PDF Vectoriel 300*2400 - Editions de l`Atelier
Transcription
PDF Vectoriel 300*2400 - Editions de l`Atelier
L A R É S I S T A N C E S P I R I T U E L L E LETTRE LALA LETTRE N°3616 3636DU DU N° 28 mai 2015 2015 8 JANVIER 1,50€ 1,50 www.temoignagechretien.fr JEAN-PIERRE MIGNARD N° 3636 DU 28 MAI 2015 DR Respect et fidélité Germaine Tillion (1907 – 2008) Pierre Brossolette (1903 – 1944) Grande figure de la Résistance, écrivaine engagée et intellectuelle indépendante, Germaine Tillion est considérée… Il naît à Paris dans une famille d’enseignants républicains. Scolarisé à Louis-leGrand, il entre… DR Ainsi ils vont remonter la rue Soufflot qui les mènera au temple de la mémoire et de la reconnaissance de la République, le Panthéon. Deux femmes : Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion ; deux hommes : Pierre Brossolette et Jean Zay ; nous publions leurs portraits dans cette lettre. Ils nous honorent à la mesure où nous les aimons. Ils nous disent de ne jamais baisser les bras. On ne refera pas le discours de Malraux pour les cendres de Moulin. D’ailleurs, lisez-le bien, ce discours. Il est tout droit issu de celui de Brossolette au Royal Albert Hall. Nous le republions (Cf. p.4). Plagiat ? Non, hommage. Pouvait-on encore parler autrement de la France libre et de la Résistance après celui de Brossolette, ce jour-là de 1943. Il se lit gorge nouée, et si vos yeux s’embuent, n’en ayez pas honte. Il y a Jean Zay, grande figure du gouvernement Blum, ministre visionnaire d’une école démocratisée, juif et protestant, assassiné par la milice en 1944. Lisez ses Écrits de prison et son œuvre. C’est la République incarnée. Il y a ces femmes, combattantes, l’énergie sororale à Ravensbrück avec Marie-Claude Vaillant-Couturier, qui entrera plus tard dans le camp d’Auschwitz avec trois cents femmes françaises en chantant La Marseillaise. Geneviève de Gaulle, la nièce du chef de la France libre, catholique et libre de toutes les forces de son âme, qui a continué le combat pour les pauvres, toujours du côté des exclus, des humiliés. Germaine Tillion, et le réseau du Musée de l’Homme, déportée, immense intellectuelle qui poursuivra le combat pour la paix en Algérie et la fin des violences, de part et d’autre. Il manque encore Danièle Casanova, grande et jeune résistante corse morte en déportation ; Bertie Albrecht, organisatrice du service social de la Résistance en zone libre, morte à la prison de Fresnes. Et d’autres qui ont « allumé le feu qui ne s’éteint jamais » comme on le chante à Taizé. À ces quatre-là, à tous les autres, nous disons simplement « merci ». Merci de l’honneur que vous nous faites d’être de France, d’où que vous veniez, de gauche ou de droite, ou du cœur de l’humanité tout simplement, puisque c’est à son appel que vous vous êtes rassemblés. Aux femmes enfin, ces vers d’Aragon dédiés aux déportées du convoi de Romainville : « Je vous salue Maries de France aux cent visages, Et celles parmi vous qui portent à jamais La gloire inexpiable aux assassins d’otages Seulement de survivre à ceux qu’elles aimaient. » DR Merci À événement exceptionnel, lettre exceptionnelle. TC consacre la totalité de ses pages à ces deux femmes et ces deux hommes qui nous honorent et nous obligent. Oui, ils résistèrent, et ils le firent au nom de la fraternité humaine. Leur exemple n’appartient pas à un passé glorieux, il est un phare qui éclaire l’avenir. Sachons leur être fidèles. © Rue des images Éditorial Geneviève de Gaulle (1920 – 2002) Jean Zay (1904 – 1944) Nièce du Général, Geneviève de Gaulle naît à Saint-Jean-de-Valeriscle (Gard). Elle n’a que 14 ans lorsqu’elle lit… En annonçant au Mont-Valérien son entrée au Panthéon, François Hollande disait : « Jean Zay, c’est la République »… TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 1 Germaine Tillion (1907 - 2008) Pierre Brossolette (1903 - 1944) … comme la pionnière de l’ethnologie française. Née le 30 mai 1907 à Allègre (Haute-Loire) dans une famille bourgeoise, intellectuelle et catholique, elle se consacre très tôt aux sciences de l’Homme. En 1934, alors jeune ethnographe, elle