POURQUOI C`EST SI DUR DE CHANGER ?

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POURQUOI C`EST SI DUR DE CHANGER ?
POURQUOI C’EST SI DUR DE CHANGER ?
Bruno Jarrosson, Bernard Jaubert, Philippe Van den Bulke
Les idées reçues sur le changement
1. Le changement s’oppose à la conservation.
Nous n’aimons pas le changement a priori, en tout cas pas quand il signifie perte de ce que
nous aimons. Or, pour conserver ce à quoi nous sommes le plus attachés, nous devons être
capables de changer des choses auxquelles nous sommes moins attachés. Ces changements
s’inscrivent donc dans un objectif plus large de conservation ! Je veux bien changer A pour
conserver B auquel je tiens davantage qu’à A.
En outre, la conservation n’a pas d’intérêt en soi si elle n’a pas pour objectif le
changement ! Si je veux conserver ma bonne santé, ce n’est pas pour le plaisir de me
conserver mais c’est pour garder ma capacité de produire du changement dans ce monde !
Décidément, conservation et changement marchent ensemble !
Vous ne pouvez vendre le changement que si vous l’associez à la conservation.
2. Il faut s’adapter au changement.
Si l’homme des cavernes s’était bien adapté à sa caverne, il y serait resté ! Comme les
animaux qui savent remarquablement s’adapter à leur milieu naturel.
Bien plus que sur l’adaptation, la capacité de changement de l’homme est fondée sur son
imagination et sur ses capacités de projection.
Nous sommes des machines à penser ce qui n’est pas.
Dans l’idée d’adaptation, je prends le monde tel qu’il est et j’essaie de faire avec. Dans
l’idée de projection, j’essaie de changer le monde à partir de l’idée de quelque chose qui
n’existe pas encore.
Un changement réussi consiste d’une part à prendre en compte toutes les contraintes et
d’autre part à élaborer un projet à partir d’une idée qui peut changer certaines des
contraintes de la réalité.
Celui qui n’est que dans l’adaptation court à la mort stratégique !
3. Pour conduire le changement, il faut vaincre la résistance au changement.
Personne ne résiste à un changement qui sert ses intérêts !
Par ailleurs une organisation est une structure de résistance au changement : on fige les
processus qui fonctionnent.
De la même façon, une structure vivante est une structure de résistance au changement,
première condition de la survie. Vivre, c’est maintenir une structure fixe en dépit des
changements de l’environnement. Vivre, ce n’est pas s’adapter, c’est résister !
A l’inverse, mourir c’est s’adapter à son environnement en se fondant en lui, c’est cesser
de résister.
La vie est une structure qui produit du changement en résistant au changement.
Pour réussir le changement, il va donc falloir faire fonctionner ensemble des réalités que
nous avons tendance à considérer de prime abord comme contradictoires.
Le changement de l’autre
Dans l’univers économique (mais c’est aussi vrai dans la sphère personnelle ou familiale),
notre capacité à produire de la valeur n’est pas simplement liée à notre performance
personnelle mais aussi à notre capacité à entrer en coopération avec les autres.
Comment alors amener l’autre à faire ce que je souhaite plutôt que ce qu’il souhaite ?
Trois types de stratégie se dégagent :
1. L’autorité :
Elle s’inscrit dans un rapport de forces. Or la première condition pour s’engager
dans un rapport de forces et en sortir avec succès est d’être le plus fort. La seconde
condition est de ne pas avoir besoin de l’autre plus tard. Car l’épreuve de forces
rompt durablement la coopération.
2. La persuasion :
Elle postule que nous conformons nos actes à nos croyances, qu’il n’y a qu’une seule
cause à un comportement et que cette cause est la croyance. Or si un fumeur fume,
ce n’est en général pas parce qu’il croit que c’est bon pour sa santé, c’est parce
qu’il en a envie. Donc si vous lui expliquez que c’est mauvais pour sa santé, vous
risquez de ne pas arriver à le persuader d’arrêter ! Parce que ce n’est pas pour
cette raison-là qu’il fume. Au-delà de cette croyance (partagée) il y a une raison
plus forte qui l’incite à ne pas la respecter.
3. L’engagement :
Ce que chacun fait dépend en partie de ce qu’il est mais aussi en grande partie des
circonstances dans lesquelles il est amené à agir.
