Le travail collectif à l`épreuve des restructurations organisationnelles
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Le travail collectif à l`épreuve des restructurations organisationnelles
PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Le travail collectif à l’épreuve des restructurations organisationnelles Collective work and organizational restructuring Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex, France, [email protected] Université Lille2–CERESTE, Faculté de Médecine Pôle Recherche, 1 place de Verdun, 59045 Lille Cedex, France, [email protected] Université de Picardie Jules Verne, UFR Sciences et Techniques des Activités Physiques et Sportives, Allée P. Grousset, 80025, Amiens Cedex, France, LPA, Laboratoire de Psychologie Appliquée EA 4298 [email protected] Résumé L‟Analyse Ergonomique du Travail (Daniellou, 1996 ; Wisner, 1996) et l‟Analyse Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000), mettent en lumière les interrelations entre les facteurs principaux des situations de travail. L‟objectif de l‟étude est de montrer l‟influence sur la perception des impacts des changements organisationnels, des situations initiales de travail, des modes de conduites des projets et des typologies de transformation organisationnelles. Les représentations du personnel soignant dans les hôpitaux psychiatriques en réorganisation, les projets, les modèles de transformation et l‟activité ont été analysées. Les impacts de collectifs de travail et les plus grandes difficultés lors de fusions ont été mis en évidences. Les conséquences théoriques, méthodologiques et interventionnelles sont discutées. Abstract The ergonomic analysis of work (Daniellou, 1996; Wisner, 1996) and especially the psychological analysis of real working activity (Leplat, 2000) allow investigating the main factors of work situations. The objective is to show the influence on the nursing representations of psychiatric services that are restructured, of the initial working situations, the projects, the restructuring models. The analyses assess the nursing representations of psychiatric services that are restructured, the projects, the restructuring models, the real working activity. The data show impacts of collective work and restructuring models, especially the damaging consequences of fusions. The results enable the authors to discuss from the points of views of theory, methodology and interventions. Mots clés : réorganisations, hôpital, collectif, représentations Keywords: restructurings, hospital, collective, representation 296 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 1. Travail collectif, réorganisations et travail soignant L‟activité correspond à ce que l‟homme fait pour réaliser la tâche prescrite en même temps qu‟il poursuit ses propres finalités, qui contribuent à redéfinir les buts et conditions de cette tâche (Leplat, 2000). Les individus n‟y étant pas systématiquement obligés (Toniolo, 2005), la coordination collective est généralement laissée aux bons soins de chacun mais de personne en particulier (Lacoste, 2001). La prescription ne prend que peu en compte l‟activité collective. La redéfinition des buts et des tâches est essentielle mais souvent conflictuelle lorsqu‟elle s‟effectue à plusieurs, à fortiori dans le cadre de restructurations. L‟activité collective est ainsi d‟autant plus problématique qu‟elle est centrale lors de nombreuses médiations entre logiques (médicale, soignante, administrative, gestionnaire) et temporalités (des projets). Les hôpitaux sont prototypiques de la difficulté de travailler ensemble sans prescription et avec des ressources insuffisantes, notamment lors de changements organisationnels. Ainsi les restructurations dépendent des relations de proximité (Bouthillette, Havlovic et Van der Wal, 2001), des processus et des caractéristiques des organisations (Bennebroek Gravenhorst, Werkman et Boonstra, 2003). La crise de l‟hôpital peut être une conséquence de la difficulté d‟agir ensemble (Pascal, 2004), ce qui rend difficile une vision partagée et un apprentissage organisationnel (Pascal, 2004). L‟articulation collective à l‟hôpital doit permettre la circulation et l‟intégration des informations, la gestion des aléas et la coordination des actions (Lacoste, 2000). L‟articulation