est envoyée en Algérie pour étudier les tribus berbères de la région des Aurès. Elle effectuera quatre missions jusqu’en 1940. Dès son retour, elle s’engage dans la Résistance. Elle expliquera sa réaction à la demande d’armistice : « Ce fut pour moi un choc si violent que j’ai dû sortir de la pièce pour vomir. » Elle reprend avec un colonel en retraite l’Union nationale des combattants coloniaux pour venir en aide aux prisonniers de guerre originaires d’Outre-Mer. Cette activité légale laisse peu à peu place à une activité souterraine. Elle recense les camps de prisonniers, contribue à la création de filières d’évasion, collecte des renseignements et cache chez elle des évadés. Elle noue des contacts précieux avec de nombreux groupes, à commencer par le réseau du Musée de l’Homme. Au printemps 1941, elle multiplie les liens avec d’autres organisations et devient un maillon essentiel de la Résistance. Dénoncée, elle est arrêtée le 13 août 1942 et accusée de cinq chefs d’inculpation punis de mort. Elle est déportée en octobre 1943 au camp de Ravensbrück. Sa mère l’y rejoint au début de 1944 et est gazée en mars 1945. Pendant dix-sept mois, elle ne cessera d’aborder l’atrocité nazie en ethnographe, étudiant l’organisation du camp et ses soubassements économiques conduisant aux exterminations systématiques. Résister, c’est aussi pour elle tourner en dérision ses bourreaux et divertir ses compagnes en écrivant une opérette : …à l’École Normale Supérieure en 1922 et obtient l’agrégation d’histoire en 1925. Il entame une carrière de journaliste comme spécialiste de politique internationale. Hostile au nazisme et clairvoyant sur les politiques extérieures allemande et italienne, il se fait le chantre de l’esprit de résistance. Francmaçon, membre de la Ligue des droits de l’homme et de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, il devient militant socialiste en 1930 et travaille activement à la tête de la fédération de l’Aube jusqu’en 1939. Mobilisé le 23 août 1939, promu en mars 1940, démobilisé en août, le gouvernement de Vichy refuse son intégration au corps enseignant pour ses convictions antifascistes. Il achète alors une librairie qui lui servira de couverture pour ses activités clandestines. En 1941, il rejoint le groupe du Musée de l’Homme puis entre en liaison avec le Comité d’action socialiste et LibérationNord. En novembre 1941, il devient le chef de la section presse et propagande de la Confrérie Notre-Dame du Colonel Rémy. Il adresse à la France libre plusieurs rapports sur l’opinion française et les prémices de la Résistance intérieure. Il relie Londres à l’Organisation civile et militaire et noue des liens étroits avec les mouvements de la Résistance intérieure. Impressionné par ses rapports, de Gaulle le fait venir à Londres en avril 1942. Il rejoint le Bureau central de renseignements et d’action et entre dans le cercle des forces gaullistes. De juin 1942 à mars 1944, il effectue trois missions clandestines en France. Parachuté une première fois le 4 juin 1942 à Chalon-sur-Saône, il fait évader les résistants André Philip et Louis Vallon et convainc le député Charles Vallin de rallier la France libre. Ils gagnent la Grande-Bretagne le 14 sep- « J’ai écrit une chose comique parce que je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément revivifiant. » Libérée le 23 avril 1945, elle parvient à sortir ses photos attestant d’expériences de vivisection sur ses camarades. Désormais, elle fait des déportés sa nouvelle bataille, retrace l’histoire de près de 4 000 déportées hors de France et publie dès 1946 l’un des premiers témoignages sur les conditions de vie dans les camps. Elle assiste au procès de Pétain et à ceux de Hambourg (1946-1947) et de Rastatt (1950) qui jugent les chefs de Ravensbrück. En 1955, elle renoue avec l’Algérie à la demande du gouvernement français. Révoltée par la paupérisation du pays, elle met en place un projet socio-éducatif à l’intention des plus pauvres, analyse les limites du système colonial et enquête sur la torture. En pleine bataille d’Alger, elle rencontre secrètement en 