Quand la cartographie rimait avec lithographie

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Quand la cartographie rimait avec lithographie
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Quand la cartographie rimait avec lithographie
L’Institut Géographique National a été à l’honneur en 2002 et a
présenté diverses expositions (au Cinquantenaire notamment), mais
a aussi été primé à Pékin, à l'occasion de la 20e Conférence
cartographique
internationale
de
l'ACI
(Association
Cartographique Internationale). Un comité officiel d'experts,
chargé de décerner le prix d'excellence en cartographie
topographique, a choisi en effet la carte belge à l’échelle 1/50 000
d'Anvers (parmi une sélection d'environ 150 cartes topographiques
provenant de 30 pays). En outre , l’Institut a publié le magnifique
atlas topographique de la Belgique à l’échelle 1/50 000.
Ce faisant, l’Institut perpétue une longue tradition
cartographique dans notre pays. En effet, l’histoire de la
cartographie en Belgique a connu pas mal de représentants : on
pense bien sûr immédiatement à Mercator, au comte de Ferraris,
mais notre pays a connu une activité remarquable dans le domaine
de la cartographie au cours du XIXe siècle.
En 1831, fut créé le Dépôt de la Guerre (devenu en 1878
l'Institut cartographique militaire), chargé des principaux travaux
cartographiques. À côté de cette institution officielle, existait
également l'Établissement Géographique de Bruxelles, de
renommée mondiale. Il fut fondé en 1830 par Ph. Vander Maelen
(1795-1869) ; ce savant édifia par ses propres moyens, fussent-ils
importants, une oeuvre cartographique qui n'a pas son
correspondant. Une de ses oeuvres les plus importantes est restée
inachevée, probablement à cause du manque d'intérêt du public : il
s'agit de l'édition d'un atlas cadastral qui devait englober toutes les
communes belges. Le plan cadastral et la matrice de 137
communes du Brabant furent publiés ainsi de 1837 à 1847.
Cet exemple fut suivi par Philippe-Christian Popp. Il est
souvent, injustement, méconnu du grand public, mais il mérite sa
place dans l’histoire de la cartographie belge.
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Qui était P.-C. POPP (1805-1879) ?
P.-C. POPP est né à Utrecht le 10 février 1805. Sa mère était
hollandaise et son père, d’origine allemande, était établi à Utrecht
comme notaire et procureur. Après la mort de son père en 1817, la
famille vint s’installer en Belgique (les Pays-Bas du Sud) en 1818.
Il demanda à faire un stage dans les bureaux du Gouvernement
provincial à Mons. Il y exerça pendant quelque temps les fonctions
de secrétaire particulier de M. Beeckman gouverneur du Hainaut ,
puis il entre au cadastre.
En 1827, il est contrôleur du cadastre à Bruges et épouse
Caroline Boussart, journaliste et femme de lettres, originaire de
Binche. Elle lui donnera huit enfants.
En 1830, il prend le parti de la Belgique ; dès le 31 mars 1831, il
obtient la grande naturalisation.
Popp se mêle très vite à la politique de la jeune Belgique et
fonde le premier journal libéral à Bruges le 4 avril 1837, sous le
nom de « Journal de Bruges ». Si Monsieur Popp en est le
directeur, c’est son épouse qui en assure presque entièrement la
rédaction et l'impression.
Cependant, Popp continue à s'intéresser au cadastre et comme il
dispose d'une imprimerie équipée pour la lithographie, il a ainsi
l'occasion de commercialiser son expérience. Vers 1842, il entame
l'édition de son « Atlas cadastral parcellaire de la Belgique ». Son
objectif était de mettre les plans cadastraux à la portée de tous. Il y
travaillera jusqu’en 1879, année de sa mort. À ce moment, le plan
et la matrice de presque toutes les communes des provinces de
Brabant, de Hainaut, de Liège et des deux Flandres avaient paru,
dessinés et imprimés chez Popp même, à Bruges.
En 1856, parut sa « Carte topographique de la province de la
Flandre Occidentale ». Elle ne fut pas suivie de celle des autres
provinces malgré les encouragements que Popp recevait pour son
œuvre. Il reçut bon nombre d'honneurs qui sont repris à la page de
titre de chaque atlas, mais il est moins certain que la vulgarisation
du cadastre fût un succès financier. On peut même supposer le
contraire, car sa mort (le 3 mars 1879) mit un terme à l'édition,
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alors que l’imprimerie subsistait et que c'est grâce à la
collaboration de son personnel que Popp avait pu mener son œuvre
à bien.
