PDF Vectoriel 300*2400 - Editions de l`Atelier

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L A
R É S I S T A N C E
S P I R I T U E L L E
LETTRE
LALA
LETTRE
N°3616
3636DU
DU
N°
28 mai 2015
2015
8 JANVIER
1,50€
1,50
www.temoignagechretien.fr
JEAN-PIERRE MIGNARD
N° 3636 DU 28 MAI 2015
DR
Respect et fidélité
Germaine Tillion (1907 – 2008) Pierre Brossolette (1903 – 1944)
Grande figure de la Résistance, écrivaine
engagée et intellectuelle indépendante,
Germaine Tillion est considérée…
Il naît à Paris dans une famille d’enseignants républicains. Scolarisé à Louis-leGrand, il entre…
DR
Ainsi ils vont remonter la rue Soufflot qui
les mènera au temple de la mémoire et de la
reconnaissance de la République, le Panthéon.
Deux femmes : Geneviève de Gaulle-Anthonioz
et Germaine Tillion ; deux hommes : Pierre
Brossolette et Jean Zay ; nous publions leurs
portraits dans cette lettre. Ils nous honorent
à la mesure où nous les aimons. Ils nous disent
de ne jamais baisser les bras.
On ne refera pas le discours de Malraux pour
les cendres de Moulin. D’ailleurs, lisez-le bien,
ce discours. Il est tout droit issu de celui
de Brossolette au Royal Albert Hall. Nous
le republions (Cf. p.4). Plagiat ? Non, hommage.
Pouvait-on encore parler autrement de la
France libre
et de la Résistance après celui de Brossolette,
ce jour-là de 1943. Il se lit gorge nouée, et si
vos yeux s’embuent, n’en ayez pas honte.
Il y a Jean Zay, grande figure du gouvernement
Blum, ministre visionnaire d’une école
démocratisée, juif et protestant, assassiné
par la milice en 1944. Lisez ses Écrits de prison
et son œuvre. C’est la République incarnée.
Il y a ces femmes, combattantes, l’énergie
sororale à Ravensbrück avec Marie-Claude
Vaillant-Couturier, qui entrera plus tard dans
le camp d’Auschwitz avec trois cents femmes
françaises en chantant La Marseillaise.
Geneviève de Gaulle, la nièce du chef de la
France libre, catholique et libre de toutes les
forces de son âme, qui a continué le combat
pour les pauvres, toujours du côté des exclus,
des humiliés. Germaine Tillion, et le réseau du
Musée de l’Homme, déportée, immense
intellectuelle qui poursuivra le combat pour
la paix en Algérie et la fin des violences, de part
et d’autre. Il manque encore Danièle Casanova,
grande et jeune résistante corse morte en
déportation ; Bertie Albrecht, organisatrice
du service social de la Résistance en zone libre,
morte à la prison de Fresnes. Et d’autres qui
ont « allumé le feu qui ne s’éteint jamais »
comme on le chante à Taizé.
À ces quatre-là, à tous les autres, nous disons
simplement « merci ». Merci de l’honneur
que vous nous faites d’être de France, d’où que
vous veniez, de gauche ou de droite, ou du
cœur de l’humanité tout simplement, puisque
c’est à son appel que vous vous êtes rassemblés.
Aux femmes enfin, ces vers d’Aragon dédiés
aux déportées du convoi de Romainville :
« Je vous salue Maries de France aux cent visages,
Et celles parmi vous qui portent à jamais
La gloire inexpiable aux assassins d’otages
Seulement de survivre à ceux qu’elles aimaient. »
DR
Merci
À événement exceptionnel, lettre exceptionnelle. TC consacre
la totalité de ses pages à ces deux femmes et ces deux hommes
qui nous honorent et nous obligent. Oui, ils résistèrent,
et ils le firent au nom de la fraternité humaine. Leur exemple
n’appartient pas à un passé glorieux, il est un phare qui
éclaire l’avenir. Sachons leur être fidèles.
© Rue des images
Éditorial
Geneviève de Gaulle (1920 – 2002) Jean Zay (1904 – 1944)
Nièce du Général, Geneviève de Gaulle
naît à Saint-Jean-de-Valeriscle (Gard).
Elle n’a que 14 ans lorsqu’elle lit…
En annonçant au Mont-Valérien son
entrée au Panthéon, François Hollande
disait : « Jean Zay, c’est la République »…
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 1
Germaine Tillion (1907 - 2008)
Pierre Brossolette (1903 - 1944)
… comme la pionnière de l’ethnologie française. Née le 30 mai 1907 à
Allègre (Haute-Loire) dans une
famille bourgeoise, intellectuelle et
catholique, elle se consacre très tôt
aux sciences de l’Homme. En 1934,
alors jeune ethnographe, elle est envoyée en Algérie pour étudier les tribus berbères de la région des Aurès.
