RER, de Jean-Marie Besset. - Dominique Christophe L`agence

Transcription

RER, de Jean-Marie Besset. - Dominique Christophe L`agence
RER
De Jean-Marie Besset
Revue de presse
Théâtre de la Tempête
11 mars – 18 avril 2010
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Critique
Un feuilleton documentaire dans la France des
préjugés
LE MONDE | 22.03.10 | 14h08 • Mis à jour le 22.03.10 | 14h08
a nouvelle pièce de Jean-Marie Besset, R.E.R., qui est présentée au Théâtre de
la Tempête, à la Cartoucherie de Vincennes, s'appuie sur un fait divers réel :
l'histoire de Marie-Léonie Leblanc, la jeune femme qui avait déclaré avoir été
victime d'une agression antisémite, dans le RER D, en juillet 2004. L'affaire
avait fait grand bruit, jusqu'au sommet de l'Etat, avant de se dégonfler, quand
Marie-Léonie Leblanc avait avoué avoir tout inventé.
Jean-Marie Besset dit s'être inspiré d'un autre fait divers, américain cette fois
: en 1988, une adolescente noire, Tawana Brawley, avait fait croire qu'elle
avait été victime d'une agression raciste. Mais cette histoire-là n'apparaît pas
directement dans la pièce, sinon à travers les propos racistes de la mère de
Jeanne, le personnage principal.
Jeanne (Mathilde Bisson) est une fille un peu perdue, qui adore s'acheter des
valises parce qu'elle rêve de voyage. Elle rencontre Jo (Marc Arnaud),
immédiatement jugé arabe par sa mère (Andréa Ferréol), et vit avec lui, à
Drancy. Il ne fait pas grand-chose, elle travaille comme caissière. Elle a cru au
grand amour qui l'emmènerait au bout du monde. Mais elle s'ennuie.
Un matin où Jo part traîner aux Halles, à Paris, elle simule l'agression dans le
RER. Herman (Didier Sandre), l'avocat qui la défend, est un bourgeois cultivé
d'âge mûr, esthète, juif et homosexuel. Dans sa sphère rode un jeune
ingénieur, A.-J. (Lahcen Razzougui), dont il est le protecteur et l'amoureux
sans espoir. A.-J. est fou d'une étudiante (Chloé Olivères) qui se fait appeler
Onyx parce que son vrai nom, Judith Bleistein, "faisait trop princesse juive".
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L'universalisme républicain
Voilà pour le cadre : deux mondes socialement opposés dans une France où
tout est confus, sauf les préjugés. Jean-Marie Besset tire sur ces fils, un peu
comme dans un feuilleton-documentaire où l'on a l'impression de voir des
cartons annonçant "Attention, racisme", "Attention, antisémitisme",
"Attention, homophobie".
On ne décroche pas, parce qu'on veut savoir où tout cela mène. La pièce est
bien construite, la facilité d'écriture évidente et la distribution attractive. Mais
on s'interroge sur le nivellement qui tend à mettre au même plan les
questions sexuelles et politiques, les bons mots anti-intellectuels et les
indignations. On se demande aussi pourquoi un ingénieur de haut niveau
devrait être aussi abruti qu'A.-J. et ne fasse pas le poids face à sa copine
obsédée par Roland Barthes.
"L'universalisme républicain, au péril des revendications communautaires,
est au coeur de la pièce de Jean-Marie Besset", écrit Gilbert Desveaux, le
metteur en scène de R.E.R., dans la bible du spectacle. On aurait aimé que
cela fût vraiment. R.E.R. fera l'ouverture de la saison 2010-2011 au Théâtre
des Treize-Vents, centre dramatique national de Montpellier, dont JeanMarie Besset est directeur depuis le 1er janvier.
R.E.R., de Jean-Marie Besset. Mise en scène : Gilbert Desveaux. Théâtre
de la Tempête, Cartoucherie-de-Vincennes, Paris 12e. M° Château de
Vincennes, puis bus. Tél. : 01-43-28-36-36. De 10 €. à 18 €. Jeudi, à 19 h 30 ;
mardi, mercredi, vendredi et samedi, à 20 h 30 ; dimanche, à 16 heures.
Durée : 2 heures. Jusqu'au 18 avril.
Brigitte Salino
Article paru dans l'édition du 23.03.10
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Théâtre et Compagnie par Odile Quirot
18.03.2010
Besset a le "R.E.R" lourd
Dans "R.E.R" Jean-Marie Besset a pour lui la grande Andréa Férréol ( sur notre
photographie), Didier Sandre, un beau sujet brûlant, mais sa pièce, bavarde, relève de la
lourde dissertation plus que de la comédie dramatique.
