & plus plaisante, & comme la nuict, avec les tenebres & l'obscurité, est seulement la mere d'horreur: par la lumiere aussi de la Lune, elle emplit de joye & de plaisir, les esprits errans. Et l'orageuse mer agitee des vents, & de l'impetuosité des tempestes, semble une chose trop terrible & espouvantable à voir: & quand elle est bonace, calme & paisible, c'est une chose tresagreable, & un spectacle de grande beauté & plaisir à nos yeux. Ainsi fait il tresbon voir une Republique, & une Religion, quand ayant retranché le voile obscur de la discorde, lon voit en maniere d'une scene doree, le joyeux D [25v] THEA. DES DIVERS & agreable appareil, des esprits tranquilles, cois, pacifiques & serains. Pour ceste cause Platon, és livres de la Republique, conseilloit l'union des citadins, à la defense & conservation de tout le corps. Quelle plus parfaite union peut lon trouver que ceste cy, où tous s'accorder à entonner ce tressainct & vrayement tresheureux nom de paix? Quel plus doux estat civil peut on voir, que d'habiter entre les cerveaux paisibles & reposez, qui donnent aux ames d'autruy, les delices de Paradis? Pour ceste raison, sainct Augustin, au traicté, De Verbis Domini , louant la paix, a dict, Pax serenitas mentis, tranquillitas animi, simplicitas cordis, ameris vinculum, consortium charitatis. C'est à dire, la paix, serenité de l'entendement, la tranquillité de l'esprit, la simplicité du coeur, le Platon con seilloit l'union entre les citadns. S.Augu stin a loué la paix. 26 CERVEAUX. lien d'amour, la compagnie de charité. Et pourtant le Psalmiste a dict: Ecce quàm bonum & quàm jucundum habitare fratres in unum. Voicy, qu'il est bon & aggreable, que les freres habitent ensemble. Qui fait sembler & estre en effect heureuse, la vie eternelle des Heureux, sinon ceste paix, de laquelle ils jouissent tresheureusement? Pour ceste raison, le Prophete Esaie a dict: Sedebit populus meus, in pulchritudine pacis. Mon peuple se serra en la beauté de la paix: expliquant la David. Esaie. felicité des heureux estre assise en la beauté de ceste paix. Et pour ceste cause, l'Apostre sainct Paul a bien dict aux Romains: Non est regnum Dei esca potus: sed & justitia & pax. Le Royaume de Dieu, n'est viande & breuvage, mais justice & paix. Par semblable raison, le Royaume de Salomon fut réputé Dij. [26v] THEA. DES DIVERS tresheureux, pource qu'il regna, selon le nom, & selon les progres, pacifique & tranquille en tout temps. Et pour ceste cause Boetius s'escrioit: O foelix hominum genus, fi vestros animos, amor quo Coelum regitur, regat. O race des hommes heureuse, si l'amour qui gouverne le ciel, regit vos esprits. Et partant, Josephe Hebrieu estima la maison d'Herode un enfer, pource qu'il n'eut jamais paix, ny avec ses femmes, ny avec ses enfans, ny avec ses nepveux, ny avec soymesme. Parquoy le tresgentil Petrarque, sçachant comme la paix est profitable, a monstré qu'il la desiroit fort en ce Sonnet, qui commence, La maison d'He rode esti mee un enfer. S. PAul Royaume de Sa lomon tresheureux à cause de la paix. Che sai alma? che pensi? haurem mai pace? Et à la fin de la chanson, où il dit en ceste maniere: Iuò gridando, pace, pace, pace. 27 CERVEAUX. Et ainsi le tresdocte Venier, au Sonnet, qui commance: Mentre, misera Italia, &c. Entre les autres Symboles Pythagoriques, on lit cestuy cy assez plein de mystere: Tu ne prendras le rouge. Où par un secret caché, Pythagoras entend de nous persuader la paix, & le repos, pource que selon les Cabalistes Hebrieux, la couleur blanche attribuee à la dextre de Dieu, appellee d'iceux, Chesed, à sçavoir clemence, signifie la benignité de l'ame, & son affabilité. Et la couleur rouge, vermeille & sanguine, attribuee à la senestre, laquelle ils appellent Geburah, signifie la colere, le courroux & despit. Parquoy disant que lon ne prenne le rouge, il nous conseille avec mystere & profondité, l'affabilité & le repos d'esprit & du coeur. Reste donc que les D iij [27v] THEA. DES DIVERS Et ainsi le tresdocte Venier, au cerveaux tranquilles & reposez, honorez du premier siege de nostre Theatre, soient, pour les susdictes raisons, honorez, par tout le monde, de toute sorte de louange. DES CERVEAUX BRAves, valeureux & belliqueux. DISCOURS II. APRES ceux cy, viennent les Cerveaux braves & belliqueux, lesquels ont le chef & les mains environnees de palmes & de couronnes, ayans par la hardiesse du coeur, par la force du corps, & par leurs gestes victorieux & signalez, assemblé & congregé mille gloires & mille triomphes, à leur nom, à jamais faict sa- cré, divin & immortel. Et à la verité, la vertu militaire doit estre 28 CERVEAUX. fort estimee & prisee, pource que l'on n'acquiert pas moins, par le moyen des armes, le chemin à l'immortalité, que par celuy des lettres tant louees & exaltees de tous. Scipion Africain se glorifie dedans le Poete Ennius, de s'estre faict voye au ciel, par le sang, & occision des ennemis: à quoy Ciceron consent aussi, disant, que par ce mesme moyen, Hercule belliqueux est monté au ciel. Mais devant ceux cy, Orphee, antique Theologien, colloqua au ciel, entre les Dieux pour le mesme respect, le guerrier Jason, disant, Clarior in cunctis Divus splendebat Jason. Justin Historien, à ce mesme propos, narre que, Leonide de Sparte promettoit à ses soldats, apres la bataille valeureuse, un tresjoyeux festin au ciel. Ainsi le tresdocte Exemple de Leonide de Sparte, tiré de [unclear] Exemple de Scipion Africain. Dict de Ciceron touchant Hercule. Jason mis entre les Dieux, par Orphee. D iiij [28v] THEA. DES DIVERS Camille, en l'Ode, pour la mort du Daulphin de France, l'a mis au ciel, disant: Dove eri Marte fero, Quando sali il tuo Sole, Dando stupor al ciel del novo lume? Ce qui veut dire: Où estois tu furieux Mars, quand ton Soleil est monté, estonnant le ciel, d'une nouvelle lumiere? C'est la cause pourquoy Valere le grand, louant la vertu militaire des Romains, a dict, que ceste cy leur avoit acquis la principauté d'Italie, donné le Royaume de plusieurs villes, Jules Ca mille loue le Dauphin de France. Valere le grand loue les Romains octroyé l'Empire sur plusieurs Roys, subjugué des nations tresvaleureuses, ouvert les destroicts & goulfes de mer, aplani les montagnes, & haussé leur nom par dessus les estoiles du ciel. Et pourtant madame Victoire Colonne, louant aussi la grande valeur de l'Empe29 CERVEAUX. reur Charles V. & magnifiant sa vertu militaire, a dict que le ciel l'avoit esleu aux armes, pour exemple de sa vertu. Or qui dira que la valeur militaire ne soit digne de ces louanges & de plus grandes encore, veu que tous les peuples & nations non seulement l'ont prisee, mais aussi reveree d'un singulier honneur & veneration? Les Romains n'avoient un Dieu, qui leur fust plus devot & sainct, que Mars, Dieu de la milice, non pour autre respect, que cestuy cy seul. Et les Lacedemoniens avoient de coustume de porter en leurs estendars. Mars enchainé, à fin qu'il ne peust partir d'avec eux, & que par son moyen, ils eussent plus grande force de vaincre, & surmonter les ennemis. On lit aussi des Atheniens, qu'ils portoient la Victoire, Deesse de la guerre, depainte Mars de vot & affection né aux Romains. Mars tenu lié par les Lacedemoniens. Victoire depeinte [29v] THEA. DES DIVERS sans ailes, à l'opposite de la commune painture, à fin de monstrer, qu'ils estoient fort estimez à la guer re, & qu'ils ne vouloient en sorte du monde que la victoire s'envolant, demonstrast faire peu de compte de leur valeur militaire. Que vouloient signifier les loyers, les triomphes, les couronnes donnees aux braves soldats & Capitaines, de ce siecle antique, sinon la grande estime, & reputation en laquelle sans ailes par les Atheniens. ils avoient la vertu militaire? Diomedes en Virgile, en l'onziesme de l'Aeneide, louant la valeur d'Aenee, combien qu'il fust son ennemy & emulateur, veut que les dons à luy apportez, du pays, retournent à Aenee, quand il dit: Munera quae patriis ad me portastis ab oris, Vertite ad Aeneam, &c. Pline & Aule Gelle racontent 30 CERVEAUX. Pline & Aule Gelle louent L. Cicinius Dentatus. chose merveilleuse, de la vertu & valeur de L. Cicinius Dentatus, appellé par son extreme hardiesse, l'Achille Romain, qu'il se trouva en diverses batailles, six vingts fois, & en rapporta, par la partie de devant, quarante cinq coups, & nul par derriere: & sur tout, qu'on luy donna huict couronnes d'or, une obsidionale, & de siege, trois murales, qu'il fut seize fois couronné de la Civique, outre les loyers de quatre vingts trois chaines, plus de cent soixante brasselets, dix huict haches, vingt cinq tasses, & d'avantage, qu'il se trouva neuf fois, au triomphe, en la compagnie de ses Empereurs. Voyla la gloire,voyla donc la splendeur, deuë aux braves & belliqueux cerveaux, admirables & signalez. Ce n'est pas peu de chose, que le Poete Mantuan ait eslevé la valeur d'Evandre sur Diomede loue Aenee en Virgile. Virgile loue Evandre. [30v] THEA. DES DIVERS tout autre, pour avoir occis de sa propre main, le cruel & terrible Herile, lequel il faint avoir eu trois ames, pour signifier les prodigieuses forces d'iceluy, Et regem hac Herilum dextra, &c. Ce n'est peu de cas, ce qu'escrivent Troge & Herodote, de Cinigere Athenien, lequel en la guerre de Perse, suyvant les navires de l'ennemy, qui fuyoient, arresta de sa main droite, une navire des leurs, estant chargee, & comme on la luy eust coupee, il y mit la senestre, laquelle aiant perduë, il y mit les dents & s'efforça d'un grand coeur & hardiesse & d'une force incredible de la retenir: Et n'est peu de cas de la valeur du magnanime & tres Chrestien Roy François, demonstree en la malheureuse journee de Pavie, tant celebree par le divin Aristote en ces vers: Troge & Herodote louent Cinigere Athenien. 3I CERVEAUX. Vedete quante lancie, & quante spade Han do' gn' intorne il Re animosocinto, Videte chie'l destrier sotto li cade, Ne' per questo si rende, ò chiama vinto. Par lesquels il veut, dire, Voyez combien de lames & d'espees ont environné le vertueux Roy de tous costez: voyez que son cheval luy est tombé sous luy, & toutesfois il ne se rend ou repute vaincu. La valeur de l'invincible Prince de Parme n'est peu de chose, louee par Julian Goselin, Poete moderne, mais rare & de bon jugement. Que nous reste il pour parachever les louanges de ceux cy, sinon louer les ordonnances & les loix militaires, par eux excellemment gardees: les assauts, les escarmouches, les batailles, les sieges, les defenses, les rempars, les ruses, les stratagemes, les prises, les sacs, les victoires innombrables obtenues par Goselin loue le Prince de Parme. [31v] THEA. DES DIVERS eux? Qu'est ce qu'il nous reste, sinon de louer l'esprit, demonstré es ba- stimens des forteresses, des citadelles, des bastions, des boulevers, des fossez, des mines, des casemattes, des scarpes, des contr'escarpes, & de mille autres ingenieuses inventions? Que nous reste il, sinon de louer la valeur, par laquelle ils jettent le feu, les pierres, la poix, les dards, les sagettes, les balles, & autres choses sur les ennemis? Que nous reste il sinon de là conclure par la louange des vertus particulieres, qui accompagnent bien souvent la valeur militaire, comme l'a notablement conclue Annibal Caro, en l'Ode Heroique tant divulguee & espandue, au Roy Henry : où il dit, Mirate al vincitore D’Augusto invito, al glorioso Henrico, Come di Christo amico, 32 CERVEAUX. Con la pietà, con l’honestà, con l’armi, Col sollevar gli oppressi, & punir gli emp’, Non co’ bronzi, o co’ marmi, Si va sacrando i simulacia & i tempi. Voulant dire, Regardez au vainqueur d’Auguste invincible, au glorieux & magnanime Henry, lequel est comme amy de Jesus Christ, par la pieté, par l’honnesteté, par la vertu, par les armes, soulageant les oppressez, & punissant les meschans: & se va consacrant les simulacres & les temples, non de bronze & marbre. Annibal Caro loue le Roy Henry de France. DES CERVEAUX alaigres & joviaux DISCOURS III. DISCOURONS maintenant un peu des cerveaux Joviaux & alaigres, lesquels simbolisent fort avec les tran- [32v] THEA. DES DIVERS quilles & reposez, estant proprement l'alegresse, une tranquillité, & un repos de l'esprit, des soucis & fascheuses pensees, comme disent les sages. Ces gais & joyeux cerveaux monstrent quasi le serain du ciel, tant au visage, par le dehors,comme au coeur interne: meslant ensemble les ris modestes, les chants alaigres, les jeux plaisans, les recreatifs propos, les joyeuses nouvelles, & gestes & contenances tant agreables, que les coeurs de tous impriment en eux merveilleusement leur contentement & plaisir infiny & en demeurent fort esmerveillez. On ne peut à juste raison, blasmer une telle allegresse: pourveu qu'elle ne soit dissolue & immoderee, & qu'elle ne passe les limites de l'honneste, s'accostant des plaisirs d'Epicure, qui a fait la vertu serve d'i- Epicure. ceux 33 CERVEAUX. ceux: des joyes de Sophocles, lequel en son Antigone, a comparé les contempteurs d'icelles aux hom mes d'ame morte: des delices d'Aristippe, lequel mis en icelles le souverain bien, & la souveraine felicité de ceste vie: des plaisirs de Poliarque, lequel a obtenu le nom de Voluptueux, pour s'estre du tout abandonné aux effrenez & debordez plaisirs de ce corps. Il faut seulement que ces esprits alaigres & joyeux gardent le moyen & la mesure, & accompagnent les exterieures gaietez, qu'ils monstrent souvent, de l'honesteté, & de la vertu. Pour ceste cause Heraclides Pontique, au livre qu'il a fait de la vo- Sophocles Aristipe. Poliarque lupté, a beaucoup loué la maniere de volupté, qui rend les coeurs genereux, & la nature magnifique, vertueuse & en l'apparence & Heraclides Ponti que a loué la volupté vertueuse. E [33v] THEA. DES DIVERS en l'effect. Un cerveau gay & joyeux, tel que je le descry, sera plustost digne de louange que de blasme, car retenant en soymesme ces esprits joviaux, il apportera un joyeux reconfort & ayde aux esprits plus severes, & un temperament à ceux plus graves, lesquels en leurs grandes pensées & soucis, sont fort recreez & restaurez, par ceste gayeté, & allegresse. En ceste maniere le Philosophe Socrates, apres ses estudes graves, se plaisoit en l'aymée compagnie d'Alcibiades, jeune homme Athenien, de cerveau joyeux & jovial, descrit par Athenodore, & desaigrissoit les pensées philosophiques, en l'alegresse & vivacité d'esprit de cestuy là. Un cerveau alegre & gaillard a en soy de tresbonnes conditions, car l'homme Socrates se resjouis soit en la compagnie d'Alcibiades. 34 CERVEAUX. vit d'autant plus longuement, que plus il se maintient en allegresse, il a un plaisir infiny en l'esprit, il n'a crainte des ennuyeuses pensées & estranges: il resjouit les autres, par sa gayeté, il resveille les esprits paresseux & endormis, console les melancoliques: & en somme là où est l'alegresse, se trouve une tresgrande partie de la felicité mondaine. C'est pourquoy le tresprudent Ulisses en Homere, reputa une tres-heureuse vie, l'estat de l'esprit gaillard & alaigre, recitant son advis, devant le Roy Alcinous & parlant d'une vie honneste, convenable à l'estat seigneurial. C'est pourquoy aussi le Poëte Simonides a laissé escrit, qu'il ne pourroit jamais avouer & mettre pour desirable, la vie, laquelle seroit du tout privée de l'alegresse & du Simonides a loué l'alegresse Ulisses en Homere, loue l'estat de l'esprit joyeux. E ij [34v] THEA. DES DIVERS Exemple de Philemon. plaisir. On lit de Philemon, qu'il prioit les Dieux de quatre choses, de se conserver en santé, de ne devoir, de pouvoir faire du bien, & de vivre joyeux & gaillard. Pour ceste cause Pindare Thebain escrivant à Hieron Tyran de Siracuse, a dict: Ne te prives, ô Hieron, du tout de plaisir: car la gaye & joyeuse vie, est une chose convenable à l'homme. Le Philosophe Antisthenes, discourant touchant la volupté de l'esprit, l'a mise au nombre des biens, adjoustant, pourveu qu'elle soit telle, qu'elle ne t'induise à repentance. Parquoy l'alegresse seule & joyeuseté, sera recommandée, laquelle ne sera meslée du vice, mais accompagnée de la vertu. Pour ceste cause, les Poëtes anciens, depeignans Venus, Deesse du plaisir, Pindare Thebain a suadé l'alegresse Le Philosophe An tisthene a mis entre les biens la volupté vertueuse. 35 CERVEAUX. l'ont depeinte & representée avec deux tres-blancs Cignes, pres d'elle, par le chant desquels, ils ont signifié la joye: & par la couleur blanche, la purité vertueuse, honneste & gentille, qui la doit accom pagner. Pour ceste mesme raison, Pythagoras certifioit que Jupiter, lequel, comme dit Julius Firmicus, excellent Astrologue, favorise d'une naturelle proprieté, les cerveaux alaigres & joyeux, estoit Venus depainte par les an ciens avec deux Cignes Pythagoras. Julius Firmicus. une vertu, une harmonie, un temperament de l'esprit, une santé & tout bien: ne voulant separer l'alegresse des personnes, de la vertu, laquelle la doit tousjours approcher & suivre. Et à ceste mesme intention, le docte Molza a accompagné les allegresses d'un heureux Hymenée, d'un desir vertueux, disant en un sien Sonnet: E. iij [35v] THEA. DES DIVERS Molza Cortese aspira à desir nostri, ô Giove. C'est assez discouru des cerveaux allaigres & joyeux. DES CERVEAUX facetieux DISCOURS IIII. MAis devons nous passer sous silence, les louanges lesquelles conviennent à ces cerveaux, mis au quatriesme lieu du Theatre, que nous appellons communément cerveaux facetieux? Qui ne voit de combien grande joye & gayeté ils sont, en leurs affaires familieres? Qui est celuy qui ne loue le cerveau d'Esope ? Qui est celuy qui ne fait cas de la grace & gayeté de Crassus ? Qui est celuy, qui ne parle avec delectation de tous ceux, lesquels Cerveau facetieux d'Esope & de Crassus. 36 CERVEAUX. ont en eux une certaine gayeté & gaillardise, tres-facile & propre pour acquerir la faveur, & grace d'autruy? Ceux cy jouyssent gratieusement de la vertu, appellée, par Aristote au quatriesme de ses Ethiques, έυβαπελία, par laquelle ils tirent les choses joyeuses, & de plaisir, à un certain repos, & à un certain soulas & contentement, principallement des esprits d'autruy. Quels sont les vrais facetieux, selon le docte Averroës, au quinziesme commentaire, sur le quatriesme de l'Ethique, sinon ces cerveaux plaisans & gaillards, mis entre les mordans ou piquans, & les goffes & sans goust. Un cerveau facetieux se demonstre communément en cinq choses, és sentences ou dict, és proverbes, és brocards, és responces,& aux con- Aristote. E. iiij [36v] THEA. DES DIVERS ceptions: Es sentences, comme aucunesfois Diogenes nous a demonstré, appellant les riches ignorans, brebis à la laine d'or: & la jeunesse belle, mais vicieuse, un magnifique logis, habité d'un hideux & diforme estranger & hoste: és proverbes, comme ce facetieux cerveau, qui dit, par proverbe, à son maistre, qui murmuroit des vices des modernes serviteurs & subjects, que le poisson commence à devenir puant & se corrompre par le chef: & d'avantage, que telle est la petite chienne, qu'est la maistresse: Es brocards, comme celuy de Philoxene, lequel estant en un festin à soupper, où les serviteurs portoient sur table du pain noir, dist en broquardant facetieusement, le maistre, je vous prie, monsieur n'en faites pas apporter Dicts facetieux de Diogenes Averroës Proverbes Broquard de Philoxene. 37 CERVEAUX. beaucoup, de peur que les tenebres ne surpassent & gaignent les lumieres: Es responces, comme celle de Pontidius Romain, au quel comme l'on eust demandé, Que te semble l'homme trouvé en adultere? Il respondit, Lent, ou tardif. Es discours, ou conceptions, comme celle de Bemba, lequel, en Castiglioni, discourt touchant la sottise du Podestat Florentin, qui fit entendre à ses ennemis, que s'ils perseveroyent à faire la batterie si aspre & furieuse à la Castelline, il la feroit aussi à la desesperade empoisonnant les bales de l'artillerie, & les envoyant, en ceste maniere. La conception de Louys Grotto fut aussi facetieuse, quand requis de sa dame, de baiser une sienne petite fille, il luy desplia gentiment [37v] THEA. DES DIVERS Responce facetieuse de Pontidius Romains. Discours facetieux de Bembe. ces vers? Madonna, se volete Ch'un dono in nome vostro io porti altrui, Convien, ch'io prenda il don prima da vui Però, s'hor mi chiedete, Ch' à la fanciulla vostra un bacio i'dia, Da voi convien ch'io lo riceva pria. Voulant dire, Madame, si vous voulez, que je porte, de vostre part, un don à autruy, il faut, que vous me le bailliez premierement, parquoy si vous me requerez à present que je donne à vostre petite fille, un baiser, il faut que je le reçoive premierement de vous. Comprenant donc le cerveau facetieux l'urbanité & grace, chose, ingenieuse & de personne subtile, comme dit Aristote, au troisies- Conception facetieuse de Louis Grotto. Aristote 38 CERVEAUX. au 3. de la Rhetorique. me livre de sa Rhetorique, je ne sçay comment on le pourroit passer, sans grande louange. Outre ce que la facetie & gaillardise delecte les esprits, allege les fascheries, chasse la melanchoIie, reveille les esprits endormis, & donne une merveilleuse recreation à l'entendement chargé & lassé de plusieurs hautes pensées, qui ont de coustume d'y regner. DES CERVEAUX arguts. DISCOURS V. CEs cerveaux que nous appellons communément arguts, sont pareillement louables, lesquels sont quasi de la mesme espece que les precedents, se trouvant entre eux ceste seule differen- [38v] THEA. DES DIVERS ce, que les facetieux ont plus de plaisanterie que de subtilité: mais les arguts, au contraire, ont plus de subtilité que de plaisanterie & gayeté. Et ordinairement l'argutie consiste plus és responces, qu'en autre chose, comme en l'exemple de Caius Lelius Romain, lequel estant nay de tresnoble sang, comme quelqu'un nay de bas lieu, luy eust dict, qu'il estoit indigne des ses ancestres, il respondit: Certainement tu es digne des tiens, se moquant à l'opposite, subtilement. On lit un exemple d'Esope, en l'estude duquel estant entré un paysan, & l'ayant trouvé seul sur ses livres, luy demanda curieusement, comme il pouvoit vivre ainsi Responce argue de C. Lelius Romain. Responce argue d'E sope. seul: & il luy respondit, j'ay commencé à estre seul, depuis le temps que tu es entré icy dedans, voulant 39 CERVEAUX. subtilement signifier, que l'homme docte est seul alors, qu'il se trouve en la compagnie des ignorans. De ceste maniere de cerveau fut celuy de Guidon Cavalcanti, duquel entre autres arguties, on lit, qu'un jour estant rencontré, se promenant, en un certain Cimetiere, par aucuns citadins ignorans, qui souloyent se moquer de sa solitude, & enquis, par risée, ce qu'il faisoit à ceste heure là, il respondit, Je parle avec les morts, entendant d'eux, lesquels pour estre sans lettres, se pouvoient appeller hommes morts. D'un tel cerveau fut aussi le tres-argu & subtil Dante, lequel moqué d'un homme de petite stature, & quasi nain, respondit avec grande argutie, par ces vers: Response argue de Guido Cavalcanti. Response argue de Dante. O, tu, che noti la nona figura, [39v] THEA. DES DIVERS Esei da men, che la sua antecedente: Va, & radoppia la sua sussequente, Ch'ad altro non t'ha fatto la natura. Entendant par la neufiesme figure, la lettre de l'alphabet appellée I. qui est la plus petite de toutes, notée en luy, de tel. Et par la precedante, la marque d'aspiration, appellée H. se mocquant de luy, qui ne valoit pas une H. Et par la suivante, il entend le K: par le redoubler de laquelle lettre, il l'a traitté en homme, qui n'estoit bon à autre chose, qu'aux services incivils du corps. Ces cerveaux arguts ameinent aux auditeurs, delectation & merveille tout ensemble: car nous nous delectons en la grace & gaieté des responses, & nous admirons la subtilité du sens, qu'elles comprennent en elles. Et pour ceste cause elles par- 40 CERVEAUX. ticipent de grande louange, servans aux esprits de recreation, & à l'entendement de tres-gentille speculation. DES CERVEAUX accorts, fins, & rusez. DISCOURS VI. APRES ceux-cy, suivent eles cerveaux accorts, fins & rusez, lesquels retiennent en eux mesmes une image, & une similitude de la prudence humaine, persuadée mesmes par les sainctes lettres, en ces paroles: Estote prudentes sicut serpentes. Laquelle astuce consiste particulierement, en trois choses: en pensées, en paroles, & en faicts: en pensées, comme celle de Daue, en Philostrate, auquel la putain Lucille ayant Astuce de Dave en Philostra te. [40v] THEA. DES DIVERS dict, que la nuict precedente, elle avoit tousjours songé, qu'elle luy prenoit la bourse, il respondit finement, qu'il avoit aussi songé toute la nuict, qu'il la gardoit bien. En paroles: comme Ciceron à l'accusateur de Milon son amy, qui avoit tué Clodius, lequel de- mandoit, que Ciceron luy dist, à quelle heure Milon l'avoit tué: il respondit, Tard: trompant par sa cauteleuse responce, l'attente d'iceluy: car par ceste parole, il a entendu l'heure de la mort, laquelle Codius, à cause de ses vices meritoit plustost: & non pas de l'heure du jour auquel il fut tué, selon que l'adversaire attendoit. En faicts: comme Denis le Tyran, lequel ayant promis grande recompense à un sonneur, tandis qu'il le delectoit, par le son, comme Astuce de Ciceron. apres 4I CERVEAUX. apres ledict son, le joueur eust demandé le promis salaire, il respondit, Te suffit il pas de cecy, que tandis que tu m'as delecté par le son, je t'ay delecté aussi par l'esperance Finesse de du loyer? Laure en En ceste Petrarpartie que. d'astuce, Ulisse est loué par Homere : Annibal, par Plutarque : Jugurtha, par Saluste : & Sertorius Romain, par Valere,& fort exalté d'autres. En quoy Petrarque aussi a gentiment loué sa Dame, la depeignant fine & accorte, contre les dards d'Amour. Ruse d'Ulisse, Annibal, Jugurtha & Sertorius. DES CERVEAUX vifs, prompts & esveillez. DISCOURS VII. MAis parlons un peu des cerveaux, qui s'appellent vifs, prompts, resolus & esveillez, lesquels ne different que bien peu F Astuce de Denis Ty ran. [41v] THEA. DES DIVERS des arguts. Ceux cy ont aussi un honorable Siege, au Theatre, pource qu'ils retiennent en eux, la vivacité de l'esprit, & de l'entendement propre à respondre, avec grace, à toute proposition, sans y penser & à l'improuveu & sont merveilleusement prompts & appareillez à tout conseil & deliberation. Tel fut veritablement le cerveau de Dante: duquel l'on narre, qu'il respondit tres-vivement, par une seule responce, à trois propositions, tout en un coup. Que dirons nous de la promptitude du cerveau, qu'avoit Picus de la Mirande, duquel l'on raconte qu'il repliqua à l'improuveu, & d'un ordre retrogradant, cent argumens de Caietan, si promptement qu'il esmerveilla & estonna tous les assistans? Le cerveau de Cerveau de Dante Cerveau de Picus Mirandula. 42 CERVEAUX. Carafulle (encore qu'il fust de profession peu honorable) qui fut tant agreable au Cardinal de Medici, obtiendra aussi le renom, à bon droict, de tresprompt & esveillé, duquel, entre mille, se racontent ces deux vives & prestes responces qu'il a données, l'une sur la Bombarde: enquis à l'improuveu, pourquoy elle s'appelloit ainsi, il dist, en respondant, que la Bombarde s'appelle ainsi pour trois effects d'icelle, elle retentit, tard & donne. Lautre, sur les armes d'un seigneur peu propre, par merites, à la Seigneurie, lesquelles estoient d'une vigne attachée & liée à un poirier, au milieu d'un champ de grain, sur lesquelles enquis à l'improuveu, par son maistre, de la signification, Cerveau de Carafula. respondit promptement que ces F ij [42v] THEA. DES DIVERS armoiries ne signifioient autre chose, sinon que c'estoit une grande honte, qu'un tel homme fust monté à ceste dignité là. Ces cerveaux ont en eux de l'admiration beaucoup, pource que leur esprit n'est aucunement endormy, ains en un instant se souleve à sa hauteur naturelle, & par une vigueur infinie, donne vivacité à la pensée, & à l'oeuvre que l'on doit faire. Pour ceste cause le tres-gentil Petrarque a nommé son amour vigoureux ou vif, disant: Vivace amor, che ne gli affanni cresce. Pource qu'il estoit de nature, tant pleine d'esprit, qu'és ennuis & angoisses, esquelles il semble que l'homme perde la vigueur, iceluy plus eslevé, alloit croissant. Pour ceste occasion aussi Quidic- Petrarque. 43 CERVEAUX. cion a appellé l'esveillé Seigneur Duc d'Urbain, une vive flamme de Mars, retenant un cerveau vigoureux en toute maniere d'entreprinse militaire, au Sonnet commençant, Viva fiamma di Marte &c. De ceste maniere de cerveau vif & prompt, les Historiens narrent Semiramis Royne des Assiriens, avoir esté prouveue: car ayant eu à l'improuveu, nouvelle de la rebellion de Babylone, tandis qu'elle peignoit ses cheveux elle recouvra par les armes, la ville perdue, avant qu'elle se racoutrast & ragençast sa tresse desfaicte & esparpillée. Cesar estoit de ceste Le duc d'Urbin de cerveau vif. La Royne Semiramis de cer veau vif. mesme promptitude & vivacité duquel l'on recite ceste tres resolue expedition, comprinse en ces paroles, cogneues, Veni, vidi, vici Cesar de cerveau vif. F iij [43v] THEA. DES DIVERS De maniere, que ces esveillez & vigilans esprits, passent, avec grande gloire & honneur, en l'infinie multitude & compagnie des autres. DES CERVEAUX subtils, aigus & pleins de jugement. DISCOURS VIII. OR faisons passage aux cerveaux subtils, aigus & pleins de jugement: ceux cy demonstrent en eux une grandeur admirable d'entendement, penetrant par la subtilité de l'esprit, où l'homme sensible ne peut de soymesme arriver. Et se descouvre leur subtilité principalement en deux choses, en l'aigue resolution des doutes, & des que- 44 CERVEAUX. stions speculatives, & en l'invention des choses incogneues devant, à l'endroit de tous. Le cerveau d'Aristote s'est monstré de la premiere subtilité, lequel par la bonté de son entendement a tresbien resolu & desmelé tant de questions entremeslées, de Logique & de Philosophie: Et celuy du grand pere S. Augustin, si grand Dialecticien, & tant subtil, qu'il a merveilleusement confondu la Aristote de cerveau subtil & autres. s. Augustin. subtilité des Pelagiens, celle des Manicheens, & la perversité de toute la secte Arriane : & celuy de Scotus, lequel en la saincte Escole Theologale a dignement acquis le nom de Docteur subtil, combatant subtilement avec l'invincible Docteur, lequel embellit & illustre d'une angelique doctrine, tout ce ciel doré de la sainte EgliF iiij [44v] THEA. DES DIVERS se. Le divin Petrarque a parangonné á ces cerveaux là, celuy du Philosophe Porphire, en quelques siens vers. Et de seconde subtilité se sont monstrez ceux, lesquels de leur propre esprit, ont trouvé les choses devant non inventées, amenant nouveauté & merveille aux yeux & aux oreilles d'autry. Apollon fut de ceux cy lequel trouva la Medecine, & pour ceste cause, il dit de soymesme en Ovide au premier des Metamorphoses, Inventum Medicina meum est, opifexque per orbem Dicor, &herbarum subjecta potentia nobis. Zoroastre trouva la Magie: & ainsi le divin Arioste la luy attribue disant: E Zoroastro, che su dell'arte magica inventore. Porphire loué par Petrarque Scotus. Apollon en Ovide a trouvé la Medecine. Louange de S. Thomas. Zoroastre inventeur de la Magie en l'A rioste. 45 CERVEAUX. Belus trouva l'Astrologie: Amphion, la Musique: Cleantes, la painture: Rhadamante, les loix: Zenon, les Dialogues: Empedo cles, l'art oratoire, & va discourant par infinis exemples de cerveaux, en ces inventions tressubtiles. Je ne pense qu'aucun fust de tant folle temerité d'oser oster tant soit Belus inventeur de l'Astrologie, avec les autres inventeurs des autres choses. peu de la deuë louange à tels hommes, lesquels en maniere d'une aigle, ont la veuë aigue, & tressubtile, pour penetrer jusques à la lueur du Soleil mesme. Et d'autant plus, que les doctes auteurs sont d'iceux une fort honorable & glorieuse mention: Plutarque, en la vie d'Alexandre, loue comme tressubtils, les Gimnosophistes, lesquels s'acheterent la vie, par la resolution des doutes, qui leur furent à l'improuveu proposez par Ale[45v] THEA. DES DIVERS xandre. Pline celebre au septiesme livre de ses Histoires, quasi tous les premiers inventeurs des choses, comme plusieurs ingenieux, & tres-aigus. Parquoy ils marchent ornez & parez des deubs prix & convenables honneurs. Pline. DES CERVEAUX sçavants & entendus. Plutarque DISCOURS IX. DEPARTANTS de ceux là, allons nous en trouver les cerveaux sçavans & entendus, desquels il semble qu’Aristote ait parlé au douziesme livre des animaux, quand il a dit: Cerebrum hominis est membrum divinum, in quo est operatio sensus, & intellectus. Je ne me travailleray pas beaucoup pour le present, à louer les sciences & les Aristote au I2. livre des animaux. 46 CERVEAUX. lettres, lesquelles sont d'elles mesmes tant louables, qu'elles n'ont pas besoin d'estre louées de moy: elles ont eu tant d'auteurs de leurs louanges & modernes & anciens, que j'aurois honte de me vouloir maintenant mettre en l'honorable rang de ceux là. Cecy seulement suffit que les cerveaux sachans & entendus se sont de tout temps, rendus dignes de prix, comme les exemples de ceux qui sont passez ont demonstré à nous autres, leurs nepveux. Pline au septiesme livre de ses Histoires, narre le memorable exemple d’Homere, duquel le Poëme, conception & fruict d'un cerveau tant entendu, fut tellement estimé d’Alexandre, qu'és despouilles de Darius Roy des Perses, il le prefera à l'escrin d'or, de perles, & de pier[46v] THEA. DES DIVERS res precieuses, qu'il print & recueillit en son pavillon. Diogenes Laertius raconte que le Philosophe Zenon, fut tant honoré par les Atheniens, à cause de son sçavoir, qu'on luy laissoit en garde les clefs de la ville, & mesmes ils l'ornerent d'une couronne d'or & d'une image de bronze. Plutarque ne se peut saouler de celebrer ce sçavant & entendu cerveau de Platon, racontant que Denys le Tyran, autrement superbe & arrogant, en fit tant de cas, que venant iceluy aux rivages de Sicile, il envoya au devant de luy, un tresbeau vaisseau, pour l'honorer: & estant descendu au rivage, il le receut honorablement, en une caroche, tirée par quatre chevaux blancs. Ces cerveaux sont desirables, à l'endroit du monde: & Diogenes Laertius de Zenon. Pline au 7. livre de ses histoires narre du poeme d'Homere Plutarque, de Platon. 47 CERVEAUX. pourtant Philippe Roy de Macedoine, selon qu'escrit Aule Gelle ne se glorifioit principalement d'autre chose que de ce que son fils Alexandre luy estoit nay, au temps de l'entendu cerveau d'Aristote, duquel il peust apprendre & la vertu & la doctrine tout ensemble. Artaxerxes Roy des Perses, comme raconte Suidas fut tant affectionné à la doctrine & sçavoir d'Hipocrates, qu'il escrivit à Hiscanus prefect & gouverneur de l'Hellespont, qu'il ne laissast, pour or, ou pour loyer, d'autre sorte, de se le rendre agreable & amy, desirant l'avoir, en sa Cour, sur toute autre personne vertueuse! ô esprits genereux! ô pensées élevées! ô desirs heroïques! ô esprits divins. Ces cerveaux ont esté desirables, pource que les sciences & les let- Aule Gel le, de Philippe Roy de Macedoine. [47v] THEA. DES DIVERS tres sont naturellement, en soy desirables. Omnis homo (dit lePhilosophe) naturaliter scire desiderat . C'est pourquoy les hommes sages les ont tant estimées, qu'ils ont travaillé infiniment, pour s'en rendre maistres, & ont monstré en plusieurs manieres, qu'ils en faisoient plus de compte, que de toute autre chose De Pitha du goras. monde. Le pauvre Philosophe Cleantes, tirant de nuit, de l'eau des puits, soustenoit, son indigence & pauvreté, pour ouir à son aise, de jour, la doctrine de Chrisippus. Pithagoras navigea expressement & courut par le monde jusques aux pays des Perses, pour apprendre la Magie, comme Pline raconte. Democrite (exemple memorable) se tira les yeux de soymesme, & se les arracha, pour mieux vaquer, & plus Suidas narre de Artaxer xes Roy des Perses Aristote. De Cleantes. Exemple des amateurs de la vertu De Democrite. 48 CERVEAUX. commodément à l'estude de la Philosophie, Sainct Hierosme fut bien tant desireux de sçavoir, qu'ores à Rome, ores à Byzance, ores en Antioche, il voulut ouir les fameux & sçavans hommes Donatus, Victorinus, Gregorius Naianzenus, Appollinaris Antiochenus, & Didimus Alexandrin. Scipion Africain avoit toujours entre les mains la Pedie de Cirus. Alexandre le Grand tenoit soubs son chevet, avec son poignart, l'Iliade d'Homere. Platon mourant se laissa trouver au lict, les Nombres de Sophron. Le docte Ciprian prenoit un si grand plaisir en la lecture de Tertulian, que demandant ses livres à lire, il souloit dire, comme narre S. Hierosme, Da Magistrum, Da Magistrum. Que nostre siecle est miserable: [48v] THEA. DES DIVERS & les temps modernes malheureux, esquels le sçavoir & la doctrine sont tant peu estimées, qu'on les tient à neant? que dy-je estimées? ains avilies: quoy avilies? ains conculquees & mises sous le pied: quoy conculquées? ains trahies, assassinées & malheureusement oppressées. Un livret de Comtes est la Pedie de Cirus, que aujourd'huy l'on tasche d'avoir en la main: une bourse pleine d'argent, est l'Iliade d'Homere, que l'on tasche de tenir soubs le chevet: une perpetuelle Tariffe, bonne seulement pour dérober, & assassiner, sont les Nombres de Sophron: Un je ne sçay quel abregé des goffes qui ont esté cy devant, est le maistre que l'on prend volontiers, à toute heure, à lire & manier. Sont ce là (ô siecle aveu- De Saint Hierosme De Scipion D'aleAfricain. De Platon. Cixandre le prian. grand. Deploration des temps modernes, esquelles let tres sont foulées aux pieds. gle!) 49 CERVEAUX. gle!) les choses qui te semblent donner honneur? Sont ce là tes ornemens? Est-ce l'honneur que t'apporte ton estude, bas, negligé & vile? considere en tous les temps & estats, que tu verras que les lettres (presupposant tousjours la preeminence de la bonté & de la discipline) ont donné le vray honneur à toutes les republiques, à toutes les villes & à toutes les religions. Qui a illustré la republique Romaine (je tais pour le present les personnes de guerre) sinon un Caton, un Ciceron, un M. Varron, & tant d'autres seignalez aux lettres? Qui, la Republique des Atheniens, sinon Demosthene, Aeschines, Isocrates, Zenon, & infiniz autres sçavans cerveaux? Qui a honoré The bes, sinon Pindare? Mantoue,sinon Discours des hommes lettrez anciens & modernes, qui ont illustré les Republiques villes & Religions. G [49v] THEA. DES DIVERS Virgile? Verone, sinon Pline? Padoue, sinon Livius? Naples, autres que les Portiens, & les Sannazars? Florence, autres, que Dante, Marsile, Bocace, Petrarque, Alamani? Siene, autres, que Sominati, Tolomei, Piccolomini? Peruse, autre que le docte Balde, honneur de celle patrie? Ravenne, autres que les Pieri, les Ferrets, Thomai, Rosti, & sur tous Desiderio Spreti? Bolongne, autre que l'estude & la doctrine propre de celle ville là tant studieuse? Ferrare, autres, que le divin Arioste, son moderne Giraldi Cinthien, les Brasaoli, les Pigni, & ses Seigneurs, tant amateurs & protecteurs des vertus? Cremonne, autres qu'un Vide; Milan, autres que les Corii, les Bossi, les Busti, les Cardans, les Crotti, les graves Senateurs, les 50 CERVEAUX. Oracles & Sibilles de tous les peu ples de ce gouvernement là? Pavie, autres que les Corti, les Menochi, les Alciats, les Guali, les Bereti ? l'excellente Venise, autres que les Barbari, les Gradenighi, les Gabrielli, les Venieri, les Contarini, les Justiniani, les Zeniles Lippomani, les Navagei, les Valieri, les Giorgi, les Dolci, & sur tous ce fameux Bembe, lequel est egal à son Hermolaus? Je laisse à part tant d'autres honorables villes & fameux chasteauxs veu que la trouppe infinie de leurs hommes doctes ne pourroit se nombrer sinon par une grande prolixité. Qui est-ce qui a orné de mille palmes, les Religions de l'Eglise Saincte, sinon les lettres? A bon droict se glorifient les G ij. [50v] THEA. DES DIVERS Chanoines Reguliers de Latran, tres-anciennes lumieres, sur les autres, de la saincte Eglise, de leur Hugues de sainct Victor, de son disciple Richard, de Prospere, Fulgentius, Aimon, Juon de Chartres, je ne parle pas du Maistre des sentences, Chanoine de S. Geneviesve: & de ces premiers, Hilaire, Cirille, Isidorus, Rosetus & plusieurs autres, qui ne sont pas cogneus sinon des studieux de plusieurs histoires. Et avant tous, du grand Pere, S. Augustin, lumiere des doctes, flamme des vertueux, splendeur tresluisante des lettrez, l'ornement & l'honneur de l'habit canonical. Les moines tirent leur gloire & hon- neur de Cassianus, de Climmachus, Rupertus, Isidorus, Pierre Bercorius & d'infinis autres tres5I CERVEAUX. renommez aux lettres: desquels si je me tais, c'est pource qu'il ne m'en souvient pas bien pour le present, & n'en ay bonne memoire maintenant: & aussi pource que je ne procede icy par maniere de Cronique, mais j'entens faire un brief discours: & pour ceste cause, si je me tais d'aucuns pareillement renommez, je ne pretens les injurier, ou leur faire tort. Et pareillement la Religion de S. Dominique marche glorieuse, de son Albert le Grand, du Docteur Angelique, du docte Caietan, de Rupert Holcoth, d'Hugues Cardinal, & d'autres vertueux inombrables. La Religion de S. François est exaltée, par Scotus, S. Bonaventure, Alexandre d'Ales & Nicolas de Lyra, & d'une grande trouppe de personnes G iij [51v] THEA. DES DIVERS tresdoctes. La Religion des Hermites florit en gloire, & honneur, à l'occasion d'Egidius, de François Mairon, de Seripand & de plusieurs autres. Ainsi les autres Religions se vont glorifiant, de se voir honorées d'hommes excellens & fameux en toute sorte de lettres, & avec tresgrande raison: car elles ont toutes cogneu le vray honneur consister en la doctrine & au sçavoir. Pourquoy s'exaltent aujourd'huy tant de Predicateurs signalez, de toute Religion, un Fiamma, un Caracciolo, un Hebreo, un Panigarola, un Vollera, un Lupo, un Toledo, sinon pour cet honneur? Pourquoy sont estimez tant de fameux Theologiens modernes, un Maistre Octavian de Ravenne, auquel je doy graces infinies, comme à mon tresdocte 52 CERVEAUX. & tresamiable precepteur, un Ambroise Barbanara, un Maistre Lucius de Piacenze: un Maistre Joseph, de Vercelli: un Quaino, un Salmeron, & tant d'autres, que je passe plustost sous un indigne silence, que de souiller ou obscurcir les louanges d'iceux, par ce que ma plume rude, non faconde & inepte en pourroit escrire, sinon pour cet honneur mesme? Oyez vous nommer ceux qui semblent rebelles aux estudes & aux lettres? Oyez vous que le monde en face cas, ou les honore d'aucune gloire? Oyez vous que leur renommée sorte hors d'une cuisine, ou hors d'un clocher? Oyez vous qu'on leur donne autre louange, que d'esprits mecani ques & plebees? Or laissons les là, Giiij [52v] THEA. DES DIVERS je vous prie de peur qu'ils fussent trop honorez de trop parler d'eux DES CERVEAUX vertueux & nobles. DISCOURS X. LA derniere espece des cerveaux, est celle des vertueux & nobles, lesquels embrassent en maniere d'une grande mer, tous ceux, lesquels par quelque vertu qu'ils ont en eux, acquierent à l'endroit du monde, la noblesse, reverée & prisée de tous. Les vertueux & nobles sont generalement en tresgrand prix & consideration, pour toute voye de justice, de raison & devoir, pource qu'ils ont l'entendement tousjours eslevé à choses dignes 53 CERVEAUX. Ô Louange de la vertu. & honnorables d'eux. O Vertu! Noblesse, choses vraiement enviées: y a il un plus beau jardin de delices, que celuy de la vertu? quelle fontaine de tous biens est plus precieuse? quelles drogues & senteurs plus souesves & odoriferantes que ses fleurs? quel puits d'eau vive, plus distillant que le sien? quelles roses, quelles violettes, quels narcisses, quels amaranthes, plus gracieux qu'icelle? Quelles perles, quelles pierres precieuses, quel plus riche thresor que cestuy là? Le Philosophe Bias se glorifioit estant desnué de toute chose, hors mis de la vertu, & disoit, Omnia bona mea mecum porto . Ceste est la derniere perfection de la nature, qu'Averroes a ainsi appellée. Ceste est l'Ethique tirée du ciel du tressage Socrates. Ceste est Dict de Bias. Averroes. [53v] THEA. DES DIVERS la flamme, que par la verge hardie, Promethée ravit de la sphere du feu. Ceste est le rameau d'or, Aeneas. C'est icy la toison d'or, que la Sage Cumaine enseigna à que Jason ravit en l'Isle de Colchos. Ceste est la lame d'or, que le Prestre ancien devoit porter au front. Elle est ce grand prodige, que le tres-docte S. Hierosme nomme. Elle est la sapience, que Cice- Louanges de la vertu. ron a dict estre paisible es tempestes, luisante es tenebres, ferme es dangers, sans crainte & hardie aux combats, honorable en la honte & vitupere. Elle est finalement la Beatrix de Dante, qui guide l'homme par toutes les spheres celestes à la gloire immortelle. O tresprecieuse vertu! ô vertu de lumiere, de gloire, de prix incomparable! Je ne puis trouver une 54 CERVEAUX. plus seure escorte que ceste cy: pour ceste cause, les Romains avoient ce dict, sur toute chose, pour agreable, Virtute dure . Je ne puis trouver plus chere & douce compagnie, & pour ceste cause le penible & laborieux Hercules s'esleut la vertu, pour chose singuliere, & pour son aymée & agreable compagnie. Je ne puis voir chose plus asseurée qu'elle est. Et pour ceste cause le Poëte Tuscan a bien dict, Che ne ferro, ne foco à Virtu nuoce. Que le fer & le feu ne nuisent à la Vertu. Je ne puis voir chose plus belliqueuse. Pour ceste raison Fortunio Spira a dict gentiment, Virtute è combattuta à prima vista: Ma vince al fine, e'l Vitio mette al fondo: Exemple des Romains. Exemple d'Hercules Dict de Petrarque. Dict de Fortunio Spira. [54v] THEA. DES DIVERS Elungamente gloriosa regna: La vertu est combatue de prime face, mais elle surmonte à la fin, & met le vice au fonds, & l'abat, & regne long temps glorieuse. Je ne puis voir chose plus riche qu'elle est: & pour ceste occasion Seneque disoit que la vertu estoit contente de l'homme nud, & qu'elle suffisoit seule à le vestir Dict de Seneque. & l'orner. Pour ceste raison mesme. le Philosophe Stisbon, ayant au sac de sa patrie, perdu tout son bien & avoir, disoit gayement qu'il n'avoit rien perdu, luy estant demeurée la vertu, seule & vraye richesse, outre toute chose. Je ne puis voir chose plus heureuse que la vertu, à ceste cause Macrobe disoit bien, que Solae virtutes beatum faciunt . Je ne puis trouver chose plus glorieuse & pour ceste rai- Dict du Philosophe Stibson 55 CERVEAUX. son la vertu a d'elle mesme acquis un si grand train de personnes. L'oisiveté desplaisoit à Achilles, le silence à Nestor, le repos à Ulisse, la tranquillité à Thesée, & Hector haissoit d'avoir les mains à la ceinture, pource qu'ils estoient sectateurs de la vertu, Alexandre souspira pour l'infinité des mondes establie par Empedocles, voyant qu'à peine par sa vertu, il en avoit surmonté un demy. Themistocles disoit que les vertueux trophées de Milciades le tenoyent esveillé du sommeil. Jules Cesar regardant l'image d'Alexandre, en l'aage de jeunesse, gemissant de fascherie, se blasmoit soymesme de paresse, en ce qu'en l'aage mesme, il n'avoit faict aucune entreprinse de valeur, en laquelle il avoit vaincu & surmonté quasi tout Exemple d'hommes sectateurs de vertu. D'Alexan dre. De Themistocles. De Jules Cesar. [55v] THEA. DES DIVERS le monde. Ceux cy estoient les emulateurs des vertus, & les corrivaux & concurrens des vertueuses entreprinses. La noblesse, la grandeur, la magnificence consiste toute en la vertu: & de là sont venus à l'endroit des anciens, tant de loyers donnez aux vertueux, pour remunerer leurs dignes a- Dict de Macrobe. ctes, glorieux & immortels. Les Carthaginois donnoyent autant d'aneaux aux vaillans & vertueux soldats, qu'il y avoit de batailles, ausquelles ils s'estoient trouvez. Les Hespagnols dressoient autant d'obelisques à l'entour du sepulchre du mort, comme il avoit occis d'ennemis. Et entre les Scythes ceux là seulement pouvoient boire en une tasse, que l'on portoit tout entour, lesquels par leur valeur avoyent tue un ennemy. Les Coustume des Carthaginois. 