infirmière est relative à la responsabilité organisationnelle inter métiers, opérationnelle, pratique, temporelle, des processus de soins et des processus administratifs (Kostulski, 2000). L‟analyse du travail dans une perspective de transformations organisationnelles, permet de comprendre le travail infirmier, à travers les régulations organisationnelles, collectives et individuelles, permettant l‟équilibre entre les demandes de l‟organisation, l‟activité soignante et les caractéristiques des salariés (Gonon, 2003). Mais les hôpitaux restent des organisations peu stabilisées, en particulier à cause de barrières socio-organisationnelles (Bagnara, Parlangeli et Tartaglia, 2009), ce qui attribue un rôle central à l‟activité collective soignante dans les régulations organisationnelles. Le travail collectif à l‟hôpital est déterminant pour l‟efficacité ainsi que pour la santé (Amourous, 2004 ; Sainsaulieu, 2006 ; Vaxevanoglou, 2002a). La santé au travail se construit à partir des transactions entre l‟environnement et l‟individu et les ressources disponibles pour gérer les contraintes (Aldwin, 2000 ; Lancry et Ponnelle, 2004 ; Lazarus et Folkman, 1984 ; Vezina, 2002). Les collectifs de travail sont une ressource essentielle pour permettre la dialectique entre l‟organisation prescrite et l‟activité individuelle (Dejours, 297 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 2005). Le soutien social (Karasek et Theorell, 1990) structure les interrelations entre santé, travail collectif et organisation. 2. Objectifs Le secteur psychiatrique est davantage étudié depuis quelques années (Lawoko, Soares et Peter, 2004 ; Vaxevanoglou, 2002b ; Winstanley et Whittington, 2002). Cette étude s‟intéresse aux interactions entre les dimensions prescriptives, collectives et l‟activité lors de restructurations d‟Etablissements Publics de Santé Mentale (EPSM). Ces interactions générales sont étudiées et opérationnalisées à travers les déterminants des représentations des transformations, sur l‟ensemble de la population et en fonction de sous-populations réparties au sein des modèles de transformation. L‟objectif premier est de mettre en lumière les déterminants de la perception des impacts des changements. Il s‟agit de cerner les impacts des situations initiales de travail et plus spécifiquement des dimensions collectives du travail, sur les représentations des changements. Il s‟agit également d‟observer les impacts des modes de conduite des projets sur les représentations des impacts des changements. Le second objectif consiste à cerner les variations des représentations des impacts des changements en fonction des typologies de transformation. Il est supposé que le rôle des collectifs varie en fonction des typologies de transformations. 3. Méthodologie Afin d‟analyser ces hypothèses et d‟accompagner les restructurations d‟EPSM, l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET) (Daniellou, 1996 ; Wisner, 1996) et notamment l‟Analyse Psychologique de l‟activité (Leplat, 2000) ont permis de dimensionner les interventions. 3.1 Population La population de l‟étude est composée de 63 infirmier(e)s et 10 aidessoignant(e)s qui interviennent dans un Etablissement Public de Santé Mentale (EPSM). L‟âge moyen est de 33,4 ans (E.T. = 9,79) et l‟ancienneté dans le service est de 29,4 mois (E.T. = 23,65). 298 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 3.2 Typologie des projets de restructurations L‟analyse des projets de transformations a eu pour objectif de cerner la nature et la forme des évolutions qui impactent la santé des soignants et la prise en charge des patients. L‟analyse et l‟accompagnement des projets et des traces de fonctionnement permettent d‟observer les compromis des acteurs. Les modes de conduite de projet sont interrogées au niveau d‟un hôpital, d‟un service, d‟une unité. Les ressources organisationnelles, les stratégies individuelles et collectives, les impacts des transformations des structures de soins sur l‟organisation, les conditions et le contenu du travail et la santé des soignants ont été étudiés. Trois modèles de réorganisation (Fabi, Lescarbeau et Blondel, 2001) ont été distingués : La délocalisation : fermeture d‟unités intramuros, déplacements des lits d‟hospitalisation vers des cliniques (à transformer