Que sont les plans cadastraux Popp ?
Ce sont d'anciennes lithographies, réalisées par Monsieur Popp
entre 1842 et 1879, pour les communes de plusieurs provinces, sur
papier Grand Aigle ou Grand Monde 1(en fonction de la superficie
de la commune).
Des 2 566 communes que la Belgique comptait au moment de
la publication de l'atlas, 1 700 feront l’objet du travail de Monsieur
Popp. C’est Madame Popp qui a terminé la publication des plans
de la province de Liège dont son mari avait effectué le dessin, mais
la province d'Anvers est restée inachevée et rien n'a été publié pour
les provinces de Namur, Limbourg et de Luxembourg.
Chaque plan reprend l'ensemble de la commune à l’échelle
1/5 000, avec toutes les parcelles bâties ou non, leurs limites
précises, les emplacements des châteaux, moulins, des chemins,
lignes de chemin de fer, sentiers, cours d'eau, étangs, etc. Deux
couleurs apparaissent : le rose qui trace les limites de la commune,
le bleu étant réservé à la séparation des différentes sections (le
nombre de celles-ci variant évidemment en fonction de l’étendue
de la commune). Chacun de ces plans a une taille variant avec la
superficie de la commune, mais les dimensions moyennes sont de 1
m 20 sur 80 cm. Il arrivait que certaines communes, du fait de leur
étendue, aient nécessité l’emploi d’une ou plusieurs feuilles
supplémentaires. Ainsi, la commune de Jalhay (province de Liège)
compte six feuilles…
Sur la même feuille (ou sur une des feuilles supplémentaires),
Monsieur Popp reprenait alors le centre et les hameaux à l’échelle
1/2 500.
1
Ces différentes appellations renvoient au format des feuilles utilisées :75 x 105 cm pour le
Grand Aigle, 80 x 120 pour le grand Monde), chaque format étant désigné par le nom
du filigrane marqué au milieu de la feuille .
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Enfin, quand il s’agissait de villes, l’échelle était de 1/1 250, ce
qui donne un résultat particulièrement surprenant.
Puisque les détails sont aussi précis, relevons deux autres
exemples ; le premier de ceux-ci nous permet de découvrir un
moulin, en l’occurrence celui de Moulbaix :
Peut-être moins spectaculaire, ce passage d’eau que Monsieur
Popp mentionne à Tilff sur l’Ourthe (à noter l’orthographe de
l’époque).
En outre, chaque plan est accompagné d'une liste cadastrale
(appelée aussi matrice cadastrale).
Cette liste récapitule toutes les parcelles et leurs natures,
quelles qu’elles soient. Elle reprend les noms des propriétaires de
l'époque (pas simplement le prénom et le patronyme, mais aussi les
autres prénoms), leur profession, leurs propriétés et la nature de
celles-ci. Un code apparaît en face de chacune des propriétés,
permettant ainsi de les situer avec précision sur le plan. En réalité,
ces propriétaires (et seulement eux) apparaissent deux fois : une
première dans le relevé alphabétique, une seconde, dans chacun
des articles qui composent la liste.
Voici un extrait de presse2 qui concernait la publication de
l’Atlas Cadastral : « …Il serait superflu de vouloir démontrer ici
toute l’importance de ce grand travail, son utilité pour les
Propriétaires, les Administrations des Hospices, les Bureaux de
Bienfaisance, les Fermiers, les Chasseurs, les Notaires, les
Avocats, les Avoués, les Juges de Paix, les Géomètres, les Agents
d’Affaires et d’Administration, les Experts, les Arpenteurs, les
Receveurs des droits de succession, les Receveurs des
Contributions, les Administrations des Wateringues, les Sociétés
d’Assurances, les Compagnies de Chemin de Fer, les Sociétés de
Mines : les détails précieux qu’il renferme et son exactitude
rigoureuse le leur rendent indispensable. Dans une réunion des
agents de l’instruction primaire qui a eu lieu à Bruxelles,
l’inspecteur provincial de la Flandre Occidentale a fait la
2
Cité par Monsieur S CHONAERTS, géomètre expert immobilier, lors d’une conférence en
la Maison du géomètre à Bruxelles le 30 octobre 1980.