56 CERVEAUX. Macedoniens avoyent une loy, que celuy lequel n'avoit occis & mis à mort aucun ennemy, en signe de deshonneur, estoit tenu d'aller ceinct d'un chevestre. Et pour ceste raison les Romains donnoyent aux vertueux & nobles, tant de sortes de coronnes: les Triomphales, les Civiles, les Murales, les Obsidionales, les Ovales, les Navales, & tant de dons militaires, brassarts & brasselets, haches, piques, bardes, chaines, aneaux, statues, images, & simulacres. Les coronnes & les guirlandes sont marques Hieroglyphiques d'éternité, & de victoire: & pour ceste cause, il est escrit es Pseaumes, Tu leur as mis sur le chef, une coronne de pierres precieuses. Et pourtant Aratus ancien Theolo gien a dit, que Bacche, pour une eternelle memoire de l'amour qu'il Coustume de Macedoniens. Coustume des Romains. Coustume des Hespa Coustume gnols. des Scythes. Aratus ancien Theologien Psalmes de David. [56v] THEA. DES DIVERS portoit à sa femme Arianna, mit & colloqua au ciel, la couronne d'icelle. De là vient, que les nobles enseignes, armes & devises se sont trouvées pour favoriser les vertueux & monstrer la hauteur de leurs pensées: comme le fouldre pour les Scithes: l'arc pour les Perses: le chef armé pour les Ciliciens: Mars pour ceux de Thrace: Hercules pour les Pheniciens: le Lion pour les Milesiens: le Pegase pour les Corinthiens: le cheval pour l'Italie: les trois Serpens, pour l'Asie: l'Elephant, pour l'Afrique: & de nostre temps, à ceste cause, la Republique de Genes a pour armes, un chevalier armé: & la Venetienne un Lion ailé, de couleur d'or, avec un livre entre les pattes & griffes, attribué au glorieux S. Marc. Les grands per- Armes & enseignes diverses pour les vertueux & nobles. sonnages 57 CERVEAUX. sonnages pour ceste occasion, portoient anciennement, armes honorables & illustres, comme Agamemnon, selon que Pausanias raconte, avoit accoustumé de porter en son escu la teste du Lion, avec ces paroles: Cestuy cy est la terreur des hommes, & qui le porte est Agamemnon. Antiochus avoit le Lion avec le Caducée, & l'Aigle, qui tenoit un Dragon, entre ses ongles: Thesée avoit le Beuf: Seleuque le Taureau: Octavian, le Sphinx, en son cachet. Pompée le Grand, le Lion avec l'espée: Caius Marius, deux beufs, joints à un joug: Attila, l'Esprevier coronné. Quoy? les Dieux anciens mesmes, pour faire preuve de leur vertu & noblesse, & la monstrer aux hommes de la terre, eslevrent des enseignes honorables & ilh [57v] THEA. DES DIVERS lustres. Et pour ceste cause Jupiter choisit le foudre: Neptune le Trident: Mars l'espée: Bacche le Thirse: Hercules la masse: Saturne la faux: Apollon les escorgées: Mercure la verge. O tresnoble vertu, ô noblesse tres-vertueuse. La vertu de l'homme principalement se descouvre, en la benignité de l'esprit, en la modestie de l'entendement, & en l'honneste & civile honte, de la nature ayant respect, sans infinis autres moyens particuliers que nous laisserons comprins es louanges generales des cerveaux nobles & vertueux. Elle se descouvre pareillement en la benignité, gaillardise & gentillesse de l'esprit, se demonstrant traitable, doux, humain, en tous temps & en tous les estats. Pour ceste cause Ciceron a dit en ses Offices, 58 CERVEAUX. que la gaillardise, est une vertu de l'esprit, qui pese, par une juste balance, l'un & l'autre estant du monde: à sçavoir celuy de la prosperité, & celuy de l'advesité, pource que le veritable, benin & gaillard & affable, ne se fasche & irrite en l'adversité, & ne s'enorgueillit pas és choses prosperes. Parquoy sainct Hierosme, sur sainct Matthieu descrivant la nature de l'homme doux & affable, l'a orné de ces belles conditions, Mansuetus seu mitis est qui nec irritat, nec nocet, nec nocere cogitat: nec ira, nec furore afficitur. C'est à dire: le doux & humain est celuy, lequel ne s'irrite & ne nuit, & ne pense pas à nuire, & n'est point poussé de colere ny de fureur. Tel fut ce rare & singulier exemple de benignité & mansuetude, David, Ciceron. Saint Hie rosme. H ij [58v] THEA. DES DIVERS duquel est escrit: Memento Domine David, & omnis mansuetudinis ejus. Souvienne toy Seigneur de David, & de toute sa mansuetude & douceur, lequel ne s'esmeut ny Joel Virgile Mercure le ca pour nonise Ce TrismeProphete. outrages, giste. sar à caune s'irrita se de sa be pour nignité. injures, ne se courrouça pour offenses, & oncques pour disgraces ou infortunez evenemens, ne se troubla, ne desmit de son pristin estat entierement doux et bening. Ceux cy sont appellez heureux par nostre seigneur en l'Evangile: Beati mites . Ceux cy sont colloqués par Homere, en l'onziesme de son Odyssée, aux champs Elisés. Cesar à cause de cete vertu, est canonisé par Virgile, en sa Bucolique. C'est la Vertu, laquelle Mercure Trismegiste souloit dire estre alliée de la nature divine: ce que le Prophete Joel a tresbien ex- Exemple de David hu main & doux. Homere establit les benins aux champs Elisés. Evangile. 59 CERVEAUX. primé en ces paroles: Convertimini ad Dominum Deum vestrum, quoniam benignus & misericors est. C'est à cause de ceste vertu, que le seigneur Julian Goselini a loué beaucoup la majesté du Roy Philippe, en un sien sonnet. Et mesmes la vertu de l'homme consiste en la modestie de l'esprit, comme on lit de Caton, lequel plein de modestie ne voulut pas permettre, qu'on luy dressast aucune statue, disant qu'il aymoit mieux que les nepveux demandassent pourquoy elles ne luy auroient esté dressées, que s'ils s'enqueroient de l'occasion de les voir debout eslevées sur pieds. Par semblable modestie Terence Varron rejetta librement la Dictature, qui luy avoit esté gracieusement offerte par le Senat, & tout le peu- Terence Varron. ple. Par semblable modestie aussi H iij [59v] THEA. DES DIVERS Pompée. Pompée deffait par Cesar, aux champs Pharsaliques, entrant en Larisse, comme tous les citadins de ceste ville là fussent venus au devant de luy, il dist: Allez & faictes ceste faveur au victorieux. Ainsi le docte Venier a descrit la gentille modestie de Trifon Gabrieli, es vers qui commencent: Tu con piena humiltade &c. Elle consiste aussi en la honte, comme l'on lit le notable exemple de Spurinus, jeune homme de grande beauté, lequel voyant sa beauté sollicitée des yeux de plusieurs femmes, meu d'une merveilleuse honte se difforma tellement le visage, de coups & de playes, qu'il perdit quasi du tout sa naturelle beauté. Sainct Ambroise en ses Offices, descrivant la honte de Susanne, Exemple de Spurinus honteux. Saint Am broise de[sic] 60 CERVEAUX. dict, qu'en ce tresgrand danger des deux vieillards, elle se taisoit, reputant plus griesve la perte de la honte que de la vie. O honte amie de l'honnesteté, compagne de la modestie: soeur de l'honneur: emulatrice de la gloire: unique voye à la vraye eternité, je t'admire, je t'honore, je te revere, & te loue, & exalte, avec un sainct respect: tu honores les femmes mariées: tu ornes les pucelles, tu pares & embellis le sexe feminin, tu magnifies les hommes, tu hausses & esleves les vieillards, tu es gracieux au moyen des yeux: en manieres, civile: en actions, honorable: de gestes & Susanne honteuse. contenances, humaine: de paroles aggreable, & de faict, pleine de grace & de courtoisie. C'est pourH iiij [60v] THEA. DES DIVERS Ciceron. quoy Ciceron au livre de l'Orateur, louant ceste tresgentille vertu de la honte, dist qu'elle estoit la gardienne de toutes les vertus. Et Valere le Grand l'a appellée mere des honnestes conseils: la tutele & deffense des solennels offices: maistresse de la pureté & innocence: chere aux prochains, agreable aux estrangers, & chose favorable en tout lieu, & de tout temps. Et pour ceste cause le gentil Molza, louant sa dame d'une tres-honneste honte, l'a comparée au visage, à la couleur de la rose: & Varchi en a faict de mesme, pour la sienne. Parquoy je conclus qu'en toutes manieres les cerveaux vertueux & no bles meritent supremes & infinis honneurs, à l'endroict de tout le monde. Valere le Grand a loué la honte. Molza loue sa da me de honte 6I CERVEAUX. DES CERVEAUX vains. DISCOURS XI. AYANT assez parlé de ceux, que nous appelons proprement de ce nom celebre & honorable de cerveaux: passons à ceux de la seconde espece, appellez en Italien, Cervellini , comme eventez ou legers de cerveau, & parlons en premier lieu, des cerveaux eventez, vains, ainsi appellez de tous. Les Cerveaux tels & vains, sont L'Italien dit Cervelini, comeventez & legers d'es prit. ceux lesquels en choses messeantes, non convenables, & de trespetite valeur, occupent le temps & leurs esprits. Et pource que la vanité des choses est infinie, comme des richesses, des delices, de la gloire du monde, d'affections, & [61v] THEA. DES DIVERS peines tresinutiles & vaines, c'est pourquoy il y a une infinité de cerveaux legers de ceste espece & maniere: & ce seroit une trop laborieuse entreprinse de les descrire tous. Mais nous soit pour un memorable exemple, le cerveau leger de l'Empereur Domitian, lequel tandis qu'il devoit s'appliquer à choses tresgraves & dignes de sa majesté, entendoit seulement aux choses vaines, legeres & de nulle consideration: & estoit tant vain & inutil, que tout le jour il s'amusoit à piquer & percer les mousches, en sa chambre, avec un poinçon: & donna un jour occasion à un sien chambrier de donner ceste gentille responce à un Senateur, lequel voulant parler à l'Empereur, luy demanda, s'il y avoit des personne au dedans, Cerveau leger de l'Empereur Domitian. 62 CERVEAUX. quant & luy, disant: Nec muscae quidem, Non mesme la mousche. Les femmes, pour la plus part, ont leurs esprits frappez à ce coin, & sont legeres de cerveaux: car elles sont tant vaines, que si on leur ostoit la vanité, ne resteroit (selon le dire d'un homme d'esprit & jugement) aucune autre chose. Vous voyez que tout leur soucy & cure est seulement en choses vaines, à se polir, à s'orner, à s'embelir, à se farder, aneller leurs cheveux, les Cerveau leger communement. cresper, blanchir le visage, & colorer leur front, ayans devant elles, des phioles, boites, & petits vases, remplis seulement de mille vanitez. Je ne parle pas de toutes, car l'on sçait bien que plusieurs entendent & s'appliquent à autre chose, & [62v] THEA. DES DIVERS en cecy principalement employent l'honnesteté & l'honneur, qui est requis. Pour ceste cause Simmachus, louant les anciennes Romaines d'honnesteté, a dict: Vittae earum capiti decus faciunt. Leurs voiles sont l'honneur & l'ornement de leurs testes, cheminans couvertes, avec gravité, contre la coustume des vaines. Ainsi le divin Petrarque voulant louër l'honnesteté de sa Laure, a dict: Lasciar il velo, o per Sole, o per ombia, Donna non vi, vid' io. Je ne vous ay veu laisser le voile ou pour le Soleil, ou pour l'ombre. Homere en l'Odissée parlant de la chaste & pudique Penelope, escrit des vers de ceste substance, Quand la dame illustre vint à ses amans, elle assit le pied sur le sueil de son palays bien fondé, ayant le visage Simmachus loue les da mes Romaines. Petrarque loue mada me Laure. Homere loue Penelope. 63 CERVEAUX. couvert d'un gros drap ou voile. Et Musée entre tous les Poëtes tresancien, introduit Ero pucelle, ayant le chef & le visage couvert, en vers Grecs, de ceste substance: La pucelle tenoit les yeux fichez en terre, muette, sans dire mot, & ayant le visage couvert d'un voile qui luy estoit devenu vermeil de honte. Mais les femmes vaines ont accoustumé de faire tout à l'opposite, pource qu'elles ont un cerveau seulement aveuglé en leurs vanitez. Et pour ceste Museus des crit Ero voilee. cause, Dante a dict de ces cerveaux legers, en son Enfer: Noi siam venuti al loco ove t'ho detto, Ove udirai le gentil dolorose, C'hanno perdito il ben dell' intelletto. C'est à dire Nous sommes venus au lieu où je t'ay dict: où tu oyras les peuples douloreux, qui ont perdu le bien de l'entendement. Ceste [63v] THEA. DES DIVERS vanité tant frivole a esté appellée par Bias, Platon. Democriune maladie de l'ame: par te. Democrite, une mer ocieuse & morte: par Platon, en sa Republique, une peste, & une mortelle contagion. C'est pourquoy les sçavans auteurs, par leurs dicts ont excité les entendemens, de se destourner de ceste vanité, la congnoissant trop vile & defectueuse. Saluste a laissé par escrit ceste sentence dorée: Omnes homines, qui sese student praestare cateris animantibus summa ope niti decet, ne vitam silentio transeant, veluti pecora. C'est à dire, tous les hommes qui veulent exceller par dessus tous les autres animaux se doivent efforcer de tout leur pouvoir, à ce qu'ils ne passent leur vie, sous le silence, com me les bestes &c. Ovide encou- Bias. Sentence de Saluste. Dante. 64 CERVEAUX. rageant l'homme à choses dignes de luy, a escrit ces vers dorez: Prondque cum spectent animalia caetera terram, Os homini sublime dedit, caelumque tueri Jusit, & erectos ad sydera tollere vultus. C'est à dire, veu que tous les autres animaux regardent naturellement la terre: il a eslevé le visage à l'homme, luy a com- Sentence d'Ovide. mandé de regarder le ciel, & de dresser sa face en haut, &c. Homere avoit accoustumé de dire que se travailler en ces choses vaines, est donner à l'esprit un jeusne trop insuportable. Quand Dieu crea, selon qu'il est escrit au Genese, les oiseaux du ciel, il leur donna sa benediction & [64v] THEA. DES DIVERS Conception de l'escriture. ne la donna autrement aux bestes brutes, qui meinent leur vie en terre, pour nous monstrer, avec mystere que ceux là sont benis de Dieu, qui ont la pensée & le cueur elevé aux choses hautes & supernelles, & non pas ceux qui l'ont occupé aux fantasies & fanfreluches de la terre. Le Prophete Jeremie plora sur la ville de Jerusalem, disant: Ses immondices sont à ses pieds, sachant que le peuple estoit seulement addonné aux choses terriennes tres-vaines & fresles. Je ne la puis mieux resouldre, que de prier avec le Prophete, nostre Seigneur, & dire: Averte oculos meos, ne videant vanitatem. C'est à dire, Destourne mes yeux qu'ils ne voy ent la vanité: car de cete vanité de cerveau on ne tire sinon dommage, ignominie & des-honneur. Jeremie. Dit D'Ho mere. Le Prophe te David. Des 65 CERVEAUX. DES CERVEAUX LEgers, remuant, instables, inconstants, & Lunatiques. DISCOURS XII. LEs Cerveaux qui changent & sont instables en leurs pensées & actions, n'acquie rent pas moindre perte & deshonneur. L'instable & legere femme du juste Loth, convertie en une statue de sel, peut servir de manifeste exemple de la perte & dommage qui vient de ceste volubilité. L'inconstant Semei, lequel s'apliqua mal à la charge & commission de son Maistre, monstra, par la mort qui luy en advint, comme c'est une chose nuisible & dommageable d'estre inconstant & leger. Le suplice & la peine de devenir un vaI Exemple de la femme de Loth. [65v] THEA. DES DIVERS gabond & errant tout le temps de sa vie monstra à Cain de quelle perte & dommage est l'instabilité du corps & de l'esprit. Petrarque a exprimé, en peu de paroles, mais clairement, le mal & prejudice de ceste legereté, en ces vers: Exemple de Semei. Petrarque E del mio vaneggiar vergogna e'l frutto, E'il pentirsi e'l conoscer chiaramente, Che quanto piace al mondo, é breve sogno. C'est à dire, & de ma volubilité, le deshonneur est le fruict, le repentir, & cognoistre, manifestement que tout ce qui plaist au monde, n'est qu'un brief songe. Et ainsi les a tresbien declaré Grotto, au Sonnet qui commence, Io che dal primo di vaneggio vago, 66 CERVEAUX. La spoglia, é l'adma al precipitio porto. C'est à dire, quant à moy, qui des le premier jour erre leger, je porte le corps & l'ame, au precipice. Et nous pouvons voir manifestement par plusieurs passages de l'Escriture, comme en apres se rend vile un homme leger & instable, pource qu'à cause, de sa vilité, ores il est comparé à la pouldre de la terre, comme en ce vers du Pseaume, Non sic impii, non sic: sed tanquam pulvis, quem proiicit ventus à facie terrae. C'est à dire, non ainsi, les meschans, mais comme la poussiere, que le vent jette de dessus la face de la terre: ores à la mer instable & orageuse, à cause des vents, qui y soufflent continuellement: comme en Es. où il dit: Cor impit quasi mare fervens, quod quiescere non potest. Psaume. Esaie. I ij [66v] THEA. DES DIVERS C'est à dire, le coeur du meschant, est quasi comme la mer orageuse & bouillante, qui n'est jamais en repos: ores aux oiseaux vagabonds, en l'air, comme aux Proverbes, où il est escrit, Sicut avis transmigrans de nido suo, Sic vir qui relinquit locum suum : Et pour le dire en un mot les instables sont figurés en l'Evangile, & signifiez, par le fils Lunatique, pour lequel le Pere dit à Jesus Christ, Domine miserere filio meo, quia lunaticus est : car ils sont proprement muables comme la Lune. Pour ceste cause, quand le sage voulut en l'Ecclesiastique, blasmer ceste legereté & changement, le comparant au vent, il dit, Non ventiles te in omnem ventum. Et quand nostre seigneur, par u- Proverbes Evangile. Ecclesiaste ne occulte signification, voulut reprendre ceste legereté, il dict, en 67 CERVEAUX. S.Luc. S. Luc, Noli transire de domo, in domum. Ne passez de maison, en maison: comme s'il vouloit dire, Il ne faut pas estre leger & inconstant de pensée & d'actions, s'apliquant ores à une chose, ores à une autre: de maniere que l'on vueille aujourd'huy estudier, demain le plaisir du son: aujourd'huy les devotions, demain le bal & danses: aujourd'huy les peines, demain le repos: aujourd'huy la vertu, demain le plaisir. Le divin Arioste a noté fort sententieusement l'humaine instabilité en ceste Stance, qui commance: Arioste. O de gli huomini inferna e' instabil mente: Come siam presti à variar disegno. Pource que veritablement, nous ne sommes jamais fermes & ar I iij [67v] THEA. DES DIVERS restés en un propos, mais, tournons, comme la girouette à tous vents, çà & là, & changeons bien souvent de pensée. Ceste instabilité fut singulierement notée par Petrarque, en la personne d'Amnon, ores prins d'amour, ores aveuglé de haine, contre sa soeur Thamar, là où il dit, Vedi quel, che in un punto ama é disamar. Voy ce qu'en un instant il ay- Petrarque me, & n'aime plus. Ce que Guidiccion a bien exprimé en soymesme, & gentiment, quand il escrit, Se ben s'erge tal hor lieto il pensiero A caldiraggi del suo amato sole: E vede il volta, & ode le parole, Quasi in un punto poi l'attrista il Vero 68 CERVEAUX. C'est à dire, Bien qu'aucunes fois s'esleve ma pensée gaye aux chaulds rayons de son aymé soleil, & voit le visage & oit les paroles, apres le vray, tout en un instant l'atriste. Parquoy pour estre tant dommageable & vile, elle merite le blasme, que l'on a coustume de donner & attribuer aux choses vicieuses: & d'estre tenu en la haine, que sa miserable & abjecte nature requiert. DES CERVEAUX curieux. DISCOURS XIII. LAissant les cerveaux vagabonds & instables, discourons en brief de ceux, que nous appellons curieux, lesquels ont la pensée I iiij. [68v] THEA. DES DIVERS assez vaine, le desir vain, le voir, le parler, & toutes les manieres & actions, de leur vie vaines. Ceste vaine curiosité de pensée a esté reprinse par le Sage, en ces paroles, de l'Ecclesiaste: Proposui in aio meo quarere & investigare sapienter de omnibus, qua fiunt sub sole. Hanc occupationem pessimam dedit Deus filiis hominum, ut occupentur in ea. Où apertement il la nomme une chose tresmauvaise & inique. Seneque, le Philosophe, la reputant du tout inutile, a dict à ce propos: Quid te torques in illa quaestione, quam utilius est, contempsisse, quàm solvere? Pourquoy te mets tu en peine, en ceste question là, laquelle il est meilleur & plus utile avoir en contemnement que la souldre? Car de s'occuper & empescher en la consideration de certaines extremes curiositez, Eccles. 69 CERVEAUX. c'est une chose, non seulement vaine, mais digne de haine & de mespris. Le desir curieux n'est pas moins vain & dommageable aussi, comme l'exemple nous declare, en Dina fille de Jacob Patriarche, laquelle meuë d'un vain desir, de voir les manieres des femmes de la region de Sichem, en tira en fin, le vitupere & le deshonneur que luy fit le dissolu fils d'Emor Evée. Le voit aussi, est cause de grandes pertes & maux: pour ceste cause, on lit qu’Acteon fut converty en cerf, pour avoir trop curieusement, assis l'oeil, sur les belles deesses nues. Aglaure fut changée en pierre pour avoir descouvert d'un oeil cupide, le monstre, que la deesse Minerve luy avoit secretement donné en garde. Procris fut tuée d'une sagette, par son mary, pour Dina curieuse. Acteon & Aglaure curieux. [69v] THEA. DES DIVERS avoir voulu, par une trop grande anxieté voir s'il estoit point ravy de l'Aure,comme elle avoit soupçon. Le divin Petrarque attribue quasi tousjours les miseres de son amour, aux curieux regards. Le miserable Ariodant, trop curieux de regarder ce que le saint Polinesse s'offrit de monstrer, de Genevre, attribua la faute à ses yeux, en l'Arioste: Et en ceste maniere, le gentil Remy Florentin, attribue les peines de son amour, aux yeux de sa Dame, & à son propre regard. Quand l'Escriture Saincte depeint la douleur des deux faux vieillards, amoureux de Susanne, il en rend la cause, disant,que, Videbant eam senes quotidie ingredientem & deambulantem: & exarserunt in concupiscentiam ejus. Là où toutes chose est attribuée au curieux re- Procris curieuse. Ariodant curieux en l'Arioste. 70 CERVEAUX. gard de leurs yeux. Le curieux parler aussi est blasmé & reprins, comme S. Paul escrivant à Timothée reprint les Maistres & Predicateurs, lesquels il preveut devoir, avec le temps, declarer & expliquer seulement les fables & nouvelles. Les femmes sont communement notées, es actions & gestes pleins de curiosité, pource qu'elles s'appliquent plus à cecy, qu'à aucune autre chose digne de louange: pour ceste cause l'Arioste descrivant les curieuses actions d'Al cine, l'a proprement declarée & deschifrée en quelques siens vers. Mais parlant en general, est demonstré que la curiosité est digne de blasme & de reprehension, par le dire du Poete Antagoras, lequel ayant esté trouvé par le Roy Antigone, en son propre pavillon, faisant cuire certains poissons, par luy S.Paul à Timothee Daniel le Prophete. Alcine cu rieuse en l'Arioste. Exemple du Roy Antigone curieux. [70v] THEA. DES DIVERS decouverts, par une trop grande curiosité: & enquis, par jeu, s'il pensoit qu'Homere, tandis qu'il escrivoit les faicts d'Agamemnon, s'amusast à faire cuire des poissons, il fit responce: Pensés vous qu'Agamemnon, tandis qu'il faisoit ses entreprinses, fust curieux de sçavoir, comme vous estes, si en son armée, l'on faisoit cuire des poissons? En quoy il a manifestement reprins & noté, la trop grande curiosité d'iceluy. Le dict de S. Augustin aussi blasme la curiosité: car comme le Philosophe Simplicius luy eust demandé ce que Dieu faisoit avant qu'il creast le monde, on lit qu'il respondit, que Dieu estoit en une forest, où il couppoit le bois, pour en faire un grand feu, à brusler tous les curieux rechercheurs de ses hauts secrets: auquel CERVEAUX. lieu il se moqua manifestement du doute trop curieux du temeraire Philosophe. Estant donc ceste curiosité telle, que nous l'avons depainte, s'ensuit & reste que les cerveaux curieux se rendent dignes de blasme & de vitupere: d'autant plus qu'ils ont le livre du pourquoy en toute chose, es yeux qui veulent voir toutes choses, es aureilles qui veulent ouir la cause de toute chose, en l'odorer & flairer, pource qu'ils veulent mettre le nés par tout, au goust, entant qu'ils veulent engloutir toute cho se. En somme, Seneque, en ses Epistres, ne leur peut donner epithetes plus convenables, que de cerveaux ennuyeux & trop à contrecoeur, desquels il est force que je me deporte de parler d'avantage, pour l'horreur de leur nature. 7ILe Philosophe Sim plicius curieux Seneque. [71v] THEA. DES DIVERS DES CERVEAUX DEdaigneux, despiteux, capricieux & sauvages. DISCOURS XIIII. JE me tourne maintenant, avec non moindre horreur & fascherie aux cerveaux lesquels nous appellons delicats & desdaigneux, pource qu'ils sont de tant fascheuse nature, ayant tout à contrecoeur, qu'il semble, qu'ils ayent tousjours le rubarbe en la bouche, ou la rue sauvage au nés. L'on en trouve aucuns tant despiteux & sauvages, qu'un seul signe ou clin d'oeil ne leur venant à fantasies, les rend comme enragez, & ont une poison au dedans trop insupportable. On lit que le Philosophe Euvilocus a esté d’une telle Exemple du Philosophe Eurilocus. 72 CERVEAUX. maniere de cerveau: car comme son cuisinier n'eust une fois accommodé son soupper à l'heure deuë, il print le rosti & la broche tout ensemble, & courut apres luy, jusques en la place de grande colere & despit, afin de l'embrocher. Speufippe fils d'Eurimodon se monstra pareillement d'un tel cerveau, quand quelqu'un ayant en jeu, touché la queuë d'un sien petit chien, oyant abbayer, il le jetta, par despit, dedans un puits. Que dirons nous de ces cerveaux despiteux d'Aman, duquel on lit es sainctes lettres, qu'il voulut pendre Mardochée, pource qu'il ne luy plioit les genoux, & ne luy faisoit reverence comme les autres?Ce que Dante a gentiment touché en ces vers, Poi piove dentro all' altra fantasia Exemple de Speusip pus. Exemple d'Aman. [72v] THEA. DES DIVERS Un crocefisso dispetto è fero Si è la sua vista, & cotal si moria. Telles gens, à la verité, meurent de rage & de despit, & n'est possible, ce croy-je, de voir plus grandes viperesque tels ecervelés,qui se ruent sur autruy, aussi tost seulement que l'on tourne les yeux sur eux: toute chose leur desplaist, toute chose les fasche, & peut on dire que l'eau rose, le musc, la civete, toutes les odeurs & parfuns de Perse & de l'Arabie tout ensemble, leur puent. Ils sont eschars à rire, retirez en la joye, fascheux es caresses, affables, obstinez & dedaigneux, es paroles, & brief toute chose leur vient à contrecoeur ne trouvent rien à leur gré. Boeme n'estoit pas tant despiteuse à la personne de Exemple de Boeme despiteuse Marc 73 CERVEAUX. Marc Aurele, que ceux cy en tout & par tout, sont fascheux & hargneux en paroles, en gestes, manieres, & en leurs actions. Aussi tost que j'en voy un de ceux là, il me souvient incontinent de la despiteuse Gabrine de laquelle les estranges conditions ont esté descrites par l'Arioste : ou bien de la femme de Pinabel, de laquelle le mesme auteur a depaint la desplaisante nature. Parquoy haissant tels ecervelez, tant delicats, dédaigneux & estranges, je me tourne en fin d'autre part, & vay trou ver les passionez, & hommes Gabrine despiteuse La femme de Pinabel despineuse ayans perdu cueur. DES CERVEAUX passionez & descouragez. DISCOURS XV. K [73v] THEA. DES DIVERS LEs cerveaux passionnez pour royent bien, en plusieurs manieres, demonstrer leurs passions differentes & diverses comme d'ire, d'envie, de convoitise, & de beaucoup d'autres: mais nous entendons parler, pour le present de ceux qui descouvrent en diverses manieres & occasions, la passion amoureuse, subject des jeunes cueurs, trop miserablement transportez & menez de l'aveugle affection & cupidité: laquelle passion ils declarent eux mesmes, en paroles, signes de l'oeil, en regards, oeillades, en ris, en changement de visage, en lettres, en promesses, en messages, en presens, en armes, en livrées, & devises, outre les affections interieures exterieurement exprimées, & mentionnées par Marsile Ficin, au commentaire Marsile Ficin 74 CERVEAUX. sur Platon de l'Amour, à sçavoir des larmes, desirs, lamentations, tristesses, jalousies, allegresses, décharges du cueur, ires, vengeances, faute de bonne volonté, & sentiment du cueur: & outre quelques signes exterieurs qu'ils pratiquent tant seulement pour la chose aimée, en s'ornant, ballant, chantant, sonnant, estudiant, courant, sautant, joustant, & prenant les armes pour icelle, avec demonstrance manifeste d'aucuns extremes desirs, à sçavoir d'aller invisibles & transformez, pour la posseder, endurant, outre tout cela, pour elle, risée, vitupere, les coups & sur tout la cruelle mort, toutes lesquelles choses donnent indice & argument assez exprés & certain, d'une grande legereté. S'il faut regarder aux vaines paroles K ij [74v] THEA. DES DIVERS & affectées, elles ne defaillent point ny en public ny en secret, par messager & par eux mesme: dolentes & joyeuses, craintives & languissantes, presomptueuses & hardies, lascives & ocieuses, sans goust & pleines d'artifice. Dequoy font foy les paroles d'Amnon à sa soeur Thamar : celles des deux vieillards à Susanne : celles d'Holophernes à Judith: celles de Dalile à Sanson. Si l'on prend garde aux signes, ils se peuvent voir en tout lieu par les personnes accortes, es Eglises, es places, es rues, aux fenestres, aux portes, aux jalousies, aux bals, aux festins, aux banquets, au moyen des yeux, des mains, des gans, des mouchoirs, sans aucun regard d'honneur, & sans honte aucune. C'est pourquoy les tresvains Poetes amoureux, ont ra- Exemple des propos amoureux 75 CERVEAUX. menteu les signes en leurs amours. S'il est question des regards, il n'est pas besoin de dire, comme ils sont prests, accorts, larrons, trompeurs, couverts, malicieux, & lascifs. Pour ceste cause le Poete Sophocles introduisant Hippodamie di- sputant de la beauté de Pelops, l'induit à dire, qu'il avoit au regard, un éclair tresaccort & ardant es yeux, par lequel, elle se sentoit enflammer son oeil, comme aucunefois le fer s'enflamme, quand il est mis par le forgeron, au milieu de la fournaise. Ainsi le Poete Toscan parle des amoureux regards de sa Dame, E'l bel guardo sereno, Ove i raggi d'amor si caldi sono. Le trescelebre Pindare descrivant les beautez & la cruauté de Theossene, luy attribue les luisans rais Sophocles Poete. K iij [75v] THEA. DES DIVERS des yeux mestez à une ame de fer & de diamant, laquelle il appella ame noire, & composée par un forgeron. On lit aussi en Athenée, que Sapho en Athenée, dist à un qui sembloit admirer les belles contenances & manieres de la personne d'un autre: arreste toy, ami, n'advise autre chose, que les gracieux regards de ses yeux, comme estant le principal siege de l'amour lascif, mis au seul regard des yeux de la chose aymée, comme Ovide certifie aussi, disant: Si nescis, oculi sunt in amore duces. C'est à dire, si tu ne le sçais, les yeux sont conducteurs en l'amour. Et aussi, Et formosus eras, & me mea fata irahebant, Abstulerant oculi lumina nostra tui. Jules Camille, & Pierre Gra- Sapho en Athenée. Petrarque Pindare Ovide. 76 CERVEAUX. dinique l'ont mis aussi en leurs vers. S'il faut adviser aux ris, l'on ne sçauroit dire, comme ils sont dolents, joyeux, vains, artificiels, feints, simulez & sots. Le divin Arioste a attribué telles manieres de ris à la trompeuse & cauteleuse Alcine, en certains vers de ceste substance & signification: Elle avoit en toute sienne partie, un lacet tendu, soit qu'elle parle, ou rie, ou chante, ou chemine. Et ailleurs: De là se forme ce doux ris qui ouvre en terre le paradis, à sa discretion. Si l'on regarde les changemens du visage, on les trouvera fort frequents & divers: car ils deviennent ores joyeux, ores melancoliques, ores timides, ores hardis, ores pasles ores honteux. Pour ceste cause, le Philo sophe Epicarme comparoit les K iiij Alcine en l'Arioste. [76v] THEA. DES DIVERS pensées lascives, qui causent ces externes dispositions, aux flux & reflux de la mer, laquelle n'est jamais en repos, ny tranquille, mais en continuel mouvement, comme l'on voit, les comedies de Terence & de Plaute, & celles des modernes, donnent en mille vains amans, à toute heure exemples tresmanifestes, de ces frequentes mutations. Si l'on prend garde aux lettres & aux escrits, ils ne montrent avec plus de moyen, avec plus d'artifice, ny avec moindre respect, moins de crainte, ny avec plus grande asseurance, les passions enracinées dedans le cueur, escrivant les pensées, les desirs, les conceptions, les esperances, les signes, les infortunez evenemens, les choses prosperes, & l'estat auquel ils se trou- Le Philosophe Epicarme. 77 CERVEAUX. vent, remplissant les lettres de lar- mes, de souspirs, de peines, de douleurs, de martyres, de despits, indignations, de plaintes, de jalousies, avec une extreme folie, de leurs esprits: comme l'on voit les lettres de Penelope à Ulisses : d'Helene à Paris, de Phillis à Demophon, d'Ariadne à Thesée, d'Hero à Leandre, & celles des modernes, qui ne signifient autre chose qu'embrasemens de cueur, departemens des ames, dards mortels, flammes du mont Aetna, feux du Montgibel, lacets d'amour, rets, ceps, prisons, avec mille autres folies, que la plume mesme a honte de coucher par escrit. Si l'on note les messages & les ambassades, l'on voit, avec quel art, maniere secrette, avec quelle crainte, avec quelle attente, avec [77v] THEA. DES DIVERS quel desir & fin, on les envoye & attend: lesquelles choses demonstrent apertement l'aigre passion, & la peine infinie, que les miserables souffrent. Avec ceste peine là, le miserable Petrarque a dict, E mi par d'hora in hora vidir il messo Che mi mande Madonna a se chiamando. Il m'est advis que j'entens d'heure en heure, le message, que madame m'envoye m'appellant à elle. Et mesmes est escrit de la miserable Bradamant, en l'Arioste: Se disarmato, o viandante a piede, Che sia messo di luy, speranza piglia. S'il faut regarder aux promesses, ô qu'elles sont grandes, qu'elles sont amples, qu'elles sont frequentes, combien allechantes, combien malicieuses, & combien trompeuses. Ulisses, en Properce, Petrarque. Arioste. 78 CERVEAUX. faillit de sa promesse, à la gentille & gaillarde Nymphe Calipso. Heleine, en Virgile, faillit à Deiphobe Troyen, Jason, en Ovide, à l'amoureuse Medee: &, pour ceste cause, le Poëte Ferrarois a bien dict, L'amante, per haver quel che desia Senza guarda, che Dio tutto ode e vede, Aviluppa promesse e giur amenti, Che tutti spargoii poi per l'aria i venti. C'est à dire: L'amant pour avoir ce qu'il desire, sans regarder que Dieu oit & void toute chose, fait des promesses & serments, que les vents, en apres, espandent tous parmy l'air. Si l'on note les presens de ces amoureux, l'on note pareillement la sottise & la misere de leur esprit, pource que non seulement ils donnent des roses, fleurs, Arioste. [78v] THEA. DES DIVERS violettes, bouquets, avec diverses significations des herbes, du fil & soye, dont ils sont entourez, phioles d'eaux odoriferantes, petits vases de parfums, pommes de muse, mais aussi bagues, aneaux, brasselets, pendants, chaines, & besongnes tissues d'or & d'argent de tresgrande valeur, dissipans le bien, & se destruisans, par semblable, eux mesmes. Heraclides Ponticus escrit, que Pericles Olimpien consomma quasi tout le sien, à donner & faire des presens, à Aspasia sa favorite. Le Poëte Claudian, au livre, de Raptu, introduit Mars & Apollon, amoureux de Proserpine, avant que Pluton l'eust ravie, s'efforçans avec dons & presens, de la gaigner en ces vers: Personat aula procis, pariter pro virgine certant, Heraclide Ponticus. Le Poete Claudian. 79 CERVEAUX. Mars donat Rhodopen, Phoebbus largitur Amyclas. Jean Bocace en une sienne Nouvelle mesle aussi les presens d'un vain amant, expressement faicts, disant: Et pour pouvoir gaigner l'amitié & privauté de madame Belle-couleur, il luy faisoit bien souvent des presens. Si l'on considere les armes, ou en casaques, ou en escus, ou autrement, la multitude, la varieté, l'invention, & les significations descouvrent le grand aveuglement & folie qui regne en eux. L'un porte un coeur, l'autre une pomme: qui un Cupidon, qui un dard, qui un lacet, qui un cerf frappé, qui un abricotier, qui une enclume, qui une montagne, qui une flamme, & qui une chose, qui une autre, comme on lit en l'Arioste, que la dolente Bra- Boccace. [79v] THEA. DES DIVERS damant a porté, comme desesperée de son Roger, les troncs de l'arbre que l'on nomme Ciprés, lequel une fois couppé, ne repousse jamais plus, voulant inferer le desespoir & la volonté qu'elle avoit à ceste heure là de mourir. On lit d'Alcibiades jeune Athenien, qu'il portoit, en son escu, le Dieu Cupidon, avec le foudre en main, signifiant les extremes embrasemens de l'amour, qu'il soufroit. Si l'on regarde les tresbelles livrées, de diverses couleurs, on ne sçauroit voir une plus grande folie. La couleur passe (comme escrit elegamment le sçavant Alciat en ses Emblemes) descouvre la pasleur des amans: la couleur brune, la douleur & la tristesse: & pour ceste cause, Petrarque a dict, E cosi avien che l'animo ciascuna Invention de Bradamant desespérée Exemple d'Alcibiades. Petrarque. 80 CERVEAUX. Sua passion sott e'l contrario manto Ricuopre con la vista hor chiara, hor bruna. Le verd denote vivacité, comme le mesme Poete a dit, Per far sempre mai verdo i miei desiri. La couleur de pourpre signifie la privation de la vie: & pour ceste cause Homere a appellé la mort, pourprée, à cause du sang amassé & espaissy: ce que Virgile imitant escrit, Et envoya dehors l'ame pourprée. Si l'homme prend garde aux devises, il verra les plus grandes sottises, & les plus grandes vanitez qui soient au monde, comme encelle, du Chameleon, qu'à feinct un amant avec l'escrit prins d'un vers de Petrarque, qui disoit, I' per che non della vostr' alma vistat Homere. Virgile. [80v] THEA. DES DIVERS desirant se paistre de la veue de la personne aymée comme le Chameleon se paist de l'air: Et ceste autre de celuy, lequel aymant une dame Violante, print pour devise, un bouquet de fleurs & violettes, avec ces paroles: Sola mihi redolet , Elle est seule me sentant bon: entendant par ceste touffe & bouquet sa maistresse, laquelle il aymoit tant. Je ne diray combien de larmes jettent les pauvres & infortunez amans: car les larmes de Didon, pour l'amour d'Aenée: celles de Briseis, pour Achilles : celles Andromede, pour Perseus: celles de Tisbe, pour Pirame: celles de Meleagre, pour Athalante : celles d'Hemon, pour Antigone : celles d'Herode, pour Mariamne, en donnent tresample tesmoignage à tout le monde. Je ne parleray des Les larmes de plusieurs & divers. lamen- 8I CERVEAUX. Les Lamentations de divers. lamentations & des plaintes avec cuisans souspirs, qui enflamment l'air, pource que Nason en fait foy manifeste, pour Corinne: Catulle, pour Lesbie : Properce, pour Cinthie: Tibulle pour Delia: Licinius, pour Quintilia: Terence Varron, pour Leucadie : Hortence, pour Martie : Dante, pour l'amour de Beatrix: & Petrarque, pour l'amour de Laure. Je ne parleray aussi des tristesses & des afflictions: car (comme dit Anaximandre) les plaisirs de Venus n'apportent autre chose à l'homme, que repentance: & la painture de Cupidon avec l'arc en main & les fleches, ne signifie autre chose que les tourmens & les peines, qu'il donne à ceux là qui le suivent: ce que Petrarque a tresbien declaré en ce Sonnet: Anaximandre. Petrarque L [81v] THEA. DES DIVERS Per far una leggiadra sua vendetta, E punir in un di ben mille offese, Celatamente Amor, l'arco riprese, Com' huom ch' a nuocer luogo e tempo aspetta C'est à dire: Pour faire une sienne gentille vengeance, & punir en un jour bien mille fautes ensemble, amour a reprins secretement son arc, comme un homme lequel pour nuire attend & espie le lieu & le temps. Je tairay les desirs, pource qu'ils ne sont jamais contens, & jamais ne reçoivent fin, comme Guglia a bien manifesté en un sien Sonnet, commenceant. Guglia. Quando fia mia &c. Je ne feray mention, des jalousies: car on sçait bien, ce que fit le jaloux Vulcan, pour Venus, laquelle il accueillit & surprit avec Mars, au reth: ce que fit Circe 82 CERVEAUX. fille du Soleil à la Nymphe Scille, que Glauque, Dieu marin aimoit, empoisonnant par jalousie la fontaine, où elle avoit accoustumé se laver, ce que fit Dirce à la jeune Antiope, la liant, par les cheveux, au col d'un taureau, pour descharger & assouvir le despit qu'elle avoit contre elle, pour luy avoir derobé son mary. Je tairay les vaines & fallacieuses joyes & allegresses, qu'ils ont des rencontres, des salutations, des signes, des regards, des ris, des rapports, des advis, advertissemens, & de mille autres occasions qui advienent, comme Ange de Constanzo l'a tresbien declaré en un sonnet commanceant: Novo pensier, &c. Je ne diray mot des courroux: car l'on sçait bien, comme ces pauvres Exemple des jaloux Ange de Constanzo L ij [82v] THEA. DES DIVERS amans se deschargent en paroles & escrits, appellans la personne aymée, desloyale, cruelle, ingrate, inhumaine, barbare, Ourse nouvelle, mechante Tigre, & devorante Lionne, avec mille autres epithetes, de marbre, de diamant, d'enclume d'aspics: seulement pour descharger l'aigre & ennuyeuse passion, qu'ils souffrent au dedans: dequoy peuvent donner manifeste tesmoignage, les Ariadnes, Olimpies, Bradamant, subjects particuliers, à l'endroit desdicts Poëtes, de telles descharges, de courroux. Je tairay les ires, qu'ils monstrent en paroles, en gestes, és yeux, au visage, au front, en plusieurs occasions particulieres: car Petrarque a assez bien declaré cecy, en ce Sonnet, Geri, quando tal hor meco s'adira La mia dolce nemica ch'e si altera. 83 CERVEAUX. Je ne diray mot des vengeances: car l'on sçait assez, comme on les desire, & comme on les met à effect, ce qu'a tresbien expliqué l'Anguillara, en ceste Stance qui commence: Anguillara. Torna con le none armi alla vendeta, E trouva il biondo Dio, non meno altiero Tosto l'aurate straltira, e saetta Il cor al forte, & oltraggioso, arciero. Petrarque Je tairay semblablement les defauts & evanouissemens de cueur, puis que le Poete Martial les a tresbien desmontrez en ces vers: Martial. Quicunque ille suit puerum qui finxit Amorem, Nonne putas miras hunc habvisse manus, Is primum vidit sine sensu vivere amantes, Et levibus curis, multa perire bona. C'est à dire, Quiconque a esté ceL iij [83v] THEA. DES DIVERS Ornemens & habits luy, lequel a faint Amour enfant: pensez vous pas qu'il ait eu de merveilleuses mains? Il a veu premierement que les amans vivent sans le sens, & que beaucoup de biens perissent, par legers souciz. En apres, les ornemens de la personne, les diverses façons d'habits, les vestemens polis, passent en eux les limites, & s'apliquent tant soigneusement à leurs cheveux, à leur visage, à leur front, & à leurs mains pour les faire belles, que le monde en demeure non seulement esmerveillé, mais aussi estonné. O folle jeunesse! ô temps & années trop mal employées! C'est pourquoy le Poete Ovide, advertit les femmes de se garder de ces jeunes hommes qui se parent & ornent avec si grande affectation, & dit. Sint procul à vobis juvenes, ut foemina compti. Ovide. 84 CERVEAUX. Et en un autre lieu, il advise au contraire, les jeunes-hommes, de se garder des femmes qui sont tant industrieusement polies & agencees, disant. Ad mea decepti juvenes praecepta venite, Quos ferus ex omni parte fefellit amor. Les diverses chansons, partie joyeuses, partie dolentes, donnent indices manifestes, de leurs folles pensees: comme les poursuivans & amoureux de Penelope ont demonstré, s'at tendans d'attirer à leur volonté par le chant, les sourdes aureilles de la pudique dame, & le sot Polipheme, lequel eut esperance, par le chant d'adoucir le coeur de sa gaye & belle Galatee. Les bals & danses sont pures lascivetez, comme celles des Faunes, des Satyres, des Bergers & des Chanson des vains amans. L iiij [84v] THEA. DES DIVERS Nymphes, descrites par les Poetes: comme celles de Diane, pres le fleuve Eurote, mentionnées en l'Aeneide de Virgile. Les sons mesmes, ne sont autre chose, que expresse vanité: comme ceux là d'Orphée pour l'amour d'Euridice, duquel parlant le Poete Mantuan, en son sixiesme, a dict: Si potuit manes accersere conjugis Orpheus, Threicia fretus cithara, fidibùsque canoris. Et ceux de la belle Lamie, qui attirerent les aureilles du Roy Demetrius, comme Plutarque escrit. Les estudes sont vrayes dissolutions de Poesie, de Stances, Sonnets, Madrigals, Chansons: de lettres amoureuses, livres lascifs, compositions inutiles du tout, comme ont monstré & monstrent tousjours Sons des vains amans. 