ou concevoir) proches des populations. - La fusion : regroupements de services et / ou d‟unités sous une même entité (existante ou nouvelle). - La délocalisation intersectorielle : combinaison des modèles précédents, fusion de deux ou plusieurs services. L‟application de cette typologie a permis de délimiter les quatre transformations suivantes (T): - Délocalisation/fusion de deux services (T1 ; n=14 soignants) - Délocalisation d‟un service (T2 ; n=28), - Délocalisation/fusion de trois unités dans le même service (T3 ; n=18). - Un service composé de deux unités qui ne subissent pas de transformations font fonction de groupe contrôle, mais sont indirectement concernées par les réorganisations de leur EPSM (T4 ; n=13). 3.3 Analyse des représentations Les analyses des représentations et de l‟activité dans les services initiaux et futurs, s‟effectuent à partir de questionnaires, d‟observations, de verbalisations et d‟entretiens. Les questionnaires abordent les représentations des dimensions individuelle et collective de l‟activité dans les situations de travail avant transformations (situations initiales), les transformations et les modes de conduite de projet. Les échelles de Lickert en quatre points sont identiques (oui, plutôt oui, plutôt non, non) à l‟ensemble des items. Ces questionnaires ont été 299 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle administrés en passation directe dans les services. Les projets personnels et les bases des projets de service étaient connus. Le Questionnaire d‟Evaluation des Représentations des Déterminants Organisationnels et Psychosociaux (QERDOPS) porte sur les déterminants organisationnels et psychosociaux du stress des équipes soignantes en hôpital psychiatrique (Vaxevanoglou, 1997). Il permet d‟aborder les représentations qu‟ont les soignants de leurs situations de travail initiales, à travers cinq facteurs : - F1 « les relations et interactions avec la hiérarchie » (9 items avec un alpha de Cronbach pour notre échantillon de α =.67) ; F2 « la confrontation entre l‟opérateur et de l‟organisation » (13 items, α = .87) ; F3 « le rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » (7 items, α=.67) ; F4 « le soutien social, les interactions entre l‟opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » (5 items, α=.86) ; F5 « sens, utilité et valeur du travail perçu » (5 items, α=.75). En plus du QERDOPS, nous avons construit un questionnaire exploratoire composé de deux parties évaluant : - Les modes de conduite des projets (5 items) qui concernent les difficultés quotidiennes, l‟implication personnelle, l‟implication de la hiérarchie, la participation au projet de l‟unité et la prise en compte de l‟avis personnel. - Les Perceptions des impacts des changements (16 items) qui interrogent la sécurité, la santé psychique, la santé physique, l‟accomplissement, la qualité de vie hors travail, les relations avec la hiérarchie, dans l‟unité, avec les patients, l‟environnement, la prise en charge, l‟efficacité de l‟équipe, les moyens, l‟autonomie, les compétences, la charge et le contenu de travail. Les variables en jeu dans cette étude sont résumées dans la figure 1. 300 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Figure 1: Schématisation du modèle de la recherche Typologies de transformations (T1 à T4) Situations initiales (QERDOPS) Modes de Conduite de projet Perceptions des impacts des changements Les flèches pleines représentent les impacts testés sur l‟ensemble de la population. Les flèches en pointillés représentent les impacts testés en fonction des typologies de transformations, l‟approche différentielle. 3.4 Analyse de l‟activité et représentation Les situations de travail, la santé et les liens entre santé et travail, nécessitent des analyses articulant des approches qualitative et quantitative qui s‟articulent au sein de l‟Analyse Ergonomique du Travail (AET, Volkoff, 2005). Outre l‟analyse des projets, l‟activité et les représentations sont étudiées sous l‟angle d‟indices provoqués (questionnaires, verbalisations, mises en discussion des analyses) et de traces spontanées (observations des actions et des modifications de l‟environnement, régulations, filières, flux, conditions, risques…). Les données quantitatives et qualitatives doivent être lues conjointement, même si les résultats aux questionnaires structurent pour l‟essentiel cet article. Pour une présentation plus détaillée des éléments qualitatifs, il convient de se référer au travail de Garcia et Vaxevanoglou (2008). L‟analyse conjointe de l‟activité et des représentations permet de préciser la compréhension des deux. L‟absence de représentation homogène d‟une population au travail a pu être soulignée, d‟où l‟intérêt d‟une approche en termes d‟enjeux (Dumond, 2005). Une organisation peut être considérée comme homogène à partir d‟un faible consensus (Lok, Westwood, et Crawford, 2005). 