Untitled - Terrain
Transcription
Untitled - Terrain
Et pourtant ils coopèrent... Regard des sciences sociales sur la coopération animale Véronique Servais Université de Liège, Institut des sciences humaines et sociales, Laboratoire d’anthropologie sociale et culturelle [email protected] Le cri d’alarme : une forme très répandue de coopération. En donnant l’alerte, ce chien de prairie prend le risque d’attirer sur lui l’attention du prédateur. Chien de prairie, Wyoming, USA. (photo J. Cancalosi / Biosphoto) Terrain 58 | mars 2012, pp. 108-129 « Les plus faibles et les plus stupides étaient condamnés, tandis que les plus forts et les plus rusés, ceux qui étaient le mieux équipés pour s’en sortir dans leur milieu, mais non les meilleurs sur d’autres plans, survivaient. La vie était un combat permanent et… la guerre de chacun contre tous était l’état normal de l’existence. » (Thomas Henry Huxley, « The Struggle for Existence: a Programme », The Nineteenth Century, vol. 23, 1888 ; cité dans Dugatkin 2002 : 460.) Le problème de la coopération animale 1 est un vieux serpent de mer pour les biologistes de l’évolution qui, selon les mots de Lee Alan Dugatkin (2002), trouvent le sujet à la fois frustrant et fascinant. Charles Darwin lui-même, dit-on, aurait considéré que les comportements altruistes et coopératifs observés par exemple chez les ouvrières stériles dans une fourmilière posaient « une difficulté spéciale, qui de prime abord m’apparut insurmontable, et en réalité fatale à toute ma théorie » (cité dans Dugatkin 2002 : 459). Cette difficulté, Darwin pensait l’avoir résolue en introduisant la sélection sexuelle. Il avait en effet perçu l’importance primordiale de la fécondité, par rapport à la mortalité, dans la sélection naturelle. Mais si tous les individus sont supposés lutter constamment les uns contre les autres, et si la sélection est supposée opérer à ce niveau en éliminant en permanence les « moins aptes », comme l’ont suggéré les versions les plus dures du darwinisme social 2 , les individus qui coopèrent et favorisent autrui plutôt qu’eux-mêmes n’ont aucune chance de l’emporter et devraient donc être éliminés. C’est dans cette perspective que la coopération a posé, et pose encore, une difficulté spéciale à certains théoriciens de l’évolution. À l’inverse, on sait que le géographe anarchocommuniste russe Piotr Alekseïevitch Kropotkine considérait l’entraide non comme une anomalie de la nature mais comme un élément déterminant de l’évolution. Il s’employa à le démontrer dans l’ouvrage qu’il publia à Londres en 1902, L’Entraide, un facteur d’évolution. L’ouvrage fit débat, mais ses théories sur les mécanismes biologiques de l’évolution de la coopération n’ont à l’époque pas convaincu la critique anglo-saxonne et il ne fut guère suivi. À ce jour, sa réputation vient plus de pourquoi COOPÉRer sa contribution à la conscience politique que de son apport scientifique, puisque son enterrement à Moscou, en 1921, est considéré comme la première manifestation publique anarchiste d’urss. Cette brève vignette historique nous rappelle que le point de vue biologique sur la coopération s’appuie, qu’on le veuille ou non, sur une conception de la société. Ceci n’est pas moins vrai aujourd’hui qu’hier, et ce l’est peut-être même davantage dans la mesure où un seul paradigme semble dominer de nos jours les travaux (du moins anglo-saxons) sur l’évolution de la coopération : le paradigme ultra-darwiniste de la compétition généralisée de tous contre tous 3 . La coopération est donc très largement considérée comme une « anomalie » qui demande une explication. La situation pourrait toutefois changer prochainement. En effet, un certain nombre de comportements de coopération, en particulier (mais pas seulement) chez les primates, peinent à être expliqués dans le cadre strict de ce modèle sélectionniste. Celui-ci devrait donc, en toute logique, être complété ou remplacé. Nous allons retracer à grands traits la petite histoire de cet échec, tout en présentant de manière critique ce que les biologistes et les primatologues nous ont appris de la coopération. Ceci nous amènera à conclure que le cadre théorique de la biologie est insuffisant pour expliquer la coopération chez les primates – en particulier les grands singes – et à plaider pour que la primatologie s’ouvre réellement aux sciences sociales. l’inhibition de l’agression ou la ritualisation des combats entre mâles, comme un trait avantageux pour l’espèce. Mais la théorie évolutionniste anglosaxonne qui a inspiré par la suite la biologie du comportement (et notamment la sociobiologie) a insisté sur le fait que c’est sur l’individu, et non sur le groupe, que porte la sélection, les individus étant supposés être en compétition pour la survie et la reproduction. Le critère essentiel de l’évolution est alors devenu le succès reproducteur individuel (« fitness »), et la « sélection du plus apte 4 » a été promue mécanisme principal de l’évolution des populations. En admettant qu’un individu soit porteur d’une mutation favorable, la condition pour que celle-ci se répande, de génération en génération, jusqu’à être présente dans l’ensemble de la population, est que cette mutation confère à ceux qui la portent un avantage reproductif par rapport à ceux qui en sont dépourvus : il faut qu’ils survivent mieux ou/et se reproduisent mieux, et que leurs rejetons eux-mêmes survivent mieux ou/et se reproduisent mieux que leurs concurrents. Les concurrents étant, dans cette perspective, les congénères porteurs d’une autre version du même gène. Une fois ceci admis, l’apparition de la coopération, définie comme « une action qui vient en aide à autrui au prix d’un coût en termes de fitness pour son auteur » (Clutton-Brock 2009 : 51), devient hautement improbable. Un trait qui bénéficie à autrui et coûte à son auteur ne peut apporter un avantage reproducteur (ne peut augmenter la fitness) à celui qui en est porteur. Il ne peut donc pas, en théorie, apparaître puis se répandre dans une population. Pourtant la coopération existe Un paradigme purement sélectionniste sous de multiples formes dans le monde animal : Jusque dans les années 1960, la question de la coopération entre espèces différentes dans les coopération n’a pas fait grand bruit en éthologie. symbioses (par exemple entre une algue et un Le « bien de l’espèce » avait force d’explication, champignon dans le lichen) ; chasse coopérative et ce généralement de manière implicite (voir chez de nombreux carnivores sociaux ; aide dans Renck & Servais 2002 : 104). Dans cette optique les soins à la progéniture, au détriment de sa qui s’appuyait sur la sélection de groupe, les propre reproduction, chez des insectes sociaux comportements de collaboration et d’assistance ainsi que chez de nombreuses espèces d’oiseaux entre individus étaient tenus pour une banalité et de mammifères ; défense collective contre les et la coopération était traitée, au même titre que prédateurs (cris d’alarme, harcèlement collectif 1. L’auteur tient à remercier Joël Candau, André Langaney, Jean-Luc Renck et Christine Servais pour leur relecture et leurs commentaires de la première version du manuscrit. 110 2. Notons que Darwin lui-même est étranger à ce dévoiement de sa théorie. 3. Il y a bien sûr des exceptions, mais le courant dominant en Europe et aux États-Unis est incontestablement celui-là. 4. L’expression est du sociologue Herbert Spencer, l’un des pères du darwinisme social, et non de Darwin lui-même. Un lichen en microscopie électronique. Le champignon (filaments blancs) apporte le support et des sels minéraux à une algue photosynthétique (en vert) qui lui fournit en retour des nutriments. (photo Eye of Science / Science Photo Library / Biosphoto) Et pourtant ils coopèrent... 111 pourquoi COOPÉRer La mésange à longue queue (Aegithalos caudatus) pratique la reproduction coopérative : les jeunes de la nichée précédente sacrifient leur propre reproduction en aidant leurs parents à nourrir frères et sœurs. Mésange à longue queue nourrissant ses jeunes, Finlande. (photo M. Varesvuo / Biosphoto) d’un prédateur…), appels signalant la présence de nourriture, défense collective d’un territoire, formation de coalitions et d’alliances chez des primates et des delphinidés… La difficulté a alors été de concevoir les débuts de la coopération dans une espèce asociale, et son maintien une fois établie. Quatre mécanismes ont été proposés : la sélection de parentèle, l’altruisme réciproque, le mutualisme et la sélection de groupe (Dugatkin 2002). La sélection de parentèle et l’altruisme réciproque ont principalement retenu l’attention des biologistes. Ce sont 112 eux qui vont être présentés ici. Tous deux envisagent les conditions dans lesquelles la coopération, un comportement coûteux à première vue, peut apporter des bénéfices à son auteur et être sélectionnée. S’inscrivant dans le paradigme sélectionniste, ils ont constitué les deux piliers de l’approche évolutionniste de la coopération au cours de ces trente dernières années. La sélection de parentèle Le modèle de la sélection de parentèle (kin selection) proposé par William D. Hamilton (1964) explique l’apparition et le maintien de la coopération entre des individus apparentés. L’originalité de Hamilton a été de concevoir qu’il existe deux manières de contribuer à la propagation de ses propres gènes : par la reproduction bien sûr, mais aussi en favorisant la reproduction d’individus apparentés, avec qui on partage une certaine proportion de gènes. Il est alors possible de calculer qu’un individu qui assure la survie de trois neveux ou nièces (en les nourrissant, en les protégeant, etc.) assure le passage à la génération suivante d’une proportion plus importante de ses propres gènes qu’en produisant un seul descendant. Il y a