1957 le chef du Front de Libération National, Yacef Saâdi et obtient pour quelques semaines l’arrêt des attentats. À la fin de la guerre d’Algérie, elle retourne à l’enseignement sans renoncer à ses idéaux : elle signe l’appel lancé pour que soit reconnu l’usage de la torture par les Français pendant la guerre d’Algérie. Germaine Tillion s’est éteinte le 19 avril 2008 à 100 ans. Cette femme d’exception a fait du combat le moteur de sa vie : lutte contre l’oppression et la guerre, contre la torture et les injustices, contre la pauvreté et les misères sociales. Malgré les heures sombres, celle qui fut de tous les combats du XXe siècle n’a jamais désespéré de l’homme. La paix, la liberté et l’égalité ont été les guides du parcours lumineux et courageux de cette femme de réflexion et d’action. MARGAUX MIGNARD BIBLE « Pour faire un homme, mon Dieu que c’est long…», chantait Hugues Auffray. Pour faire un peuple, c’est certainement plus long encore… Il y faut beaucoup de patience, donc d’amour. Deutéronome 4, 32-40 Moïse disait au peuple : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des signes, des prodiges et des combats, à main forte et à bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme 2 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en Égypte ? Sache donc aujourd’hui, et médite cela en ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir, toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. » Constitution Souvenir d’une présence, encore toute proche. Il y a bien longtemps de cela, dans une petite ville d’Alsace. Une maison d’accueil pour des enfants juifs, quelques dix enfants, de 10 à 15 ans peut-être. Un couple de 50 ou 60 ans. Un vendredi soir, début du shabbat. La « famille » réunie autour de la table, l’air grave mais serein, joyeux même. Seules, sur le chandelier à sept branches, scintillent sept petites tembre. Il retourne en France le 27 janvier 1943 pour coordonner l’action civile de la Résistance en zone occupée. De retour à Londres le 16 avril, il remplace à de nombreuses reprises Maurice Schumann au micro de la BBC pour rendre de vibrants hommages aux résistants de l’ombre. Il dénonce inlassablement la collaboration et appelle à l’union des combattants derrière de Gaulle. Prétendant malheureux à la succession de Jean Moulin, il retourne une dernière fois en France le 19 septembre 1943 installer le nouveau délégué général du Comité français de libération nationale, Émile Bollaert. Malgré les nombreuses arrestations de la Gestapo, il s’efforce de reconstruire la Résistance. Rappelé à Londres en même temps que Bollaert, il refuse de partir en novembre 1943 puis échoue à plusieurs reprise, entre décembre 1943 et février 1944. Bollaert et Brossolette sont arrêtés le 3 février 1944. Brossolette est incarcéré à Rennes le 5 février, sous le nom de Boutet. Le 16 mars, sa véritable identité est révélée. Interrogé par la Gestapo à Rennes le 19, il est transféré le soir même à Paris. Malgré la torture, il ne parle pas. Le 22 mars, il profite d’un moment d’inattention de ses gardiens pour se jeter du cinquième étage. Grièvement blessé, il mourra quelques heures plus tard à l’Hôpital de la Pitié. Pionnier de la Résistance et principal artisan de son unification, Pierre Brossolette aura préféré se suicider plutôt que de livrer ses compagnons ou ses secrets. Cet authentique héros de la Résistance a sacrifié sa vie pour la liberté et l’honneur de son pays. Il représentait la réflexion et l’action, la loyauté, la dignité et l’espoir en l’avenir. Il détenait une force morale qui n’a pu être brisée par les Allemands, même au moyen de la torture. MARGAUX MIGNARD bougies, silencieusement. Aucun bruit. Une voix d’une petite fille (10-12 ans) rompt alors le silence mais pas le calme, tout au contraire : le silence et le recueillement se font plus intenses encore : « Disnous, grand-père, comment autrefois nos ancêtres ont connu l’Éternel, notre Dieu ? » Comme si le grandpère recherchait dans sa mémoire sa propre rencontre avec son Dieu, il a déplié son grand corps en se levant de sa chaise, a posé avec tendresse son