301 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle La culture organisationnelle peut référer aux pratiques dans les unités, les départements et les équipes, et par opposition aux organisations dans leur ensemble (Van der Berg et Wilderom, 2004). Les représentations varient en fonction de l‟activité, donc des services. Il est ainsi utile d‟intégrer conjointement des approches générales et locales, quantitatives et qualitatives, en termes de représentations, d‟activité et d‟enjeux. 4. Résultats Les analyses statistiques des données ont été effectuées à partir de tests de régressions simples et de tests non paramétriques ( ANOVA de Kruskal-Wallis). Compte tenu des différences significatives obtenues par le biais de cette ANOVA, ces analyses ont été complétées par des comparaisons post-hoc deux à deux en utilisant le test de Mann-Whitney. Le traitement des données a été réalisé à partir des logiciels STATISTICA STATVIEW. 4.1 Déterminants de la perception des impacts des changements Les situations initiales (facteurs organisationnels et psychosociaux) et les conduites des projets expliquent de 7.3 % à 16.8 % de la variance de la perception des impacts des changements. Le mode de conduite de projet (β=.386, t=3.53, p=.0008), les relations à la hiérarchie (F1, β=.41, t=3.78, p=.0004), les relations aux collègues (F4 ; β=.42, t=3.93, p=.0003), la confrontation entre l‟opérateur et l‟organisation (F4, β=.33, t=2.95, p=.004),) ont des impacts significatifs sur les modes de changements. En revanche, le rapport opérationnel avec la situation (F3) n‟est pas significatif. Les situations initiales influent donc sur les représentations des impacts des changements. Les verbalisations des soignants dans les situations évaluées comme critiques confirment la méfiance vis-à-vis des divers niveaux d‟encadrement, le retour sur les promesses apparemment non tenues ou encore le vécu de mise à l‟écart des projets. Les soignants ramènent les risques principaux des changements à ce qui relève de la dimension collective du travail, à savoir les relations avec la hiérarchie, les relations avec les collègues et les modes de conduites de projet. 302 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle 4.2 Impacts des typologies de transformation sur la perception des impacts des changements Tableau 1 : rangs moyens (M) obtenus au test de Kruskal-Wallis F1 F2 F3 F4 F5 Conduite de projet 44,35 Impacts des changements Délocalisation M 33,89 47,64 45,14 26,32 44,07 29,71 –fusion de deux services (T1) Délocalisation M 30,30 24,01 37,55 32,03 23,69 23,55 31,00 (T2) Délocalisation M 49,30 41,91 41,66 50,88 47,22 41,94 48,61 fusion de trois unités (T3) Groupe M 37,73 46,88 20,57 39,96 43,88 51,19 41,69 contrôle : pas de transformation (T4) Valeur H 9,192 17,729 10,882 13,536 18,320 19,830 9,941 Kruskall-Wallis p. p. .0269 0006 0125 0037 .0005 .0003 .0192 Les représentations sont d’autant plus négatives que les moyennes sont élevées F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops. F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie » F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation » F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu » H : H corrigé pour ex-aequo p. : probabilité critique corrigée pour ex-aequo Au-delà de cette approche générale de la population, les analyses quantitatives montrent que les facteurs psychosociaux et organisationnels du Qerdops, concernant les situations initiales de travail, ont des impacts spécifiques en fonction des modèles de transformation (tableau I). Ces impacts significatifs (p.c. ‹ 0,05 et p.c. ‹ 0,01), mettent en évidence des variations des représentations des situations initiales, des changements et des conduites de projets, en fonction des modèles de transformation. Les impacts généraux des facteurs psychosociaux et organisationnels et des conduites de projet, sur les représentations des transformations, sont donc modulés spécifiquement en fonction des types de transformation. 