HB basisdocument - Houthoff Buruma

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HB basisdocument - Houthoff Buruma
Journal de droit européen - No 150 - 6/2008
COMMENTAIRE
Le transit de produits par le territoire communautaire
Dans un contexte où les échanges commerciaux s’intensifient de plus en
plus entre les différentes parties du globe, la délimitation entre la protection des opérateurs commerciaux et celle des titulaires de marque dans le
cadre du transport international de marchandises est une question cruciale.
Il est essentiel de trouver un juste équilibre entre la protection nécessaire des titulaires de marque et la lutte contre la contrefaçon, d’une
part, et les intérêts des opérateurs commerciaux, d’autre part, de pouvoir
transporter des marchandises licites sans être exposé en permanence à
l’intervention des services douaniers des Etats par lesquels lesdites marchandises transitent avant d’atteindre leur destination finale.
Cette question fait depuis plusieurs années l’objet d’une jurisprudence
intéressante et évolutive de la Cour de justice des Communautés européennes. La dernière pierre de cet édifice jurisprudentiel a été posée
dans un arrêt de novembre 2006, dans lequel la Cour de justice a étendu
le champ d’application de la solution qu’elle avait adoptée en octobre
2005 dans le cadre de l’arrêt Class International [1].
025/1991231.2
Dans son arrêt du 9 novembre 2006 concernant l’affaire Montex c. Diesel
[2], la Cour a précisé sa jurisprudence sur l’étendue du droit des titulaires de marque de s’opposer au transit de biens sur lesquels sont apposées leurs marques dans le territoire communautaire. En l’occurrence,
la Cour fut amenée à juger si la circonstance que les biens en transit
étaient des biens contrefaits devait la conduire à une conclusion différente de celle adoptée dans son arrêt Class International [3] à propos de
produits authentiques. Après un court exposé des faits de l’arrêt Montex
et un rappel du contexte jurisprudentiel de cette affaire, nous nous
pencherons sur les enseignements et les incertitudes auxquels cet arrêt
de la Cour nous confronte et analyserons son application dans les Etats
membres.
Les faits
Ce litige oppose la société Diesel SpA (ci-après, « Diesel »), titulaire des
marques de renommée du même nom à la société Montex Holdings Ltd.
(ci-après, « Montex »). Montex est une société irlandaise qui fabrique et
distribue des pantalons jeans dont certains reproduisent des signes
identiques aux marques de Diesel. Elle exportait les différentes pièces
composant les produits finaux, en ce compris les signes distinctifs des
titulaires de marques telles que Diesel, au moyen de la procédure de
scellement douanier depuis l’Irlande vers la Pologne. Les produits finaux
y étaient assemblés dans une usine avant d’être réacheminés en Irlande,
par camion, via le territoire allemand. Les jeans devaient ensuite être
vendus en Irlande où Diesel ne dispose d’aucune protection ni de sa
marque verbale ni de sa marque figurative. Par contre, la marque verbale
Diesel ainsi que certaines de ses marques figuratives étaient protégées
en Allemagne.
Le 31 décembre 2000, alors que la Pologne ne faisait pas encore partie
de l’Union européenne, les autorités douanières allemandes ont intercepté et retenu une cargaison de jeans portant la dénomination Diesel
destinés à Montex, en application de l’article 9 du règlement CE
no 1383/2003 du Conseil du 22 juillet 2003 concernant l’intervention
des autorités douanières à l’égard de marchandises soupçonnées de porter atteinte à certains droits de propriété intellectuelle ainsi que les mesures à prendre à l’égard de marchandises portant atteinte à certains
droits de propriété intellectuelle (ci-après, le « règlement 1383/2003 »).
Les produits soupçonnés de porter atteinte à un droit de propriété intellectuelle se trouvaient effectivement dans une des situations visées par
l’article 1er, § 1er, du règlement 1383/2003, devant en l’occurrence être
transportés sous le régime douanier suspensif du transit externe [4] du
bureau des douanes polonais à celui de Dublin. Ils devaient donc être
transportés en transit ininterrompu jusqu’à leur arrivée à destination en
Irlande et ils étaient protégés contre un éventuel vol durant le transit
grâce au scellement du véhicule de transport effectué par
l’administration polonaise.