Elle effectuera quatre missions
jusqu’en 1940. Dès son retour, elle
s’engage dans la Résistance. Elle expliquera sa réaction à la demande
d’armistice : « Ce fut pour moi un
choc si violent que j’ai dû sortir de la
pièce pour vomir. » Elle reprend avec
un colonel en retraite l’Union nationale des combattants coloniaux pour
venir en aide aux prisonniers de
guerre originaires d’Outre-Mer.
Cette activité légale laisse peu à peu
place à une activité souterraine. Elle
recense les camps de prisonniers,
contribue à la création de filières
d’évasion, collecte des renseignements et cache chez elle des évadés.
Elle noue des contacts précieux avec
de nombreux groupes, à commencer
par le réseau du Musée de l’Homme.
Au printemps 1941, elle multiplie les
liens avec d’autres organisations et
devient un maillon essentiel de la
Résistance. Dénoncée, elle est arrêtée
le 13 août 1942 et accusée de cinq
chefs d’inculpation punis de mort.
Elle est déportée en octobre 1943 au
camp de Ravensbrück. Sa mère l’y rejoint au début de 1944 et est gazée en
mars 1945. Pendant dix-sept mois,
elle ne cessera d’aborder l’atrocité
nazie en ethnographe, étudiant l’organisation du camp et ses soubassements économiques conduisant aux
exterminations systématiques. Résister, c’est aussi pour elle tourner en dérision ses bourreaux et divertir ses
compagnes en écrivant une opérette :
…à l’École Normale Supérieure en
1922 et obtient l’agrégation d’histoire
en 1925. Il entame une carrière de journaliste comme spécialiste de politique
internationale. Hostile au nazisme et
clairvoyant sur les politiques extérieures
allemande et italienne, il se fait le chantre de l’esprit de résistance. Francmaçon, membre de la Ligue des droits
de l’homme et de la Ligue internationale contre l’antisémitisme, il devient
militant socialiste en 1930 et travaille activement à la tête de la fédération de
l’Aube jusqu’en 1939.
Mobilisé le 23 août 1939, promu en
mars 1940, démobilisé en août, le gouvernement de Vichy refuse son
intégration au corps enseignant pour ses
convictions antifascistes. Il achète alors
une librairie qui lui servira de couverture pour ses activités clandestines.
En 1941, il rejoint le groupe du Musée
de l’Homme puis entre en liaison avec le
Comité d’action socialiste et LibérationNord. En novembre 1941, il devient le
chef de la section presse et propagande
de la Confrérie Notre-Dame du Colonel Rémy. Il adresse à la France libre plusieurs rapports sur l’opinion française
et les prémices de la Résistance intérieure. Il relie Londres à l’Organisation
civile et militaire et noue des liens étroits
avec les mouvements de la Résistance
intérieure.
Impressionné par ses rapports, de
Gaulle le fait venir à Londres en avril
1942. Il rejoint le Bureau central de renseignements et d’action et entre dans le
cercle des forces gaullistes.
De juin 1942 à mars 1944, il effectue
trois missions clandestines en France.
Parachuté une première fois le 4 juin
1942 à Chalon-sur-Saône, il fait évader
les résistants André Philip et Louis Vallon et convainc le député Charles Vallin
de rallier la France libre. Ils
gagnent la Grande-Bretagne le 14 sep-
« J’ai écrit une chose comique parce que
je pense que le rire, même dans les situations les plus tragiques, est un élément revivifiant. » Libérée le
23 avril 1945, elle parvient à sortir ses
photos attestant d’expériences de vivisection sur ses camarades. Désormais, elle fait des déportés sa nouvelle
bataille, retrace l’histoire de près de
4 000 déportées hors de France et publie dès 1946 l’un des premiers témoignages sur les conditions de vie
dans les camps. Elle assiste au procès
de Pétain et à ceux de Hambourg
(1946-1947) et de Rastatt (1950) qui
jugent les chefs de Ravensbrück.
