Untitled - Terrain

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Untitled - Terrain
Et pourtant
ils coopèrent...
Regard des sciences sociales
sur la coopération animale
Véronique Servais
Université de Liège, Institut des sciences humaines et sociales,
Laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle
[email protected]
Le cri d’alarme : une forme très répandue
de coopération. En donnant l’alerte, ce chien
de prairie prend le risque d’attirer sur lui
l’attention du prédateur. Chien de prairie,
Wyoming, USA. (photo J. Cancalosi / Biosphoto)
Terrain 58 | mars 2012, pp. 108-129
« Les plus faibles et les plus stupides
étaient condamnés, tandis que
les plus forts et les plus rusés,
ceux qui étaient le mieux
équipés pour s’en sortir dans leur
milieu, mais non les meilleurs sur
d’autres plans, survivaient.
La vie était un combat permanent et…
la guerre de chacun contre tous
était l’état normal de l’existence. »
(Thomas Henry Huxley, « The Struggle for Existence:
a Programme », The Nineteenth Century, vol. 23, 1888 ;
cité dans Dugatkin 2002 : 460.)
Le problème de la coopération animale 1 est
un vieux serpent de mer pour les biologistes
de l’évolution qui, selon les mots de Lee Alan
Dugatkin (2002), trouvent le sujet à la fois frustrant et fascinant. Charles Darwin lui-même,
dit-on, aurait considéré que les comportements
altruistes et coopératifs observés par exemple
chez les ouvrières stériles dans une fourmilière
posaient « une difficulté spéciale, qui de prime
abord m’apparut insurmontable, et en réalité fatale
à toute ma théorie » (cité dans Dugatkin 2002 :
459). Cette difficulté, Darwin pensait l’avoir
résolue en introduisant la sélection sexuelle. Il
avait en effet perçu l’importance primordiale de
la fécondité, par rapport à la mortalité, dans la
sélection naturelle. Mais si tous les individus sont
supposés lutter constamment les uns contre les
autres, et si la sélection est supposée opérer à ce
niveau en éliminant en permanence les « moins
aptes », comme l’ont suggéré les versions les plus
dures du darwinisme social 2 , les individus qui coopèrent et favorisent autrui plutôt qu’eux-mêmes
n’ont aucune chance de l’emporter et devraient
donc être éliminés. C’est dans cette perspective
que la coopération a posé, et pose encore, une difficulté spéciale à certains théoriciens de l’évolution.
À l’inverse, on sait que le géographe anarchocommuniste russe Piotr Alekseïevitch Kropotkine
considérait l’entraide non comme une anomalie de
la nature mais comme un élément déterminant de
l’évolution. Il s’employa à le démontrer dans l’ouvrage qu’il publia à Londres en 1902, L’Entraide,
un facteur d’évolution. L’ouvrage fit débat, mais
ses théories sur les mécanismes biologiques de
l’évolution de la coopération n’ont à l’époque pas
convaincu la critique anglo-saxonne et il ne fut
guère suivi. À ce jour, sa réputation vient plus de
pourquoi COOPÉRer sa contribution à la conscience politique que de
son apport scientifique, puisque son enterrement à
Moscou, en 1921, est considéré comme la première
manifestation publique anarchiste d’urss.
Cette brève vignette historique nous rappelle
que le point de vue biologique sur la coopération s’appuie, qu’on le veuille ou non, sur une
conception de la société. Ceci n’est pas moins
vrai aujourd’hui qu’hier, et ce l’est peut-être
même davantage dans la mesure où un seul
paradigme semble dominer de nos jours les travaux
(du moins anglo-saxons) sur l’évolution de la
coopération : le paradigme ultra-darwiniste de la
compétition généralisée de tous contre tous 3 . La
coopération est donc très largement considérée
comme une « anomalie » qui demande une explication. La situation pourrait toutefois changer
prochainement. En effet, un certain nombre de
comportements de coopération, en particulier
(mais pas seulement) chez les primates, peinent
à être expliqués dans le cadre strict de ce modèle
sélectionniste. Celui-ci devrait donc, en toute
logique, être complété ou remplacé. Nous allons
retracer à grands traits la petite histoire de cet
échec, tout en présentant de manière critique ce
que les biologistes et les primatologues nous ont
appris de la coopération. Ceci nous amènera à
conclure que le cadre théorique de la biologie est
insuffisant pour expliquer la coopération chez les
primates – en particulier les grands singes – et à
plaider pour que la primatologie s’ouvre réellement
aux sciences sociales.
l’inhibition de l’agression ou la ritualisation des
combats entre mâles, comme un trait avantageux
pour l’espèce. Mais la théorie évolutionniste anglosaxonne qui a inspiré par la suite la biologie du
comportement (et notamment la sociobiologie) a
insisté sur le fait que c’est sur l’individu, et non sur
le groupe, que porte la sélection, les individus étant
supposés être en compétition pour la survie et la
reproduction. Le critère essentiel de l’évolution
est alors devenu le succès reproducteur individuel
(« fitness »), et la « sélection du plus apte 4 » a été
promue mécanisme principal de l’évolution des
populations. En admettant qu’un individu soit
porteur d’une mutation favorable, la condition
pour que celle-ci se répande, de génération en
génération, jusqu’à être présente dans l’ensemble
de la population, est que cette mutation confère à
ceux qui la portent un avantage reproductif par
rapport à ceux qui en sont dépourvus : il faut qu’ils
survivent mieux ou/et se reproduisent mieux, et
que leurs rejetons eux-mêmes survivent mieux
ou/et se reproduisent mieux que leurs concurrents.
Les concurrents étant, dans cette perspective,
les congénères porteurs d’une autre version du
même gène. Une fois ceci admis, l’apparition de la
coopération, définie comme « une action qui vient
en aide à autrui au prix d’un coût en termes de
fitness pour son auteur » (Clutton-Brock 2009 : 51),
devient hautement improbable. Un trait qui bénéficie à autrui et coûte à son auteur ne peut apporter
un avantage reproducteur (ne peut augmenter la
fitness) à celui qui en est porteur. Il ne peut donc
pas, en théorie, apparaître puis se répandre dans
une population. Pourtant la coopération existe
Un paradigme purement sélectionniste
sous de multiples formes dans le monde animal :
Jusque dans les années 1960, la question de la coopération entre espèces différentes dans les
coopération n’a pas fait grand bruit en éthologie. symbioses (par exemple entre une algue et un
Le « bien de l’espèce » avait force d’explication, champignon dans le lichen) ; chasse coopérative
et ce généralement de manière implicite (voir chez de nombreux carnivores sociaux ; aide dans
Renck & Servais 2002 : 104). Dans cette optique les soins à la progéniture, au détriment de sa
qui s’appuyait sur la sélection de groupe, les propre reproduction, chez des insectes sociaux
comportements de collaboration et d’assistance ainsi que chez de nombreuses espèces d’oiseaux
entre individus étaient tenus pour une banalité et de mammifères ; défense collective contre les
et la coopération était traitée, au même titre que prédateurs (cris d’alarme, harcèlement collectif
1. L’auteur tient à remercier Joël Candau, André
Langaney, Jean-Luc Renck et Christine Servais
pour leur relecture et leurs commentaires de
la première version du manuscrit.
110
2. Notons que Darwin lui-même est étranger
à ce dévoiement de sa théorie.
3. Il y a bien sûr des exceptions, mais le courant
dominant en Europe et aux États-Unis est
incontestablement celui-là.
4. L’expression est du sociologue Herbert
Spencer, l’un des pères du darwinisme social,
et non de Darwin lui-même.
Un lichen en microscopie électronique.
Le champignon (filaments blancs)
apporte le support et des sels minéraux
à une algue photosynthétique (en vert)
qui lui fournit en retour des nutriments.
(photo Eye of Science / Science Photo
Library / Biosphoto)
Et pourtant ils coopèrent...
111
pourquoi COOPÉRer La mésange à longue queue (Aegithalos caudatus) pratique la reproduction coopérative : les jeunes de la
nichée précédente sacrifient leur propre reproduction en aidant leurs parents à nourrir frères et sœurs.
Mésange à longue queue nourrissant ses jeunes, Finlande. (photo M. Varesvuo / Biosphoto)
d’un prédateur…), appels signalant
la présence de nourriture, défense
collective d’un territoire, formation
de coalitions et d’alliances chez des
primates et des delphinidés… La
difficulté a alors été de concevoir les
débuts de la coopération dans une
espèce asociale, et son maintien une
fois établie.
Quatre mécanismes ont été proposés : la sélection de parentèle, l’altruisme réciproque, le mutualisme et la
sélection de groupe (Dugatkin 2002).