Montex s’est opposée à l’ordre de rétention des autorités allemandes, estimant que le simple transit de ces marchandises sur le territoire allemand — Etat dans lequel la marque Diesel est enregistrée — n’enfreint
aucun des droits conférés par ladite marque.
Diesel, quant à elle, considère, que ledit transit de ces marchandises de
contrefaçon viole ses droits de marque en raison du risque qu’elles y
soient commercialisées.
Le contexte jurisprudentiel européen
Dans l’arrêt Montex, la Cour de justice rappelle certains principes énoncés dans sa jurisprudence antérieure. Elle énonce notamment que le
transport de produits non communautaires sous le régime douanier
suspensif du transit externe repose sur une fiction juridique. Les marchandises placées sous ce régime ne sont encore soumises ni aux droits
à l’importation ni aux autres mesures de politique commerciale, comme
si elles n’avaient pas encore accédé au territoire communautaire [5]. La
Cour renvoie sur ce point à son arrêt Polo c. Lauren de 2000 [6]. Par ailleurs, notons que dans cet arrêt, la Cour avait souligné que le règlement
1383/2003 avait expressément vocation à s’appliquer aux marchandises
qui transitent par le territoire communautaire en provenance d’un pays
tiers et à destination d’un autre pays tiers, estimant à juste titre que des
marchandises de contrefaçon placées sous le régime du transit externe
risquent d’être frauduleusement introduites sur le marché communautaire [7].
La Cour rappelle également avoir jugé dans son arrêt Rioglass que le
transit de marchandises fabriquées légalement dans un Etat membre
vers un Etat tiers, qui traversent le territoire d’un ou de plusieurs Etats
membres, n’implique aucune commercialisation des marchandises concernées et n’est donc pas susceptible de porter atteinte à l’objet spécifique du droit de la marquee [8]. Le simple transit de produits sous le
régime douanier suspensif du transit externe ne conduit pas à un usage
de la marque dans le territoire communautaire. A ce titre, la Cour a jugé,
dans son arrêt Class International [9], que le titulaire de marque ne peut
pas s’opposer au transit de produits de marque authentiques qui n’ont
pas encore été mis en circulation dans le marché communautaire avec le
consentement du titulaire de marque.
En revanche, la Cour rappelle qu’à l’occasion de ce dernier arrêt, elle
avait jugé que le titulaire de marque pouvait s’opposer à l’offre ou à la
vente de produits authentiques revêtus de sa marque et ayant le statut
douanier de marchandises non communautaires, lorsque l’offre est faite
ou la vente réalisée pendant que les marchandises sont placées sous le
régime du transit externe ou celui de l’entrepôt douanier et qu’elle im-
plique nécessairement la mise dans le commerce de celles-ci dans la
Communauté. La charge de la preuve de la mise en libre pratique des
marchandises non communautaires revêtues de sa marque dans un Etat
membre dans lequel la marque est protégée ou de tout autre acte impliquant nécessairement leur mise dans le commerce dans un tel Etat
membre repose néanmoins sur le titulaire de marque.
Dans le cas d’espèce, Diesel ne prouvait pas l’existence d’un tel acte effectué pendant que les produits étaient placés sous le régime du transit
externe qui impliquerait nécessairement leur mise dans le commerce
dans la Communauté.
La Cour rejeta ainsi la thèse de Diesel selon laquelle le risque que les
marchandises ne parviennent pas à leur destination et que celles-ci
puissent théoriquement faire l’objet d’une commercialisation frauduleuse
en Allemagne serait suffisant pour considérer que le transit porte atteinte aux fonctions essentielles de la marque en Allemagne.