En 1955, elle renoue avec l’Algérie à
la demande du gouvernement français. Révoltée par la paupérisation du
pays, elle met en place un projet
socio-éducatif à l’intention des plus
pauvres, analyse les limites du système
colonial et enquête sur la torture. En
pleine bataille d’Alger, elle rencontre
secrètement en 1957 le chef du Front
de Libération National, Yacef Saâdi et
obtient pour quelques semaines l’arrêt des attentats. À la fin de la guerre
d’Algérie, elle retourne à l’enseignement sans renoncer à ses idéaux : elle
signe l’appel lancé pour que soit reconnu l’usage de la torture par les
Français pendant la guerre d’Algérie.
Germaine Tillion s’est éteinte le
19 avril 2008 à 100 ans. Cette femme
d’exception a fait du combat le moteur de sa vie : lutte contre l’oppression et la guerre, contre la torture et
les injustices, contre la pauvreté et les
misères sociales. Malgré les heures
sombres, celle qui fut de tous les combats du XXe siècle n’a jamais désespéré
de l’homme. La paix, la liberté et
l’égalité ont été les guides du parcours
lumineux et courageux de cette
femme de réflexion et d’action.
MARGAUX MIGNARD
BIBLE
« Pour faire un homme, mon Dieu que c’est long…»,
chantait Hugues Auffray. Pour faire un peuple, c’est
certainement plus long encore… Il y faut beaucoup
de patience, donc d’amour.
Deutéronome 4, 32-40
Moïse disait au peuple : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont précédé, depuis le jour où Dieu créa
l’homme sur la terre : d’un bout du monde à l’autre,
est-il arrivé quelque chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de pareil ? Est-il un peuple qui ait
entendu comme toi la voix de Dieu parlant du milieu
du feu, et qui soit resté en vie ? Est-il un dieu qui ait
entrepris de se choisir une nation, de venir la prendre
au milieu d’une autre, à travers des épreuves, des
signes, des prodiges et des combats, à main forte et à
bras étendu, et par des exploits terrifiants – comme
2 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
tu as vu le Seigneur ton Dieu le faire pour toi en
Égypte ? Sache donc aujourd’hui, et médite cela en
ton cœur : c’est le Seigneur qui est Dieu, là-haut dans
le ciel comme ici-bas sur la terre ; il n’y en a pas d’autre. Tu garderas les décrets et les commandements du
Seigneur que je te donne aujourd’hui, afin d’avoir,
toi et tes fils, bonheur et longue vie sur la terre que te
donne le Seigneur ton Dieu, tous les jours. »
Constitution
Souvenir d’une présence, encore toute proche. Il y a
bien longtemps de cela, dans une petite ville
d’Alsace. Une maison d’accueil pour des enfants
juifs, quelques dix enfants, de 10 à 15 ans peut-être.
Un couple de 50 ou 60 ans. Un vendredi soir, début
du shabbat. La « famille » réunie autour de la table,
l’air grave mais serein, joyeux même. Seules, sur le
chandelier à sept branches, scintillent sept petites
tembre. Il retourne en France le
27 janvier 1943 pour coordonner l’action civile de la Résistance en zone occupée. De retour à Londres le 16 avril,
il remplace à de nombreuses reprises
Maurice Schumann au micro de la
BBC pour rendre de vibrants hommages aux résistants de l’ombre. Il dénonce inlassablement la collaboration et
appelle à l’union des combattants derrière de Gaulle. Prétendant malheureux
à la succession de Jean Moulin, il retourne une dernière fois en France le
19 septembre 1943 installer le nouveau
délégué général du Comité français de
libération nationale, Émile Bollaert.
Malgré les nombreuses arrestations de la
Gestapo, il s’efforce de reconstruire la
Résistance. Rappelé à Londres en même
temps que Bollaert, il refuse de partir en
novembre 1943 puis échoue à plusieurs
reprise, entre décembre 1943 et février
1944. Bollaert et Brossolette sont arrêtés
le 3 février 1944. Brossolette est incarcéré à Rennes le 5 février, sous le nom de
Boutet. Le 16 mars, sa véritable identité
est révélée. Interrogé par la Gestapo à
Rennes le 19, il est transféré le soir
même à Paris. Malgré la torture, il ne
parle pas. Le 22 mars, il profite d’un
moment d’inattention de ses gardiens
pour se jeter du cinquième étage. Grièvement blessé, il mourra quelques
heures plus tard à l’Hôpital de la Pitié.
Pionnier de la Résistance et principal artisan de son unification, Pierre Brossolette aura préféré se suicider plutôt que
de livrer ses compagnons ou ses secrets.
Cet authentique héros de la Résistance
a sacrifié sa vie pour la liberté et l’honneur de son pays. Il représentait la réflexion et l’action, la loyauté, la dignité
et l’espoir en l’avenir. Il détenait une
force morale qui n’a pu être brisée par
les Allemands, même au moyen de la
torture.
