brevets faut-il les faire tomber?
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brevets faut-il les faire tomber?
FAhner.qxp 29/03/06 15:59 Page 1 a c t u a l i t é s 37 BREVETS FAUT-IL LES FAIRE TOMBER ? Comment faire évoluer le système de brevets pour lui permettre d’assurer son rôle de moteur de l’économie sans pour autant contrarier l’innovation future ? Explications. —————— es questions sont nombreuses et font l’objet de débats fournis chez les politiques et les professionnels, au niveau européen et international. Si le brevet communautaire reste au centre de la politique européenne, le commissaire responsable du marché intérieur et des services, Charlie McCreevy, milite pour « un véritable marché unique pour les brevets » et a sollicité l’avis des industriels et des particuliers au sein d’une vaste consultation publique sur la future politique des brevets dans l’Union européenne. Clôturée le 31 mars, cette consultation a notamment porté sur la nature du système idéal de règlement des litiges, sur l’importance du système des brevets par rapport aux marques commerciales ou encore sur le degré d’importance accordé au système des brevets en Europe par rapport au système des brevets mondial. La prochaine étape est maintenant prévue pour le 13 juin, où les réactions recueillies constitueront la base d’une audition à Bruxelles. Du côté des professionnels, l’actualité est placée sous le signe de la recherche d’équilibres dans tous les secteurs de la propriété intellectuelle. Ce sujet sera ainsi le thème du prochain congrès de la Fédération internationale des conseils en propriété industrielle (FICPI), qui fête son centenaire fin mai à Paris. Son président, Francis Ahner et Jacques Warcoin, conseil en propriété industrielle, en expliquent les motivations et les enjeux, notamment dans l’industrie pharmaceutique. © CORBIS L AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S FAhner.qxp 29/03/06 15:59 Page 3 39 FRANCIS AHNER, PRÉSIDENT DE LA FICPI « Pour une limitation raisonnable » Le centenaire de la FICPI est placé sous le thème de la recherche d’équilibres dans tous les secteurs de la propriété industrielle. Dans cette quête, quelle pourrait être, pour l’industrie pharmaceutique, une juste délimitation de la portée des revendications d’un brevet ? L’industrie pharmaceutique est un cas particulier et l’un des premiers problèmes réside dans l’équilibre entre réservation et droits exclusifs d’exploitation s’exerçant sur un territoire et une période limitée, droits qui s’opposent un peu à la notion de perfectionnement par la recherche. L’approche en vigueur est une approche américaine, très protectrice des outils de recherche. Ainsi, on a vu parfois, aux EtatsUnis n’est pas question de jeter le bébé avec l’eau du bain et de dire que les brevets ont perdu leur intérêt aujourd’hui. Ceux-ci permettent en effet la poursuite de la recherche et l’industrie pharmaceutique est ainsi le domaine par excellence, où il faut continuer à recourir à la protection par des brevets. Sans cette possibilité de retour sur investissement, plus personne n’engagerait de frais importants pour de nouveaux développements. Il ne faut cependant pas tomber dans l’excès, faute de quoi on ferait imploser le système et on prêterait de plus en plus le flanc à la critique. C’est à cette notion d’équilibre protection industrielle/économie que je voudrais que le prochain congrès réfléchisse, avec, pourquoi pas, des aménagements permettant une limitation raisonnable des brevets. Comment pourraient s’exprimer de tels aménagements ? La transposition de la directive européenne sur les brevets en biotechnologie (directive 98/44/CE du Parlement européen et du Conseil du 6 juillet 1998) nous en offre un exemple concret, les législations nationales, en Allemagne et en France, ayant limité la portée des brevets. Ainsi, le premier brevet portant sur une séquence génique pourrait voir sa protection restreinte à la seule application spécifique qu’il décrit. Autrement dit, l’évolution de la recherche ne sera pas bloquée et la séquence en question pourra servir à d’autres applications susceptibles de présenter une valeur d’exploitation supérieure. Cette situation est contraire à l’approche traditionnelle des brevets qui veut qu’une molécule ou une séquence génique protégée par un brevet soit couverte pour toutes ses applications futures. Mais, les économistes critiquent cette approche qu’ils assimilent à un frein au développement. La création de licences obligatoires pourrait aussi ouvrir des possibilités de réglage, mais il faut réfléchir à de nouveaux mécanismes, de nouvelles adaptations pour équilibrer d’un côté une exploitation exclusive d’une invention et, de l’autre, le développement économique futur. © DR TROIS QUESTIONS À… Le commissaire européen Charlie McCreevy a lancé récemment une consultation sur le système des brevets et le concept de brevet communautaire. Comment interprétez-vous cette initiative ? Qu’en attendez-vous ? L’option choisie par Charlie McCreevy est astucieuse. Dans le questionnaire adressé pour consultation, il ne se limite pas à dire « j’ai besoin d’un brevet communautaire », mais il y adjoint le besoin d’un système communautaire, cohérent, harmonisé et unitaire au niveau de la juridiction chargée de valider les brevets, permettant ainsi d’avoir une jurisprudence homogène au niveau des actes de contrefaçon. Aujourd’hui, une