Les enseignements de l’arrêt Montex
L’arrêt Montex présente une extension très nette de la solution adoptée
par la Cour dans l’arrêt Class International. Alors même que ce dernier
arrêt représentait déjà une avancée significative dans la limitation des
possibilités des titulaires de marque de retenir des marchandises en
transit, l’arrêt Montex dresse un nouvel obstacle de taille que ces derniers éprouveront des difficultés à contourner.
Avant ces arrêts, les juridictions des Etats membres semblaient ignorer
la distinction entre, d’une part, les concepts d’importation et
d’exportation et, d’autre part, la notion d’introduction physique de marchandises sur le territoire communautaire. Dans le cadre de la protection des droits des titulaires de marque, la circonstance que des marchandises aient été physiquement introduites sur le territoire
communautaire sans avoir satisfait aux formalités administratives
d’importation (par exemple, un placement sous le régime douanier externe du transit) ne constituait pas, selon les cours et tribunaux, une
circonstance pertinente empêchant les titulaires de marques de retenir
cette marchandise [10].
Par exemple, la Belgique n’avait pas, jusqu’il y a peu, transposé le règlement no 1383/2003, lequel renvoie vers le droit national lorsque les ser-
vices de douane suspectent être en présence de biens de contrefaçon [11]. Lorsqu’une telle marchandise circulait sur le territoire belge, les
titulaires de marque se basaient sur l’ancienne loi du 1er avril 1879 concernant les marques de fabrique et de commerce qui sanctionnait sans
distinction « ceux qui ont sciemment vendu, mis en vente ou en circulation des produits revêtus d’une marque contrefaite ou sciemment apposée » [12] pour déterminer s’il y avait eu violation de leurs droits de marque. Aucune distinction n’était effectuée entre l’importation, la mise sur
le marché ou le placement sous régime suspensif de marchandises de
contrefaçon [13].
Cette interprétation est à présent catégoriquement rejetée par la Cour de
justice : le titulaire ne peut pas, sur la base du droit des marques,
s’opposer au simple transit de biens, sauf à démontrer que les biens en
question vont nécessairement être mis en circulation dans le commerce
communautaire. C’est à cette seule condition que le titulaire de marque
a le droit de s’opposer au transit desdits produits.
Par ailleurs, la Cour a également précisé que le fait que les produits concernés aient été fabriqués légalement dans le pays d’origine ou en violation d’un droit de marque du titulaire et qu’ils proviennent d’un Etat associé à l’Union européenne ou d’un Etat tiers étaient sans pertinence à
cet égard [14]. Par contre, la solution serait assurément différente si les
produits concernés provenaient d’un Etat membre. En effet, ainsi qu’il a
été rappelé par la Cour de justice dans un arrêt du 7 janvier 2004 [15], si
les marchandises sont d’origine communautaire, elles sont considérées
comme déjà mises en libre pratique douanière puisqu’elles ont acquis le
statut de marchandises communautaires sur le territoire douanier de la
Communauté. La Cour avait d’ailleurs énoncé en ce sens que le règlement 3295/94 [16] (abrogé et remplacé par le règlement 1383/2003) ne
visait pas les marchandises de contrefaçon fabriquées ou mises sur le
marché dans la Communauté mais seulement celles en provenance de
pays tiers [17].
Une autre question subsiste néanmoins : la solution serait-elle identique
si la marque concernée était protégée dans l’Etat de destination finale de
ces biens en transit [18]? Une réponse spontanée ne saurait être que
négative. Il est en effet raisonnable de conclure qu’à partir du moment
où la destination finale des marchandises est connue et qu’il est certain
que lesdites marchandises constituent des contrefaçons dans le pays où
elles vont être commercialisées, le titulaire de marque est en droit de
faire procéder à leur saisie et ce, même si ces marchandises sont placées
sous un régime douanier externe et n’ont dès lors pas encore été mises
en circulation dans le commerce communautaire.