MARGAUX MIGNARD
bougies, silencieusement. Aucun bruit. Une voix
d’une petite fille (10-12 ans) rompt alors le silence
mais pas le calme, tout au contraire : le silence et le
recueillement se font plus intenses encore : « Disnous, grand-père, comment autrefois nos ancêtres ont
connu l’Éternel, notre Dieu ? » Comme si le grandpère recherchait dans sa mémoire sa propre rencontre avec son Dieu, il a déplié son grand corps en se
levant de sa chaise, a posé avec tendresse son regard
sur chacun des enfants présents puis commença le
récit par ces mots rituels : « Écoute, Israël, Yahvé notre
Dieu est le seul Yahvé » (Dt 6, 4). Tous ont répété la
même phrase, à plusieurs reprises, puis grand-père a
fait la lecture du texte du livre du Deutéronome
4, 32 : « Interroge donc les temps anciens qui t’ont
précédé, depuis le jour où Dieu créa l’homme sur la terre
: d’un bout du monde à l’autre, est-il arrivé quelque
chose d’aussi grand, a-t-on jamais connu rien de
pareil ?... »
N° 3636 DU 28 MAI 2015
Geneviève de Gaulle (1920 - 2002) Jean Zay (1904 - 1944)
… Mein Kampf et découvre les
dangers que représentent Hitler et
le IIIe Reich. En 1938, elle obtient
son baccalauréat et s’inscrit en histoire à la Faculté de Rennes. Le 17
juin 1940, la demande d’armistice
de Pétain la révolte. Le lendemain,
elle apprend que son oncle exilé à
Londres a appelé à poursuivre la
lutte. Le surlendemain, son père
Xavier est fait prisonnier.
La première année d’occupation est
pour Geneviève l’occasion de réaliser
des gestes symboliques de résistance,
prémices de son engagement à venir
: elle déchire les affiches de l’occupant, dessine des croix de Lorraine et
arrache une bannière nazie.
À l’automne 1941, alors étudiante en
Sorbonne, elle rejoint le groupe du
Musée de l’Homme. Durant les mois
suivants, elle diffuse clandestinement
la photo de Charles de Gaulle, distribue des tracts, effectue des missions de renseignement et transporte
du courrier en Espagne. Au printemps 1943, elle prend le nom de
Gallia et entre à « Défense de la
France », mouvement créé par des
étudiants parisiens. Membre de son
comité directeur, elle est en charge de
la diffusion du journal et a un rôle
déterminant dans l’adhésion au gaullisme du fondateur du groupe,
Philippe Viannay.
Dénoncée, elle est arrêtée le 20 juillet
1943 puis déportée à Ravensbrück le
31 janvier 1944 dans le même convoi
que la mère de Germaine Tillion.
Entre octobre 1944 et février 1945,
elle est isolée dans le cachot du camp
sur ordre d’un Himmler désireux d’en
faire une monnaie d’échange. En avril
1945, elle est finalement remise à la
frontière suisse, où son père, devenu
Consul général de France, la recueille.
Après la guerre, elle fait la rencontre
de Bernard Anthonioz, résistant et
ami de Malraux. Elle l’épouse le 28
mai 1946. Elle consacrera le reste de
sa vie aux victimes des nazis. Elle présidera en ce sens l’Association des
déportées et internées de la Résistance
(Adir) et fera du devoir de mémoire
une nécessité absolue. Elle témoignera
lors du procès Barbie en 1987.
Mais ses engagements vont bien audelà. En 1958, sur demande de Malraux, elle entre au gouvernement
pour s’occuper de la recherche scientifique. En octobre, en visite dans le
bidonville de Noisy-le-Grand, elle
découvre des conditions de vie
proches de celles qu’elle a connues à
Ravensbrück : c’est un électrochoc
pour celle qui fera de la misère son
deuxième combat. En 1964, elle préside l’association « Aide à toute
détresse » (ATD) du père Joseph Wresinski, jusqu’en 1998. En 1988,
parallèlement à son activité associative, elle rejoint le Conseil économique et social. Elle rédige en 1995
un rapport sur l’évaluation des politiques publiques pour la lutte contre
la grande pauvreté. Le 28 juillet
1998, la loi relative à la lutte contre
l’exclusion est votée.
