L`expérience de la mort : angoisse ou enjeu ? A partir de l

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L`expérience de la mort : angoisse ou enjeu ? A partir de l
L'expérience de la mort : angoisse ou enjeu ?
A partir de l’atelier de Jeanne Hervé
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Jeanne Hervé nous invite à intégrer le fait de notre mortalité. Son atelier a donné lieu à des réflexions.
« Répétez l'acte de mourir. Cela peut être une expérience saine. Etendez-vous et laissez-vous mourir;
remarquez ce qui s'arrête et ce qui veut commencer ». Arnold Mindell
Saluons d'abord le courage de Jeanne Hervé d'avoir choisi comme sujet d'atelier un thème aussi
essentiel à la conscience de l'individu d'aujourd'hui que délicat quant à sa réalisation. Je parle de
l'expérience de la mort symbolique et du deuil, c'est-à-dire, de "la perte irréversible de quelque chose".
Voyons ce qu'elle y avait présenté pour comprendre et apprécier son programme avant de formuler
quelques questions à notre tour.
Si la vie ne peut être pleinement vécue sans être manifeste dans le corps,
la mort non plus ne peut être confrontée avec créativité. Ce n'est pas étonnant
que la mort soit niée dans une culture qui rejette la beauté de sa propre humanité.
Marion Woodman
Sous le titre "Angoisse de mort et dynamique de vie", l'atelier se voulait une sensibilisation de deux
heures sur le concept de la mort plutôt que sur sa réalité. Jeanne y a développé son atelier à partir de sa
propre expérience, ce qui lui a donné l'indéniable authenticité du vécu qu'elle communiquait à
l'auditoire par sa présence ; c'était l'élément clef pour moi qui a fait "la différence qui fait la différence"
par rapport à d'autres approches peut-être plus cérébrales, mais moins chaleureuses. Partant d'une
première position, Jeanne Hervé racontait qu'elle avait commencé à travailler sur l'angoisse de la mort
à partir de son expérience professionnelle de sage-femme; elle était confrontée, explique-t-elle, à
l'expérience de l'angoisse de l'inconnu que manifestaient les femmes qui allaient accoucher (peur de la
douleur physique et peur de la rencontre avec l'enfant "imaginaire" que la mère porte en elle tant qu'il
n'est pas né). Cette peur de l'inconnu est en rapport, d'après Jeanne, aux deux pôles de la vie terrestre
que sont la naissance et la mort. Nous allons revenir à cette peur plus loin. Je voudrais pour l'instant
retourner à l'atelier.
La thèse principale (encore une fois à partir de l'expérience de Jeanne) est qu'après avoir effectué un
travail personnel sur notre propre angoisse de mort, nous permettant de l'accepter, nous libérons une
force de vie décuplée et consciente. Le travail personnel est donc un travail sur sa propre mortalité :
"l'appréhender, écrit-elle, c'est élargir nos possibilités de joie". J'avoue que la prise de conscience de
notre mortalité n'est pas une mince affaire, quel que soit le milieu dans lequel l'on veut l'introduire.
D'après ce que j'ai compris, Jeanne travaille plutôt en milieu hospitalier où le personnel est confronté à
la mort d'une manière quotidienne. C'est sans doute de là qu'elle a généralisé sur son expérience que
dans notre société "la douleur physique est plus acceptable, bienséante aujourd'hui que la douleur
morale". De son travail donc, en milieu hospitalier, Jeanne propose maintenant d'élargir son activité à
un plus grand public.
Les grands thèmes ? Trois principaux sont cités : la prise de conscience de notre mortalité, le
travail de deuil et de pré-deuil, les rites. Jeanne veut donner un sens aux pertes que nous vivons par le
travail sur le deuil, préparer quelqu'un à la perte par le pré-deuil, dépasser l'angoisse de l'incertitude par
les rites et symboles qu'elle emprunte à d'autres cultures et donner un cadre symbolique et structuré à
notre expérience de la mort. Elle cite les travaux d'Elisabeth-Kubler Ross sur les stades psychologiques
allant de la confrontation jusqu'à l'acceptation, et propose de rencontrer des personnes ayant une
expérience près de la mort (Near Death Experience - N.D.R.). Une telle énergie et un tel
investissement témoignent de l'importance que Jeanne porte à son sujet. L'expérience m'a montré que
l'intérêt et la motivation personnelle, donc, de référence interne, sont les moteurs d'apprentissage par
excellence pour les gens qui déclenchent un travail à partir de leurs expériences internes ; ils cherchent
ensuite à le structurer à partir de références externes. Nous apprécions le moteur des références
internes lorsque Jeanne affirme : "il faut passer par le travail sur soi, sinon on reste dans des recettes".
L'astuce d'équilibre dans ce travail est justement la coordination des deux systèmes de références,
interne pour l'expérience vécue en première position, externe pour la connaissance du monde extérieur.
En fait, et c'est ce qui est réellement nouveau, c'est la relation entre les deux que nous établissons à
partir de la deuxième position qui crée le lien. Je crois que c'est cela l'enjeu de l'expérience de sa
propre mort, ou en termes psychologiques, la mort de l'ego en tant qu'entité séparée du monde externe
(et interne 1). La force ou la joie de vivre sont des "sous-produits" de l'expérience de la mort. L'enjeu
se situe ailleurs que sur les actes, notamment au niveau de l'identité : la psyché, avec toute sa force
instinctuelle, nous oblige à concevoir notre identité à nouveau, cette fois-ci étant en relation aux autres
et au monde externe. La nouvelle identité génère de nouvelles croyances autour de l'idée de partager
les processus de vie avec toutes les formes de vie. L'ancien ego et identité n'auraient pas pu accepter
ces nouvelles croyances à caractère paradoxal.
Pour vous donner une représentation de ce que je suggère, imaginons ceci : visualisez un
schéma dans lequel vous êtes, où vous participez pleinement à la vie, autant que la vie participe en
vous. Codez vakog, sous-modalités, puis croyances et critères. Vivez-vous séparation ou réciprocité ?
Quelle est la valeur symbolique de ce système pour vous ? Maintenant, à partir de cet état d'être, que
percevez-vous au niveau identité ? Y a-t-il des oppositions ou plutôt une tension qui lie les différents
éléments que vous percevez les uns par rapport aux autres, les uns dans les autres ? La paire "la vie et
la mort" sont dans une relation de la même structure paradoxale : la mort dans la vie, la vie dans la
mort. Pour participer à la vie, nous participons aussi à la mort, comme l'autre partie de la vie. Je crois
que cela constitue le deuxième enjeu 2 de l'expérience de sa propre mort : notre beauté humaine vient
du reflet à l'intérieur de nous-mêmes des processus de vie et de mort qui nous incluent, nous entourent
et auxquels nous participons.
Charles Le Vine
(1) Il y a un effet de miroir de sorte que l'ego accepte et établit des liens avec l'inconscient.
(2) Je me limite ici aux enjeux de la paire "vie et mort" et aux niveaux logiques d'identité et des
croyances. Comme l'expérience nous le montre, ce qui se passe à ces niveaux engendre aussi de
nouvelles capacités et comportements.