303 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Ces différences générales, obtenues par le test de Kruskal-Wallis, sont précisées grâce aux comparaisons deux à deux (tableau II) permises par le test de Mann-Whitney, qui spécifie les différences entre les sous-groupes de la population. Seules les différences significatives sont présentées. Tableau 2 : différences significatives obtenues au test de Mann-Whitney Déterminants F1 F2 F3 T3 U = 122,50 z = -2,92 p <0,004 U = 135,00 z = -2,64 p <0,009 T2 T4 T1 T1 T3 T4 T4 T3 U = 37,00 z = 2,64 p <0,009 U = 52,50 z = 2,60 p <0,01 U = 69,50 z =-2,15 p < 0,04 U = 65,00 z = -3,28 p <0,002 U = 87,00 z = 2,68 p <0,008 U = 66,50 z = 3,46 p < 0,0006 F4 U = 124,00 U = 48,50 z =-2,92 z = -2,99 p <0,004 p <0,003 F5 U = 85,50 U =72,50 U = 99,50 z = -3,77 z =-3,09 z = 2,59 p <0,0002 p <0,002 p <0,009 Conduite U = 126,00 U = 42,50 U = 85,00 de projet z = -2,84 z =-3,92 z =2,97 p <0,005 p <0,0001 p <0,003 Impacts U = 131,50 U = 57,00 des z = -2,71 z = -2,63 changements p <0,007 p <0,009 Seules les différences significatives sont présentées. Le type de transformation (T1, T2, T3, T4) de la première ligne est comparé au type de transformation de la deuxième ligne. F1, F2, F3, F4, F5 sont les facteurs organisationnels et psychosociaux du Qerdops.T1, T2, T3, T4 sont les modèles de transformations. F1 : facteur « relations et interactions avec la hiérarchie » F2 : facteur « confrontation entre l’opérateur et de l’organisation » F3 : facteur « rapport opérationnel de l’individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » F4 : facteur « soutien social, les interactions entre l’opérateur et ses collègues du point de vue social et opérationnel » F5 : facteur « sens, utilité et valeur du travail perçu » T1 Délocalisation–fusion de deux services ; T2 Délocalisation ; T3 Délocalisation-fusion de trois unités ; T4 : Groupe contrôle : pas de transformation U score U de Mann-Whitney ; z : z ajusté ; p. : probabilité critique Ces comparaisons deux à deux montrent que les personnels subissant des délocalisations (T2) ont des perceptions significativement meilleures (p.c. ‹ 0,01), par rapport à ceux subissant des délocalisations – fusions de trois unités (T3) pour six facteurs sur sept, par rapport à ceux ne subissant pas de transformations (T4) pour trois facteurs sur sept, ainsi que par rapport à ceux subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) pour trois facteurs sur sept. 304 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle Ces comparaisons deux à deux montrent également que les personnels subissant des délocalisations – fusions de deux services (T1) entraînent des perceptions significativement meilleures (p.c. ‹ 0,01) que ceux subissant des délocalisations – fusions de trois unités (T3), pour trois facteurs sur sept. Enfin, le facteur F3 « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face » est évalué de façon significativement meilleure (p.c. ‹ 0,01) par les personnels ne subissant pas de transformation (T4), par rapport à ceux subissant un des trois autres types de transformations. Les analyses qualitatives permettent de mieux comprendre les différentes spécificités, et notamment que les modèles de délocalisation (T2) et de délocalisation - fusion de trois unités (T3) sont les extrêmes. La délocalisation – fusion de trois unités révèle des évaluations négatives des relations avec la hiérarchie (F1) et aux collègues (F4), et des impacts des changements. Un climat social d‟ensemble (F1 et F4) est évalué négativement, difficilement surmontable pour l‟élaboration constructive de transformations, et d‟autant plus problématique que les personnels se connaissent. Le projet, perçu comme « flou » est de plus en plus conflictuel et perçu comme dangereux (sécurité des soignants et des patients). A l‟inverse, dans le cas de la délocalisation – fusion de deux services (T1), les évaluations négatives de la confrontation avec la réalité objective (F2) et du rapport opérationnel (F3), montrent