brevets faut-il les faire tomber?

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brevets faut-il les faire tomber?
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BREVETS
FAUT-IL LES FAIRE
TOMBER ?
Comment faire évoluer le système de brevets
pour lui permettre d’assurer son rôle de moteur
de l’économie sans pour autant contrarier
l’innovation future ? Explications.
——————
es questions sont nombreuses
et font l’objet de débats fournis
chez les politiques et les professionnels, au niveau européen et international. Si le brevet communautaire reste au centre de la
politique européenne, le commissaire
responsable du marché intérieur et
des services, Charlie McCreevy, milite
pour « un véritable marché unique
pour les brevets » et a sollicité l’avis des
industriels et des particuliers au sein
d’une vaste consultation publique sur
la future politique des brevets dans
l’Union européenne. Clôturée le 31
mars, cette consultation a notamment
porté sur la nature du système idéal de
règlement des litiges, sur l’importance
du système des brevets par rapport
aux marques commerciales ou encore
sur le degré d’importance accordé au
système des brevets en Europe par
rapport au système des brevets mondial. La prochaine étape est maintenant prévue pour le 13 juin, où les réactions recueillies constitueront la
base d’une audition à Bruxelles. Du
côté des professionnels, l’actualité est
placée sous le signe de la recherche
d’équilibres dans tous les secteurs de la
propriété intellectuelle. Ce sujet sera
ainsi le thème du prochain congrès
de la Fédération internationale des
conseils en propriété industrielle
(FICPI), qui fête son centenaire fin mai
à Paris. Son président, Francis Ahner et
Jacques Warcoin, conseil en propriété
industrielle, en expliquent les motivations et les enjeux, notamment dans
l’industrie pharmaceutique.
© CORBIS
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FRANCIS AHNER, PRÉSIDENT DE LA FICPI
« Pour une limitation raisonnable »
Le centenaire de la FICPI est placé sous le
thème de la recherche d’équilibres dans
tous les secteurs de la propriété
industrielle. Dans cette quête, quelle
pourrait être, pour l’industrie
pharmaceutique, une juste délimitation de
la portée des revendications d’un brevet ?
L’industrie pharmaceutique est un cas
particulier et l’un des premiers problèmes
réside dans l’équilibre entre réservation et
droits exclusifs d’exploitation s’exerçant
sur un territoire et une période limitée,
droits qui s’opposent un peu à la notion de
perfectionnement par la recherche.
L’approche en vigueur est une approche
américaine, très protectrice des outils de
recherche. Ainsi, on a vu parfois, aux EtatsUnis n’est pas question de jeter le bébé
avec l’eau du bain et de dire que les brevets
ont perdu leur intérêt aujourd’hui. Ceux-ci
permettent en effet la poursuite de la
recherche et l’industrie pharmaceutique
est ainsi le domaine par excellence, où il
faut continuer à recourir à la protection par
des brevets. Sans cette possibilité de
retour sur investissement, plus personne
n’engagerait de frais importants pour de
nouveaux développements. Il ne faut
cependant pas tomber dans l’excès, faute
de quoi on ferait imploser le système et on
prêterait de plus en plus le flanc à la
critique. C’est à cette notion d’équilibre
protection industrielle/économie que je
voudrais que le prochain congrès
réfléchisse, avec, pourquoi pas, des
aménagements
permettant une
limitation raisonnable
des brevets.
Comment pourraient s’exprimer de tels
aménagements ?
La transposition de la directive européenne
sur les brevets en biotechnologie (directive
98/44/CE du Parlement européen et du
Conseil du 6 juillet 1998) nous en offre un
exemple concret, les législations nationales,
en Allemagne et en France, ayant limité la
portée des brevets. Ainsi, le premier brevet
portant sur une séquence génique pourrait
voir sa protection restreinte à la seule
application spécifique qu’il décrit.
Autrement dit, l’évolution de la recherche ne
sera pas bloquée et la séquence en question
pourra servir à d’autres applications
susceptibles de présenter une valeur
d’exploitation supérieure. Cette situation est
contraire à l’approche traditionnelle des
brevets qui veut qu’une molécule ou une
séquence génique protégée par un brevet
soit couverte pour toutes ses applications
futures. Mais, les économistes critiquent
cette approche qu’ils assimilent à un frein au
développement. La création de licences
obligatoires pourrait aussi ouvrir des
possibilités de réglage, mais il faut réfléchir à
de nouveaux mécanismes, de nouvelles
adaptations pour équilibrer d’un côté une
exploitation exclusive d’une invention et, de
l’autre, le développement économique futur.
© DR
TROIS QUESTIONS À…
Le commissaire européen Charlie
McCreevy a lancé récemment une
consultation sur le système des
brevets et le concept de brevet
communautaire. Comment
interprétez-vous cette initiative ?
Qu’en attendez-vous ?
L’option choisie par Charlie
McCreevy est astucieuse. Dans le
questionnaire adressé pour
consultation, il ne se limite pas à dire
« j’ai besoin d’un brevet communautaire »,
mais il y adjoint le besoin d’un système
communautaire, cohérent, harmonisé et
unitaire au niveau de la juridiction chargée
de valider les brevets, permettant ainsi
d’avoir une jurisprudence homogène au
niveau des actes de contrefaçon.