85 CERVEAUX. tant de modernes, n'ayans autre plaisir & soulas en leurs peines, que de comprendre, en un sonnet, la cruauté de Victoire: l'arrogance de Domitie, & l'ingratitude d'Olimpie, & faire que Echo retentisse & redie les dolentes voix, es profondes cavernes, & és obscures grottes, & és antres chargez de tenebres & d'horreur. Ils courent avec tresgrande vanité, comme Atalante eut contention avec Hippomenes, à la course: Ils saultent, en maniere d'une autre Herodias vaine & dissolue. Ils joustent comme AEnée, pour Lavinie contre Turnus, en Virgile, & Nessus Centaure, & Hercule pour Deianire en Seneque. Ils prennent les armes, pour la chose aymée comme Orestes, contre Pirrhe, pour Hermione: Piri[85v] THEA. DES DIVERS thous,contre les Centaures, pour Hippodamie, laquelle Properce a appellé en langue Grecque, Ischomache, qui signifie chose acquise en combatant. Menelaus, contre les Troyens, pour Heleine la belle. Ils ont en pensee d'aller invisibles, taschans de trouver l'Elitrope d'Albert, les secrets de Pierre d'Aban , & les conjurations des diables, comme faisoit l'amant de Faustine. Ils se transforment souventesfois le mieux qu'ils peuvent, pour obtenir, souz diverse forme, la chose aymée, comme Jupiter se changea en Taureau pour Europe: Apollon, en pluye d'or, pour Danae: Hercules en femme filandiere, pour l'amour de la Roine des Lidiens. De là, ils reçoivent moquerie, comme Echo, de Narcisse, Mars d'Ilice: vitupere: comme Tar86 CERVEAUX. quin pour l'amour de Lucresse: playes & coups, comme les fils d'Egiste, par les filles de Danaus: & finalement la mort, comme Alcibiades, pour l'amour de Timandre: Pirame, pour Tisbe, Antoine, pour l'amour de Cleopatra: Phillis, pour Demophon, Deianire, pour Hercule, Sapho pour Phaon: & ainsi ces legers de cerveau passionnez & descouragez ont en fin une convenable & tres-juste recompense de leurs vanitez. DES CERVEAUX moindres, ocieux & paresseux. DISCOURS XVI. PUis que nous avons assez parlé de toutes les especes des cerveaux legers, il faut consequemment passer, aux especes des moindres cerveaux, & trouver en premier [86v] THEA. DES DIVERS lieu, les ocieux & paresseux, ausquels nous avons assigné le principal lieu, en la division generale mise cy dessus. Parquoy entre les plus petis cerveaux, se presentent de prime face, les ocieux & paresseux, lesquels ne se veulent resoudre à choses d'aucune consideration. O que ceux cy sont dignes de blasme & de vitupere! On ne sçauroit voir plus grand mal'heur & infelicité qu'un esprit ocieux. Pithagoras disoit qu il falloit retrancher beaucoup de choses du monde: la luxure du ventre, la sedition de la ville, la discorde des maisons, & l'endormissement des esprits, & tiedeur qui regne en iceux. Le tres docte Dante, au purgatoire excite ces esprits ocieux, & les reveille de la paresse, disant: Ratto, ratto, che'l tempo non si perda. Pithagoras. Dante. 87 CERVEAUX. Pour ceste cause, Empedocles appelle l'oisiveté, une perte de temps, qui ne se peut recouvrer. Et à ceste intention, nostre Seigneur, en S. Mathieu, maudit le figuier ocieux & sans fruict: à raison de quoy il devint incontinent sec & aride. Le sage, és Proverbes, envoye le paresseux & ocieux à la fourmis, disant: Vade, piger, ad formicam , à fin qu'il prenne exemple d'icelle, de fuir l'oisiveté & la paresse de ceste vie. Aristote au dixiesme livre des animaux, re- Empedocles. S Mathieu. Salomon, es Proverbes. Aristote. prenant la paresse de ceux-cy a dit, Nullum ens naturale natum est ocio sum : comme s'il vouloit dire, qu'ils aprennent de la nature, laquelle n'est aucunement ocieuse, en ses operations: pource que, Nihil otio sum est in natura : dict il plus. clairement, au second de la Me[87v] THEA. DES DIVERS Salomon és proverbes. taphisique. Salomon, és Proverbes appelle tresfol, celuy qui se donne en proye & s'abandonne à l'oisiveté, disant. Qui operatur terram suam, satiabitur panibus: qui autem sectatur otium, stultissimus est . Seneque en ses epistres, a appellé l'homme ocieux, un homme mort, disant. Otium, sine literis, mors est, & vivi hominis sepultura . Ce vicieux loisir, qui retire l'homme des veilles, des estudes, des travaux, & de toutes les louables operations, & qui procede proprement de la pusilanimité de coeur, est cause de beaucoup de maux ensemble, comme de lasciveté, de gourmandise, de mensonge, de vanité, & d'autres pechez infiniz, en la maniere que l'eau arrestée & ocieuse, des marests & estangs n'est cause que de crapauts, serpens, & mille autres Seneque. 88 CERVEAUX. Petrarque corruptions. C'est pourquoy Petrar que, pour detester l'oisiveté, a dit: La gola e'l sommo, e l'otiose piume Hanno des mondo ogni virtu bandita. C'est à dire, la gourmandise, le sommeil & les ocieuses plumes, ont banny du monde toute vertu. C'est pourquoy mesmement, Caton souloit dire, que les hommes ne faisans Trismegirien, ste. aprennent à faire mal. Et Mercure Trismegiste a dit Dict de Mercure Dict de Caton. que l'homme ocieux devient une beste, pource que le sens domine seulement, en luy, comme il fait aux bestes. Ceste maudite oisiveté est cause aussi d'un tresgrand dommage, comme il nous appert, par l'exemple de Sanson, lequel est lié tandis qu'il dort entre les genoux de Dalide. Jonas dormant ocieusement en la navire, est quasi submergé & jetté en la mer, par les ma- Exemple des personnes endommagées, à cau se de l'oisiveté. [88v] THEA. DES DIVERS mariniers. Sisara dormant au lict de Jahel, fut en un instant occis & tué, avec un clou, que ceste femme vigilante, à son mal, luy ficha en la teste. Et pour ceste cause, je conclu que c'est une tresbonne chose, de fuir l'oisiveté, & s'esforcer de tirer ce clou, hors de la teste endormie de ceux cy, avec les tenailles des paroles, qui sont escrites, en S. Mathieu: Quid hio statis tota die otiosi? & d'autant plus qu'il se voit que ceste paresse & oisiveté enrouille les esprits, infecte les entendemens, tient les corps appesantis, & en toutes occasions n'ameine que perte & dommage à l'homme. DES CERVEAUX de ceste espece susdicte, morts, stupides, insensez & lourds. DISCOURS XVII. Entre 89 CERVEAUX. ENtre les plus petis cerveaux ceux là ont le second lieu au Theatre, que le Vulgaire appelle communement morts, & sont de ces hommes là, qui ne sçavent ny parler, n'y res- pondre, ny deliberer ou discourir en aucune chose, & semblent proprement comme insensez & morts, à l'opposite de ceux qui sont vifs, prompts & esveillez en leurs operations. Diogenes les apelloit a nimaux muets, pource que la langue & la raison par mesme moyen, sont muettes en eux, lesquelles choses ils ne peuvent pratiquer ny employer, au temps & besoin. On lit que tel fut le cerveau d’un certain Bagas, duquel recite un homme docte, que le Proverbe est venu, Ut Bagas constitisti : tant stupide & mort, qu'il sembloit une M [89v] THEA. DES DIVERS Diogenes. pierre insensée, en toutes ses actions. Qui ne dira que ceux cy sont cerveaux de trois au sol, puisqu'ils ne valent rien, ny pour eux mesmes, ny pour autry? Le vulgaire les appelle hommes venuz des Indes, pource qu'ils semblent proprement de ces Antipodes, qui sont tout neufs. J'ay souvenance d'avoir leu l'exemple d'un Chevalier de ceste sorte, auquel comme l'on eust proposé, en une assemblée, qu'il discourut un peu aussi (pour ce que se taisant, il estoit tenu pour un homme sage) touchant la maniere de vaincre le Turc, il demeura, comme un homme estourdy, long temps, à ouvrir la bouche, & en fin ne sçachant discourir, il dist, avec la risée de tous, qu'on luy pardonnast & que l'on l'excusat, pource qu'il n'avoit jamais esté en Turquie. La proprieté de telles Exemple de Bagas. Exemple d'un Chevalier incensé. 90 CERVEAUX. gens,est de demourer, és occurren- ces, pasles en face, & destituez de sang, tremblans des mains, muets de la langue, stupides d'entendement, de nulle memoire, & statues mortes & sans esprit, en toute sor te d'operation. A ceste cause, n'ayans en eux aucune louable partie, passons au discours des autres, au plustost. DES CERVEAUX goffes, sans goust, sans grace, ineptes & miserables. DISCOURS XVIII. REtrouvons une autre maniere de cerveaux, que nous avons accoustumé de nommer communement, Goffes, & sans grace: la bestise desquels se demonstre principallement au poids de l'intellect, & en la composition des parolles. Cest Abbé se monstra d'un M. ij [90v] THEA. DES DIVERS goffe entendement, au Courtisan, auquel comme le Duc d'Urbin eust proposé, qu'il estoit en grand soucy, de ce qu'il ne sçavoit où mettre la terre tirée des fondemens d'un sien palais, il respondit, qu'il fist faire une fosse aupres, en laquelle il mist les vuidanges: & comme le Duc eust ajousté, Où mettrons nous, apres, ce qui se doit tirer de ceste fosse là? il respondit, Vostre Excellence la face faire tant grande, qu'elle puisse tenir l'une & l'autre terre: n'advisant pas que tant plus l'on en eust tiré de terres, & plus eust l'on esté en peine, de trou ver lieu aux vuidanges. La sottise ne fut pas moindre, du Grammerien ou Pedant, du Chasteau S. Jean, pres Piacenze, auquel trop glori- Exemple d'un goffe & sot, au Courtisan de Castillon. eux de son sçavoir, comme l'on eust proposé une contradiction apparente, en deux passages: l'un de 9I CERVEAUX. Virgile. Virgile, qui dit: Tu ne cede malis, sed contra audentior Où il monstre que nous devons allaigrement nous opposer & aller au devant des maux: l'autre de Caton, qui dit, Rumores fuge : où il veut manifestement que nous les fuyons, apres avoir long temps pensé, il respondit: Arrestez vous un peu, je vous prie, & me laissez trou ver le verbe Principal. Et fut tresmal advisé, en la composition de ses paroles, l'Escolier Lombard, lequel ayant à remercier, en l'estude de Siene, l'Assistant à ses Conclusions, pour la peine d'iceluy, dist: Je laisseray, Monsieur & me deporteray d'user de ceremonies de paroles, en vostre endroit, pource que si j'usois de ceste simonie (voulant dire Ceremonie) ceux de mon pays diroyent, voyez Caton. Sottise d'un Escolier. M iij. [91v] THEA. DES DIVERS quel homme, lequel n'a demouré qu'un an à Siene, & veut faire du Toscan tout en un instant. O cerveaux veritablement de Babouins. Ceux cy seroyent bons, à envoyer, pour Ambassadeurs aux Indes nouvelles, pource qu’ils resemblent mieux aux hommes de ce pays là, qu'à ceux de cestuy cy. DES CERVEAUX TImides, irresoluz, embarassez & embrouillez. DISCOURS XIX. MAis où sont ces Esprits, que nous appellons timides, irresoluz, & embrouillez? qu'il y a aujourd'huy grande quantité au monde de ceux, lesquels ayans à parler, ou à discourir, ou à donner leur jugement, en une chose, semblent avoir à passer 92 CERVEAUX. à pied sec, la mer rouge, tant ils se trouvent espouvantez & envelop pez. On lit de Theagenes, qu'il eut une si grande superstition de crainte qu'il tenoit en sa maison, l'image de la Deesse Hecate, qui preside aux responces, & ne vouloit sortir avant qu'il se fust conseillé à icelle, ayant peur, de choper à toute heure. Ceux cy sont de ceste sorte pource qu'ils craignent en toute chose, & tremblent hors de propos, en mille occasions, faisans verifier d'eux, le dire du Prophete, Trepidaverunt timore, ubi non erat timor . Ceux cy sont touchez, du mal de paralisie, au cerveau qui est semblable au mouvement de la huictiesme sphere, ou ciel, appellé mouvement de frayeur ou tremblement, pource qu'ils tremblent, au Exemple de Theagenes. David. M iiij [92v] THEA. DES DIVERS proferer d'une seule syllabe, ou d'un accent, comme si c'estoit le pas de Furlo, de tant manifeste espouvantement à ceux qui vont devers Rome. Le Lion, autrement animal tresfier & hardy, est noté de coeur vil, pource que selon Pline, quand il voit la queuë & la creste, & quand il oit le chant du coq, il est esmeu & a peur: l'hom- me sera il pas digne d'estre blasmé d'une pusillanimité grande, veu qu'en chose trespetite, il demeure tout esperdu & mort? Entre les celebres preceptes de Pithagoras, on trouve cestuy cy assez plein de mystere, Ne devores le coeur: par lequel il a fort profondement entendu la hardiesse qui regne au coeur de l'homme, comme en son siege naturel: mal observé de ceux, lesquels veritablement se peuvent Exemple du lion en Pline. 93 CERVEAUX. appeller, hommes sans coeur, & sans la hardiesse deuë & convenable. Aristophanes & Lucian se moquent, à juste cause, d'un certain Plutus, que l'on dit avoir esté tellement, qu'une mousche, en volant luy faisoit peur. D'autre-part les Lacedemoniens, avec raison, chasserent de Precepte leurs militaire confins, des Role Poete mains. Archilocus, pource que timide & peureux, il a escrit, qu'il vaut mieux jetter l'escu & targe que mourir contre le precepte militai re des Romains, qui commandoyent à leur jeunesse, Aut cum hoc, aut in hoc : Signifians qu'ils eussent en memoire, ou de retourner avec l'escu de la bataille: ou en mourant estre portez dedans, en iceluy: Pour ceste cause on lit en Valere le Grand, que Epaminondas Thebain, blessé à mort, en une Aristophanes & Lucian se moquent de Plutus. Archilocus chassé par les La cedemoniens. Epaminondas en Valere le Grand. [93v] THEA. DES DIVERS bataille, demanda sur toute autre chose, si l'escu estoit sauve, & comme il eust entendu, que ouy, il passa joyeusement de ceste vie en l'au tre. Estant donc la pusillanimité, compagne de ceux cy, & la crainte Precepte de Pithagoras. leur soeur, ils ne peuvent, avec honneur, entrer en la compagnie & trouppe des esprits gentils & honorables, mais demeurent comme couards, viles, au rang des malheureux, à juste cause, moquez & aviliz de tous. Aristogiton de Phocion, Athenien, en Plutarque, a esté mis du nombre de ces pusillanimes,& le tres-vil Martan en l'A rioste, en plusieurs endroits. A ceste cause laissant le propos ville de telles gens, nous irons trouver autres esprits & cerveaux menuz, des especes qui s'ensuivent. 94 CERVEAUX. DES CERVEAUX DEbiles, bas, infirmes, rebouschez, & lourds. DISCOURS XX. Martan Aristogiton moqué tresvil en en Plul'Arioste. tarque. JE ne tairay, combien sont viles ces menuz cerveaux, lesquels l'on appelle debi les, rebouschez & lourds, & ignorans: ce qui procede de faute d'esprit & jugement, ne pouvans comprendre sinon trespeu, & choses treslegeres, & de bas entendement. Serapion fut un paintre de la race de ceux cy, pource qu'en tout le cours de sa vie, il representa les scenes & theatres des comedies, & ne peut jamais peindre un homme, ou une figure, en laquelle se peut noter l'artifice & l'esprit de son Maistre & ouvrier. L'esprit de Philonides Exemple de Serapion peintre. [94v] THEA. DES DIVERS fut tant debile & rude, qu'il donna lieu au proverbe, indoctior Philonide : quand l'on parle & est que- Aristote. stion de menus cerveaux rebouschez, & peu capables des lettres ou des sciences d'aucune sorte. Pour ceste cause, Aristote desirant trois choses, à l'homme docile, a mis en premier lieu, l'esprit, secodement l'exercice, tiercement, la discipline & sçavoir. Quitilian a estably cecy mesme, comme principalement necessaire, disant: Te standum est nihil praecepta atque artes valere, nisi adjuvante natura . Quelle chose peut faire un de ces cerveaux rebouschez, par nature? qua si rien. Et pour ceste cause, comme la science a esté constituée, par le tressage Socrates, pour un souverain bien aux sçavans: ainsi ceste inhabilité naturelle qu'ont les Esprit de Philonides. 95 CERVEAUX. Quintilian. ignorans à comprendre les sciences, les disciplines & les arts, est tenue pour un mal extreme à iceux. DES CERVEAUX sans memoire, negligens, & dicts cerveaux de chat. DISCOURS XXI. CEux là possedent un tresdebile siege, au Theatre, que nous avons coustume d'appeller quasi par proverbe, cerveaux de chat, ou memoire de chat: lesquels sont ainsi communement appellez, à cause de la negligence du jugement, & pour le peu de memoire qu'ils ont en toutes les occurrences. Ciceron fait mention de la grande negligence Exemple de Currion en Ciceron. [95v] THEA. DES DIVERS de Curion, lequel oublia du tout en jugement toute la cause appellée & encommancée. Seneque escrit, que Calvisius Sabin avoit la memoire tant labile, qu'ores il ou blioit le nom d'Ulisse, ores d'Achille, ores de Priam, combien qu'il eust tresbone cognoissance d'eux. Philostrate escrit qu'Atticus fils du Sophiste Herode, fut tant destitué de jugement & de memoire qu'il ne peut jamais aprendre l'alphabet, ny retenir en son esprit, un caractere, ou lettre d'iceluy. Textor narre pour un grand & memorable exemple que les peuples de Thrace sont de tant pauvre memoire, tant estrangement subjets à l'oubly, & d'un esprit tant rebousché, qu'ils ne peuvent, en comptant, passer le nombre quaternaire, & arriver au cinq, sans Exemple de Calvisius Sabin en Seneque. Atticus en Philostrate. 96 CERVEAUX. perdre la memoire, ou faillir en quelque sorte ou maniere. Un esprit facetieux de ces menuz cerveaux, a dict & proferé un gentil broquard, disant, que telles gens, ont beu des leur enfance, & des le berceau, à la fontaine de Boetie: pource qu'Isidore escrit, qu'en ceste province là, l'on trouve une fontaine, laquelle faict oublier toute chose, & perdre la memoi re & souvenance de tout ce que la personne s'estoit auparavant imprimé en l'esprit. Or c'est assez parlé de ces cerveaux depourveuz de memoire: tournons nostre discours ailleurs. Brocart d'un face tieux cerveau. Exemple des Thraces en Textor Isidore. [96v] THEA. DES DIVERS DES CERVEAUX, sots & simples. DISCOURS XXII. APres ceux cy viennent les cerveaux que nous avons accoustumé d'appeller sots & simples, selon la maniere de parler de tout le vulgaire, lesquels se descouvrent pour tels, en plusieurs sortes & manieres. Les Psilles, peuples, sont à juste cause moquez par Herodote, au quatriesme livre de ses Histoires, pource qu'ils prindrent les armes (dit il) contre le vent Auster ou Meridional, estant trop coustumier de molester, tous les ans, par son haleine, leur region, subjecte à iceluy. Voyez, je vous prie, quelle espece de sottise? Une certaine vieille, appellée Psilles peu ples sots en Herodote. Acco 97 CERVEAUX. Acco simple. Acco par les Grecs, avoit accoustumé de deviser, à son image en un miroir (tant elle estoit simple) comme si elle eust esté en familier devis, avec une autre femme. Lucian parle d'une autre sottise, d'un appellé Corebe Phrigien, lequel alloit souvent à la marine nombrer les ondes escumeuses, au plus grand mouvement & orage de la mer. Amphistides fut un homme tant simple & sot, qu'il ne sçavoit s'il estoit nay de pere, & se consommoit à l'ouir dire, & affirmer les autres. Melitides a esté celebré par le docte Homere, pour un homme assez sot & simple, pource qu'il alla donner secours à Priam, apres que la ville de Troye fut prinse & ruinée, & de là est venu le proverbe, Melitidis auxilium. Lequel n'est pas beaucoup diffe- Corebe phrigien, simple, en Lucian. Amphisti des simples Melitides sot en Homere. N [97v] THEA. DES DIVERS rent de celuy, duquel nous usons communement, quand nous disons: le secours de Pise: parlans d'un secours vain & sot, ou mal à propos. Il est donc demonstré, par les susdicts, que la sottise de tels cerveaux est colloquée, & assise en la fantasie remplie de bestise qui est en eux, ayans l'esprit grossier & goffe, duquel s'est moqué Bocacé à propos, en une sienne nouvelle, disant ces paroles. Le grand amour que je porte à vostre qualifiée & grossiere humeur. Bocace. DES CERVEAUX diminuez, & peu experimentez. DISCOURS XXIII. 98 CERVEAUX. IL y a une autre espece de es plus petis cerveaux, qui s'appelle les diminuez, & peu experimentez, lesquels se manifestent assez par leur maniere de parler & proceder. Jean Bocace en une sienne nouvelle, met l'exemple d'une femme de ceste sorte là, & pour telle cogneuë du frere Albert, disant, Frere Albert cogneut incontinent, que ceste cy avoit faute d'esprit, & estoit simple, peu experimentée & advisée. On lit d'un certain Xenophantes, qu'il fut d'un cerveau tant fol & defaillant, que combien qu'ils s'efforceast aucunesfois, de se tenir de rire, ce neantmoins de là à peu de temps, il faisoit qu'il se print à rire. Ceux cy sont de ceux, que le Sa- Bocace. Exemple de Zenophantes. ge remarque, en l'Ecclesiastique, disant, Fatuus in risu exaltat vocem sua. N ij [98v] THEA. DES DIVERS Et au livre des Proverbes, il appelle ces defaillans d'esprit, du vocable commun de fols, quand il dit, Os fatuorum ebullit stultitiam. Le pauvre cerveau de Parmeniscus, n'a esté en rien dissemblable de ceux cy, duquel Athenée raconte, qu'ayant perdu le ris, & venant en l'Isle de Dele, où estoit le simulachre de la Deesse Latone mere d'Apollon, à laquelle l'Isle estoit dediée, comme il eut veu une statue de bois de la Deesse, laquelle il pensoit, qu'à tout le moins, elle fut de bronze, il ouvrit incontinent la bouche, pour rire avec une soudaine merveille de tous les assistans. Or ceux cy ayans faute du sens usité, seroyent plustost dignes d'avoir un lict, en l'Hospital des fols, que de posseder & tenir lieu, en un theatre. Parquoy les Exemple de Parmeniscus, en Athenée. 99 CERVEAUX. ayans par pitié & compassion seulement, acceptez au dedans, donnons par la mesme raison, lieu, à ceux qui s'appellent cerveaux vuides. DES CERVEAUX vuides. DISCOURS XXIIIIX. LEs cerveaux vuides sont de beaucoup plus grande imperfection, que les de- faillans & fols, pource qu'ils demonstrent plus souvent, & quasi en toutes occurrences, le trespeu d'esprit & sens qui loge en eux. Le Poëte Philemon, escrit du cerveau vuide, lequel, en Samos, print une si grande amour à une statue d'une fille, formée par Cresicles, N iij [99v] THEA. DES DIVERS que jour & nuict, hiver & esté, & par la pluie & par les vents il se pais soit & ravissoit de la seule veuë de l'image, qui luy estoit tant chere & agreable. Pour ceste cause, Valere le Grand, vient à noter le mesme auteur d'esprit ou cerveau aussi vuide: car quand il raconte la fin de sa vie, il dit, qu'il mourut, pour voir un jour, qu'en un banquet, un Asne mangea toutes les figues, qui avoyent esté les premieres, aprestées, pour mettre sur la table, selon la coustume. Que dirons nous du cerveau vuide, de Pasi phae, laquelle s'embrasa si fort de l'amour d'un taureau, comme Virgile narre? Que dirons nous d'Alchidas Rhodien, qui entra volontairement en pollution, avec une statue de marbre? Que Valere le Grand. Alchidas Rhodien. Philemon Poete. Exemple de Pasiphaé, & autres de cerveau vuide. I00 CERVEAUX. Ciparisse. dirons nous de Ciparisse, lequel mourut, pour l'amour d'une Bische? De Passienus Crispus, qui pleura un More & l'embrassa plu sieursfois, comme s'il eust esté une tres belle femme de laquelle il se fust enamouré & esprins de son amour? Que diray-je du fol amour de Narcisse, lequel contemplant à la fontaine, sa belle & favorisée image, en fut extremement & d'u – Passienus Crispus Narcisse. ne maniere insupportable amoureux, & pour l'amour d'icelle, outré de douleur, mourut miserablement? ce qui a donné occasion au gentil esprit d'Anguillara de former les beaux vers, qui commancent ainsi, La vaga, é bella imagine chi' ei vede, Che'l corpo suo, &c. N iiij [100v] THEA. DES DIVERS Or laissons le propos de ceux cy, & parlons un peu d'un autre genre de cerveaux, dicts, Cerveletti, petits cerveaux, trouvans entre les premiers, les Charlatans, causeurs. DES PETIS CERVEaux: Charlatans, causeurs, & mordans. DISCOURS XXV. LEs Charlatans, jaseurs & mordans sont ceux, lesquels ont accoustumé de parler trop inconsiderement aucunefois, &plus souvent que l'on ne doit, mal à propos & hors le temps, exerceans leur langue, par occasions indeuës, & necessitez non convenables. Ceux I0I CERVEAUX. cy sont appellez fols par le Sage, lequel dit en l'Ecclesiaste, In multis sermonibus invenitur multitia. En beaucoup de propos & language se trouve la folie. On ne sçauroit dire comme la langue de telles Salomon gens est blasmée par tous les auteurs du monde. Aristote, au second des animaux a dict, que l'homme, au regard & comparaison de tous les autres membres du corps, a la langue petite, pource que la nature l'a retirée, afin, que comme petite, elle se descouvre rarement. Le Philosophe Bias disoit qu'elle avoit esté close & enfermée de doubles portes, asçavoir des levres & des dents, afin qu'elle demourrast là, comme en une seure forteresse, sans se monstrer dehors. J'ay souvenance d'avoir leu que [101v] THEA. DES DIVERS Solon avoit accoustumé de dire, Veu que tu es causeur & babillard, quelle chose es tu, sinon une ville sans muraille, une maison sans porte, une navire sans gouvernail & timon, un vaisseau sans couvercle, un cheval, sans bride? Socrates (comme recite Laertius) disoit qu'il falloit bien aprendre deux choses, au monde, à bien parler, & à se bien taire. Pour ceste cause, la langue estoit à l'endroit des Aegyptiens, Hieroglyphique de Mercure : car estant Mercure sur les sciences, ils vouloyent signifier que la langue se doit sagement employer, & non pas temerairement, comme les jaseurs s'en servent. Par ceste mesme signification, Orphée, es Hymnes, a appellé le mesme Mercure , prononceur de la parole. Le Philosophe Xeno Solon. Socrates, en Laerce. Aristote. Bias. Aegyptiens. Orphée. Xenocrates. I02 CERVEAUX. crates, entre autres enseignemens, a donné cestuy cy, Que l’homme ouist beaucoup & parlast peu: disant qu'à ceste occasion, la nature nous avoit donné deux aureilles & une seule langue. Les Esseens, qui estoit une secte principalle entre les Hebrieux, à ceste fin, commandoyent le silence à tous ceux, qui entroyent de nouveau, en leur escole. Les Pithagoriques, comme recite Sainct Hierosme, imposoient pour cinq ans le silence, à leurs disciples commenceans à recevoir doctrine & instruction. Les Aegyptiens (comme narre Platon, au livre de ses loix) depeignoient à l'escole, une langue fendue par le milieu, avec un couteau, voulans signifier, que la parole vaine & inutile fust retranchée Les Esseens. [102v] THEA. DES DIVERS de la bouche des hommes. On ne sçauroit conter les vices qui accompagnent ceste langue, ny les maux qui proviennent & dependent d'i celle. Le murmurer, le detracter de la renommée d'autry, le vanter, le moquer d'autruy, le mesdire & blasmer, la flaterie, le parjure, le mensonge, les iniques accusations, les contentions, les debats, les discords, les menaces, & les outrages, sont tous les amis & familiers de ceste langue. Pour ceste cause Esope, par son jugement, & par commission & charge de son Maistre, achetant la pire chair de la boucherie, emporta la langue. Le Poëte Ovide, en ses Metamorphoses, l'a appellée venin de l'homme, disant: Pictora felle virent, lingua est suffusa venino. Les Pithagori ques. Aegyptiens. Esope. Ovide. I03 CERVEAUX. Le Philosophe Secundus, l'a appellée un fleau, & chastiment des hommes du monde. Et pour ceste cause, Virgile a attribué à Sinon Grec, de langue mauvaise & enve minée, la ruine de Troye, là où il Le Philosophe Secundus. dit: Jam seges est, ubi Troja fuit, resecandáque falce. Qu'est il besoin de parler des maux & dommages causez par la langue? Theocrite fut il pas occis par le Roy Antigone, pour l'extreme licence de son mesdire? Les Lacedaemoniens banirent ils pas Archilocus, à cause de ceste mesme licence effrenée de mal parler? Calisthenes fut il pas jugé par Alexandre à la mort, pour sa langue trop licentieusement mordante? Tantale, pour avoir trop parlé, est il pas fainct, par Ovide, con[103v] THEA. DES DIVERS damné des Dieux, à une perpetuelle soif, quand il dit: Quaerit aquas in aquis, & peme sa gacia captat Tantalus, hoc illi garrula lingua dedit. Tantale cherche les eaux, és eaux, & prend les fruicts qui fuyent, voila ce que la langue babillarde luy a occasionné. Et par icelle mesme, les Poëtes feignent ils pas, que le corbeau a esté changé de blanc en noir? Que les femmes ont esté changées en Pies? & que Bathus babillard, lequel revela le larcin de Mercure à Apollon, fut pour ceste cause, changé en pierre? En fin, le tresdocte Dante, en son Enfer met entre les autres, la trouppe des jaseurs, & babillards estafilez & taillez de divers Exemples des causeurs & babillards. Exemple de Theocrite. Exemple d'Archilocus. Calisthenes. Tantale en Ovide. Dante. I04 CERVEAUX. coups d'espée, par le Diable, & fendu, disant. Un Diavolo è quà dietro, che n'accisina Si crudelamente al taglio della spada, Rimettendo ciascun di questa risma. Il faut don faire une tresbonne conclusion, avec le dire du Prophete: Quis est qui vult vitam, & diligit, dies videre bonos? prohibe linguam tuam à malo, & labia tua ne loquantur dolum. Qui est celuy qui ayme la vie, & ayme de voir ses jours bons & heureux? garde ta langue de proferer mal, & que tes levres ne soyent fallacieuses. Or passons aux petits cerveaux Pedantesques & Sophistiques. [104v] THEA. DES DIVERS DES PETIS CERVEaux Pedantesques & Sophistiques DISCOURS XXVI. CEux là, sont appellez petis cerveaux Pedantesques & Sophistiques, en grande trouppe, & compagnie non moins importune que grande, lesquels tant és choses de nulle valeur, & qui ne vallent parler, qu'en celles des poids & considerations, se tiennent sur certaines petites cho ses, comme de triqueniques, lesquelles le vulgaire appelle communement Pedanteries, & Sophi stiqueries, & sont appellées par Aristote, vraye importunitez, pour ce qu'elles n'ameinent autre chose, que fascherie & ennuy à qui conque les escoute & les entend. David Prophete. Aristote. Et I05 CERVEAUX. Et pour monstrer avec quelle ignorance, vaine gloire & jactance, meslée de presomption & de temerité, elles sont, sans goust & sottement proferees, hors le temps, hors l'occasion, & hors propos & le devoir, les places, les boutiques, les rues, si elles pouvoyent parler, pourroient en rendre, au monde, un evident & certain tesmoignage. Scauroit on trouver une plus grande ignorance & temerité que cete cy, en ce qu'avec quatre termes, ou quatre pauvres, Cujus , qu'ils ont en l'esprit, ils entrent en champ & veulent faire de l'Aristote, & du Ciceron, en la compagnie des sçavans & entendus? Qu'importe aux personnes lettrées, d'ouir aucunefois, quinze pronons, comme veut Priscian, ou vraiment davantage, comme O [105v] THEA. DES DIVERS Diomedes Diomedes le veut? Si les gerondifs sont noms, ou vrayement verbes? si les verbes neutres, sont exclus ou vraiment admis? Si les parties de l'oraison, sont distinguees en huict? si sum, es, est, fait seul l'oraison parfaicte? Si l'H, sur laquel le, ils crient tant, marque d'aspiration ou vrayement une lettre? Quelle asniere ignorance est ce de celuy, qui se met sur ses ergots, & debat fort, avec la compagnie, sur un accent, sur vue diphtongue, sur une syllabe, sur une lettre, & finalement sur un petit poinct? Qu'importe aucunesfois de plaider & debatre si, Fero fers , veut l'accent? si Felix requiert diphtongue. que sert de disputer, si Cacabus , a la syllabe du millieu longue? si Religio , marche avec deux ll? si le sens Priscian. I06 CERVEAUX. imparfaict est plustost escrit, avec le coma, qu'avec deux poincts? qu'elle folie est-ce de debatre, si l'Omicron & l'Omega lettres Grecques sont requises en la langue vulgaire: si l'H, se doit retrancher, ou admettre? si Giustitia, en Italien se doit escrire, & se prononce plustost par z, que par t? si l'on doit dire plustost. Voi, que vostra signora ? Quelle espece de sophistiquerie est cete cy, que l'espece est ores celle du Logicien, ores celle de Priam? & que la substance ores die l'animal raisonnable, ores die l'asne? que Socrates ores soit un homme, ores soit un cheval? que Brunel suppose ores une beste, ores un homme? Et que le malheureux ores trotte, & ores coure? O ij. [106v] THEA. DES DIVERS Il n'est pas à mon advis tant necessaire, que sur certaines badineries & bagatelles le Grammerien, fasse reigles & commentaires, annotations, observations, corrections, censures, meslanges, collections, additions, & autres compositions & oeuvres, nonobstant lesquelles l'on ne voit autre choses, que cecy: Qu'est il besoin au Grammerien se vanter, & appeller sa vraye pedanterie, un art de bien parler, & de bien escrire? veu que les nourrices qui sont aux maisons, enseignent aussy bien les enfans, comme eux? Qui est ce qui a mis election des suffisantes nourrices, pour les enfans, sinon Platon & Quintilian, personnages tresdoctes & tresdignes de foy, tant en cecy, qu'en autre chose? Qui à faict devenir sçavant si le fils d'A- Platon. Quintilian. 107 CERVEAUX. ripithe Roy de Scithie, sinon Istrine mere d'iceluy? Qui a enseigné l'eloquence aux Graches, sinon Cornelia? sont il pas forcez de dire eux mesmes, Janua sum rudibus? ne pouvans par raison comparoir & se monstrer du nombre des Cicerons, Salustes, Valeres, Tites Lives Suetones maistres & Seigneurs, & non serfs & Pedants, du vray latin, comme ils sont. Qu'est il besoin faire du brave, avec quatre scabreuses concordances, avec un theme embrouillé & enveloppé, avec un distique amphibologique, avec un enigme requerant la solution des Sphinx: avec un proverbe en diable, & vouloir à cete occasion, estre admirez & recreuz, comme Dieux de la langue & du scavoir? Avons nous pas autres peres des lettres Exemple d'Istrine & Cornelia. O iij [107v] THEA. DES DIVERS que Palemon ? autres maistres de la langue, que Laurens Valles? autres alphabets, pour parler, que le doctrinal? Qu'est il besoin donc d'une si grande arrogance & presomption? que sert de reprendre les autres, & s'exalter soymesme? Platon est il donc pas asseuré de Trapezonce? Ciceron, de Valla? Saluste, de Pollion? Livius, de Troge? Servius de Beroalde? Marc Varron, de cete beste de Palemon? Aristote sera il appellé une seche noire d'obscurité? Ovide un glorieux? Pline, un menteur? Terence, un larron? Plaute une antiquaille, par cete tourbe tant, jasarde & mesdisante? Quels seront les doctes & scavans en leur endroit? Despautere? Cantalice? Sipontin ? Priscian? Que sert à un Sophiste. d'exalter ses Hommes doctes arquez & reprins par les Pedans & Gramme riens. I08 CERVEAUX. formalitez? agrandir: ses amplifications? se glorifier aux sophismes? s'enorgueillir en deux equivallens? se vanter de trois termes? que sert l'ambition en deux noms? faire les consuls de la Logique? les tribuns des disputes? les juges des responces? les magistrats des sentences? que sert d'occuper avec temerité, les chaines, comme ils sont souvent? entrer avec presomption, aux assemblees? mettre dehors, avec audace, deux argumens? desgainer, avec colere & despit, deux instances? & conclurre en fin que le Sort est un asne, & Bucephale un cheval? Que sert de noter tous, & se moquer de tous, comme ils font? Que sert de nommer Simplicius, pour un simple: Boetius, pour O iiij [108v] THEA. DES DIVERS un boeuf: & se moquer du reste, en toute chose? comme s'ils estoient l'ame d'Aristote, la fontaine & source de la vraie Logique, & du tout les peres de la Dialectique. Que sont ils estimez aussy, quant à eux? qu'elle reputation ont ils à l'endroit du monde. Les Pedans & les Sophistes donc, passent selon leurs merites & devoir à l'endroit des hommes de jugement, pour des asnes & bouffons, privez d'esprit & d'honnesteté ensemble. DES PETITS CERveaux glorieux & scavantereaux. DISCOURS XXVII. LEs petis cerveaux glorieux & scavantereaux sont ceux qui s'estiment d'eux mesmes, & se 109 CERVEAUX. ripithe Roy de Scithie, sinon Istrine mere d'iceluy? Qui a enseigné l'eloquence aux Graches, sinon Cornelia ? sont il pas forcez de dire eux mesmes, Janua sum rudibus? ne pouvans par raison comparoir & se monstrer du nombre des icerons, Salustes, Valeres, Tites Lives, Suetones maistres & Seigneurs, & non serfs & Pedants, du vray latin, comme ils sont. Qu'est il besoin faire du brave, avec quatre scabreuses concordances, avec un theme embrouillé & enveloppé, avec un distique amphibologique, avec un enigme requerant la solution des Sphinx: avec un proverbe en diable, & vouloir à cete occasion, estre admirez & recreuz, comme Dieux de la langue & du scavoir? Avons nous pas autres peres des lettres O iij [109v] THEA. DES DIVERS que Palemon ? autres maistres de la langue, que Laurens Valles? autres alphabets, pour parler, que le doctrinal? Qu'est il besoin donc d'une si grande arrogance & presomption? que sert de reprendre les autres, & s'exalter soymesme? Platon est il donc pas asseuré de Trapezonce? Ciceron, de Valla? Saluste, de Pollion ? Livius, de Troge ? Servius de Beroalde ? Marc Varron, de cete beste de Palemon? Aristote sera il appellé une seche noire d'obscurité? Ovide un glorieux? Pline, un menteur? Terence, un larron? Plaute une antiquaille, par cete tourbe tant, jasarde & mesdisante? Quels seront les doctes & scavans en leur endroit? Despautere ? Cantalice? Sipontin? Priscian? Que sert à un Sophiste. d'exalter ses II0 CERVEAUX. Rhetorique, pour avoir donné seulement une oeillade à Cavalcante: qui de la Logique, pour posseder deux termes, en la croix de Pierre Hespagnol, & conclurre un argument, en Baroco à l'improuveu: qui de Philosophie, pour tenir plus de la premiere matiere, & y estre mieux entendu qu'au reste: qui de la loy civile, pour sçavoir distinguer le Paragraphe du Digeste, & le chapitre du Code: qui de medecine, pour scavoir ordonner un sirop, qui tiendra plus de Mathiole que de Mesue: qui d'Arithmetique, pour scavoir sonner & partir une cabanne d'un paglier: qui de Geometrie, pour scavoir distinguer un fossé d'un antre: un coufin d'une rive: un champ de froment, d'un de febve: qui de [110v] THEA. DES DIVERS gouvernement, pour sçavoir faire, ou donner un advis de Chiurlin trompette, que l'on sent plustost au son, qu'aux paroles, qui finalement se repute, pour un scavantereau, en toute chose, ayant plus de prosperitez du monde, que vertuz qui meritent: plus de fortune que d'entendement: plus de grace & faveur des hommes, que merites à l'endroit de Dieu. O persuasive, insipide & de mauvais goust! ô temeraire presomption! ô asseurance trop intollerable! Quand je De Calli voy l'un pides & de ceux Dares. cy, il m'est advis que je voy Bellerophon sur le cheval Pegazeen, courir parmy l'air. Le poëte Calliphanes ne faisoit pas si grande monstre d'un sien Distique: le bateleur Callipides ne se plaisoit pas tant en ses gestes & contenances Exemple du Poete Callipha nes. Bellerophon. 111 CERVEAUX. glorieuses: Dares en Virgile, n'avoit pas si grande confiance, en ses forces, bien qu'il die: Nec mora: continuo vastis cum viribus effert Ora Dares, magnóque virum se murmure tollit. O la grande presomption & jactance, qui regne en ces cerveaux tant glorieux & scavantereaux, laquelle est rebouschée & rabatue par ce beau dict de Valere le grand, mis entre les propos des hommes sages & prudens: Expedita est & compendiaria via ad gloriam, talis esse, qualis alteri videri velis : Le plus propre & court chemin à la gloire, est d'estre tel que tu veux estre veu: ou sembler à un autre: ce qui est aussy rembarré du dict de madame Laure Terracine: O quanti ne son hoggi in doglia, e'n Valere le grand. Laure terracine. [111v] THEA. DES DIVERS pena, Per questa altera vana, gloria nostra. C'est à dire, O qu'il y en a aujourd'huy en douleur & en peine, à cause de cete hautaine & vaine gloire nostre. Ce neantmoins ceux cy ont la seule apparence dehors, comme les prospectives des paintres, comme l'ombre des plantes, comme les scenes & thea- tres des Comediens, ils ont par dehors, comme les voiles des apoticaires, l'escrit de sapience, en grosses lettres, & sont vuides dedans. O aveugle presomption! ô miserable arrogance! Mais passons, je vous prie à ces glorieux & solennels, fourniz de la plus fine marchandise de presomption qui se trouve. II2 CERVEAUX. DES CERVEAUX glorieux & solemnels. DISCOURS XXVIII. CErtainement tant de grils ne vont fut terre, tant de tahons parmy l'air, ny tant de papillons entour la chandelle, que l'on voit de ces glorieux solennels, qui cheminent aujourd'huy en tous les lieux & pais du monde. Les anciens n'avoyent pas grand nombre de ces cerveaux glorieux & solennels, au regard des modernes qui vivent à present. Et veritablement fut glorieux & solennel le cerveau de Caius, lequel se mit de soymesme, au nombre des Dieux, & se fit eriger & dresser quelques statues, souz le nom de Jupiter tresgrand. Celuy d'Annon Carthaginois n'estoit pas moins glorieux. Caius. Hommes de cerveaux glorieux. [112v] THEA. DES DIVERS lequel enseignoit aux oiseaux à chanter: Annon est Dieu. Aussy fut Themison solennel Domitian celuy de Varus, qui s'estima mieux chanter que les Varus. Annon. mesmes Muses. Et Themison Ciprien, lequel se plaisoit d'estre appellé du nom d'Hercules. Et Domitian lequel publia cet edict, Edictum Domino Deique nostri. Et sur tous, Manes heretique, lequel osa se dire, nay de la Vierge, & le meschant Nestorius, lequel en une harangue au peuple de Constantinople, promet, par soymesme, de donner à tous, le Paradis. Ceux cy estoyent à la verité tres-solennels, mais espanduz en plusieurs siecles passez, & l'un assez distant de l'autre, à cause de la varieté & diversité des temps. Maintenant le sac est du tout plein, & la mesure est à bon escient, au comble de ces II3Manes, & Nesto rius heretiques. CERVEAUX. ces arrogans, & trop presomptueux de leurs propres forces, lesquels se font croire de beaux cerveaux en toute chose, admirans eux mesmes, & mesprisans tout le monde, pour ne dire qu'ils s'en moquent. Les perroquets ne sont pas tant glorieux de sçavoir trois ou quatre mots par coeur, monstrez & enseignez du maistre, avec mille peines, que ceux cy de quatre attaintes sur l'un & sur l'autre. Un coq d'Inde estant en furie, ne se fait si grand que ceux cy, quand ils sont en debat & contention pour se monstrer les plus beaux cerveaux de nostre siecle. Le Paon n'eslargit pas tant sa queuë, que ceux cy s'estendent d'eux mesmes à se louer & vanter. Ceux cy sont de petis cerveaux qui vont à voile tant qu'ils peuvent, & sont accueil- Comparaisons. P [113v] THEA. DES DIVERS liz & surprins du garbin de gloire & droict & à travers. O qu'il s'en trouve beaucoup de cette race! L'un sera un Bavipus en vers, & fera du Virgile: un autre sera un Molcus à sonner, & fera de l'Orphée: un autre sera un Zani,en sa langue, & fera du Bocace : un autre, Maistre Gril en medecine, & fera du Galen: un sera un Gratian de Bologne, & fera du Bartole aux loix, l’un sera un bouffon de Carandella, & se voudra monstrer un de ces sages de Grece. Je voy quasi tout le theatre plein de ces irraisonnables. Icy sont assis les fols, qui font du Socrates, les indoctes & ignorants, qui se font Aristote & Plaute: les laids & diformes, qui font du Ganimede & du Narcise: les pauvres & viles, qui font des nobles: les ineptes & Cerveaux divers, glorieux & solennels. II4 CERVEAUX. mal propres aux gouvernement, qui font du Licurge & du Solon: les privez de grace & gentilesse, qui font du Courtisan: les sots & vains qui s'estiment de gentil esprit: les Bergamasques qui sont des grands tant qu'ils peuvent. Dieu immortel que je voy une grande multitude, que je voy de sieges pleins, que de testes solennes, en ce Theatre: on ne sçauroit distinguer le peuple, on ne sçauroit pas voir le vray nombre: on ne peut trouver la fin que l'on cherche. C'est icy le labirinthe de Thesée, le Chaos & confusion d'Anaxagoras la plus grande mer qui se trouve au monde. Et pour ceste cause, de peur de nous abysmer, avec eux, allons trouver les grans cerveaux, ayans suffisamment parlé de toutes les P ij [114v] THEA. DES DIVERS especes de menuz cerveaux. DES GRANDS CERveaux experimentez, & masles, DISCOURS XXIX. AU premier siege entre les grands cerveaux, sont assis ceux, que nous appellons practiques, experimentez & masles, lesquels monstrent exterieurement qu'ils possedent l'humaine prudence & experience, en tou tes leurs actions: comme fut celuy de Portius Caton, entre les Romains, & de Socrates, oracle d'Apollon entre les Grecs. Jethro, en l'escriture saincte, fut esleu par Moise, pour un homme fort expe rimenté, au conseil des plus grands. Portius Caton, So crates, Jethro. II5 CERVEAUX. L'escriture parle aussi du Prophete David, en ce sens, quand il dit que In omnibus prudenter se agebat : Il se portoit sagement en toutes choses. La pratique & experience de tels hommes (dit Seneque) consiste en trois choses, à se souvenir des choses passées, à donner ordre aux presentes, & à se garder des fu tures. Et pourtant, le Prophete, à propos de cecy, a dict des mondains privez de ceste providence: Utinam saperent, & intelligerent, ac novissima providerent. Utinam saperent : à sçavoir les choses passées: intelligerent, les choses presentes, novissima providerent : les choses futures. Ces hommes experimentez ont en memoire les choses passées, comme ces Anciens, qui suaderent à Roboan, de s'accommoder avec le peuple, Exemple de David Seneque David sçachant la facilité de leurs rebelP iij [115v] THEA. DES DIVERS lions. Ils ordonnent sagement les choses presentes, comme Salomon ordonna le temple & sa maison. Ils prevoyent finalement, avec grande prudence, les choses futures, comme les sages du conseil de Priam, preveurent la ruine de Troye, & Caton celle de Rome. Entre les celebres preceptes de Pithagoras, on lit cestuy cy à nostre propos: que l'homme doit avoir soucy de deux temps, du matin & du soir, voulant signifier, qu'il prinst garde à se souvenir des choses passées, & qu'il devinast comme sage & experimenté, les choses futures: comme faisoyent les Mages en Perse, les Chaldeens, en Sirie, & les Ciliciens, entre les Arabes, & les