Néanmoins, une telle réponse se heurte à deux obstacles :
• Il est tout d’abord très courant que la destination finale des produits
saisis ne soit pas connue au moment de la saisie. En effet, si la destination vers laquelle les marchandises transitent est généralement connue,
cela ne signifie pas pour autant que les marchandises vont être
dédouanées et mises en circulation à cet endroit. Il est très courant que
les marchandises soient stockées dans un entrepôt douanier et
ultérieurement transportées vers une autre destination finale non encore
connue — ou à tout le moins inconnue des autorités douanières et du
titulaire de marque — au moment de la saisie. Il sera, dans ce cas, difficile de prouver que la future mise en circulation de ces marchandises
impliquera nécessairement une violation des droits du titulaire de marque dès lors que les marques en question pourraient ne pas être
protégées dans le pays de destination finale [19]. Cette difficulté est par
contre purement théorique et facilement contournable pour les titulaires
de marques de renommée internationale protégées au niveau mondial.
En effet, dans ce cas, la saisie de telles marchandises serait légitime peu
importe la destination finale [20].
• En outre, la réponse de la Cour dans l’arrêt Montex c. Diesel n’offre pas
une réponse claire en ce qui concerne l’importance à accorder à la protection effective de la marque dans le territoire où les marchandises vont
effectivement être commercialisées. Deux écoles s’affronteront donc à ce
sujet. Pour les titulaires de marque, le fait que les jeans ne soient pas
protégés en Irlande a manifestement influencé la décision de la Cour. Les
négociants internationaux, pour paraphraser Olav Schmutzer, affirmeront pour leur part qu’une incertitude règne encore à propos de
cette problématique et qu’il sera encore nécessaire de déterminer si la
solution retenue par la Cour dans cette affaire est tributaire du contexte
spécifique de cette espèce ou est aussi catégorique qu’elle en a l’air [21].
Application dans les Etats membres
A la connaissance des auteurs, la solution retenue par la Cour dans
l’arrêt Class International n’a été appliquée par les juridictions belges
qu’à une reprise [22], dans le cadre d’une procédure en référé devant le
tribunal de commerce d’Anvers [23]. Dans cette affaire, Unilever, titulaire
de la marque Lux, a fait procéder à la saisie de blocs de savon portant
cette marque. Ces produits étaient destinés au marché indonésien et se
trouvaient dans le port d’Anvers sous le régime suspensif du transit externe. Les produits en question étaient des produits authentiques mais
n’étaient pas destinés à être mis sur le marché communautaire.
Le juge des référés a appliqué strictement l’arrêt Class international en
jugeant qu’un « titulaire de marque ne peut pas s’opposer à la simple introduction dans la Communauté européenne sous le régime du transit
externe de produits de marque authentiques qui n’ont pas été mis sur le
marché dans la Communauté européenne par ce titulaire ou avec sa
permission » (traduction libre). Le juge ajoute qu’il n’y a violation des droits de marque du titulaire qu’en deux circonstances : « (1) la mise en libre
circulation des marchandises; (2) l’offre à la vente ou la vente de marchandises de telle manière que celle-ci implique nécessairement la commercialisation dans la Communauté européenne » (traduction libre).
Le juge conclut en postulant que la preuve de cette violation repose sur
le titulaire de marque qui l’invoque. En l’espèce, le juge estime
qu’Unilever n’a pas apporté d’éléments suffisants permettant de considérer que les droits de marque d’Unilever ont été violés.
Aux Pays-Bas, les cours et tribunaux ont aussi eu l’occasion de se
pencher sur cette question. La cour d’appel de La Haye [24] a, par exemple, débouté l’entreprise bien connue Nike en se référant largement à
l’arrêt Class International. En l’espèce, des chaussures avaient été produites dans les Emirats arabes unis et avaient été saisies aux Pays-Bas.
Nike avait remis en cause le trajet emprunté par les chaussures, affirmé
que les chaussures n’étaient certainement pas destinées à être livrées en
Egypte au vu du trajet effectué par les produits litigieux et argué que la
facture déposée au dossier établissant la vente des produits litigieux à
un acheteur égyptien était un faux. La cour d’appel de La Haye a débouté Nike car celle-ci, sur qui repose la charge de la preuve, n’avait pas
prouvé à suffisance (« onvoldoende aannemelijk gemaakt ») l’importation
et la vente des produits litigieux aux Pays-Bas, dans la Communauté ou
dans l’E.E.E. [25]. En outre, la cour d’appel de La Haye estime qu’il n’est
pas établi que la facture déposée constitue un faux.