Et aussi: dans "Le Grenier" du Japonais Yôji Sakate, avec Jacques Osinski.
Je sais, on va me dire que, naturellement, m’étant élevée l’hiver dernier contre les conditions de la
nomination de Jean-Marie Besset au Centre Dramatique National de Montpellier – où il est entré
en fonction le 1er janvier – je ne pouvais pas dire du bien de sa dernière pièce « R.E.R »
actuellement à l’affiche du théâtre de la Tempête à la Cartoucherie de Vincennes (jusqu’au 18
avril). Erreur, parce que le plus important est de juger sur pièce. On verra les choix Jean-Marie
Besset, directeur d’institution publique. Pour l’instant, on voit « R.E.R », tout en ayant souvenir
d’avoir applaudi du même auteur, par exemple en 1988, « Ce qui arrive et ce qu’on attend », une
fine comédie dans les coulisses du pouvoir.
Jean-Marie Besset écrit sur la société de son temps. Cette fois, dans « R.E.R » il s’inspire d’un faits
divers qui avait suscité une très vive émotion : une jeune fille avait accusé des jeunes noirs et
maghrébins de l’avoir agressée, en la traitant de « juive » et en lui dessinant des croix gammées
sur le ventre. La France entière, et jusqu’au président de la République, avait dénoncé le retour de
l’antisémitisme. Or la jeune fille avait menti, fabulé.
Retour dans le « R.E.R » de Jean-Marie Besset, mis en scène par Gilbert Désveaux avec un
savoir-faire sage, sinon brillant, et avec de bons acteurs, dont la grande Andréa Ferréol qui ferait
aimer le personnage le plus platement écrit.
Tout commence sur un quai, porte de Clignancourt, où Jeanne, une jeune fille un peu paumée
(Mathilde Bisson) négocie l’achat de valises qui visiblement ne la mèneront nulle part, sauf dans
les bras de Jo (Marc Arnaud). Elle est caissière à Drancy, lui un peu dealer, et gardien d’entrepôt à
ses heures. Elle a pour mère une femme de peu, Madame Argense, qui fustige en vrac les arabes,
les juifs, les homos (Andréa Férréol). Changement de cadre : dans un appartement chic, Herman,
un brillant avocat, juif et homosexuel (Didier Sandre) tente de draguer une dernière fois et en vain
le jeune ingénieur A.J (Lachen Razzougni) qui ne jure que par les beaux yeux – et pas seulement –
d’une dénommée Onyx (Chloé Rivière), une intello qui cite Barthes et a le feu aux fesses. Quand
Jeanne va inventer son agression – parce qu’il faut bien que quelque chose d’exceptionnel lui
arrive – Herman sera son avocat délégué d’office. Alors, tout ce petit monde – ceux d’en haut et
ceux d’en bas – vont se croiser, échanger leurs idées reçues, et en changer. Enfin, juste un peu.
Tout s’achève par une main serrée entre Herman et Madame Argense, qui semble se dire, que, tout
compte fait, on peut être riche, juif et homosexuel et être un homme bien. Tout ça pour ça ?
Sur cette histoire chargée - les juifs, les arabes, les riches, les pauvres, les homos, on en oublie 4
Besset écrit des répliques qui pèsent des tonnes. Exemple ? Un aparté d’Herman - naturellement
féru de théâtre audacieux - sur le parking pisseux de la MC 93 qui visiblement n’a pas laissé des
bons souvenirs à Besset. Et puis l’auteur joue à cache-cache avec les idées reçues et les clichés
qu’il orchestre, déploie. Il souffle le chaud et le froid, mais lui, on ne sait pas où il est, et ses
personnages n’ont pas beaucoup de consistance. Les caissières de supermarché sont-elles toutes
aussi sottes, et les femmes intello toutes aussi prétentieuses et accros au sexe ? Pourquoi pas, mais
alors il fallait écrire une farce, pas ce théâtre là qui relève de la dissertation avec thèse, atithèse, et
fort peu de synthèse.
On ressort de « R.E.R » avec une impression de malaise et la soirée (deux heures) passe avec la
lourdeur du métro de maintenance qui se fait parfois entendre jusque dans l’appartement de
l’avocat Herman. On songe avec nostalgie à la virulence du jeune théâtre allemand (Von
Mayenburg) ou anglais (Martin Crimp), à la finesse politique et musicale de Michel Vinaver,
ce grand auteur français qui s’empare des sujets de notre temps en de magistrales comédies.