Aujourd’hui, une invention considérée
comme brevetable par un pays ne sera pas
nécessairement reconnue comme tel dans
une autre nation. Cette situation n’est pas
tolérable. Un système de brevets a besoin
d’être clair et prédictif pour permettre aux
utilisateurs d’y voir aussi clair que les
titulaires, faute de quoi toutes les critiques
de nos amis économistes vont s’abattre sur
le système des brevets pour essayer de le
faire imploser. La solution réside-t-elle dans
un brevet communautaire ? Je n’en suis pas
sûr. Le besoin s’exprimera différemment
selon le secteur industriel concerné.
L’industrie automobile par exemple n’a pas
besoin de se protéger dans tous les pays, ce
qui n’est pas nécessairement le cas de
l’industrie pharmaceutique qui voudrait une
couverture plus homogène. Mais surtout, ce
qui s’avère vital pour nous, c’est de disposer
d’un système judiciaire centralisé afin
d’éviter, en cas de contestation d’un brevet,
d’avoir à faire face à des assignations
multiples dans chaque pays de l’Union
européenne. ■
JACQUES WARCOIN, CONSEIL EN PROPRIÉTÉ INDUSTRIELLE
© DR
« NE PAS PROLONGER LES
MONOPOLES »
Pour Jacques Warcoin, conseil
en propriété industrielle au cabinet Regimbeau, « les nouvelles questions qui commencent à voir le jour sont liées au
développement des convergences entre traitements et diagnostics. Lors de l’affaire Myriad
avec les gènes de prédisposition
au cancer du sein, il a été considéré, dans le cas du gène brca2,
que l’application de ce test à une
population particulière, en l’occurrence celle des femmes juives
ashkénazes, était brevetable. L’essentiel de l’argumentation de la
brevetabilité portait, d’ailleurs, sur
le fait qu’il s’agissait d’une population particulière. S’ajoute également le problème de la pertinence
du choix de ce gène. Un tel test est
probablement brevetable aux
Etats-Unis, où cette mutation est
fréquemment présente au sein de
la population juive askhénaze, ce
qui n’est pas le cas en Europe. Des
décisions récentes ont été rendues
sur cette base et il a notamment
été considéré que le fait de traiter
avec un même produit des personnes hémophiles et des individus non hémophiles constituait
deux applications thérapeutiques AV R I L 2 0 0 6 _ P H A R M A C E U T I Q U E S
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différentes. En effet, dans le premier,
il y a effectivement traitement d’une
pathologie tandis que dans l’autre,
l’utilisation du produit en question
permettait d’améliorer la cicatrisation. Par ailleurs, les développements
actuels de l’industrie pharmaceutique s’orientent à la fois vers des traitements de plus en plus ciblés et une
exploitation maximale des molécules
déjà connues. Ici, le risque est de se
trouver confronté à des inventions
exclues de la brevetabilité, à savoir les
méthodes de traitement. Or on observe une montée en puissance de
l’utilisation des molécules selon une
certaine séquence. L’alendronate (Fosamax® de Merck & Co) utilisé pour
le traitement de l’ostéoporose entre
dans ce schéma. Ce produit est
connu depuis plus de vingt ans et son
brevet va tomber dans le domaine
public. Il est utilisé à la dose de 10
mg/jour et a des effets secondaires
assez désagréables tels que des reflux
gastriques assez importants, ce qui
impose de le prendre dans des conditions très strictes. Or, lorsque ce mé-
dicament est utilisé en une prise hebdomadaire de 70 mg, ces effets sont
atténués et de surcroît, réduits à une
fois par semaine. Remplacer sept
prises quotidiennes de 10 mg par une
prise hebdomadaire de 70 mg peut-il
être considéré comme une invention
brevetable ?
A priori, un tel changement peut
paraître simpliste, pourtant ses avantages sont considérables. Ce cas fait
actuellement l’objet de débats à l’Office européen des brevets. On peut
aussi penser à l’intérêt que peuvent
présenter des pauses thérapeutiques
avec les anticancéreux pour limiter
les neutropénies. La recherche sur
une séquence thérapeutique va, elle
aussi, demander des efforts qui auront besoin d’être valorisés, mais, elle
ne doit pas non plus constituer une
occasion de prolonger indûment des
monopoles. Dans quelle mesure
sera-t-il alors possible d’assouplir
l’interprétation des méthodes thérapeutiques pour accepter de ce genre
de revendications ? » ■
ANNE-LISE BERTHIER
POUR TOUT SAVOIR
Brevetabilité des gènes, biobanques,
accès aux soins, recherche biomédicale,
prospection de ressources biologiques
dans les pays en développement, marché
des organes… Le vivant est entré dans
l’ère des pratiques contractuelles. A
partir de l’étude de quelque 120 contrats
choisis dans les règnes du végétal, de
l’animal et de l’humain, Florence Bellivier
et Christine Noiville développent dans
l’ouvrage « Contrats et vivant » une
analyse technique et politique de la
contractualisation du vivant et de ses
enjeux. Au travers de cette analyse, il
s’agit notamment de savoir si le
chercheur qui place un ADN dans une
biobanque effectue un dépôt avec les
conséquences juridiques qui en découlent
ou encore de déterminer les conditions
de mise à disposition d’une ressource
biologique en fonction de la finalité
recherchée, à savoir une exploitation
directe thérapeutique, industrielle ou
dans un but de recherche.
Contrats et Vivants – LGDJ – Collection
Traité des contrats -321 pages – 35 euros
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