Dans une autre affaire opposant Bacardi à un opérateur actif dans
l’import-export de denrées de luxe [26], le tribunal de première instance
section civile de Rotterdam a également strictement appliqué la solution
de la Cour de justice. En l’espèce, l’opérateur s’opposa avec succès à une
saisie opérée par Bacardi car cette dernière n’avait pas établi à suff-
isance que les produits saisis seraient nécessairement commercialisés
dans l’Espace économique européen. Les arguments avancés par Bacardi
selon lesquels l’opérateur était depuis longtemps actif dans le commerce
parallèle non autorisé, que les produits se trouvaient au moment de leur
saisie dans les locaux d’une société notoirement connue pour son implication dans ce genre de pratiques et que le trajet emprunté par les marchandises était illogique n’ont pas été jugés suffisants par le tribunal.
La Cour de cassation française a également eu l’occasion de se prononcer sur l’application de l’arrêt Class International et a, dans son arrêt du
7 juin 2006 [27], jugé que c’était à bon droit que la cour d’appel d’Aix-enProvence avait débouté la société Parfums Christian Dior (ci-après,
« Dior ») de son action en contrefaçon au motif qu’il ressort de la jurisprudence communautaire que l’opération de transit, de par sa nature, ne
constitue pas une mise sur le marché. La Cour de cassation précise, par
ailleurs, que la cour d’appel n’avait pas à rechercher la destination finale
des marchandises (bien qu’elle constate qu’elles aient été revendues à
une entreprise britannique et que dans le pays de destination finale, aux
Etats-Unis, les droits de marque de Dior sont protégés).
Toujours en France et concernant le même titulaire de marque, le tribunal de grande instance de Bobigny a rendu le 5 février dernier un jugement appliquant les principes des arrêts Class et Montex [28]. Dior avait
fait saisir des biens se trouvant en transit sur le territoire français dont
la destination finale n’était pas connue. Dior ne contestait pas que les
produits saisis étaient des marchandises légalement fabriquées ni que
les biens se trouvaient sous un régime douanier externe. Le Tribunal a
débouté Dior notamment au motif que « l’opération de transit ne constituant pas une mise sur le marché, une mesure de retenue en douane ne
saurait être justifiée par des raisons de protection de la propriété industrielle ou commerciale ».
Un arrêt récent de la cour d’appel d’Angleterre [29] a fait à nouveau application de l’enseignement de la Cour de justice dans ses arrêts Class et
Montex. Il était question d’importation par la société 8PM Chemist Ltd de
produits pharmaceutiques authentiques de la marque Lilly en provenance de Turquie et à destination des Etats-Unis qui transitaient par le
Royaume-Uni. Le titulaire de marque tenta de s’opposer à la mainlevée
de la saisie des biens en transit. La Cour releva que ces biens ne pouvant
pas être réellement considérés comme mis dans le commerce dans la
Communauté, l’infraction à ses droits des marques n’était pas démontrée.
Sur la base des décisions reprises ci-dessus se référant à la jurisprudence récente de la Cour de justice, nous déduisons que les circonstances suivantes ne sont pas concluantes pour établir que des marchandises seront nécessairement mises sur le marché communautaire :
• le fait que l’opérateur ait dans le passé introduit des produits dans le
marché communautaire sans le consentement du titulaire de marque;
• le fait que les produits aient emprunté un trajet tout à fait illogique
d’un point de vue commercial [30];
• une facture libellée de manière obscure;
• le fait que les produits aient été vendus à un acheteur établi dans la
Communauté.