certes un « coût » à coopérer, mais celui-ci est compensé par un bénéfice. La théorie prévoit que la coopération pourra apparaître et se maintenir si les « bénéfices », calculés toujours en termes de succès reproducteur direct ou indirect, sont supérieurs aux « coûts », c’est-à-dire s’il est par exemple plus avantageux (ou en tout cas si cela ne l’est pas moins) de se regrouper pour assurer la survie d’une portée de neveux et nièces que de fonder sa propre famille, au risque d’augmenter la compétition pour les ressources et de mettre en péril les deux portées. Les équations proposées par Hamilton permettent de modéliser cet équilibre qui ne dépend pas de la volonté des individus. Le terme « coopération » désigne donc ici des modalités d’assistance et de vie collective qui ont pu s’établir et se maintenir parce qu’elles ne mettaient pas en péril la survie des gènes des individus. Elle repose sur des mécanismes (par exemple l’inhibition de la reproduction chez les jeunes de la portée précédente) qui sont loin d’être complètement élucidés mais qui en tout état de cause ne supposent de la part des individus ni une volonté de coopérer, ni une conscience de le faire. La grande majorité des cas de coopération dans la nature concerne la coopération entre apparentés et le Et pourtant ils coopèrent... modèle de Hamilton leur apporte une explication considérée comme suffisante par les biologistes de l’évolution. L’altruisme réciproque Il en va tout autrement du modèle de l’altruisme réciproque élaboré par Robert L. Trivers en 1971. Il concerne les cas, plus difficiles à expliquer, de coopération entre individus non apparentés au sein d’une même espèce. À sa publication, l’hypothèse a fait l’objet d’un engouement théorique considérable et a monopolisé, durant les quatre dernières décennies, une bonne part de la réflexion des biologistes sur la coopération, au détriment des autres mécanismes possibles (Clutton-Brock 2009). Par définition, l’altruisme est un comportement qui coûte à son auteur mais bénéficie au receveur. L’hypothèse avancée par Trivers est que, si le gain pour le bénéficiaire excède le coût consenti par l’altruiste, et si le bénéficiaire est susceptible de rendre plus tard une aide comparable, alors les effets cumulés des bénéfices pour les deux individus sont supérieurs aux coûts additionnés. Si en outre les individus ont les moyens d’éviter de coopérer avec ceux qui n’agissent pas de manière réciproque, le trait « altruiste » peut, en théorie, être sélectionné. Trivers suggère que le jeu du dilemme du prisonnier (voir encadré) constitue une bonne analogie de la situation. Deux exemples, prototypiques sinon mythiques, ont été abondamment cités à l’appui de la théorie : la réciprocité dans le partage de sang chez les chauves-souris vampires (Desmodus rotundus) (Wilkinson 1984) et l’assistance mutuelle dans la compétition matrimoniale chez les babouins olive (Papio anubis) (Packer 1977). Lorsqu’ils ont à combattre un rival, les babouins mâles peuvent solliciter l’aide d’un congénère et, s’il accepte, former avec lui une coalition temporaire contre leur rival. Un certain nombre de ces coalitions sont formées contre des mâles qui courtisent une femelle. Craig Packer a observé vingt de ces coalitions. Dans six d’entre elles, le mâle qui avait sollicité l’aide d’un congénère a, par la suite, obtenu la femelle. Il y avait donc pour lui un avantage en termes de succès reproducteur. En revanche son compère n’a obtenu aucun bénéfice pour un acte potentiellement coûteux (risque de blessure dans le combat par exemple). Le dilemme du prisonnier Dans sa formulation classique, le jeu du dilemme du prisonnier confronte deux complices capturés par la police. Ils sont interrogé séparément et ont le choix entre couvrir leur complice ou le dénoncer. Les peines de prison encourues varient selon leur attitude, mais aussi selon celle de leur complice. Si aucun des deux ne dénonce l’autre, ils s’en tirent chacun avec un an de prison. Mais si le joueur 1 dénonce son complice alors que celui-ci le couvre, il partira libre tandis que son compagnon purgera 5 ans de prison. S’ils se dénoncent mutuellement, ils feront chacun 3 ans de prison. L’analogie avec l’altruisme réciproque (matrice 2) est que les bénéfices cumulés de la coopération réciproque (3) sont supérieurs à ceux de l’absence de coopération (1). Il y a également un coût à coopérer, sous la forme de l’absence de bénéfice (0) si l’autre ne coopère pas en retour. Toutefois, la stratégie la plus intéressante reste de profiter de la coopération du partenaire sans agir de manière réciproque (5). C’est pourquoi les chercheurs postulent une condition supplémentaire à l’évolution de l’altruisme réciproque : la capacité de détecter les tricheurs afin de cesser de coopérer avec eux. La stratégie du tit-for-tat offre une solution à ce problème. joueur 2 joueur 1 loyal dénonce loyal dénonce 1 an 5 ans 0 3 ans Matrice de gains et pertes (en années de prison) dans le jeu du dilemme du prisonnier. joueur 2 joueur 1 coopère triche coopère 3 0 triche 5 1 Matrice de gains et pertes utilisée dans les calculs sur l’évolution des stratégies de coopération. 113 pourquoi COOPÉRer Packer suggère que ce coût peut être compensé si le bénéficiaire apporte ultérieurement une aide comparable à l’altruiste. Il observe effectivement que les babouins possèdent des partenaires de coalition privilégiés (ce qui a été confirmé par la suite) et conclut que la formation de coalitions chez ses babouins remplit les critères de l’altruisme réciproque. conditions, coopérer devient une « stratégie évolutivement stable », ce qui veut dire que dans la modélisation informatique la stratégie tit-for-tat se développe et se stabilise même en présence de stratégies concurrentes comme la tricherie (ne jamais coopérer). Afin de rendre plus probable encore l’évolution de la coopération, des variables supplémentaires comme la punition ou les représailles envers les profiteurs et les tricheurs ont été ajoutées au modèle (Boyd & Richerson 1992 ; Tit-for-tat Clutton-Brock & Parker 1995). On fait l’hypothèse À la suite de la publication de Trivers, des travaux qu’en imposant des coûts supplémentaires aux empiriques apportèrent divers exemples putatifs tricheurs, les représailles favorisent l’évolution d’altruisme réciproque chez les primates : non de la coopération. C’est le cas dans les modèles. seulement la formation de coalitions mais aussi Encore faut-il démontrer qu’il en est ainsi dans la les cris d’alarme, le partage de nourriture et le réalité. Sur ce principe, le modèle de l’altruisme toilettage social (épouillage) entre non-appa- réciproque et ses aménagements successifs ont rentés ont été proposés. Mais ce n’est qu’après inspiré bon nombre d’études expérimentales la publication d’un article de Robert Axelrod et destinées à savoir si les animaux se comportent Willam D. Hamilton (1981) que le dilemme du de la façon prévue par la théorie. prisonnier est véritablement devenu un modèle pour l’étude de la coopération entre non-appaUne erreur de « concret mal placé » rentés. Soucieux de fournir un modèle général de la coopération, susceptible d’expliquer aussi bien On a souvent reproché aux approches évolul’évolution de la coopération entre espèces sym- tionnistes du comportement de confondre ce biotes ou micro-organismes que la coopération qu’on appelle en éthologie les causes « ultimes », chez les mammifères supérieurs, les auteurs c’est-à-dire les fonctions d’un comportement proposent alors une version amendée du dilemme (et notamment sa fonction adaptative), et les du prisonnier. Ils systématisent le principe de causes dites « proximales », c’est-à-dire ce qui l’itération : le jeu ne se joue pas en un coup, mais provoque le comportement, ici et maintenant en plusieurs, car on suppose que les partenaires (voir De Waal 2008 ; De Waal & Suchak 2010 ; se rencontrent plusieurs fois. Ensuite, ils ajoutent Perelberg & Schuster 2009). Pour reprendre un un facteur w, représentant la probabilité que deux exemple donné par Frans B. M. De Waal et Malini individus se rencontrent de nouveau à l’avenir. Suchak (2010), la fonction de la reproduction Ils montrent que si w dépasse un certain seuil est d’assurer une descendance. Mais ce n’est pas (c’est-à-dire si le groupe n’est pas trop grand et dans le but d’assurer une descendance que les si les mêmes individus se rencontrent souvent), animaux (et nombre d’humains !) s’accouplent. une stratégie qu’ils appellent « tit-for-tat 5 » émerge, Leurs motivations (les causes directes) sont se maintient et finit par être dominante dans une indépendantes de la fonction. Considérer les population composée auparavant d’individus qui fonctions en tant que causes ou motivations ne coopéraient pas. Cette stratégie repose sur ayant valeur causale est donc une erreur. Pour un principe de réciprocité dite contingente, ou modéliser la dynamique de la coopération au sein relative : au premier coup, A coopère. Ensuite, il d’une population, Axelrod et Hamilton ont doté fait la même chose que B : il répond à la coopé- leurs agents de stratégies, dont le tit-for-tat. Ces ration par la coopération et à la non-coopération stratégies ne sont à strictement parler que des (« tricherie ») par la non-coopération. Dans ces variables intermédiaires pour les modélisateurs. 5. Réciprocité contingente calculée, que l’on pourrait traduire par « un prêté pour un rendu ». (Note de la rédaction.) 