Yôji Sakate est japonais, et il est né en 1962. On le découvre avec « Le Grenier », que crée
Jacques Osinski, directeur du Centre Dramatique National des Alpes. (Rond-point, jusqu’au 3
avril). Sakate décrit un phénomène : les « Hikikomori », ces jeunes gens qui s’enferment dans leur
chambre, vivent et communiquent via leurs ordinateurs. Evidemment, cette tendance n’est pas
propre à la jeunesse japonaise, mais le pays du Soleil Levant est aussi celui des extrêmes.
Ce qui est baptisé « grenier » est une sorte de petit caisson tout en bois à installer partout, dans les
arbres, les maisons, les rues ; il relève de la cabane ou du grenier d’enfance, ce refuge des rêves
contre la réalité. Un jeune homme s’est suicidé dans un de ses « greniers », et son frère mène
l’enquête, veut trouver qui est le constructeur qui les vend en kit sur internet. La pièce est
découpée en scènes brèves, et dans le grenier – sur scène, un lieu unique, où aucun des comédiens
ne tient vraiment debout - on croise des ados songeurs ou violents, leurs parents, des policiers, des
enseignants, bref un panel de la société, et aussi quelques fantômes. Dans cet espace si exigu, un
peu comique donc, même si témoignant d’un extrême désarroi, la plupart des comédiens possèdent
un jeu très expressif, agité et inégal. Osinski a trouvé une bonne pièce, mais on rêverait d’un
« Grenier » plus halluciné, plus réel et étrange tout à la fois.
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- "R.E.R.": Besset face à l'incompréhension entre les êtres - Fait rare, "R.E.R." a inspiré un
film ("La Fille du RER" d'André Téchiné) avant d'être représentée. A l'affiche de La
Tempête à Paris jusqu'au 18 avril, la pièce montre des personnages qui, de par leurs milieux
et leurs métiers, ne devraient pas se rencontrer, ce à quoi ne se résout pas son auteur JeanMarie Besset.
Ce dernier, à partir de deux faits divers aux Etats-Unis et en France - l'affabulation de deux
jeunes femmes en mal de reconnaissance -, a imaginé une intrigue entrecroisant la vie de
jeunes couples aux extrémités de l'échelle sociale. D'un côté, une caissière de supermarché
à Drancy et un travailleur occasionnel, de l'autre une jolie intellectuelle du Quartier latin et
un ingénieur exilé à Pékin.
L'auteur a complété le tableau en y ajoutant deux adultes témoins des problèmes de ces
couples : un avocat de gauche, juif et homosexuel, et la mère de la caissière, une femme
simple et hostile à toute forme de différence.
Gilbert Désveaux, associé au centre dramatique national (CDN) de Montpellier que dirige
Jean-Marie Besset et qui affichera "R.E.R." la saison prochaine, signe une mise en scène
fluide de la pièce grâce à la scénographie mobile, très "design" d'Alain Lagarde.
La distribution est constamment juste, qu'il s'agisse des aînés campés par Didier Sandre et
Andréa Ferréol et des interprètes des jeunes couples, Mathilde Bisson (en touchante
caissière mythomane), Marc Arnaud (en loubard resquilleur), Chloé Olivères (en jeune
parisienne politisée et aguicheuse) et Lahcen Razzougui (en cadre pragmatique).
Yves Bourgade
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Lundi 22 mars 2010
THÉÂTRE/ TEMPÊTE
R.E.R., entre finesse et maladresses
Par Nedjma Van Egmond
Didier Sandre et Chloé Olivères © Marc Ginot
Drôle de véhicule que ce R.E.R.-là, qui nous emmène, en un coup de rame, depuis un loft glacé parisien jusqu'à l'appartement
modeste d'une veuve de banlieue, d'un cinéma d'art et d'essai du quartier Latin à un hangar de Drancy. Qui embarque côte à côte
caissière de Lidl et thésarde cultivée, jeune loup et avocat plus mûr, brillant et sophistiqué. Jeunes, vieux, riches, pauvres, juifs,
goys, homos, hétéros, bavards et taiseux. On se regarde en chien de fusil, on se dissèque, on se juge puis on finit par se serrer la
main ou s'embrasser.