Perspectives
L’arrêt Montex est d’une importance capitale dans la définition du paysage futur du commerce international. Il n’est pas téméraire de conclure
que les solutions offertes aux titulaires de marque afin de bloquer le
transit de marchandises contrefaites sur le territoire communautaire
sont considérablement limitées par la solution de la Cour, à tout le
moins lorsque ces derniers n’ont pas pris la précaution de protéger leurs
marques de manière extensive. La charge de la preuve reposant sur le
titulaire de marque est si lourde que l’on peut effectivement parler, à
l’instar de l’auteur P. Reeskamp, de probandum diabolicum [31]. Du point
de vue des importateurs-exportateurs de marchandises, par contre, il est
évident que cet arrêt leur offre une sécurité juridique avantageuse. Il est
en effet appréciable pour les opérateurs commerciaux actifs dans le
commerce mondial de ne pas risquer de voir leurs biens saisis dans un
Etat où les biens en question ne font que transiter vers une destination
finale où ils seront commercialisés, cette destination n’étant par ailleurs
pas toujours connue au moment où les marchandises se trouvent en
transit.
Il sera en tous les cas intéressant de voir comment les juridictions nationales vont interpréter et appliquer l’arrêt Montex dans les prochaines
années [32]. Il est en tous les cas permis de considérer que l’état actuel
de la jurisprudence de la Cour de justice ne permet pas de répondre à
toutes les questions auxquelles sont confrontés les titulaires de marques
et les opérateurs commerciaux. La Cour de justice aura certainement
encore l’occasion de se pencher sur cette question et de préciser sa jurisprudence en réponse à une nouvelle question préjudicielle d’une ju-
ridiction nationale. Nous verrons alors si la Cour de justice estime avoir
été trop loin en favorisant les opérateurs commerciaux au détriment des
titulaires de marque ou si, au contraire, elle confirmera l’interprétation
extensive de l’arrêt Montex.
Grégoire Ryelandt
Maroussia Verhulst [33]
Pour une étude approfondie de l’arrêt Class International, les auteurs renvoient à
[1] l’article de P. De Jong publié dans l’I.R.D.I. 2005, pp. 494 et s., « De merkenrechtelijke status van transitgoederen - Vogelvrij of niemandsland? ».
C.J.C.E., 9 novembre 2006, affaire C-281/05, Montex Holdings Ltd c. Diesel SpA,
[2]
Rec., p. I-0000.
[3] C.J.C.E., 18 octobre 2005, affaire C-405/03, Class International, Rec., p. I-8735.
Au sens de l’article 84, § 1er, point a, du règlement CE 2913/92 du Conseil du
12 octobre 1992 établissant le code des douanes communautaire. Pour rappel, ainsi
que l’expriment à juste titre les auteurs M. Schneider et F. Gevers, dans leur article
« Lutte anticontrefaçon (aux frontières européennes) », publié dans l’ouvrage Les
droits intellectuels, Larcier, 2007, p. 590, ce régime permet non seulement le trans[4]
port de marchandises provenant de pays tiers et destinés à des pays tiers à travers la
Communauté sans que des droits de douane doivent être payés, mais également
d’introduire des marchandises dans un Etat membre, de les transporter à travers la
Communauté et de demander leur mise en libre pratique (entraînant le paiement de
droits de douane) dans un autre Etat membre.
Pour une explication plus complète de ces notions, les auteurs renvoient le lecteur
aux articles suivants : P. De Jong, op. cit., 495-497; G. Vos, « De ficties in het ex[5]
tern douanevervoer », BMM Bulletin 1/2006, pp. 2-7; I. Buelens, « Noot - Originele
goederen in transit : geen merkinbreuk », T.B.H. 2006/6, pp. 629-631.
C.J.C.E., 6 avril 2000, affaire C-383/98, Polo c. Lauren, Rec., 2000, p. I-2519,
[6]
point 34.
C.J.C.E., 6 avril 2000, op. cit., point 34. Voy. également en ce sens, C.J.C.E.,
[7] 7 janvier 2004, affaire C-60/02, Montres Rolex s.a., Rec., 2004 p. I-00651, I.E.R.,
2004, p. 153.