114 Et pourtant ils coopèrent... L’échange de sang chez les chauves-souris vampires (Desmodus rodundus) a longtemps été considéré comme une confirmation empirique de la théorie de l’altruisme réciproque. Pour le donneur le coût est faible car la quantité de sang régurgitée est peu importante. Mais pour le bénéficiaire elle peut s’avérer déterminante. Vampire d’Azara, Amérique du Sud. (photo D. Heuclin / Biosphoto) Purement logiques (si… alors…), elles sont attribuées à des agents fictifs pour les besoins de la modélisation. Mais force est de constater que souvent ces « stratégies » migrent du monde des ordinateurs, des explications et de la logique pour prendre, sous la plume de biologistes du comportement, la forme de causes situées dans la tête des primates. En sciences sociales on parlerait ici de « biais intellectualiste » (Bourdieu & Wacquant 1992), erreur fréquente qui consiste à placer dans le cerveau des acteurs les concepts dont on a besoin pour expliquer leurs comportements. En biologie du comportement comme ailleurs, cela entraîne beaucoup de confusion. Car pour peu que l’animal se comporte comme le prévoit la théorie, on aura tendance à croire qu’il possède réellement la stratégie en question. Ce qui revient à une erreur de « concret mal placé » (Bateson 2008:166), on y reviendra. Le problème de la confusion entre stratégies cognitives et stratégies évolutives s’est surtout posé pour les primates et d’autres mammifères supérieurs tels les delphinidés, c’est-à-dire chez des animaux susceptibles de disposer des compétences cognitives nécessaires à une réciprocité de type tit-for-tat. La coopération chez les primates En étudiant les primates, c’est évidemment aussi la coopération humaine que l’on interroge. De nombreux biologistes s’accordent pour considérer que la coopération humaine est unique dans le monde animal. Elle se différencie notamment par l’importance de l’aide aux non-apparentés, ainsi que par la flexibilité et la multiplicité des contextes coopératifs. Dans notre espèce, la coopération sous-tend la plupart des activités collectives. La coopération animale est limitée à un plus petit nombre de domaines. Les bases évolutives de la coopération humaine restent ainsi inexpliquées. 115 pourquoi COOPÉRer C’est pourquoi les chercheurs s’intéressent tout spécialement aux modalités de la coopération chez les primates et, en particulier, chez ceux qui nous sont phylogénétiquement les plus proches : les chimpanzés (Pantroglodytes) et les bonobos (Pan paniscus). Même si la coopération semble chez eux restreinte à des contextes moins étendus que chez l’homme, elle n’en tient pas moins une place prépondérante dans leur vie sociale au quotidien. Chimpanzés et bonobos coopèrent beaucoup entre non-apparentés, entre chimpanzés mâles notamment. Mettre en évidence les formes et les limites de la coopération chez ces espèces devrait permettre de mieux cerner les spécificités de la coopération humaine, et d’envisager plus clairement les changements qui ont pu mener à son évolution. Deux types de recherches ont pris en charge l’étude de la coopération chez les primates. Les premières, situées dans une perspective évolutive, ont cherché à tester l’hypothèse de l’altruisme réciproque et à démontrer l’existence de formes de réciprocité dans les relations sociales, en nature ou en captivité, dans des groupes éthologiquement valides. Les secondes tirent leur inspiration et leurs schèmes de recherches des sciences cognitives et cherchent à savoir si les primates possèdent les compétences cognitives nécessaires à une réciprocité de type tit-for-tat. De manière plus générale, elles visent à comprendre les motivations et les compétences cognitives qui sous-tendent les comportements coopératifs. L’une des questions qui préoccupent les chercheurs est de savoir dans quelle mesure les comportements coopératifs supposent de la part des singes qu’ils testent une compréhension du rôle du partenaire et de la dépendance mutuelle qui s’instaure entre les individus qui coopèrent. Une autre est de savoir s’ils sont capables de tenir les comptes des faveurs données et reçues et sinon, quelles sont les bases cognitives ou émotionnelles sur lesquelles la réciprocité peut s’établir. l’épouillage est un élément clé du lien affiliatif. Il diminue la tension, augmente la confiance en soi et restaure les relations. Être toiletté provoque une augmentation d’endorphines dans le cerveau, indicateur objectif du plaisir – l’indicateur subjectif étant la posture et les mimiques parfois béates du toiletté. L’épouillage procure donc toute une série de bénéfices à celui qui en fait l’objet. Les primates épouillent habituellement ceux qui les épouillent, mais ils ont aussi une tendance à toiletter davantage les dominants. On s’est demandé si cette activité ne pourrait pas être considérée comme un moyen de s’assurer les faveurs d’un dominant en cas de conflit avec un tiers. Épouiller serait alors un acte altruiste à faible coût susceptible d’apporter ultérieurement un bénéfice important. Chez les singes vervets mâles, Robert Seyfarth et Dorothy Cheney (1984) ont en effet observé une corrélation entre l’épouillage entre non-apparentés et le soutien agonistique. Un vervet (Cercopthecus æthiops) mâle sera plus disposé à venir en aide à un individu non apparenté si cet individu s’est comporté avec lui de manière affiliative dans un passé récent. De manière intéressante, le taux d’épouillage reste sans effet sur l’aide envers les apparentés. Celle-ci semble donc inconditionnelle, comme si la relation n’était pas à construire. Mais parmi les études qui ont par la suite interrogé le lien entre le toilettage social et le soutien agonistique, les résultats se sont révélés contradictoires et difficiles à interpréter. Gabriele Schino (2007) procède à une méta-analyse de vingt-quatre études portant sur quatorze espèces. Elle découvre certes une corrélation entre le toilettage social et le soutien chez les primates mais la valeur de celle-ci (0,15) est si faible qu’elle n’indique rien de plus qu’une tendance générale. Plus convaincante est l’étude de Frans B. M. De Waal (1997) sur la réciprocité entre toilettage social et partage de nourriture chez des chimpanzés. Dans une colonie à l’état sauvage, le transfert alimentaire se produit le plus souvent passivement. Le propriétaire de nourriture prisée (le partage est rare pour les plantes ou les aliments aisés à se Échange de faveurs procurer) laisse son congénère se servir dans la et réciprocité contingente nourriture qu’il a rassemblée, ou l’autorise à lui Un certain nombre des travaux ayant cherché à prendre la nourriture des mains, voire à l’extraire tester l’hypothèse de l’altruisme réciproque se de sa bouche. La grande majorité des transferts sont intéressés aux relations entre l’épouillage de nourriture ont lieu à l’intérieur de la famille, et le soutien agonistique. Comme le rappellent surtout entre mère et enfant, mais les chimpanCharlotte Hemelrijk et Jutta Steinhauser (2007), zés partagent aussi avec des non-apparentés. 116 Et pourtant ils coopèrent... L’épouillage procure détente et bien-être tout en renforçant les liens affiliatifs. Chez les chimpanzés, on observe une réciprocité entre l’épouillage et le partage de nourriture : un individu partagera plus volontiers sa nourriture avec un congénère si ce dernier l’a épouillé dans les deux heures précédentes. (photo M. Gunther / Biosphoto) Le partage est passif mais sélectif : ils ne partagent pas avec tout le monde. Lorsqu’un chimpanzé se trouve être l’heureux propriétaire d’aliments convoités, il est habituel que les autres viennent quémander. Ils se montrent souvent insistants, voire harcelants, tendant la main vers la bouche du possesseur en ajoutant à l’occasion quelques gémissements plaintifs. De Waal a comparé, au sein d’une colonie captive, le succès de chaque adulte quémandeur (Q) à obtenir de la nourriture auprès d’un adulte donneur (D), avec les interactions d’épouillage de D par Q dans les deux heures précédant le partage de nourriture et dans la demi-heure qui suit. Sur deux cents observations réparties sur trois ans, il remarque que la tendance de D à partager avec Q est plus importante si Q a épouillé D dans les deux heures précédentes. L’effet est spécifique au partenaire : il ne s’agit pas d’une tendance générale de D à partager avec tout le monde parce qu’il se sentirait bien disposé envers le monde entier après avoir été épouillé. L’effet est également directionnel : il n’affecte pas la tendance de l’épouilleur à partager, seulement celle de l’épouillé. En outre, après un partage, D a tendance à moins épouiller Q. La séquence dans son ensemble ressemble donc à une transaction où de l’épouillage est « échangé » contre de la nourriture. De Waal pense avoir affaire ici à une réciprocité calculée, c’est-à-dire à une réciprocité basée sur un calcul des faveurs reçues et données. Mais cette hypothèse est difficile à tester par des études de corrélation. C’est pourquoi Alicia P. Melis, Brian Hare et Michael Tomasello (2008) ont cherché à la vérifier expérimentalement. Ils se demandent si les chimpanzés rendent les faveurs reçues et si, conformément à l’hypothèse de l’altruisme réciproque, ils cessent de donner à un individu qui ne donne rien en retour. Pour désigner cette forme de réciprocité où la probabilité d’apporter de l’aide est relative aux interactions passées, ils parlent de réciprocité contingente calculée (tit-for-tat). Leur but est d’établir si les chimpanzés possèdent les compétences cognitives pour cette forme de réciprocité. Dans une première expérience, un chimpanzé doit choisir entre deux partenaires pour une tâche coopérative. L’un des partenaires l’a auparavant choisi dans des tâches similaires, tandis que l’autre ne l’a jamais choisi. On suppose que le chimpanzé va « rendre la faveur » 117 pourquoi COOPÉRer et choisir celui qui l’a préféré précédemment. Dans la seconde expérience, le chimpanzé peut aider un partenaire à ouvrir une porte qui lui permettra (au partenaire seulement) d’obtenir de la nourriture. C’est donc un acte altruiste. Il a le choix entre