La fausse agression antisémite du R.E.R., c'est le prétexte et en même temps le noeud de la pièce, c'est surtout l'occasion de
mettre en présence des êtres à la dérive sociale et d'autres en souffrance sentimentale.
Drôle de texte que celui-là, qui souffle sans cesse le chaud et le froid, nous régale de son humour raffiné avant de nous
assommer avec des généralités éculées, se joue de la subtile observation de l'humain avant de brasser des clichés. Mais JeanMarie Besset est un auteur de talent qui, malgré les maladresses, sait tricoter habilement les situations et croquer des
personnages attachants, qu'il regarde avec une empathie sincère.
Sous la conduite de Gilbert Désveaux, l'admirable distribution l'emporte ici sur les réserves. Si on adhère moyennement à la
performance mi-Arletty mi-Bardot de la jeune Mathilde Bisson, on applaudit Andréa Ferreol qui se tire bien d'une partition
difficile, Chloé Olivères, très fine, Lahcen Razzoughi, touchant dans ses failles. Et surtout Didier Sandre. En avocat esthète et
solitaire, il fait rire, il émeut, il surprend. Son évocation d'Oscar Wilde ou de sa virée malheureuse à Bobigny sont des moments
de bravoure. Quel métier, quel raffinement, quelle élégance ! Sa présence seule vaut le voyage.
R.E.R. de Jean-Marie Besset. Mise en scène de Gilbert Désveaux. Avec Didier Sandre, Andréa Férréol, Marc Arnaud, Mathilde
Bisson, Brice Hillairet, Chloé Olivères, Lahcen Razzougui. Théâtre de la Tempête, Cartoucherie de Vincennes, jusqu'au 18
avril. 01.43.28.36.36. Mardi, mercredi, vendredi et samedi à 20 h 30, jeudi à 19 h 30, dimanche à 16 heures. Samedi 27 mars à
17 heures. Relâche exceptionnelle le mardi 30 mars. Tarifs de 19 à 18 euros. Et du 23 septembre au 9 octobre au Théâtre des 13
Vents, Montpellier.
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Dimanche 7 mars 2010
« R.E.R. », de Jean-Marie Besset (critique de Marie-Christine
Harant), Théâtre Jean-Alary à Carcassonne
Besset : première rame sur les rails
Après le tsunami provoqué par sa nomination à la tête du Théâtre des Treize-Vents, Jean-Marie Besset vient de se
soumettre à une autre épreuve, la première très attendue de « R.E.R », dans sa ville natale de Carcassonne. La pièce,
ovationnée par les spectateurs, est sur les rails pour affronter le public parisien au Théâtre de la Tempête.
’affaire a fait grand bruit en 2004. Médias et président de la République, partis politiques, la France entière s’est
passionnée pour cette fille violentée dans le R.E.R. sous l’œil indifférent des témoins. Cet acte odieux a été promptement
fustigé. Ce crime odieux antisémite a bouleversé chaumières et beaux quartiers. Et puis l’indignation a changé de cible lorsque
la supposée victime a avoué. L’agression ? Une invention pour faire parler d’elle. La mythomane avait réussi au-delà de ses
espérances. Cependant, par cet acte, elle exposait son mal-être, elle tirait une sonnette d’alarme pour crier sa solitude, son
désespoir. Un fait-divers qui a inspiré à Jean-Marie Besset le thème de sa pièce R.E.R. et à André Téchiné la Fille du R.E.R.,
dont le dramaturge a cosigné le scénario.
Le fameux fait-divers n’est qu’un prétexte pour Jean-Marie Besset à nouer une intrigue bien ficelée et faire se rencontrer de
manière crédible des mondes qui auraient pu ne pas se croiser, si ce n’est par hasard au coin d’une rue. Des gens ancrés dans le
xxie siècle avec leurs problèmes, qui sont aussi les nôtres, sources inépuisables d’inspiration pour l’auteur. Jeanne collectionne
les valises : c’est sa façon de voyager loin du Lidl où elle est caissière. Jo, un gars du 93, la drague. Ils vivent bientôt une
histoire torride sous le regard désapprobateur de Mme Argense, la mère de Jeanne, courageuse mais du genre beauf bourré de
préjugés. Pendant ce temps, A. J., jeune cadre dynamique, ne sait comment reconquérir la troublante Onyx, ouvreuse dans un
cinéma tout en poursuivant des études de Normalienne. Il demande à son ami Herman, avocat homosexuel, de plaider sa cause
auprès d’Onyx. Parallèlement, l’avocat est commis d’office pour défendre Jeanne après son forfait, la pseudo-agression du
R.E.R.