regard sur chacun des enfants présents puis commença le récit par ces mots rituels : « Écoute, Israël, Yahvé notre Dieu est le seul Yahvé » (Dt 6, 4). Tous ont répété la même phrase, à plusieurs reprises, puis grand-père a fait la lecture du texte du livre du Deutéronome 4, 32 : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ?... » N° 3636 DU 28 MAI 2015 Geneviève de Gaulle (1920 - 2002) Jean Zay (1904 - 1944) … Mein Kampf et découvre les dangers que représentent Hitler et le IIIe Reich. En 1938, elle obtient son baccalauréat et s’inscrit en histoire à la Faculté de Rennes. Le 17 juin 1940, la demande d’armistice de Pétain la révolte. Le lendemain, elle apprend que son oncle exilé à Londres a appelé à poursuivre la lutte. Le surlendemain, son père Xavier est fait prisonnier. La première année d’occupation est pour Geneviève l’occasion de réaliser des gestes symboliques de résistance, prémices de son engagement à venir : elle déchire les affiches de l’occupant, dessine des croix de Lorraine et arrache une bannière nazie. À l’automne 1941, alors étudiante en Sorbonne, elle rejoint le groupe du Musée de l’Homme. Durant les mois suivants, elle diffuse clandestinement la photo de Charles de Gaulle, distribue des tracts, effectue des missions de renseignement et transporte du courrier en Espagne. Au printemps 1943, elle prend le nom de Gallia et entre à « Défense de la France », mouvement créé par des étudiants parisiens. Membre de son comité directeur, elle est en charge de la diffusion du journal et a un rôle déterminant dans l’adhésion au gaullisme du fondateur du groupe, Philippe Viannay. Dénoncée, elle est arrêtée le 20 juillet 1943 puis déportée à Ravensbrück le 31 janvier 1944 dans le même convoi que la mère de Germaine Tillion. Entre octobre 1944 et février 1945, elle est isolée dans le cachot du camp sur ordre d’un Himmler désireux d’en faire une monnaie d’échange. En avril 1945, elle est finalement remise à la frontière suisse, où son père, devenu Consul général de France, la recueille. Après la guerre, elle fait la rencontre de Bernard Anthonioz, résistant et ami de Malraux. Elle l’épouse le 28 mai 1946. Elle consacrera le reste de sa vie aux victimes des nazis. Elle présidera en ce sens l’Association des déportées et internées de la Résistance (Adir) et fera du devoir de mémoire une nécessité absolue. Elle témoignera lors du procès Barbie en 1987. Mais ses engagements vont bien audelà. En 1958, sur demande de Malraux, elle entre au gouvernement pour s’occuper de la recherche scientifique. En octobre, en visite dans le bidonville de Noisy-le-Grand, elle découvre des conditions de vie proches de celles qu’elle a connues à Ravensbrück : c’est un électrochoc pour celle qui fera de la misère son deuxième combat. En 1964, elle préside l’association « Aide à toute détresse » (ATD) du père Joseph Wresinski, jusqu’en 1998. En 1988, parallèlement à son activité associative, elle rejoint le Conseil économique et social. Elle rédige en 1995 un rapport sur l’évaluation des politiques publiques pour la lutte contre la grande pauvreté. Le 28 juillet 1998, la loi relative à la lutte contre l’exclusion est votée. À 81 ans, malade, Geneviève de Gaulle-Anthonioz décède le 14 février 2002 à Paris. Par son courage sans borne, son engagement sans faille et sa force exemplaire, elle incarne mieux que quiconque l’esprit de résistance contre l’humiliation faite à la France, contre les atrocités nazies mais aussi contre la pauvreté et l’exclusion. Cette femme d’action n’a eu de cesse de placer au cœur de son combat l’absolue nécessité d’une justice pour tous. « Toute l’humanité est précieuse » avait pour habitude de dire cette femme à l’engagement d’une qualité rare. MARGAUX MIGNARD L’auteur du Deutéronome, l’un des cinq livres constituant le Pentateuque, longtemps attribué à Moïse luimême, nous est aujourd’hui encore inconnu. Il raconte des faits gravés dans la mémoire d’un peuple, s’étendant sur plusieurs siècles. La rédaction finale remonterait probablement au VIIe siècle avant notre ère : mélange de récits plus ou moins historiques perçus comme