anciens Hetrusques en l'Italie. Ces grands cer- Pythagoras. II6 CERVEAUX. veaux n'ont besoin de gloire, pource qu'ils sont d'un esprit si accort, qu'il acquierent la primauté par tout. Ils sont pres des Rois, les premiers du Parlement: és Republiques, les premiers du Senat: és Religions, les premiers du gouvernement: és villes particulieres, les premiers du Conseil: & jusques aux bourgs & villages, ils ont, entre les paisans, la superintendence pour ordonner & disposer toute chose. Les voix se donnent à leur vouloir, les partis se prennent selon leur conseil, les elections se font, comme il leur plaist: les depositions à leur discre- tion. les executions, selon qu'ils auront determiné & estably: & le tout finalement se faict, P iiij. [116v] THEA. DES DIVERS selon leur volonté & desir. Or passons aux grands cerveaux, stables, fermes, constants & forts. DES GRANDS CERveaux, stables, fermes, constans & forts. DISCOURS XXX. LEs grands cerveaux, fermes & constans sont ceux, lesquels, principalement és choses adverses, difficiles & dangereuses, monstrent leur valeur, resistant par leur vertu, à la rigueur de la fortune, & supportans par leur force, l'aspreté des choses, qui se viennent journellement opposer à eux. Anaxagoras ayant entendu la mort trop soudaine de son fils, respondit hardiment au messager, Exemple d'Anaxa goras. II7 CERVEAUX. Je n'oy de toy, chose nouvelle, car je sçavois bien, que j’avois engendré une creature mortelle. On lit du Roy Antigone, qu'il endura tant constamment la mort d'Alcion son fils, qu'il dist, qu'il estoit mort plus tard qu'il n'avoit pensé qu'il deust mourir. L'exemple de Cornelie Romaine est bien memorable, laquelle ayant perdu douze enfans, l'un apres l'autre ayant en fin entendu que Tibere & Caius, qu'il luy estoyent restez, avoyent esté pareillement occis, Antigone Exemple du roy Exemple de Cornelia Romaine. & gusoyent sans sepulture: & pour ceste cause, comme les autres matrones & honestes dames, l'eussent appellée miserable & infortunée, elle dist & profera tresconstamment ces parolles: Je ne confesseray jamais que je sois infortunée, ayant esté mere des deux Graches [117v] THEA. DES DIVERS comme j'ay esté. L'on ne parle d'autre chose que de la constance de Socrates qui endurcit, avec si grande patience, les injures & les outrages de Xantippe, sa femme, en sa maison, qu'il avoit accoustumé de dire, que de là, il apprenoit à souffrir dehors, l'insolence des autres femmes. On ne fait mention d'autre chose, que de la constance de Mutius Scevola, lequel mit és flammes du feu, en la presence du Roy Porsenna, la main errante, & sans peur, estant seulement faché, & desplaisant, de n'avoir, au moyen d'icelle, occis le Roy ennemy. Ce que Martial, descrivant, au premier livre, a dict: Dum peteret Regem, decepta satellite, dextra: Iniecit sacris se peritura socis. Constance de Socrates. Constance de Mutius Scevola. Martial. II8 CERVEAUX. C'est à dire, la main dextre ayant esté deceuë, par le Satellite, & assistant de Porsenna, comme elle vouloit tuer le Roy, s'est mise & lancée courageusement dedans le feu. Il n'est faict mention d'autre chose, que de la constance d'Anaxarque, lequel pillé & broyé dedans un mortier de marbre, par les bourreaux d'Anacreon , s'estant d'un visage trespatient, retourné aux Ministres cruels, leur dist ces memorables paroles. Tundite pilam Exemple d'Anaxarque. Anaxarchi: nam Anaxarchum non tunditis. Broyez & pilez le mortier, & demeure d'Anaxarque, car vous ne broyez pas Anaxarque. Il me souvient aussi avoir leu l'exemple d'Aristippe, lequel ayant un jour ouy quasi injures infinies, proferées contre luy, ne dist en fin, autre chose, sinon ces [118v] THEA. DES DIVERS paroles, signe de tresgrande constance. Tu as esté maistre du dire, & moy de l'ouir. Pisistrate ayant esté adverty par sa femme, qu'un jeune homme amoureux de sa fille, la rencontrant en la rue, l'avoit baisée, & pour ceste cause, l'enflammoit à la vengeance, dist en se souz riant, Que ferons nous, à ceux qui nous haissent, si nous voulons nui re, à ceux qui nous ayment? Celuy qui desire sçavoir la constance d'Attilius Regulus Romain, & du Grec Aristides, lise les histoires, & il verra une constance trop incroyable. Qui est celuy donc qui n'exaltera ceste magnanimité de coeur, & ceste merveilleuse contance? qui est ce qui ne la prisera? qui est ce qui ne sera remply de merveille, oyant les louanges que tant d'auteurs donnent à ceste vertu Constance de Pisistrate. Exemple d'Aristip pe. II9 CERVEAUX. & force de coeur, que nous appelons constance? Sainct Ambroise, au premier livre, des offices, dit en la louange d'icelle. Non mediocris animi fortitudo est, quae sola defendit virtutum ornamenta omnium, & justitiam custodit, & quae inexplicabili praelio adversus omnia vitia decertat, invicta ad labores, fortis ad pericula, rigidior adversus voluptates, avaritiam effugat, tanquam labem quandam, quae virtutem effoeminat. S. Ambroise, au livre des offices. C'est à dire. La force du courage non petit & constant est celle seule, qui maintient les ornemens de toutes vertus, qui garde la justice, & qui a guerre mortelle, à l'encontre de tous les vices, qui est invincible aux labeurs, & indefatigable, vaillante aux dangers, severe contre les voluptez elle rejette & fuit l'avarice, comme une [119v] THEA. DES DIVERS certaine tache, laquelle effemine la vertu. Ciceron, au second de la Rhetorique la loue, disant. Fortitudo est magnarum rerum appetitio, & humilium contemptio, & cum ratione utilitatis, & laborum perpessio. C'est à dire la vertu & constance, est l'affection & desir de grandes choses, le mespris des basses, & au moyen de l'utilité, la souffrance des labeurs & travaux. Macrobe, faisant cas d'icelle, dit, Fortitudinis est animum supra periculi metum agere, nihilque nisi turpia metuere, vel prospera, vel adversa tolerare. C'est le propre de la vertu & constance, de se porter & faire hardiment, sans crainte d'aucun danger, & ne craindre aucune chose, hors mis les deshonnestes, & supporter ou les choses prosperes, ou les Ciceron. I20 CERVEAUX. adverses. Le Prophete Esaie, la suadoit au peuple d'Israel, disant, Induere fortitudine tua, Syon. Vests toy de ta force & constance, ô Sion : Salomon, és proverbes animoit l'homme à icelle, disant: Robusti habebunt divitias. Les robustes & forts auront les richesses. Et és livres des Macabées, est faict. cas & exaltée la force & constance, de ce Sainct Prestre Eleazar, lequel mourut Esaie. Salomon. constamment pour les loix paternelles, Exemplum virtutis & fortitudinis relinquens : laissant un exemple de vertu & de force. Ciceron, au second des Tuscula nes, celebre & fait cas de la force & constance de C. Marius, qui se laissa sier & coupper par le milieu, sans vouloir Eleazar prestre. [120v] THEA. DES DIVERS estre lié, & ne changeant point de couleur de visage, en aucune part, pour la rigueur du suplice. Corneille Tacite exalte merveilleusement la constance l'admirable femme appellée Ligo, laquelle ayant pour la crainte des ministres cruels, caché son propre fils, ne peut par aucune maniere de tourmens, estre forcée & contrainte à le manifester: mais respondit tousjours (monstrant son ventre) qu'il estoit caché en cest endroit là. Que diray je de la constance des Saincts Martyrs, tant d'hommes que de femmes, lesquels non seulement ont vaincu & surmonté les Tyrans du monde, mais aussi les tourmens mesmes, les roues, genres de supplices, les taureaux de bronze, les machines de cruauté diabolique se lassans plustost que leurs coeur Corneille Tacite narre de Ligo. Ciceron note l'exem ple de C. Marius. armez I2I CERVEAUX. armez de constance & de force? Où sont les Agathes, qui reprochent à Quintianus, la torture des mammelles?Ou sont les Simphoroses, lesquelles taschent d'animer au martire, leurs propres enfans? Où sont les Sophies, lesquelles toute gayes & joyeuses regardent leurs chers & bien aymez gages, tandis que leurs corps S. Agathe S. Simpho rose. S. Sophie. sont tourmentez par les bourreaux, les ames unies, s'en volent gayement en la patrie celeste? Pourquoy vay je renouvellant les croniques, que Beda, Hierosme, & Eusebe, n'ont peu suffisamment exposer à la posterité, desireuse & contente de memoire & souvenance tant pie? Je laisseray d'en parler plus avant, pource que la matiere surpasse de beaucoup les forces & effets de mon propos & discours Q [121v] THEA. DES DIVERS & conclurray que la constance & force merite & requiert le stile d'un tres sage Orateur: comme celle d'Attilius Regulus, de Marc Tulles Ciceron: ou bien d'un tres-docte Poete comme celle de la fameuse dame, louée & recommandée par Bembe, en ces vers: Alta colonna & ferma alle tempeste Del ciel turbato, a cui chiaro honor fanno Jeggiadre membra, avolte in nero panno, Et pensier santi, & ragionar celeste. C'est à dire, Haute & ferme colonne, contre les tempestes du ciel troublé, à qui font honneur les membres gaillards, couverts de drap noir, & les sainctes pensées & propos celeste. Mais parlons, je vous prie des grands cerveaux libres, puis que nous avons suffi- Bembe I22 CERVEAUX. samment parlé de ces vertueux, forts,stables & constans. DES GRANDS CERveaux libres. DISCOURS XXXI. LEs cerveaux libres sont ceux là proprement, lesquels ont en eux, une cer taine liberté de parler pour le vray, louée par le Poëte Lucrece en ce vers: Solus veridicus purgavit pectora dictis. Le seul vray, par les dicts a purgé la poictrine. Et de jouir d'eux mesmes, combien qu'ils soyent miserables, ne faisans pas grand cas des grandeurs d'autruy. Caton Romain, de cerveau libre, estoit le premier au Senat, lequel taxoit & reprenoit tous les vices & imperPhocion fections de la ville. Phocion, en Athe Athenien nes, fait le mesme, & pour cete an plutarque. Q ij. Le Poete Lucrece. Caton Romain. [122v] THEA. DES DIVERS cause, lit on en Plutarque, que Demosthenes, luy dist une fois, Les Atheniens, ô Phocion, te tueront, un jour, s'ils le mettent en leur teste, & deviennent fols: ains dist-il, s'il deviennent sages, ils te tueront seul. Heureuse liberté! comme elle ne passe les limites du vray & de l'honneste? Ubi spiritus Dei, ibi libertas, dit l'Apostre S. Paul. Samuel, au moyen de cete liberté reprint Saul: par ceste liberté, Helie reprint aigrement Achab: par icelle mesmes, Jean reprint Herodes, par icelle Paul dit avoir reprins Pierre, mais il est besoin de la scavoir pratiquer en lieu & temps & par une maniere deuë & convenable, si la personne en veut avoir honneur. Le philosophe Diogenes, estant en son tonneau, au droict du S. Paul. Exemples de personnes libres. Diogenes. I23 CERVEAUX. Soleil, il requit librement Alexandre de ne le priver de ce qu'il ne luy pouvoit pas donner, à sçavoir de la veuë des rayons du Soleil: & au moyen de sa liberté, de laquelle il usa à juste occasion, il fut grandement honoré par Alexandre. Sçauroit on, je vous prie, ouir parler d'une liberté plus grande, que celle, de laquelle le Corsaire Diomedes usa, lors qu'estant prins par le susdict Alexandre, & taxé de ce que son armée faisoit trop de mal sur le pais & rivages, respondit librement: Escumant la mer avec un seul vaisseau, je suis appellé Corsaire & voleur, mais quant à vous, qui escumez les mers avec mille vaisseaux, & donnez empeschement & destourbier à tout le monde, vous estes appellé Seigneur & Empereur. Et Diomede Corsaire. Q iij [123v] THEA. DES DIVERS neantmoins Alexandre l'embrassa, honora & exalta. Au contraire chacun a en horreur & blasme l'im portune & mesdisante liberté: comme celle d'Antiphon le Sophiste, lequel enquis par Denis, en quel pais se trouvoit le plus beau cuivre & le plus exquis, respondit trop librement, à Athenes, où Armodius & Aristogiton, meurtriers des tyrans avoyent de tresbelles statues de cuivre, signifiant clairement, que De nis fust digne de mourir, par la main d'hommes de cete sorte là: & celle de Democares Athenien, lequel en sa legation & ambassade pour la patrie, au Roy Philippe, comme le Roy luy eust demandé à son departement, s'il luy restoit quelque chose à faire, pour le bien & utilité de sa patrie, qu'il le dist, fit responce rien autre chose sinon, que Exemple d'antiphon Sophiste. Democares Athenien. tu t'en ailles pendre: en quoy il deI24 CERVEAUX. monstra une effrenée liberté, mesdisante & enragée, meslée de sotti se & de folie tout ensemble: la vraye liberté n'a pas le filet à la langue, & neantmoins elle chemine tousjours accompagnée de la sagesse, de l'equité, de l'honnesteté, de la raison & de l'amour. Quand l'homme libre voit une tyrannie ouverte & sus pieds, il la reprend discretement: s'il cognoit les abus, il ne les peut pas dissimu ler, s'il prend garde aux simonies, il ne les peut taire: s'il voit les loix dissipées, il ne le peut pas endurer: s'il advise à la justice oppressée, il faut qu'il crie: s'il regarde que la raison est mise souz le pied, il faut qu'il parle à l'encontre de cela: s'il apperçoit l'ambition seule estre maistresse, il faut que du tout il rompe le frein & mords de la langue. Voulez vous, qu'un homme libre ait Q iij. [124v] THEA. DES DIVERS patience, quand il voit un Grammerien qui ne fait que jaser & ne dit rien qui vaille, un Historien menteur: un Logicien, qui n'est autre chose que question & debat: un Musicien, qui est du tout lascif, un Astrologue tresfallacieux, un Mage tres mechant: un Cabaliste plein de desloyauté, un Phisicien, qui ne fait que resver: un Metaphisicien, monstrueux: un Philosophe moral, facheux, un Politic, meschant & inique: un Prince tyran: un Magistrat oppresseur, un peuple qui n'est autre chose que sedition: un marchand, qui est un parjure, un procureur, qui est un larron, un pasteur, qui est un loup: un subject, qui est une vipere, un medecin, qui est un meurtrier & assassinateur, un docteur des loix, qui est un AchitoI25 CERVEAUX. phel: un Alquimiste, trompeur, un Astrologue fol: un Advocat deffenseur des meschantes causes, un Notaire, qui falsifie les instrumens, papiers & escritures, un Juge venal pour argent & deniers, estant assis sur haut & eslevé siege? Il faut que l'homme libre, soit entre les Heroz, un Hercules, qui poursuive tous les monstres: entre les Dieux, un Pluton, qui se courrouce & irrite à l'encontre de toutes les ombres, entre les Philosophes, un Democrite, lequel se rie de la folie des hommes: & un Heraclite, lequel pleure tousjours la misere & l'infelicité de ce monde. L'homme libre ne peut endurer les larcins manifestes qui se font, les pilleries, les torts & outrages faicts aux innocens, les faveurs qui se font aux indignes, ils [125v] THEA. DES DIVERS ne peuvent supporter que les lettrez soient deprimez, & l'ignorance exaltée: que le vice soit en poupe, & la vertu abaissée & soumise, en la sentine, que le pauvre soit mis arriere, & le favory avancé, que la jeunesse soit assise en haut, & la vieillesse mise au bas, & ce qui est le pis, qu'un ambitieux soit tousjours avec la baguette en la main, & l'homme suffisant, & idoine, perpetuellement subject. L'homme libre, quand l'occasion luy vient de le dire, dira franchement que le monde est seulement plein de sottise & d'iniquité, que chacun entend & s'aplique à son propre, & que l'on laisse le commun & public, que l'ambition domine tout, que la foy n'a point de lieu, que la charité est mise arriere, l'ordre bany, la religion foulée I26 CERVEAUX. aux pieds, & qu'autre chose ne regne qu’arrogance & tyrannie. L'homme libre, pour argent ne se peut induire à se taire, il n'est meu de prieres, il n'est plie de promesses, il ne se peut destourner, pour les menaces,il ne se retire pour les paroles, & n'est espouventé du fait. L'homme libre monstre en tout endroit, sa liberté, car par la langue il parle librement: par les yeux, il foudroye: par le geste & contenance il s'irrite, par la pensée, il imagine, par la volonté, il delibere, par l'operation il met fin à ce qu'il a determiné & projecté. O chere & aymée liberté! si tu es accompagneé de la prudence de l'intellect, du discours de la raison, de la sagesse de l'entendement. Tu es celle qui occis les monstres, qui espouvantes les tyrans, qui rejectes les meschans, [126v] THEA. DES DIVERS qui abaisses les orgueilleux, qui fais trembler la tres-arrogante audace des iniques. Les bons ont seulement esperance en toy, les desolez se confient en toy seule, les miserables se tournent à toy, & les pauvres y ont leurs recours: tu es seule le refuge de tous les destituez & despourveuz. Et de qui es tu mesprisée & abaissée, sinon des viles? desfavorisee, ou disgraciee, sinon des Tyrans? chassée sinon des ignorans? foulée aux pieds, sinon des sots? arrachée & desracinée, sinon de la trouppe des villains & rustiques? Glorifies toy neantmoins de cecy, que tu t'esjouis en toymesme: tu te consoles en la magnanimité tu te delectes en ta grandeur, tu te recrées, en ta valeur, & cependant qu'un autre t'estime pauvre, & miseraI27 CERVEAUX. ble, tu jouis gaiement de ta nature: car si tu as du bien, tu en jouis joyeusement, & si tu as du mal, tu le mesprise d'un grand courage. En cecy, la nature de l'homme libre est miraculeuse, qu'il ne s'oblige aux grands, ne faict service aux superieurs, ne fait la court à ceux qui sont eslevez en dignitez, ne faict cas des offices, ne demande les honneurs, & jouit de soy seul, estimant les autres, pource qu'ils sont, & se laissant estimer soymesme, pour celuy que les autres veulent. Si l'ignorant appelle l'homme libre, un Philosophe, il le traite comme une beste: s'il dit qu'il tient de l'humeur, il ne daigne pas seulement luy respondre: s'il l'appelle un causeur, il se rit de son parler: s'il le dit estre un esprit fascheux, il le rend muet [127v] THEA. DES DIVERS tout d'un coup, avec un regard de travers, accompagné de cinq ou six synonimes à propos. Qui est celuy qui a des propos & broquards plus subtils & penetrans que l'homme libre? dicts de plus grande efficace? paroles plus urgentes? sentences plus consonantes & convenables? raisons qui concluent mieux? responces plus vives & argues, en quelque occasion que ce puisse estre? Si l'homme libre veut, par un seul signe, il te fait arrester & demourer: car quand tu vois qu'il te veut toucher au vif, & dire que tu es un pilier & soustien d'ignorance, une fournaise d'ambition, une montagne d'arrogance, une vallee de misere, un hospital de folie, une loge de vilenie, une sentine de deshonnesteté, un siege de tyrannie, il te fait I28 CERVEAUX. incontinent refroidir & retirer la queue entre les jambes, comme l'on dit, en guise d'un chien secoué & tirassé de morsures & d'abbois. En somme, je conclu, que cete liberté, pourveu qu'elle soit prudente, est profitable, utile & louable, en toute part. Pour cete cause, un sage de Grece, en la louant, a dict, Prae cunctis animi libertas est veneranda. Sur toutes choses il faut honorer & venerer la liberté de l'esprit. Et le sage Esope a dict, Hoc coelestebonum praeterit orbis opes. Ce bien celeste passe les biens & richesses du monde. Parlons maintenant aussi des grands cerveaux & entendemens resoluz & hardis. Dict d'un sage. Esope. [128v] THEA. DES DIVERS DES GRANDS cerveaux & entendemens resoluz & hardis DISCOURS XXXII. LEs cerveaux resoluz sont ceux, lesquels hardiment & genereusement se mettent aux ardues & difficiles entreprinses avec ferme & certaine esperance d'en sortir avec gloire & honneur. Cesar se resolut à Rubicon, de passer la riviere, & se faire Rome ennemie, disant ces paroles escrites en Plutarque. Le Exemple de Cesar. dé est jetté, pource qu'il estoit d'un cerveau de cete sorte. Annibal print resolution, avec peu de trouppes, d'Afrique, de descendre en Italie, & troubler les provinces & villes d'icelle, pource qu'il estoit Exemple d'Annibal. I29 CERVEAUX. estoit en toute entreprinse d'un cerveau hardy & resolu. Alexandre se resolut de conquester le monde, & de voir jusques dedans l'Ocean, pource qu'en iceluy regnoit un coeur & une hardiesse trop singuliere. Le Roy Pyrrhe se resolut de faire la guerre aux Romains, & ainsi le fit il: pource qu'il y avoit en ce Roy un grand esprit, une valeur immense & audace incredible, en toute sorte d'entreprinse. Au moyen de cete resolution de cerveau, Apollonius, Thianeus (comme sainct Hierosme atteste) entra au pais des Perses, passa, le mont Caucase, courut le pais & regions des Albains, des Scithes, & Massagetes, traversa les Indes, & ayant passé la riviere Phison, il arriva jusques aux Bracmanes, pour aprendre & avoir Alexandre Pyrrhe Appollonius Thia neus. R [129v] THEA. DES DIVERS la science des choses naturelles. Par cete resolution, Anaxagoras (comme Laertius certifie) donna tout son patrimoine à ses parens & amis, & ne fit compte de ses propres biens & moyens, pour mieux s'adonner aux estudes de la Philosophie. Il est besoin en toutes choses de resolution: mais beaucoup plus és grandes & difficiles à executer: Audaces fortuna Anaxagoras. juvat : dit le Poete: La fortune aide aux courageux & hardiz. Thesée & Pirithous sont louez par les Poetes, comme de cerveau resolu, pour avoir esté courageusement en enfer, en tirer Proserpine : Jason & Tiphis, pour s'estre les premiers hazardez & exposez aux dangereuses mers, à peine navigables, à fin d'obtenir la toison d'or, estant en l'Isle de Colchos. Vous voyez donc la louange à juste I30 CERVEAUX. cause attribuée aux grand cerveaux & entendemens resoluz. Je ne suis pas esmerveillé, si Pythagoras disoit que l'on devoit retrancher la langueur, le trainer & la paresse des coeurs humains, voyant combien est profitable la resolution d'iceux, en toutes manieres d'affaires & entreprinses. Pour cete cause Socrates, au banquet, en Platon, ordon- Socrates na qu'il falloit perpetuellement en Platon banir la paresse & negligence, comme une mortelle peste de l'entenOvide. dement humain. Ce qu’Ovide blasme, de maniere qu'il a dict apertement luy mesme: Dedecet ingenuos toedia ferre sui. C'est une chose messeante aux nobles coeurs de porter ennuy de soy. Et le Poete Lucain detestant une tel le chose, comme les autres, a conclu que Vanam dant semper otia mentem. R ij [130v] THEA. DES DIVERS L'oisiveté & paresse rendent tousjours l'esprit & l'entendement vain. Parquoy il est de besoin laisser là le propos assez suffisant de ceux cy, & aller trouver les grands cerveaux de resentiment ou resentans, & dire pareillement d'eux, Pythagoras. Thesee & Pirithous Jason & Tiphiles Le Poete Lucain. tout ce qu'il faut. DES GRANDS cerveaux resentans, ou de resentiment. DISCOURS XXXIII. LEs grands cerveaux de resentiment sont de telle nature, que là où advient le mespris & le deshonneur de la personne, ils taschent d'un coeur genereux & noble d'eux en resentir par les moyens les plus honnestes, qu'ils trouvent propres & convenables à leur degré & condition. Pour cete cause Homere a dict au Homere. I3I CERVEAUX. second livre de l'Iliade, qu'au coeur des Rois logeoit une grande colere & ire: à raison dequoy il n'est pas convenable, qu'ils permettent & endurent que leur grandeur & majesté vange si legerement l'offense & injure. Je ne diray pas que se resentir & se vanger simplement, soit chose honnorable à l'homme, pource que cecy est totalement l'office de Dieu, qui s'est atribué & approprié cet honneur à luy mesmes, disant, Mihi vindictam & ego retribuam. A moy la vengeance & je retribueray. Et je sçay bien que le docte Huges de S. Victor, dit que, Nobile genus vindictae est ignoscere. La noble maniere de vengeance est pardonner, mais je dy bien, qu'estimer son honneur, & se resentir honnestement à l'encontre de ceux qui te mesprisent Hugues de S. Victor. R iij [131v] THEA. DES DIVERS sans cause & raison, & te privent de la renommée & de l'honneur, est une chose louable, honorable & vertueuse. Parquoy il est escrit aux sainctes lettres: Maledictus homo qui negligit famam suam. L'homme est maudict, qui ne fait pas compte de sa renommée. Homere, au premier de l'Iliade exalte & loue la generosité d'Achilles, lequel se courroucea contre Agamennon, luy ayant iceluy faict injure & outrage, de luy oster le loyer & prix qu'il avoit merité pour sa vertu. outragé & offensé par Rodomont, l'Arioste aussi introduit Roger lequel pour la deffense de son honneur, se leve sur ses pieds, & luy donne un desmentir, en la stance qui commance, Ruggier à quel parla dritto levosse, Le Poete Grec reprend bien le Homere. I32 CERVEAUX. resentiment d'Ulisse, lequel non seulement creva l'oeil, en vengeance de ses compagnons, au Ciclope Polipheme : mais pour un plus grand tourment d'iceluy, & pour mieux descharger son courroux, & vanger le despit receu, il voulut qu'il sçeust son nom, lequel luy estoit au paravant incogneu & caché, disant: Si quelque mortel ou Ciclope te demandoit onques, par qui tu as esté tant asprement & honteuse ment puny, dy lui que ç'a esté Ulisse destructeur de Troye: comme s'il ne se fust tenu vangé, si le Ciclope n’eust sçeu pour quelle occasion, il avoit esté tant severement chastié, à cete cause il dict, que l'ire estoit plus douce que le miel, pource que l'homme en se vengeant vient à descharger l'amertume qu'il a au coeur, & à l'opposité, il gouste une grande dou Ulisse se resentant. R iiij [132v] THEA. DES DIVERS ceur, de voir l'iré desir & appetit satisfaict. C'est donc une chose honnorable de se resentir, mais d'une maniere honneste, juste & convenable. Et pour cete cause Guidiccion a invité l'Italie à se repentir, au sonnet commanceant, Dal pigro a grave sonno &c. Ainsi est reprouvé le resentiment grand duquel l'on use & que l'on pratique du tout, en toute faulte & offense. Pour cete raison, Seneque a bien dict, que Maxima culpa est, totam culpam persequi. C'est une tresgrande faute, de poursuivre toute la faute & coulpe. Or tournons nostre propos aux grands cerveaux & entendemens universels, industrieux & ingenieux. Guidiccion Seneque. I33 CERVEAUX. DES CERVEAUX & entendemens universels, industrieux & ingenieux. DISCOURS XXXIIII. L'Universel de ceux cy peut estre mis & estably en deux choses principalles, premierement en la pratique & experience de plusieurs arts &exercices, secondement en la cognoissance de plusieurs sciences. Quintilian au douziesme livre de ses institutions, quel outre les estudes des lettres, loue Helius Hippias Sophiste, le esquelles il ne fut de son temps, à nul autre second, se presenta aux jeux Olympiques, avec une ceinture, une robe, une paire de chausses, un aneau, & une pierre precieuse, toutes venues & sorties de sa main. On lit de l'empereur Adrian Quintilian loue Helius Hippias Sophiste. L'empereur A drian. [133v] THEA. DES DIVERS qu'il fut tres-excellent & entendu en l'Arithmetique & Geometrie. Il fut brave peintre, tres-noble Musicien, & surmonta en la science d'Astrologie, tous ceux de son temps. Marcellin en son seiziesme livre escrit de Jules Cesar devant luy, qu'il fut vaillant soldat, tresbon Capitaine, excellent Orateur, sage Empereur, parfaict & accomply Historien, & autant amy des Muses, qu'il est possible de dire. On trouve escrit d'Aurelie Alexandre, apres luy, qu'il estoit tres-bon Augure, tres-noble & bon Musicien, & tes-parfaict composeur de harangues. On sçait de Socrates, Platon, Aristote, S. Augustin, Albert le Grand, Raimond Lulius, Jean Picus, qu'il n'y avoit quasi art, ny discipline ou science, qui ne fust par eux entendue & aprinse. Certainement Exemple de Jules Cesar en Marcelin Exemple d'Aurelie Alexandre I34 CERVEAUX. c'est une tres-belle chose de voir tels cerveaux & les entendre excellemment discourir, comme ils font, en toute profession & science. Ils sçavent les histoires par coeur, celles de l'Escriture, celles de Berose, d'Eusebe, d'Egesippe : les Ethio piques, par le moyen d'Heliodore : les Troyennes, par Dares Phrygien, les Atheniennes, par Heliodore : les Thebaines, par le moyen de Timée Sicilien: les Corinthiennes, par Ephore Cumeé: celles de Perse, avec Denis Milesien, les Romaines, par le moyen de Tite Live, Florus, Polibius, Dion, Cassius, Appian, Plu tarque: les Gottiques, avec Sabellic, Corius, Blondus, celles de Lombardie, avec Isidore Hispalois: les mo dernes, par Guazzo, Joue, Guicciardin & une autre grande troupe Les Histoi res de plus sieurs. de braves Historiens. Ils sçivent [134v] THEA. DES DIVERS La Poesie la Poesie, la Grecque, la Latine, la vulgaire: Entre les Grecs, les Hymnes d'Orphée, les Odes de Pindare, les Tragedies d'Euripide, les Comedies de Menandre, les Bucoliques de Theocrite, les Lyriques de Stesicore, les Jambiques d'Archilocus, les Elegies de Melanthe, les Cantiques de Mu sée, & les Heroiques d'Homere. Entre les Latins, les Fables d'Andronicus, les Epigrammes de Catulle, les Epistres d'Ovide, les Sermons d'Horace, les Satires de Juvenal, les combats de Lucain, les lascivetez & folastries de Martial, & l'Eneide de Virgile, Poete prin cipal. Entre les vulgaires, les sonnets de Petrarque, de Bembe, de Venier,de Guidiccion, de Varchi, de Benaglio, de Capello, de Molza, de Binaschi, de Bonfadio, de I35 CERVEAUX. Dolce. de Domemchi, d'Annibal Caro, de Tasso, de Goselin : les Madrigals de Parabosco, & de Cieco d'Adria, les vers de Sannazar: du Seigneur Fabio Galeota. Les poemes parfaicts de l'Arioste, & de l'Aguillara avec tant d'autres que la plume & le parler ne peuvent suffisamment exprimer. Si tu parles de Rethorique avec eux, tu entens autant de Cicerons, en douceur, autant de Catons, en gravité, autant de Demosthenes, en ferveur autant de Crassus, en gentilesse & facetie, autant d'Isocrates en la perfection des periodes, autant de Pericles, qui tonnent, qui éclairent, & qui foudroyent & lancent de leur estomac les dards en feu, de paroles, & les sagettes tres-ardantes de sentences Rhetorique. & de conceptions: les reigles d'Aristote, les preceptes de Quintilian, [135v] THEA. DES DIVERS les couleurs de Ciceron, les institutions d'Hermagoras, l'oeuvre de Cavalcante, les discours de Traclée, les tables de Toscanella, sont les maistres & les livres, qui leur donnent honneur en tous leurs devis & propos. S'il est question de Logique avec eux: ils sçavent les textes des Grecs, les questions des Latins, les digressions des Arabes, la facilité de Boetius, l'obscurité d'Ammonius, la doctrine de Simplicius la briefveté de Porphire, la subtilité de Scotus, & la voye excellente & unie des Thomistes. Si l'on parle de quelques particulieres Mathemathiques, & l'on en confere avec eux, ils te sçauront dire, en l'Arithmethique quel est le nombre per, quel non per, quel est le superflu, quel le diminué, quel le parfaict, quel l'imparfaict: quel le composé, quel le non composé: quel nombre est Logique. Arithme tique. I36 CERVEAUX. harmonique, quel Geometrique, & tout ce qu'en auront entendu Eupompe, Pithagoras, Boetius & Eucli de pareillement. S'il faut parler avec eux de la Geometrie, appellée par Philon Hebrieu, mere de toutes les sciences & disciplines, ils te sçauront deviser des poincts, & raconter que Dicearque mesurant les monts, trouva le mont Pelion estre sur tous, tres-haut: que Architas de Tarente, forma une colombe de bois qui voloit, & Archimedes un ciel de bronze, avec tous les mouvemens des planetes & les revolutions des spheres celestes. S'il est question de l'Astrologie, tu entendras un discours de planettes, de Spheres, de Geometrie Philon Hebrieu. Astrologie globes, de signes celestes, de cercles, d'Estoilles, d'eccentrices: de concentrices, d'epicicles, de mouvemens, & d'eclypses, avec les allegations d'Hipparque, de [136v] THEA. DES DIVERS Manetus, de Conon, d’Eudoxe, d'Apollonius, de Meson, de Ptolo mée, de Julius Firmicus, d’Albate gno, d’Avenazra, d’Abranzacuto, du Roy d’Alphonse, de Paul Florentin, & d’Augustin Riccius, de maniere qu'il semblera que ceux cy soyent les chefs & maistres parfaits de cete science. Si vous devisez avec eux de Philosophie ils discou rent avec excellence, de la matiere, de la forme, de la privation, du lieu du temps, du vuide, de la nature, du mouvement, de l'infiny, du destin, de l'accident, de la generation, de la corruption, du tout, des parties, de l'ame, du sens, de la fantasie, de l'imagination, de l'intellect, de la memoire, de la volonté, avec Aristote en main, Averroes, Themistius Simplicius, S. Thomas, Scotus, Egidius, Paulus Venetus, Burleus, & Philosophie. une I37 CERVEAUX. ne si grande troupe de Philosophes qu'ils font esbahir tout le monde. Ils sont fort experimentez és cho ses naturelles, bien endoctrinez és morales, sages & tresprudents és divines. Si tu viens à parler avec eux de la medecine, tu oiras discourir de fievres, de douleurs, de caterres, d'apostumes, de fluxions, d'atractions, de dysenteries, d'humeurs mauvaises & cacochimes de plusieurs sortes, à raison desquelles choses, ils sçavent ordonner emplastres, lenitifs, phlebotomies, Medecine. ou seignées, ventouses, incisions, breuvages, cures, cauteres, clisteres, dietes, & medecines presque infinies, recitans à propos les cures d’Hippocrates, d’Hermogenes, de Menecrates, d’Erasistrate, de Galen, d’Avicenne, de Rasis, de Mesue, d’Isaac, d’Albucasis, d''HaS [137v] THEA. DES DIVERS liabas, d'Averroes, de Serapion, & d'autres innombrables: en quoy ils sont esmerveillables, pour leur Theorique & pratique, usans mer veilleusement de la Medecine Pharmaceutique, de l'Empirique, de la Jatraleptique, & de la Clini que. S'il vient à propos de toucher des loix civiles, ils te sçauront alleguer & mettre en avant les Codes, proposer les Digestes, trouver les Infortials, former les proces, faire les instrumens, donner les conseils, ordonner les procurations, declarer les accusations, produire les tesmoins, citer & adjour ner les accusez, defendre les parties, repliquer à l'encontre, opposer aux sentences, appeller au raisonnables sieges, & chercher la raison & le droict où il demeure & habi te tresbien. Ils ont la pratique & ex Loy Civile. I38 CERVEAUX. perience des textes, des tiltres, des paragraphes, des convents, des interpretations, des declarations de Barto le, de Balde, d’Accurse, d’Aretin, de Portius, de Decius, d’Imola, de Bossus, de Maranta, de Socinus, d’Alciat, de Crotus, de Butrigarius d’Aufrennius, & d'une grande troupe & compagnie de tres-excellens Docteurs. Es loix Canoniques, ils sont instruits des Decrets, des De- cretales, du feste, des Clementines, des extravagantes, des Conciles, des Bulles, des Sinodes: ayant estudié l'Abbé, l'Archidiacre, le Panormi tain, Felinus, Albericus de Rosate, Angelus de Peruse, l’Hostiense, Hugues, Calderinus, Oldradus, Paul de Castro, & plusieurs autres Canonistes. Es sommes, ils entendent les Gloses, les tiltres, les traitez, les doubtes, les resolutions Loy Cano nique. [138v] THEA. DES DIVERS de voeus de mariages, de Censures, de peines, de contracts d'usures, de Restitutions, & de mille autres choses, qui appartiennent aux Sommistes, lesquelles leur sont excellemment declarées par Astense, par sainct Antonin, par Rainerius, par Raimondus, par Caietan, par l’Angelique, par Tabiena, par Silvestrine, de l’Armilla, de Navarra, & de plusieurs autres Sommistes, tres-aprouvez & excellens, és cas de conscience. Si tu tiens avec eux propos de Theo logie, tu ois comme ils parlent profondement de l'estre de Dieu, de l'unité, de l'essence, des personnes, de la puissance, de la prescience, de la predestination, de la volonté, de la creation, du liberal arbitre, de la grace, de la foy, de la charité, des Anges, de l'Homme, Theologie. Sommes. I39 CERVEAUX. des dons, des Sacremens, & de tous les autres enseignemens Theologiques, de maniere qu'ils semblent sçavoir autant que S. Augustin, S. Ambroise, S. Hierosme, Gregoire, Basile, Hilaire, Damascene, Irenée, Pierre Lombard, S.Thomas, Scotus, Alexandre d'Ales, Pierre de Tarantaise, Richard de Mediavilla, Hugues de S.Victor, & son disciple Richard, Theologiens tresfameux, & tresornez en toute chose, & de gloire & de splendeur. Si vous par lez à eux, de la Musique, ils sçavent incontinent faire distinction des chants, des sons, de leurs instrumens trouvant Lyres, Luts, Espinettes, Violes, Harpes, Manicordions, Regales, Cornets, Fleutes, Tabourins, Orgues, Cornemuses, Psalterions, Hautbois & plusieurs autres: en racontant, l'excellence des S iij. [139v] THEA. DES DIVERS anciens, d'Apollon, en la harpe, d'Orphee, au jeu de la Lyre, de Telene, à la Flute, d’Hismenias, au Cornet, de Pan, au Chalumeau & siflet, & des sonneurs modernes, de Striggio, & de Bindella au Luth, d’Horace, à la viole, d’André Gabrieli, & du tres-gentil esprit de Claude de Coreggio, aux orgues, outre la science du son, en plusieurs autres instrumens musicaux. J'accompagneray ceux cy du gracieux Vincent Bell'havere, & de Cromatic Colombe. Il n'est pas besoin de nommer les Chantres anciens, Timothee, Simon Magnesius, Senophile, Terpandre, Lesbius, Chrisigone, Nicomacq, ny les modernes, Adrian, Cyprian, Jusquin, Jacquer, Giaques Berchen Orlando Lassus, Joseph Zerlin, Costantius Porta, & infiniz autres tresnobles Musiciens, qui ornent Musique. I40 CERVEAUX. les Courts des Seigneurs, & des Princes, par la douceur, & harmomie de leur chant. Si tu entres en propos, avec eux de la painture, ils monstrent tresbien qu'ils entendent les lignes d’Apelles, la sym- Painture. metrie de Parrhasius, la disposition d’Amphion, les mesures d’Asclepiodore, la proprieté & netteté d’Athennius, l'art de Michel Angiolo, l'esprit de Titian, le jugement de Raphael d'Urbin, l'industrie de Belinus, l'agreable colorer de Luc de Ravenne, l'artificielle diligence de Tintoretus, de Paul Vero nois, de Mutian, de Federic Zucca ro, d'Alexandre Spilimberg & du tresmoderne Palma. Si tu conferes avec eux de l'Architecture & scul pture, ils sçavent ordonner les temples les labirinthes, les piramides, les o belisques, les theatres, les mauS iiij. [140v] THEA. DES DIVERS soles, les palais, les baings, les statues monstrueuses, en recitant Dinocrates, Stesicrates, Theodore, Philon Athenien, Meleagines, Sugila, Hermodore, Vitruve, Leon, Baptiste, & Lucas Durerus tresexcellens architectes: & ainsi Alexandre Victorius à Venise & Jean de Bologne à Florence, tressçavans & singuliers sculpteurs. Si tu parles de Cabale, ils vont distinguant celle de Bresith, de Mercana, celle de Sephiord, à sçavoir praticienne, ils te parleront de celle de Semod, à sçavoir speculative, de la maniere de la supposition, de la maniere, dicte Notariaque, & du moyen que les Cabalistes appellent Ziruf: & alleguant le Rabbin Hamai, le Rabin Salomon, Moyse AEgyptien, Tarphon, le Gerondois, le Picus, le Salernitain, Jules l'Archite cture & sculture. Cabales. I4I CERVEAUX. Camille, & plusieurs autres. S'il est question de l'art de Raimondus, ils sçavent discourir des al- phabets, des figures, des definitions, des reigles, des tables des mixtions, des subjects, des applications, des questions, du moyen d'aprendre, des habitudes, trouvant les premiers principes, Bonté, Grandeur, Durée, Puissance, Sapience, Volonté, Vertu, Verité, & Gloi re, & monstrans entendus en l'art brief, de la grande, de la demonstrative, de la mistique, & de toutes les autres oeuvres & traitez de cest auteur. En somme tu peux noter des cerveaux tres-universels en tout art & science. Mais si tu descens plus bas à deviser avec eux de la Milice, ils te rendent esmerveillé, quand ils viennent à discourir des scadrons, des legions, Art de Raimondus. [141v] THEA. DES DIVERS des compagnies, des armées, des defenses, des manieres d'offenser, des escarmouches, des embuscades des butins, des assauts, des combats des journées des batailles, & des Victoires, nommant l'infanterie, les harquebusiers, les Archers, les chevaux legers, les hommes d'armes, l'avantgarde, les batailles du milieu, l'arriere garde, les munitions, avec une si grande discipline & science de camps, de murailles, de forteresses, de Planures, de Montagnes, de Mers, d'armées par terre, d'armées maritimes, mises en ordre & equipage, de fustes, esquits, de Galeres, de Navires, hurques & autres vaisseaux, avec armes, victuailles, soldats, artilleries feuz artificiels, & beaucoup d'autres particulatitez, de maniere qu'ils semblent eslevez & nourriz La Milice. I42 CERVEAUX. és guerres, tant seulement & au milieu des batailles. Or ils sont en cet endroit mention des Camilles, des Scipions, des Silles, des Mariens, des Flaminiens, des Torquats, des Cesars, des Pompées, d'Alexandre, de Themistocles, d’Epaminondas, de Phocion, d’Agesislée, de Josue, de Saul, de David, de Joab, d’Abner, de Judas Macabée, & d'infiniz autres Capitaines anciens, & vaillans Chefs, faisant en outre mention de tant & si grand nombre de nostre âge, du Roy François, du Roy Henry, de Charles Quint, du Duc Alphonse d'Est, d’Anton de Leva, de don Ferrant Gonzague, de François Maria Duc d’Urbin, d’André de Dorie, de Barbe rousse, d’André Gritti, du Marquis de Vast, de L'autrec de Gaston [142v] THEA. DES DIVERS Foix, Pierre Strozzi, Medichrino, du Duc de Guise, du Duc d’Albe, de Prospere, de Marc Antoine Colonne, Virginius Ursin, & du Prince de Parme, avec une autre trouppe innombrable, avec les defaictes, routes, prinses, sacs, pertes & les conquestes, avec leur gloires & triomphes, qui volent, par les ailes de la Renommée, par tout l'Univers. S'il faut discourir avec eux du navigage & de la Marine, ils te rendent fort attentif, parlans de la pratique & cognois sance des Mers, des Goulfes, plages, des costes, des Rivieres, des Isles, des Vents, du Levant, Ponent, Midy, Septentrion, du Grec, Meridional, Garbin, venant d’Afrique & orageux, & du vent qui souffle du costé du Soleil couchant, dict Corus: des bourraces des tem- Navigage I43 CERVEAUX. pestes, de la maniere de se condui- re, d'aller en avant, de tourner arriere, de donner fonds, de lever les anchres, de guinder, de caler voiles, de demeurer au timon, d'aller à fenestre, d'aller à droicte, au moyen des cordages, qui tiennent de part & d'autre à l'antenne, de voir la carte de naviguer, de l'usage de la Boussole, de la pratique du Nord & du Crusier & finalement de chacune particuliere occurrence en tel mêtier. S'il est question de l'Agriculture, ils te font esbahir, avec Palladius en main, avec Marc Varron, & Virgile auteurs principaux, & avec un de nostre âge, Gallus, faisans mention, des Mariens, des Fabiens, des Lentules, & Pisons, lesquels s'y sont appliquez, & faisans distinction des champs, des vignes, des forests, [142v] THEA. DES DIVERS des fosses, des jardins, des limites, des conduits d'eau, des dommages des amelioremens, des cueillettes, avec une telle pratique & cognois sance de telles choses, qu'ils semblent les premiers laboureurs du monde. Si l'on entre en devis des pasturages, ils ramentoivent incontinent & alleguent les Juniens, les Bubulques, les Statiliens, les Tau res, les Pomponiens, les Vitules, les Viteliens, les Portiens, lesquels s'y sont employez: nommans outre ceux cy, les premiers Pasteurs & bergers de la campagne, Abel, Jahel, Abraham, Jacob, Isaac, Saul, David, Mercure, Admetus, Paris, Anchises, Endimion, Pan, & Prothée, avec les trouppeaux de betail, les cabannes, loges, tentes, le chant, le son, les passetemps, les danses pastoralles, Agriculture. Pasture. I44 CERVEAUX. & bals accompagnez des Satyres, des Faunes, des Nymphes, avec un si grand plaisir & delectation,que par leurs parolles tu viens à com prendre & concevoir en ton esprit, une nouvelle Arcadie. Si tu parles de la chasse, ils viennent à rememorer & mettre en avant, les premiers chasseurs de la terre, Cain, Lameth, Nembroth, Ismael, Esau, Meleagre, Acteon, Acontée, Cephale, Hippolite, avec les premieres chasseresses du monde, Procris, Athalante, Callisto, Britone, Arethuse, Diane, sans oublier les chasses les plus renommées, des lievres, des Cerfs, des chevreux, des sangliers, des loups, des Pantheres, des Ours, des Lions: & la trace, les vestiges, tesnieres, pas, cavernes, & retraites plus Chasse. [144v] THEA. DES DIVERS secrettes & cachées de ces bestes là. Si tu entres en propos de la Pesche, ils trouvent, en un instant, les nasses, les appasts, les hameçons, lignes, les rests, & autres instrumens propres à la pesche, se monstrans experimentez & entenduz, aux riviere, aux fossez, aux lacs, aux estangs & aux mers, & alleguans qu'Octavian Auguste peschoit à la ligne & hameçon seul, & Neron avec le reth d'or, en la compagnie de ses plus familiers & favorits. Si tu veux discou rir de la Marchandise, tu orras incontinent faire mention des principalles foires, d’Anvers de Lion, de Bolzan, de Besançon, de Creme, de Lancian, de Nocere, de Recanati, de Fuligno, avec les traficques, comptes, pactions, conventions, ventes, achapts, estima- Pesche. La marchandise. tions, 145 CERVEAUX. creance, lettres de change, permutations, & tant de sortes de negoces de marchandises, qu'ils rendent esmerveillez ceux qui leur prestent l'aureille. S'il est besoin de parler de la Cuisine mesme, ils parlent excellemment des pasts, avant pasts, apre-pasts, nommant les maistres d'hostel, la varieté des Cuisiniers descrite par Athenée, aux soupers de ses sages, des Amnes, des Cherases, Artisilées, des Deliens, des Sesames : avec les viandes plus prisées & exquises, les paons de Samos, le canard de Frise, le chevreau d’Ambracie, les huistres de Tarante, la Murene Tartessienne, les noix de Thasie, les dattes d’Egipte, les pigeons de Peonie, les poules d’Afrique, les lievres des Isles Baleares, les poissons de Benac, les perdrix de Pa- Cuisine. T [145v] THEA. DES DIVERS phlagonie, les grives de Picenes, les olives de champagne, les figues de Thessalie, les chastaignes d’Aquitaine, les cardons d’Hespagne, les capres d’Alexandrie, avec les sept anciens maistres de cuisine, descrits par Euphron, Agis, Nerée, Chio, Chariades, Lamprilus, Aphthonetus, Eutinus: avec les bons compagnons qui ont esté, Filoxene, Luculle, Aristippe, Artemon, Denis, Epicure, Sardanapale, Heliogabale, Milon de Crotone, qui mangea en un soir trente pains, & Phagon, lequel mangea à la table de l'Empereur Aurelian un sanglier tout entier, cent pains, un mouton, & un pourceau: & beut en apres, en une petite cuve, plus que n'eust englouty & avallé une balaine. Or ceux sont, de ces Euphron. Exemple des friands & gourmands. grands cerveaux & entedemens qui 146 CERVEAUX. parlent de toute chose, & à l'improuveu, avec les histoires, les Poetes, les Philosophes, & la cognoissance des arts & des sciences, ils font esmerveiller le vulgaire, & estonnent aussi les sçavans & entenduz, Ceux cy se monstrent d'une apparence tant grande, que l'on diroit qu'ils ont veu, & environné tout le monde. Si tu parles de la terre, ils discourent incontinent des trois parties d'icelle, trouvans l’Asie, l’Afrique & l’Europe: les Zones ou cercles, les Poles, les climats, les paralleles, les assietes, les regions, les provinces, les villes, les chasteaux, les terres, les villages, les palais, les maisons, les places, les rues, les temples, les valées, les planures, les montagnes, les grottes, les cavernes, les fontaines, Terre. T ij [146v] THEA. DES DIVERS les rivieres, les lacs, les estangs, les paluds, les marests, les canaux & conduits d'eau, les animaux, les serpens, les bestes sauvages, les plantes, les herbes, les jardins, les campagnes, les fleurs & les fruicts d'icelles. Si tu parles de l'eau, ils discourent incontinent de toutes les mers, de l’Adriatique, de la Tirrene, de l'Ocean, de la mer rouge, de la mer morte, de la mer Aegée, de la mer de Nicarie, de la mer de la Chine, de la mer des Za buques, de l’Archipelage, ou grade mer, de l’Euxine & de tant d'autres, que c'est chose merveilleuse: & trouvent incontinent toutes les Isles maritimes, celles de Bretai- l'eau. Isles mari times. gne, à sçavoir l’Angleterre, l'Escosse, Irlande, les isles Ebudes, les Orcades, & Tile, qui s'appelle autrement l'Isle perdue, apres la Se147 CERVEAUX. landie, la Novergie, la Suetie, les Baleariques, les Fortunées, les Sti cades, les Greques, Lisle Curzole, Crete, Corcire, Dele, Gnide, les Italiques, Sicile, Sardaigne, Procide, Procite, Isquie, Palmarie, les infor tunees, Diomedeiennes, subjettes à tant de modernes butins & voleries: & en cet endroit ils discourent & parlent des plages & quartiers de la mer, des ports, des rivieres, des destroicts, des goulphes, des escueils, des poissons, des navires, des galeres, des marsilianes, de brigantins, d'esquifs, fustes, barques, hurques & autres infiniz vaisseaux. S'il faut parler de l'air, ils discourent d'une multitude infinie d'oiseaux, aigles, faucons, Espreviers, rossignols, vautours, corneilles, cignes, corbeaux, colombes, merles, & pelicans: nom- l'air. T iij [147v] THEA. DES DIVERS mant les vents, les tonnerres, les éclairs, les foudres, les esclats, les nues, les pluyes, les tempestes, les neiges, les rosees, les bruines, les nuages, les cometes, les lances ardantes, les estoilles tombantes, les dragons jettant feu, les serpens d'or, & mille autres Miraculeuses impressions. Si tu parles du feu, ils scavent dire, qu'il est mobile de soy, qu'il a la vertu de changer, la vigueur d'innover, qu'il est gardian de la nature, qu'il est de soymesme communicable, qu'il a la pro- Le feu. prieté de purger, & nettoyer, & qu'il est pourveu d'une force & valeur quasi infinie & sans mesure. Si tu viens à parler du Ciel, ils trouvent incontinent la Lune, & l'appellent l'honneur de la nuict, mere de la rosée, mini- Ciel. 148 CERVEAUX. stre & servante de l'humeur, maistresse & dominante sur la mer, mesure du temps, emulatrice du Soleil, & changeant l'air. Delà ils vont à Mercure, & l'appellent planete temperée, nocturne, ores masculin, ores feminin: ores bon, ores mauvais, ores stationnaire, ores retrogradant, ores visible, ores caché. Apres, ils vont à Venus, à laquelle, ils donnent vertu & puissance sur les chants, sur les allegresses, sur les amours, sur les delices, & sur les plaisirs. Delà, ils vont au Soleil, & disent la dignité, la puissance, & la multitude de ses effects, la lumiere, clarté, la mesme forme du mou¬vement d'iceluy, en l'appellant l'oeil du monde, la gaieté du jour, Mercure. Venus. Soleil. Lune. T iiij [148v] THEA. DES DIVERS la vertu des choses naissantes, le principe de la lumiere, le Roy de la nature, la splendeur de l' Olimpe, le gouverneur du monde, la perfection des estoilles, le moderateur & guide du firmament, & seigneur general de toutes les planetes. Ils trouvent Mars & discourent de l'ire, de la promptitude, de la fureur, de la fausseté, des ruses & tromperies que Ptolomée luy attribue, renouvellant en noz esprits & memoires, la hardiesse Mars. Ptolomée l'appetit genereux, le desir de vengeance, les esprits de guerre, qu'il excite naturellement & allume en noz coeurs. Parlans de Jupiter, ils racontent les felicitez les allegresses, & les plaisirs & gaietez que la gracieuse planette apporte à tous selon l'advis de Martian: &; comme il reprime la malice de Jupiter. 