Cf l’expérience menée par Robert Vincent Joule : seuls 20% des gens rendent son
billet à quelqu’un qui l’a perdu par mégarde. On pourrait en déduire que 80% des
gens sont malhonnêtes. Toutefois, si l’on refait l’expérience en introduisant un
événement supplémentaire avant la perte du billet, les chiffres sont différents. En
l’occurrence le test introduit une autre personne qui demande son chemin à la
personne dont on veut mesurer l’honnêteté. Dans tous les cas, cette dernière lui
indique bien volontiers (c’est juste de l’autre côté de la place). Puis reprend son
chemin et tombe sur la personne perdant son billet… Dans ce cas de figure, ce sont
40% des gens qui rendent le billet ! Si l’on fait encore varier l’expérience en
demandant à la personne cherchant son chemin de faire semblant de mal
comprendre (par exemple c’est un étranger qui fait répéter), du coup l’échange est
plus long et dans ce cas, le taux de gens honnêtes monte à 60%. Dernière étape :
cette fois-ci l’étranger ne comprend vraiment pas et son interlocuteur se sent obligé
de l’accompagner de l’autre côté de la place. Après cette bonne action, ce sont 80%
des personnes qui rendent alors son billet à celle qui l’a perdu !!! On est passé de
20% à 80% de comportements honnêtes !
D’où l’on voit que ce que font les gens dépend de ce qu’ils sont, certes, mais pas
seulement. Cela dépend tout autant des circonstances dans lesquelles ils sont amenés à
agir. L’expérience montre que ce que nous faisons – nos décisions – produit une certaine
adhérence. Nous avons tendance à reproduire les comportements que nous venons d’avoir.
Si j’ai été serviable une fois, j’aurai tendance à être plus serviable par la suite. Robert
Vincent Joule appelle ce principe de dépendance de la croyance à l’acte le principe de
rationalisation qui fonctionne en symétrique du principe de rationalité : je n’agis pas en
fonction de ce que je crois, j’ai plutôt tendance à croire en fonction des actions que j’ai
menées.
Ce qui fait que les gens sont d’accord avec le changement, c’est qu’ils commencent à
agir ! L’adhésion n’est pas nécessairement le préalable au changement, elle peut se
construire DANS le changement.
Du coup, la question du changement n’est pas tant de créer l’adhésion que de susciter
l’engagement. Ce qui fait que l’on change c’est qu’on commence à changer !
Le changement dans les organisations
Un problème de communication ?
Quand on interroge les dirigeants sur un échec stratégique, ils répondent
invariablement que le plan était brillant mais que malheureusement les gens en-dessous
étaient trop bêtes pour le mettre en œuvre correctement. Curieux comme des gens aussi
intelligents n’aient pas intégré cet élément dans leur plan stratégique ! La communication
a bon dos…
C’est au contraire PARCE QUE les gens sont intelligents qu’ils refusent le changement. Une
organisation ne fonctionne pas avec des pions mais avec des acteurs. Or un acteur est
compliqué parce que c’est une personne avec des dimensions multiples. Et la réalité de
l’acteur n’est connaissable que sur le terrain de l’acteur. Un changement avec des acteurs
se négocie bien plus qu’il ne se communique.
Négocier, c’est modifier les contraintes et les ressources. Définir et mettre en œuvre une
stratégie, c’est cheminer habilement vers un objectif dans un champ de contraintes en
optimisant des ressources.
Un changement nécessite de la coopération donc de la confiance.
Une erreur courante est de trop s’occuper des opposants systématiques que de toute façon
on ne convaincra jamais ; et de négliger ceux qu’on pourrait convaincre mais qui ont
besoin d’être engagés dans le processus de changement. La confiance ne désarme pas les
acteurs qui préfèrent le conflit. De ce point de vue, le conflit est une façon de ne pas
changer.
Une voie dans ce cas est le recadrage créatif. Par exemple Atatürk voulait éviter le port du
voile en Turquie. Plutôt que de s’opposer frontalement aux partisans du voile (par un
décret ou tout autre acte autoritaire) il a pris le problème différemment et… imposé le
port du voile aux prostituées ! Très efficace !
La procédure et le changement
Le propre du management est de gérer de l’action transformatrice.
Transformer c’est faire évoluer. Or le professionnalisme s’incarne avant tout dans la
répétition : savoir faire, c’est savoir refaire. Comment alors sauvegarder le bon geste
professionnel tout en le faisant évoluer ?
Par ailleurs, vouloir agir sur le facteur humain c’est intervenir sur du vivant, qui continue à
bouger après que l’on est intervenu. Or le temps humain, en particulier le temps de
l’apprentissage et de la connaissance, c’est du temps long. Comme le remarquait Henri
Bergson, si je veux boire mon café sucré, j’ai beau m’impatienter, il me faut attendre que
le sucre fonde… On peut aller vite pour décider mais pas pour changer. Et plus il y a
d’interactions, plus il faudra du temps pour conduire le changement.
Les raisons que l’on se donne de changer
L’homme est rationalisant avant d’être rationnel : s’il change son comportement, il
trouvera de bonnes raisons de l’avoir fait ! Et si ça marche, il changera de plus en plus,
cela deviendra de l’engagement. Il pourra même demander des formations pour mieux
faire ce qu’il a déjà commencé à faire.
La distribution des rôles
Ensuite, si l’on veut survivre dans la complexité, il faut accepter une part d’improvisation.