fondateurs du peuple conduit par Moïse, en quête d’un dieu. Il se révèlera peu à peu, lentement, très lentement, avant de dire son nom, Yahvé, et de prendre racine dans l’humanité en la personne de Jésus de Nazareth. Comme tout peuple en quête de son identité, il puisera dans sa mémoire les faits marquants de son histoire. Il se donnera des repères, des lois, des buts à atteindre. On dirait aujourd’hui qu’il se donne une Constitution, une Loi commune qui va faire naître, d’hommes et de femmes divers dans leur origine, leur histoire et leur culture, un peuple uni et riche de valeurs communes et respectées par tous. Ce « second N° 3636 DU 28 MAI 2015 … Dans l’opinion, cette qualification n’a rien d’une évidence alors que, pour tous les historiens et pour tous les républicains qui le connaissent, Jean Zay incarne bien les valeurs non seulement de la République mais, mieux encore, de notre République sociale et humaniste. Et ce pour deux raisons au moins : en tant que Ferry du Front populaire et que Dreyfus de Vichy. En effet, le si précoce ministre de Léon Blum – député radical-socialiste du Loiret à 27 ans en 1932, plus jeune ministre de la IIIe à 31 ans – fut un grand ministre réformateur à la tête de quatre de nos départements actuels : l’Éducation nationale et les Beaux-Arts, mais aussi la Recherche, la Jeunesse et les Sports, pendant quarante mois. Toute son action correspond au passage d’une République à l’autre, d’une démocratisation à l’autre : de la démocratisation politique des pères fondateurs comme Jules Ferry – pour lesquels il s’agit de faire des petits républicains – à notre démocratisation, celle qui fait de la justice sociale le cœur de la République. Pour armer cette République désormais sociale, Jean Zay passe par la « popularisation de la culture » (P. Ory). Il promeut, partout où il le peut, l’engagement de l’État – très souvent contre ce qu’il appelle « la mystique de l’équilibre budgétaire » – dans l’action culturelle pour rendre la société plus juste, pour œuvrer à l’égalité. Mais, la vie de Jean Zay offre aussi un grand modèle de résistance, d’engagement pour le patriotisme humanisme. Zay connut et combattit toute sa vie la haine des antirépublicains. Très tôt, il résista aux logiques d’exclusion essentialistes qui le visaient. Il incarnait aux yeux des maurrassiens livre des Lois » n’est pas un code juridique imposé comme un joug sur les épaules du peuple, mais comme un trésor commun proposé à chacun pour une vie commune harmonieuse. Malgré les révoltes du peuple, au-delà des oppositions voire des guerres de familles, Dieu demeurera le garant, le liant mais aussi la tête (caput) qui donne le sens, qui soutient et relève les blessés, les défaillants, qui n’oublie jamais sa présence et son amour. « Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle nourrit… moi, je ne t’oublierai jamais : vois donc, j’ai gravé ton nom sur les paumes de mes mains » (Is 49, 14). Le livre du Deutéronome est une tentative, par ses rappels des actes de Dieu en faveur de son peuple, de parler directement au cœur de l’homme, de le convaincre que son bonheur ne se trouve que dans la fidélité à la Loi du Seigneur. Le Nouveau Testament, dans les évangiles comme dans les textes qui ont suivi, n’est qu’un rappel de ces longs dialogues que Dieu fait avec son peuple, avec nous : « Écoute Israël… », l’archétype des « quatre états confédérés de l’anti-France » : d’ascendance paternelle juive, de confession protestante, franc-maçon, il ne pouvait être à leurs yeux qu’un « métèque ». De plus, il fut détesté pour ses choix politiques sociaux de Front populaire et pour sa position antimunichoise. Antifasciste notoire, Zay s’opposa en effet aux logiques de Munich puis à celle de l’armistice. À ce titre, il fit partie des premiers animés par « l’esprit de Résistance » en 1940. Pour cela, il fut le premier condamné politique de la dictature de Vichy, à la même peine – disparue depuis cinquante ans du Code militaire – que le capitaine Dreyfus. Dans sa prison de Riom, il participa à la résistance intellectuelle en produisant des textes pour le