La sélection de parentèle et l’altruisme
réciproque ont principalement retenu
l’attention des biologistes. Ce sont
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eux qui vont être présentés ici. Tous
deux envisagent les conditions dans
lesquelles la coopération, un comportement coûteux à première vue, peut
apporter des bénéfices à son auteur et
être sélectionnée. S’inscrivant dans
le paradigme sélectionniste, ils ont
constitué les deux piliers de l’approche
évolutionniste de la coopération au
cours de ces trente dernières années.
La sélection de parentèle
Le modèle de la sélection de parentèle
(kin selection) proposé par William D.
Hamilton (1964) explique l’apparition
et le maintien de la coopération entre
des individus apparentés. L’originalité
de Hamilton a été de concevoir qu’il
existe deux manières de contribuer à
la propagation de ses propres gènes :
par la reproduction bien sûr, mais
aussi en favorisant la reproduction
d’individus apparentés, avec qui on
partage une certaine proportion de
gènes. Il est alors possible de calculer
qu’un individu qui assure la survie de
trois neveux ou nièces (en les nourrissant, en les protégeant, etc.) assure le
passage à la génération suivante d’une
proportion plus importante de ses
propres gènes qu’en produisant un seul
descendant. Il y a certes un « coût » à
coopérer, mais celui-ci est compensé
par un bénéfice. La théorie prévoit
que la coopération pourra apparaître
et se maintenir si les « bénéfices », calculés toujours en termes de succès
reproducteur direct ou indirect, sont
supérieurs aux « coûts », c’est-à-dire
s’il est par exemple plus avantageux
(ou en tout cas si cela ne l’est pas
moins) de se regrouper pour assurer
la survie d’une portée de neveux et
nièces que de fonder sa propre famille,
au risque d’augmenter la compétition
pour les ressources et de mettre en
péril les deux portées. Les équations
proposées par Hamilton permettent de
modéliser cet équilibre qui ne dépend
pas de la volonté des individus. Le
terme « coopération » désigne donc
ici des modalités d’assistance et de
vie collective qui ont pu s’établir et se
maintenir parce qu’elles ne mettaient
pas en péril la survie des gènes des
individus. Elle repose sur des mécanismes (par exemple l’inhibition de
la reproduction chez les jeunes de la
portée précédente) qui sont loin d’être
complètement élucidés mais qui en
tout état de cause ne supposent de
la part des individus ni une volonté
de coopérer, ni une conscience de le
faire. La grande majorité des cas de
coopération dans la nature concerne
la coopération entre apparentés et le
Et pourtant ils coopèrent...
modèle de Hamilton leur apporte une explication
considérée comme suffisante par les biologistes
de l’évolution.
L’altruisme réciproque
Il en va tout autrement du modèle de l’altruisme
réciproque élaboré par Robert L. Trivers en 1971.
Il concerne les cas, plus difficiles à expliquer,
de coopération entre individus non apparentés
au sein d’une même espèce. À sa publication,
l’hypothèse a fait l’objet d’un engouement
théorique considérable et a monopolisé, durant
les quatre dernières décennies, une bonne part
de la réflexion des biologistes sur la coopération,
au détriment des autres mécanismes possibles
(Clutton-Brock 2009). Par définition, l’altruisme
est un comportement qui coûte à son auteur
mais bénéficie au receveur. L’hypothèse avancée
par Trivers est que, si le gain pour le bénéficiaire excède le coût consenti par l’altruiste,
et si le bénéficiaire est susceptible de rendre
plus tard une aide comparable, alors les effets
cumulés des bénéfices pour les deux individus sont supérieurs aux coûts additionnés. Si
en outre les individus ont les moyens d’éviter
de coopérer avec ceux qui n’agissent pas de
manière réciproque, le trait « altruiste » peut, en
théorie, être sélectionné. Trivers suggère que
le jeu du dilemme du prisonnier (voir encadré)
constitue une bonne analogie de la situation.
Deux exemples, prototypiques sinon mythiques,
ont été abondamment cités à l’appui de la théorie :
la réciprocité dans le partage de sang chez les
chauves-souris vampires (Desmodus rotundus)
(Wilkinson 1984) et l’assistance mutuelle dans
la compétition matrimoniale chez les babouins
olive (Papio anubis) (Packer 1977). Lorsqu’ils ont
à combattre un rival, les babouins mâles peuvent
solliciter l’aide d’un congénère et, s’il accepte,
former avec lui une coalition temporaire contre
leur rival. Un certain nombre de ces coalitions
sont formées contre des mâles qui courtisent
une femelle. Craig Packer a observé vingt de
ces coalitions. Dans six d’entre elles, le mâle
qui avait sollicité l’aide d’un congénère a, par la
suite, obtenu la femelle. Il y avait donc pour lui
un avantage en termes de succès reproducteur.
En revanche son compère n’a obtenu aucun
bénéfice pour un acte potentiellement coûteux
(risque de blessure dans le combat par exemple).
Le dilemme du prisonnier
Dans sa formulation classique, le jeu du dilemme du
prisonnier confronte deux complices capturés par la
police. Ils sont interrogé séparément et ont le choix
entre couvrir leur complice ou le dénoncer. Les peines
de prison encourues varient selon leur attitude, mais
aussi selon celle de leur complice. Si aucun des deux
ne dénonce l’autre, ils s’en tirent chacun avec un an de
prison. Mais si le joueur 1 dénonce son complice alors
que celui-ci le couvre, il partira libre tandis que son
compagnon purgera 5 ans de prison. S’ils se dénoncent mutuellement, ils feront chacun 3 ans de prison.
L’analogie avec l’altruisme réciproque (matrice 2)
est que les bénéfices cumulés de la coopération
réciproque (3) sont supérieurs à ceux de l’absence de
coopération (1). Il y a également un coût à coopérer,
sous la forme de l’absence de bénéfice (0) si l’autre ne
coopère pas en retour. Toutefois, la stratégie la plus
intéressante reste de profiter de la coopération du
partenaire sans agir de manière réciproque (5). C’est
pourquoi les chercheurs postulent une condition supplémentaire à l’évolution de l’altruisme réciproque :
la capacité de détecter les tricheurs afin de cesser
de coopérer avec eux. La stratégie du tit-for-tat
offre une solution à ce problème.
joueur 2
joueur 1
loyal
dénonce
loyal
dénonce
1 an
5 ans
0
3 ans
Matrice de gains et pertes (en années de prison)
dans le jeu du dilemme du prisonnier.
joueur 2
joueur 1
coopère
triche
coopère
3
0
triche
5
1
Matrice de gains et pertes utilisée dans les calculs
sur l’évolution des stratégies de coopération.
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pourquoi COOPÉRer Packer suggère que ce coût peut être compensé
si le bénéficiaire apporte ultérieurement une aide
comparable à l’altruiste. Il observe effectivement
que les babouins possèdent des partenaires de
coalition privilégiés (ce qui a été confirmé par
la suite) et conclut que la formation de coalitions chez ses babouins remplit les critères de
l’altruisme réciproque.
conditions, coopérer devient une « stratégie évolutivement stable », ce qui veut dire que dans la
modélisation informatique la stratégie tit-for-tat
se développe et se stabilise même en présence de
stratégies concurrentes comme la tricherie (ne
jamais coopérer). Afin de rendre plus probable
encore l’évolution de la coopération, des variables
supplémentaires comme la punition ou les représailles envers les profiteurs et les tricheurs ont
été ajoutées au modèle (Boyd & Richerson 1992 ;
Tit-for-tat
Clutton-Brock & Parker 1995). On fait l’hypothèse
À la suite de la publication de Trivers, des travaux qu’en imposant des coûts supplémentaires aux
empiriques apportèrent divers exemples putatifs tricheurs, les représailles favorisent l’évolution
d’altruisme réciproque chez les primates : non de la coopération. C’est le cas dans les modèles.
seulement la formation de coalitions mais aussi Encore faut-il démontrer qu’il en est ainsi dans la
les cris d’alarme, le partage de nourriture et le réalité. Sur ce principe, le modèle de l’altruisme
toilettage social (épouillage) entre non-appa- réciproque et ses aménagements successifs ont
rentés ont été proposés. Mais ce n’est qu’après inspiré bon nombre d’études expérimentales
la publication d’un article de Robert Axelrod et destinées à savoir si les animaux se comportent
Willam D. Hamilton (1981) que le dilemme du de la façon prévue par la théorie.