C.J.C.E., 23 octobre 2003, affaire C-115/02, Rioglass et Transremar, Rec., 2003
[8]
p. I-12705, point 27.
[9] C.J.C.E., 18 octobre 2005, op. cit, point 50.
Voy. entre autres juge des référés de Rotterdam 7 janvier 2000, BMM Bulletin,
[10]
2000, 23 (Adidas c. Hapag Lloyd) et Cour de Leeuwarden 23 février 2000, cfr Hoge
Raad 15 février 2002, NJ 2003, 464 (Kamstra c. Jack Daniels).
[11] Article 10 : « les dispositions de droit en vigueur dans l’Etat membre sur le territoire
duquel les marchandises se trouvent dans l’une des situations visées à l’article 1er,
§ 1er, sont applicables pour déterminer s’il y a eu violation d’un droit de propriété
intellectuelle au regard du droit national ».
[12] Article 8.
[13] Nous verrons dans la dernière section de cette contribution que la loi du 15 mai 2007
met désormais en concordance le droit belge avec le droit européen.
[14] J.-P. Keppenne, « La libre circulation des marchandises », J.T.D.E., 2007, no 143,
pp. 273-274.
[15] C.J.C.E., 7 janvier 2004, affaire C-60/02, Rec., p. I-651, points 45-46.
[16] Règlement 3295/94 du Conseil, du 22 décembre 1994, fixant des mesures en vue
d’interdire la mise en libre pratique, l’exportation, la réexportation et le placement
sous un régime suspensif des marchandises de contrefaçon et des marchandises pirates.
[17] C.J.C.E., 26 septembre 2000, affaire C-23/99, Cion c. France, Rec., 2000, p. I-7653,
point 3.
[18] Cfr également à propos de cette question la note de A. Puts, « Enkele bedenkingen
bij het Montex-arrest », R.D.C. 2007/7, pp. 664 et s.
[19] C. De Meyer et C. Gommers évoquent également cette question pour aboutir à la
conclusion que le titulaire de marque a le droit de retenir les biens (même en transit)
et ce, tant qu’il n’est pas établi que la destination finale des produits est une destination où les droits du titulaire de marque ne sont pas protégés (« Het Montex-arrest
van het Hof van Justitie : een gemiste kans? », in I.R.D.I., 2006, pp. 397-398). Les
titulaires de marque s’appuieront nécessairement sur une telle interprétation pour
continuer à saisir de tels biens malgré les incertitudes à cet égard.
[20] A. Puts semble considérer que l’on pourrait contourner cet obstacle en se référant à
l’article 9 de la Convention de Paris. Cette disposition permettrait selon lui aux Etats
membres de procéder à la saisie de marchandises contrefaites, même en cas de transit (A. Puts, op. cit., pp. 667-668).
[21] O. Schmutzer, « Montex : is transitohandel ongrijpbaar geworden? », in IER, 2006,
p. 287.
[22] Notons qu’à la connaissance des auteurs, aucune autre décision n’a été rendue depuis lors à ce propos en Belgique, l’arrêt Montex c. Diesel n’a donc pas encore fait
l’objet d’une application dans notre pays.
[23] Prés. Comm. Anvers, 15 novembre 2006, affaire C/06/210, Unilever c. Lindeteves,
www.boek9.nl, 21 november 2006.
[24] La Haye, 13 avril 2006, KG 05/536, www.boek9.nl, 21 avril 2006.
[25] Dans un sens opposé, avant le prononcé de ces arrêts de la Cour, le président du tri-
bunal de Rotterdam aux Pays-Bas avait, quant à lui, considéré à l’époque que la destination finale d’un lot de cigarettes en transit n’ayant jamais été établie et vu le caractère illogique du trajet qu’il empruntait (Nigeria - Rotterdam - Nigeria), il était
évident que la destination finale devait être le Royaume-Uni, seul pays où il existe
une forte demande pour ce type de cigarettes sur le marché noir. En conséquence, le
président en concluait qu’il ne pouvait être question de transit pur et qu’il y avait dès
lors atteinte à la marque (Prés. Rotterdam, 10 juin 2004, B.I.E., 2005, liv. 5, 217).