À 81 ans, malade, Geneviève de
Gaulle-Anthonioz décède le 14 février
2002 à Paris. Par son courage sans
borne, son engagement sans faille et
sa force exemplaire, elle incarne mieux
que quiconque l’esprit de résistance
contre l’humiliation faite à la France,
contre les atrocités nazies mais aussi
contre la pauvreté et l’exclusion. Cette
femme d’action n’a eu de cesse de placer au cœur de son combat l’absolue
nécessité d’une justice pour tous.
« Toute l’humanité est précieuse » avait
pour habitude de dire cette femme à
l’engagement d’une qualité rare.
MARGAUX MIGNARD
L’auteur du Deutéronome, l’un des cinq livres constituant le Pentateuque, longtemps attribué à Moïse luimême, nous est aujourd’hui encore inconnu. Il raconte
des faits gravés dans la mémoire d’un peuple, s’étendant sur plusieurs siècles. La rédaction finale remonterait probablement au VIIe siècle avant notre ère :
mélange de récits plus ou moins historiques perçus
comme fondateurs du peuple conduit par Moïse, en
quête d’un dieu. Il se révèlera peu à peu, lentement,
très lentement, avant de dire son nom, Yahvé, et de
prendre racine dans l’humanité en la personne de Jésus
de Nazareth. Comme tout peuple en quête de son
identité, il puisera dans sa mémoire les faits marquants
de son histoire. Il se donnera des repères, des lois, des
buts à atteindre. On dirait aujourd’hui qu’il se donne
une Constitution, une Loi commune qui va faire naître, d’hommes et de femmes divers dans leur origine,
leur histoire et leur culture, un peuple uni et riche de
valeurs communes et respectées par tous. Ce « second
N° 3636 DU 28 MAI 2015
… Dans l’opinion, cette qualification
n’a rien d’une évidence alors que,
pour tous les historiens et pour tous
les républicains qui le connaissent,
Jean Zay incarne bien les valeurs non
seulement de la République mais,
mieux encore, de notre République
sociale et humaniste. Et ce pour deux
raisons au moins : en tant que Ferry
du Front populaire et que Dreyfus de
Vichy.
En effet, le si précoce ministre de
Léon Blum – député radical-socialiste
du Loiret à 27 ans en 1932, plus
jeune ministre de la IIIe à 31 ans – fut
un grand ministre réformateur à la
tête de quatre de nos départements
actuels : l’Éducation nationale et les
Beaux-Arts, mais aussi la Recherche,
la Jeunesse et les Sports, pendant quarante mois. Toute son action correspond au passage d’une République à
l’autre, d’une démocratisation à l’autre : de la démocratisation politique
des pères fondateurs comme Jules
Ferry – pour lesquels il s’agit de faire
des petits républicains – à notre
démocratisation, celle qui fait de la
justice sociale le cœur de la République. Pour armer cette République
désormais sociale, Jean Zay passe par
la « popularisation de la culture »
(P. Ory). Il promeut, partout où il le
peut, l’engagement de l’État – très
souvent contre ce qu’il appelle « la
mystique de l’équilibre budgétaire » –
dans l’action culturelle pour rendre la
société plus juste, pour œuvrer à
l’égalité.
Mais, la vie de Jean Zay offre aussi un
grand modèle de résistance, d’engagement pour le patriotisme humanisme.
Zay connut et combattit toute sa vie
la haine des antirépublicains. Très tôt,
il résista aux logiques d’exclusion
essentialistes qui le visaient. Il incarnait aux yeux des maurrassiens
livre des Lois » n’est pas un code juridique imposé
comme un joug sur les épaules du peuple, mais
comme un trésor commun proposé à chacun pour une
vie commune harmonieuse. Malgré les révoltes du
peuple, au-delà des oppositions voire des guerres de familles, Dieu demeurera le garant, le liant mais aussi la
tête (caput) qui donne le sens, qui soutient et relève les
blessés, les défaillants, qui n’oublie jamais sa présence
et son amour. « Une femme oublie-t-elle l’enfant qu’elle
nourrit… moi, je ne t’oublierai jamais : vois donc, j’ai
gravé ton nom sur les paumes de mes mains » (Is 49, 14).