prisonnier est véritablement devenu un modèle
pour l’étude de la coopération entre non-appaUne erreur de « concret mal placé »
rentés. Soucieux de fournir un modèle général de
la coopération, susceptible d’expliquer aussi bien On a souvent reproché aux approches évolul’évolution de la coopération entre espèces sym- tionnistes du comportement de confondre ce
biotes ou micro-organismes que la coopération qu’on appelle en éthologie les causes « ultimes »,
chez les mammifères supérieurs, les auteurs c’est-à-dire les fonctions d’un comportement
proposent alors une version amendée du dilemme (et notamment sa fonction adaptative), et les
du prisonnier. Ils systématisent le principe de causes dites « proximales », c’est-à-dire ce qui
l’itération : le jeu ne se joue pas en un coup, mais provoque le comportement, ici et maintenant
en plusieurs, car on suppose que les partenaires (voir De Waal 2008 ; De Waal & Suchak 2010 ;
se rencontrent plusieurs fois. Ensuite, ils ajoutent Perelberg & Schuster 2009). Pour reprendre un
un facteur w, représentant la probabilité que deux exemple donné par Frans B. M. De Waal et Malini
individus se rencontrent de nouveau à l’avenir. Suchak (2010), la fonction de la reproduction
Ils montrent que si w dépasse un certain seuil est d’assurer une descendance. Mais ce n’est pas
(c’est-à-dire si le groupe n’est pas trop grand et dans le but d’assurer une descendance que les
si les mêmes individus se rencontrent souvent), animaux (et nombre d’humains !) s’accouplent.
une stratégie qu’ils appellent « tit-for-tat 5 » émerge, Leurs motivations (les causes directes) sont
se maintient et finit par être dominante dans une indépendantes de la fonction. Considérer les
population composée auparavant d’individus qui fonctions en tant que causes ou motivations
ne coopéraient pas. Cette stratégie repose sur ayant valeur causale est donc une erreur. Pour
un principe de réciprocité dite contingente, ou modéliser la dynamique de la coopération au sein
relative : au premier coup, A coopère. Ensuite, il d’une population, Axelrod et Hamilton ont doté
fait la même chose que B : il répond à la coopé- leurs agents de stratégies, dont le tit-for-tat. Ces
ration par la coopération et à la non-coopération stratégies ne sont à strictement parler que des
(« tricherie ») par la non-coopération. Dans ces variables intermédiaires pour les modélisateurs.
5. Réciprocité contingente calculée, que l’on
pourrait traduire par « un prêté pour un rendu ».
(Note de la rédaction.)
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Et pourtant ils coopèrent...
L’échange de sang chez les chauves-souris vampires (Desmodus rodundus) a longtemps été considéré comme une confirmation empirique
de la théorie de l’altruisme réciproque. Pour le donneur le coût est faible car la quantité de sang régurgitée est peu importante.
Mais pour le bénéficiaire elle peut s’avérer déterminante. Vampire d’Azara, Amérique du Sud. (photo D. Heuclin / Biosphoto)
Purement logiques (si… alors…), elles sont
attribuées à des agents fictifs pour les besoins
de la modélisation. Mais force est de constater
que souvent ces « stratégies » migrent du monde
des ordinateurs, des explications et de la logique
pour prendre, sous la plume de biologistes du
comportement, la forme de causes situées dans
la tête des primates. En sciences sociales on
parlerait ici de « biais intellectualiste » (Bourdieu
& Wacquant 1992), erreur fréquente qui consiste
à placer dans le cerveau des acteurs les concepts
dont on a besoin pour expliquer leurs comportements. En biologie du comportement comme
ailleurs, cela entraîne beaucoup de confusion.
Car pour peu que l’animal se comporte comme
le prévoit la théorie, on aura tendance à croire
qu’il possède réellement la stratégie en question.
Ce qui revient à une erreur de « concret mal placé »
(Bateson 2008:166), on y reviendra. Le problème
de la confusion entre stratégies cognitives et
stratégies évolutives s’est surtout posé pour les
primates et d’autres mammifères supérieurs tels
les delphinidés, c’est-à-dire chez des animaux susceptibles de disposer des compétences cognitives
nécessaires à une réciprocité de type tit-for-tat.
La coopération chez les primates
En étudiant les primates, c’est évidemment aussi
la coopération humaine que l’on interroge. De
nombreux biologistes s’accordent pour considérer
que la coopération humaine est unique dans le
monde animal. Elle se différencie notamment par
l’importance de l’aide aux non-apparentés, ainsi
que par la flexibilité et la multiplicité des contextes
coopératifs. Dans notre espèce, la coopération
sous-tend la plupart des activités collectives. La
coopération animale est limitée à un plus petit
nombre de domaines. Les bases évolutives de la
coopération humaine restent ainsi inexpliquées.
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pourquoi COOPÉRer C’est pourquoi les chercheurs s’intéressent tout
spécialement aux modalités de la coopération
chez les primates et, en particulier, chez ceux qui
nous sont phylogénétiquement les plus proches :
les chimpanzés (Pantroglodytes) et les bonobos
(Pan paniscus). Même si la coopération semble
chez eux restreinte à des contextes moins étendus
que chez l’homme, elle n’en tient pas moins une
place prépondérante dans leur vie sociale au
quotidien. Chimpanzés et bonobos coopèrent
beaucoup entre non-apparentés, entre chimpanzés
mâles notamment. Mettre en évidence les formes
et les limites de la coopération chez ces espèces
devrait permettre de mieux cerner les spécificités
de la coopération humaine, et d’envisager plus
clairement les changements qui ont pu mener à
son évolution.
Deux types de recherches ont pris en charge
l’étude de la coopération chez les primates. Les
premières, situées dans une perspective évolutive,
ont cherché à tester l’hypothèse de l’altruisme
réciproque et à démontrer l’existence de formes
de réciprocité dans les relations sociales, en nature
ou en captivité, dans des groupes éthologiquement
valides. Les secondes tirent leur inspiration et leurs
schèmes de recherches des sciences cognitives
et cherchent à savoir si les primates possèdent
les compétences cognitives nécessaires à une
réciprocité de type tit-for-tat. De manière plus
générale, elles visent à comprendre les motivations
et les compétences cognitives qui sous-tendent les
comportements coopératifs. L’une des questions
qui préoccupent les chercheurs est de savoir dans
quelle mesure les comportements coopératifs
supposent de la part des singes qu’ils testent
une compréhension du rôle du partenaire et de
la dépendance mutuelle qui s’instaure entre les
individus qui coopèrent. Une autre est de savoir
s’ils sont capables de tenir les comptes des faveurs
données et reçues et sinon, quelles sont les bases
cognitives ou émotionnelles sur lesquelles la
réciprocité peut s’établir.
l’épouillage est un élément clé du lien affiliatif. Il
diminue la tension, augmente la confiance en soi
et restaure les relations. Être toiletté provoque
une augmentation d’endorphines dans le cerveau,
indicateur objectif du plaisir – l’indicateur subjectif
étant la posture et les mimiques parfois béates du
toiletté. L’épouillage procure donc toute une série
de bénéfices à celui qui en fait l’objet. Les primates
épouillent habituellement ceux qui les épouillent,
mais ils ont aussi une tendance à toiletter davantage
les dominants. On s’est demandé si cette activité
ne pourrait pas être considérée comme un moyen
de s’assurer les faveurs d’un dominant en cas de
conflit avec un tiers. Épouiller serait alors un
acte altruiste à faible coût susceptible d’apporter
ultérieurement un bénéfice important.
Chez les singes vervets mâles, Robert Seyfarth
et Dorothy Cheney (1984) ont en effet observé une
corrélation entre l’épouillage entre non-apparentés
et le soutien agonistique. Un vervet (Cercopthecus
æthiops) mâle sera plus disposé à venir en aide à
un individu non apparenté si cet individu s’est
comporté avec lui de manière affiliative dans un
passé récent. De manière intéressante, le taux
d’épouillage reste sans effet sur l’aide envers les
apparentés. Celle-ci semble donc inconditionnelle,
comme si la relation n’était pas à construire. Mais
parmi les études qui ont par la suite interrogé le lien
entre le toilettage social et le soutien agonistique,
les résultats se sont révélés contradictoires et
difficiles à interpréter. Gabriele Schino (2007)
procède à une méta-analyse de vingt-quatre études
portant sur quatorze espèces. Elle découvre certes
une corrélation entre le toilettage social et le soutien
chez les primates mais la valeur de celle-ci (0,15)
est si faible qu’elle n’indique rien de plus qu’une
tendance générale.
Plus convaincante est l’étude de Frans B. M.
De Waal (1997) sur la réciprocité entre toilettage
social et partage de nourriture chez des chimpanzés. Dans une colonie à l’état sauvage, le transfert
alimentaire se produit le plus souvent passivement.