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proposition de placer, dans chaque école primaire, une carte
parcellaire de la commune pour l’étude préliminaire de la
géographie. »
Les plans Popp sont-ils sans défaut ?
Selon les dires de Monsieur Popp lui-même : oui ! (il évoque
effectivement leur « exactitude rigoureuse ») ; cependant, il y a
deux remarques à formuler.
Nous avons relevé au moins une faute que nous pourrions
qualifier de distraction : elle figure sur le plan de Forêt-lezChaudfontaine (faisant actuellement partie de l’entité de Trooz,
province de Liège). Alors que Monsieur Popp situe bien la
commune dans l’arrondissement de Liège et comme appartenant au
canton de Fléron, il la fait dépendre de la province de Hainaut 3 !
Plus gênante est probablement l’absence de datation : en effet,
aucun plan Popp ne porte d’indication à ce niveau. Certes, il est
possible de fixer une date, mais cela demande parfois des
recherches assez longues puisque cela oblige à examiner le plan à
la recherche de la présence ou de l’absence d’un bâtiment, du
détournement d’un chemin, de la présence d’une ligne de chemin
de fer. La liste cadastrale peut se révéler aussi utile, notamment
quand elle précise que telle personne est le bourgmestre de la
commune.
Toutefois, il y a quand même une exception, signalée par
Monsieur Andries Van den Abeele4 qui a longuement étudié la
publication du plan Popp de Bruges : il constate qu’il y a eu deux
éditions : une première en 1854, une seconde en 1865.
3
4
À noter la police de caractères utilisée pour le nom de la commune : cette police varie
pour chaque plan.
http://home.planetinternet.be/~pin34989/AndriesVandenAbeele/plan_popp.htm.
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Les récompenses obtenues par Monsieur Popp
Elles figurent à deux endroits ; tout d’abord, sur le plan luimême, sous le nom de la commune, mais aussi sur la couverture de
la liste cadastrale. Le texte est le suivant :
« La Société Universelle d’Encouragement de Londres ,
l’Académie Nationale de Paris, l’Académie Universelle, et
l’Académie de l’Industrie, ont accordé chacune leur première
médaille d’honneur, en or, à M. Popp, pour ses travaux
topographiques. Le jury de l’Exposition de Dijon (France), 1858, a
accordé une médaille de première classe à M. Popp, ingénieur
géographe à Bruges, pour sa grande Carte Topographique de la
Flandre Occidentale et son Atlas Cadastral, comprenant le plan de
chaque ville et de chaque commune de la Belgique ».
En outre, on sait encore qu’il reçut un diplôme d’excellence
décerné à l’Éxposition internationale d’Amsterdam en 1869 pour
les mêmes ouvrages.
À quoi servent les plans Popp de nos jours ?
En réalité, leur usage est multiple…
D’abord, évidemment, tous ceux qui œuvrent dans le domaine
de la cartographie, du cadastre. Un employé du cadastre nous a
même affirmé un jour que les plans Popp étaient mieux réalisés
que ceux que l’on produit de nos jours.
Les historiens, régionalistes, cercles archéologiques y trouvent
bien entendu leur compte, puisque le plan Popp propose un
magnifique voyage dans le temps : c’est une véritable photo de la
commune telle qu’elle existait voilà 150 ans environ. Les plans
Popp apportent une contribution importante dans le domaine de la
géographie historique : on peut étudier l’évolution des biens
fonciers, de la population, de son habitat et de l’exploitation du sol.
Les géomètres y ont encore recours à l’occasion, les notaires de
même : leurs études possèdent souvent la collection complète des
plans pour leur région.
Certaines associations touristiques ou de défense de
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développement sont parfois bien contentes d’utiliser les plans Popp
quand il s’agit de restaurer le tracé d’un chemin disparu.
Les généalogistes ne sont pas en reste puisque la liste cadastrale
qui accompagne chaque plan, leur fournit des renseignements
précieux, non seulement sur leurs ancêtres, leur identité précise,
leur profession, mais permet également de repérer avec précision,
d’abord sur le plan, ensuite éventuellement sur le terrain, l’endroit
où se trouvai(en)t leur(s) possession(s).
Les C.P.A.S. ou encore les fabriques d’Église y découvrent
également pas mal de renseignements.