Le livre du Deutéronome est une tentative, par ses rappels des actes de Dieu en faveur de son peuple, de parler directement au cœur de l’homme, de le convaincre
que son bonheur ne se trouve que dans la fidélité à la
Loi du Seigneur. Le Nouveau Testament, dans les
évangiles comme dans les textes qui ont suivi, n’est
qu’un rappel de ces longs dialogues que Dieu fait
avec son peuple, avec nous : « Écoute Israël… »,
l’archétype des « quatre états confédérés
de l’anti-France » : d’ascendance paternelle juive, de confession protestante,
franc-maçon, il ne pouvait être à leurs
yeux qu’un « métèque ». De plus, il
fut détesté pour ses choix politiques
sociaux de Front populaire et pour sa
position antimunichoise. Antifasciste
notoire, Zay s’opposa en effet aux
logiques de Munich puis à celle de
l’armistice. À ce titre, il fit partie des
premiers animés par « l’esprit de Résistance » en 1940. Pour cela, il fut le
premier condamné politique de la
dictature de Vichy, à la même peine –
disparue depuis cinquante ans du
Code militaire – que le capitaine
Dreyfus. Dans sa prison de Riom, il
participa à la résistance intellectuelle
en produisant des textes pour le
réseau de l’Organisation civile et militaire (OCM) en particulier. Les miliciens n’eurent plus qu’à venir le
chercher, quatre ans plus tard,
le 20 juin 1944, pour l’assassiner et
tenter de faire disparaître son corps
qui ne sera retrouvé qu’en 1948 !
Jean Zay est donc un grand homme
auquel la patrie républicaine doit être
reconnaissante, à la fois pour ce qu’il a
fait et pour ce qu’on lui a fait. Dans les
deux cas, par sa lutte pour la justice
sociale, par la démocratisation de la culture grâce à l’investissement de l’État et
par sa lutte de résistant antifasciste
contre l’essentialisme maurrassien qui
l’assassina mais en fit un héros « mort
pour la France », il incarne une République d’émancipation sociale et de
patriotisme humaniste, une république
exemplaire. La nôtre.
OLIVIER LOUBES,
auteur de Réarmer la République !
Jean Zay au Panthéon. Essai d’histoire tonique, Demopolis éditions
2015, 140 p., 16 €
ainsi qu’une invitation à maintenir « en actes et en
vérité » (1 Jn 3, 14) un dialogue paisible et confiant
avec Dieu, donc avec les hommes.
Je ne peux m’empêcher de m’interroger : quel est le
rôle de l’Église ? Imposer des règles, des rites, des
charges, que sais-je encore, ou rappeler que l’essentiel
est de chercher et de voir Dieu dans le quotidien de
chacun ?
Une autre interrogation qui me taraude : la Constitution, loi commune et « fondamentale » (qui « fonde »,
qui « crée » un peuple) est-elle une succession d’impositions et de restrictions diverses, ou la prise de
conscience d’un vivre-ensemble pour un avenir commun. Le rôle de l’État alors est de rappeler cette réalité
par sa politique, d’encourager les initiatives des uns et
des autres, de punir aussi avec intelligence et discernement les défaillants, sans toutefois les conduire à la désespérance.
Bernard RIVIÈRE
TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN 3
Discours de Pierre Brossolette
À
l’Albert Hall de Londres, le 18 juin 1943,
pour l’anniversaire de l’appel du général de
Gaulle, trois ans plus tôt, a lieu une cérémonie à l’initiative de l’association des Français de
Grande-Bretagne. C’est Pierre Brossolette qui prononce le discours qu’il a lui-même écrit. Des mots
brûlants et bouleversants qui inspireront Malraux
lors de l’accueil des cendres de Jean Moulin au
Panthéon en décembre 1964.
« L’Histoire de notre pays n’est qu’une suite de prodiges qui s’enchaînent : prodige de Jeanne d’Arc,
prodige des soldats de l’an II, prodiges des héros de
la Marne et de Verdun, voilà le passé de la France.
Ma mission est, ce soir, de rendre hommage à ceux
par le prodige desquels la France conserva un présent et un avenir, les morts de la France combattante. De tous les morts dont la chaîne innombrable
constitue notre trésor de gloire, ceux-là plus qu’aucuns autres incarneront, dans sa pure gratuité,
l’esprit de sacrifice. Car ils ne sont point morts en
service commandé : un chiffon de papier, signé, par
dérision, dans la clairière de Rethondes, les avait
déliés du devoir de servir. Ils ne sont point morts
volontaires pour une mission qu’on leur offrait : un
pouvoir usurpé ne demandait des volontaires que
pour l’abdication. Ce sont des hommes à qui la
mort avait été interdite sous peine capitale, et qui
ont dû d’abord la braver pour pouvoir la briguer.