réseau de l’Organisation civile et militaire (OCM) en particulier. Les miliciens n’eurent plus qu’à venir le chercher, quatre ans plus tard, le 20 juin 1944, pour l’assassiner et tenter de faire disparaître son corps qui ne sera retrouvé qu’en 1948 ! Jean Zay est donc un grand homme auquel la patrie républicaine doit être reconnaissante, à la fois pour ce qu’il a fait et pour ce qu’on lui a fait. Dans les deux cas, par sa lutte pour la justice sociale, par la démocratisation de la culture grâce à l’investissement de l’État et par sa lutte de résistant antifasciste contre l’essentialisme maurrassien qui l’assassina mais en fit un héros « mort pour la France », il incarne une République d’émancipation sociale et de patriotisme humaniste, une république exemplaire. La nôtre. OLIVIER LOUBES, auteur de Réarmer la République ! Jean Zay au Panthéon. Essai d’histoire tonique, Demopolis éditions 2015, 140 p., 16 € ainsi qu’une invitation à maintenir « en actes et en vérité » (1 Jn 3, 14) un dialogue paisible et confiant avec Dieu, donc avec les hommes. Je ne peux m’empêcher de m’interroger : quel est le rôle de l’Église ? Imposer des règles, des rites, des charges, que sais-je encore, ou rappeler que l’essentiel est de chercher et de voir Dieu dans le quotidien de chacun ? Une autre interrogation qui me taraude : la Constitution, loi commune et « fondamentale » (qui « fonde », qui « crée » un peuple) est-elle une succession d’impositions et de restrictions diverses, ou la prise de conscience d’un vivre-ensemble pour un avenir commun. Le rôle de l’État alors est de rappeler cette réalité par sa politique, d’encourager les initiatives des uns et des autres, de punir aussi avec intelligence et discernement les défaillants, sans toutefois les conduire à la désespérance. Bernard RIVIÈRE TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 3 Discours de Pierre Brossolette À l’Albert Hall de Londres, le 18 juin 1943, pour l’anniversaire de l’appel du général de Gaulle, trois ans plus tôt, a lieu une cérémonie à l’initiative de l’association des Français de Grande-Bretagne. C’est Pierre Brossolette qui prononce le discours qu’il a lui-même écrit. Des mots brûlants et bouleversants qui inspireront Malraux lors de l’accueil des cendres de Jean Moulin au Panthéon en décembre 1964. « L’Histoire de notre pays n’est qu’une suite de prodiges qui s’enchaînent : prodige de Jeanne d’Arc, prodige des soldats de l’an II, prodiges des héros de la Marne et de Verdun, voilà le passé de la France. Ma mission est, ce soir, de rendre hommage à ceux par le prodige desquels la France conserva un présent et un avenir, les morts de la France combattante. De tous les morts dont la chaîne innombrable constitue notre trésor de gloire, ceux-là plus qu’aucuns autres incarneront, dans sa pure gratuité, l’esprit de sacrifice. Car ils ne sont point morts en service commandé : un chiffon de papier, signé, par dérision, dans la clairière de Rethondes, les avait déliés du devoir de servir. Ils ne sont point morts volontaires pour une mission qu’on leur offrait : un pouvoir usurpé ne demandait des volontaires que pour l’abdication. Ce sont des hommes à qui la mort avait été interdite sous peine capitale, et qui ont dû d’abord la braver pour pouvoir la briguer. L’histoire un jour dira ce que chacun d’eux a dû d’abord accomplir pour retrouver dans la France combattante son droit à la mort et à la gloire. Elle dira quelles Odyssées il leur aura fallu passer pour s’immortaliser dans leurs Iliades ! Passagers clandestins des derniers bateaux qui se sont éloignés de la France terrassée, humbles pêcheurs franchissant sur des barques les tempêtes de la Manche, marins Bibliographie De Geneviève de Gaulle-Anthonioz : - Lettres à une amie : correspondance spirituelle, éd. Parole et Silence, 2005. - Le secret de l’espérance, éd. Fayard – éd. Quart-Monde, 2001. - Les inoubliables Mémoires, avec Robert Fromentin, éd. des Écrivains, 1999. - La traversée de la nuit, éd. du Seuil, 1998. Sur Geneviève de Gaulle-Anthonioz : - Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, : dialogues, Isabelle