Enfin, il y a le particulier qui souhaite acquérir ce plan, parce
qu’il a acheté une ancienne maison et qu’il aime retrouver des
renseignements sur son passé ou tout simplement, par amour du
beau, puisque, il faut le rappeler, le plan Popp est une lithographie,
donc un bel objet.
Quelques mots sur la lithographie et le matériel utilisé
Il s'agit d'une invention (fin du XVIIIe siècle) du Bavarois Aloys
Sennefelder.
On utilisait une plaque de pierre calcaire à grain très fin en
provenance principale de Bavière (la pierre de Solnhofen, réputée
comme étant la pierre calcaire la plus dure et la plus dense du
monde), mais aussi de Basècles.
On traçait à l'encre grasse le dessin souhaité. Le corps gras de
cette encre fixé par une solution acide va s'attacher à la pierre. On
recourait également à ce type de machine à graver.
On passait un rouleau chargé d'eau sur la pierre ; celle-ci
s'imprégnait d'humidité sauf sur les lignes grasses. On passait alors
avec un rouleau chargé d'encre d'imprimerie ; celle-ci était retenue
seulement par les lignes grasses et repoussée par l'humidité des
parties vierges. On plaçait sur le tout une feuille de papier avec une
pression suffisante ; on obtenait une reproduction fidèle en sens
inverse du dessin tracé.
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Comment se servir du plan Popp et de sa liste cadastrale ?
Il faut distinguer deux possibilités.
Imaginons, dans un premier temps, que l’on parte du plan et que
l’on souhaite savoir à qui appartenait, à l’époque, une parcelle de
terrain ou un bâtiment. On commence par repérer le numéro de la
parcelle sur le plan et on tient compte de la section. Ensuite, on
consulte le début de la liste cadastrale ; c’est là que se trouvent
répertoriées les correspondances entre numéros de parcelles d’une
part et ceux des articles. Cela fait, il ne reste plus qu’à ouvrir la
liste cadastrale où figure l’article en question.
À présent, démarrons avec une personne dont on connaît
l’identité et interrogeons-nous sur la nature de ses propriétés dans
la commune : on se réfère alors d’abord à la liste alphabétique des
propriétaires et on recopie le numéro de l’article qui figure en visà-vis. Il ne reste plus qu’à trouver l’article en question dans la liste
pour connaître la réponse.
Que sont devenus ces plans ?
Ce n’est pas facile de répondre à cette question : il semblerait
que peu de temps après la mort de Monsieur Popp, l’ensemble de
son travail ait été dispersé. Notre famille possède depuis un siècle
plusieurs dizaines de communes pour les provinces de Liège et de
Hainaut : la liste serait trop longue à reprendre ici, mais on la trouvera
sur le site http://users.skynet.be/huvelle5
Jusque dans les années 1970, la maison d’édition L’office de
publicité installée à Bruxelles en vendait également, mais après
cessation des activités, on ne sait ce que sont devenus les plans
qu’elle détenait encore. À l’occasion, des plans Popp sont proposés
dans des ventes publiques ou chez des antiquaires.
On en retrouve en tout cas à l’Institut Géographique National, à
5
Ce site internet accueille en outre un dictionnaire français-picard, composé de 11 000
mots et expressions, auxquels s’ajoutent des fables et plusieurs textes originaux, dont
une pièce de théâtre, écrits dans ce dialecte.
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la Bibliothèque Royale Albert Ier ou dans d’autres bibliothèques
(mais toutes ne permettent plus la consultation de ces plans par
crainte de les voir abîmés ; c’est le cas de la bibliothèque des
Chiroux à Liège). On les trouve encore dans des administrations
communales, des musées, des universités, des études de notaires et
chez des particuliers.
Philippe HUVELLE
Bibliographie :
Texte de la conférence de Monsieur Schonaerts, géomètre expert
immobilier en la Maison du géomètre à Bruxelles le 30 octobre
1980.
http://home.planetinternet.be/~pin34989/AndriesVandenAbeele/pla
n_popp.htm
Bibliographie Nationale, Dictionnaire des écrivains belges et
catalogue de leurs publications 1830-1880, t. III, pp. 170-176,
Bruxelles,1897.
J. HANNES, L’atlas cadastral parcellaire de la Belgique –
Importance de cette source pour la géographie historique des
communes, Bulletin trimestriel du Crédit Communal de Belgique,
n° 85, juillet 1968