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« R.E.R. » | © Marc Ginot
Ce petit drame se noue et se dénoue à travers une douzaine de scènes, dans des endroits aussi différents que la porte de
Clignancourt, un appartement, un commissariat, un hall de cinéma, un cabinet d’avocat, sa chambre, l’aéroport. Le décor
d’Alain Lagarde est constitué de blocs qui se rapprochent, se tournent ou s’écartent, laissant apparaître les éléments symboliques
de chaque scène. Ils permettent au spectateur de se transporter clairement d’un univers à un autre, tandis que la musique de
Vincent Butori et Jean-François Thomelin rythme les changements d’ambiance. La mise en scène de Gilbert Désveaux peut
paraître très classique. Elle est surtout limpide, au service d’une intrigue forte qui ne nécessite pas une lecture alambiquée.
Gilbert Désveaux est tout aussi heureux dans sa direction d’acteurs. Pas de décalage ou de crise d’hystérie intempestive comme
on en voit trop sur les scènes contemporaines. Non, rien que des personnages humains en proie à leurs difficultés quotidiennes.
Didier Sandre n’écrase par ses jeunes partenaires de son talent. Il trouve en Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Chloé Olivères,
Lahcen Razougui des partenaires à la hauteur. Tout au plus, pourrait-on reprocher à Andréa Ferréol, par ailleurs excellente, son
accent du Midi pas du tout narbonnais. Dans des rôles secondaires, on retrouve avec plaisir Brice Hillairet, qui vient de
triompher dans une reprise de Perthus, toujours de Jean-Marie Besset. Avec R.E.R, Jean-Marie Besset s’est mis sur les rails de
sa nouvelle fonction. Une première rame de bon augure pour la suite. ¶
Marie-Christine Harant
Les Trois Coups
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semaine du 25 février au 3 mars 2010
J’aurais dû
Didier Sandre : « J’espère encore trouver la lumière ! »
À partir du 11 mars, au théâtre de la Tempête, Didier Sandre sera sur scène avec Andréa Ferréol dans RER, la pièce de JeanMarie Besset qui a inspiré André Téchiné pour son film la Fille du RER.
Que souhaitaient vos parents ?
Que j’aie une vie normale. Que je rentre dans une banque, que je devienne instituteur ou militaire comme presque tous les
membres de ma famille. C’est douloureux de ne pas correspondre à ce que vos parents veulent pour vous. Cela engendre parfois
des ratages de rêver d’autres choses, de vouloir faire du théâtre,
de sentir en soi une aspiration forte.
Mais quel enfant étiez-vous ?
J’avais le sentiment diffus de ne pas être fini. J’étais extravagant et fugueur, je racontais beaucoup d’histoires – « C’est un
enfant menteur », disait-on de moi. Le réel m’étouffait, j’en voulais toujours plus. En découvrant la poésie et le théâtre, je me
suis comme envolé dans l’imaginaire.
Vous avez travaillé avec Chéreau, Strehler, Vitez, Béjart, Boulez, Rohmer… Cependant, on a le sentiment que vous
n’avez pas la carte des « professionnels de la profession ».
Ai-je jamais cherché à l’obtenir ? Plusieurs fois, on m’a proposé d’entrer à la Comédie-Française, plusieurs fois, j’ai eu des
occasions que je n’ai pas saisies. Je me disais toujours : « Non, ce n’est pas ça que je cherche. » J’ai eu des récompenses, la
reconnaissance ne m’a pas fait défaut, mais ma quête était ailleurs. J’en suis encore là, j’espère toujours trouver la lumière
quelque part.
Parce que la lumière des projecteurs ne vous suffit pas ? Vous visez « au-delà » ?
Oui, bien sûr, il y a quelque chose qui m’impressionne beaucoup dans l’au-delà, dans la transcendance, dans le dépassement. Ce
que je vise, sans doute, c’est comprendre un jour le sens de moi-même, être un peu plus apaisé et mourir sans regrets.
Quel regret avez-vous ?
J’aurais aimé avoir des enfants et des petits-enfants, un prolongement de ma propre existence. Il y a parfois quelque chose
d’effrayant dans l’image de la branche sèche. Mes frères et sœurs ont des familles, des descendances qui s’organisent en tribus,
je reste à la marge de cette vie-là. Cela dit, pas de mélo ! J’ai fait des choix professionnels qui m’ont réussi, je les ai poursuivis
et, même si je n’ai pas l’impression d’avoir été beaucoup épargné, l’avenir n’en reste pas moins une promesse apaisante.