Dans ce sens également, le président du tribunal de commerce d’Anvers avait
également considéré que vu l’explication tout à fait invraisemblable du défendeur
selon laquelle l’intention était de reconduire les biens originaires du Bénin au Nigeria, il fallait conclure que la destination présumée du commerce parallèle illégal était
le Royaume-Uni et qu’il n’était dès lors pas question de pur commerce de transit, ce
qui permettait au titulaire de la marque en question de s’opposer à juste titre à
l’importation de ces produits (Prés. Comm. Anvers, 9 juillet 2004, I.R.D.I., 2004,
liv. 4, 443).
[26] Civ. Rotterdam,18 janvier 2007, affaire no 274667/KG ZA 06-1187, non publiée.
[27] Cass. franç., ch. comm., 7 juin 2006, affaire no 04-12.274, legifrance.gouv.fr.
[28] Trib. gde inst. Bobigny (chambre 5, section 3), 5 février 2008, affaire no 06/11070,
non publiée.
[29] CA England and Wales (GB), 5 février 2008, affaire no A3/2007/2738, www.dartsip.com.
[30] Et ce, malgré les deux jugements présentés en note de bas de page 26. Ces deux
jugements ont été rendus quelques mois avant l’arrêt Class International.
[31] P. Reeskamp, « Merkgebruik in het economisch verkeer, enkele kanttekeningen bij
Class en Peak », BMM Bulletin, 1/2006, p. 8.
[32] En ce qui concerne particulièrement la Belgique, il sera intéressant d’observer si la
nouvelle loi du 15 mai 2007 relative à la répression de la contrefaçon et de la piraterie de droits de propriété intellectuelle (M.B., 18 juillet 2007) changera la donne en
ce qui concerne la circulation des biens de contrefaçon sur le territoire belge. En
effet, cette loi est entrée en vigueur le 1er octobre 2007 et elle se targue de permettre
aux titulaires de droits de propriété intellectuelle et aux autorités publiques de lutter
plus efficacement contre la production et la commercialisation des marchandises
portant atteinte à certains droits de propriété intellectuelle. A cet effet, elle contient
des dispositions utiles pour la mise en œuvre du règlement no 1383/2003. La loi
sanctionne notamment l’introduction sur le territoire belge, le placement sous un
régime suspensif, en zone franche ou en entrepôt franc, la mise en libre pratique et
l’exportation de marchandises portant atteinte à un droit de propriété intellectuelle.
En outre, elle sanctionne non seulement de telles infractions à l’interdiction prévue à
l’article 16 de ce règlement mais également la tentative de ces infractions. Ces
dernières sont poursuivies selon la procédure prévue par la loi générale sur les
douanes et accises. Reste à voir si les autorités douanières belges, à qui il incombe
d’observer l’application de cette loi lorsque des biens de contrefaçon sont introduits
sur le territoire belge en tiendront compte. Si ces dispositions ne font qu’entériner
les règles contenues dans ledit règlement, elles mettent désormais sur un pied
d’égalité toutes ces infractions pénales. Ainsi, le placement sous régime suspensif de
biens contrefaits en Belgique devient pénalement répréhensible au même titre que
l’importation ou la mise dans le commerce de biens portant atteinte à un droit de
propriété intellectuelle. Nous estimons que cette loi introduit ainsi une nouvelle infraction au droit de marques pour le simple transit des biens de contrefaçon. Ceci
offrirait aux titulaires de marque une remarquable opportunité de procéder à la saisie
de biens contrefaits se trouvant sous un régime douanier suspensif. Nul doute qu’une
telle situation posera néanmoins la question du conflit entre la jurisprudence communautaire commentée dans cet article et l’application de la loi belge. Une question
préjudicielle sur ce point devrait alors être posée à la Cour de justice.
Grégoire Ryelandt est avocat chez Houthoff Buruma et Maroussia Verhulst est avo[33]
cate chez Lydian.