149 CERVEAUX. Saturne Saturne, auquel il est conjoinct, par sa nature plaisante & benigne. Quand ils parlent du meschant Saturne, ils racontent les envies, les detractions, les mesdisances, paresse, & meschancetés qui naissent de luy: & estonnent le monde, par les nouveaux & non ouiz méfaicts, qui tirent leur origine de la tres-mauvaise & malicieuse disposition d'une tant meschante & pernicieuse planete. S'ils parlent du firmament, tu entens incontinent nommer la voye lactée,le Zodiac, les signes celestes, le Mou ton, le Taureau, les Gemeaux, l'Escrevice, le Lion, la Vierge, la Balance, le Scorpion, le Sagitaire, le Capricorne, le Verse-eau, & les poissons. Les estoilles fixes, à sçavoir les Septentrionalles, l'Ourse grande, l'Ourse moindre, le Firmament Signe ce- lestes. Martian Estoilles fixes. [149v] THEA. DES DIVERS Dragon, Cephée, Cassiopée, la couronne d’Ariadne, Hercules, le Vautour tombant, les Pleiades, le char, Persée sur l’Hippogrife, le serpent, l'aigle, le daulphin, les deux chevaux, Peubolie, le Triangle, & les Meridionaux, à scavoir l’Orion, la Baleine, le lievre, le grand chien, la canicule, ou chien moindre, la navire Argos, l'autel, la couppe vuide, le Cor- beau, le Centaure, l'Encensoir, l'Hidre, le poisson Austral, la couronne ou guirlande australe, & autres infinies qui ne se peuvent nommer: finalement, ils viennent à parler & discourir des Hierarchies celestes, & de Dieu mesmes, avec une si grande profondité de doctrine, qu'ils semblent, en une fraisle despouil150 CERVEAUX. le corporelle, esprits tres-sublimes, & divins. O cerveaux & entendemens vraiment dignes, de ce nom honorable, & sur tout autre magnifique & excellent. Je vous laisse donc, pource que vostre merite est plus grand que ma louange: vostre gloire plus puissante que ma langue, vostre valeur de plus grande efficace que ma plume. Partons donc aux grands cerveaux & entendemens, que nous appellons en general sages & graves. DES GRANDS CERveaux & entendemens sages & graves DISCOURS XXXVI. LEs cerveaux & entendemens sages & graves sont proprement ceux, lesquels par la lumiere de leur sagesse, ou [150v] THEA. DES DIVERS soit humaine, ou soit divine, ont acquis à l'endroit du monde, credit, reputation & reverence tout ensemble: se monstrans plus que les hommes vulgaires, & se descouvrans à l'endroict des peuples, pour personnes miraculeuses & quasi divines. Et tels personnages estoyent appellez des Perses, Mages, les Latins, Sapientes, des Grecs, Philosophes, des Indiens, Gymnosophistes, des Egyptiens, Prestres, des Cabalistes, Prophetes, des Babiloniens, Assiriens & Caldeens, Druides, Bardes, & Semnotées. C'est pourquoy anciennement les Perses ont tant honoré leur Zoroastre, les Gimno sophistes, Tespion, les Egyptiens Hermes, les Babyloniens, Buda, les Hiperboleens Abbares, & les Thraces, Zamolsis. Qui est celuy 15I CERVEAUX. qui ne scait combien les Atheniens estimoyent le simulacre, ou l'image de Pallas armée, laquelle ils disoient née du chef de Jupiter seulement pource qu'ils la tenoyent pour la Deesse de Sapience? Qui ne sçait la grande estime que les Arcadiens faisoient de leur Dieu Demogorgon, pour ce qu'ils le tenoient au rang d'un Dieu tressage? Qui est-ce qui ignore l'honneur & reverence que les Delphiens portoyent à l'Oracle d’Apollon, seulement pour l'opinion qu'ils avoyent que la divine sagesse reluisoit en luy? Qu'elle estoit l'occasion pour laquelle les Aegyptiens adoroyent Apis, sinon cete cy? Pourquoy Annicetus Cirenée, desboursa une grande somme de deniers, pour racheter Platon, faict ssclave, sinon pour ce seul Plusieurs louez pour sages. [151v] THEA. DES DIVERS regard de la sapience d'iceluy? Pourquoy Marc Antoine Romain dressa il une statue, au Philosophe Phronton, sinon à cause de sa sagesse? Pourquoy les Atheniens dresserent & esleverent Sages, Pla ton Phron ton. trois cens soixante statues à Demetrius Phalereen, sinon pour ce regard mesme? Pourquoy Alcibiades faisoit il tous les jours, de tres beaux presens à Socrates, sinon pour cet cause susdicte? La Sapience fut celle, qui incita Monime Corinthien de se retirer de son maistre, & faire du fol & insensé, pour s'accoster de Diogenes. La sapience est celle qui poussa Pythagoras à aller trouver les Mages de Perse, pour apprendre d'iceux, la vraye Magie. La sapience est celle qui persuada Euclides de laisser Megare, & aller Demetrie phalerée. 152 CERVEAUX. en habit dissimulé, à Athenes, vil le ennemie, pour ouir seulement, la sagesse de Socrates. La sapience est celle, qui des derniers confins de la terre, attira la grande Roine Orientale, pour ouir le tressage Salomon. Minos. Solon. Licurge. Les Cretois ont loué leur Minos, à cause de cete sapience seulement. Les Lacedemoniens ont faict grand cas de Licurge, seulement à l'occasion d'icelle. Les Athe niens reveroyent Solon, seulement pour icelle. Les Romains adoroyent Numa Romule. Bele. Orphée. Pompilius, pour cete seule cause. Linus & Musée ont esté exaltez & celebrez de la Grece pour hommes tres-sages: Orphée, en Thrace, reveré pour tel: Bele honoré entre les Chaldeens, pour un homme prouveu de sagesse: & Romule adoré par les Romains, à cete seule occasion Socrates. Solomon Euclide Linus & Musée. [152v] THEA. DES DIVERS de sagesse. O qu'il se trouve d'excellens & dignes auteurs, lesquels, ont espandu & divulgué les bel- Diogenes. Mages de Perse. Numa Pom pilius. les & honorables louanges, de cete sapience qui regne & loge aux grands cerveaux & entendemens humains. Un Aristote, en sa Phisique, qui l'appelle la derniere perfection de l'homme, un Orphée, l'a appellé le feu Ethereen du monde: un Homere l'a appellée Pallas divine: un Virgile l'a entendue par la Sibille qui servit de guide & deffense à Aenee pour avoir le rameau d'or: un Dante l'a signifiée par Beatrix qui le gnida de sphere en sphere, jusques au dernier ciel. Avec combien de hauts secrets, est figurée la premiere sapience, en l'escritute saincte? Elle est premierement signifiée au livre de la vie, où Sainct Augu- 153 CERVEAUX. S. Augustin sur les Pseaumes. S. Augustin dit, sur ce vers du Pseaume: Deleantur de libro viventium. Soient effacez du livre des vivans, que, Liber vitae est notitia Dei . Le livre de vie, est la cognoissance de Dieu: chose conforme à ce passage de S. Paul, Prudentia Sipritus est vita & pax. La prudence de l'esprit est la vie & la paix. Ceste cy est denotée, au fleuve d'eau vive, duquel Jesus-Christ parle en S. Jean, disant. Qui crediderit in me, flumina de ventre ejus fluent aquae vivae. Les rivieres d'eau vive couleront du ventre de celuy qui croira en moy. Ceste cy est entendue, au celier du Cantique, aux mamelles odoriferantes, & de souesve odeur de l'Es pouse: au mortier des tresdouces Cabalidrogues d'icelle mesme. Ceste cy stes. est la roue d’Ezechiel: La vraye Cochmach des Cabalistes: la S. Paul. Evangile. Cantiques. Ezechiel. V [153v] THEA. DES DIVERS precieuse fontaine des delices. Qui n'aimera la sapience? qui ne la louera? qui n'embrassera une tant chere & agreable mere: ouy ce qu'elle dit d'elle mes mes aux Proverbes: Beatus vir, qui audit me, & qui vigilat ad fores meas, quotidie: qui me invenerit, inveniet vitam & hauriet, salutem à Domino. Heureux celuy qui m'oit, & qui veille tous les jours à mon huis: celuy qui me trouvera, trouvera la vie, & puisera le salut de Dieu. Entens, comme, elle nous appelle clairement, en disant, Audi fili mi, & esto sapiens, & dirige in via animum tuum: audi patrem tuum, qui genuit te, & ne contemnas cum senverit mater tua. Entens mon fils, & sois sage, dresse ton Proverbe de Salomon 154 CERVEAUX. esprit en la voye, preste l'aureille à ton pere, qui t'a engendré & ne contemnes ta mere, quand elle sera envieillie. On ne sçauroit dire ou narrer combien ceste sapience est honorée, prisée & digne. Le Prophete Sainct luy a donné pour ceste cause le nom de Roine tresluisante, disant en un Pseaume. Astitit Regina à dextris tuis in vestitu de aurato, circumdata varietate. La Roine a assisté à ta dextre, en habit doré, enironnée de diversité. Elle est la Royne, qui gouverne tout le Royaume de l'ame, l'intellect, le jugement, les pensées, & la memoire. Elle gouverne l'intel lect, pource qu'elle ne veut, qu'il s'amuse à entendre les choses peu David Prophete. V ij [154v] THEA. DES DIVERS utiles, ou celles qui sont trop difficiles, suivant ce conseil. Altiora te ne quae fieris. Ne cherches les choses plus hautes que toy. Et suivant ceste sentence, In supervacius rebus, noli scrutari multipliciter. Es choses superflues & vaines, ne recherches ou sondes, en diverses manieres. Elle gouverne le jugement, pource qu'elle ne permet que la raison. Juge ce qui n'est licite. Et pour ceste cause, il est escrit en l'Evangile. Nolite judicare. Ne jugez. Elle gouverne aussi les pensées, voulant que non seulement les dommageables mais aussi les ocieuses soient eslongnées de la partie raisonnable, suivant ce que dit Esa. Auferte malum cognitationum vestrarum. Ostez le mal de voz pensées. Elle gouverne finalement la memoire, ne permettant qu'en ses Salomon. Evangile. Esaie 155 CERVEAUX. thresors & cabinets se gardent & conservent autres que les choses sainctes, religieuses, profitables, & honnestes. Le Poete Juvenal l'a de painte une chose divine, en ces vers, Nullum numen abest, si fit prudentia: sed te Nos facimus, fortuna, Deam, Caelóque locamus. C'est à dire, Toute deité se trouve là où la prudence, mais, ô fortune, nous te faisons Deesse, & le logeons au ciel. Ovide, en ses Me tamorphoses, a descrit le tribunal Achée avoir honoré Ulisse des armes d’Achille, plustost qu’Ajax, à cause de la prudence & singuliere sagesse d'iceluy. Nestor est loué & celebré par Homere pour l'un des tres-principaux Heroz du camp Grec, seulement à Juvenal. Ovide. V iij. [155v] THEA. DES DIVERS cause de la tresgrande sapience, qui logeoit au coeur du signalé Chef. Les Poëtes anciens ont fainct, que Promethée ha par sa verge, ravy le feu du ciel, seulement pource qu’il estoit homme tres-prudent, & remply de toute gravité & sagesse, par laquelle il s’acquit le renom d’estre monté à l’element du feu, & l’avoir de là enlevé & emporté, avec la verge. Ils ont fainct eux mesmes aussi, Fiction poetique de Promethée. que le vieil Atlas a soustenu & supporté l’Olimpe de ses espaules, pource qu’il estoit homme doué de tres grande sagesse, par laquelle l’on soustient facilement toute pesante charge & gouvernement. C’est pourquoy le tres-noble Chevalier Pomponius Spreti, gentil’homme de Ravenne, louant le tres-illustre Cardinal d’Urbin, Fiction d'Athlas. Pomponius Spreti. 156 CERVEAUX. & le tres-reverend General des Car mes Jean Baptiste Rossi Ravennois, de singuliere sagesse les a avec jugement parangonnez à Atlas, en ses vers. Reste donc que les grands Cerveaux sages & graves passent à l'endroit du monde, avec toute sorte de gloire, honneur & reputation. Or transportons nous de ce pas, aux derniers Cerveaux & grands entendemens, qui sont communement appellez de tous, Cabalistiques. DES CERVEAUX ET grands entendemens Cabalistiques. DISCOURS XXXVII. LEs grands Cerveaux Cabalistiques sont ceux là proprement, qui font profession d'une certaine science eminente, cogneuë à peu, & laquelle non V iiij [156v] THEA. DES DIVERS seulement demeure incogneuë à l'endroit du vulgaire, mais aussi se trouve manifeste en peu de sages: rendant esmerveillez les idiots, par les nouveautez, non jamais en tendues & plaisir aux suffisans, par les voiles des mysteres & secrets qu'ils leur declarent aucunefois, lesquels ils appellent Cabale en Hebrieu, qui ne signifie autre chose que revelation à l'endroit de nous: & communement ils se prennent, pour les grands cer veaux lesquels retiennent une cer taine proprieté de prononcer quasi tousjours choses hautes & obscures & voilées, en la maniere que l'on tient les secrets & mysteres de tres grande importance. Ceux cy enseignent d'estre secrets, par l'authorité de Mercure Trismegiste, lequel souloit dire estre à fai- Mercure Trismegiste. 157 CERVEAUX. te à un entendement irreligieux, de publier legerement & pour peu de cas, les devis pleins de majesté & de deité: & mesmes par l'autho rité de Denis Areopagite, lequel enseignant Timothée, dist: O Timothee divinus, in divina doctrina factus, secreto animi, quae sancta sunt, circumtegens ex immuda multitudine tanquam uniformia haec custodi. O Timothée devenu divin en la doctrine divine, garde au secret de l'esprit comme uniformes, ces Denis A reopagite. choses, qui sont sainctes, les tenans à couvert à l'entour de l'immonde multitude: Par celle de Gregoire Nazianne qui dit que nous devons philosopher & parler de Dieu, quand il est besoin, en la ma niere qu'il faut tant qu'il faut, & à qui il faut mettant en escrit ce que Dieu permet, estre revelé & reser[157v] THEA. DES DIVERS vant entre les sages, ce qui se doit communiquer seulement de paro le. Il me souvient que Lisides Pythagorique escrivant à Hiparque, enseigne que c'est une chose pie de tenir cachez les mysteres de la vraye Philosophie, qui tiennent du divin, & non les rendre communs à ceux, qui n'ont l'esprit purifié, pource qu'un oeil chassieux & immonde (comme le dit Hierocles) ne peut voir les choses trop luisantes & claires. Davantage l'Apostre S. Paul crioit aux HePaul Abrieux, n'estans encore les Sacrepostre. mens de Jesus Christ cogneuz: Nous avons une parole grande, & qui ne se peut interpreter, pour dire, pource que vous estes faicts imbeciles à ouir: & au lieu que vous devriez estre maistre vous avez besoin d'estre enseignez quels sont les elemens de l'exorde Lisides Pythogorique. Hierocles. Gregoire Nazianzent. Evangile. 158 CERVEAUX. des paroles de Dieu. Nostre Seigneur, à propos de tout cecy, dit aussi, que les choses sainctes, ne se doivent pas donner aux chiens. J'ay souvenance d'avoir leu, en confirmation de cela mesme, que Plotin & Origene (comme Porphyre escrit au livre de la nourriture & doctrine de Plotin) jurerent à leur maistre Ammonius, & donnerent la foy, qu'ils tien droient secrette l'importante doctrine, qu'ils avoient aprinse de luy. The- Porphire escrit de Plotin & Origene. mistius raconte pareillement, qu’Aristote a mits hors ses livres de la Phi losophie naturelle, pensant que person ne ne les peut entendre, sans l'interpretation de luymesme. On lit finalement qu’Ezechiel & Jean l'Evangeliste, cacherent souz mille clefs du secret, les mysteres & visions qu'ils eurent en divers temps de nostre Seigneur. Quand donc un grand cerveau [158v] THEA. DES DIVERS & entendement Cabaliste te veut dire quelque chose, ne penses pas qu'il te vueille dire chose frivole, chose vulgaire & chose commune: mais un mystere, & pour ceste cause, il veut que tu le tiennes pour tel & que tu ne penses de luy, sinon choses grandes & hors opinion du vulgaire. Il te desplie & monstre en un instant souz noms voilez, la Cabale de Bresith, laquelle s'appelle aussi Cosmologie, & ne declare autre chose que les forces des choses crées & naturelles & celestes & expose par raisons Philosophiques, les mysteres de la loy & de la bible, laquelle n'est aucunement differente de la magie naturelle, en laquelle Salomon se monstra tant excellent, qu'il disputa du cedre, du Liban, jusques à l 'Hisope: & des bestes aussi, des ThemiExemple stius. d'Ezchiel & de Jean l'Evangeliste. 159 CERVEAUX. oiseaux, des plus petis animaux, monstrant les forces de la naturelle sapience inserée en luy. Ainsi il t'expose celle de Mercane, qui n'est autre chose, qu'une Theologie symbolique, des plus hautes & sublimes contemplations, que l'on puisse avoir, touchant les divines & angeliques vertuz, & touchant les sacrez noms & signes, trouvant de tresprofonds mysteres és let- tres, és nombres, és figures, és choses, és lignes, aux poincts, aux accents, principallement en la langue Hebraique, laquelle, comme dit S. Hierosme, est en ces choses, toute pleine de mysteres: & en cela t'est depaint un cerveau vraiment Cabaliste. Il te divise incontinent, suivant Picus, la Cabale symbolique en la praticienne & actuelle, appellée Sephirod, & en la specu[159v] THEA. DES DIVERS lative, appellée Semod, ou bien par une autre division (suivant Joseph Salernitain) en celle qui considere le nombre, en celle qui considere le poids, & en celle qui considere la figure. Ou bien és cinq parties establies par Rabbin Hamai, Droicture, Combination, Oraison, sentence & supputation. Il te revele par cest art, les Hierogly phiques secrets de Aegyptiens, qui sont de marques & de figures d'animaux, trouvez (comme dit Cor nelius Tacitus,) afin que les choses sainctes & venerables ne soient profanées par l'intelligence vulgaire, & que la voye Deifique & Anagogique, laquelle Jamblic affirme & certifie, aux mysteres, avoir esté trouvée par Mercure avec ceux cy, aux instructions divine, ne demeure ouverte & Joseph Sa lernitain. Hamai Rabbin. S. Hierosme. Cornelius Tacitus. Jean Picus. Jamblic. 160 CERVEAUX. manifeste à tous. Parquoy, par la painture de l'oeil, il t'explique ra la divinité, pource que l'oeil, comme Cyrillus nous enseigne, au neufiesme livre de l’Apologie contre Julian l'Apostat, est le symbole de la nature divine: par la pain ture de la verge, la sapience: & pour cete cause la verge a esté attribuée par Homere à Pallas: par la paintu Cyrillus. re du serpent, l'esprit humain, symbolisant avec la prudence du serpent: & pour cete cause nostre Seigneur a dict, Estote prudentes sicut serpentes. Soyez prudents, comme serpens. Par ce moyen, il te revele tout ce que sur les Hieroglyphiques ont anciennement escrit Cheremon, Hotus Apollon Heraiscus, & nouvellement Pierius. Par cet art, il te revele les noms de l'Orphique Theologie, tressecrete en elle mesme: sous le nom de Pan, [160v] THEA. DES DIVERS cest univers: souz le nom du Soleil, l'entendement humain: sous le nom de la nuict, Dieu le Pere, souz le nom du Ciel, le fils engendré: souz le nom d’Aether amoureux, ou de l'air, ou de l'element du feu, le Sainct Esprit. Par ce moyen, il te revele les sentences, les nombres, & les symboles Pythagoriques: les sentences, comme cecy, que c'est une chose bien aisée à l'enfant bien nay, de devenir bon. Les nombres: par l'unité desployant l'unique es sence divine: par le dix, la perfection de l'univers: par l'infiny, le mes me Dieu. Les symboles: comme, laisse les voyes populaires & chemine par les sentiers non frequentez: entendant la voye des sens, qui se doit fuir, & celle de l'entendement que l'on doit suivre. N'ou trepasse la balance, nous ensei- Homere. gnant 16I CERVEAUX. gnant la Justice. Ne couppes en la voye, nous enseignant de cheminer hastivement, au chemin de l'ascension de l'esprit, & de la contemplation, sans s'amuser & tarder ocieusement. Par ceste Cabale donc les grands cerveaux Cabali- stiques se descouvrent eux mesmes pour magnifiques, & hauts, & sou slevent les autres à la consideration des mysteres sacrez, qui appartiennent à la vraye contemplation de l'entendement humain: & pour ceste cause, ils sont dignes de grande louange, & gloire, à l'endroit d'un chacun. DE CEUX QUI SONT du tout sans cervelle, lourdauts & incivils. DISCOURS XXXVII. X [161v] THEA. DES DIVERS PUis que nous avons assez long temps parlé de toutes les especes de grands cerveaux, il faut qu'en fin, nous discourions un peu touchant toutes les especes de ceux qui sont du tout sans cervel le, appellez Cervellazi, lesquels tiennent le dernier lieu, en nostre Theatre. Et premierement s'offrent à nostre veuë, ceux de ceste maniere, lourdauts & incivils, qui sont ceux là, lesquels ne retiennent en eux, la convenable grace, & deües manieres à parler & converser, comme ils devroient les demonstrer: mais plustost ils se descouvrent tant incivils, & tant mal nés & nourris, que le monde les estime, & leur donne à juste cause, le nom d'entierement ecervellez ou sans cervelle lourds & incivils, & d'esprits 162 CERVEAUX. proprement viles & rustiques. Leur mauvaise grace, nourriture, voire mesmes, leur vilenie & rusticité se manifeste à toutes heures, car en parolles, ils ne sont autre chose, que vice, en oeuvre, & faict, rien autre chose, que deshonnesteté. Le Courtisan appelleroit ceux cy, insupportables, pource que les personnes d'honneur, ne les peuvent supporter en la maniere qu'ils se demonstrent. Ils sont sales & ords au deviser, tresvains, à rire: incivils au regard, fascheux à pratiquer, & mettre quelque chose en effect, & tant emvieux & à contrecoeur, en leur conversation, que rien plus, Boca ce parlant d'un de ceux cy a dict, Le mal morigené Juge Marchian : c'est à dire privé de grace, & de contenances. Et le divin X ij [162v] THEA. DES DIVERS Arioste a attribué un coeur ainsi lourd & rustique à Rodomont, quand il l'a faict comparoir devant Charles & ses guerriers, pour desfier Roger à la bataille, là où il dit. Senza smontar, senza chinar la testa, E senza segno alcun di reverenza: Mostra Carlo sprezzar con la sua gesta. C'est à dire, sans mettre pied à ter re, sans baisser le chef, & sans aucun signe de reverence, il monstre, par sa contenance, & geste, qu'il a Charles en mespris &c. Ceste mauvaise grace est à juste cause, blasmée & reprinse de tous: & pour ceste occasion Petrarque voulant retrancher de Madame Laure, de grace tres-gentile, ceste vicieuse action, luy attribua des façons & manieres toutes civiles, Bocace. Aristote. 163 CERVEAUX. principallement au deviser, disant en une chanson. Il pensar, e'l tacer: il riso, e'l gioco: L'habito honesto, e'l ragionar cortese: Le parole, chi' intese Haurian fatto gentil d'alma Villana. C'est à dire, le penser & le traire: le ris & le jeu, l'accoustrement hon neste, & le parler courtois, les paroles entendues, eussent faict de rustique & abestie, l'ame gentile. Et en ceste maniere Jacques Bonfadie, celebra en un sien Madrigal, sa dame, pour civile & courtoise, disant, Senno, gratia, valor, & cortesia, Vaghi &c. Or laissant à part ces esprits sans cervelle, incivils, allons trouver ces ignorans, & demonstrons au monde leurs demerites, comme nous Petrarque. X iij [163v] THEA. DES DIVERS avons faict de plusieurs qui ont precedé. DES IGNORANS SANS cervelle. DISCOURS XXXVIII. J'Appelle du terme & vocable d'ignorans, non seu lement ceux lesquels ont faute de lettres, & qui sont privez des sciences & disciplines: mais beaucoup plus ceux, qui n'ont volonté ny desir d'aprendre aucune chose bonne. Les sages reprennent l'Empereur Valentinian, de ce qu'il estoit embrasé d'une haine immortelle à l'encontre des hommes lettrez: & pareillement l'Empereur Licinius, qui fut tant enne my des lettres, qu'il les appelloit l'Empereur Valentinian haissoit les lettrez. Licinius Empereur une poison, & une peste publique, combien que Baptiste Egnatius rende une bonne raison de sa 164 CERVEAUX. haine, disant, qu'il en estoit tant privé & exempt, qu'il ne pouvoit souscrire ses edits & ordonnances. Les Atheniens se demonstrerent ignorans à l'heure, qu'ils Domitian Antioignorant. chus Roy ignorant. pourchasserent la mort tant injuste de Socrates pere de la Philosophie. Les Romains, au cas pareil, quand ils envoyerent en exil tous les Philosophes, & les chasserent de Rome: & encores plus les Messaniens & Lacedemoniens, lesquels ne les admicent ou receurent onques. Domitian aussi est reprins pour tel, lequel les banit d'Italie : & beaucoup plus le Roy Antiochus, lequel fit une expresse deffense & inhibition d'apprendre la Philosophie. O miserables! ô insenses! qu'elle chose doit on aprendre? l'ignorance? quel bien peut demourer en la compagnie Messanians & Lacedemo niens igno rans. Les Athe niens com me ignorans. Romains ignorans. X iiij [164v] THEA. DES DIVERS d'icelle? Aristote a il pas escrit au troisiesme de l’Ethique ou Morales que, Omnis ignorans malus. Tout homme ignorant est mauvais? Pla ton escrit il pas au neufiesme de sa Republique,que l'ignorance est une vacuité & privation de toutes les bonnes habitudes & vertuz? quelle est la vraye enfance entendue par Zoroastre, sinon l'ignorance? qu'elle est la cause de tous les maux, la ruine de tous les biens, Aristote. Platon. sinon ceste aveugle & dis graciée ignorance du monde? à quoy est elle bonne, sinon à exalter soymesme, abaisser la vraye vertu, priver les lettrez, des offices, retrancher à ceux là qui en sont dignes, le chemin des honneurs, faire statuts & ordonnances contre les loix divines & humaines, changer les loix vieilles & anciennes, trouver 165 CERVEAUX. nouvelles inventions, dissiper du tout les Sainctes reigles, & ne commander autre chose que les caprices & fantasies? l'ignorant n'a pas les yeux pour voir le bien, il n'a les aureilles, pour ouir le juste: il n'a pas les mains, pour faire ce qui est honneste & vertueux, il n'a pas l'entendement pour comprendre: il n'a pas le jugement pour discourir: il n'a esprit qui vaille rien. Quelles sont communement les louanges d'un ignorant? se seoir avec incivilité au dessus des sçavans & doctes: s'estimer non seulement autant, mais plus qu'eux: estre bienaise qu'un homme de lettres luy fasse reverence, s'eslever & enorgueillir, d'une faveur tres debile de fortune, avoir en horreur la compagnie des vertueux, se retirer avec ses sembla[165v] THEA. DES DIVERS bles & egaux, murmurer tout le jour, avec eux, à tort, des hommes studieux & rire de leurs oeuvres tres-utiles & moquer de leurs ver tueuses estudes, avilir les vertuz le plus qu'il peut, prendre son plaisir & passetemps de leur humilité: se glorifier des propres felicitez: jouir de la possession qu'il retient, d'une bourse pleine, & triompher avec l'alegresse d'une grasse cuisi- ne. Voila les louanges, les prix, les honneurs, & les trophées de l'ignorance. Quelle chose est l'ignorant, sinon un paon d'arrogance, un oiseau, d'entendement, une pecore, de jugement, un cocu, de raison & discours, & un chathuant ou Hibou de sens & sçavoir, & un vray asne, (selon Pythagoras) de science & de cognoissance? Voire mesmes l'on peut 166 CERVEAUX. bien prouver par plusieurs raisons, qu'un asne est plus qu'un ignorant, premierement pource que l'on trouve des asnes, lesquels ont tresbien parlé, & raisonnablement, comme l'asnesse de Balaam, & l'ignorant ne peut former une parole, ne peut exprimer une conception, & à peine sçait ouvrir la bouche, & s'il parle, ou devise, il le fait sans jugement & sans raison. L'asne de Marius fut une guide tresloyale & asseurée à iceluy, quand il fuit des mains furieuses de Silla: & l'ignorant a besoin de guide en toutes ses actions: pource qu'il est aveuglé de l'en tendement & du jugement. Pour cete cause Platon appelloit aveugle l'a me de l'ignorant. L'asne, és sacrifices du vieil testament, & pouvoit changer à une brebis, afin Exemple de l'asnes se de Balaam. l'Asne de Marius. Pythagoras. Platon. [166v] THEA. DES DIVERS qu'il ne fust occis: & si ceste disgrace advenoit à l'ignorant, il ne pourroit trouver ce change, pource qu'il est aussi bien une pecore qu'un asne. Une maschoire d'Asne fut bonne & propre à tuer, un si grand nombre de Philistins: & un ignorant n'est bon, sinon à estre occis luymesme, estant une beste, gouvernée seulement par le La maschoire d'as ne que Sa son mit en oeuvre. sens, comme a dict Hermes. Un asne a esté auditeur de la sapience d’Ammonius Alexandrin, & l'ignorant fuit, là ou les doctes parlent de Sapience & de vertuz. Et ne se faut pas esmerveiller (a dict Pythagoras) de ce que le Pourceau, se couche & veautre plus volontiers en la fange. & bourbier, qu'entre les herbes & fleurs. En somme, la sottise, & brutalité est seulement là où se trou- Asne auditeur d'Ammonius. Hermes. 167 CERVEAUX. ve l'ignorance. Or passons aux depourveuz de cervelle, de la troisiesme espece, appellez communement doubles & malicieux. DES DEPOURVEUZ de cervelle, doubles & malicieux DISCOURS XXXIX. LEs depourveuz de cervelle, doubles & malicieux sont ceux, qui ne marchent rondement, en leurs pensées, parolles & actions, mais seulement employent une certaine malice couverte, souventesfois entendue & comprinse des hommes d'esprit, & cogneuë à leur profit & utilité: de laquelle a entendu parler Hieremie, quand il dit, Lava à malitia cor tuum, ut munda fias. Lave & purge ton Pithagoras. Hieremie [167v] THEA. DES DIVERS coeur de la malice, afin que tu sois nette. Sainct Augustin descrivant ceste cy a dict, Malitia est, cum moribus deceptoriis, veritate palliata, proprium commodum, vel alterius incommodum attenditur. C'est une ma S. Aug. lice, quand au moyen des moeurs cauteleuses, par une verité pasliée, l'on s'applique au propre & particulier proffit, ou au detriment d'autruy. Ceux cy sont proprement des serpens (dit Isidore) appellez Amphisibenes, ayans deux testes, l'une en son propre lieu, & l'autre en la queuë, pour ce qu'ils ont deux intentions:l'une de faindre au commancement, l'autre de te tromper à la fin. A cete cause est escrit de ceux cy au livre des Rois. Reddet Dominus malitiam tuam super caput tuum. 168 CERVEAUX. Le Seigneur rendra ta malice sur ton chef. Le serpent Ceraste est de si grande malice (escrivent les Physiciens) qu'il cache son corps de forme de serpent, & descouvre seulement ses cornes, qui semblent d'un belier, afin de prendre les animaux à despourveu, & les devorer: l'Iragne tend sa toile tres-deliée, pour y surprendre la mouche. La Sirene ou Sereine chante, pour tromper & abuser les peu accorts mariniers. L'hiene faint la voix humaine, pour se repaistre, à souhait, du sang de l'homme. Ceux cy faignent pareillement, au dommage seulement & prejudice d'autruy. L'usurier va pasliant ses injustes contracts, par la pitié des pauvres, pour saouler son avarice, laquelle y est cou- Isidore. Exemples du Ceraste, de l'Iragne de la Sirene & de l'Hiene. [168v] THEA. DES DIVERS verte. Les Juges font semblant de garder & entretenir la justice pour opprimer secretement l'in nocence. Les superieurs se monstrent de paroles galants hommes & de faict, foulent leur subjets. 3.Reg.2 Les luxurieux font semblant d'aymer aucunesfois, pour decevoir & abuser les sottes & simples femmes, trop faciles à croire ce qu'ils leur disent. Les faints amis tiennent compagnie en la bonace & prosperité: mais ils se retirent aus si tost qu'il survient quelque tempeste. Phrinondas est diffamé par Aristophanes pour un homme tant double & malicieux que les doctes en ont faict un Proverbe. Impurior Phrinonda. Plus impur & malicieux que Phrinondas. Denis le Tyran estoit tenu pour un homme plein de malice, 169 CERVEAUX. plein de malice, pource qu'une fois, monstrant avoir compassion de la statue de Jupiter, vestue d'un manteau d'or, le luy osta, & luy en bailla un de drap leger, disant que ce manteau d'or, estoie trop pesant l'esté, & trop froid l'hiver, & que cet autre serviroit commodement en toute saison. La ctance Firmian escrit d'iceluy mesme, que faignant tenir compte de l'honneur d’Aesculape, qui avoit la barbe d'or, il le priva d'icelle, disant que c'estoit une honte expresse, veu qu'Apollon son pere estoit depaint jeune homme, sans barbe, de faire qu’Aesculape, le fils, semblast un vieillard avec ceste barbe. Aristote nomme dommageable, és livres des animaux l'eguillon de la guespe, & mousche à miel, pource qu'il est caché: ainsi Denys le Frinondas double en Tyran. Aristophanes. Lactance Firmian Aristote. Y [169v] THEA. DES DIVERS est pernicieuse & dommageable la pensée des malicieux, pource qu'elle est couverte & cachée. Le Prophete Royal parlant du coeur qui faint & simule a dict, que Verba ejus iniquitas & dolus. Les paroles d'iceluy sont iniquité & fraude: pource qu'il ne trame autre chose que tromperie contre le prochain, & n'entend qu'à la ruine & destruction du frere. Le sage s'escrie, au second de l'Ecclesiastique, contre ceux cy, disant. Vae, duplici corde: vae labiis scelestis, manibus malefacientibus, & peccatori terram ingrediendi duabus viis: Vae duplici corde: Voila le coeur, double qu'ils ont. Vae labiis scelestis, Voila les paroles doubles, qu'ils proferent: manibus male facientibus. Voilà les doubles & malicieuses operations ou actions. La nature David. 170 CERVEAUX. Salomon. a donné le coeur à l'homne, entier & non divisé, à ce que la pensée ne soit double en luy: une langue entiere, non my partie, à fin que les paroles ne soient divisées, les mains pareillement entieres, à fin que les operations soient simples, sinceres & nettes, non doubles, trompeuses & fallacieuses. Quand l'homme double parle, il ha le miel en la bouche, & la poison au dedans: les promesses tresgrandes & hautes, l'intention tres vile & basse: il te loue par dehors, il te trompe par le dedans: s'il t'est amy de paroles, il t'est ennemy, de faict. Pour cognoistre l'homme double & malicieux, il est besoin d'une tresgrande consideration, pource que la prospective & apparence est tant belle, qu'aisement elle deçoit l'oeil des simples: parquoy ne te Comme l'homme double se cognoist. Y ij [170v] THEA. DES DIVERS pais du bon visage & de paroles, pource que ces choses là luy sont propres. Il faut bien considerer la nature interieure, les actes passez, l'observation de ses promesses, les succes qu'il a eu avec autres, la renommée qui vole de son faict, le recit des amis mesmes, la maniere qu'il a à negocier, le ris qui ne vient du coeur, les paroles qui sont proferees avec grande affectation, les promesses qui sont faictes trop extremes, & sans les deues & convenables occasions, aux ennemis mesmes, & en cete maniere, l'on entre sagement, en la cognoissance de la duplicité & malice du coeur d'autruy. Par ces cauteles & considerations demourent aujourd'huy descouvers aucuns, qui cuident facilement tromper par leur faintise & simulation, 171 CERVEAUX. les hommes d'esprit & accorts trois fois plus qu'eux, & demourent confus par la naturelle providence de ceux cy, lesquels par art, se mocquent de l'art trompeur & malicieux, dont ceux la font quasi apertement profession. Il faut qu'un Catilina soit descou vert par un Ciceron: un Jugurtha, par un Marius, un Sertorius, par un Metellus. Ces coeurs doubles ne peuvent longuement demourer cachez: car en fin estans descouverts d'un, ils sont manifestez & donnez à cognoistre à chacun. Voyez si leur nature est tresbien descouverte, en ce qu'aucuns les comparent à Antolique, qui faisoit du noir le blanc, & du blanc, le noir, les autres au poisson nommé Poulpe, qui resemble à toute couleur: autres, au Cha- Exemple d'Antolique du Poulpe, du Chameleon Y iij [171v] THEA. DES DIVERS du Prothée de Periclimene, de Vertunne Dieu de la Deesse Diane, de Circe. meleon, auquel toute couleur mesmes apparoist, hors mis le blanc & le rouge: autres à Prothée & Periclimene, qui se changeoient d'une forme en une autre: autres au Dieu Vertunne,qui prenoit ores une semblance, ores une autre: autres, à la Deesse Diane, que les tes, comme de trois formes, autres à Poetes ont nommée de trois sorla Magicienne Circe, qui changeoit de forme, quand elle vouloit. Et ceux cy souz divers habits & formes, cheminent à toute heure, pour tromper par leur malice & duplicité, l'un & l'autre, bien qu'ils soyent le plus souvent cogneuz, de personnes accortes & advisées. Or parlons de ceux que le vulgaire a de coustume d'appeller Bouffons. 172 CERVEAUX. DES DESPOURVEUZ de cervelle, bouffons, plaisans, & principalement flateurs. DISCOURS XL LEs hommes de cete espece sont proprement ceux qui sont des plaisans, flateurs & Bouffons, avec tous, sans avoir egard, ny au temps, ny au lieu, ny à aucune condition de personnes. L'arrogance du Bouffon Callipides fut bien rebouschée par le Roy Agesilaus, pource que faisant du plaisant devant que le saluer, & disant, sur ce qu'il ne se voyoit recueilly comme il pensoit, ne me cognois tu pas, ô Agesilée ? il merita cete ridicule responce: Penses tu pas que Callipides Bouffon. je te cognoisse? tu es Callipides Bouffon. La flaterie d'un Client despleut bien tant à Celius Y iiij [172v] THEA. DES DIVERS Celius Curion a en haine l'adulation d'un sien Client. Curion, tandis qu'il plaidoit, voyant que toute parole qu'il proferoit, estoit confirmée d'iceluy qu'ennuyé de cela, il dist, Parle à moy à l'encontre, je te prie, à fin que nous semblions estre deux & non pas un seul. Les Atheniens hairent tant l'adulation & flaterie de Demagoras, lequel appella Alexandre Dieu, qu'ils le condannerent en l'amende de dix talents d'argent, pour la peine de sa faute. Et le mesme Alexandre, comme Seneque escrit, estant blessé en une bataille, d'un coup de flesche, ayant esté au paravant appellé par les flateurs, fils de Jupiter Ammon invulnerable, s'escria contre eux disant, Ah flateurs, flateurs! Omnes me jurant esse filium Jovis: sed vulnus istud me esse hominem clamat. Tous jurent & affirment que je Les Athe niens hai rent Demagoras flateur. Alexandre hait les flateurs: selon Seneque. 173 CERVEAUX. suis fils de Jupiter, mais ce coup & playe monstre que je suis un homme. On lit de l'Empereur Sigismond, qu'il couvrit la joue & donna un souflet à celuy qui le flatoit: & comme il luy eust demandé pourquoy il l'avoit frappé, il fit response. Et toy, pourquoy me flates tu, & me donnes attainte? De combien de noms odieux ces Bouffons sont appellez au monde? Terence & Plaute les appellent Gnatons & Parasites: Boece, les nomme Sirenes, le sage, le laict des pecheurs. l'Empereur Sigismond hait les flateurs. Terence Plaute. Boece. Si te lactaverint peccatores, ne acquiescas illis . Si les pecheurs t'allectent, ne leur acquiesces, dit il es Proverbes. Le Prophete les appelle rasoir aigu, en ce passage: Sicut novacula acuta fecisti dolum. Comme le rasoir aigu, tu as Salomon [173v] THEA. DES DIVERS faict le mal & la tromperie: Salomon les nomme le Reth du diable. Qui blanditur, fictisque sermonibus loquitur rete expandit proximo suo. Celuy qui flate, & parle par faintise tend le reth à son prochain. Esaie les nomme trompeurs, Popule meus, qui te beatum dicunt, ipsi te decipiunt. Mon peuple, ceux qui te disent heureux, te trompent & deçoivent, Alan les appelle Onction du diable au livre, De complanctu naturae. Veritablement ceux cy doivent estre odieux, pource qu'ils sont ennemis de toutes vertuz. C'est à eux certainement de faire, que l'impatience soit patience, la luxure, chasteté, la folie, prudence, la pusillanimité & lasche- Salomon. Esaie. Alan. 174 CERVEAUX. té, force & generosité: la crainte, audace, & finalement que toutes les vertus perdent leur honneur & ornement. Pour cete cause Cassiodorus, en une sienne Epistre, fait ce tres beau discours de l'Adulation, & dit. Adulatio blande omnibus applaudit, omnibus salve dicit: prodigos vocat liberales, avaros, parcos, & sapientes: lascivos curiales, obstinatos, constantes, pigros, maturos & graves. Haec sagitta leviter volat, & cito infigitur. Cassiodorus. L'adulation applaudit à tous, elle faict chere à tous, elle salue chacun: elle appelle les propigues liberaux: & aussi les avares, eschars & sages: avec les lascifs, courtisans, & les [174v] THEA. DES DIVERS obstinez, constans: les paresseux meurs & graves. Cete sagette vole legerement, & se fiche soudain. Le Philosophe Antisthenes disoit bien, qu'il valloit mieux tomber entre les ongles & grifes des corbeaux & des vautours, qu'en la bouche des flateurs. Oleum peccatoris non impinguet caput meum, L'huile du pecheur n'engraissera mon chef, disoit le Prophete Royal. Le flateur merite la haine du Createur contre soy, & de toutes les creatures de ce monde, pource qu'il confessera en un Seigneur, les choses appropriées au Createur, & à toutes les creatures, suivant ce proverbe Poetique, Omnia Caesar habet. Cesar ha toutes choses. Si en un Seigneur se voit, une majesté venerable, cetuy cy dira: qu'il y a Antisthe nes. David. Proverbe. 