un partenaire qui lui a précédemment ouvert la porte et lui a donné accès à des aliments de choix, et un autre qui ne l’a pas fait. Ici aussi, on imagine que le chimpanzé va privilégier celui qui s’est montré généreux avec lui dans un passé récent. Les auteurs observent une tendance des chimpanzés à augmenter la coopération ou à aider le partenaire qui les a aidés auparavant, mais elle est faible et les sujets n’ont pas de préférence systématique pour celui qui les a favorisés. Ils concluent que « même si ces expériences soutiennent l’idée que les chimpanzés sont capables de réciprocité contingente, elles suggèrent que ce modèle, celui du tit-for-tat, ne joue pas un rôle très important dans les décisions sociales des chimpanzés » (Melis, Hare & Tomasello 2008 : 951). Sarah Frances Brosnan et ses collègues aboutissent à des résultats comparables. Dans leur expérience, les chimpanzés manipulent un appareil qui leur permet d’obtenir de la nourriture pour eux-mêmes seulement (choix égoïste) ou bien pour eux-mêmes et un congénère qui se trouve dans une cage adjacente (choix mutualiste). Pour tester la réciprocité, le protocole alterne les rôles de donneur et de receveur (Brosnan et al. 2009). De manière surprenante, les chimpanzés semblent tout autant disposés à donner à un partenaire qui a partagé avec eux qu’à celui qui ne l’a pas fait ! Ceci contraste avec les résultats d’une autre étude chez les singes anthropoïdes. En utilisant des jetons à échanger, une équipe menée par Valérie Dufour a démontré chez deux orangs-outangs l’existence d’échanges fondés sur la réciprocité. Au départ, l’un des orangs-outangs donne plus que l’autre, mais progressivement les échanges tendent à s’équilibrer, ce que les auteurs interprètent comme le signe que chacun adapte ce qu’il donne à ce qu’il a reçu (Dufour et al. 2009). Il s’agit du seul exemple démontré de réciprocité contingente chez des primates non humains à ce jour. cognitives pour un altruisme réciproque basé sur une réciprocité contingente calculée (tit-for-tat), ni pour développer des relations basées sur l’échange comme l’ont fait les deux orangs-outangs précités. Mais l’étude de De Waal (1997) ainsi que de nombreuses observations en nature montrent qu’ils sont capables de tenir compte des faveurs données et reçues. Des observations anecdotiques mentionnent des chimpanzés « cherchant à se faire bien voir » d’un congénère pour des raisons stratégiques (De Waal & Suchak 2010), et une étude systématique indique que les chimpanzés épouillent sélectivement leurs alliés la veille du jour où ils solliciteront leur soutien lors d’une confrontation qu’ils ont initiée (Koyama, Caws & Aureli 2006). De Waal et Suchak en concluent que la réciprocité pourrait inclure la planification des bénéfices. Une autre interprétation, moins exigeante sur le plan cognitif et plus ancrée dans la situation, est de considérer que l’épouillage d’un allié consolide ou restaure la relation et crée un « nous » à partir duquel l’individu se sent confiant et prêt à une confrontation avec son rival. Quoi qu’il en soit, la disparité entre les données expérimentales et les observations en nature ou dans des groupes captifs a de quoi surprendre. Dans les dispositifs expérimentaux, les chimpanzés se montrent incapables de résoudre des tâches qu’ils semblent surmonter sans difficultés dans leur groupe social. Le problème est général puisque, comme le soulignait Keith Jensen au cours du dernier congrès de la Société internationale de primatologie à Kyoto en 2010, le meilleur prédicteur de la réciprocité chez les chimpanzés, dans les études publiées ces dernières années, se révèle être le dispositif de l’étude : expérimentation contrôlée ou observations dans un milieu éthologiquement valide. En réponse à cette disparité, De Waal (1997) suggère que chez les chimpanzés la réciprocité calculée fait l’objet d’un apprentissage à long terme, raison pour laquelle on ne pourrait la mettre aisément en évidence dans un dispositif expérimental. Mais d’autres éléments, liés au dispositif lui-même, pourraient jouer un rôle. Il est probable que les limitations démontrées par les protocoles expérimentaux soient plus sociales ou émotionnelles que purement cognitives. En effet, ces protocoles cherchent à neutraliser les Des échanges décontextualisés variables sociales et relationnelles qui font la Les études expérimentales n’ont donc pas démon- vie quotidienne d’une colonie de chimpanzés. tré que les chimpanzés possèdent les aptitudes Ils placent les animaux dans des situations de 118 Et pourtant ils coopèrent... réciprocité où seul le calcul décontextualisé (le pinchés (Saguinus œdipus) (Hauser, Chen, Chen travail cognitif) permet de faire des choix sensés. & Chuang 2003), qui donnent plus à celui qui Les tests ne portent donc pas uniquement sur des leur a donné plus ; mais démontrée aussi, de compétences cognitives. Ils impliquent aussi des manière plus surprenante mais très intéressante, compétences sociales et émotionnelles, dans la chez des femelles de rat surmulot (Rattus normesure où ils présument la capacité de bâtir une vegicus) (Rutte & Taborski 2007). Cela ne veut relation sur un « pur » échange, en l’absence d’un pas dire que les rates tiennent des comptes des enjeu politique ou affectif qui donnerait du sens faveurs reçues, mais peut-être plus simplement, à la situation. De cela, pour des raisons que nous comme le suggère De Waal pour les capucins, les ignorons, nos cousins les chimpanzés ne semblent rates répondent-elles à l’attitude tolérante de leur pas capables, contrairement, semble-t-il, aux partenaire par une attitude tolérante en retour. orangs-outangs. Il serait alors fondamentalement Présente chez des mammifères aussi différents erroné de considérer les chimpanzés, à la façon que des rats et des primates, cette réciprocité de la théorie du « marché biologique », comme des attitudinale pourrait constituer un mécanisme traders échangeant froidement des services les uns social fondamental présidant à l’établissement de avec les autres sur un « marché » où la logique serait relations individualisées. La réciprocité calculée économique plutôt que politique et émotionnelle. viendrait alors s’appuyer sur cet ajustement des dispositions, lorsque les capacités cognitives se développent et que les individus découvrent que Réciprocité symétrique et « attitudinale » le comportement de leur partenaire à l’instant t D’autres formes de réciprocité, moins exigeantes dépend du leur à t – 1 (De Waal & Suchak 2010). sur le plan du calcul cognitif, ont été identiAinsi que la discussion ci-dessus l’a évoqué, la fiées dans les sociétés primates. La réciprocité réciprocité calculée conserve en tout état de cause symétrique se fonde sur la régularité de l’associa- un ancrage social et affectif pour les chimpanzés. tion entre deux partenaires. Si Hercule s’associe Si la réciprocité attitudinale est bien une forme souvent avec Prosper parce qu’ils sont copains, élémentaire de relation entre individus, on pourc’est vers lui qu’il dirigera le plus d’actes de rait considérer que les compétences cognitives coopération, tout simplement parce que c’est lui mobilisées par les chimpanzés dans le calcul des qui l’accompagne, et inversement. Il en résultera faveurs données et reçues n’ont pas acquis une une réciprocité liée mécaniquement à la symétrie totale autonomie par rapport aux formes plus de la relation, mais qui ne demande aucun calcul fondamentales de la réciprocité attitudinale et aux des faveurs reçues et données. Les liens affiliatifs enjeux affectifs de la situation. Selon Brian Hare agissent comme « la clé de voûte d’un mécanisme et Jingzhi Tan (à paraître), c’est probablement la émotionnel et neuro-hormonal pour produire des réciprocité attitudinale, plutôt que la réciprocité bénéfices mutuels » (De Waal & Suchak 2010). calculée, qui maintient la plupart des relations La réciprocité « attitudinale » désigne quant à elle de coopération chez les grands singes. une réciprocité où les individus calquent leur attitude sur la conduite récente de leur partenaire. De l’altruisme réciproque Elle a été démontrée d’abord chez le capucin à à la théorie du « marché biologique » poitrine jaune (Cebus apella) au cours d’une tâche d’échange différé. Les études sur la réciprocité n’ont pas permis de Deux capucins sont placés dans des cages confirmer l’hypothèse de l’altruisme réciproque adjacentes séparées par un grillage ; l’un reçoit en tant que mécanisme présidant à l’évoludes morceaux de pomme pendant vingt minutes tion de l’entraide et de la coopération entre sous les yeux d’un compagnon qui ne reçoit rien. non-apparentés. En fait, de nombreux comporC’est ensuite le second qui reçoit des carottes. tements d’abord regardés comme altruistes (par On comptabilise les transferts de nourriture à exemple l’épouillage) ont par la suite été recontravers le grillage et on observe une tendance sidérés car n’impliquant pas de coût, ou un coût des seconds à partager selon ce que les pre- faible, pour le donneur (Clutton-Brock 2009). Et, miers ont partagé (De Waal 2000). La même même si on a montré que les individus s’assistent réciprocité a été démontrée chez des tamarins les uns les autres, rien n’a permis de prouver qu’il 119 pourquoi COOPÉRer s’agissait bien d’altruisme réciproque (Melis, Hare & Tomasello 2008). En outre, l’impossibilité d’évaluer les coûts et les bénéfices d’actes quotidiens en termes de succès reproducteur (Dugatkin 2002) et la difficulté à contrôler la parenté génétique des individus concernés ont pour conséquence qu’on ne peut définitivement exclure des explications alternatives, telle la sélection de parentèle ou le mutualisme 6 . Le manque de validation empirique, ajouté aux difficultés conceptuelles et méthodologiques ont