Anthonioz-Gaggini, éd. Plon, 2015. - Geneviève de Gaulle -Anthonioz, Caroline Glorion, éd. Plon, 2015. - Geneviève de Gaulle - Anthonioz, Évelyne Morin-Rotureau, éd. Pemf, 2004. - Geneviève de Gaulle-Anthonioz, l’autre de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour, éd. du Cerf, 2004. - Les évadés de France à travers l’Espagne. Guerre 1939-1945, Robert Vieville et Marcel Vivé, éd. des Écrivains, 1998. De Germaine Tillion : - Il était une fois l’ethnographie, éd. Points, 2015. - Des ethnologues dans la guerre d’indépendance algérienne, avec Jacques Berque, Pierre Bourdieu, Fabien Sacriste et Jean Servier, éd. de L’Harmattan, coll. « Histoire et perspectives méditerranéennes », 2011. - Fragments de vie, éd. du Seuil, 2009. - Une opérette à Ravensbrück, éd. Points, 2007. 4 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN et coloniaux ralliant des convois ravagés par la torpille, risque-tout affrontant les Pyrénées, prisonniers évadés des camps de l’ennemi, détenus évadés des bagnes de la trahison, il a suffi qu’en ces jours de juin, dont nous fêtons l’anniversaire, un homme leur ait crié : « je vous convie à vous unir avec moi dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance », pour qu’ils se lèvent tous, pour que ceux qui n’appelaient plus la mort que comme une délivrance, accourent y chercher un accomplissement, et pour que d’un seul geste sortant du banal ils entrent dans le sublime. Et voici maintenant que, dans le ciel limpide de leur gloire, ils se parlent comme les sommets se parlent par-dessus les nuées, qu’ils s’appellent comme s’appellent les étoiles. Entrés déjà dans la légende ou réservés pour l’histoire, les morts prestigieux de Mourzouck et de Bir Hakeim répondent aux morts stoïques de la Marine marchande ; tombés sous le drapeau déployé d’El Alamein et d’El Hamma, les soldats de Leclerc et de Kœnig répondent aux marins qui ont coulé, sous le pavillon haut de l’Alysse, du Rennes et du Mimosa ; foudroyés dans ce dixième de seconde où les yeux peuvent fixer les yeux de l’adversaire, les pilotes de nos groupes et de nos escadrilles répondent aux sous-mariniers du Surcouf et du Narval, à qui une lente agonie a fait attendre encore la mort après qu’ils l’eurent trouvée. Et là-bas, dans la nuit du martyre et de la captivité, la voix pathétique qui leur répond, c’est la voix des morts du combat souterrain de la France, élite sans cesse décimée et sans cesse renaissante de nos réseaux et de nos groupements, otages massacrés de Paris et de Châteaubriant, fusillés dont les lèvres closes sous la torture ne se sont descellées qu’au moment du supplice pour crier : « Vive la France ! » Ce qu’ils étaient hier, ils ne se le demandent point - Combats de guerre et de paix, éd. du Seuil, 2007. - À la recherche du vrai et du juste. À-propos rompus avec le siècle, éd. du Seuil, 2001. - L’Algérie aurésienne, avec Nancy Wood, éd. de La Martinière, 2001. - Ravensbrück, éd. du Seuil, 1997. - Le harem et les cousins, éd. du Seuil, 1966. Sur Germaine Tillion : - L’engagement à travers la vie de Germaine Tillion, Armelle Mabon et Gwendal Simon, Riveneuve éditions, 2013. - Germaine Tillion, un long combat pour la paix, Janine Teisson, éd. Oskar, 2010. - Le siècle de Germaine Tillion, Tzvetan Todorov et collectif, éd. du Seuil, 2007. - Germaine Tillion, une femme - mémoire : d’une Algérie à l’autre, Nancy Wood, éd. Autrement, 2003. - Le témoignage est un combat. Une biographie de Germaine Tillion, Jean Lacouture, éd. du Seuil, 2000. - « Les vies de Germaine Tillion », François George et Olivier Mongin, revue Esprit, 2000. l’un à l’autre. Sous la croix de Lorraine, le socialiste d’hier ne demande pas au camarade qui tombe s’il était hier Croix-de-Feu. Dans l’argile fraternelle du terroir, d’Estienne d’Orves et Péri ne se demandent point si l’un était hier royaliste et l’autre communiste. Compagnons de la même Libération, le père Savey ne demande pas au lieutenant Dreyfus quel Dieu ont invoqué ses pères. Des houles de l’Arctique à celles du désert, des ossuaires de France aux « Ce qu’ils attendent de nous, ce n’est pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas un sanglot, mais un élan. » cimetières des sables, la seule foi qu’ils confessent, c’est leur foi dans la France écartelée mais unanime. Colonels de 30 ans, capitaines de 20 ans, héros de 18 ans, la France combattante n’a été qu’un long dialogue de la jeunesse et de la vie. Les rides qui fanaient le visage de la Patrie, les morts de la France combattante les ont effacées ; les larmes d’impuissance qu’elle versait, ils les ont essuyées ; les fautes dont le poids la courbait, ils les ont rachetées. En cet anniversaire du jour où le général de Gaulle les a convoqués au banquet sacré de la mort, ce qu’ils nous demandent ce n’est pas de les plaindre, mais de les continuer. Ce qu’ils attendent de nous, ce n’est pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas un sanglot, mais un élan. » - Le réseau du Musée de l’Homme, Martin Blumenson, éd. du Seuil, 1979. De Pierre Brossolette : - Résistance (1927-1943), éd. Odile Jacob, 1998. Sur Pierre Brossolette : - Pierre Brossolette, Éric Roussel, éd. Fayard – éd. Perrin, 2011. - Pierre Brossolette ou le destin d’un héros, Daniel Cordier, Alain Finkielkraut et Guillaume Piketty, éd. du Tricorne, 2000. - Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Guillaume Piketty, éd. Odile Jacob, 1998. - Pierre Brossolette, le visionnaire de la Résistance, Guy Perrier, éd. Hachette littératures, 1997. - Il s’appelait Pierre Brossolette, Gilberte Brossolette, éd. Albin Michel, 1976. - Pierre Brossolette, héros de la Résistance, René Ozouf, librairie Gedalge, 1946. De Jean Zay : - Écrits de prison. 1940-1944, éd. Belin, 2014. - Souvenirs et solitude, avec Patrick Pesnot, éd. de l’Aube, 2004. Sur Jean Zay : - Réarmer la République ! Jean Zay au Panthéon. Essai d’histoire tonique, Olivier Loubes, Demopolis éditions, 2015. - Jean Zay, le ministre assassiné (19041944), Pascal Ory et Antoine Prost, éd. Taillandier – éd. Canopé, 2015. - L’affaire Jean Zay. La République assassinée, Gérard Boulanger, éd. CalmannLévy, coll. « Sciences humaines et Essais », 2013. - Jean Zay, l’inconnu de la République, Olivier Loubes, éd. Armand Colin, 2012. - Jean Zay (1904-1944) : ministre de l’Instruction du Front populaire, résistant, martyr, Olivier Babeau et Roger Karoutchi, éd. Ramsay, 2006. - Jean Zay et la gauche du radicalisme, Antoine Prost, Presses de Sciences Po, 2003. - Jean Zay : député à 27 ans, ministre à 31 ans, prisonnier politique à 36 ans, assassiné à 39 ans, Marcel Ruby, éd. Corsaire, 1994. - La vie et l’œuvre de Jean Zay, Marcel Ruby, Librairie Gedalge, 1969. Fondé en 1941 dans la clandestinité par Pierre Chaillet (s.j.), Témoignage chrétien est édité par ETC SA au capital de 483960 €. Anciens directeurs : Pierre Chaillet, Georges Montaron, Bernard Ginisty, Michel Cool, Jacques Maillot, Hubert Debbasch. 28 rue Raymond-Losserand, 75014 Paris. Tél. : 0144838282; fax: 0144838288; [email protected] Pour joindre votre correspondant : composez le 01448382 suivi des deux chiffres indiqués entre parenthèses. Courriels : [email protected] Directeur de la publication : Bernard Stéphan. Codirecteurs de la rédaction : Bernard Stéphan, Jean-Pierre Mignard. Comité éditorial : Bernard Stéphan, Jean-Pierre Mignard, Christine Pedotti, Pascal Percq. Secrétaire générale de la rédaction : Sophie Bajos de Hérédia. Administratif/financier/RH : Annie Guillem (60). Développement : Laëtitia Girard (62). Directrice artistique : Françoise Perchenet (67). Secrétariat de rédaction : Olivier Pradel. Ont collaboré à ce numéro : Olivier Loubes, Margaux Mignard, Bernard Rivière. Publicité: Comédiance, 5 rue Pleyel – Immeuble Calliope, BP 229, 93523 Saint-Denis Cedex – Éric Trehel, 0149227449, [email protected] Diffusion, abonnements : Témoignage chrétien, Bureau B 1380, 60643 Chantilly – 0344624383. Vente au numéro/VPC : Annie Guillem (60) – [email protected] Diffusion librairie : Laurence Patrice – [email protected]. Conception graphique: Françoise Perchenet. Imprimerie: Imprimerie de Champagne, Langres (France). N°ISSN: 0244-1462. N°CPPAP : 0318 C 82904. N° 3636 DU 28 MAI 2015