L’histoire un jour dira ce que chacun d’eux a dû
d’abord accomplir pour retrouver dans la France
combattante son droit à la mort et à la gloire. Elle
dira quelles Odyssées il leur aura fallu passer pour
s’immortaliser dans leurs Iliades ! Passagers clandestins des derniers bateaux qui se sont éloignés de
la France terrassée, humbles pêcheurs franchissant
sur des barques les tempêtes de la Manche, marins
Bibliographie
De Geneviève de Gaulle-Anthonioz :
- Lettres à une amie : correspondance spirituelle, éd. Parole et Silence, 2005.
- Le secret de l’espérance, éd. Fayard –
éd. Quart-Monde, 2001.
- Les inoubliables Mémoires, avec Robert
Fromentin, éd. des Écrivains, 1999.
- La traversée de la nuit, éd. du Seuil, 1998.
Sur Geneviève de Gaulle-Anthonioz :
- Geneviève de Gaulle-Anthonioz et Germaine Tillion, : dialogues, Isabelle Anthonioz-Gaggini, éd. Plon, 2015.
- Geneviève de Gaulle -Anthonioz, Caroline Glorion, éd. Plon, 2015.
- Geneviève de Gaulle - Anthonioz, Évelyne
Morin-Rotureau, éd. Pemf, 2004.
- Geneviève de Gaulle-Anthonioz, l’autre
de Gaulle, Frédérique Neau-Dufour,
éd. du Cerf, 2004.
- Les évadés de France à travers l’Espagne.
Guerre 1939-1945, Robert Vieville et
Marcel Vivé, éd. des Écrivains, 1998.
De Germaine Tillion :
- Il était une fois l’ethnographie,
éd. Points, 2015.
- Des ethnologues dans la guerre d’indépendance algérienne, avec Jacques Berque,
Pierre Bourdieu, Fabien Sacriste et Jean
Servier, éd. de L’Harmattan, coll. « Histoire
et perspectives méditerranéennes », 2011.
- Fragments de vie, éd. du Seuil, 2009.
- Une opérette à Ravensbrück, éd. Points,
2007.
4 TÉMOIGNAGE CHRÉTIEN
et coloniaux ralliant des convois ravagés par la torpille, risque-tout affrontant les Pyrénées, prisonniers
évadés des camps de l’ennemi, détenus évadés des
bagnes de la trahison, il a suffi qu’en ces jours de
juin, dont nous fêtons l’anniversaire, un homme
leur ait crié : « je vous convie à vous unir avec moi
dans l’action, dans le sacrifice et dans l’espérance »,
pour qu’ils se lèvent tous, pour que ceux qui n’appelaient plus la mort que comme une délivrance,
accourent y chercher un accomplissement, et pour
que d’un seul geste sortant du banal ils entrent dans
le sublime. Et voici maintenant que, dans le ciel
limpide de leur gloire, ils se parlent comme les sommets se parlent par-dessus les nuées, qu’ils s’appellent comme s’appellent les étoiles. Entrés déjà dans
la légende ou réservés pour l’histoire, les morts prestigieux de Mourzouck et de Bir Hakeim répondent
aux morts stoïques de la Marine marchande ; tombés sous le drapeau déployé d’El Alamein et d’El
Hamma, les soldats de Leclerc et de Kœnig répondent aux marins qui ont coulé, sous le pavillon haut
de l’Alysse, du Rennes et du Mimosa ; foudroyés
dans ce dixième de seconde où les yeux peuvent fixer
les yeux de l’adversaire, les pilotes de nos groupes et
de nos escadrilles répondent aux sous-mariniers du
Surcouf et du Narval, à qui une lente agonie a fait
attendre encore la mort après qu’ils l’eurent trouvée. Et là-bas, dans la nuit du martyre et de la captivité, la voix pathétique qui leur répond, c’est la
voix des morts du combat souterrain de la France,
élite sans cesse décimée et sans cesse renaissante de
nos réseaux et de nos groupements, otages massacrés
de Paris et de Châteaubriant, fusillés dont les lèvres
closes sous la torture ne se sont descellées qu’au
moment du supplice pour crier : « Vive la France ! »
Ce qu’ils étaient hier, ils ne se le demandent point
- Combats de guerre et de paix, éd. du
Seuil, 2007.
- À la recherche du vrai et du juste. À-propos rompus avec le siècle, éd. du Seuil,
2001.
- L’Algérie aurésienne, avec Nancy Wood,
éd. de La Martinière, 2001.
- Ravensbrück, éd. du Seuil, 1997.
- Le harem et les cousins, éd. du Seuil,
1966.
Sur Germaine Tillion :
- L’engagement à travers la vie de Germaine Tillion, Armelle Mabon et Gwendal Simon, Riveneuve éditions, 2013.