Le propriétaire de nourriture prisée (le partage
est rare pour les plantes ou les aliments aisés à se
Échange de faveurs
procurer) laisse son congénère se servir dans la
et réciprocité contingente
nourriture qu’il a rassemblée, ou l’autorise à lui
Un certain nombre des travaux ayant cherché à prendre la nourriture des mains, voire à l’extraire
tester l’hypothèse de l’altruisme réciproque se de sa bouche. La grande majorité des transferts
sont intéressés aux relations entre l’épouillage de nourriture ont lieu à l’intérieur de la famille,
et le soutien agonistique. Comme le rappellent surtout entre mère et enfant, mais les chimpanCharlotte Hemelrijk et Jutta Steinhauser (2007), zés partagent aussi avec des non-apparentés.
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Et pourtant ils coopèrent...
L’épouillage procure détente et bien-être tout en renforçant les liens affiliatifs. Chez les chimpanzés, on observe une réciprocité entre
l’épouillage et le partage de nourriture : un individu partagera plus volontiers sa nourriture avec un congénère si ce dernier l’a épouillé
dans les deux heures précédentes. (photo M. Gunther / Biosphoto)
Le partage est passif mais sélectif : ils ne partagent
pas avec tout le monde. Lorsqu’un chimpanzé
se trouve être l’heureux propriétaire d’aliments
convoités, il est habituel que les autres viennent
quémander. Ils se montrent souvent insistants,
voire harcelants, tendant la main vers la bouche
du possesseur en ajoutant à l’occasion quelques
gémissements plaintifs. De Waal a comparé, au
sein d’une colonie captive, le succès de chaque
adulte quémandeur (Q) à obtenir de la nourriture auprès d’un adulte donneur (D), avec les
interactions d’épouillage de D par Q dans les
deux heures précédant le partage de nourriture
et dans la demi-heure qui suit. Sur deux cents
observations réparties sur trois ans, il remarque
que la tendance de D à partager avec Q est plus
importante si Q a épouillé D dans les deux heures
précédentes. L’effet est spécifique au partenaire :
il ne s’agit pas d’une tendance générale de D à
partager avec tout le monde parce qu’il se sentirait
bien disposé envers le monde entier après avoir
été épouillé. L’effet est également directionnel : il
n’affecte pas la tendance de l’épouilleur à partager,
seulement celle de l’épouillé. En outre, après
un partage, D a tendance à moins épouiller Q.
La séquence dans son ensemble ressemble donc à
une transaction où de l’épouillage est « échangé »
contre de la nourriture. De Waal pense avoir
affaire ici à une réciprocité calculée, c’est-à-dire
à une réciprocité basée sur un calcul des faveurs
reçues et données.
Mais cette hypothèse est difficile à tester par
des études de corrélation. C’est pourquoi Alicia P.
Melis, Brian Hare et Michael Tomasello (2008)
ont cherché à la vérifier expérimentalement.
Ils se demandent si les chimpanzés rendent les
faveurs reçues et si, conformément à l’hypothèse
de l’altruisme réciproque, ils cessent de donner
à un individu qui ne donne rien en retour. Pour
désigner cette forme de réciprocité où la probabilité
d’apporter de l’aide est relative aux interactions
passées, ils parlent de réciprocité contingente
calculée (tit-for-tat). Leur but est d’établir si les
chimpanzés possèdent les compétences cognitives
pour cette forme de réciprocité. Dans une première
expérience, un chimpanzé doit choisir entre deux
partenaires pour une tâche coopérative. L’un des
partenaires l’a auparavant choisi dans des tâches
similaires, tandis que l’autre ne l’a jamais choisi.
On suppose que le chimpanzé va « rendre la faveur »
117
pourquoi COOPÉRer et choisir celui qui l’a préféré précédemment.
Dans la seconde expérience, le chimpanzé peut
aider un partenaire à ouvrir une porte qui lui
permettra (au partenaire seulement) d’obtenir de
la nourriture. C’est donc un acte altruiste. Il a le
choix entre un partenaire qui lui a précédemment
ouvert la porte et lui a donné accès à des aliments
de choix, et un autre qui ne l’a pas fait. Ici aussi,
on imagine que le chimpanzé va privilégier celui
qui s’est montré généreux avec lui dans un passé
récent. Les auteurs observent une tendance des
chimpanzés à augmenter la coopération ou à aider
le partenaire qui les a aidés auparavant, mais elle
est faible et les sujets n’ont pas de préférence systématique pour celui qui les a favorisés. Ils concluent
que « même si ces expériences soutiennent l’idée
que les chimpanzés sont capables de réciprocité
contingente, elles suggèrent que ce modèle, celui
du tit-for-tat, ne joue pas un rôle très important
dans les décisions sociales des chimpanzés » (Melis,
Hare & Tomasello 2008 : 951).
Sarah Frances Brosnan et ses collègues
aboutissent à des résultats comparables.
Dans leur expérience, les chimpanzés manipulent
un appareil qui leur permet d’obtenir de la nourriture pour eux-mêmes seulement (choix égoïste)
ou bien pour eux-mêmes et un congénère qui se
trouve dans une cage adjacente (choix mutualiste).
Pour tester la réciprocité, le protocole alterne
les rôles de donneur et de receveur (Brosnan
et al. 2009). De manière surprenante, les
chimpanzés semblent tout autant disposés à
donner à un partenaire qui a partagé avec eux
qu’à celui qui ne l’a pas fait ! Ceci contraste
avec les résultats d’une autre étude chez les
singes anthropoïdes. En utilisant des jetons à
échanger, une équipe menée par Valérie Dufour
a démontré chez deux orangs-outangs l’existence
d’échanges fondés sur la réciprocité. Au départ,
l’un des orangs-outangs donne plus que l’autre,
mais progressivement les échanges tendent à
s’équilibrer, ce que les auteurs interprètent comme
le signe que chacun adapte ce qu’il donne à ce
qu’il a reçu (Dufour et al. 2009). Il s’agit du seul
exemple démontré de réciprocité contingente
chez des primates non humains à ce jour.
cognitives pour un altruisme réciproque basé sur
une réciprocité contingente calculée (tit-for-tat), ni
pour développer des relations basées sur l’échange
comme l’ont fait les deux orangs-outangs précités.
Mais l’étude de De Waal (1997) ainsi que de
nombreuses observations en nature montrent
qu’ils sont capables de tenir compte des faveurs
données et reçues. Des observations anecdotiques
mentionnent des chimpanzés « cherchant à se
faire bien voir » d’un congénère pour des raisons
stratégiques (De Waal & Suchak 2010), et une
étude systématique indique que les chimpanzés
épouillent sélectivement leurs alliés la veille du
jour où ils solliciteront leur soutien lors d’une
confrontation qu’ils ont initiée (Koyama, Caws
& Aureli 2006). De Waal et Suchak en concluent
que la réciprocité pourrait inclure la planification
des bénéfices. Une autre interprétation, moins
exigeante sur le plan cognitif et plus ancrée dans
la situation, est de considérer que l’épouillage d’un
allié consolide ou restaure la relation et crée un
« nous » à partir duquel l’individu se sent confiant
et prêt à une confrontation avec son rival.
Quoi qu’il en soit, la disparité entre les données
expérimentales et les observations en nature ou
dans des groupes captifs a de quoi surprendre.
Dans les dispositifs expérimentaux, les chimpanzés se montrent incapables de résoudre des
tâches qu’ils semblent surmonter sans difficultés
dans leur groupe social. Le problème est général
puisque, comme le soulignait Keith Jensen au cours
du dernier congrès de la Société internationale
de primatologie à Kyoto en 2010, le meilleur
prédicteur de la réciprocité chez les chimpanzés,
dans les études publiées ces dernières années, se
révèle être le dispositif de l’étude : expérimentation
contrôlée ou observations dans un milieu éthologiquement valide. En réponse à cette disparité, De
Waal (1997) suggère que chez les chimpanzés la
réciprocité calculée fait l’objet d’un apprentissage
à long terme, raison pour laquelle on ne pourrait
la mettre aisément en évidence dans un dispositif
expérimental. Mais d’autres éléments, liés au
dispositif lui-même, pourraient jouer un rôle. Il
est probable que les limitations démontrées par
les protocoles expérimentaux soient plus sociales
ou émotionnelles que purement cognitives. En
effet, ces protocoles cherchent à neutraliser les
Des échanges décontextualisés
variables sociales et relationnelles qui font la
Les études expérimentales n’ont donc pas démon- vie quotidienne d’une colonie de chimpanzés.
tré que les chimpanzés possèdent les aptitudes Ils placent les animaux dans des situations de
118
Et pourtant ils coopèrent...