conduit à remettre en question la théorie de l’altruisme réciproque en tant que cadre conceptuel pour l’interprétation des comportements coopératifs dans les sociétés animales (Clutton-Brock 2009). Le modèle du dilemme du prisonnier génère quant à lui une insatisfaction grandissante chez les primatologues, due à une trop faible concordance avec les situations réelles de coopération. Amir Perelberg et Richard Schuster (2009) font ainsi remarquer que le jeu du prisonnier réduit la coopération à des actions expérimentées individuellement (chacun « joue » de son côté), alors qu’en réalité les individus partagent un contexte social et ont le choix entre plusieurs partenaires (Noë 1990). Cependant, si le cadre conceptuel de l’altruisme réciproque est abandonné, les animaux n’en continuent pas moins, selon les chercheurs, de calculer. Les recherches sur l’altruisme ont en effet introduit l’idée que les coûts et les bénéfices d’une action affectent le comportement des individus, et l’usage de métaphores comptables ou économiques s’est maintenu à travers la notion de « services à bas coût » échangeables sur un « marché ». N’ayant pas de coût ou un coût très faible, les « services » ne posent pas de problème du point de vue évolutionniste et peuvent être échangés en actes similaires dans une sorte de « marché ou économie de services »(De Waal 1997). Ronald Noë et Peter Hammerstein (1994) ont systématisé la notion de « marché biologique ». Pour décrire la vie sociale des primates, on parle désormais beaucoup de « traders », de 6. Le mutualisme désigne les situations où un acte bénéficie à son auteur ainsi qu’à des congénères, comme dans le cas de la chasse coopérative. 120 « cours » et de « monnaie d’échange » (« currency »). L’expérience d’Eduard Stammbach (1988), qui a montré qu’un macaque devenu « expert » dans la manipulation d’un outil permettant d’obtenir de la nourriture est épouillé plus souvent par ses congénères, et ce tant qu’il reste « expert », pourrait être interprétée en termes d’échanges de bienfaits. C’est ainsi qu’on analyse aujourd’hui les travaux qui montrent une corrélation entre épouillage et échange de nourriture (De Waal 1997), ou entre épouillage et soutien agonistique. D’après cette idée, Louise Barret, David Gaynor et Peter Henzi (2002) poussent la métaphore jusqu’à concevoir les femelles babouins du parc d’Amboseli comme des traders qui échangent des biens – en l’occurrence du toilettage social – contre de la tolérance auprès des sites de nourrissage, et qui s’ajustent aux variations inévitables des cours, ceux-ci fluctuant en fonction de l’offre et de la demande. En réalité, ils montrent que la répartition du toilettage social entre les femelles est affectée par des changements dans la sévérité de la compétition auprès des sites de nourrissage – rien là de bien nouveau. La difficulté est d’expliquer ces ajustements de la part des femelles. En l’absence de modèle du comportement social situé ou contextualisé, le modèle économique semble faire l’affaire. La coopération est donc vue comme un échange de « services sociaux » et les primates sont transformés en calculateurs qui maximisent leurs bénéfices… La théorie du marché biologique se présente comme une « extension naturelle de la théorie de l’altruisme réciproque, où on met l’accent sur le marchandage et la surenchère entre des partenaires multiples » (Schino & Aureli 2008 : 9). Selon les mots de Tim H. Clutton-Brock (2009 : 53), le modèle du marché est censé prédire « comment la variation dans la disponibilité des services ou dans les bénéfices qu’ils confèrent peut affecter le prix que les individus sont prêts à payer pour les obtenir »… Zut, le cours de l’épouillage a encore baissé aujourd’hui ! Le modèle du marché biologique n’est, au fond, qu’une métaphore, un regard particulier Et pourtant ils coopèrent... Un orang-outang (Pongo pygmaeus) donne de l’eau à un congénère. Les échanges de nourriture sont fréquents chez les anthropoïdes. Mais parmi ceux-ci, seuls les orangs-outangs se sont montrés jusqu’ici capables d’échanges basés sur une réciprocité calculée. Bornéo. (R. Puillandre / Biosphoto) qui permet de donner « du sens » à ce que font Le point de vue des sciences sociales : les singes (et les humains). Il faut évidemment une réciprocité située s’interroger sur le choix de cette métaphore, qui établit une équation problématique entre plutôt qu’un calcul abstrait économie et société et qui résonne si bien avec Si le modèle économique du social a autant de les discours rituels du libéralisme économique. succès en primatologie, c’est en partie parce Parce qu’il décrit les actions de primates non qu’il est simple et aisé à opérationnaliser. Mais humains, ce modèle pourrait aussi être utilisé c’est aussi probablement parce qu’il vient pallier pour « démontrer » que, puisque les singes sont l’absence d’une théorie ou d’un modèle du compordes traders qui maximisent leurs bénéfices, les tement social en tant qu’activité émotionnelle et humains le sont aussi « naturellement ». Mais bien cognitive située dans un contexte interactionsûr, la démarche est purement circulaire et ne nel. Or, la métaphore du marché induit certains devrait pas convaincre grand-monde. Pour ce présupposés sur les primates et la manière dont qui nous concerne, il est toutefois important de ceux-ci se situent dans leur groupe social. Barret, souligner que, en tant que métaphore, le modèle Gaynor et Henzi (2002), par exemple, semblent du marché n’est pas confirmé par les faits. sous-entendre que les femelles babouins évaluent 121 pourquoi COOPÉRer la situation du « marché » et prennent des décisions en conséquence. Mais les individus n’ont qu’une conscience relative et incarnée du contexte interactionnel dans lequel ils sont pris. Pour faire référence à Pierre Bourdieu encore, le primate qui cherche une alliance n’a nécessairement pas la même analyse, ni la même vision de la situation que l’observateur. Si cela est vrai dans le cas cité par Bourdieu des stratégies matrimoniales et des pères kabyles qui cherchent un mari pour leur fille, cela l’est plus encore pour des chimpanzés qui partagent de la nourriture ou qui épouillent un allié. Dans le cas des stratégies sociales, une grande partie de la définition de la situation sur laquelle se basent les chercheurs se trouve précisément dans la situation, à l’extérieur des individus. En tant qu’organismes de chair et de sang, dominés par des émotions parfois contradictoires et situés en un point particulier du réseau, ceux-ci n’ont forcément qu’une conscience limitée de cet ensemble. Les « stratégies » des animaux, si elles existent, sont donc à rechercher à partir de l’ici et maintenant de leur vie sociale et émotionnelle. D’où l’importance de réévaluer les liens tissés, de recontextualiser les comportements et de les comprendre dans la logique des acteurs. Ceci ne veut pas dire que le comportement n’est sous le coup d’aucun déterminant biologique ; mais simplement que les mécanismes sont à déchiffrer dans l’intrication de causalités parfois surprenantes. Les déterminants des tendances pro sociales ou altruistes qu’on observe dans le monde animal sont plus complexes – et plus intéressants à démêler – qu’une stratégie tit-for-tat implementée par l’évolution dans les individus. eux-mêmes soit pour eux-mêmes et un congénère, les chimpanzés font des choix égoïstes. Utilisant un protocole comparable, Joan B. Silk et ses collègues avaient observé le même résultat (Silk et al. 2005). L’équipe de Keith Jensen, dans un dispositif destiné à éprouver la sensibilité de chimpanzés à l’iniquité, conclut elle aussi que les chimpanzés « ne sont pas concernés par les autres » et restent indifférents à l’injustice par rapport à l’acquisition de la nourriture (Jensen et al. 2006 : 1020). Il se pourrait toutefois que ces résultats négatifs soient dus à un dispositif expérimental (identique dans toutes ces expériences) particulièrement compliqué et difficile à maîtriser pour les chimpanzés. En effet, dans une expérience menée par Felix Warneken, dont le dispositif est beaucoup plus simple, des chimpanzés viennent spontanément en aide à un être humain, même en l’absence de récompense (Warneken et al. 2007). Ils viennent également en aide à un congénère en lui ouvrant une porte qui lui permet d’accéder à de la nourriture, toujours spontanément et sans être récompensés. Même en l’absence de récompense, les réponses ne diminuent pas avec le temps, ce qui suggère que ces animaux trouvent un intérêt à venir en aide à un congénère. Les exemples de chimpanzés qui viennent en aide à des congénères, apparentés ou non, sont nombreux dans la nature. Jane Goodall (1986 : 267) raconte que, au cours d’une chasse au potamochère qui avait mal tourné, la femelle adulte Gigi vola au secours du jeune Freud, qui put ainsi s’enfuir. Gigi de son côté réussit à échapper de justesse aux mâchoires de la truie en furie. Le souci d’autrui peut aussi se manifester au cours du partage de la viande après la chasse, où il arrive, surtout lorsque les chimpanzés commencent à être repus, que le Coopération et sensibilité à autrui possesseur d’une carcasse en donne un morceau L’exploration des dimensions motivationnelles à un autre qui, sans mendier, communique sa et cognitives de la coopération chez les primates demande muette en fixant avidement la carcasse inclut la question de la sensibilité à autrui. Les (ibid. : 374). chimpanzés sont-ils sensibles aux besoins d’auL’altruisme « désintéressé », le don de nourritrui ? Sont-ils capables de lui apporter une aide ture ou l’aide à autrui en l’absence de bénéfices ciblée (De Waal & Suchak 2010), c’est-à-dire une immédiats ne sont donc pas propres à l’espèce aide appropriée à ses besoins ? Les expériences de humaine. Ces comportements