que les soignants pensent subir les transformations sans gain essentiel, contrairement au gain comptable présumé. Les impacts perçus des changements et de leurs mises en œuvre invalident la crédibilité du projet. Les verbalisations insistent sur des décideurs éloignés du terrain, une participation minime et des conditions de travail dénigrées. Ces difficultés sont des obstacles moindres compte tenu de meilleures relations avec les collègues et la hiérarchie. Le personnel évalue encore négativement la conduite de projet, mais n‟est pas fortement opposé aux changements. Ses problèmes initiaux sont principalement opérationnels, soignants et médicaux, et non des problèmes sociaux généraux, relationnels ou relevant du travail collectif. Les écueils opérationnels du travail collectif entre deux équipes qui ne se connaissent pas, et le climat social général, ne peuvent pas être perçus à travers le questionnaire présenté. Les observations et les entretiens insistent néanmoins sur les difficiles uniformisations des méthodes de travail, et sur les capacités d‟arbitrages de la hiérarchie. Enfin, l‟impact de la conduite de projet sur les représentations des impacts des changements est moindre. Les modes de 305 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle conduite de projet sont perçues encore plus négativement que les changements en eux-mêmes, perçus comme partiellement utiles puisque les services se rapprochent des populations. Ce sont donc surtout la mise en œuvre des projets et les situations initiales qui posent problème, les soignants craignent le report des problèmes existants dans les situations futures. La représentation négative de la conduite de projet, par les personnels ne subissant pas de transformation et faisant fonction de groupe contrôle (T4), est surtout relative à une sous implication apparente des collègues d‟autres unités, ainsi que d‟eux-mêmes malgré les interactions avec des services en partance. La représentation plus positive par ces mêmes personnels des situations initiales de travail du point de vue du « rapport opérationnel de l‟individu avec la situation, sa représentation de sa capacité à y faire face », semble suggérer une situation initiale stabilisée : le turnover des patients et des personnels est relativement faible, et le projet de ces unités parait accepté. Enfin, les personnels qui se délocalisent (un service - T2) sans évaluation très négative, permettent de relativiser la notion de résistance au changement, et justifient les interprétations concernant les modèles de transformation. Les problèmes ne sont pas inévitables lors de transformations, mais naissent principalement des spécificités des changements, de leurs mises en œuvre ou encore du vécu des situations initiales. 5. Discussion et conclusion Cette étude a mis en évidence certains liens entre les dimensions prescriptives, les dimensions collectives et l‟activité lors de restructurations organisationnelles. Certains liens sont des lignes de force générales, alors que d‟autres liens paraissent plus spécifiques aux modèles de transformations, qui modulent les liens généraux. Ces spécificités appuient l‟idée d‟analyses qualitatives et quantitatives, générales et spécifiques, afin d‟obtenir différents niveaux d‟analyse des représentations et d‟expliquer les déterminants du travail les plus spécifiques grâce aux analyses qualitatives. De façon générale, les représentations des changements sont impactées par les modes de conduite des projets et des situations initiales de travail, en particulier des relations aux collègues et à la hiérarchie. Les facteurs conduisant à une situation initiale défavorable (mode de conduite de projet, relations à la hiérarchie, relations aux collègues, confrontation entre l‟opérateur et de l‟organisation) sont perçus comme entraînant des changements à risques pour la sécurité des patients et la santé des soignants. A contrario, on accepte plus facilement de transformer des situations satisfaisantes, grâce à une hiérarchie proche du terrain et un collectif fort influant sur des projets jugés légitimes, 306 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle prenant en compte les difficultés, surtout la sécurité. Les contraintes personnelles sont minorées au sein du service qui se délocalise et