175 CERVEAUX. en luy une deité, comme fit Timagoras Athenien, lequel adora Darius Roy des Perses, comme un Dieu. Si un Seigneur est grand, ce flateur dira, que toute la grandeur du monde est en luy colloquée: comme fit Decius Laberius, lequel invité par Caesar d'entrer pour l'amour de luy, en la sçene, fit responce, qu'il ne pouvoit refuser cete petite chose à luy auquel les Dieux avoyent octroyé toute chose. Si un Seigneur est digne, il confessera en luy la dignité mesme, comme fit Timagoras flateur Athenien. Decius Laberias flateur. Nicesias flateur. Nicesias flateur, lequel voyant les mousches attachées à Alexandre, ores sur le front, ores sur les mains, dist, pour le flater: O que ces mousches sont beaucoup plus heureuses que les autres, puis qu'elles ont la faveur [175v] THEA. DES DIVERS de gouster vostre sang Royal. Et luy mesme le voyant blessé profera par adulation, ce vers d’Homere, en sa louange. Qualis divorum percurrit corpora sanguis? Quel sang des Dieux va courant par les corps? Homere. Le Seigneur sera un Thersite miserable & vile, un Irus d'Itaque, & neantmoins les flateurs le feront sembler un Agamennon, un Ajax, & un Achilles. Il sera nouvellement monté & parvenu à l'estat, & ils le feront sortir & prendre origine des Priams, des Romules & des Pompiles. Il sera plus instable qu’Ixion en sa roüe, & neantmoins ils le feront sembler un Socrates, qui ne 176 CERVEAUX. changea jamais de visage, mesmes en sa mort. Ceux cy sont les singes des Seigneurs, qui disent & font en tout & par tout, à leur fantasie. Ceux cy sont l'Echo depaint par Ovide, lequel en la voix, & parolles retentit le mesme. Ceux cy sont le Chameleon de Solin, qui prent & change la couleur, selon la chose à laquelle il se joint. Ceux Singes. Echo d'O vide. Chameleon de Solin. cy sont les trompettes de l’Evangile, qui sonnoyent & bruyoient entour la pauvre trespassée fille de l'Archismagogue, pource que par le son de la flaterie, ils nourrissent les pauvres ames des Seigneurs, mortes & ensevelies au vice & au peché. Ceux cy sont les Prestres du diable qui ne chantent jamais sur Trompettes de l'E vangile. [176v] THEA. DES DIVERS leurs morts, le Dirige: mais tousjours le Placebo. Pour cete cause l'Evangile dit, Sinite mortuos, sepelire mortuos suos. Laissez les morts ensevelir leurs morts. Ceux cy sont le Verse-eau des Poetes, lequel pour estre l'echanson des Dieux, & leur donner l'eau en la main, fut mis & colloqué au ciel, pour signe celeste; pource que donnans de l'eau és mains des Seigneurs & Prelats, ils sont eslevez au ciel de leur faveur. Ils sont secretaires de leurs pensées, chambriers de leur licts, dispensateurs de leur bien, maistres d'hostel en toute chose, ils ont toutes leurs graces, toutes leurs faveurs,tous leurs privileges, toutes leurs preeminences, & toutes leurs exemptions: car ils deschaussent le Seigneur Le Verseeau des Poetes. Prestres du diable. & le 177 CERVEAUX. & le Prelat: ils luy tirent la botte, ils sont à la table devant luy, ils l'entretiennent de leurs balivernes, ils luy donnent plaisir, de leurs risées & passetemps, par leurs sottises & bouffonnories. Mais laissons je vous prie ces bouffons mai gres, & parlons un peu des dissoluz. DES DESPOURVEUZ de cervelle, dissoluz en jeux, gourmandises & deshonnestetez du monde. DISCOURS XLI. LEs despourveuz de cervelle, dis soluz sont ceux, qui monstrent communement leur dissolution, en jeux, en gourmandises, & en choses deshonnestes. Des jeux disso luz fait mention ce passage de l’Exode. Sedit populus manducare & Exode. Z [177v] THEA. DES DIVERS bibere, & survexerunt ludere. Le peuple s'est assis pour manger & pour boire, & s'est levé, pour jouer. Laquelle dissolution cause mille pechez, comme risées non modestes, & sans mesure, folies inutiles, paroles sottes & de badineries, & meschantes blasphemes. Pour ceste cause, apres qu'Esaie, reprenant le peuple, du jeu, eut dict. Super quem lusistis? il a adjousté. Super quem apervistis os, & ciecistis linguam? Sur qui avez vous joue? sur qui avez vous ouvert la bouche, & avez vous employé la langue? Nous ne parlons maintenant, des jeux plaisants & civils, pource qu'ils servent d'honneste passetemps & recreation à nos esprits, & sont à approuvez par la sentence du Philosophe, lequel recitant l'advis & opinion du Scithe Esaie. 178 CERVEAUX. Anacarse, dist qu'il estoit aucu nesfois necessaire se recréer, par le moyen des jeux, afin que l'esprit se Anacarse Scithe. reposast un peu, de maniere que reprenant vigueur il interpretast apres, plus subtilement les choses haultes & difficiles de la Philosophie. Mais parlons des jeux prohibez & deffenduz, de dés, de cartes, & de tous les sorts, & semblablement de toutes danses & trepignemens remplis de moleste & de lascivité, esquels se commettent mille pechez le jour, voire l'heure. Là s'entremesle & survient la cupidité, racine de tous maux, voire mesmes la rapine qui veut despouiller le prochain: l'immisericorde, vers iceluy, qui luy oste jusques à la chemise, si elle peut, la tromperie, laquelle souvent se trouve Z ij [178v] THEA. DES DIVERS entremeslée au larcin: le blaspheme contre Dieu, le mespris de l'Eglise:la corruptelle & depravation du prochain, le peché de l'ire, l'injure contre le frere & la villenie, le contemnement de la feste, & au cunesfois l'homicide. Là adviennent & tombent les sermons, les parjuremens, le tesmoignage inique souventesfois, l'injuste desir du bien d'autruy. Là adviennent, toutes les sottises & les folies, que l'homme sçauroit imaginer. Un joueur devient serviteur du jeu, ains esclave, qui ne s'en peut aucu nement desfaire ny despestrer: il perd vainement le sien, il cognoist la malice du jeu, & ne la fuit, il reçoit perte & dommage d'iceluy & tourne la colere contre Dieu, il prefere le plaisir de trois dés à la divine louange, pour n'estre oci179 CERVEAUX. eux, il est la plus part ocieux. A raison dequoy S. Bernard a dict, Pro vitando otio, otia sectari ridiculum est. C'est une chose ridicule de suivre l'oisiveté, pour eviter l'oisiveté. Il consomme le temps plus precieux que l'or, il s'aplique au jeu, tandis qu'il chemine tousjours à la mort. A ceste cau se Job a dict: Ducunt in bonis dies suos, & in puncto ad inferna descendunt. Ils passent leurs jours en plaisirs, & en un instant ils descendent aux enfers. Il n'est enfant, & neantmoins il se demonstre enfant au possible, s'appliquant proprement aux choses vaines & pueriles. O folie, ô grande sottise des joueurs. Cabilon Lacedemonien estant envoyé à, Corinthe, Ambassadeur, pour faire ligue, trouvant les princi- S. Bernard. Job. Z iij [179v] THEA. DES DIVERS paux & les plus anciens des Corinthiens, qui jouoyent aux dés, s'en alla tout scandalizé, sans faire autre choses, disant qu'il ne vouloit tacher la gloire des Lacedemoniens, de ceste infamie & deshonneur, qu'ils fussent dicts avoir faict ligue avec des joueurs. On lit du Roy des Parthes, qu'il envoya au Roy Demetrius des dés d'or, pour reprendre seulément sa legereté. Sara fille de Raguel, monstrant qu'elle avoit fuit toutes les dissolutions des jeux, dist à nostre Seigneur en une sienne priere: Nunquam cum ludentibus me miscui: neque cum bis qui in levitate ambulant. Je ne me suis jamais meslée avec les joueurs, ny avec ceux qui cheminent en choses frivoles & s'adonnent à la Les Corin thiens reprins par Calibon Lacedamo nien. Le Roy Demetrius moqué par le Roy des Parthes. Exemple de Sara, en Tobie 3. 180 CERVEAUX. legereté & inconstance. Combien se commettent aussi de pechez, aux danses, qui ne sont autre chose qu'un artifice de baller merveilleusement agreable aux filles & aux amans, composé de gestes ordonnez, & pas mesurez au son des cimbales ou des piffres, pour faire (comme ils croyent), tres prudemmnent, & avec une grande grace & gaillardise, la chose la plus sotte & vaine du monde & peu differente de la folie mesme. Cecy est un indice & argument de la délicatesse, amie de la meschanceté, incitation de la luxure & paillardise, ennemie de la pudicité, & origine de mort, & de meurtres le plus souvent. En cest endroit la gentil femme perd son honneur: la jeune fille aprend ce qu'elle ne sçavoit auZ iiij [180v] THEA. DES DIVERS paravant: en cet endroit la renommée & l'honnesteté de plusieurs demeure estainte, infinies retournent de là, deshonnestes en leur maison, plusieurs, avec un coeur, douleux, mais nulle plus chaste qu'elle estoit au precedent. En cet endroit les regards lascifs sont employez, les ris ocieux marchent en campagne, les parolles trompeuses entrent au bal, les deshonnestes touchemens ont une secrette & cachée intelligence pour prendre en brief, la ville combatue. Les anciens Romains, hommes graves avoyent ces danses, en grande horreur. Pour ceste cause Saluste reproche à Sempronie, qu'elle chantoit & dansoit plus dextrernent, qu'il n'estoit convenable ou seant à une femme de Saluste reprend Sempronie. bien. On lit aussi que Marc Ca181 Le Poete ton taxa Alexis. L. Murena d'avoir dansé & Saulté en Asie. Comment fut reprins Gabinius, lequel apres avoir esté Consul, se laissa voir au bal? Et comment, M.Celius, pour avoir eu trop de science à ce metier? Le Poëte Alexis appellé ces danses & trepignemens vrayes lascivetez, disant, CERVEAUX. Gabinius reprins des bal & Celius de sauter Marc Ca ton reprend L. Murena d'avoir ballé. Nam lascivorum hominum video Accedentem multitudimen bonis, probisque Hic existentibus. Herodias taxée de danser par S. Chriso stome. Car je voy la multitude, des hommes lascifs &c. Combien est blasmée la danseresse Herodias, par Sainct Chrisostome? Le pere S. Augustin, condamne tellement les danses & bals, qu'il dit. Melius est in dominicis diebus arare vel sodere, quàm choreas ducere. Il vaut mi- [181v] eux labourer ou fouir la terre, aux jour du Dimanche, que danser. Lors que Moyse, descendant de la montagne, vid les danses & bals, du peuple, devant le veau d'or, tout iré, il jetta les tables de la loy, & de courroux & indignation grande les rompit, voyant leurs festes, & danses. Nostre Seigneur, menacea pour ceste cause, en Ezechiel, le peuple d'Israel de grande perte & ruine, disant. Pro eo quod plausisti manu, & persecussisti pede, & gravisa és toto affectu super THEA. DES DIVERS Les danses despleurent à Moyse. S. Augustin. Ezechiel. terram Israel, idcirco ego extendam manum meam super te, & tradam te in direptionem gentiu & interficiam te de populis. Pource que tu as touché de la main, en esjouissance & frappé du pied, & pource que tu t'es resjouie de 182 CERVEAUX. toute ton affection, sur la terre, Israel, j'estendray ma main sur toy, & te livreray en proye & pillage aux gentils, & te feray mourir &c. Les dissolutions des gourmandises sont pareillement pernicieuses & veneneuses. Pour ceste raison ne sont blasmées les tables dressées & mises par Homere, à ses anciens Heroz, pource qu'elles estoient du tout meslées de frugalité & temperance. Menelaus, dedans le mesme Poëte, és nopces de ses fils, fit servir & mettre sur table devant Telemacq un dos de boeuf, & Agamemnon fit mettre devant Nestor ja vieil, de la chair commune rostie, pour chose delicate. L'on ne blasme point les banquets Attiques, lesquels à cause de la sobrieté Tables com stituees par Homere. Menelaus en Home- re. Exemple d'Agamem non. [182v] THEA. DES DIVERS & espargne, furent moquez par Linceus, en Athenée, & appellez une Attique desplaisance. L'on ne blasme aussi les banquets Laconiques, tels qu'ils semble que Pausanias monstra au Prince des Medes, lequel denota la tres-grande folie des Medes, & la sagesse singuliere des Sparthes. L'on ne taxe la deité Pythagorique, recueillie & rangée dedans une pauvre grotte, de laquelle Antiphanes s’est ry & moqué par ces parolles: Deité Pithagoriquemoquée par Antipha nes. Banquets Attiques moquez par Linceus. Banquets Laconiques louez Quidam miselli forté Pythagorici, Vescuntur in specu altera. Certains miserables d'avanture Pythagoriciens, vivent en autre caverne &c. Mais l'on blasme les festins des Perses, les gourmandises d'Epicure, les souppers de 183 CERVEAUX. Cleopatre, l'ebrieté de Sardanapale, qui consistent seulement en vrayes dissolutions de la bouche. O gourmandise, vraiment peste ains poison, voire la mort des per sonnes! Tu és celle qui troubles le cerveau: tu empesches la raison, tu prophanes le parler: tu desordonnes & desreigles le ris: tu rends les gestes deshonnestes, tu induis mauvaises tentations, tu dresses embusches aux chastes pensées: tu provoques le corps, aux immondices: tu remplis l'esprit de lasciveté: tu es seule occasion d'extremes & infiniz dommages & pertes. O gourmandise,gourmandise! tu es celle, qui as occis les premiers peres: tu as mis le premier embrasement au monde: tu as vendu la primogeniture d'Esau, tu as massacré le peuple au desert, apres Maux de la gourman dise. [183v] THEA. DES DIVERS le manger des cailles: tu as faict mourir Holofernes, tu as ensevely le banqueteur & gourmand en enfer. O inique gourmandise, gourmandise detestable. Tous les auteurs du monde, en leurs dicts, ont blasmé ceste insatiable gourmandise. Aristote au neufiesme des animaux, l'appelle gueule de loup: Architas Tarentin, suinant Ciceron, au livre. De senectute : peste tresmortelle de l'homme: Platon, l'amorce de Auteurs qui ont blasmé la gourmandise. Aristote. Architas. tous maux: Bias, sepulchre de l'entendement: Pithagoras, monstre prophane, Galen , expresse maladie, & mort de l'homme, disant ceste sentence commune: Gulosi nec vivere possunt diu, nec sani esse. Les gourmands ne peuvent long temps vivre, ny estre sains. Tous les grands personna184 CERVEAUX. ges l'ont condamnée par exemples infiniz: Aristote, au troisiesme de ses secrets, louant Hippocrates tressobre & echars: Homere alleguant Priam, qui taxe ses enfans, de gourmandise: Virgile, en sa Bucolique blasmant Celuis, lequel, pour faire bonne chere, vend toute chose, & reservant seulement autant d’espace de terre, qu'il luy suffisoit pour estre ensevely: Valere le grand blasmant Xerxes, lequel donnoit de grandes recompenses aux inventeurs de nouveaux assaisonnemens de viandes: Diogenes appellant Aristippus Cirenean, chien Roial de Denys, le suivant tant seulement pour la gourmandise: Theodore se moquant de Milon de Crotone qui mangea vingt mines de chair, & autant de pains, beut Aristote loue Hippocrates, de sobriété Homere dit que Priam taxe ses enfans de gourmandise. Virgile blasme Celius de gourmandise. Valere le Grand blasme Xerses. Diogenes blasme Aristippe. Theodore se moque de Milon. Pithago- ras. Bias. Platon. Galen. [184v] THEA. DES DIVERS trois grands mesures de vin & un veau gras, en un repas, Clearque blasmant Philoxene Erissien, qui pria le grand Jupiter, de luy donner un col de Grue, pour recevoir un plus grand plaisir au goust des viandes: autres, par exemples memorables, blasmans Claude Albin qui mangea en une matinée, Clearque blasme Philoxene cinq cens figues, cent pesches de champagne, dix melons d'Ostie, vingt livres de grappes de raisin, quarante huistres, & cent Becquefigues. Et Cambles Roy des Lidiens, lequel surpassa tous en gour mandise, pource qu'en une nuict, ils mangea, en son lict, sa femme, qu'il avoit pres de soy. Peut on ouir choses plus deshonnestes que celles cy? exemples plus detestables? gourmandises plus grandes? gloutonnies plus engouffrantes? disso- Claude Albin gourmand. 185 CERVEAUX. dissolutions de bouche plus vicieuses & brutales? pour cete cause le Poete Toscan a bien conclu, disant: La gola, e'l sonno, e l'ociose piume Hamno del mondo ogni virtu s bandita. La gourmandise, le sommeil & les plumes ocieuses, ont bany toute vertu du monde. Et en outre, combien attirent apres soy de blasmes & vituperes les dissolutions deshonnestes? combien causent elles de maux, au monde? Icy se perd la honte & s'acquiert la puanteur de l'infamie: l'esprit se contamine, le corps se tache, l'ame s'avilit, la chair s'enflamme, l'intellect s'affole, la raison s'aveugle, le Seigneur est outragé, l'Ange gardian est offensé, l'on fait tort au prochain, l'homme se tue de soy-mesme, il se fait compagnon au diable & se procure l'enfer de Cambles Roy des Lidiens, gourmand. Aa [185v] THEA. DES DIVERS soymesme. On ne sçauroit dire les pertes & les ruines, qui sont derivées d'icelles à une infinité de personnes. Ces dissolutions en- voyerent le deluge sur terre, l'embrasement sur Sodome & Gomorrhe, la ruine aux Sichimites: la mort au peuple d'Israel, une tresgrande vengeance & fleau au Roy David, une fin honteuse à son fils Amon, une totalle extermination à la lignée de Benjamin, la mort tres-mauvaise à Holophernes, perpetuel vitupere & deshonneur aux deux vieillards. Il ne se faut pas esmerveiller en apres, si l'escriture les a appellées subversion de l'entendement, en Daniel, où il dit, Species decepit te: concupiscentia subvertit cor tuum. La beauté t'a deceu, la concupiscence ha subverty ton coeur: si Hugues de S.Victor les 186 CERVEAUX. Aristote. a nommées fausse joye: Sainct Gregoire, soulphre puant: Aristote à Alexandre, conjonction des beBoece. stes brutes, Platon, au livre, De vo lupate, venim du corps. Boetius, au premier livre de la Consolation Philosophique, Sirenes mortelles: Euripide, une mer, avec le flux & reflux, pleine de tempestes: Antisthenes, un mal extreme & la perfection & somme de tous maux. Sainct Ambroise les reS. Ambroi jettant, par un tresbeau discours, se escrit, Luxuria tantae est improbitatis, quòd ubi se ingerit, reserat palatia Principum, penetrat cameras Praelatorum, possidet aulas Clericorum, subvertit currus contemplativorum, rumpit cellulas. Religiosorum in senibus sumigat, in invenibus militat, mulieribus imperat, totum soedat, totum inficit, totum aquis diluvii consumit. Aa ij [186v] THEA. DES DIVERS La luxure est si mauvaise que là S. Gregoire. Plato. Daniel. Hugues de S. Victor. Euripide. Antisthene. où elle se fourre, elle ouvre les Palais des Princes, penetre les chambres des Prelats, possede les Cours des Prestres, renverse le char des contemplatifs, rompt les chambrettes & cabinets des religieux, fume és vieillards, combat és jeunes, commande aux femmes, gaste & infecte tout, & consomme tout des eaux du deluge. Macrobe en ses Saturnales, a descrit la Luxure, pour une chose tresdeshonneste, disant: Ea quae ex tactu, & gestu voluptas est, omnium foetididdima est. Celle qui par le toucher & geste, semble volupté, est tres sale & deshonneste. Aristote escrivant à Alexandre, exagere, & amplifie encore plus sa vilenie & deshonnesteté par ces paroles: Nolite inclinare ad coitum Macrobe. 187 CERVEAUX. mulierum, quia coitus quaedam proprietas est porcorum. Ne tends & ne te vueilles apliquer à la charnelle conjonction des femmes, pource que l'acte Venerien est une certaine proprieté de pourceaux. Valere le grand, au neufies me livre, discourt à ce propos, disant: Quid luxuria foedius? quid ne ea damnosius? à qua virtus atteritur, ratio languescit, sopita gloria in infamiam commutatur, & animi vires & corporis expugnantur. y a il chose plus deshonneste que la luxure? y a il chose plus dommageable? par laquelle la vertu & suprime, la raison devient languissante, la gloire assopie est changée en deshonneur, & les forces de l'esprit & du corps sont vaincues, & debellées. Par combien d'anciens exemples est il manifeste & evident, qu'il faut Aristote. Valere le grand. Aa iij [187v] THEA. DES DIVERS fuir cete deshonnesteté du monde, tant dommageable & pernicieuse aux esprits & corps humains? Ajax fils d'Oileus est fainct par Virgile, au premier de l'Aeineide, foudroyé par Pallas, pour avoir opprimé Cassandre fille de Priam, au temple. Le mesme descrit, au quatriesme, Didon, qui brusle d'amour lascif à cause d'Enée, & qui se donne & avance la mort. Troge raconte, que Semiramis fut occise par sa tres grande deshonnesteté, par Ninus son fils, lequel elle aymoit lascivement. Thucidide escrit que Hipparque fils de Pisistrate fut tué par une conjuration de jeunes gens, à cause de sa désordonnée & incroyable luxure. Concluons en cet endroit, que la deshonnesteté est le dernier dommage des personnes. Pour Ajax fils d'Oilée deshoneste Didon lascine. Troge a[unclear] re de Semi ramis lascive & deshoneste Thucilide escrit d'Hi parque lu xurieux. 188 CERVEAUX. cete cause Seneque a dict au premier de ses declamations, que la deshonnesteté est une victorieuse peste de tout le monde. Or parlons un peu, & discourons de toutes les especes des Despourveuz de cervelle, immoderez. Seneque. DES DESPOURVEUZ de cervelle, immoderez, & excessifs, en avarice, ambition, arrogance, & naturelle hautaineté & outrecuidance, temerité,& impudence. DISCOURS XLII. LEs écervellez immoderez, demonstrent leur excez, en l'avarice, ambition, en l'arrogance, naturelle fierté & impudence, la -quelle ils discourent en diverses occasions, qui adviennent aucunefois. Quant à leurs avarice, je trouve Aa iiij [188v] THEA. DES DIVERS en tous les auteurs, une mer proprement de blasmes & vituperes d'icelles. Albert le grand en l'abregé de sa Theologie, nomme l'avarice une insatiable & trop deshonneste convoitise d'avoir. Ciceron en ses Tusculanes, l'appelle un amour vehement & immoderé enraciné au coeur, d'avoir & de posseder. Aristote en ses Politiques, prouve que les citadins viennent en tres-grandes discordes & dissensions, seulement à cause de cet effrené desir que tous ont, d'assembler, & amasser les biens & richesses du monde. Pour cete cause Platon, au livre des loix a dict, que toutes les guerres ont eu leur premiere origine & nais sance de cete immodérée & extreme cupidité que chacun a d'enrichir. Boetius, au livre de la Con- Albert le grand. Ciceron. Aristote. Platon. Boetius. 189 CERVEAUX. solation Philosophique, se moquant de ceux qui mettent & establissent la mondaine beatitude aux richesses a dit: O praeclara opum mortalium beatitudo, quam cum adeptus fueris, securus esse desisti. O l'excellente beatitude des richesses humaines, laquelle apres que tu as obtenue, tu cesses d'estre asseuré & tranquil le. Parquoy Gorgias Leontin a appellé les richesses du monde une fausse & apparente grandeur, laquelle est à toute heure sur le poinct de ruiner & venir au bas. Pisistrate meu & induict de cete cause, avoit accoustumé de les nommer estrangeres & pellerines, n'ayans aucune stabilité en elles, mais estans à toute heure, prestes de de- Gorgias. Pisistrate. faillir & d'abandonner les possesseurs d'icelles. Isocrates, Demosthe ne, Charisthenes, & Manerius, les [189v] THEA. DES DIVERS avoyent en si grande horreur, que le premier les a appellées serves de toutes meschancetez: le second, Imperatrices de tous les vices: le troisiesme, precipice de tous les mortels: le quatriesme, tres-viles chambrieres de tous les pechez du monde. Quand Saluste voulut detester cete aveugle avarice du monde, il usa de ces paroles. Avarita fidem, probitatem, caeterásque bonas artes evertit: & pro his, superbiam crudelitatem, Deum negligere, omniáque venalia habere edocuit. L'avarice a renversé la foy, la bonté, & les autres bons arts & vertus: & au lieu de ces choses, a enseigné & introduit l'arrogance, la cruauté, le mespris de Dieu, & la maniere d'avoir toutes choses venales. A ce dernier & confirme le dict de Philippe Roy de Macedoine, Isoerates Demosthe ne. Caristhenes. Manetius. Saluste. Dict du Roy Philippe. 190 CERVEAUX. lequel avoit accoustumé de dire, que toute forteresse, tant inexpugnable d'assiete fust elle, se pouvoit prendre, pourveu que dedans peust entrer un asne chargé d'or. Pour cete cause les Poetes faignent qu'Apollon, embrasé de l'amour de Danae, qui estoit gardée en une tour, par un grand nombre de gardes, ne courut à autres miracles qu'à se transformer, en pluye d'or: au moyen dequoy il fut recueilly d'icelle, rompant toute garde, par cete seule maniere & force de l'or. Didimus escrivant à Alexandre, en detestation de cete Avarice a dict: Est ferocissima pestis cupiditas quae solet egemos, quos capit Apollon en pluye d'or. Didimus. efficere, dum finem acquirendi non invenit, sed & magis quô fuerit locupletata, mendicat. C'est une tres cruelle peste, que la cupidité, la[l90v] THEA. DES DIVERS quelle a de coustume de rendre soufreteux ceux la qu'elle prend, ce pendant qu'elle ne cesse d'acquerir & trouver fin à son desir insatiable, mais elle mendie & est d'autant plus pauvre, que plus elle est enrichie. Pour cete cause le Philosophe Seneque a tres-bien dict, Quae est maxima aegestas? Avaritia. Quelle est la tresgrande pauvreté & indigence? l'Avarice. Car comme dit Sainct Hierosme en la Preface de la Saincte Bible, Avaro tam deest quod habet, quàm quod non habet. L'avaricieux a faulte aussi bien de ce qu'il a, que de ce qu'il n'a point. Et pourtant le Prophete aussi a bien dict à ce propos: Nihil invenerunt viri divitiarum in manibus suis : Les hommes n'ont rien trouvé de richesses en leurs mains. Car combien que l'Avaricieux sem- Seneque. S. Hieros me. David Prophete. 191 CERVEAUX. ble posseder beaucoup, n'usant de ses richesses, il ne possede rien. Et pour cete cause, Sainct Ambroi se, sur Sainct Luc, a dict, que l'avare est tousjours necessiteux & miserable. Les auteurs ne se peuvent saouler de blasmer ce vice abominable, meschant & detestable. Virgile depaint l'Avarice, & la dit estre cause de tous maux, en ces vers. Quid non mortalia pectoracogis. Auri sacra fames? Ovide, au premier de ses Metamorphoses nomme l'Avarice plus nuisible que le fer, quand il dit, S. Ambroise. Virgile. Effodiunt opes irritamenta Deorum, jámque nocens ferrum, ferróque nocentius aurum. Juvenal en la sixiesme satire, attribue tous les vices & crimes à l'a[l91v] THEA. DES DIVERS varice, là où il dit, Nullum crimen abest, facinúsque libidinis ex quo Paupertas Romana periit, hinc fluxit ad Indos. Prima peregrinos obscaena pecunia mores Intulit, & turpi fregerunt saecula luxu Divitae moles. Tout crime & mesfaict regne, depuis que la pauvreté Romaine est perdue, d'icy elle est coulée aux Indes, la deshonneste pecune a amené & introduit la premiere les estrangeres moeurs, & les effeminées richesses, par un excez & superfluité deshonneste, ont rompu & depravé les siecles. Le Poete Martial l'appelle une expresse inutilité, quand il dit, Non sibi non aliis prodect, dum vivit avarus. Martial. Juvenal. 192 CERVEAUX. Ny à soy, ny à autre, ne profite, l'avare. Epicure une evidente misere, par ces parolles icy. Si cui sua non videntur amplissima, licet Tot jus mundi dominus fit, miser est. Si aucun se trouve, auquel ses moyens ne semblent tres-grands, combien qu'il soit seigneur de tout le monde, il est toutesfois miserable. Pour cete cause sont nommez & mentionnez en mauvaise part, tant d'avares, tant de miserables, tant de vaincuz, d'une aveugle convoitise, qu'ils remplis- sent mille fueilles & livres de divers auteurs, lesquels les haissent & abhorrent en leurs escrits. L'avare Dalide, laquelle pour argent livra & trahit son amant Sanson aux Phi listins, est fort blasmée à cause [l92v] THEA. DES DIVERS de ce vice, en la saincte Escriture? Es livres des Rois est merveilleusement blasmé Nabal, qui fut tant cruel & impiteux, qu'il ne voulut aucunement subvenir au miserable David, combien que par ses messagers, il se recommandast humblement à luy. Es mesmes livres est taxé & reprins d'une grande avarice Achab, lequel par une tant grande injustice, voulut oster au pauvre Naboth Iezraelite, une pauvre vigne, que le miserable possedoit, comme heritage de ses ancestres & predecesseurs, pres le palais du Roy. Midas en Aristote, au premier des Politiques est moqué, pource qu'il mourut de faim, ayant par avarice prié Jupiter, que tout ce qu'il toucheroit se convertist en or. Appian Alexandrin recite de Crassus, qu'ayant esté occis par Nabal avare. Achab avare. Midas avare. Avarice de Crassus 193 CERVEAUX. par les Parthes, ausquels il avoit faict la guerre, pour son avarice & convoitise insatiable d'avoir de l'or, ils luy emplirent la teste d'or, par derision & moquerie, disant ces paroles, Aurum sitisti, aurum bibe. Tu as esté alteré d'or, boy l'or. Valere le Grand narre, que Lucius Septimilius fut tant avare, qu'il divisa le chef de Caius Gracchus son familier du reste du corps, & le porta plein de plomb devant le Consul pource qu'il avoit promis de donner au porteur Lucius Septimilius avare. autant d'or, qu'il pesoit. O avarice inique, desloyale, meschante & detestable. Le profond Toscam Poete, à bon droict l'a comparée à une Louve, en ces vers, Et una luppa, che di tutte brame Sembrava carca, nelle sua magrezza, Che molte genti sé già viver grame Bb [l93v] THEA. DES DIVERS Les Poetes anciens, par une signification pleine de mystere, ont estably Pluton Dieu d'Enfer sur intendant des richesses, pource qu'ils ont veu l'avarice estre proprement entour d'eux un Enfer insatiable & plein de tourment. Pour cete cause Ciceron a dict en ses offices Egens aeque is est, qui non satis habet, & is cui satis nihil esse potest. Celuy est egallement souffreteux, qui n'a assez, & celuy qui ne peut avoir assez. Et le Poëte Juvenal a escrit à ce propos: Crescit amor nummi, quantum ipsa pe- Juvenal. cunia crescit. L'amour croist de l'argent, comme fait l'argent mesme. Ainsi Ovide a escrit en ses Fastes, Quò plus sunt potae, plus sitiuntur aquae. Plus on boit l'eau, plus on la veut boire. M. Ciceron Dante. Ovide. 194 CERVEAUX. Iceux mesmes ont signifié l'avarice, sous l'espece des dangereux escueils Scille & Caribde, denotant le grand danger, auquel se trouve le miserable & infortuné avare de tomber en ruine, en un instant, par la perte de ces fallacieuses richesses mondaines. Pour cete cause le Poëte Claudian a bien dict, Claudian Quas malè collegit fallacis dextra parentis Has pejus nati dextra refundit opes. Iceux mesmes, sous le nom des gloutonnes Harpies, ont signifié la grande cupidité & gloutonnie de l'avare vraiment odieuse & detestable à l'endroit de tous. Pour cete cause Saluste a introduit, jusques à l'inique Catilina, à son yssue de la ville de Rome, Bb ij [l94v] THEA. DES DIVERS s'estre escrié contre la ville, disant, O venalem Urbem: O ville venale! Où il a clairement noté la tresmeschante Avarice de sa patrie, digne de blasme & vitupere. Le Poete Mantuan, depeignant l'extreme avarice de Polinestor Roy des Thraces, lequel pour posseder librement le thresor de Priam occit son fils Polidor, & ensevelit en l'arene le miserable corps de l'infortuné jeune homme, a usé de ce propos, en s'escriant: Heu fuge crudeles terras, fuge litus avarum. Helas! fuyez les cruelles terres, fuyez le rivage avare: comme si à cause de l'extreme cupidité & avarice demonstrée, les rivages de Thrace eussent esté dignes de haine, & de la fuite de tous les passagers. Virgile. Saluste 195 CERVEAUX. Parlons maintenant aussy un peu de l'ambition. L'on ne sçauroit vraiment narrer combien est miserable &aveugle cete ambition, pource qu'elle vuide les coeurs de repos, les remplit de sollicitude & soucy, aveugle les entendemens, les esleve en haut, & finalement De l'ambition. leur rompt le col, & les consomme miserablement. Pour cete cause, Sainct Bernard, au livre, de Consideratione, appelle l'ambition une croix des personnes qui briguent l'honneur & la grandeur, en disant. O ambitio ambientium crux, quomodo omnibus places, omnes torques? nil acrius cruciat, nil molestius inquietat. O ambition, la croix & tourment de ceux, qui appetent & briguent l'honneur, comme tu plais à tous, comme tous sont menez & tourBb iij [l95v] THEA. DES DIVERS mentez de toy? il n'y a chose qui afflige plus griesvement, il n'y a rien qui donne plus de facherie. Et le Prophete a appellé l'ambition un feu, & une flamme, que les ambicieux ont au coeur, en ce verset du Pseaume. Exarsit ignis in Sinagoga eorum flamma combusit peccatores. Le feu s'est esprins en la sinagogue d'iceux, la flamme a bruslé les pecheurs. De jour ils debatent pour les honneurs, de nuict ils n'ont autres pensees: ils s'affligent & tourmentent à toute heure en l'entendement: ils se lassent le corps, à les rechercher, ils tremblent, ils ahannent, ils suent, ils ne sont jamais en repos. Un homme ambicieux n'a jamais bien: car s'il n'a les honneurs, il les pourchasse, avec tresgrande peine & ennuy: & s'il les a, il est tou- S. Bernard David. 196 CERVEAUX. sjours en crainte de les perdre tout d'un coup, & à un instant. Quel ennuy estoit celuy du Poëte Caliphanes, de s'obliger d'aprendre par coeur, les commance- mens de diverses harangues, & vers de plusieurs Poëtes, à fin qu'en les recitant, il semblast un Poete & un Orateur signalé? Quelle peine estoit celle d'Absalon, fils de David, de demourer si souvent devant la porte du Roy son pere, & baiser l'un & l'autre, à fin de gangner les coeurs du peuple, aspirant par son ambition, au Royaume paternel? O aveugle, ô infortunée, ô miserable ambition humaine! Qu'est finalement l'homme ambicieux, sinon un ver, qui se ronge de soymesme? une fournaise, qui se consomme de son feu? une voile en pieces, Bb iiij Le Poete Callipha nes ambitieux. Absalon ambitieux [l96v] THEA. DES DIVERS par trop de vent? une montagne, qui ruine en peu de temps? En quelle estime & reputation est tenu l'homme ambitieux, sinon d'un enfant, qui va apres les papillons? d'un frenetique, qui ouvre la bouche, pour engloutir l'air? d'un fol qui se fait Pape & Roy de soymesme? Qui est celuy qui ne rit du Medecin Menecrates, qui affectoit que les malades l'appellassent Jupiter? Qui est ce qui ne se moque du Grammerien Palemon, qui desiroit estre dict celuy lequel en vivant, donnast la vie aux lettres, & en mourant, la mort? Qui est ce qui ne prend son plaisir & passetemps de l'ambicieuse humeur de Senecion, qui ne desiroit sinon choses grandes? Il vouloit de grands chevaux, de grands serviteurs, de grandes chambrieres, Quelle cho se est l'homme ambitieux. Palemon Grammerien ambi cieux. Menecrates medecin ambitieux. Senecion ambitieux 197 CERVEAUX. & mesmes sa concubine estoit tres-grande: & pour une plus grande folie, estant iceluy assez grand il cheminoit sur la pointe des orteils ou doigts des pieds, pour se monstrer plus grand. L'arrogance en apres & cete naturelle fierté & presomption, meslée avec une insolence, qu'aucuns ont, par laquelle à peine peut l'on converser avec eux, est fort estrange & reputée de tous ennuyeuse: pource qu'elle est superbe en elle mesme, mesprisante les autres, desireuse de vaine gloire, remplie de jactance, singuliere en elle mesme, presomptueuse de ses merites, audacieuse & fiere, en l'humilité, & tousjour cupide & desireuse de nouveaux & inusitez honneurs. Virgile, en son Aeneide, se fache de l'audace & fierté de Numanus Fierté & arrogance de nature. [l97v] THEA. DES DIVERS Remolus, lequel se vantant de soy mesme, taxoit les Troyens assiegez de paresse & lascheté, disant, Virgile. Is primum ante aciem digna, atque indigna relatu Vociferans, &c. Ovide au troisiesme de ses Metamorphoses deteste fort l'arrogance du beau Narcisse, lequel passa les limites de raison, s'estimant tant à cause de sa beauté & gaillardise, qu'il ne daigna complaire aux tres-belles Nymphes, esprinses de son amour, en disant. Multae illum invenes, mullae cupiere puella, Sed fuit in tenera tam dura superlia 198 CERVEAUX. forma, Nulli illum invenes, nulla tetigere puella. Plusieurs jouvenceaux, plusieurs filles l'ont desiré: mais s'est trouvée, en cete beauté, une telle arrogance, que personne ne l'a touché. Tite Live blasme la grande fierté d'Hannibal, lequel apres la victoire de Cannes obtenue, s'esleva de tel orgueil & outrecuidance, que ses Citadins estans venuz pour parler à luy, il ne daigna parler à eux, sinon par le moyen d'interpretes & tiers. L'arrogance de Nicanor, est pour une chose singuliere, magnifiée par l'escritute, car comme on luy eust dist, pour rabatre & rebouscher son orgueil, que le Seigneur estoit Ovide. Tite Live [198v] THEA. DES DIVERS au Ciel, maistre de tout, il respondit: Je suis aussy puissant en terre, & Seigneur de la guerre & des armes. Le Poete Juvenal, en la troisiesme Satyre, blasme l'arrogance Romaine, disant: Quid das, ut Cossum aliquando salutes? Où il la depaint telle, qu'ils ne daignoient pas mesmes respondre à une salutation. Et le Poëte Mantuan ayant en abomination l'arrogance Troyenne, s'en moqua quand il la vid abbatue, en ces vers: Nicanor tres-super be. Juvenal. Ceciditque Superbum Ilium, & omnis humo sumat Neptunia Troia. La superbe Troye est à bas, elle est bruslée. De laquelle le tresdocte Dante se moquant aussy, a dict, Vedea Troian cinere, &c. Dante. 199 CERVEAUX. Que diray-je de la temerité de telles gens, à bon droict blasmée & condamnée de tous? Certainement c'est une chose tres-mauvaise, de voir qu'un ignorant vueille confondre un homme scavant, un veillaque & poltron, se vueille parangonner à un honorable capitaine, un plebée entreprendre de combatre à l'encontre d'un gentilhomme, un miserable resister à un puissant, & luy vouloir faire teste, un sot plaider contre un scavant & entendu, un boufon & badin s'estimer autant qu'un rusé & accort. O temerité vraiment folle & ridicule! Qui ne rid de Timée Sicilien, qui pensa surmonter le tresdocte Thucidide en l'histoire Grecque? Qui ne rid, avec Virgile, de Misene, qui défia les Dieux marins au son de la trom- De la temerité. Misene te meraire. Temirité de Timée Sicilien, en Plutarque [199v] THEA. DES DIVERS pette? Qui ne rid avec Ovide d'Aradne, qui voulut, à l'oeuvre de la laine, s'estimer aussi habile que Minerve? Qui ne rid, avec les Poetes, de la temerité des Geans, qui voulurent avec les armes, offenser Jupiter, & lancer contre luy les escueils de la terre? Qui est ce qui ne se moque, avec l'escriture de la sotte temerité de Nembroth, lequel edifia la treshaute tour de Babel, pour combatre le ciel? Qui n'eclate de rire, voyant un pedant, qui fera du Theologien? un faulcon de cuisine, qui fera du Sommiste, un mecanique, qui fera du suffisant escrivain? un Beelfegor, qui portera l'espée? un Brunel, qui fera du Rodomont? un Martan treslache & couard qui fera du Mandricard? un plus que Ganes, traistre, qui fera du S. homme? Aradne temeraire. Geans temeraires. Nembroth temeraire. 200 CERVEAUX. Qui est ce qui ne meurt de rire, voyant un malheureux & miserable, qui fera du Duc? un idiot & ignorant, qui fera du Ciceron? un diforme, qui fera du Ganimedes? un sot, & niais, qui voudra sembler la sage Sibille? une beste, & lourdaut, qui fera de l'Aristote? une pecore, qui fera du Quanquam ? un tresmiserable, tant en parolles, que de faict, qui s'estimera plus que Charles Quint? Qui ne meurt de force de rire, voyant qu'un Nain s'arme contre un Geant? une chauvesouris brave à l'encontre d'un esprevier? un coucou se parangonner à un perroquet, au parler? une grenouille vueille sifler, comme faict un serpent? un boeuf vueille courir comme un cerf? un oiseau pesant puisse voller comme une arondelle, [200v] THEA. DES DIVERS un asne vueille marcher comme un Lion? en y a-il d'avantage que cete troupe Indiane? Mais ces impudens ne sont moins que ceux là, pource qu'ils ont perdu la honte l'ornement & honneur de l'esprit civil. Il semble que toute chose leur soit licite, ils ont l'audace en toute chose: la presomption au parler, la temerité à regarder, la sottise à rire, la va nité au vestement, l'impudence, en tous leurs actes & operations. Les putains & maquereaux tiennent le principal siege de l'impudence. C'est pourquoy Justin Historien, note l'impudence des femmes Cipriotes, lesquelles mettoyent leurs filles, avant le temps des nopces, sur le rivage de la mer, à fin de gagner leur dot & mariage, & pour payer à Venus, les premices de leur chasteté. Et Hero- De l'impu dence. Justin Hi storien. Herodote. dote 201 CERVEAUX. dote blasme les Babyloniens, pource qu'ils avoyent la coustume de faire que ceux là qui avoyent consommé leurs moyens, envoyassent leurs filles, gangner, en prostituant & abandonnant leurs corps. Ovide en une sienne Elegie, blasme aussi Dipsa impudente maquerelle, en ces vers. Est quaedam (quicunque volet, &c. On ne sçauroit raconter le peu de honte qu'ont ces éhontées & impudiques: combien de deshonnestes ris, combien de deshonnestes paroles, combien d'actes meschans, combien de propos vilains, combien de lascifs regards, combien de fallacieux allechemens, & deshonnestetez ont elles en soy? Leur escole est un abisme, leur art un labirinthe, & leur mestier un enfer hideux & infame. Cetes Ovide. Cc [201v] THEA. DES DIVERS cy sont les Louves de Romule & Remus, les estables de Jupiter, les vaches d'Apollon, le betail de Mercure, pour ceste cause laissons les en la fange & bourbier où elles sont, & tournons nostre propos ailleurs. DES DESPOURVEUZ de cervelle, Vicieux en general. DISCOURS XLIII. J'Ay estimé estre chose necessaire & convenable de parler en ce lieu, des Ecervelez vicieux en general: car com- me auparavant nous avons discouru des Cerveaux vertueux, souz le nom commun & general, pour n'avoir occasion de discourir & traiter en l'infiny des particuliers infiniz, ainsi reputay-je & pen se estre chose propre & necessaire 202 CERVEAUX. pour ne discourir infiniement des infiniz Ecervellez, ou despourveux de cervelle, qui se trouvent au monde, assigner un siege commun dedans nostre Theatre à tous ceux qui se tairont, lequel sera appellé: le siege des vicieux en general: laissant à ceux qui sont nommez, joyeusement jouir des places parti culieres, que nous leur avons disposés, en l'ordre du Theatre. Je dy donc que les Ecervellez vicieux, sont tres-viles en eux mexsmes, & indignes d'estre à peine nommez au monde: pource qu'ayans en eux le vice, que S. Augustin, sur S. Jean, dit estre un rien & neant, tant pour ce que c'est une corruption de tous biens, que pource qu'il anichile & aneantit le vicieux, le prive du vray estre, qui est celuy de la grace, & mesmes le rend desplai- Augustin. Cc ij [202v] THEA. DES DIVERS sant & odieux à tout le monde, ils ne peuvent estre sinon viles & abjects en leur estat. Pour ceste cause, le Prophete Jeremie, parlant de Hierusalem pleine de vices a dict, Quàm vilis facta es meretrix civitas fidelis : Que tu es devenue vile putain & paillarde, cité fidele. Davantage les vicieux sont personnes sans moyen, sans ordre, & sans aucune reigle au mon- Jeremie. de, & pour ceste cause ne fait l'on aucun compte d'eux, non plus que d'hommes desbandez & abandonnez du tout, car la vertu gist au milieu, dit Aristote, & ils dependent des extremitez en toute chose. Pour ceste cause Seneque disoit, que Vitia sine modo, & sine ordine, persequenda sunt, quia modum & ordinem non hahent. Il faut poursuivre les vices, sans moyen & sans 203 CERVEAUX. ordre, pource qu'ils ne gardent & n'ont ny ordre ny mesure. J'ay souvenance d'avoir leu, que Platon, en sa Republique parlant du vice, en a parlé, souz le nom d'une grande beste & espouvantable, & S. Jean mesmes en son Apocalypse l'a figuré & representé en celle beste ayant tant de chefs & tant de cornes. Ovide la descrit souz le nom de Prothée monstrueux, Virgile souz le nom de Briarée, & souz le nom de l'Hidre Lerneane, qui avoit tant de testes, & vaincue par Hercules. Le tresdocte Dante aussi la descrit souz le nom de beste, disant. Tal misere la bestia senza pacem, Che venendomi incontra à poco à poco, Mi repingena là, done il Sol tace. Platon. S. Jean. Aristote. Virgile. Ovide. Seneque. Dante. Cc iij [203v] THEA. DES DIVERS Telle me fit la beste sans paix, que venant peu à peu au devant de moy elle me repoussoit &c. Aristote, au troisiesme de l'Ethique, a agrandy davantage ce que nous avons dict, & l'a exageré, adjoustant, que le vicieux estoit pire qu'une beste. Homo pravus deterior est bestia. Au- Aristote. cuns le figurent en cest Antiochus, lequel pilla le temple de Hie rusalem,& emporta tous ses orne mens. Les saincts Docteurs luy donnent le nom d'un vray enfer, pource qu'il contient en soy les tenebres d'ignorance, la fumée de vaine gloire, la glace de la paresse, le soulphre de la luxure, les vers de l'envie, les bruits & tumultes de la maudite & aveuglée ire de l'homme: de maniere que les vicieux ont un detestable renom à l'endroict de tous. C'est pourquoy 204 CERVEAUX. est nommé en tresmauvaise part, un Catilina, duquel escrit Saluste, lequel cachoit dedans son ame, mille Clodius vices vicieux. profanes & malheureux. Un Verres, duquel Ciceron est tant ennemy en ses Harangues contre luy: Un Clodius tres-vicieux, & plus que l'on ne sçauroit croire, depaint par plusieurs auteurs. Un Marc Antoine, duquel Plutarque & autres font mention pour un signalé vicieux: un Commodus fils d'Aurelius, qui fut plustost ou pere du vice, ou fils du vice mesme. Or laissons ces signalez vicieux, discourons des diverses es peces de fantastiques, & trouvons en premier lieu, ceux que l'on appelle communement remuans,sans repos & rompus. Verres vi cieux Marc An toine & Commodus vicieux. Cc iiij [204v] THEA. DES DIVERS DES DESPOURVEUZ de cervelle, & esprits fantastiques, sans repos, & rompus. Saincts Docteurs. Catilina vicieux en Saluste. DISCOURS XLIIII. LEs esprits remuans & sans repos sont ceux, lesquels peu contens en soy, ont la volonté d'asseoir la mesme inquie tude és autres, avecque bruits, tumultes, noises & contentions ou seditions injustes, inventées seulement par le remuant cerveau, qui n'a aucune cesse. Là ou entre les esprits remuans & sans repos, ne se peuvent vraiment mettre & nombrer, ceux là tels, ausquels les sots attribuent ce nom, pource qu'avec la raison en main, s'efforceans de defendre leur innocence, d'opprimer la tyrannie, de res- 205 CERVEAUX. veiller la justice endormie, exciter, celle distributive, laquelle est assopie de sommeil és chambres des grands & puissans, ont aucunesfois contention avec eux, & procedent, In puncto juris , par le poinct de droict, qu'ils haissent plus que la mort: ores gagnant, ores perdant, selon que la prudence de l'un, ou la puissance de l'autre peut plus prevaloir. Quel est l'esprit tant plein de jugement, & esveillé, qui puisse nier, que la nature ne t'enseigne cecy, veu que le chien abboye contre le loup, la poule, se defend contre le Milan, & une mousche guespe, tant petite, s'atache à ton visage, si tu l'agaces ou molestes? Qui peut nier que telles gens ne fassent une chose juste voyant que la justice n'est autre chose, selon l'Empereur Ju- Quelle chose est la justice, selon l'Em pereur Ju stinian. [205v] THEA. DES DIVERS stinian, au premier livre de ses In- Exemples pour se deffendre des tyrans stitutions, qu'une constante & perpetuelle volonté, de donner à chacun ce qui luy appartient, laquelle defaut és grands, & pour ceste cau se est recherchée des subjects. Quelle chose est la justice, selon Ciceron, sinon une habitude de l'esprit, qui garde la commune utilité, & qui distribue à chacun, se lon sa propre dignité & valeur? Qui ha ceste justice distributive? qui est-ce qui la retient? qui la possede? qui est ce qui n'usurpe volontiers le bien d'autruy? qui ne s'aproprie le commun? qui est-ce qui ne se cognoist seul? qui ne deroge volontiers aux merites d'autruy? qui est celuy qui ne se monstre un Argus & clair-voyant, pour re marquer ses propres merites? & si l'on crie, si l'on use d'exclamation, Ciceron. 