témoignent de la Melis, Hare et Tomasello (2008) et de Brosnan présence chez les chimpanzés d’une sensibilité et al. (2009) citées plus haut concluaient à une à autrui, à ses besoins et à sa souffrance, qui forme d’insensibilité à autrui chez les chimpanzés pourrait être l’un des mécanismes sur lesquels testés. On s’en souvient : mis dans la situation repose la coopération. Une telle sensibilité à autrui de choisir d’obtenir de la nourriture soit pour repose sur une communication sociale subtile 122 Et pourtant ils coopèrent... ainsi que sur des mécanismes attentionnels qui impliquent probablement l’empathie. En tant que réponse à la fois automatique et modulée par la proximité sociale, l’empathie pourrait être l’une des dispositions sous-tendant l’« impulsion altruiste » qu’il faut postuler pour expliquer les cas d’entraide et d’altruisme qui non seulement n’apportent aucun bénéfice direct à leur auteur, mais peuvent parfois comporter des risques (De Waal 2008). Les comportements prosociaux dont font spontanément preuve les primates non humains offrent une autre piste pour envisager l’évolution de la coopération humaine. La coopération en tant qu’activité conjointe des signes de malaise et elle s’éloigna des chasseurs en gémissant doucement. Jomeo s’écarta des autres mâles et, lentement, entreprit de grimper dans un arbre proche du palmier. À ce moment, la femelle babouin commença à crier, mais elle ne s’enfuit pas. Quand il arriva à sa hauteur, Jomeo s’arrêta à une distance d’environ cinq mètres. Il la fixa du regard, puis se mis à agiter une branche, peut-être pour la pousser à s’enfuir. Elle hurla plus fort, mais apparemment aucun babouin n’était à portée de voix. Deux minutes plus tard, Figan et Sherry grimpèrent, lentement eux aussi, à deux autres arbres. À ce moment-là, un chimpanzé mâle était posté dans chacun des arbres qu’auraient pu emprunter la mère et son bébé pour s’enfuir. Les trois autres, restés au sol, suivaient la scène des yeux. À cet instant, Jomeo sauta dans le palmier. La mère fit un large bond et atterrit dans l’arbre de Figan, où celui-ci l’attrapa et se saisit de son bébé. Elle s’enfuit à six mètres environ, où elle se tint durant les quinze minutes qui suivirent, hurlant puis poussant des « waa-hoo » pendant que les chimpanzés consommaient son enfant 7. (Goodall 1986 : 286.) La coopération dont il a été question jusqu’ici a concerné l’entraide, l’échange et la réciprocité entre individus qui œuvraient chacun avec leurs propres objectifs, souvent divergents. Mais il est une autre forme de coopération, que l’on peut définir par le fait d’agir ensemble pour atteindre un but commun. Dans le monde animal, c’est, classiquement, le cas de la chasse coopérative. Celle-ci peut impliquer différents niveaux de coopération, de la simple association de chasseurs jusqu’à la compréhension du rôle et des actions d’autrui, en passant par la coordination (Boesch & Boesch 1989). Raphaël Chalmeau et Alain À partir de situations réelles de chasse cooGallo (1995) considèrent qu’on ne peut parler de pérative, il est difficile d’évaluer si les animaux coopération que lorsque trois critères sont réunis : agissent chacun pour soi et se contentent de but commun, réciprocité et communication. coordonner leurs mouvements en fonction des déplacements de la proie, ou si leur coopération En septembre 1979, tous les mâles de implique une compréhension du rôle du partenaire. Des observations anecdotiques de recrutement la communauté de Kasakela sauf un circulaient dans la vallée de Lower Mkenke d’un congénère permettent de soupçonner que les chimpanzés ont conscience du rôle que joue lorsqu’ils tombèrent sur une femelle leur partenaire dans la chasse coopérative. On babouin portant un bébé. peut citer l’exemple du chimpanzé mâle Figan, Elle s’alimentait dans un palmier et que Jane Goodall (1986 : 287) observa en train semblait seule. Goblin grimaça, poussa de scruter très attentivement un buisson dans un petit cri, se rapprocha de Satan et le lequel une truie et ses porcelets venaient de trouver toucha de la main. Les six mâles avaient refuge. Figan se retourna ensuite vers Jomeo qui le poil hérissé. Quand la femelle babouin le suivait et agita une branche dans sa direction, vit les chimpanzés, elle s’arrêta de manger un geste habituellement utilisé pour attirer une et les fixa des yeux. Après environ une femelle courtisée. Jomeo accourut instantanément, demi-minute, elle commença à montrer 7. Notre traduction. 123 pourquoi COOPÉRer puis les deux mâles pénétrèrent dans le buisson et capturèrent un marcassin. Dans ce cas, puisque Figan recrute délibérément un partenaire, on peut penser qu’il a conscience de l’importance du rôle de ce partenaire dans le succès de la chasse. Mais ce sont les expériences qui aident normalement à démêler les facteurs psychologiques en jeu. Dans une expérience déjà ancienne destinée à mimer les situations de chasse coopérative (Crawford 1937), deux chimpanzés devaient tirer ensemble sur un câble pour s’approprier une boîte trop lourde pour chacun. Ils ont réussi l’exercice, mais ils ont aussi montré qu’ils comprenaient la situation en recrutant un partenaire par une petite tape dans le dos. Des résultats similaires ont été obtenus dans une expérience plus récente (Chalmeau & Gallo 1996) où deux chimpanzés placés dans des cages contiguës devaient coordonner leurs actions (tirer ensemble sur une poignée). Les chimpanzés ont réussi la tâche et, à partir de l’analyse du regard, les auteurs concluent qu’ils comprennent le rôle du partenaire : ils vérifient en effet sa position avant de tirer la poignée. Placés dans une situation analogue, des capucins ont appris à se coordonner, mais a priori sans comprendre le rôle du partenaire, c’est-à-dire sans coopérer véritablement (Chalmeau, Visalberghi & Gallo 1997). De Waal et Suchak (2010) avancent pourtant qu’ici aussi l’échec pourrait être dû aux conditions expérimentales. Le dispositif exigeait en effet une coordination, mais ne donnait pas aux capucins l’occasion d’éprouver par la kinesthésie l’action du partenaire. Or, quand des tamarins pinchés ont été testés avec un appareillage comparable à celui de Meredith P. Crawford, ils ont immédiatement accompli la tâche. Ils attendaient le retour du partenaire auprès du câble avant de se remettre eux-mêmes à tirer (Mendres & De Waal 2000). On trouve d’autres indices indirects d’une compréhension de la fonction du partenaire dans la coopération chez des macaques à longue queue (Macaca fascicularis) : ils se réconcilient trois fois plus souvent avec leur compagnon de cage lorsqu’ils sont obligés de coopérer avec lui pour obtenir de la nourriture (Cords & Thurnheer 1993). 8. Cela signifie que même un dominant ne peut obliger un dominé, une femelle par exemple, à lui céder sa part. 124 Tous ces cas dénotent une certaine compréhension du rôle du partenaire, même s’il est difficile de savoir précisément ce qui est appris par les singes. Les chimpanzés, quant à eux, possèdent une compréhension sophistiquée du rôle de leur coopérateur. Comme l’ont montré Melis, Hare et Tomasello (2006a), non seulement ils ne recrutent un congénère qu’en cas de nécessité (sinon ils préfèrent travailler seuls et s’attribuer la totalité de la récompense), mais ils choisissent également de coopérer avec celui qui s’est montré le plus efficace dans des essais antérieurs. Ici, les résultats expérimentaux concordent avec les observations en milieu naturel, permettant de conclure que la chasse coopérative chez les chimpanzés repose très probablement sur une perception assez claire du rôle joué par les autres chasseurs. Coopération et tolérance alimentaire La concordance entre les résultats expérimentaux et les observations dans le cas de la chasse coopérative (et de ses modèles expérimentaux) autorise à penser qu’il est plus facile, en laboratoire, d’amener des chimpanzés à coopérer autour d’un but commun que de recréer expérimentalement un contexte social valide (à leurs yeux) pour la réciprocité. Ceci doit cependant être nuancé. En effet, la coopération au cours de la chasse (ou dans toute activité conjointe permettant d’obtenir de la nourriture) semble se trouver sous le contrôle d’un élément dont l’importance se fait jour progressivement : la tolérance alimentaire. Des chimpanzés qui n’arrivent pas à partager, pour diverses raisons liées à la compétition et à l’état de leurs relations, sont incapables de coopérer. Dans une chasse coopérative, la capture est d’ordinaire suivie du partage de la viande. Celui-ci prend place dans une ambiance étonnamment calme : les interactions sont pacifiques et les chimpanzés « respectent la propriété » d’autrui8 . En comparant les modalités du partage de la proie sur deux sites de recherche, les parcs Gombe en Tanzanie et Taï en Côte d’Ivoire, on a identifié un premier lien entre partage et coopération : plus le milieu impose une coopération étroite Et pourtant ils coopèrent... Défense collective d’un territoire chez des capucins moines (Cebus capucinus). (photo F. & Chr. Dziubak / Biosphoto) aux chasseurs, notamment pour des questions de visibilité ou d’accessibilité des proies, plus systématique est le partage entre eux. Un autre lien a été mis en évidence chez le capucin à poitrine jaune : l’importance d’un partage équitable pour le maintien de la coopération. Deux animaux doivent tirer ensemble sur un câble pour obtenir de la nourriture, mais celle-ci est distribuée inégalement entre les partenaires. Dans ces conditions, les paires les plus efficaces sont celles où les capucins alternent les positions, de telle manière que chacun reçoive alternativement la portion la plus avantageuse (Brosnan, Freeman & De Waal 2006). Les paires favorisant systématiquement le même individu cessent bientôt de fonctionner. Il semble que chez les chimpanzés et les bonobos, ce soit surtout la capacité à partager la nourriture qui exerce une contrainte forte sur la coopération, comme le relèvent une série d’expériences rapportées par Brian Hare et Jingzhi Tan (à paraître). Dans une première expérience (Melis, Hare & Tomasello 2006b), deux chimpanzés tirent en même temps sur les deux extrémités d’une corde pour amener vers eux un plateau chargé de nourriture. Si l’un d’eux tire tout seul, cela a pour effet de faire sortir la corde de l’œillet qui la fixe au plateau à l’autre extrémité, son compagnon ne peut plus s’en saisir et toute l’entreprise échoue. 