réciprocité où seul le calcul décontextualisé (le pinchés (Saguinus œdipus) (Hauser, Chen, Chen
travail cognitif) permet de faire des choix sensés. & Chuang 2003), qui donnent plus à celui qui
Les tests ne portent donc pas uniquement sur des leur a donné plus ; mais démontrée aussi, de
compétences cognitives. Ils impliquent aussi des manière plus surprenante mais très intéressante,
compétences sociales et émotionnelles, dans la chez des femelles de rat surmulot (Rattus normesure où ils présument la capacité de bâtir une vegicus) (Rutte & Taborski 2007). Cela ne veut
relation sur un « pur » échange, en l’absence d’un pas dire que les rates tiennent des comptes des
enjeu politique ou affectif qui donnerait du sens faveurs reçues, mais peut-être plus simplement,
à la situation. De cela, pour des raisons que nous comme le suggère De Waal pour les capucins, les
ignorons, nos cousins les chimpanzés ne semblent rates répondent-elles à l’attitude tolérante de leur
pas capables, contrairement, semble-t-il, aux partenaire par une attitude tolérante en retour.
orangs-outangs. Il serait alors fondamentalement Présente chez des mammifères aussi différents
erroné de considérer les chimpanzés, à la façon que des rats et des primates, cette réciprocité
de la théorie du « marché biologique », comme des attitudinale pourrait constituer un mécanisme
traders échangeant froidement des services les uns social fondamental présidant à l’établissement de
avec les autres sur un « marché » où la logique serait relations individualisées. La réciprocité calculée
économique plutôt que politique et émotionnelle. viendrait alors s’appuyer sur cet ajustement des
dispositions, lorsque les capacités cognitives se
développent et que les individus découvrent que
Réciprocité symétrique et « attitudinale » le
comportement de leur partenaire à l’instant t
D’autres formes de réciprocité, moins exigeantes dépend du leur à t – 1 (De Waal & Suchak 2010).
sur le plan du calcul cognitif, ont été identiAinsi que la discussion ci-dessus l’a évoqué, la
fiées dans les sociétés primates. La réciprocité réciprocité calculée conserve en tout état de cause
symétrique se fonde sur la régularité de l’associa- un ancrage social et affectif pour les chimpanzés.
tion entre deux partenaires. Si Hercule s’associe Si la réciprocité attitudinale est bien une forme
souvent avec Prosper parce qu’ils sont copains, élémentaire de relation entre individus, on pourc’est vers lui qu’il dirigera le plus d’actes de rait considérer que les compétences cognitives
coopération, tout simplement parce que c’est lui mobilisées par les chimpanzés dans le calcul des
qui l’accompagne, et inversement. Il en résultera faveurs données et reçues n’ont pas acquis une
une réciprocité liée mécaniquement à la symétrie totale autonomie par rapport aux formes plus
de la relation, mais qui ne demande aucun calcul fondamentales de la réciprocité attitudinale et aux
des faveurs reçues et données. Les liens affiliatifs enjeux affectifs de la situation. Selon Brian Hare
agissent comme « la clé de voûte d’un mécanisme et Jingzhi Tan (à paraître), c’est probablement la
émotionnel et neuro-hormonal pour produire des réciprocité attitudinale, plutôt que la réciprocité
bénéfices mutuels » (De Waal & Suchak 2010). calculée, qui maintient la plupart des relations
La réciprocité « attitudinale » désigne quant à elle de coopération chez les grands singes.
une réciprocité où les individus calquent leur
attitude sur la conduite récente de leur partenaire. De l’altruisme réciproque
Elle a été démontrée d’abord chez le capucin à
à la théorie du « marché biologique »
poitrine jaune (Cebus apella) au cours d’une tâche
d’échange différé.
Les études sur la réciprocité n’ont pas permis de
Deux capucins sont placés dans des cages confirmer l’hypothèse de l’altruisme réciproque
adjacentes séparées par un grillage ; l’un reçoit en tant que mécanisme présidant à l’évoludes morceaux de pomme pendant vingt minutes tion de l’entraide et de la coopération entre
sous les yeux d’un compagnon qui ne reçoit rien. non-apparentés. En fait, de nombreux comporC’est ensuite le second qui reçoit des carottes. tements d’abord regardés comme altruistes (par
On comptabilise les transferts de nourriture à exemple l’épouillage) ont par la suite été recontravers le grillage et on observe une tendance sidérés car n’impliquant pas de coût, ou un coût
des seconds à partager selon ce que les pre- faible, pour le donneur (Clutton-Brock 2009). Et,
miers ont partagé (De Waal 2000). La même même si on a montré que les individus s’assistent
réciprocité a été démontrée chez des tamarins les uns les autres, rien n’a permis de prouver qu’il
119
pourquoi COOPÉRer s’agissait bien d’altruisme réciproque (Melis,
Hare & Tomasello 2008). En outre, l’impossibilité
d’évaluer les coûts et les bénéfices d’actes quotidiens en termes de succès reproducteur (Dugatkin 2002) et la difficulté à contrôler la parenté
génétique des individus concernés ont pour
conséquence qu’on ne peut définitivement exclure
des explications alternatives, telle la sélection
de parentèle ou le mutualisme 6 . Le manque
de validation empirique, ajouté aux difficultés
conceptuelles et méthodologiques ont conduit
à remettre en question la théorie de l’altruisme
réciproque en tant que cadre conceptuel pour
l’interprétation des comportements coopératifs
dans les sociétés animales (Clutton-Brock 2009).
Le modèle du dilemme du prisonnier génère
quant à lui une insatisfaction grandissante chez les
primatologues, due à une trop faible concordance
avec les situations réelles de coopération. Amir
Perelberg et Richard Schuster (2009) font ainsi
remarquer que le jeu du prisonnier réduit la
coopération à des actions expérimentées individuellement (chacun « joue » de son côté), alors
qu’en réalité les individus partagent un contexte
social et ont le choix entre plusieurs partenaires
(Noë 1990).
Cependant, si le cadre conceptuel de l’altruisme réciproque est abandonné, les animaux
n’en continuent pas moins, selon les chercheurs,
de calculer. Les recherches sur l’altruisme ont en
effet introduit l’idée que les coûts et les bénéfices
d’une action affectent le comportement des
individus, et l’usage de métaphores comptables
ou économiques s’est maintenu à travers la notion
de « services à bas coût » échangeables sur un
« marché ». N’ayant pas de coût ou un coût très
faible, les « services » ne posent pas de problème
du point de vue évolutionniste et peuvent être
échangés en actes similaires dans une sorte de
« marché ou économie de services »(De Waal
1997).
Ronald Noë et Peter Hammerstein (1994)
ont systématisé la notion de « marché biologique ». Pour décrire la vie sociale des primates,
on parle désormais beaucoup de « traders », de
6. Le mutualisme désigne les situations où
un acte bénéficie à son auteur ainsi qu’à des
congénères, comme dans le cas de la chasse
coopérative.
120
« cours » et de « monnaie d’échange » (« currency »).
L’expérience d’Eduard Stammbach (1988), qui
a montré qu’un macaque devenu « expert » dans
la manipulation d’un outil permettant d’obtenir
de la nourriture est épouillé plus souvent par
ses congénères, et ce tant qu’il reste « expert »,
pourrait être interprétée en termes d’échanges de
bienfaits. C’est ainsi qu’on analyse aujourd’hui
les travaux qui montrent une corrélation entre
épouillage et échange de nourriture (De Waal
1997), ou entre épouillage et soutien agonistique.
D’après cette idée, Louise Barret, David Gaynor
et Peter Henzi (2002) poussent la métaphore
jusqu’à concevoir les femelles babouins du parc
d’Amboseli comme des traders qui échangent
des biens – en l’occurrence du toilettage social –
contre de la tolérance auprès des sites de nourrissage, et qui s’ajustent aux variations inévitables
des cours, ceux-ci fluctuant en fonction de
l’offre et de la demande. En réalité, ils montrent
que la répartition du toilettage social entre les
femelles est affectée par des changements dans
la sévérité de la compétition auprès des sites de
nourrissage – rien là de bien nouveau. La difficulté est d’expliquer ces ajustements de la part
des femelles. En l’absence de modèle du comportement social situé ou contextualisé, le modèle
économique semble faire l’affaire. La coopération
est donc vue comme un échange de « services
sociaux » et les primates sont transformés en
calculateurs qui maximisent leurs bénéfices…
La théorie du marché biologique se présente
comme une « extension naturelle de la théorie de
l’altruisme réciproque, où on met l’accent sur le
marchandage et la surenchère entre des partenaires
multiples » (Schino & Aureli 2008 : 9). Selon les
mots de Tim H. Clutton-Brock (2009 : 53), le
modèle du marché est censé prédire « comment
la variation dans la disponibilité des services ou
dans les bénéfices qu’ils confèrent peut affecter le
prix que les individus sont prêts à payer pour les
obtenir »… Zut, le cours de l’épouillage a encore
baissé aujourd’hui !