206 CERVEAUX. si l'on ne se peut taire, appellez vous cela une inquietude de cerveau? Ah faux Grammeriens, qui falsifiez les vrais noms des Esprits & cerveaux de nostre Theatre, ceux cy sont proprement les libres, & non les remuans ou sans repos. Les remuans & non reposez sont ceux, qui bruient & remuent mesnage contre le devoir: seditieux, comme Catilina, contre la patrie: murmurateurs, comme les enfans d'Israel, contre Dieu, bruyans, comme Absalon, contre le pere, amateurs de nouveautez, comme tous les Tyrans. Ceux cy veritablement sont remuans & sans repos. Sçais tu quel est un cerveau proprement remuant & n'ayant jamais cesse? celuy qui oste l'autruy, Quel est le cerveau sans repos [206v] THEA. DES DIVERS celuy qui usurpe le commun & bien public, celuy qui occupe la liberté ordinaire, celuy qui veut dominer & maitriser tous, celuy qui cherche, par quelque moyen que ce soit les preeminences du monde, celuy qui va par la porte de derriere, comme un larron, pour desrober les honneurs & les grandes dignitez: celuy qui trouble la paix universelle: celuy qui retranche les loix, & les communes ordonnances: celuy qui dissippe & trouble le bien & repos de la Republique: celuy lequel par ambition, & par la simonie, donne de soymesme exemple indigne aux autres: celuy qui exalte les amis indignes & poursuit ceux, qui ont le moindre signe d'inimitié avec eux, celuy qui ne se soucie de l'honneur public, pourveu qu'il jouisse 207 CERVEAUX. luymesme du Royaume usurpé: celuy qui laisse dire au monde ce qu'il veut, pourveu qu'il fasse ce qu'il a volonté de faire, & accom plisse sa superbe & ambicieuse intention: celuy qui monstre & publie au monde sa honte & deshonneur, & celuy des autres aussi & puis se plaint si un autre particulierement signifie & monstre au doigt le sien: celuy qui donne occasion de murmurer aux impatiens, de s'escrier aux libres, de rire aux fols, & de plorer, aux sages. Le Philosophe Seneque dit à ce propos, que les hommes vivroyent en soy, fort paisiblement, si ces deux pronoms estoyent retranchez, Mien, Tien: mais ceux cy sont amoureux de l'inquietude, pource qu'ils veulent toute chose pour eux. Quand ils se contentent, ils Seneque. [207v] THEA. DES DIVERS ne prononcent autre chose que Mien, pour se travailler, ils ont ce mot en la bouche, Tien. Propter inaequale fit seditio . La sedition advient à cause de l'inegal, dit Aristote, au cinquiesme de ses Politiques. La chose est mal partie & di visée, disoit Diogenes, quand les peines & fatigues touchent l'un & les loyers, l'autre. Le prix & la recompense devroit appartenir au coureur, & non pas à celuy, qui de moure à voir. La teste du Taureau devroit seulement appartenir à ce luy, lequel dedans l'entour, combat valeureusement contre luy. La Coronne de la victoire, disoit He ctor en Homere, se donne proprement au soldat, lequel a vigoureusement espandu son sang en la bataille. Ce neantmoins les loyers des peines militaires de ceste vie, sont aujour- Aristote. Diogenes. 208 CERVEAUX. d'huy divisez & separez de celles là: les honneurs appartiennent à celuy, qui est le plus dissolu: les di gnitez, à celuy qui se voie le plus ambicieux: la domination & Seigneurie vient à celuy qui est le plus injuste, la liberté à celuy qui est le plus immoderé, les accueils & caresses à celuy qui est le plus ignorant, le credit à celuy qui est le plus grand simulateur, le bien à celuy qui en est le plus indigne: le plaisir à celuy qui est le plus effrené, le contentement à celuy qui presente plus que les autres, corrompant la justice & raison, pour son profit particulier. On ne sçauroit nier, qu'icy ne se trouve une vraye injustice, pource que Justitia (comme dit Isidore,) est ordo & aequitas, qua homo cum unaquaque re benè ordinatur. Hector en Homere. Isidore. [208v] THEA. DES DIVERS La justice est ordre & equité, par laquelle l'homme avec chacune chose est bien ordonné & gouverné. Et neantmoins icy se rompt tout ordre, toute reigle se deslie & dissoult, toute mesure de justice & de devoir se vient à enfraindre. Pourquoy veux tu, inique tyran, les plaisirs & delices, veu que les autres ont les tourmens & peines? pourquoy pourchasses tu les allegreffes & contentemens, les autres ayans pour leur part les travaux & les labeurs? pourquoy veux tu la liberté de courir ça & là à ta fantasie, estans les autres liez & attachez à la cadene de la servitude & subjection? pourquoy demandes tu ta particuliere volonté & appetit, veu que les autres endurent & patissent mesmes és choses necessaires, comme ils font souvent ? 209 CERVEAUX. souvent? Pourquoy veux tu porter ceste verge & sceptre en la main, aux autres tant severe, & à toy mesme tant doux & misericordieux? pourquoy veux tu seoir en ce siege, où ta puissance s'exalte & haus se, & la vertu s'abaisse? la violence domine, & la justice ne trouve lieu? mets arriere miserable, mets arriere la particuliere ambition, le profit & plaisir particulier, car ceux cy ne sont pas les vrais moyens, pour te faire estimer un homme de bien, & une vertueuse personne, ains d'une commune voix, l'on tient tout l'opposite, & se divulgue par tout le contraire. Parquoy quiconques fois tu souillé de ceste tache, despouille toy de tes particuliers habits, & chacun, te verra orné & ceind de vraye gloire, & d'une tresclaire Dd [209v] THEA. DES DIVERS splendeur. Mais passons à ces autres, qui s'appellent ecervellez, estranges, litigieux & contentieux. DES DESPOURVEUZ d'entendement ou ecervellez, estranges, litigieux & contentieux. DISCOURS XLV. CEux là sont appelez Despourveuz de cervelle ou Ecervellez, estranges & contentieux, lesquels pour peu de chose, & sou vent plus qu'il ne seroit convenable, debatent outre raison, ores avec l'un, ores avec l'autre. C'est une chose honorable (dit le Sage aux Proverbes) de s'exempter & distraire de telles contentions & noises & les fuir tant qu'il est possible. Honor est homini, qui separat se Salomon. 210 CERVEAUX. à contentionibus. Pource qu'elles ne donnent aucun credit au monde, ains sont communement reputées de tous folles & sottes. Et Seneque a dit, que Muliebre est litigare , C'est à faire à une vile femme de de debatre & quereller: c'est à elle de crier & avoir noise & contention, estant le propre de la femme de faire grand bruit & debatre vo lontiers pour un oeuf. Parno estoit un homme, lequel ayant perdu une petite barque, querelloit un chacun qui passoit. A ceste cause a il donné lieu au Proverbe. Oh Parni scaphuam. Pour la petite bar que de Parne, quand l'on de- Seneque. Parne litigieux. bat de chose de trespeu de consequence & valeur. Telle fut Xantippe femme de Socrates, laquelle crioit à toute heure, à son mary, pour chose legere & Xantippe litigieuse. Dd ij [210v] THEA. DES DIVERS de nul effect, & consideration. Ces litiges & contentions ameinent aucunesfois quant & soy, telles discordes & inimitiez, que l'on vient aux mains, & se trouble du tout le repos des personnes. Pour ceste cause, le Sage, en l'Ecclesiastique a bien dict: Certamen festinatum accendit ignem, lis festinans effundit sanguinem. Le debat & la contention hastive allume le feu, & la querelle prompte espand le sang. On ne sçauroit trouver chose pire, que ces cerveaux litigieux, & pleins de contention, pource qu'en tes fautes, ils s'attachent sur une lettre, sur un point, & font un bruit & tumulte aussi grand que si tu avois commis un solecisme & incongruité, a parler Latin, & en leurs erreurs, ils sont tant outrecuidez, & obsti- Salomon. 211 CERVEAUX. nez, qu'ils voudront soustenir qu'un Theme, n'est different d'une concordance. Considere, je te prie, comme ils crient, comme ils bravent, comme ils fendent, comme ils bruyent, comme ils tranchent, comme ils usent de supercherie, quand on leur monstre, qu'ils sont de vrais asnes & grosses bestes en leur jugement & discours: comme leur vient le ciumor en la teste, quand ils se voyent confus, & traittez en Pedans, en sophistes, & en bestes brutes. A- Achitosel chitofel s'en alla pendre de soy mesme, lors qu’Absalon ne voulut admettre son jugement, & receut celuy de Berzelai. Ceux cy n'en sont gueres moins, pource qu'ils se tordent, se debatent, s'en vont, ne peuvent arrester en un lieu, font des folies, semblent autant Ciumor, est une maladie qui vient aux chevaux en la teste. Dd iij [211v] THEA. DES DIVERS de frenetiques & demoniaques? aussi tost que l'on va contre leur dire, que l'on resiste à leur raison, & que l'on faict expressement apparoir leur ignorance. Mais paravanture ne sont ils pleins de la plus grande ignorance, & ne tiennent de celle de vingt quatre carrats. Sçauroit on noter une plus grande ignorance que de s'exalter soymesme tant seulement, & deprimer & abaisser, tous les autres, faire estat de ce qui est à soy, mespriser l'autruy: se rire de son compagnon, & glorifier de soymesme: faire de l'Hercules en toute chose, & ne ceder & s'humilier une seule fois? Sçauroit on trouver une plus grande folie que ceste cy, de debatre contre la science, & eslever l'ignorance? blasmer la vertu, louer la lascheté? crier, 212 CERVEAUX. en ce qui est faux, se moquer, en la chose vraye? blasmer ce qui est juste, & soustenir ce qui est injuste & desraisonnable?Sçauroit on voir au monde une plus grande brutalité que la leur, en ce qu'ils se mettent à crier comme asnes, à abboyer, comme chiens & à rugir, comme Lions? & pourquoy? pource que ceste fusee est meslée & tortue, ce poinct ne leur plaist, cette quenoille ne va bien. Ah sottise, ha folie, ha vanité trop manifeste. Pour ceste cause le Poëte Ovide s'escrioit. Este procul lites & amarae praemia linguae. Arriere les debats & de la langue amere les loyers &c. Dd iiij [212v] THEA. DES DIVERS Et Juvenal blasmant les debats & litiges du mary & de la femme en particulier disoit, Semper habet lites, alternáque jurgia lectus, In quo nupta jacet, minimum dormitur in illo. Le lict a tousjours des contentions & noises alternatives auquel la femme mariée couche, & n'y dort on pas gueres. Pour ceste cause, le Poëte Pronape a fainct le litige, fils de Demogorgon, avoir esté chassé du ciel, à cause de sa laidde face, ayant une hideuse laideur & deformité & en son aspect: & en ses manieres & contenances, comme chacun voit. Mais parlons mainte nant des Ecervellez, Malins & pervers, qui sont divisez en perfides ou desloyaux, parjures, Medisans & Envieux. Juvenal. Ovide. Pronape Poete. 213 CERVEAUX. DES DESPOURVEUZ de cervelle & entendement, malins & pervers divisez en perfides, parjures, medisans & envieux. DISCOURS XLVI. LEs Esprits despourveuz de jugement, malins & pervers sont ceux, lesquels se portans avec une desloyale & perfide envie, ou avec une desloyauté trop envieuse, donnent argument de la perversité & malice qu'ils ont en eux: desquels le Prophete parle, quand il dit. Quis consurget mecum adversus malignates? Qui se levera quant & moy contre les malins? Ainsi seront mis au nombre de ceux cy, les perfides traistres, parjures, les mesdisans, blasmans, & toutes sortes d'envieux. Ceux là sont perfides, trai- [213v] THEA. DES DIVERS stres & parjures, lesquels en l'intention, en parolles, en signes, indices, & actions, se descouvrent & manifestent à toute heure, fallacieux. Ceux cy sont figurez en Ezechiel, par cet animal qui avoit tant d'yeux devant & tant derriere, avec quatre faces, differentes l'une de l'autre, pource qu'ils ont en eux plusieurs ruses cauteles & malices, qui leur servent comme d'autant d'yeux, & retiennent cer taines & diverses manieres de pra tiquer & proceder qui sont comme autant de visages differens & contraires ou opposez ensemble. Et se peut dire d'eux ce qui est escrit en l'Ecclesiastique, Cor tuum plenum est fallacia & dolo. Ils ont un coeur seulement remply de trom perie & fallace. Virgile au second de l'Aeneide, descrit tel, le coeur David. Ezechiel. Ecclesiastique. Sinon par ivre en Virgile. 214 CERVEAUX. de Sinon parjure & fallacieux, en disant. Talibus infidiis periurique arte Sinomis Credita res &c. (peries Le faict fut creu, par telles tromEt art subtil du parjure Sinon, etc. Et Properce parle de la grande fal lace d'Ulysse, parjure, fausseur de soy & desloyal envers la belle Nymphe Calipso, laquelle l'avoit hebergé, & retiré en son logis l'espace de sept ans, quand il escrit, sic à Dulychio invene est elusa Calypso, Vidit amatorem pandere vela suum Ainsi Calypso fut trompée par le jeune Dulychien, & apperceut son a moureux mettre la voile au vent. La desloyauté de laquelle Polinnestor Roy de Thrace occit le jeune Poli dore, qui luy avoit esté recommandé, [214v] THEA. DES DIVERS & qu'il avoit prins en sa sauvegar de, est fort signalée & tresmanife ste en Ovide, pour posseder librement les thresors de son pere, qui luy avoyent pareillement esté delaissez entre les mains, laquelle mesme est amplement descrite par l'Anguillara, en la stance, qui commance. Ben vede la dolente genitrice,&c. Ou l'on note le faict de la trahison Thracienne, envers le jeune Troyen, & la tromperie, pour le thresor de Priam qui luy avoit esté auparavant baillé en garde & gouvernement, comme à son parent. Ceux qui mesdisent & blasment tiennent du malin & du pervers aussi, reprenans injustement ou les paro les, ou les actions de l'un & de l'autre. Ils sont blamez à juste cause, de ce que contre raison, ils blasment & Ulysse des loyal en Properce. Desloyau té Polinnestor descrite par Ovide & l'Anguillara. Des mesdisans. 215 CERVEAUX. taxent les autres. Seneque recite qu'un certain Oscus fut tel, qu'il sem bloit estre né seulement à ceste fin, Oscus mes disant en Seneque. de dire mal de tous, & blasmer un chacun. Et les Poëtes racontent que Mome calomnioit toute chose & lui donnoit attainte, tant parfaicte fust elle: à raison dequoy ne pouvant blasmer la figure de Venus, que le peintre Praxiteles avoit faicte & representée tresbelle, en parlant mal toutefois, il ne sceut dire autre chose sinon que la chausseure du pied ou le soulier ne luy venoit pas bien, afin de la reprendre en quelque ma niere que ce fust. L'enragee mesdi sance, & fascheuse attainte & censure de Zoile en toute chose trouvant par tout à redire, est passée en Proverbe, qui dit, Zoili mordacitas : pour ce que par escrit il a esté tant outrecuide que de reprendre & ta Mome mesdisant [215v] THEA. DES DIVERS xer le divin Homere: Et ceste presomptueuse & insolente mesdisance ha de nostre temps, tellement passé & franchy les limites de raison & de vertu, que l'on a veu des nouveaux Theons, donnans attainte de leurs dents enragé & affamées, nouveaux Zoiles & nou veaux Momes, en l'Aretin, en Franco, en Lando, & plusieurs autres, qui ont faict estroppier Pasquain, rompre les bras de Morphorius, & perdre, & assener eux mesmes, avec les pongnards d'infamie, de fer & d'acier tout ensem ble. Quel est le Prince qui n'ait esté touché d'eux? quel est le Seigneur, qui n'ait esté injurié? quel est le Roy, quel le Pape, qui ait evité les Pasquinates, ou libelles de difame, & les propos de ces langues profanes & meschantes? Mais où lais Theon mor dant Zoile& rerepreneur preneur. avec utres. Proverbe. Mesdisans & piquans 216 CERVEAUX. say-je Agrippa, lequel a attainct un chacun, reprins & taxé tous, & Prestres, & moines & Religieuses & Hermites, & Papes, & Saincts, avec la langue qu'il ha du Grammerien Daphite, du Philosophe Anaxarque, du Poëte Archilochus, de l'Historien Timagines, & mesmes de Luther expressement, en ses par ticuliers propos & devis? Voila les langues malignes & forfantes,comme les appelle Bernia, qui n'espargnent la renommée d'aucun, pourveu qu'el les se deschargent de ce qu'elles ont desir de publier. Et ces langues ont mal gardé le conseil de Pithagoras, lequel conseilloit premierement d'apprendre bien, & puis de parler, & le precepte d'Ovide qui dit, Parcite paucoram crimen diffundere in omnes. Ne remettez sur tous de peu de gens Agrippa. Luter. AnaxarDaphite. TimagiBernia. que. nes. [216v] THEA. DES DIVERS le crime. Et ce Socratique commandement en Laertius, Sepultus sit apud te sermo, quem solus audies. Cest le propos que tu oys seul. Mais comme un Tantale, ils ont revelé les secrets des Dieux, & comme le barbier de Midas ils ont voulu manifester à tout le monde que Midas avoit les aureilles d'asne. Et quant aux envieux, en apres, combien sont ils detestables à l'endroit de tous, combien odieux, & estranges au monde, à cause des abominables conditions de leur en vie? Quelle chose est l'envie (Dieu immortel! ) sinon une douleur, & une tristesse (comme S. Augustin & Damascene disent) du bien & de la feli cité d'autruy, qui ne peut engendrer autres chose que haine? L'envieux se tourmente & aflige du bien d'autruy: il empire de l'ameliorement & fruict Socrates en Diogenes Laertius. Pithagoras. Ovide Des Envieux. S. Augustin & Damascene. d'autruy, 217 CERVEAUX. d'autruy, il emmaigrit, à cause de la gresse & bon portement d'un autre, il devient malade à cause de la santé: il meurt, pour la vie: il perd, pour le gain. Pour cete cause, S. Gregoire a bien exposé ce passage de Job, Parvulum occidit invidia : disant que l'envieux se descouvre veritablement lasche & petit de coeur, vile, abject, & malheureux, perdant là où un autre gangne, & empirant au lieu qu'un autre vient à ameliorer & amender. Quelle chose est l'envieux sinon un fuzil de haine à tous, ayant en luy tant mauvaises parties, que Ciprian depeignant l'envie, dit que l'envieux est un visage tout menaçant, un regard tout de travers & affreux, une face toute pasle, deux levres, toute tremeur, dents toutes pleinnes de rage, paroles grosses d'inju- S. Gregoire. S. Ciprian. Ee [217v] THEA. DES DIVERS res, mains trespronptes à la violence & offence de chacun. Quand Ovide a descrit l'Envie, outre ce qu'il a dict qu'elle demeure & habite es antres obscurs, à scavoir es coeurs tenebreux que la lumiere luy defaut, pource que l'envieux ne veut voir la gloire d'autruy, qu'elle a le regard hideux & de travers, pource que l'envieux ne peut regarder droict, la personne enviee, il a escrit aussi qu'elle avoit la poitrine pleine de fiel, pource que l'envieux empoisonne les autres & soymesme aussy. Oy les vers d'iceluy, touchant l'envie, Pallor in ore sedet, macies in corpore toto Nusquam recta facies, livent ribigine dentes, Pectora felle virent, lingua est suffusa Ovide. veneno 218 CERVEAUX. Caim estoit garny de cete poison, voyant les presens de son frere Abel, plusagreables à Dieu, que les siens. Et apres qu'il l'eut mis à mort, & qu'il fut condamné de Dieu, il dist & prosera ces paroles: Quicunque invenerit me, occidet me, Tout homme qui me trouvera, me tuera, pource que chacun occit l'envieux, ou par le mal, luy donnant allegresse, ou par le bien, luy donnant crevecoeur & tristesse. Qu'est autre chose l'envie, sinon (comme dit S. Augustin au livre de la doctrine de Jesus Christ) un vice totalement diabolique? car l'on ne dira pas au diable, au jour du jugement: Tu as commis adultere, tu as desrobé, tu as peché par gour mandise, tu as peché par avarice, tu as esté paresseux, & faineant, mais seulement, tu as porté envie, à la sain Caim envieux. S. Augustin. Ee ij [218v] THEA. DES DIVERS cteté de l’homme, & pour cete cause, tu l’as induict à pecher. Invidia diaboli, mors introivit in orbem terrarum. Par l'envie du diable, la mort est entrée au monde. Qu'est autre chose l'envie, sinon une peste, une corruption, qui gaste & infecte toute chose? Putredo ossium invidia, l'envie est la corruption & pourriture des os, selon qu'il est escrit aux Proverbes: car l'envieux est bien infect & corrompu, puis que les choses puantes du prochain luy sont souefves & agreables, & les odoriferantes au contraire, & de Proverbes. souefve odeur, luy puent: les ameres luy sont douces, les douces, amere: le bien, mal, & le mal, bien. Qu'est l'envie, sinon une beste tres farouche & cruelle à l'encontre de tous, qui offense tous, & 219 CERVEAUX. donne attainte à chacun? Elle s'attaque à Dieu, comme l'exemple de Lucifer, le demonstre, à l'An ge & aux Saincts, comme les damnez le nous declarent, au bien né, impugnant la communication, aux amis, comme Saul plein d'envie contre David: aux freres, comme Caim contre Abel, aux soeurs, comme Rachel contre Lia: aux estrangers, comme aux Palestins contre Isaac. Qui est celuy que cete beste n'a affronté & assailly? qui est celuy, qu'elle n'a offensé? Cesar, encore qu'il fust Empereur du monde, escrivit neantmoins les Anticatons, meu & induit de cete envie. Caligule osta à Torquatus la chaine, à Cincinat le crin & perruque, à Pompee le Grand, le surnom de Grand, seulement à cause de l'envie. Xenophon a es- Cesar. Envieux. Pompee. Caligule. Xenophon Ee iij [219v] THEA. DES DIVERS crit contre les livres de la Republique de Platon, incité seulement de l'envie, de cete mesme envie, le Grammerien Palemon, appella Marc Varron, un pourceau. Le tresbeau Hiacinthe aymant mieux Apollon que Boreas, fut infect d'iceluy, suivant les fabuleux Poetes, seulement par envie. Et la sorciere Circe empoisonna la fontaine où la belle Nymphe Scille avoit coustume de se laver, ayant, envie à la grande amour que Glau- Palemon. Boreas. Circe. que luy portoit. Qui est celuy qui ne blasme, qui ne taxe & impugne cete aveugle envie trop extreme? Platon en son Timée, dit qu'elle est basnie loin du tresbon, à sçavoir de Dieu. Socrates, en Valere le Grand, desiroit que l'envieux eust des yeux par toute sa personne, à fin qu'il sentist peine & tourment du bien de tous, l'ayant veu & con220 CERVEAUX. Diogenes sideré. Diogenes a dict que l'homme se doit garder de l'envie, comme d'une tres-mauvaise maladie, laquelle a conjuré contre la vie de l'homme. Le philosophe Crates l'a appellée gourmande & ennemie de vertu. Ce que suit S. Hierosme en l'epitaphe de S. Paole, S. Hierosdisant: Semper virtutes sequitur invi- me. dia. L'envie suit tousjours les vertuz: & le Poete Toscan, quand il dit, O invidia inimica di virtute, &c. Orphée & Orphée. Homere. Petrarque Homere l'ont faicte fille d'Acheron, & d'Erebe, comme chose infernalle. Virgile depeignant l''envieuse Junon, a nommé l'envie d'icelle, une playe eternelle, disant: Cum Juno aeternum servans sub pectore vulnus. Lors que Junon gardant l'eternel coup au coeur. Ee iiij [220v] THEA. DES DIVERS Horace l'a blasmé en ces Epistres, par ces vers, Invidus alterius marcesoit rebus opimis Invidia siculi non invenere Tyranni Maius tormentum. L'envieux seche sur pieds du bien & prosperité d'autruy: les Tyrans de Sicile n'ont trouvé plus grand Crates. Platon. Socrates. Virgile. tourment que l'envie. Ciceron, en la harangue, pour Cornelius Balbus, l'a detestée par ces paroles. Est saeculi malitia quaedam atque laebes, virtuti velle invidere, ipsúm que florem dignitatis insingere. C'est une certaine malice & corruption du siecle, de vouloir porter envie à la vertu, & suprimer la mesme fleur de dignité. Valere le Grand l'a appellée une expresse malignité, par ces paroles, Nulla est tam modesta foelicitas, quae malignitatis dentes vitare possit. Ciceron. 221 CERVEAUX. Molza plein de jugement l'a evidemment poursuivie en un sonnet qui commence: Vibra pur la tua ferza &c. Estant donc telle cete maudite envie, reste que les cerveaux mallins & pervers, dominez & maistrisez par cete beste, soient à bon droict haiz de tous. A cete cause, passons outre à parler de ceux, que nous avons coustume d'appeller aucunefois, durs, rigoureux & arrogans. Molza. Valere le Grand. DES DESPOURVEUZ d'entendement & esprits durs & arrogans, à cause de l'ingratitude, & obstination de coeur: de la rigueur & miseverité de nature, de l'impieté & cruauté. [221v] THEA. DES DIVERS DISCOURS XLVII. LA rigueur & fierté se demonstre en plusieurs choses: en l'in gratitude, en la pertinacité & obstination de coeur, en la durté & severité de nature, & en l'im pieté & cruauté, que telles gens ont imprimée au coeur. Combien (ô bon Dieu) est blasmée & condamnée l'ingratitude? Le Concile d'Hispal condamne tellement les actions d'un ingrat, qu'il dit que si l'on avoit donné liberté à un serviteur, on le pourroit de rechef contraindre de servir, à cause de l'ingratitude. Valere le grand raconte qu'en la republique d'Athenes, un Maistre pouvoit appeller en jugement un Serviteur ingrat & agir rigoureusement contre luy. Les Perses avoyent de coustume de chastier asprement tels L'ingrati tude blasmée par le Concile Hispalense 222 CERVEAUX. serviteurs, & les tenoyent pour infames. Philippes Roy de Macedoi ne (comme Seneque narre) fit marquer un soldat ingrat à son hoste: & de là en avant fut ordonnée semblabe peine aux autres. La loy Civile, entre autres cas, exclut les Loy civile. enfans & les prive de l'heritage du pere, quand ils sont ingrats envers leurs parens. Et davantage la do nation faicte aux ingrats, n'est de valeur, par la loy, comme tiennent les Legistes, in L. fin. C. de revocatione do nationis. Aristote, au troisiesme de l'Ethique, l'a condamnée, disant: Oportet regratiari, vel famulari ei, qui gratiam fecit. Il faut remercier ou faire service à celuy qui a faict plaisir. Non pour autre chose sinon pour ce que l'ingratitude est contraire à la justice, qui est une vertu morale, suivant Ciceron, & les Theologiens. Seneque. Valere le Grand. Perses. Aristote. Ciceron. [222v] THEA. DES DIVERS J'ay souvenance avoir leu que Pythagoras philosophe escrit qu'il s'est transporté en enfer, & qu'entre les peines infernalles, il a veu Homere environné d'une gran- Pithagoras. de multitude de serpens, & le Poete Hesiode lié à une colonne & batu des demons, non pour autre chose, sinon pource qu'ingrats, ils avoyent composé mille bourdes & faussetez de leurs Dieux. Les Poetes anciens ont condamné l'ingratitude, pource qu'ils ont depainct trois Graces, l'une qui est appellée par Orphée, aux Hymnes, & par Pindare, és Odes, Aglée, l'autre Thalie, la troisiesme, Ephrosine, à ce que la premiere denote la personne qui donne: la seconde celle qui reçoit: la troisiesme celle qui remunere & retribue. La Royne Didon, en Virgile, repre223 CERVEAUX. Orphée; Les Pindare. Poetes anciens ont blasmé l'ingratitude. nant l'ingratitude d'Aenée, s'est escriée contre luy, disant Nec tibi diva parens, generis nec Dardanus auctor Perfide: sed duris genuit te cautibus horrens Caucasus, Hircanaeque admorunt uberatigres. Ny tu n'as, ô parjure, une Deesse à mere, Ny de ta race n'a Dardan autheur esté, Ains l'horrible Caucase entre la dureté Des rochers t'engendra, & t'ont tendu cruelles Les Tygres d'Hircanie à succer, leurs mammelles. Didon en virgile. Ingrat & desloial (dist elle) il est [223v] THEA. DES DIVERS impossible qu'une Deesse tant pitoyable que Venus, & un pere tant genereux qu'Anchises: t'ayent engendré: car tu ne pourrois estre tant ingrat & desloyal que tu es: mais je croy plustost que tu sois sorty des rochers du mont Caucase, ou bien que les Tygres d'Hircanie, comme tes meres, t'ayent alaicté de leurs mamelles. L'ingratitude de la patrie sur tant desplaisante à Scipion Romain, que prenant un exil volontaire & se privant d'icelle, il dist ces paroles, Ingrata patria meos neque cineres habebis . Ingrate patrie tu n'auras pas mes cendres. Ariadne fille de Minos detesta, en Ovi de, au huictiesme livre de ses Metamorphoses, l'ingratitude de Thesée, sorty par sa faveur, hors du difficile labyrinthe, l'ayant iceluy miserablement laissée & aban224 CERVEAUX. donnée depuis en l'Isle de Chios. Ce qui a donné occasion au divin Arioste, plusieurs siecles apres, de aindre le mesme en Olimpia, abandonnée par Birene en une isle d'Escosse, en la Stance où reprenant l'ingratitude de son amant, elle dit. O perfido Bireno, &c. Que Saul, au reste, tres obstiné, à offenser David, combien qu'il ouist d'iceluy parolles tant humSaul. bles & receust des faveurs plus grandes qu'il' n'eust receu d'un amy ou d’un frere, die combien l'obstination & l'arrogance est maudite: qu'Antiochus tres obstiné contre le peuple de Juda le die, lequel ne cessa jamais de le molester, jusques à ce que le Seigneur à bon escient irrité l'eut jetté en bas de sa carrosse, & luy eut rompu & froissé les os, comme [224v] THEA. DES DIVERS il cheminoit droict, à la destruction Scipion Ro main. Ariadne, en Ovide Aristote. L'obstina tion & per tinacité de plusieurs. & ruine de Hierusalem. Que Pharaon Roy de l'obstination le die, lequel se submergea soymesme & son armée, pour estre tant revesché & obstiné contre le commandement de Dieu, lequel par Moyse, luy commandoit la delivrance des enfans d'Israel. Que la mesme nature le die, laquelle ne peut parler à un obstiné, ne le peut voir des yeux, ne le peut ouir des aureilles, ne peut le remettre en memoire ou s'en souvenir, ne peut luy porter aucune cordiale affection. Un obstiné qui fait tout à sa teste & fantasie est fuy de tous, pource que la conversation ne le peut souffrir, le parler ne le supporte, l'affabilité l'a en haine, la grace l'a en despit, & la gaieté l'abhorre. Les Poetes descrivent l'obstinée Lidie 225 CERVEAUX. die en Enfer, environnée, pour cete cause de fumée & tenebres, comme estant, à cause de sa dureté & obstination chose indigne d'estre veuë, & regardée, voire indigne d'apparoir à la lumiere, & devant les personnes. Mais la rigueur de la nature & la naturelle severité qui est tant austere, est abhorrée de tous, plus qu'un serpent veneneux, pource qu'elle est alienée de l'amour, eslongnée de l'affection, retirée de la nature, contraire à l'humanité, compagne de la cruauté, & quasi soeur de la brutalité? A ouir nommer un Silla, un Marius, un Africain, un Radaman Annibal, the. les coeurs tremblent, les esprits sont raviz & les entendemens demourent tous estonnez. Les Poetes n'ont mis, Lidie. Rigueur & severité de plusieurs. Annibal. Marius. Silla. Minos. pour autre chose, Minos & RaFf [225v] THEA. DES DIVERS damanthe juges en Enfer, sinon à cau se de leur rigueur inexorable, d'euë aux peines des ames mechantes: laquelle ils faignent estre non seulement fuie, mais aussy tenue en grande haine & perpetuelle abomination. Qui peut voir ces cols droicts? ces visages renfrongnez? ces fronts crespes, & ridez? ces yeux obscurciz, pour monstrer un visage guerrier? ces graves contenances? ces nouveaux Catons en austerité? nul veritablement. O que le beau dire du sage est veritable, Que le vin rude & aspre n'est agreable au goust, ny les austeres coustumes, Marc propres à la conversation & comCrassus. pagnie. Anaxagoras estoit reputé intraitable & sauvage, estant si austere, qu'Elian escrit, qu'il ne rit jamais, en jour de sa vie. On lit de Marc Crasse, qu'il estoit aussy tant Dict sage Elain escrit d'Anaxagoras. 226 CERVEAUX. rigoureux & austere de nature, que jamais ne fut veu rire, qu'une seule fois. J'ay leu de Xenocrates disciple de Platon, qu'il fut au visage & en compagnie, & frequentation tant austere, que comme il eust dict une seule fois, une parole un peu ridicule, ses compagnons, par merveille & estonnement, la rapporterent à Platon, lequel leur fit cete responce: Nunquid inter spinas, non nascitur rosa ? La rose naist elle pas entre les espines? n'est il possible qu'entre une si grande severité, se voye quelque plaisir & gayeté? entre tant de nues, une serenité? & entre tant d'obscurité, Xenocrates. un peu de lumiere? L'impieté finalement, & la naturelle cruauté d'aucuns, est fort detestée par tous les livres, & auteurs. Le Poëte Ovide ne Ff ij [226v] THEA. DES DIVERS peut souffrir le nom de Perille, inventeur du toreau de bronze, à cause de sa nouvelle & non ouye cruauté. Virgile, au troisiesme de la Georgique ne peut endurer la cruauté de Diomedes & de Buziris, qui paissoyent leurs chevaux de chair humaine. Les Historiens ne peuvent supporter celle de Tullia, fille de Tarquin, qui fit passer sa carrosse sur le visage de son pere mort, combien que les chevaux mesmes resistassent à une si grande impieté d'icelle. Qui est ce qui peut gaiement ouir les cruau tez de Neron, celles de Claudius, celles de Domitian, celles de Severe, celle d'Herode, de Totile, d'Uzelin, & d'Othoman? A qui est-ce que les cheveux ne se dressent & herissent en la teste, oyant nommer les Prognes, les Circes, Perille. Diomedes & Busiris Tallia. Hommes &femmes tres cruelles. Impiété & crauté de plusieurs. 227 CERVEAUX. les Medees, les Athalies, les Jesabels, Amalasontes, les Irenes, exemples memorables, nouveaux & extremes d'impieté? Combien les auteurs, Philosophes, Docteurs & Poetes sont ennemis de ceste cruauté. Esaie dit de la part de nostre Seigneur, aux Hebrieux, qu'il ne veut plus leurs sacrifies, holocaustes, encensemens, ny leurs festes & ajouste la cause, disant: Manus enim vestrae sanguine plenae sunt. Voz mains impies & cruelles sont pleines de sang, S. Am- Esaie. broise en son Hexameron a dict, que la cruauté est une chose propre aux bestes. Saevire bestiarum est. S. Hierosme sur les douze Prophe tes, a dict, Que la misericorde te leve en haut, & la cruauté t'envoye en bas, Sicut misericordia sursum elevat, ad Deum: ita deor sum cru- S. Ambroise. Ff iij [227v] THEA. DES DIVERS delitas in infernum. Mercure Trismegiste, en son Asclepie, a dict, que quand une creature devient cruelle contre une autre, toutes les vertuz des cieux crient à Dieu. Pithagoras fut tant ennemy de la cruauté, qu’il la defendit aux hommes mesmes à l'endroit des animaux. Licurge rapporta cecy aux Lacedemoniens, qu'Apollon luy avoit dict, que les portes de la felicité estoient closes aux cruels & ouvertes aux humains & pitoyables. Socrates souloit dire que devenir cruel estoit une chose appar tenant à l'homme condamné, veu qu'il fait, contre la nature maistresse de l'amour. Virgile, au sixiesme de l'Aeneide, depaint le cruel Salmon, à cause de sa cruauté, grandemenf puny en Enfer. Le Poete Tibulle s'escriant contre les Mercure Trimegi ste. Pithagoras. Licurge. Socrates. S. Hierosme. Virgile. Tibulle. 228 CERVEAUX. les meschans a dict, Qui fuit horrendos primus, qui protulit enses: Quàm ferus & verè ferreus ille fuit. Celuy lequel a produit & mis en avant le premier les horribles espées, veritablement a esté cruel & dur, comme le fer. Le tresdocte Dante en son Enfer, met une troupe infinie de cruels, & principallement Alexandre & Denys le Tyran, disant. Quivis i fi piangon, &c. Le docte Molza descrit gentiment la cruauté d'Herode, par luy vaillamment blasmée, au Sonet qui commance, Fugite madri ei cari vostri pegni &c. Le Seigneur Fabio Galeota, & Julio Morigi Poete de Ravenne de testent fort cete cruauté, de maniere que chacun l'a horreur. Ff iiij [228v] THEA. DES DIVERS Mais passons aux cerveaux melancoliques & sauvages. DES DESPOURVEUZ d'entendement & cerveaux melancoliques, farouches & sauvages. DISCOURS XLVIII. CEux cy sont proprement de ceux là lesquels vont seuls errans & eslongnez du tout en l'esprit & pensée de la conversation & compagnie des autres, & sont plustost de pitié, & compassion que de blasme, pource que leur sauvage nature est demourer sequestrez & separez de la commune frequentation & commerce des personnes. Ils sont neantmoins privez de la vraye paix de l'esprit, rempliz de mauvaise hu- 232 CERVEAUX. meurs, estranges fantasies leur occupent & saisissent le coeur, ils ont, au dedans des fascheuses imaginations: & sont aucunefois tels, que non seulement ils haissent la com- pagnie, & hantise des autres: mais aussi eux mesmes. Cete melancolie est ennemie de l'alegresse, opposée & contraire à la joyeuseté, & au plaisir, amie des desplaisirs & facheries, desireuse de la mort, & privant de la vie. Ces coeurs sauvages sont ennemis de la nature, pource que la nature, dit Aristote, a faict l'homme compagnable & aymant societé: au lieu qu'ils ayment mieux un petit lieu, une grotte, un antre, un bois, que la compagnie tant douce & agreable d'un homme. Pour cete cause, il ne se faut pas esmerveiller, s'ils deviennent aucunefois comme [229v] THEA. DES DIVERS bestes sauvages, & se fortifient tant en l'humeur melancolique, qu'ils pensent estre devenuz ou statues, ou asnes, ou oiseaux ou fourmis, ou semblable autre chose assez eslongnée de la verité. Je ne trouve aucunement estrange l'exemple que l'on raconte vulgairement d'un pauvre homme & infortuné, lequel pensant estre transformé en un grain de millet, demoura long temps, sans mettre le pied hors de la chambre, craignant que les poulets courussent incontinent le becher & engloutir. Paravanture n'est moindre cet exemple d'un autre, lequel imaginant qu'il estoit devenu un cordouan, se tiroit la chair avec les dents, pour se faire une paire de bottes, pour aller à cheval. Aussi est assez ridicule l'exemple de celuy, lequel pen- Aristote. Exemples d'humeurs melancoliques. 230 CERVEAUX. sant estre devenu un verre, s'en alla à Muran, pour se jetter dedans une fournaise, & se faire faire en maniere d'une couppe. Et possible n'est moins delectable celui d'un autre, lequel pensant estre devenu un potiron, se plaignoit de soymesme qu'au terme d'une heure la pluye le deust corrompre & faire pourrir. Les Grecs couchent par escrit l'exemple de la sauvage humeur de Ti mon Athenien, lequel s'acquit le nom de Mɩσάνθρωπος c'est à dire, haineux des hommes, pource qu'il fuioit la compagnie de tous, & ne prenoit plaisir en autre chose, que d'estre seul. On dit que quelquefois, il a aymé la compagnie d'Alcibiades jeune homme Athenien, desbauché: & comme on luy eust demandé pour quoy il hantoit plustost Alcibiades que les autres, il respondit, que ce n'estoit pas pour bien qu'il luy voulust, mais [230v] THEA. DES DIVERS Timon Athenien. pource qu'il cognoissoit que ce jeune homme là devoit estre cause de tresgrands scandales & maux en la Republique. Et le jour que disna quant & luy d'avanture un qui participoit de son humeur, comme il dist: Que cete table, Ti mon est heureuse, jouissant de deux d'humeur tant accordante, il demonstra le sauvage humeur qui estoit en luy, par cete responce, Elle seroit beaucoup plus heureuse, si tu n'estois icy, mais moy seul. Bien que ne soit pas moins brutalle la proposition qu'il fit aux Atheniens, lors qu'il s'en alla publiquement denoncer, qu'il vouloit coupper un figuier qui estoit en son jardin, auquel plusieurs citoyens par le passé, s'estoient pendus & estranglez deux mesmes, & qu'il donnoit advertissement à 231 CERVEAUX. ceux qui voudroient faire le sembla ble, & se pendre à ce figuier, devant qu'il le couppast, comme il avoit pourpensé. Voila les fantastiques humeurs des cerveaux melancoliques & sauvages. Or parlons un peu des Cerveaux d'Alquimiste. DES DESPOURVEUZ d'entendement & Cerveaux Alquimistiques. DISCOURS XLIX. LEs ecervellez Alquimistiques ou cerveaux d'Alquimistes ap paroissent communement ceux, lesquels par une forte pensée tendans en haut, veulent par une petite chose en faire de grandes, par la vilité, se magnifier & exalter, par la pauvreté s'enrichit, par la misere s'eslever, par l'infirmité, acquerir un tresbon estat de santé, & par l'indigence se faire heureux [231v] THEA. DES DIVERS en un moment. C'est pourquoy entre les fourneaux, alambics, & phioles, ils se vont sans cesse distillans & allambiquans le cerveau, pour trouver le moyen de se tirer des miseres, & devenir en un instant, heureux: & departans d'un estat infime & vile, monter, par les ailes de Dedale, en un instant jusques au ciel. Il ne leur suffit pas de se promettre l'or de Croesus & les richesses de Crassus: car devenuz encore plus ardans & convoiteux ils vont cherchans une certaine pierre, laquelle communement ils appellent la pierre Philosophale, & les auteurs Arabes la nomment Elixir, à Democritlaquelle te. ils font attribuer par les Philosophes anciens, noms tres-divers: du Ciel, comme par Jam blic dame Roiale, comme par les Platoniques, de Dieux remplissant Les Platoniques. Jamblic. l'univers, comme par Democrite, 232 CERVEAUX. Aristote S. Plotin. Sinesius. Zoroastre Remond Virgile. AuguPithagoOrphée & Lullius. stin. ras. Pythagoras: de divins allechemens, comme par Zoroastre, Sinesius & Plotin: de secrets raisons seminaires, espandues par tous les elemens, comme par S. Augustin: d'esprit interne, comme par le Poëte Mantuan: de mesure substantielle à tous, comme par Remond Lullius: de quinte essence, comme par Aristote, de grand secret, comme par toute l'escole Alquimistique. Où ils exaltent tant, par ces noms graves & sonans, la vertu de l''Elixir, ou de la pierre philosophique, que non seulement ils promettent, par la vertu d'icelle, la metamorphose d'or, en la boutique de Geber & de Remond, mais un prodigieux Midas, lequel touchant les choses, les convertisse en or, comme promit Augustin Augurel, au 3. livre de sa Chrisopeie, descrivant la ver- Orphée Augustin Augurel. [232v] THEA. DES DIVERS tu de cete pierre, où il dit, Che gettandone in mar picciola parte, &c. Quando, il mar tutto argento vivo fosse, Potrebbe in or tutto voltar il mare. Ha, comme l'ont promis en tant de leurs oeuvres, Hermes, Alfidius, Avicenne, Hortulanus, Rosinus, Albertus, Arnaldus, Morienus, Gilgilides, Cristophle Parisien, & infiniz autres, lesquels ont remply les livres d'enigmes, & secrets tres-obscurs touchant cete fantasie tant curieusement desirée de tous. Or estans meuz aucunefois de cete curiosité, ils congregent & assemblent les sucs, les pouldres, les urines, les liqueurs, les lies & mineraux en vases de verre, en bo- Noms de divers Al quimistes. cals, en alambics, en pots, en fourneau, en baings d'arene, en bains Marie, passant par la bure, preparant, cimen- 233 CERVEAUX. cimentant, souflant, desmeslant, sublimant, fondant, pulverisant, la vant, incorporant, dessechant, jet tant en verge, en petit canal, en eau, les mixtions, & les compositions par eux reduites, à la dernie re fin. Les desireux & curieux de voir une belle experience, esprouvent une recepte, Ad album , avec le blanc d'un oeuf, allum, sel, Kal, bruslé avec estain d'Angleterre, sel gemme, sel armoniac, chaux vive, verre pillé: & cela se pile, se broye, se mould, se faict en paste, se met au feu lent, au feu d'alteration, au feu de reverberation, se fond & se tire ou une lie & chiasse treslaidde, ou des charbons plus noirs que ne sont ceux desquels ils se servent. L'on esprouve aujourd'huy la maniere de congéler Mercure avec les mineraux, le ViGg [233v] THEA. DES DIVERS triol, Salnitre & autres avec les sucs d'herbes, Napellus, Serpentine, Aristolochie, pouliot, Centaurée, Tapsus, avec poudres d’Euphorbe, de verre, d'antimoine: avec medecines y jettees de Sirop de pavost, Agaric, Arsenic, & Reu barbe, & les jette les matieres, les deniers, le Mercure en fumée, qui se viennent à resoudre en lies & chiasses plus noires que n'est la fumée & suye des cheminées. Aujourd'huy se fera une experience, ad solem , tresbelle & approuvée, que l'on a eu d'un Flamand, d'un François, d'un Allemand, de Thomas Philologue, de François Storella, & d'Augustin Panthée, & se composent ensemble, Venus purgé pro ut scis: Curcinne pilée, Tucie d'Alexandrie preparée, prout scis , deux dattes fresches, du safran, 234 CERVEAUX. la Febue noire, les figues pasteuses, & se met tout cela en un vais seau, en forme de paste, bien bousché, sans aucun vent, & puis en un petit fourneau, où l'on soufle trois ou quatre heures, ce faict on le tire dehors, & se trouve une masse non d'or, mais de cuivre, qui ne vient à la pierre de touche & moins à la copelle. Mais ceste cy est encore plus belle à ouir, quand tu accompagnes ensemble les lames subtiles du Soleil & de la Lune, pensant trouver un or tresfin, de vingt quatre quarrats, apres une longue fusion, tu trouves que ce qui estoit de douze, est diminué jusques à huict, ou dix au moins: de maniere que l'on te peut dire le propos d'Esaie, Argentum tuum versum est in scoriam. Esaie. Gg ij [234v] THEA. DES DIVERS Ton argent est tourné en ordure du metail. Que diray je des despen ces, frais, sueurs, des peines, des ires, des voeuz, des juremens, des vaines promesses, que ceux cy font tous les jours, trompez par la faus se esperance, qu'il avoyent en la teste? Que diray je des fraudes, des tromperies, des faussetez, des monstres, des apparences, qui ne resstent ou tiennent au feu, au mar- teau, & moins au reste des preuves que les Orfebvres en font tous les jours? Que diray je des pensées, des intentions, des desirs, des conceptions, des humeurs extravagantes & fantastiques qu'ils ont en eux? Les conceptions qui empeschent leur esprit sont les causes d'argent, les escrins d'escuz, les coffres pleins de doubles ducats, les sales magnifiques, les montagnes d'or, les pa235 CERVEAUX. rens Seigneurs, les amis, Cardinaux & Princes, eux mesmes, Rois & Empereurs. Les miserables s'abusent en diverses manieres, eux mesmes, par la monstre de l'art, des secrets, des experiences, de congeler, arrester, transmuer: ayans finalement pour art le ridicule soufler des soufflets, pour secret, l'inutile plomb purgé, pour congelation la vaine amalgame, pour arrester le sot frangible, pour coppeller une chose, qui est seulement fondue. Ils sont en cecy principallement dignes de moquerie, quand avec si grande gloire & jactance, ils racontent aux ignorans, les fols mysteres & les vains enigmes de cest art, nommans le Lion verd, le cerf fugitif, l'aigle volante, le fol saultant, le Dragon qui devore sa queue, le muy enflé, la teste de Gg iij [235v] THEA. DES DIVERS cerf, ce negre plus noir, que le negre, le seau d'Hermes, l'unique & seul, outre lequel il n'y a autre, & neantmoins se trouve en tout lieu. Avec quelle jactance, Dieu immortel, ois tu ceux cy nommer & mentionner les termes & sinonimes des metaulx qui te font don- ner de la teste contre la muraille, en les oyant, seulement, quand ils nomment l'argent, tu ois qu'ils l'appellent Lune, l'argent vif, Mercure, ennemy, sans saveur, lubrique & coulant, enfant sautant: la Gomme blanche, glaire d'oeuf, Menstrue, Sperme, Occident, Vieillesse & Nuict, l'airin, Venus: le fer, Mars: l'estain, Jupiter: le plombs, Saturne: l'or, le Soleil, l’Orient, Forme d'homme, Faucon, Cocq, pierre des Indes, Phison, Olive perpetuelle, Veine avec lu236 CERVEAUX. stre, & leur donnent tant d'autres noms, que c'est une chose treslongue à raconter & à garder en la memoire. Je ne diray pas la grande & vaine gloire qui regne en eux, quand ils voyent qu'on les escoute, & qu'on leur adjouste foy, quand ils voyent, que de leurs propos, l'on monstre une allegresse, & qu'on leur est attentif, quand ils voyent le desir manifeste, la merveille de ceux qui escoutent, & les frais que l'on faict incontinent. Je ne diray pas comme ils triomphent, voyans que l'art va devant, les phioles, & vaisseaux s'achetent, les matieres se preparent, les lieux s'estouppent, les soufflets s'accommodent, les fourneaux se r'habillent, & que la chose s'ensuit, avec une bonne disposition de despendre Gg iiij [236v] THEA. DES DIVERS & employer le vent & le coeur, s'il en est besoin. Apres qu'ils te voyent chargé de fumée, suant de chaleur, enduit de poix, puant de soulphre, avec les yeux mols, la sueur au visage, avec le coulement au nés, les mains & le visage taints, avec les accoustremens sales, avec une douleur de teste, un tremblement de membres, & sur tout avec la bourse vide, en cest endroit, ils t'ont monstré & enseigné leur plus grand secret, de convertir, transmuer, & faire une vraye metamorphose, telle que d'Alquimiste, tu deviennes Cacochimique, de medecin, mendiant, d'herboriste, charbonnier, avec la risée, plaisir & passetemps de toutes personnes. En somme j'ay tousjours ouy dire, que tous les Alquimistes ne sont riches d'autres choses que 237 CERVEAUX. de trois: de fumée, desperance & de pauvreté. O folie, sur toutes les follies! folie, qui n'a moyen a des pendre, qui n'a reigle à acheter, qui n'a ordre à disposer, qui n'a mesure à mettre en oeuvre, qui n'a experience à reduire, qui n'a fondement à commancer, n'y perfection à finir & achever. L'un donne commencement à l'art, en sophistique, qui en couleur: qui en l'amalgame, qui, par le congeler, qui à trouver la susdicte pierre mi raculeuse, qui avec huiles, qui avec onguents, qui avec suiz, qui avec poisons, qui avec mineraux: & un autre lassé de tant de preuves inutiles, s'induit finalement (comme faict un mien singulier amy) à congeler Mercure avec le beurre, & le Caviare, chose vraye & certaine, qui donna grand plai- Alquimi stes riches de trois choses. [237v] THEA. DES DIVERS sir à la gentile compagnie, qui le sçeut & l'entendit à lors par passetemps. Je ne parleray pas tant contre cest art subtil & curieux, que je ne vueille, en plusieurs cho- ses le nommer, veritable, & le recommander & louer avec tous les tiltres de louange, que l'on estime luy estre deuz & convenables. Le divin Philosophe Platon, a prouvé l'Alquimie ou Calcimie, ou Voarcomene, ou Voarcadamie, estre veritable, faisant un supposé, à peu cogneu: car estans tous les metaux differens entre eux non d'espece, mais seulement selon le plus & le moins, ou selon la quantité, l'un se peut transmuer en l'autre, le reduisant de l'imperfection, à la perfection, par la vigueur de l'art, & par la pratique inventée par les vrais, & parfaicts Alquimistes. 