invention considérée comme brevetable par un pays ne sera pas nécessairement reconnue comme tel dans une autre nation. Cette situation n’est pas tolérable. Un système de brevets a besoin d’être clair et prédictif pour permettre aux utilisateurs d’y voir aussi clair que les titulaires, faute de quoi toutes les critiques de nos amis économistes vont s’abattre sur le système des brevets pour essayer de le faire imploser. La solution réside-t-elle dans un brevet communautaire ? Je n’en suis pas sûr. Le besoin s’exprimera différemment selon le secteur industriel concerné. L’industrie automobile par exemple n’a pas besoin de se protéger dans tous les pays, ce qui n’est pas nécessairement le cas de l’industrie pharmaceutique qui voudrait une couverture plus homogène. Mais surtout, ce qui s’avère vital pour nous, c’est de disposer d’un système judiciaire centralisé afin d’éviter, en cas de contestation d’un brevet, d’avoir à faire face à des assignations multiples dans chaque pays de l’Union européenne. ■ JACQUES WARCOIN, CONSEIL EN PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE © DR « NE PAS PROLONGER LES MONOPOLES » Pour Jacques Warcoin, conseil en propriété industrielle au cabinet Regimbeau, « les nouvelles questions qui commencent à voir le jour sont liées au développement des convergences entre traitements et diagnostics. Lors de l’affaire Myriad avec les gènes de prédisposition au cancer du sein, il a été considéré, dans le cas du gène brca2, que l’application de ce test à une population particulière, en l’occurrence celle des femmes juives ashkénazes, était brevetable. L’essentiel de l’argumentation de la brevetabilité portait, d’ailleurs, sur le fait qu’il s’agissait d’une population particulière. S’ajoute également le problème de la pertinence du choix de ce gène. Un tel test est probablement brevetable aux Etats-Unis, où cette mutation est fréquemment présente au sein de la population juive askhénaze, ce qui n’est pas le cas en Europe. Des décisions récentes ont été rendues sur cette base et il a notamment été considéré que le fait de traiter avec un même produit des personnes hémophiles et des individus non hémophiles constituait deux applications thérapeutiques AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S FAhner.qxp 29/03/06 15:59 Page 4 B R E V E T S a c t u a l i t é s 41 différentes. En effet, dans le premier, il y a effectivement traitement d’une pathologie tandis que dans l’autre, l’utilisation du produit en question permettait d’améliorer la cicatrisation. Par ailleurs, les développements actuels de l’industrie pharmaceutique s’orientent à la fois vers des traitements de plus en plus ciblés et une exploitation maximale des molécules déjà connues. Ici, le risque est de se trouver confronté à des inventions exclues de la brevetabilité, à savoir les méthodes de traitement. Or on observe une montée en puissance de l’utilisation des molécules selon une certaine séquence. L’alendronate (Fosamax® de Merck & Co) utilisé pour le traitement de l’ostéoporose entre dans ce schéma. Ce produit est connu depuis plus de vingt ans et son brevet va tomber dans le domaine public. Il est utilisé à la dose de 10 mg/jour et a des effets secondaires assez désagréables tels que des reflux gastriques assez importants, ce qui impose de le prendre dans des conditions très strictes. Or, lorsque ce mé- dicament est utilisé en une prise hebdomadaire de 70 mg, ces effets sont atténués et de surcroît, réduits à une fois par semaine. Remplacer sept prises quotidiennes de 10 mg par une prise hebdomadaire de 70 mg peut-il être considéré comme une invention brevetable ? A priori, un tel changement peut paraître simpliste, pourtant ses avantages sont considérables. Ce cas fait actuellement l’objet de débats à l’Office européen des brevets. On peut aussi penser à l’intérêt que peuvent présenter des pauses thérapeutiques avec les anticancéreux pour limiter les neutropénies. La recherche sur une séquence thérapeutique va, elle aussi, demander des efforts qui auront besoin d’être valorisés, mais, elle ne doit pas non plus constituer une occasion de prolonger indûment des monopoles. Dans quelle mesure sera-t-il alors possible d’assouplir l’interprétation des méthodes thérapeutiques pour accepter de ce genre de revendications ? » ■ ANNE-LISE BERTHIER POUR TOUT SAVOIR Brevetabilité des gènes, biobanques, accès aux soins, recherche biomédicale, prospection de ressources biologiques dans les pays en développement, marché des organes… Le vivant est entré dans l’ère des pratiques contractuelles. A partir de l’étude de quelque 120 contrats choisis dans les règnes du végétal, de l’animal et de l’humain, Florence Bellivier et Christine Noiville développent dans l’ouvrage « Contrats et vivant » une analyse technique et politique de la contractualisation du vivant et de ses enjeux. Au travers de cette analyse, il s’agit notamment de savoir si le chercheur qui place un ADN dans une biobanque effectue un dépôt avec les conséquences juridiques qui en découlent ou encore de déterminer les conditions de mise à disposition d’une ressource biologique en fonction de la finalité recherchée, à savoir une exploitation directe thérapeutique, industrielle ou dans un but de recherche. Contrats et Vivants – LGDJ – Collection Traité des contrats -321 pages – 35 euros AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S