Le modèle du marché biologique n’est, au
fond, qu’une métaphore, un regard particulier
Et pourtant ils coopèrent...
Un orang-outang (Pongo pygmaeus) donne de l’eau à un congénère. Les échanges de nourriture sont fréquents chez les anthropoïdes.
Mais parmi ceux-ci, seuls les orangs-outangs se sont montrés jusqu’ici capables d’échanges basés sur une réciprocité calculée. Bornéo.
(R. Puillandre / Biosphoto)
qui permet de donner « du sens » à ce que font Le point de vue des sciences sociales :
les singes (et les humains). Il faut évidemment
une réciprocité située
s’interroger sur le choix de cette métaphore,
qui établit une équation problématique entre plutôt qu’un calcul abstrait
économie et société et qui résonne si bien avec Si le modèle économique du social a autant de
les discours rituels du libéralisme économique. succès en primatologie, c’est en partie parce
Parce qu’il décrit les actions de primates non qu’il est simple et aisé à opérationnaliser. Mais
humains, ce modèle pourrait aussi être utilisé c’est aussi probablement parce qu’il vient pallier
pour « démontrer » que, puisque les singes sont l’absence d’une théorie ou d’un modèle du compordes traders qui maximisent leurs bénéfices, les tement social en tant qu’activité émotionnelle et
humains le sont aussi « naturellement ». Mais bien cognitive située dans un contexte interactionsûr, la démarche est purement circulaire et ne nel. Or, la métaphore du marché induit certains
devrait pas convaincre grand-monde. Pour ce présupposés sur les primates et la manière dont
qui nous concerne, il est toutefois important de ceux-ci se situent dans leur groupe social. Barret,
souligner que, en tant que métaphore, le modèle Gaynor et Henzi (2002), par exemple, semblent
du marché n’est pas confirmé par les faits.
sous-entendre que les femelles babouins évaluent
121
pourquoi COOPÉRer la situation du « marché » et prennent des décisions
en conséquence. Mais les individus n’ont qu’une
conscience relative et incarnée du contexte interactionnel dans lequel ils sont pris.
Pour faire référence à Pierre Bourdieu encore,
le primate qui cherche une alliance n’a nécessairement pas la même analyse, ni la même vision
de la situation que l’observateur. Si cela est vrai
dans le cas cité par Bourdieu des stratégies matrimoniales et des pères kabyles qui cherchent un
mari pour leur fille, cela l’est plus encore pour
des chimpanzés qui partagent de la nourriture ou
qui épouillent un allié. Dans le cas des stratégies
sociales, une grande partie de la définition de la
situation sur laquelle se basent les chercheurs se
trouve précisément dans la situation, à l’extérieur
des individus. En tant qu’organismes de chair
et de sang, dominés par des émotions parfois
contradictoires et situés en un point particulier du
réseau, ceux-ci n’ont forcément qu’une conscience
limitée de cet ensemble.
Les « stratégies » des animaux, si elles existent, sont donc à rechercher à partir de l’ici et
maintenant de leur vie sociale et émotionnelle.
D’où l’importance de réévaluer les liens tissés,
de recontextualiser les comportements et de les
comprendre dans la logique des acteurs. Ceci
ne veut pas dire que le comportement n’est
sous le coup d’aucun déterminant biologique ;
mais simplement que les mécanismes sont à
déchiffrer dans l’intrication de causalités parfois
surprenantes. Les déterminants des tendances
pro sociales ou altruistes qu’on observe dans
le monde animal sont plus complexes – et plus
intéressants à démêler – qu’une stratégie tit-for-tat
implementée par l’évolution dans les individus.
eux-mêmes soit pour eux-mêmes et un congénère, les chimpanzés font des choix égoïstes.
Utilisant un protocole comparable, Joan B. Silk
et ses collègues avaient observé le même résultat
(Silk et al. 2005). L’équipe de Keith Jensen, dans
un dispositif destiné à éprouver la sensibilité de
chimpanzés à l’iniquité, conclut elle aussi que
les chimpanzés « ne sont pas concernés par les
autres » et restent indifférents à l’injustice par
rapport à l’acquisition de la nourriture (Jensen
et al. 2006 : 1020).
Il se pourrait toutefois que ces résultats négatifs
soient dus à un dispositif expérimental (identique dans toutes ces expériences) particulièrement compliqué et difficile à maîtriser pour les
chimpanzés. En effet, dans une expérience
menée par Felix Warneken, dont le dispositif est
beaucoup plus simple, des chimpanzés viennent
spontanément en aide à un être humain, même en
l’absence de récompense (Warneken et al. 2007).
Ils viennent également en aide à un congénère en
lui ouvrant une porte qui lui permet d’accéder à de
la nourriture, toujours spontanément et sans être
récompensés. Même en l’absence de récompense,
les réponses ne diminuent pas avec le temps, ce
qui suggère que ces animaux trouvent un intérêt
à venir en aide à un congénère. Les exemples de
chimpanzés qui viennent en aide à des congénères,
apparentés ou non, sont nombreux dans la nature.
Jane Goodall (1986 : 267) raconte que, au cours
d’une chasse au potamochère qui avait mal tourné,
la femelle adulte Gigi vola au secours du jeune
Freud, qui put ainsi s’enfuir. Gigi de son côté
réussit à échapper de justesse aux mâchoires
de la truie en furie. Le souci d’autrui peut aussi
se manifester au cours du partage de la viande
après la chasse, où il arrive, surtout lorsque les
chimpanzés commencent à être repus, que le
Coopération et sensibilité à autrui
possesseur d’une carcasse en donne un morceau
L’exploration des dimensions motivationnelles à un autre qui, sans mendier, communique sa
et cognitives de la coopération chez les primates demande muette en fixant avidement la carcasse
inclut la question de la sensibilité à autrui. Les (ibid. : 374).
chimpanzés sont-ils sensibles aux besoins d’auL’altruisme « désintéressé », le don de nourritrui ? Sont-ils capables de lui apporter une aide ture ou l’aide à autrui en l’absence de bénéfices
ciblée (De Waal & Suchak 2010), c’est-à-dire une immédiats ne sont donc pas propres à l’espèce
aide appropriée à ses besoins ? Les expériences de humaine. Ces comportements témoignent de la
Melis, Hare et Tomasello (2008) et de Brosnan présence chez les chimpanzés d’une sensibilité
et al. (2009) citées plus haut concluaient à une à autrui, à ses besoins et à sa souffrance, qui
forme d’insensibilité à autrui chez les chimpanzés pourrait être l’un des mécanismes sur lesquels
testés. On s’en souvient : mis dans la situation repose la coopération. Une telle sensibilité à autrui
de choisir d’obtenir de la nourriture soit pour repose sur une communication sociale subtile
122
Et pourtant ils coopèrent...
ainsi que sur des mécanismes attentionnels qui
impliquent probablement l’empathie. En tant
que réponse à la fois automatique et modulée
par la proximité sociale, l’empathie pourrait être
l’une des dispositions sous-tendant l’« impulsion
altruiste » qu’il faut postuler pour expliquer les
cas d’entraide et d’altruisme qui non seulement
n’apportent aucun bénéfice direct à leur auteur,
mais peuvent parfois comporter des risques
(De Waal 2008). Les comportements prosociaux
dont font spontanément preuve les primates non
humains offrent une autre piste pour envisager
l’évolution de la coopération humaine.
La coopération en tant
qu’activité conjointe
des signes de malaise et elle s’éloigna des
chasseurs en gémissant doucement. Jomeo
s’écarta des autres mâles et, lentement,
entreprit de grimper dans un arbre proche
du palmier. À ce moment, la femelle
babouin commença à crier, mais elle ne
s’enfuit pas. Quand il arriva à sa hauteur,
Jomeo s’arrêta à une distance d’environ
cinq mètres. Il la fixa du regard, puis se
mis à agiter une branche, peut-être pour
la pousser à s’enfuir. Elle hurla plus fort,
mais apparemment aucun babouin n’était
à portée de voix. Deux minutes plus tard,
Figan et Sherry grimpèrent, lentement eux
aussi, à deux autres arbres. À ce moment-là,
un chimpanzé mâle était posté dans chacun
des arbres qu’auraient pu emprunter la
mère et son bébé pour s’enfuir. Les trois
autres, restés au sol, suivaient la scène
des yeux. À cet instant, Jomeo sauta dans
le palmier. La mère fit un large bond et
atterrit dans l’arbre de Figan, où celui-ci
l’attrapa et se saisit de son bébé.
Elle s’enfuit à six mètres environ, où elle se
tint durant les quinze minutes qui suivirent,
hurlant puis poussant des « waa-hoo »
pendant que les chimpanzés consommaient
son enfant 7. (Goodall 1986 : 286.)