- Germaine Tillion, un long combat pour la
paix, Janine Teisson, éd. Oskar, 2010.
- Le siècle de Germaine Tillion, Tzvetan
Todorov et collectif, éd. du Seuil, 2007.
- Germaine Tillion, une femme - mémoire :
d’une Algérie à l’autre, Nancy Wood,
éd. Autrement, 2003.
- Le témoignage est un combat. Une biographie de Germaine Tillion, Jean Lacouture, éd. du Seuil, 2000.
- « Les vies de Germaine Tillion », François
George et Olivier Mongin, revue Esprit,
2000.
l’un à l’autre. Sous la croix de Lorraine, le socialiste d’hier ne demande pas au camarade qui tombe
s’il était hier Croix-de-Feu. Dans l’argile fraternelle
du terroir, d’Estienne d’Orves et Péri ne se demandent point si l’un était hier royaliste et l’autre communiste. Compagnons de la même Libération, le
père Savey ne demande pas au lieutenant Dreyfus
quel Dieu ont invoqué ses pères. Des houles de l’Arctique à celles du désert, des ossuaires de France aux
« Ce qu’ils attendent de nous,
ce n’est pas un regret, mais
un serment. Ce n’est pas un
sanglot, mais un élan. »
cimetières des sables, la seule foi qu’ils confessent,
c’est leur foi dans la France écartelée mais unanime.
Colonels de 30 ans, capitaines de 20 ans, héros de
18 ans, la France combattante n’a été qu’un long
dialogue de la jeunesse et de la vie. Les rides qui
fanaient le visage de la Patrie, les morts de la France
combattante les ont effacées ; les larmes d’impuissance qu’elle versait, ils les ont essuyées ; les fautes
dont le poids la courbait, ils les ont rachetées. En
cet anniversaire du jour où le général de Gaulle les
a convoqués au banquet sacré de la mort, ce qu’ils
nous demandent ce n’est pas de les plaindre, mais
de les continuer. Ce qu’ils attendent de nous, ce n’est
pas un regret, mais un serment. Ce n’est pas un sanglot, mais un élan. »
- Le réseau du Musée de l’Homme, Martin
Blumenson, éd. du Seuil, 1979.
De Pierre Brossolette :
- Résistance (1927-1943), éd. Odile Jacob,
1998.
Sur Pierre Brossolette :
- Pierre Brossolette, Éric Roussel,
éd. Fayard – éd. Perrin, 2011.
- Pierre Brossolette ou le destin d’un héros,
Daniel Cordier, Alain Finkielkraut et Guillaume Piketty, éd. du Tricorne, 2000.
- Pierre Brossolette, un héros de la Résistance, Guillaume Piketty, éd. Odile Jacob,
1998.
- Pierre Brossolette, le visionnaire de la
Résistance, Guy Perrier, éd. Hachette
littératures, 1997.
- Il s’appelait Pierre Brossolette, Gilberte
Brossolette, éd. Albin Michel, 1976.
- Pierre Brossolette, héros de la Résistance,
René Ozouf, librairie Gedalge, 1946.
De Jean Zay :
- Écrits de prison. 1940-1944, éd. Belin, 2014.
- Souvenirs et solitude, avec Patrick Pesnot,
éd. de l’Aube, 2004.
Sur Jean Zay :
- Réarmer la République ! Jean Zay au
Panthéon. Essai d’histoire tonique, Olivier
Loubes, Demopolis éditions, 2015.
- Jean Zay, le ministre assassiné (19041944), Pascal Ory et Antoine Prost,
éd. Taillandier – éd. Canopé, 2015.
- L’affaire Jean Zay. La République assassinée, Gérard Boulanger, éd. CalmannLévy, coll. « Sciences humaines et Essais »,
2013.
- Jean Zay, l’inconnu de la République,
Olivier Loubes, éd. Armand Colin, 2012.
- Jean Zay (1904-1944) : ministre de l’Instruction du Front populaire, résistant,
martyr, Olivier Babeau et Roger Karoutchi, éd. Ramsay, 2006.
- Jean Zay et la gauche du radicalisme,
Antoine Prost, Presses de Sciences Po,
2003.
- Jean Zay : député à 27 ans, ministre à
31 ans, prisonnier politique à 36 ans,
assassiné à 39 ans, Marcel Ruby, éd. Corsaire, 1994.
- La vie et l’œuvre de Jean Zay, Marcel
Ruby, Librairie Gedalge, 1969.
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N° 3636 DU 28 MAI 2015

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