125 pourquoi COOPÉRer Le partage de nourriture, la tolérance alimentaire et la chasse coopérative sont étroitement liés. Les babouins ne chassent pas collectivement et ne partagent pas la nourriture. Ici, un conflit violent oppose deux mâles qui se disputent une carcasse d’antilope. Ce qui contraste fortement avec l’ambiance pacifique qui entoure généralement le partage de viande après une chasse coopérative chez les chimpanzés. Babouins doguera se battant pour une gazelle ; groupe de chimpanzés mangeant un colobe bai. (M. & Chr. Denis-Huot ; J.-P. Ferrero & J.-M. Labat / Biosphoto) Dans le dispositif habituel, de la nourriture est placée à chaque extrémité du plateau de sorte que chaque chimpanzé est récompensé de manière identique. Or, les chimpanzés ne réussissent pas très bien dans cette tâche, contrairement aux capucins. On pourrait croire qu’ils ne comprennent pas bien le rôle de leur partenaire et que les limitations sont cognitives. Il s’agit plus sûrement d’une contrainte émotionnelle. Si on fait préalablement passer à chaque paire de chimpanzés un test de tolérance dans une situation de partage de nourriture, on observe ensuite que la réussite à la tâche coopérative est corrélée positivement avec les résultats au test de tolérance. Les paires formées d’individus qui se tolèrent bien réussissent la tâche. Mieux : lorsqu’un individu d’une paire intolérante est apparié ensuite avec un autre individu pour former une paire tolérante, il résout immédiatement le problème alors qu’il en avait été incapable auparavant. La coopération dépend si étroitement de la tolérance 126 que l’intolérance peut empêcher un individu de réussir une tâche qu’il est pourtant cognitivement capable d’accomplir. Comme dans les expériences de réciprocité, un facteur non cognitif pèse donc lourdement sur une tâche apparemment « purement » cognitive. Dans une perspective comparative, l’équipe menée par Brian P. Hare a proposé le même exercice à des paires de bonobos, après avoir testé leur tolérance dans une tâche de partage alimentaire. Comme les chimpanzés, les paires de bonobos les plus tolérantes se montrent les plus efficaces dans la tâche de coopération. Mais les auteurs notent également une différence spécifique à l’intérieur du groupe des panidés (chimpanzés et bonobos) : les bonobos sont globalement plus tolérants que les chimpanzés. Ceci devient surtout visible quand on modifie légèrement le dispositif expérimental et que la nourriture obtenue est présentée non en deux tas placés à chaque extrémité du plateau mais en un seul tas à partager, placé au milieu. Dans ces conditions, les bonobos réussissent beaucoup mieux que les chimpanzés. Ils mobilisent un répertoire ludique et socio-sexuel absent chez les chimpanzés. Chez ces derniers en revanche, même des individus experts dans la situation où la nourriture était présentée en deux tas échouent à présent qu’elle est offerte sous une forme susceptible d’être accaparée par un seul individu (Hare et al. 2007). Remarquons toutefois que des paires de chimpanzés très tolérantes se montrent capables de « négocier » une situation plus compliquée, où les bénéfices sont inégaux, ce qui implique qu’ils reconnaissent leur dépendance mutuelle (Melis, Hare & Tomasello 2009). Ceci montre une fois encore que coopérer n’est pas, chez les chimpanzés, un acte décontextualisé pouvant survenir avec n’importe quel partenaire, surtout si cela comporte des enjeux en termes d’appropriation de nourriture. Coopérer suppose un certain niveau de confiance et de tolérance relationnelle permettant de partager, et celle-ci se construit probablement à Et pourtant ils coopèrent... travers des interactions quotidiennes. Revenant sur la différence entre chimpanzés et bonobos dans la tolérance au partage alimentaire, Hare et Tan (à paraître) observent qu’elle concerne principalement les mâles et qu’elle est liée au développement : juvéniles, les chimpanzés sont aussi tolérants que les bonobos, mais le sont de moins en moins en grandissant. L’apprentissage de modèles de relations sociales et l’incorporation de ces modèles sous la forme de corrélats hormonaux liés à l’anticipation d’une relation sociale compétitive (chimpanzés) ou socialement interactive (bonobos) 9 semblent ici prépondérants. Une autre étude comparant la tolérance alimentaire chez des chimpanzés et des bonobos en captivité a cependant débouché sur des résultats contraires (Jaeggi et al. 2010) : les chimpanzés sont ici plus tolérants au partage de nourriture et partagent avec plus de partenaires que les bonobos. Les auteurs relient cette différence au style de dominance présent dans les groupes ainsi qu’à la sévérité de la hiérarchie, plus abrupte dans le groupe des bonobos. Il faut donc plutôt concevoir la tolérance alimentaire, non comme un trait inné ou une caractéristique de l’espèce, mais comme le produit des modalités interactives que les individus ont les moyens et la possibilité de construire. énigme – le serpent de mer n’est pas prêt de disparaître. Si l’hypothèse de l’altruisme réciproque est à présent abandonnée, faute de validation empirique, ce n’est pas le cas du paradigme ultradarwiniste ou sélectionniste qui lui a donné naissance. De nombreux « traits adaptatifs » sont en effet aptes aujourd’hui à prendre le relais de l’altruisme réciproque dans les hypothèses sur l’évolution de la coopération, sans remettre en cause le paradigme lui-même. Or, il faut envisager l’hypothèse que la coopération n’ait pas, en tant que telle, fait l’objet d’une sélection, mais que les différentes formes de coopération observées soient le produit de mécanismes plus fondamentaux dont l’histoire évolutive est ancienne, comme le sont l’empathie ou la réciprocité attitudinale. Stephen Jay Gould et Richard C. Lewontin (1979) ont rappelé que la sélection naturelle n’est pas un facteur d’optimisation : tout n’est pas adapté dans le monde naturel, et ce n’est pas parce qu’un comportement ou une particularité anatomique existe et possède une utilité qu’il a forcément fait l’objet d’une sélection. Les généticiens des populations considèrent que chez les espèces à faible taux de reproduction comme les mammifères, la dérive génétique, l’effet fondateur 10 et les contingences historiques et environnementales sont des facteurs explicatifs plus importants que la sélection. Ils ont pour effet d’empêcher la plupart Conclusions des populations de parvenir à des Alors que la coopération entre appa- équilibres de stratégies évolutives rentés ne semble pas poser de pro- stables (Langaney 1999). blème aux biologistes de l’évolution, Les hypothèses sélectionnistes ont l’évolution de la coopération entre aussi tendance, on l’a vu, à transforindividus non apparentés reste une mer les animaux (et les humains) en 9. Voir les études en cours citées par Hare et Tan (à paraître). 10. L’effet fondateur désigne les conditions de fondation d’une colonie d’une espèce. acteurs désengagés dont les motivations sont unanimes : maximiser les bénéfices et diminuer les coûts. Or, ce qui est perdu dans l’opération c’est, précisément, la nature biologique, émotionnelle et psychologique du social, entendu ici au sens de « lien », de « modèles de relation » et de « complexité interactive » incarnés. L’ironie veut que les chimpanzés eux-mêmes, en échouant dans des tâches de réciprocité ou de coopération, destinées au départ à tester des capacités cognitives décontextualisées, nous rappellent que pour eux les échanges sont porteurs de sens et d’enjeux et que la coopération s’inscrit dans une situation particulière (fût-elle la situation expérimentale). Les stratégies se situent dans l’esprit des chercheurs, non dans la tête des chimpanzés. Comme les acteurs humains lorsqu’ils sont pris dans une situation interactive, les chimpanzés n’ont qu’une vision limitée de la situation, obscurcie par leurs propres émotions, leurs hormones, leurs inhibitions, leurs apprentissages et les enjeux qu’ils poursuivent. Là se situe peutêtre l’intérêt d’ouvrir sérieusement la primatologie aux sciences sociales, afin d’y introduire des niveaux de description et d’explication supplémentaires. Il ne s’agit pas de négliger ce que les biologistes nous apprennent de la coopération ou de la réciprocité, mais au contraire de nous appuyer sur ces données pour se demander à quels modèles de relation ces éléments biologiques contribuent une fois qu’ils sont intriqués dans la vie réelle. Pour ce faire, les méthodes et les outils de l’ethnographie semblent particulièrement appropriés. ■ Lorsqu’il conduit la colonie à un complet isolement reproducteur, c’est-à-dire à une cessation d’échange de versions géniques entre l’ensemble des individus de l’espèce, l’effet fondateur peut aller jusqu’à aboutir à la création d’une nouvelle espèce. (Note de la rédaction.) 