La coopération dont il a été question jusqu’ici a
concerné l’entraide, l’échange et la réciprocité
entre individus qui œuvraient chacun avec leurs
propres objectifs, souvent divergents. Mais il est
une autre forme de coopération, que l’on peut
définir par le fait d’agir ensemble pour atteindre
un but commun. Dans le monde animal, c’est,
classiquement, le cas de la chasse coopérative.
Celle-ci peut impliquer différents niveaux de
coopération, de la simple association de chasseurs
jusqu’à la compréhension du rôle et des actions
d’autrui, en passant par la coordination (Boesch
& Boesch 1989). Raphaël Chalmeau et Alain
À partir de situations réelles de chasse cooGallo (1995) considèrent qu’on ne peut parler de pérative, il est difficile d’évaluer si les animaux
coopération que lorsque trois critères sont réunis : agissent chacun pour soi et se contentent de
but commun, réciprocité et communication.
coordonner leurs mouvements en fonction des
déplacements de la proie, ou si leur coopération
En septembre 1979, tous les mâles de
implique une compréhension du rôle du partenaire.
Des observations anecdotiques de recrutement
la communauté de Kasakela sauf un
circulaient dans la vallée de Lower Mkenke d’un congénère permettent de soupçonner que
les chimpanzés ont conscience du rôle que joue
lorsqu’ils tombèrent sur une femelle
leur partenaire dans la chasse coopérative. On
babouin portant un bébé.
peut citer l’exemple du chimpanzé mâle Figan,
Elle s’alimentait dans un palmier et
que Jane Goodall (1986 : 287) observa en train
semblait seule. Goblin grimaça, poussa
de scruter très attentivement un buisson dans
un petit cri, se rapprocha de Satan et le
lequel une truie et ses porcelets venaient de trouver
toucha de la main. Les six mâles avaient
refuge. Figan se retourna ensuite vers Jomeo qui
le poil hérissé. Quand la femelle babouin
le suivait et agita une branche dans sa direction,
vit les chimpanzés, elle s’arrêta de manger
un geste habituellement utilisé pour attirer une
et les fixa des yeux. Après environ une
femelle courtisée. Jomeo accourut instantanément,
demi-minute, elle commença à montrer
7. Notre traduction.
123
pourquoi COOPÉRer puis les deux mâles pénétrèrent dans le buisson et
capturèrent un marcassin. Dans ce cas, puisque
Figan recrute délibérément un partenaire, on
peut penser qu’il a conscience de l’importance du
rôle de ce partenaire dans le succès de la chasse.
Mais ce sont les expériences qui aident normalement à démêler les facteurs psychologiques en
jeu. Dans une expérience déjà ancienne destinée
à mimer les situations de chasse coopérative
(Crawford 1937), deux chimpanzés devaient tirer
ensemble sur un câble pour s’approprier une boîte
trop lourde pour chacun. Ils ont réussi l’exercice,
mais ils ont aussi montré qu’ils comprenaient la
situation en recrutant un partenaire par une petite
tape dans le dos. Des résultats similaires ont été
obtenus dans une expérience plus récente (Chalmeau & Gallo 1996) où deux chimpanzés placés
dans des cages contiguës devaient coordonner
leurs actions (tirer ensemble sur une poignée).
Les chimpanzés ont réussi la tâche et, à partir de
l’analyse du regard, les auteurs concluent qu’ils
comprennent le rôle du partenaire : ils vérifient
en effet sa position avant de tirer la poignée.
Placés dans une situation analogue, des capucins
ont appris à se coordonner, mais a priori sans
comprendre le rôle du partenaire, c’est-à-dire sans
coopérer véritablement (Chalmeau, Visalberghi &
Gallo 1997). De Waal et Suchak (2010) avancent
pourtant qu’ici aussi l’échec pourrait être dû aux
conditions expérimentales. Le dispositif exigeait
en effet une coordination, mais ne donnait pas aux
capucins l’occasion d’éprouver par la kinesthésie
l’action du partenaire. Or, quand des tamarins
pinchés ont été testés avec un appareillage
comparable à celui de Meredith P. Crawford,
ils ont immédiatement accompli la tâche. Ils
attendaient le retour du partenaire auprès du
câble avant de se remettre eux-mêmes à tirer
(Mendres & De Waal 2000). On trouve d’autres
indices indirects d’une compréhension de la fonction du partenaire dans la coopération chez des
macaques à longue queue (Macaca fascicularis) :
ils se réconcilient trois fois plus souvent avec leur
compagnon de cage lorsqu’ils sont obligés de
coopérer avec lui pour obtenir de la nourriture
(Cords & Thurnheer 1993).
8. Cela signifie que même un dominant ne peut
obliger un dominé, une femelle par exemple,
à lui céder sa part.
124
Tous ces cas dénotent une certaine compréhension
du rôle du partenaire, même s’il est difficile
de savoir précisément ce qui est appris par les
singes. Les chimpanzés, quant à eux, possèdent
une compréhension sophistiquée du rôle de leur
coopérateur. Comme l’ont montré Melis, Hare et
Tomasello (2006a), non seulement ils ne recrutent
un congénère qu’en cas de nécessité (sinon ils
préfèrent travailler seuls et s’attribuer la totalité
de la récompense), mais ils choisissent également
de coopérer avec celui qui s’est montré le plus
efficace dans des essais antérieurs. Ici, les résultats
expérimentaux concordent avec les observations
en milieu naturel, permettant de conclure que la
chasse coopérative chez les chimpanzés repose
très probablement sur une perception assez claire
du rôle joué par les autres chasseurs.
Coopération et tolérance alimentaire
La concordance entre les résultats expérimentaux et
les observations dans le cas de la chasse coopérative
(et de ses modèles expérimentaux) autorise à
penser qu’il est plus facile, en laboratoire, d’amener des chimpanzés à coopérer autour d’un but
commun que de recréer expérimentalement
un contexte social valide (à leurs yeux) pour la
réciprocité. Ceci doit cependant être nuancé. En
effet, la coopération au cours de la chasse (ou
dans toute activité conjointe permettant d’obtenir de la nourriture) semble se trouver sous le
contrôle d’un élément dont l’importance se fait
jour progressivement : la tolérance alimentaire.
Des chimpanzés qui n’arrivent pas à partager, pour
diverses raisons liées à la compétition et à l’état de
leurs relations, sont incapables de coopérer. Dans
une chasse coopérative, la capture est d’ordinaire
suivie du partage de la viande. Celui-ci prend
place dans une ambiance étonnamment calme :
les interactions sont pacifiques et les chimpanzés
« respectent la propriété » d’autrui8 .
En comparant les modalités du partage de la
proie sur deux sites de recherche, les parcs Gombe
en Tanzanie et Taï en Côte d’Ivoire, on a identifié
un premier lien entre partage et coopération :
plus le milieu impose une coopération étroite
Et pourtant ils coopèrent...
Défense collective d’un territoire chez des capucins moines (Cebus capucinus). (photo F. & Chr. Dziubak / Biosphoto)
aux chasseurs, notamment pour des questions
de visibilité ou d’accessibilité des proies, plus
systématique est le partage entre eux. Un autre lien
a été mis en évidence chez le capucin à poitrine
jaune : l’importance d’un partage équitable pour
le maintien de la coopération. Deux animaux
doivent tirer ensemble sur un câble pour obtenir
de la nourriture, mais celle-ci est distribuée inégalement entre les partenaires. Dans ces conditions,
les paires les plus efficaces sont celles où les
capucins alternent les positions, de telle manière
que chacun reçoive alternativement la portion la
plus avantageuse (Brosnan, Freeman & De Waal
2006). Les paires favorisant systématiquement
le même individu cessent bientôt de fonctionner.
Il semble que chez les chimpanzés et les
bonobos, ce soit surtout la capacité à partager la
nourriture qui exerce une contrainte forte sur la
coopération, comme le relèvent une série d’expériences rapportées par Brian Hare et Jingzhi Tan
(à paraître). Dans une première expérience (Melis,
Hare & Tomasello 2006b), deux chimpanzés tirent
en même temps sur les deux extrémités d’une
corde pour amener vers eux un plateau chargé de
nourriture. Si l’un d’eux tire tout seul, cela a pour
effet de faire sortir la corde de l’œillet qui la fixe
au plateau à l’autre extrémité, son compagnon ne
peut plus s’en saisir et toute l’entreprise échoue.
125
pourquoi COOPÉRer Le partage de nourriture, la tolérance alimentaire et la chasse coopérative sont étroitement liés. Les babouins ne chassent pas collectivement
et ne partagent pas la nourriture. Ici, un conflit violent oppose deux mâles qui se disputent une carcasse d’antilope. Ce qui contraste fortement avec
l’ambiance pacifique qui entoure généralement le partage de viande après une chasse coopérative chez les chimpanzés.