qui s‟éloigne pourtant le plus de l‟EPSM intramuros. Le groupe contrôle, c‟est-à-dire le service ne subissant pas de transformation, n‟a pas de perceptions plus positives que le service qui se délocalise – à l‟exception du rapport opérationnel à la situation de travail. Enfin, les fusions sont les types de transformations les plus problématiques : représentations de défiance, problèmes opérationnels... Le changement n‟est donc pas intrinsèquement problématique du point de vue des personnels, contrairement à sa crédibilité et à la crédibilité des informations, aux situations initiales et aux types de transformation. L‟homogénéité limitée des représentations souligne l‟intérêt de différencier l‟initial, le futur, le processus et les rythmes d‟évolution conflictuels. La perception des situations de travail impacte la perception des transformations mais n‟est pas la seule, puisque la conduite de projet et les modèles de transformation l‟influence également. Les dynamiques et les enjeux de travail, généraux et locaux, donnent leurs sens aux représentations, dont l‟homogénéité sur une grande organisation reste limitée. Donner du sens aux représentations, comprendre et intervenir nécessite différents grains d‟analyse, relatifs aux dynamiques et variétés du travail réel, objectifs et gains pour les personnels, critères de métiers, activités collectives spécifiques… Une analyse qualitative et quantitative permet d‟approcher les représentations des soignants (Kim et Motsei, 2002) et les enjeux des restructurations (Dumond, 2005). Les aspects politiques sont alors essentiels -relations de pouvoir (Munduate et Bennebroek Gravenhorst, 2003), processus du changement (Pichault et Schoeners, 2003)... L‟objectif opérationnel central peut être le rapprochement des logiques, pratiques et prescriptions conflictuelles, surtout entre les niveaux soignants, médicaux et administratifs. Les soignants se demandent constamment si les transformations sont positives pour les patients, ou pour l‟administration dont ils ne partagent pas les critères. L‟analyse de l‟activité infirmière permet alors de renouveler l‟organisation médicale, les coopérations médicales et soignantes ainsi qu‟une meilleure adéquation entre les effectifs soignants et les exigences organisationnelles (Lapeyrière, 2000). La conception distribuée (Béguin, 2004) nécessite donc un collectif de conception multi métier contraignant. Ce type de démarche nécessite une approche systémique des organisations et des situations de travail, et donc de préférence plusieurs types de relevés, pour comprendre au mieux les liens multiples entre différentes variables : une situation initiale mal perçue dans un service entraîne des problèmes de communications entre niveaux hiérarchiques, des changements pilotés de façon maladroite ou la fixation de buts inappropriés à la réalité du terrain… Dans ce cadre, l‟analyse des changements organisationnels remet en 307 PTO – vol 16 – n°4 – Numéro Spécial : Hôpital, soins,management Frédéric Garcia, Xénophon Vaxevanoglou & Sandrine Ponnelle cause l‟approche déterministe (Héran, 1997). Par exemple, séparer strictement les impacts d‟une situation initiale, d‟une conduite de projet et d‟un type de transformation, reste inopérant. Une approche systémique et analytique permet de comprendre le système de travail au travers de son fonctionnement et de ses productions (quantité-qualité-santé-développement). La question n‟est pas simplement méthodologique mais aussi épistémologique, l‟intervention dans le milieu en transformation est le passage obligé pour en comprendre la complexité et l‟impacter. Références Aldwin, C.M. (2000). Stress, coping and development, New York : The Guilford Press. Amourous, C. (2004). Que faire de l’hôpital ? Paris : L‟Harmattan. Bagnara, S., Parlangeli, O. & Tartaglia, R. (2010). Are hospitals becoming high reliability organizations ? Applied Ergonomics, 41, 713–718. Béguin, P. (2004). L'Ergonome, acteur de la conception. In P. Falzon (Ed.), Ergonomie (pp.375-390). Paris: PUF. Bennebroek Gravenhorst, K.M., Werkman, R.A. & Boonstra, J.J. (2003). The change capacity of organisations: general assessment and five configurations. Applied Psychology: an international review, 52, n°1, 83-105. 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