Avec le changement, on réécrit la pièce. Et soudain, on ne sait pas si on va aimer les
nouveaux rôles. Beaucoup de gens attendent qu’on leur explique le scenario jusqu’au bout
pour s’engager. Or par définition il n’est pas encore écrit : on donne les grandes
orientations, on donne le signe d’un basculement vers quelque chose de nouveau mais on
ne distribue pas la pièce, les acteurs vont devoir l’écrire eux-mêmes en la jouant. Ce qui
suscite naturellement quelques résistances…
Une pièce en quête d’acteurs
Les acteurs voient d’abord ce qu’ils perdent.
A ce stade, ils ont trois revendications systématiques :
- Une demande d’égalité, en tout cas d’équité dans le traitement de chacun face au
changement
- Une demande de reconnaissance du mérite : souvent on ne respecte pas assez ce
que les gens ont été jusque là
- Une demande d’autonomie, un minimum de latitude d’action dans le nouveau cadre
imposé.
Comme elles ne sont jamais toutes remplies pour chacun des acteurs, le changement
s’accompagne d’un sentiment d’injustice.
D’ailleurs le changement est injuste au fond car l’acteur dévoué a développé l’entreprise
et c’est d’ailleurs parce qu’il l’a développée qu’il n’est plus à la hauteur. Il va falloir
accepter d’être coiffé par quelqu’un qui a la capacité de tenir ce rôle dans la nouvelle
complexité. On ne crée pas un monde juste mais une entreprise plus performante.
Le bon schéma pour passer du connu à l’inconnu s’articule autour du triptyque :
Informer > faire participer (les « procédures d’implication ») > donner de l’autonomie.
L’autonomie
Les gorilles vivent en tribu, centrée sur le mâle dominant, dans un environnement fermé.
Tandis que les chimpanzés vivent en lisière des forêts, dans un environnement ouvert.
Lorsqu’un danger survient, celui ou celle qui détient l’information du danger, même s’il
s’agit d’une femelle impubère, envoie un signal à l’ensemble de la tribu qui va alors
s’abriter dans la forêt. Chez les chimpanzés, l’individu qui détient l’information, quel que
soit son statut, a le pouvoir d’assurer la protection de la communauté. Et les chimpanzés
survivent là où les gorilles, pourtant beaucoup plus forts, disparaissent.
Les entreprises aujourd’hui ont besoin d’autonomie pour survivre. Elles doivent mettre le
client au centre, sinon il va voir ailleurs. La mission première de la ligne hiérarchique n’est
donc plus de détenir un savoir pour asseoir sa position mais de créer les conditions de la
performance pour celui qui se trouve en face du client.
Une organisation est toujours un mélange de dur et de mou : le dur, c’est la responsabilité
impartie à chacun (qui fait quoi ?) ; le mou, c’est l’ensemble des relations que chacun tisse
au sein des structures.
Mouvement perpétuel
La vie de l’entreprise est un mouvement perpétuel :
1. Impliquer : en inspirant, en créant de la confiance et en étant clair sur les
rôles et responsabilités.
2. Aligner : tout le monde se met en phase pour optimiser l’exécution.
3. Déployer : si l’action est cadrée et cohérente, la performance est au RV.
Comme les gens se sont approprié la contrainte d’exécution, ils peuvent
bénéficier de davantage d’autonomie pour tirer l’énergie et la reconnaissance
qui les rendra capables de recommencer.
La boucle est bouclée ; l’organisation est agile et réactive.
Renouvellement et conservation
N’importe quel système vivant est préoccupé d’une seule chose : le maintien de son état.
Les outils de lecture dont il dispose sont internes ; c’est le principe d’auto-référence. Or
est-ce bien ainsi qu’il faut voir les choses ? Est-ce que l’on ne pourrait pas penser
autrement ? Apprendre à apprendre (l’apprentissage « double loop »), c’est être capable
de remettre en question ses outils de lecture pour les valider.
Or l’organisation préfère souvent la cohérence interne donc l’immobilisme à la prise en
compte des contraintes nouvelles. Et plus l’organisation est puissante, plus elle risque
d’assurer en priorité son propre fonctionnement au détriment des attentes de ses clients.
Le dilemme du manager
Dans ce contexte de changement perpétuel, le rôle du manager est de développer ses
collaborateurs, c’est-à-dire les aider à se développer… jusqu’à un certain point pour qu’ils
acquièrent leur autonomie ! (NDLR : cf le rôle du coach !)
En conclusion
Pour survivre sur une mince couche de glace il faut patiner vite !
Il n’y a que deux types de compagnies : celles qui sont en train de changer et celles qui
ferment ! Les organisations pérennes sont celles qui arrivent à se mettre en tension
positive.
En s’appuyant sur 3 qualités dans la conduite du changement :
- L’intelligence, qui permet d’ajuster l’action
- La gentillesse, « ce stade suprême de l’intelligence » selon Victor Hugo
- Le courage enfin qui seul permet de prendre les décisions difficiles.
Trois qualités banales certes mais rarement réunies en une seule personne.