127 pourquoi COOPÉRer Références bibliographiques A xelrod robert & william d. Hamilton, 1981 « The evolution of cooperation », Science, vol. 211, n° 4489, pp. 1390-1396. Barret louise, G aynor david & S. Peter Henzi, 2002 « A dynamic interaction between aggression and grooming reciprocity among female chacma baboons », Animal Behaviour, vol. 63, n° 6, pp. 1047-1053. Bateson Gregory, 2008 Vers une écologie de l’esprit, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », série « Essais ». Boesch chistophe & hedwige Boesch, 1989 Chalmeau raphaël & alain G allo, 1996 « What chimpanzees (Pan troglodytes) learn in a cooperative task », Primates, vol. 37, n° 1, pp. 39-47. Chalmeau raphaël, Visalberghi elisabetta & alain G allo, 1997 « Capuchin monkeys (Cebus apella) fail to understand a cooperative task », Animal Behaviour, vol.54 , n° 5, pp. 1215-1225. Clutton-Brock tim h., 2009 « Cooperation between non-kin in animal societies », Nature, vol. 462, n° 7269, pp. 51-55. Clutton-Brock tim h. & geoff a. Parker, 1995 « Punishment in animal societies », Nature, vol. 373, pp. 209-216. Disponible en ligne, http://www.anth.ucsb.edu/faculty/gurven/ anth169/punishment_in_animal_societies.pdf [consulté en octobre 2011]. « Hunting behavior of wild chimpanzees in the Taï National Park », American Journal of Physical Anthropology, vol. 78, pp. 547-573. Disponible en ligne, http: / / www.eva.mpg.de / primat / staff / boesch / pdf / am_jour_phys_anth_hunt_ Cords marina & sylvie Thurnheer, 1993 behav.pdf [consulté en octobre 2011]. « Reconciling with valuable partners by long-tailed macaques », Ethology, vol. 93, Bourdieu pierre & loïc Wacquant, 1992 n° 4, pp. 315-325. Réponses. Pour une anthropologie réflexive, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Libre examen ». Crawford Meredith, 1937 « The cooperative solving of problems by Boyd robert & peter j. Richerson, 1992 young chimpanzees », Comparative Psychology « Punishment allows the evolution of Monographs, vol. 14, pp. 1-88. cooperation (or anything else) in sizable groups », Ethology and Sociobiology, vol. 13, De Waal frans b. m., 1997 n° 3, pp. 171-195. Disponible en ligne, « The chimpanzee’s service economy: http: / / www.des.ucdavis.edu / faculty / food for grooming », Evolution & Human richerson / PunishmentAllowsAnything.pdf Behavior, vol. 18, pp. 375-386. [consulté en octobre 2011]. Disponible en ligne, http://www.emory.edu/ Brosnan sarah frances et al., « Chimpanzees (Pan troglodytes) do not develop contingent reciprocity in an experimental task », Animal Cognition, vol. 12, pp. 587-597. Brosnan sarah frances, Freeman cassiopeia & frans b. m. De Waal, 2006 « Partner’s behavior, not reward distribution, determines success in an unequal cooperative task in capuchin monkeys », American Journal of Primatology, vol. 68, pp. 713-724. Disponible en ligne, http://www2.gsu.edu/~psysfb/ Manuscripts/Brosnan%20ajp%202006.pdf [consulté en octobre 2011]. Chalmeau raphaël & alain G allo, 1995 « La coopération chez les primates », L’Année psychologique, vol. 95, n° 1, pp. 119-130. Disponible en ligne, http://www.persee.fr/web/ revues/home/prescript/article/psy_00035033_1995_num_95_1_28810 [consulté en octobre 2011]. 128 Dufour valérie, Pelé marie, Neumann martina, Thierry bernard & josep C all, 2009 « Calculated reciprocity after all. Computation behind token transfers in orang-utans », Biology Letters, vol. 5, pp. 172-175. Disponible en ligne, http://www.emory. edu/living_links/pdf_attachments/orang_ reciprocity.pdf [consulté en octobre 2011]. Dugatkin lee alan, 2002 « Cooperation in animals: an evolutionary overview 1 », Biology and Philosophy, vol. 17, n° 3, pp. 459-476. Goodall jane, 1986 Chimpanzees of Gombe. Patterns of Behaviour, Cambridge, Harvard University Press. Gould stephen jay & richard c. Lewontin, 1979 « The spandrels of San Marco and the Panglossian Paradigm. A critique of the adaptationist programme », The Proceedings of the Royal Society B (Biological Sciences), vol. 205, n° 1161, pp. 581-598. Hamilton william d., 1964 « The genetical evolution of social behaviour I & II », Journal of Theoretical Biology, vol. 7, n° 1, pp. 1-52. living_links/pdf_attachments/The%20 Chimpanzees%20Service%20Ec.pdf [consulté en 2011]. Hare brian et al., 2007 « Tolerance allows bonobos to outperform chimpanzees on a cooperative task », Current Biology, vol. 17, n° 1-5, pp. 619-623. Disponible en ligne, http://www. psychologytoday.com/files/ attachments/40316/bonobos-bettercooperators-chimpanzees.pdf [consulté en octobre 2011]. De Waal frans b. m., 2000 « Attitudinal reciprocity in food sharing among brown capuchin monkeys », Animal Behaviour, vol. , pp. 253-261. Disponible en ligne, http://www.emory.edu/living_links/ pdf_attachments/dewaal_capuchin_2000.pdf [consulté en octobre 2011]. Hare brian & jingzhi Tan, à paraître « How much of our cooperative behavior is human? », in Frans B. M. De Waal & Pier Francesco Ferrari (dir.), The Primate Mind. Built to Connect With Other Minds, actes du colloque éponyme (Erice, Sicile, 4-7 juin 2009), Cambridge, Harvard University Press. De Waal frans b. m., 2008 « Putting the altruism back into altruism. The evolution of empathy », The Annual Review of Psychology, vol. 59, pp. 279-300. Hauser marc d., Chen m. keith, Chen frances & emmeline Chuang, 2003 De Waal frans b. m. & malini Suchak, 2010 « Prosocial primates: selfish and unselfish motivations », Philosophical Transactions of The Royal Society B (Biological Sciences), vol. 365, n° 1553, pp. 2711-2722. « Give unto others: genetically unrelated cotton-top tamarin monkeys preferentially give food to those who altruistically give food back », The Proceedings of the Royal Society B (Biological Sciences), vol. 270, n° 1531, pp. 2363-2509. Et pourtant ils coopèrent... Hemelrijk charlotte k . & jutta Steinhauser, 2007 « Cooperation, coalition, alliances », in Winfried Henke & Ian Tattersall (dir.), Handbook of Paleoanthropology, vol. 2, Primate Evolution and Human Origins, pp. 1321-1346. Jaeggi adrian. v., Stevens jeroen m. g. & carel p. Van Schaik, 2010 « Tolerant food sharing and reciprocity is precluded by despotism among bonobos but not chimpanzees », American Journal of Physical Anthropology, vol. 143, n° 1, pp. 41-51. Jensen keith, Hare brian, C all josep & michael Tomasello, 2006 Noë ronald, 1990 « A veto game played by baboons. A challenge to the use of the Prisoner’s Dilemma as a paradigm for reciprocity and cooperation », Animal Behaviour, vol. 39, pp. 78-90. Disponible en ligne, http : / / www.cs.umbc.edu / ~msmith27 / readings / public / noe-1990a.pdf [consulté en octobre 2011]. Noë ronald & peter Hammerstein, 1994 « Biological markets: supply and demand determine the effect of partner choice in cooperation, mutualism, and mating », Behavioral Ecology and Sociobiology, vol. 35, n° 1, pp. 1-11. « What’s in it for me? Self-regard precludes altruism and spite in chimpanzees », Proceedings of the Royal Society B (Biological Sciences), vol. 273, n° 1589, pp. 1013-1021. Packer craig, 1977 « Reciprocal altruism in Papio anubis », Nature, vol. 265, n° 5593, pp. 441–443. Koyama nicola f., C aws clare & filippo Aureli, 2006 « Bottlenose dolphins (Tursiops truncatus) prefer to cooperate when petted. Integrating proximate and ultimate explanations ii », Journal of Comparative Psychology, vol. 123, n° 1, pp. 45-55. « Interchange of grooming and agonistic support in chimpanzees », International Journal of Primatology, vol. 27, n° 5, pp. 1293-1309. L anganey andré, 1999 La Philosophie biologique, Paris, Belin, coll. « Regards sur la science ». Melis alicia p., Hare brian & michael Tomasello, 2006a « Chimpanzees recruit the best collaborators », Science, vol. 311, n° 5765, pp. 1297-1300. Melis alicia p., Hare brian & michael Tomasello, 2006b « Engineering cooperation in chimpanzees: tolerance constraints on cooperation », Animal Behaviour, vol. 72, n° 2, pp. 275-286. Melis alicia p., Hare brian & michael Tomasello, 2008 « Do chimpanzees reciprocate received favours? », Animal Behaviour, vol. 76, n° 3, pp. 951-962. Melis alicia p., Hare brian & michael Tomasello, 2009 « Chimpanzees coordinate in a negotiation game », Evolution & Human Behavior, vol. 30, n° 6, pp. 381-392. Mendres kimberly a. & frans b. m. De Waal, 2000 « Capuchins do cooperate. The advantage of an intuitive task », Animal Behaviour, vol. 60, n° 4, pp. 523-529. Perelberg amir & richard Schuster, 2009 Stammbach eduard, 1988 « Group responses to specially skilled individuals in a Macaca fascicularis group », Animal Behaviour, vol. 107, n° 3-4, pp. 241-266. Trivers robert l ., 1971 « The evolution of reciprocal altruism », The Quarterly Review of Biology, vol. 46, n° 1, pp. 189-226. Warneken felix, Hare brian, Melis alicia p., Hanus daniel & michael Tomasello, 2007 « Spontaneous altruism in chimpanzees and children », Public Library of Science Biology, vol. 5, n° 7, e184. Disponible en ligne, http: / / www.plosbiology.org / article / info:doi / 10.1371 / journal.pbio.0050184 [consulté en octobre 2011]. Wilkinson gerald s., 1984 « Reciprocal food sharing in vampire bat », Nature, vol. 308, pp. 181-184. Renck jean-luc & véronique Servais, 2002 L’Éthologie. Histoire naturelle du comportement, Paris, Éditions du Seuil, coll. « Points », série « Sciences ». Rutte claudia & michael Taborski, 2007 « The influence of social experience on cooperative behaviour of rats (Rattus norvegicus). Direct vs generalised reciprocity », Behavioral Ecology and Sociobiology, vol. 62, n° 4, pp. 499-505. Schino grabriele, 2007 « Grooming and agonistic support: a metaanalysis of primate reciprocal altruism », Behavioral Ecology, vol. 18, n° 1, pp. 115-120. Schino gabriele & filippo Aureli, 2008 « Grooming reciprocation among female primates: a meta-analysis », Biology Letters, vol.4, n° 1, pp. 9-11. Seyfarth robert m. & dorothy l . Cheney, 1984 « Grooming, alliances and reciprocal altruism in vervet monkeys », Nature, vol. 308, n° 5959, pp. 541-543 . Silk joan b. et al., 2005 « Chimpanzees are indifferent to the welfare of unrelated group members », Nature, vol. 437, n° 4243, pp. 1357-1359. 129