238 CERVEAUX. Solin. Strabon. Pline. V Jean Picus Balde. Davantage, Solin, Strabon, Pline, & Jean Picus Mirandulan (comme allegue bien, le Panthée, en sa Voarcadamie ) l'ont appellée une science celeste & divine. Balde de Peruse aussi fameux Docteur de loix, és commentaires qu'il a faict, sur les usages feudaux, & au tiltre, quelles sont les regales, louant l'Alquimie, l'a appellée invention d'un esprit excellent & Philosophique. Oldrac mesmement tresnoble legiste, en ses conseils, l'aprouve manifestement, au Conseil soixante neufiesme, pourveu qu'il n'y ait de l'art magique, ou autre chose contraire aux loix amenant la L. Unica. & le C. de Thesauris. Quiconque prend plaisir de voir les frivoles raisons que l'on peut amener contre Oldrat. [238v] THEA. DES DIVERS les Alquimistes, afin que chacun les tienne & estime faux & menteurs, considere comme l’Angelique en parle, ou notant de l’autre part, comme la Somme Tabiene refute sagement & avec raison les inutiles preuves d’icelle, il verra si ceux là sont beaucoup plus dignes de louange que de blasme, que l’on appelle Alquimistes. Mais il ne se trouvera personne qui ne loue l’Alquimie en cecy, quelle a trouvé ces beaux temperamens de l’a zur, du Cinabre, du vermillon, du pourpre, du cristal, & de ce qu’ils appellent or musicien, chose excellente & tresnoble. Davantage elle a trouvé le cuivre, qui sert en tant de choses, les mixtions, les compositions, les departemens ou divisions, les essais, les inventions des canons, les pouldres des artil- Sommes Angelique & Tabiene. 239 CERVEAUX. leries, les feuz artificiels, & mille autres choses vraiement segnalées. Ceste cy est celle qui a trouvé les verres que Pline mentionne & recite s'estre veuz du temps de Tibere, mols & ployables en toute maniere, à la perte & dommage du propre auteur, lequel Isidore narre avoir esté pour ceste cause occis, à ce que l'or n'avilist avec l'argent, à cause de la beauté du verre, & afin que l'on n'ostast à ces metaux tant nobles & estimez, leur prix & valeur. Ceste Alquimie finalement est celle qui ha retrouvé les eaux de vie, ces esprits essentiels, ces quintes essences, qui purgent par une si grande merveille, les catherres de la teste, estai gnent & amortissent les coleres, repriment les phlegmes, chassent les douleurs, & les tourmens, con- Pline. Isidore. [239v] THEA. DES DIVERS somment les mauvaises humeurs, donnent vie aux malades, & font quasi resusciter les morts. Parquoy estant, à cause de tant de particu- laritez, remplie de merites, & louable, bien qu'en quelque partie, elle fust apparente & fausse, ce que nient constamment auteurs tresdignes, nous la mettrons en nostre Theatre, entre la louange & le blasme, pour ne nous irriter contre tout le vulgaire, & pour n'estre contraires aux dicts de plusieurs doctes personnes, d'entendement & de sçavoir. Or passons aux cerveaux d'Astrologue. DES CERVEAUX d'Astrologue. DISCOURS L. 240 CERVEAUX. L'ON appelle communement cerveaux d'Astrologue, ceux, qui vont la plus part du temps seuls, pensifs, imaginant, fantastiquant & considerant ce qu'ils ont en leur pensée, pourveu que l'homme estime que ce ne soit chose frivole, mais digne de consideration & d'importance comme les choses, que l'Astrologue ha proprement coustume de regarder. Parquoy souz ce membre, se pourroyent mettre plusieurs, qui ne sont de tous communement cogneuz pour Astrologues, comme les usuriers, lesquels vont tout le jour astrologisans, & pensans, comme un escu, en pourra avec le temps gangner cent, comme un boisseau de bled, se convertira, en un grenier, un sac de farine, deviendra une masse. Les fols amoureux [240v] THEA. DES DIVERS qui vont cherchant l'Elitrope de Calderin, ou la pierre, Gigis, pour aller invisibles, les secrets de Cyprian, pour se transformer en passereau, la Clavicule de Salomon, pour avoir la Calamite, ou pierre d'Aimant, qui les remplisse plus de calamité que d'allegresse: ceux qui sont sur les questions, lesquels à toute heure vont imaginant, par quel art, par quelle ruse, & par quel stratageme l'on puisse accueillir & surprendre l'ennemy dormant, s'il seroit possible d'avoir de la pouldre, laquelle ne fait bruit, & ainsi vont discourant en infiny. Mais les propres Astrologues, ausquels ce nom à bon droict convient, sont ceux, lesquels avec les sferes en main, & avec l'astrolabe devant eux, se depeignent aujourd'huy sur les Almanachs & prono- 241 CERVEAUX. pronostications, faire jugement & discourir des choses à venir: comme des jours, des mois, des saisons de l'an, du serain, du mauvais temps, de la mort, de peste, des guerres, de tremblemens de terre, d'innondations, & de bonnes & mauvaises cueillettes, en quoy l'experience maistresse des choses, enseigne tous les jours, combien ils s'abusent, & comme ils sont menteurs. Je ne dy pas que l'on ne puisse sçavoir quelque chose, par la longue pratique & experience, observée de leurs maistres: comme les Ecclypses de Lune, & du soleil, les conjonctions, les oppositions, les dominateurs, les ascendans, & quel ques autres observations, qui ne sont de grande valeur & consequence. Mais quant aux jugemens qu'ils font de la mort des Seigneurs, des Hh [241v] THEA. DES DIVERS guerres asseurées qui seront, des pestes, des chertez, des heureux succez, des infortunez, quant à faire la nativité de cestuy cy & de cestuy là, ou la chose se rencontre souvent à l'opposite, je dy que c'est une pure sottise, de ces babillards, affronteurs & charlatans. Pourquoy veulent ils, les pauvres gens, nous remettre aux causes celestes en ces jugemens, & aux influences des estoilles qui predominent, veu que leurs mesmes auteurs, tresexperimentez Mathematiciens, comme Eudoxe, Archelaus, Cassandre, Hocchilace, Halicarnasse, avec une grande trouppe de modernes, confessent estre une chose impossible, de trouver aucune chose cer taine, par la science des jugemens? Combien de choses se peuvent faire avec le Ciel (comme certifie Noms d'Astrologues 242 CERVEAUX. aussi Prolomée) qui pourroyent empescher l'evenement jugé d'iceux? Combien d'occasions aussi pourroyent faire le semblable, lesquelles s'opposent à ces causes là? Trouves tu une petite opposition, celle de l'usage, des coustumes, de la nourriture, de la bonté, de la deshonnesteté, de l'empire ou commandement, du lieu, de la Nativité, du sang, de la viande, de la liberté de l'esprit, & finalement de la discipline? Et d'autant plus que tous les Astrologues concluent que les influences des estoilles & des planettes ne forcent, mais seulement inclinent. Pourquoy baptises tu donc les conjectures simples, & estimes qui se font au moyen seul du jugement humain, par l'Astrologie? Chacun, mediocre Philosophe, Hh. ij [242v] THEA. DES DIVERS ains toute mediocre personne, ayant jugement, sçait que les pestes & contagions ont coustume de ve nir, par l'intemperature & indisposition des saisons, & à cause des chertez, durant lesquelles, les hom mes contraints par la necessité, mangent de toute chose, & se rem plissent seulement de viandes dommageables & nuisibles, occasion de maladies contagieuses & pestilentes. Et tous sçavent que les guerres sont preparées, en ces mes mes temps de disette, pource que les vivres sont empeschez, par ceste principauté & ceste autre, avec alteration & emotion des coeurs de ceux, qui souffrent: & pourtant sont ils trespronts à la vengeance, avec les armes en la main. Et n'y a aucun qui ne sçache, que se mourront des Princes tant en Levant, qu'en 243 CERVEAUX. Occident: aussi bien, au chef, qu'en la queuë du Dragon. Qui ne sçait aussi que quand l'on voit les pluyes trop grandes & frequentes, ou la seicheresse extreme, ou le froid excessif, hors le temps, & saison, on ne recueillera pas beaucoup de biens, & les esperances humaines se ront frustrées de leur joyeuse attente? Appellera l'on le deviner de ces choses là Astrologie? Nous pourrons donc tous faire gaillardement des Almanachs, sans estudier les tables de Nostradamus, & aller à l'escole de Sarezane, ou de Saranezze. Mais si le regarder aux estoilles est de quelque argument, ou en bien ou en mal, entre une si grande diversité d'estoilles quasi infinies, qui surviendront & se rencontreront és influences, pourquoy ne se peut on promettre & Hh iij [243v] THEA. DES DIVERS grandeur & misere, victoire & rui ne: santé & maladie, vie & mort, honneurs & vitupere: richesses & pauvreté? amitiez & discordes, & guerre & paix tout à la fois, puis que les effects de diverses estoilles peuvent estre, tout à la fois, non seulement differens, mais contraires? C'est pourquoy, les rusez & malicieux en leurs pronostics, ont coustume de couvrir les succez à venir en alleguant (pour exemple) que Saturne comme Seigneur de l'an, sera occasion de tristesse & de pleur à chacun, mais que Venus, pour estre conjoincte à Saturne, mi tigera un peu la maudite rage de la planette rigoureuse. Et ainsi quand l'effect sera mauvais, ils attribueront cela à la Seigneurie de Saturne, & s'il est bon, ils le sauveront en la conjonction de Venus. O 244 CERVEAUX. Astrologie de mauvais goust? O profession trompeuse! ô art trop artificiellement couvert! comme à bon droict, Cornelius Tacitus se plaint contre ceux cy, disant. Il y a une certaine maniere d'Astrologues malicieux qui sont infideles aux Seigneurs & Princes, fallacieux à tous ceux qui les croyent, lesquels ont esté souventesfois chassez de nostre ville, & ne sont jamais du tout exclus, comme il faudroit. Que ce tresgrave auteur Varron disoit bien, que la vanité de toutes les superstitions est de rivée & emanée du sein de ces trom peurs & moqueurs! Combien y en a Cornelius Tacitus. M. Varron il qui te prennent pour Saturnin ou Jovial, pour Martial, ou Solaire, pour Venerien, ou Mercurial, par un seul signe de la face, Hh iiij [244v] THEA. DES DIVERS voulans par un exterieur probable, induire un demonstratif interieur des affections de l'esprit se persuadans qu'ils sont si grands Zopires en la Phisionomie qu'ils ne se trompent aucunement? Combien y en a il qui pensent avoir la parfaicte Metoposcopie, & par tresgrand & vif entendement en considerant seulement le front, pensent deviner, les entrées, principes, deportemens & fins de toutes personnes & puis demeurent des sots, comme demoura celuy à Milan, lequel regardant un certain bossu au front, luy dist, par maniere d'introduction, que, Multa essent dicenda de fronte illa. Il faudroit dire beaucoup de choses d'un tel front: & en luy regardant aux mains, tandis que le bossu irrité contre luy l'importunoit de dire 245 CERVEAUX. ce qu'il en pensoit, en disant, Dic, dic, dic, il se trouva chargé d'un grand coup sur le nés, au moyen dequoy, il demoura tout estonné & esperdu, ne sçachant plus où il en estoit? Combien s'en trouvent lesquels faisans du Chiromancien, par certains signes sur les mains, par certains lineamens, lignes, & par ces sept monts, selon le nombre des sept planettes, qu'ils ont retrouvez selon leur fantasie, veulent deviner les affections de l'esprit, la vie & la fortune, & en maniere de Bohemiens, comme on les appelle communement, qui courent par pais, te veulent dire la bonne avanture, & finalement te couppent secrettement la bourse, mettans peine avec les mains, comme tresbons Chiromanciens, de se moquer de toy, comme il faut? Combien y en [245v] THEA. DES DIVERS a il, lesquels faisans profession malheureuse de Geomanciens, vont enseignans aux femmes les superstitions du moulinet, le tour du bluteau, les sorts des poincts jettez d'avanture, les succez des nom bres per & imper, & remplissent leur cerveau de follies, & fadaises, & par ceste expresse vanité blasmée de tous, ils s'aquierent la faveur, le credit, & la possession des maisons & des personnes? Combien y en a il, lesquels pour sembler suffisans & braves, comme les anciens alleguent les miracles, retrouvez par leur science, mettant les resveurs, au nombre des vaillans Astrologues, & les ignorans avec ceux, lesquels en ont doctement parlé? Tu vois en cest endroit amener l'invention des spheres, le nombre des cieux,les mouvemens 246 CERVEAUX. des planetes, les signes celestes, les poincts equinoctiaux, les discours d'exentrices, de concentrice, d'epicicles, de retrogrades, de trepidations, d'acces, de reculemens, de rapts, d'eclypses, & de mille autres noms, qui donnent merveille au vulgaire, & le rendent par semblable attentif: & par ces propos, ils semblent autant d'Albategnes, autant d'Isaacs, autant d'Alpetrages, autant de Tebith, autant d'Azarchelas, autant d'Hipparques, autant de Bemodans & autant de Ptolomees, & ne sont enfin autre chose que Hibbouz & Chahuans. Il est requis autre chose, pour posseder à bon droict le nom d'Astrologue, que la sphere depainte, en la main, les lunettes au nés, Noms d'aucuns Astrologues. [246v] THEA. DES DIVERS l'astrolabe aux pieds, il faut faire autre chose que composer un lunaire, sur tous les mois de l'an, former un pronostic desrobé des tables de Nostradamus & alleguer Ptolomée en l'Almageste, ou Mar tian, ou Julius Firmicus ou le Roy Alphonse, en quelque livre par eux faict. Avec quel plaisir, font ils demourer le monde attentif, tandis qu'ils diront que l'an, selon la revolution du Soleil, commancera le premier de Janvier, à quarante minutes, selon le calcul du Roy Alphonse: que Mercure sera Seigneur de l'ascendant & predominateur, & Mars & Jupiter en la sixiesme maison, que la cruauté de Mars sera mitigée, par la gaieté de Jupiter, qu'au Mouton, au Taureau, & aussi au Capricorne, ne sera bien faict de tirer du sang: 247 CERVEAUX. ny mesmes quand ils regardent Jupiter & Saturne, que les Cieux nous menacent de guerres, des pays Orientaux, que la Comete passée nous pronostique la mort d'un Hottoman: qu'il y a danger que les lis blancs ne s'efforcent de s'enraciner au pays des Insubriens, & que l'on entende à avoir soin, pource que l'on conclud finalement que les forces des estoilles enclinent, & ne contraignent pas: & que, Sapiens dominabitur astris. O le gentil discours qu'ils font! tous les Almanachs qui se voyent ne chantent quasi autre chose, & ne passent ces beaux advertissemens qui se donnent au monde. Est il possible que le monde soit tant sot, qu'il embrasse en un instant ces moqueries? & ne s'advise que telles [247v] THEA. DES DIVERS gens, desrobent pour le plus, ce qui est à autruy, ne nous ameinent rien du leur, alleguent les passages sans fondement, abusent les personnes de belles promesses, entretiennent les esprits & entendemens de curiositez & tirent l'argent de la bourse, par esperance & flateries? Canone Mathematicien voulant acquerir la bonne grace & faveur du Roy Ptolomée, mit il pas la chevelure de la Roine Berenice, au ciel, à ceste fin? Y a il flaterie aucune ou adulation que ces modernes Astrologues n'observent continuellement en leurs propos & escrits? promettent ils pas communement aux Seigneurs qu'ils cognoissent desireux & curieux de nouveauté, enfans tres-vertueux, lignée divine, victoires tres-grandes, Canone Mathematicien. 248 CERVEAUX. heritages de tres-grande importance, thresors incomparables, estats innombrables, & sur tout tres-heureuse vie, & tres-heureuse fin? Ah, tous ne sont pas Anaxagores, qui pronostiquent la cheute de ceste pierre du ciel, qui avint en la septente huictiesme Olimpiade. Tous ne resemblent pas à Pherecides Sirien, pour voir, en tirant l'eau d'un puits le tremblement de terre qui doit venir. Tous ne resemblent à Sulla Mathematicien lequel predist à Caligu- Anaxagoras. Pherecides Sulla. le, le jour, l'heure & la maniere de sa mort. Tous ne resemblent à l'Astrologue Meson, qui pronostiqua aux Atheniens la tres-grande fortune qu'ils eurent, en l'expedition de Sicile. Tous ne sont semblables à Berose, pour estre dignes des statues, par la langue d'or: Tous ne ne ressemblent à Athlas, pour [248v] THEA. DES DIVERS pouvoir soustenir & supporter le ciel de leurs espaules. Tous ne sont Endimions, pour demourer embrassez avec la Lune leur amoureuse. Mais bien plusieurs, & en grand nombre, se trouvent non Astrologues mais ignorans: non Mathematiciens, mais vraiement fols de la plus fine matiere qui se trouve, pour ceste cause passons de ceux cy à autres fols, qui s'appellent fols & extravagans tout ensemble. Endimion. DES DESPOURVEUZ de cervelle, ou Cerveaux fols & extravagans. DISCOURS LI. Meson. Berose. CEs Cerveaux fols & extravagans sont un si grand nombre au monde, que peu de lieux se trouvent vuides, de ceste semence, laquelle 249 CERVEAUX. laquelle, en maniere de chien-dent, se nourrit & cree par tout aisement. Leurs infiniz honneurs (pource que Stulorum infinitus est numerus) n e se peuvent tant facilement expliquer, pource qu'ils sont en si grand nombre & tant extravagans, qu'ils portent quant & soy une peine indicible à celuy qui ha le soin de les raconter. Il se trouve tel, qui hà l'humeur d'estre Pape, quelqu'un d'estre Empereur, un autre d'estre Roy, & dispensent les privileges, & autoritez de devenir Cardinaux, Marquis & Princes, avec une si grande gravité exterieure, qu'ils donnent à l'esprit un plaisir & merveilleux passetemps, autres font du Docteur des loix, autres, du Medecin: autres, du Prophete (comme j'en ay cogneu par le monde, trois ou Ii [249v] THEA. DES DIVERS quatre) & parlent avec une si grande fermeté & asseurance, pour un peu, de la profession qu'ils ont prin se, que l'on diroit proprement, qu'ils fussent tels: pource que tu ois former un conseil, ou bien un instrument de docteur Legiste: discourir sur une urine, ou sur une fiebvre, en vray medecin, predire quel Cardinal doit estre Pape, se lon les Propheties de l'Abbé Joachim? ou si le grand Turc doit faire entreprinse d'importance, tant constamment, qu'ils semblent & paroissent proprement ce qu'ils demonstrent, Mais en fin ils viennent à extravaguer en sorte: que tu cognois incontinent, qu'ils sont de ceux, qu'engendre Bergame, Valtelline & Valcamonique, & quasi tout le pais d'alentour. L'on raconte à ce propos, une ridicule Folies gran des de certains Ber gamasques. 250 CERVEAUX. folie de certains Bergamasques, lesquels penserent que l'eau, d'une leur Serrivole, pource qu'elle bouillonnoit, fust une chaudiere pleine de Maccarons bouillans, & se jetterent tous dedans l'un apres l'autre, pensans que leur compagnon, qui s'y estoit jetté le premier, les deust manger tout seul, sans en laisser à ses compagnons, ne le voyant retourner en haut, & ainsi ils se noyerent tous bergamasquement. L'on raconte mesmement une extravagante folie, d'aucuns de Val camonique, lesquels estans allez à Venise, comme ils furent descenduz pres les degrez de S. Marc, ayans cete humeur en la teste, que la ville fust en la mer, comme une barque en l'eau, se mirent en la place, pres du clochiez de Sainct Marc, comme au mast, & se tiIi ij [250v] THEA. DES DIVERS Folie extravagante d'aucuns de Valcamonique. rans leurs chemises de dessus leur dos, les attacherent à cet arbre & tour du clochier, crians, voile, voile, & tout le peuple courant à ce spectacle, il commencerent allegrement à demener les bras, en maniere de matelots qui tirent la rame, pour ayder la barque, empeschée de la charge d'une si grande multitude de personnes. Sçauroit l'on trouver plus sottes matieres, & plus extravagantes folies que celles cy? Celius en raconte une d'un certain Pisandre, lequel fut reduit à une telle folie, qu'il avoit peur de rencontrer, un jour, son ame, qui luy dist, qu'elle ne voulust plus se tenir avec luy, mais s'en aller bien loin de luy & l'abandonner: & estant ainsi affligé & fort marry, il s'en alloit çà & là fuyant, de peur de la rencontrer Celius. 251 CERVEAUX. d'avanture. De maniere que ces fols extravagans en font de celles qui se peuvent, appeller tres-solennelles, qui donnent plaisir à toute personne, qui les entend. Or passons maintenant aux Cerveaux fols, furieux & brutaux. DES DESPOURVEUZ, d'esprit, fols, furieux & brutaux. DISCOURS LII. LEs destituez d'esprit, & cerveaux fols, furieux & brutaux, sont pires que les susdicts, pource que non seulement ils sont nuisibles à eux mesmes, mais souventes fois aux autres aussy. Ainsi Ovide descrit, en ses Fastes, le furieux Athamas avoir occis son Athamas furieux en Ovide. Ii iij [251v] THEA. DES DIVERS propre fils Learque, en ces vers: Hinc agitur furiis Athamas subimagine falsa Tuque cadis patria, parue Learche manu. Delà Athamas est mené & induit par les furies, souz une fausse image: & toy petit Learque, tu meurs, de la main de ton pere. Plutarque en son Romule, escrit de Cleome des d'Astipal, homme de forces prodigieuses, lequel tire de la fureur, & de la brutalité, donnant du poing sur un pilier, qui soustenoit l'escole publique de la ville, jetta la maison, sur les enfans, lesquels furent tous occis, souz ces furieuses ruines. Mais Herodote en faict mention d'une autre fort solennelle, Cleomedes furieux. de Cleomenes Roy des Lacedemoniens, lequel estant devenu fol & brutal, donnoit du sceptre, sur le 252 CERVEAUX. visage d'un chacun, & comme il fust mis aux ceps & emprisonné par ses parens, il print un cousteau, de la main d'un des gardes, & se divisa les membres de soymesme, commanceant par la partie inferieure, & arrivant jusques aux extremes du chef: à raison dequoy il se desmembra du tout, de soymesme. Saxon Grammerien faict mention aussi d'un certain Athlete ou luteur appellé Arthene, lequel entra en si grande furie, qu'il rongea à belles dents un escu d'acier, comme si c'eust esté un fromage: engloutit les charbons de feu, comme autant de cerises, & par le milieu des flammes courut nud un jour, comme s'il eust couru par un jardin plein de roses, violettes, & fleurs. Apulée & Ovide descrivent de la folle fureur d'Ajax, fils de Telamon, Arthene furieux. Ii iiij [252v] THEA. DES DIVERS lequel devenu furieux, pource qu'il voyoit au loyer & prix des armes d'Achille, le cauteleux Ulisse, preferé à luy, par le juge ou President des Acheens, entrant aux estables des bestes, les tuoit toutes, comme si elles eussent esté les mesmes Grecs, & en fin, il tour na pareillement contre soymesme le fer fatal, & se tua: ce qui a donné occasion au tres-docte esprit de l'Anguillara de former une stance memorable de sa fureur, qui commence. En l'huomo invitto al fin dal dolor vinto, &c. Et en fin le divin, Arioste, pour un unique exemple d'extreme folie, raconte celle du furieux Roland, en plusieurs stances. Ainsi ces despourveuz de sens, furieux & bru- Anguillara. 253 CERVEAUX. taux, portent à eux mesmes & aux autres aussy, grand dommage, honte & prejudice. Mais parlons maintenant de ceux là lesquels ont une legion de noms, comme de cerveaux terribles, indontez, endiablez, entraversez, precipiteux, trepanez, bigarrés, & heteroclites. DES CERVEAUX terribles, indontez, endiablez, entraversez, precipiteux, trepanez, bigarrés & heteroclites. DISCOURS LIII. CEs despourveuz de sens & Cerveaux diaboliques, appartiennent proprement à ceux, qui ont tousjours la volonté de faire mal, & ne l'ont jamais, pour faire bien, & qui sont tous- [253v] THEA. DES DIVERS jours comme piffres, promtz à mener les mains, comme sont les braves & audacieux du monde, les despece fer, les taille-cantons, les mange-cadenatz, lesquels ont le diable à costé, derriere, devant à la ceinture, dessus, & és mains. Ceux cy estoient appellez par les anciens Romains, gladiateurs. Le Poëte Horace fait mention de Bithe & Bacchius, egaux en mechan- ceté, & audace, qui estoient de cete engeance: desquels est derivé ce proverbe, Bithus contra Bachium: quand se trouvent deux de ses fendans & hardiz endiablez, qui combatent entre eux. Et Virgile, en son Aeneide faict mention de Dares temeraire, lequel voulant faire du brave & du fendant défia Entelle au combat, duquel il fut vaincu & surmonté. Ce qui don- Bithe & Bacchius braves & audacieux. 254 CERVEAUX. na lieu au proverbe, à l'endroit de S. Hierosme, qui dit, Dares Entellum provocat : quand l'on parle & devise d'un de ces braves, ayant desfié aucun au combat, & lequel demoure apres vaincu, par celuy qui ha esté appellé de luy, pour se batre. Anthée le Geant fils de la Terre, est descrit, par les Poetes, pour l'un de ces temeraires & audacieux, ayant le desfié Hercules à la lutte contre luy, & estant demouré vaincu. Et en cet endroit Ange Politian, descrivant le singulier combat de tous deux, à composé ces beaux vers, qui commancent, S. Hierosme. Anthée audacieux Dares temeraire. In calvere animis dura certare palestra, &c. On ne scauroit dire combien sont au dacieux, & endiablez ces cerveaux [254v] THEA. DES DIVERS icy, pource qu'ils vont peschant les discordes & debats, comme l'on faict le poisson avec le reth: les bruits & rumeurs les delectent, les tumultes leur plaisent, les contentions & querelles leur agreent, les fureurs leur vont par la fantasie quand ils viennent aux mains, ce leur est un des plus grands plaisirs & passetemps, qu'ils puissent avoir. Ils sont tout le jour, sur le point de se battre, ils pensent à toute heure à faire boucherie, ils courent toute la nuict, tiennent les rues, & n'ont autre plaisir, que de donner fascherie & ennuy à l'un & à l'autre. Si tu les rencontre, ils prennent plaisir de t'empescher le chemin, passetemps à ne se laisser cognoistre, recreation, à te faire dire, qui tu es, leur esjouissance est de te lever un man255 CERVEAUX. teau ou un chappeau, ils se glorifient de te faire fuir: ils sont ambicieux, pour se faire reputer mau vais garçons, & rudes espées. Le propre d'iceux est de marcher, comme Gradasses, regarder de travers & bicle, comme Rolands, foudroyer de colere, comme Mandricards, estre bijarres comme Marphise: vanteurs, comme Ferrau: superbes comme Grandoniens, orgueilleux, comme Rodomont, traistres comme Ganes, & surtout aucunesfois, viles, lasches & couards, comme Martan. Il n'est pas difficile de cognoistre la nature & qualité de ceux cy, pour ce qu'ils la descouvrent & manifestent à tous, en un instant. Ils sont, entre autres choses, tant despiteux & aisez à se piquer, que le signe d'au truy seulement les moleste, un re[255v] THEA. DES DIVERS gard les fasche, un ris les fait entrer en colere, un geste les emplit de rage, une parole les met en fureur, une menace leur fait jetter un plus grand feu & ardeur, qu'un Montgibel. Le propre d'iceux est de porter leurs chappeaux sur les yeux, avec la plume au vent & les rebras retroussez, le bouquet à l'oreille, ou droicte, ou senestre: le secret cabasset en teste: la maille sur le dos: les espées & dagues au costé, les pistoles, dessouz la cappe & autres bastons deffenduz: & en somme le diable en la teste, & au cerveau. Quand tu regardes ceux cy, tu vois en leurs faces des regards d'Atrées: en leurs yeux, tu remarques les foudres de Jupiter: en leur port & contenance, tu vois les trescruels & farouches Ciclopes, en la voix, les Poliphemes, en 256 CERVEAUX. leurs mains, tu notes les Briarees. Mais laissons là ces vrais diables, & parlons de ceux, qui s'appellent Cerveaux, qui ordonnent & font à leur fantasie, qui sont moindre mal, en quelque chose que ceux cy. DES CERVEAUX qui ordonnent, & sont faicts à leur fantasie. DISCOURS L IIII. LEs despourveuz de sens & cer veaux qui ordonnent eux mesmes, & sont faicts à leur fantasie, sont ceux, qui n'advisent aux loix, ou à la raison, ou à la justice, mais se gouvernent selon la fantasie de leur propre cerveau, ne recognoissans autre pour vray maistre & conducteur que leur [256v] THEA. DES DIVERS cerveaux: lesquels font beaucoup de mal, comme l'on peut voir, par ce qu'estant la loy (comme dit Ulpian) Roine de toutes les choses humaines & devines, la vertu Ulpian. de laquelle (comme dit Modestinus) est de commander, octroyer, punir, defendre, ou prohiber, & n'est possible de trouver office qui surpasse ces dignitez là, iceux non moins iniques que temeraires, mesprisent neantmoins les Seigneurs du monde, & Dieu mesme. Pomponius, és loix, deffi nit qu'elle est le don & invention de Dieu, & enseignement de tous les sages: à raison dequoy est à conclurre, que les esprits sont tresfols & despourveuz d'entendement, qui s'establissent un propre statut & ordonnance, de leur cerveau. Tous les peuples ont re- Modestinus. ceu 257 ceu loix de quelqu'un, comme les Aegyptiens d'Osiris: les Bactrians, de Zoroastre, les Perses, d'Oroma sus: les Carthaginois de Chari nondas: les Atheniens, de Solon: les Scithes, de Zamolsis, les Cretois, de Minos: les Lacedemoniens, de Licurge: les Romains, de Pompilius, & ceux cy n'entendent autre loy, que la folie de leur teste, & ce que leur dicte la fantasie de leur propre cerveau. Que sert la loy de nature? que sert l'ancienne escrite? que sert la nouvelle? quoy la civile? les Papirianes? celles des douze tables? les Flavianes? les Hortensiennes? les Emilianes? les Honoraires? que servent les decrets? les canons? les bulles? les conciles? les Sinodes? les reigles? les ordonnances? puis que ceux cy ont pour loy, leur CERVEAUX. Les homme qui ont donné les loix à divers peuples. Kk [257v] THEA. DES DIVERS pomponius. chef, & leur fantasie, pour statut & ordonnance? Voit on pas en ceux cy un autre Demonax, qui appelloit toutes les loix inutiles & superflues? que servent les comments de Balde, les expositions de Barthole, les declarations d'Imola, les gloses ordinaires des Docteurs, tant de livres, tant d'escritures, tant de labeurs, s'il est ainsi qu'il faille faire à sa fantasie? que servent les offices, les gouvernemens, les seigneuries, les magistrats, les commandemens, les peines, puis qu'il n'y a autre loy que celle de son humeur? Que sert le prouvoir, le conseiller, le subvenir, le prendre ou oster, le donner, si ainsi est que chacun doive faire selon sa propre volonté? quels tintoains sont ceux cy que l'on a en la teste? Demonax contraire aux loix. 258 CERVEAUX. quelles folies, & quelles pures sottises sont celles cy? l'on oste l'obeissance, l'on retranche la raison, l'on estaint la justice, l'equité est supprimée, faut il que la folie & la frainesie de la teste regne tant seulement? Où sont les ordonnances anciennes? les anciennes loix & constitutions? où sont les usages, où les coustumes? sont elles abbatues, sont elles abastardies, & allées en ruine? la seule volonté sans goust d'un, domine elle? l'humeur ambicieuse d'un? la frenaisie d'un seul cerveau?toutes les loix seront elles banies, à fin que ce caprice regne à jamais? O statutz faulx! ô fantasies estranges & pleines d'erreur! O fondement fallacieux! Quiconque veut preferer son cerveau aux anciennes ordonnanKk ij [258v] THEA. DES DIVERS ces, est vraiment un fol, pource que l'experience l'a demonstré en tous les temps, en tous les siecles, & en tous les âges. Adam, pour preferer son cerveau à l'ordonnance de Dieu, ruina toute l'humaine race. Les enfans d'Israel s'en allerent dispersez, pour ne vouloir garder & observer la loy du Seigneur. Rome tomba en ruine (dit Marc Aurele) lors que les anciennes loix, ordonnances & coustumes Romaines, ne furent plus en telle estime & reputation qu'elles souloyent, & commancerent a s'abastardir. L'antique Grece s'en alla en decadence & fut dispersée, quand les ordonnances de Licurge de Solon y defaillirent. La Religion des Templiers vint à s'estaindre, lors qu'ils ne se soucierent plus des reigles & M. Aurele 259 CERVEAUX. loix de leur chevalerie. La Republique de Pise s'abastardit, lors que les loix du pays furent par l'audace & arrogance abolies & dominées. Sera il possible qu'aucuns toicts & couvertures de maisons puissent subsister, sans murailles? aucunes murailles, sans fondemens? aucuns fondemens, sans terre? il n'est pas besoin de caver tous les jours des puits, nouveaux, mais il faut refaire les vieils, pource que l'eau nouvelle n'a en soy la preuve qu'a la vieille, ayant esté en plusieurs essais, experimentée. Qu'est il besoin de tant de nouveautez d'advis, de preceptes, de commandemens, d'inhibitions, de peines, inventées par l'arrogance du monde, & par la seule convoitise de regner? Que l'on observe un peu la chaKk iij [259v] THEA. DES DIVERS rité Evangelique, qui n'a plus d'egard à l'un qu'à l'autre: la justice des loix civiles & des canons, que l'on devroit sur tout observer & entretenir, les reigles & les constitutions de noz predecesseurs, lesquelles d'une voix plaintive se lamentent & plaignent d'estre proposées aux nouvelles ordonnances de ce siecle, non moins éhonté qu'ambicieux. Que l'on voye les poincts de la raison, tant odieux à aucuns, que l'on estudie les Decrets, les Conciles, les Sommes, les Bulles, desquelles choses l'on ne sçait pas seulement les tiltres: que l'on voye les Gloses, les Docteurs, qui se gastent & égarent entre la pouldre & les araignes: que l'on ne compose journellement nouvelles fantasies, sans goust, vaines & inutiles, com260 CERVEAUX. me aucuns sont, lesquels ont plus grand mestier de sel, que d'arrogance, & d'helebore que de presomption. Reste donc que ces cerveaux despourveuz de sens & jugement soient dignes de tresgrand blasme, comme trop singuliers à eux mesmes, & trop insupportables aux autres. Mais faisons fin, par ceux là, desquels le diable mesme (comme dit le vulgaire) ne se veut empescher. DES DESPOURVEUZ d'entendement & cerveaux desquels le diable mesme (comme dit le vulgaire) ne se veut empescher. DISCOURS LV. CErtainement la verité ne porte que l'on trouve des cerveaux tels, desquels le diable, tant viKk iiij [260v] THEA. DES DIVERS cieux soyent ils, ne se vueille empescher: car pour l'augmentation de leur dommage, & pour l'accroissement du vice, il y espand la poison de sa mauvaise & perverse nature: mais cecy est une manie re de parler du vulgaire, qui s'applique volontiers à cete sorte de personnes, lesquelles ont un esprit propre à renverser & mettre le monde dessus dessouz, luy occasionnant une si grande confusion, qu'il devienne comme un Enfer. A cete cause, pouvans, par leur perversité, establir & constituer un Enfer de confusion, és estats de ce monde, les mettans tous en tres-grande combustion & ruine, le vulgaire dit, par une certaine raison, que le Diable ne s'en veut empescher, pource qu'ils semblent tout & autant que luy: car il 261 CERVEAUX. porte quant & foy là où il va & là où il s'arreste, un enfer de confu sion & d'obscurité. On lit à ce propos, en Aule Gel le, que Xantippe femme de Socrates fut tant perverse, & maligne, que le trespatient Philosophe ne pouvoit habiter en paix & concorde, en maniere que ce fust, avec elle, mettant tous les jours, par ses cris, injures, plaintes, & bourdonnemens, toute la maison en trou- Aule Gelle. ble & rumeur, de maniere que sa maison sembloit proprement un Enfer. Quand le divin Arioste depaint la maudite vieille Gabrine, il luy attribue une si grande perversité, & malice, qu'il l'a faict par une nouvelle hiperbole, surpasser celle du diable. Ovide en ses Metamorphoses a descrit le mouvement des fils de Titan, avoir esté tant terri- [261v] THEA. DES DIVERS ble & tumultueux, qu'il mit en horreur, crainte & confusion tous les Dieux du ciel, contre lesquels ils s'esleverent: & principallement Tiphée le Geant, les avoir par sa presence, tous mis en fuite, & faict changer de forme ayant esté par eux recogneu, par un cerveau de ceste sorte. Ce que l'Anguillara depaint és vers qui commancent ainsi: Ch'a pena con Tifeo &c. Herodote en ses histoires, recite un exemple d'un certain Amasis, lequel fut tant meschant & pervers, que desrobant, il mettoit toute personne en confusion: & sembloit que le Diable ne se voulust mesler de son faict, pource qu'ayant plusieurs fois volé & desrobé les temples des Idoles, & les biens de plusieurs personnes, il avoit cete Ovide. 262 CERVEAUX. coustume de conduire ceux qui demandoyent quelque chose, devant l'Oracle, duquel avec tous ses brigandages, larcins & voleries, il fut souventesfois delivré & absoubz. Xerxes Roy des Perses est noté d'un cerveau de telle sorte, lequel menacea Neptune Dieu de la mer, de luy mettre les ceps aux pieds, & d'environner le Soleil de tenebres & de fumée. A ceste cause Strozza Pere, Poëte Latin tresdocte, a escrit d'iceluy, Nec veluti Xerxes, Nuptuno vincla minamur, Classibus insolitum cum patefecit iter Et Ovide en une sienne Elegie, a depaint le cerveau de Diomedes tel, fils de Tidée, pource qu'il fit le diable en la guerre de Troye, ayant mesmes la hardiesse de frapper [262v] THEA. DES DIVERS la Deesse Venus, là où il dit: Pessima Titides scelerum monimenta reliquit, Ille Deum primus perculit. En sommes telles gens sont proprement de ceux, desquels le vulgaire dit, que le diable ne se veut empescher de leur faict, pource qu'il semble, qu'ils soyent aussi puissans que luy. Quelle difference ferois-tu, de la maudite Jezabel, à un diable, ayant icelle seule renversé la maison Royalle, d'Acab, par son extreme perversité & malice? quelle chose sçauroit l'on trouver plus maudite & perverse qu'Athalie, qui mit d'elle mesme, tout le Royaume d'Israel en confusion? Faut-il pas appeller un Enfer nouveau la mai son de Commodus, celle de Neron, celle d'Heliogabale, qui furent rempliz de tous les vices dia- Strozza Pere. Exemple de Jezabel & d'Atalie. 263 CERVEAUX. boliques du monde? Si l'argument & indice d'un cerveau de la susdicte sorte, est de renverser toute chose, dessus dessouz, c'est une cho se certaine, que plusieurs se trouvent de ceste espece, outre ceux que nous avons mentionnez. Theodontius, à ce propos, raconte, que Litigius fils de Demogorgon, ne ce- dant au Diable à mettre tout en confusion, estant chassé par Jupiter à cause de sa deformité & horreur, descendit en Enfer, & incita les Furies, à molester l'Empire d'i celuy, à cause de l'outrage qu'il luy avoit faict, & s'efforcer en cet endroit de ruiner & confondre le ciel, le mettant dessus dessouz. Berose ancien Historien narre du superbe Nembroth, lequel s'accorda avec les autres Geans de bastir & edifier la celebre tour de Babel, afin [263v] THEA. DES DIVERS d'estre egal à l'immense Seigneur & Roy de l'Univers. Ceux cy donc se peuvent dire, par proverbe, les cerveaux fuiz par le diable mesmes, comme ses concurrents & du tout emulateurs. Or par les exemples susdicts, il est aisé à cognoistre, de quelle sorte de cerveau sont ceux, lesquels occupans la liberté des Republiques, des Estats, des Villes, mettent toute chose en ruine & confusion, semblables à Agatocles, oppresseur de Syracuse: à Alexandre Pherée, Tyran de Thes salie, à Pisistrate, d'Athenes: à Periandre, de Corinthe, à Melan, d'Ephese: à Phalaris, d'Agrigente: à Hieron, de Sicile, à Aristippe, des Argives: à Bussiris, de l'Aegypte: tous lesquels en leur tyrannie, ont constitué un Enfer d'Estats & Royaumes oppressez. Et qui fera celui, Noms de Tyrans & divers oppresseurs. Berose. 264 CERVEAUX. qui nie, qu'un estat, une Republique tyrannisée, ne soit comme un Enfer? le feu de la discorde, qui allume les coeurs de tous les cita dins, y est il pas au dedans? ny voit on pas la fumée de la tres-facheuse ambition de son tyran? le soulphre puant de ses villenies & des- honnestetez y est il pas? la glace qui refroidit son coeur de la charité & amour envers les freres, y est il pas? y voit on pas l'horreur & l'espouvantement, que les timides reçoivent principallement de son faict? y voit on pas les tenebres de l'ignorance vers les merites des vertueux? les vers de l'indignation & de la haine, qui ronge, au dedans, des entrailles des subjuguez, y sont ils pas les cris de ceux qui sont pri vez de liberté, & astraints au rigoureux joug de la servitude, y sont Simbole & accor d'un esta tyrannisé avec l'Enfer. [264v] THEA. DES DIVERS il pas? les peines & les tourmens des angoisses, & des autres maux, que donne le Tyran aux pauvres & mi serables subjets, y sont ils pas? ny oit l'on pas les lamentations & les plaintes des pauvres ames, privées de consolation & de confort? y a il pas une perpetuelle servitude d'un joug insupportable? y a il pas un continuel blaspheme, & malediction contre la maudite ambition de l'Oppresseur? y a il pas un appetit & desir commun de sa mort? y a il pas un coeur enragé contre luy? les Furies infernales de l'ire à l'encontre des pauvres subjects y sont elles pas? y voit on pas ce Cer bere abboyant, du continuel murmure contre le tyran inique? y voit l'on pas ce Tantale bruslant de la soif, qu'il a du sang & de la vie des pauvres? y voit on pas ce Sisiphe roulant 265 CERVEAUX. roulant la pierre de la vanité du travail, pour la mettre en bas? y voit l'on pas ce fleuve Cocire, aux ondes obscures & tenebreuses, où les esprits sont plongez en la hai- ne & rancune contre luy? l'eau de Lethe y est elle pas, d'une perpetuelle oubliance des actes justes & pleins de charité, desquels le mechant & inique dominateur n'a plus de souvenance? y voit l'on pas ce Minos & ce severe Radamanthe du cruel tyran, tant rigoureux & austere envers tous? y voit l'on pas cete belle Proserpine, par les belles parolles, & par la belle apparence exterieure qu'elle demonstre envers quelques particuliers?y voit l'on pas ce Pluton infernal, ayant l'entendement superbe & malin, songneux aux dommages de Ll [265v] THEA. DES DIVERS tous, le plus qu'il luy est possible? y voit on pas ce marais Stigien, où s'abaissent tant de personnes qui me ritent? y voit l'on pas les portes infernalles de l'ambition & simonie, qui sont ouvertes aux vicieux & meschans? y voit on pas finalement ce Caron barbu de vice & peché, qui passe le Tyran, à cause de son injustice & iniquité, & les subjects, pour leur impatience, à l'autre rive infortunée? Or quel le chose nous defaut, en l'estat de tyrannie, pour le faire un enfer? Le tyran est il pas, en apres, un Lucifer, plein d'ambition? un Satan amy de discorde? un Asmodée remply d'ardante luxure? un Mammon, qui entend à enrichir les siens?un Leviatan envieux du bien commun? un Belzebut goulu de festins, banquets, & de ca266 CERVEAUX. resse? un Beelfegor paresseux, és aises & commoditez de cete vie? un Follet, qui va deçà & delà don- ner ennuy & destourbier à tout le peuple? Voila donc proprement les cerveaux, qui ne sont moindres diables que le diable mesme. Icy soit la fin & l'accomplissement de nostre Theatre formé & reduit à la perfection que la grace divine nous a permis. Parquoy nous l'offrons joyeusement aux yeux de chacun, soit parfaict, ou imparfaict, esperant que si la forme d'avanture n'agrée au jugement tresaccort de ses spectateurs, il sera au moins & pour la matiere, & pour la nouveauté de la fantasie de son Architecte, agreable à la veuë des personnes. Ce qu'avenant, le monde jouyra, en brief, avec la faveur de Dieu, d'une machine plus granLl ij [266v] THEA. DES DIVERS de, & plus delectable à voir. Cependant qu'il jouisse, en pais, de la veuë telle quelle de ce petit Theatre, attendant la disposition du superbe edifice, lequel est preparé en l'idée & fantasie du mesme au teur. FIN.