Babouins doguera se battant pour une gazelle ; groupe de chimpanzés mangeant un colobe bai. (M. & Chr. Denis-Huot ; J.-P. Ferrero & J.-M. Labat / Biosphoto)
Dans le dispositif habituel, de la
nourriture est placée à chaque
extrémité du plateau de sorte que
chaque chimpanzé est récompensé
de manière identique. Or, les chimpanzés ne réussissent pas très bien
dans cette tâche, contrairement aux
capucins. On pourrait croire qu’ils
ne comprennent pas bien le rôle de
leur partenaire et que les limitations
sont cognitives. Il s’agit plus sûrement
d’une contrainte émotionnelle. Si on
fait préalablement passer à chaque
paire de chimpanzés un test de tolérance dans une situation de partage
de nourriture, on observe ensuite que
la réussite à la tâche coopérative est
corrélée positivement avec les résultats au test de tolérance. Les paires
formées d’individus qui se tolèrent
bien réussissent la tâche. Mieux :
lorsqu’un individu d’une paire intolérante est apparié ensuite avec un
autre individu pour former une paire
tolérante, il résout immédiatement
le problème alors qu’il en avait été
incapable auparavant. La coopération
dépend si étroitement de la tolérance
126
que l’intolérance peut empêcher un
individu de réussir une tâche qu’il est
pourtant cognitivement capable d’accomplir. Comme dans les expériences
de réciprocité, un facteur non cognitif
pèse donc lourdement sur une tâche
apparemment « purement » cognitive. Dans une perspective comparative, l’équipe menée par Brian P.
Hare a proposé le même exercice à
des paires de bonobos, après avoir
testé leur tolérance dans une tâche
de partage alimentaire. Comme les
chimpanzés, les paires de bonobos
les plus tolérantes se montrent les plus
efficaces dans la tâche de coopération.
Mais les auteurs notent également une
différence spécifique à l’intérieur du
groupe des panidés (chimpanzés et
bonobos) : les bonobos sont globalement plus tolérants que les chimpanzés.
Ceci devient surtout visible quand
on modifie légèrement le dispositif
expérimental et que la nourriture
obtenue est présentée non en deux tas
placés à chaque extrémité du plateau
mais en un seul tas à partager, placé
au milieu. Dans ces conditions, les
bonobos réussissent beaucoup mieux
que les chimpanzés. Ils mobilisent
un répertoire ludique et socio-sexuel
absent chez les chimpanzés. Chez
ces derniers en revanche, même des
individus experts dans la situation
où la nourriture était présentée en
deux tas échouent à présent qu’elle
est offerte sous une forme susceptible
d’être accaparée par un seul individu
(Hare et al. 2007). Remarquons toutefois que des paires de chimpanzés
très tolérantes se montrent capables de
« négocier » une situation plus compliquée, où les bénéfices sont inégaux, ce
qui implique qu’ils reconnaissent leur
dépendance mutuelle (Melis, Hare &
Tomasello 2009).
Ceci montre une fois encore que
coopérer n’est pas, chez les chimpanzés, un acte décontextualisé pouvant
survenir avec n’importe quel partenaire, surtout si cela comporte des
enjeux en termes d’appropriation de
nourriture. Coopérer suppose un certain niveau de confiance et de tolérance
relationnelle permettant de partager,
et celle-ci se construit probablement à
Et pourtant ils coopèrent...
travers des interactions quotidiennes.
Revenant sur la différence entre chimpanzés et bonobos dans la tolérance
au partage alimentaire, Hare et Tan
(à paraître) observent qu’elle concerne
principalement les mâles et qu’elle
est liée au développement : juvéniles,
les chimpanzés sont aussi tolérants
que les bonobos, mais le sont de moins
en moins en grandissant. L’apprentissage de modèles de relations sociales
et l’incorporation de ces modèles sous
la forme de corrélats hormonaux liés
à l’anticipation d’une relation sociale
compétitive (chimpanzés) ou socialement interactive (bonobos) 9 semblent
ici prépondérants.
Une autre étude comparant la
tolérance alimentaire chez des chimpanzés et des bonobos en captivité a
cependant débouché sur des résultats
contraires (Jaeggi et al. 2010) : les
chimpanzés sont ici plus tolérants
au partage de nourriture et partagent avec plus de partenaires que les
bonobos. Les auteurs relient cette
différence au style de dominance
présent dans les groupes ainsi qu’à la
sévérité de la hiérarchie, plus abrupte
dans le groupe des bonobos. Il faut
donc plutôt concevoir la tolérance
alimentaire, non comme un trait inné
ou une caractéristique de l’espèce,
mais comme le produit des modalités
interactives que les individus ont les
moyens et la possibilité de construire.
énigme – le serpent de mer n’est pas
prêt de disparaître. Si l’hypothèse de
l’altruisme réciproque est à présent
abandonnée, faute de validation empirique, ce n’est pas le cas du paradigme
ultradarwiniste ou sélectionniste qui
lui a donné naissance. De nombreux
« traits adaptatifs » sont en effet aptes
aujourd’hui à prendre le relais de
l’altruisme réciproque dans les hypothèses sur l’évolution de la coopération,
sans remettre en cause le paradigme
lui-même. Or, il faut envisager l’hypothèse que la coopération n’ait pas, en
tant que telle, fait l’objet d’une sélection, mais que les différentes formes
de coopération observées soient le
produit de mécanismes plus fondamentaux dont l’histoire évolutive est
ancienne, comme le sont l’empathie ou
la réciprocité attitudinale. Stephen Jay
Gould et Richard C. Lewontin (1979)
ont rappelé que la sélection naturelle
n’est pas un facteur d’optimisation :
tout n’est pas adapté dans le monde
naturel, et ce n’est pas parce qu’un
comportement ou une particularité
anatomique existe et possède une
utilité qu’il a forcément fait l’objet
d’une sélection. Les généticiens des
populations considèrent que chez les
espèces à faible taux de reproduction
comme les mammifères, la dérive
génétique, l’effet fondateur 10 et les
contingences historiques et environnementales sont des facteurs explicatifs
plus importants que la sélection. Ils
ont pour effet d’empêcher la plupart
Conclusions
des populations de parvenir à des
Alors que la coopération entre appa- équilibres de stratégies évolutives
rentés ne semble pas poser de pro- stables (Langaney 1999).
blème aux biologistes de l’évolution,
Les hypothèses sélectionnistes ont
l’évolution de la coopération entre aussi tendance, on l’a vu, à transforindividus non apparentés reste une mer les animaux (et les humains) en
9. Voir les études en cours citées par Hare et
Tan (à paraître).
10. L’effet fondateur désigne les conditions
de fondation d’une colonie d’une espèce.
acteurs désengagés dont les motivations sont unanimes : maximiser les
bénéfices et diminuer les coûts. Or,
ce qui est perdu dans l’opération c’est,
précisément, la nature biologique,
émotionnelle et psychologique du
social, entendu ici au sens de « lien », de
« modèles de relation » et de « complexité interactive » incarnés. L’ironie
veut que les chimpanzés eux-mêmes,
en échouant dans des tâches de
réciprocité ou de coopération, destinées au départ à tester des capacités
cognitives décontextualisées, nous
rappellent que pour eux les échanges
sont porteurs de sens et d’enjeux et
que la coopération s’inscrit dans une
situation particulière (fût-elle la situation expérimentale). Les stratégies se
situent dans l’esprit des chercheurs,
non dans la tête des chimpanzés.
Comme les acteurs humains
lorsqu’ils sont pris dans une situation interactive, les chimpanzés n’ont
qu’une vision limitée de la situation,
obscurcie par leurs propres émotions,
leurs hormones, leurs inhibitions,
leurs apprentissages et les enjeux
qu’ils poursuivent. Là se situe peutêtre l’intérêt d’ouvrir sérieusement
la primatologie aux sciences sociales,
afin d’y introduire des niveaux de
description et d’explication supplémentaires. Il ne s’agit pas de négliger
ce que les biologistes nous apprennent
de la coopération ou de la réciprocité,
mais au contraire de nous appuyer
sur ces données pour se demander
à quels modèles de relation ces éléments biologiques contribuent une
fois qu’ils sont intriqués dans la vie
réelle. Pour ce faire, les méthodes et
les outils de l’ethnographie semblent
particulièrement appropriés. ■
Lorsqu’il conduit la colonie à un complet
isolement reproducteur, c’est-à-dire à une
cessation d’échange de versions géniques
entre l’ensemble des individus de l’espèce,
l’effet fondateur peut aller jusqu’à aboutir
à la création d’une nouvelle espèce. (Note
de la rédaction.)
127
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