Les personnages de RER ne devaient pas se rencontrer. C’est le geste désespéré de Jeanne qui bouscule l’ordre des
choses. Mais un fait divers ne suffit pas à rapprocher ceux qui le vivent. Vous vous reconnaissez dans la solitude de ces
héros malgré eux ?
Je ne sais pas si je m’y reconnais, mais en tout cas elle me touche. Et cela me touche aussi parce que je travaille avec de jeunes
acteurs qui démarrent leur métier, alors que moi je suis à leurs yeux un vétéran. Du coup, dans ma façon d’interroger le texte et
de le jouer, je sens la responsabilité du repère théâtral que je peux représenter pour cette génération d’acteurs.
Gérard Miller - publié le 25/02/2010
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Comédie dramatique de Jean-Marie Besset, mise en scène de Gilbert Desvéaux, avec
Andréa Ferréol, Didier Sandre, Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet, Chloé
Olivérès et Lahcen Razzougui.
La pièce "RER" de Jean-Marie Besset, qui a d'abord été portée au
cinéma par André Téchiné sous le titre "La fille du RER", vient sur son
terrain naturel qu'est la scène, en l'occurrence, celle du Théâtre de la
Tempête.
Vivant à cheval entre Paris et New York, Jean-Marie Besset s'est
inspiré de faits divers, survenus en France comme outre-Atlantique,
dans lesquels des jeunes filles ont inventé des agressions à caractère
sexuel et raciste, comme manifestations de leur souffrance psychique
face à une société qui ne répond pas à leurs aspirations et n'entend
pas leur désespoir, qui ont défrayé la chronique socio-politique au
terme d'un battage médiatique et politique immédiat dans un monde
en quête de sensationnel et de chevaux de bataille.
Mais ce n'est pas cet aspect qu'il traite mais, en sus de ses thématiques récurrentes que sont
la judaïté et l'homosexualité, du clivage socio-culturel entre pauvres et riches que seuls des
télescopages inattendus mettent en contact de manière très occasionnelle car, si le
dénouement est en demie teinte, l'opus ne déroge pas à la croyance en un déterminisme
social.
Sur scène, un somptuaire décor mobile de Alain Lagache focalise sur ce clivage comme la
structure en brèves scènes de la partition théâtrale qui penche vers la tragi-comédie avec des
personnages monovalents voire caricaturaux.
D'un côté la banlieue, du 9-3 bien sûr, et le pathétique tous azimuths et sans avenir, avec une
caissière de supérette à la dérive qui veut être aimée et rêve d'être la madone des boeings
(Mathilde Bisson) dotée d'une mère caricature de la beaufitude du français de souche aigri,
xénophobe et poujadiste (André Férreol saisissante) et qui suit le premier venu, un paumé qui
vit d'expédients (Marc Arnaud réaliste sans sur-jeu).
De l'autre, les beaux quartiers parisiens et l'open space des nantis sans problème de fins de
mois, un avocat, cultivé et aisé, juif et homosexuel (Didier Sandre épatant dans le
désenchantement), éconduit par un jeune centralien travaillant en Chine (Lahcen Razzougui)
épris d'une riche étudiante juive qui joue les ouvreuses dans un cinéma d’art et d’essais et les
passionnarias (Chloé Olivérès).
Dans la mise en scène, classique comme à son habitude, de Gilbert Desveaux, devenu fidèle
compagnon de route théâtrale de l'auteur, deux scènes d'anthologie. La première scène de la
pièce, la scène de la fille aux valises, dans laquelle Mathilde Bisson, récente promue du
CNSAD, qui promène toujours son air de lévitante illuminée, fait merveille.
En suite, la scène de consommation homosexuelle avortée entre Didier Sandre prodigieux
dans le dessillement mélancolique et Marc Arnaud saisissant de vérisme, qui, avec la
digression sur Oscar Wilde, marque la mesure et l'impact du fossé culturel non seulement
quant aux conséquences sociales sur mais également sur la structuration de l'individu.
MM
13
par Thierry de Fages
Depuis sa première pièce Villa Luco, qui évoquait les ambiguïtés de
l’après-guerre, Jean-Marie Besset poursuit une œuvre où s’entrelacent
Histoire et histoires : après le désir de réussite et les compromissions
de la politique, R.E.R. révèle, par rencontres inattendues et collisions
sidérantes, les dissonances sociales…
R.E.R., comme son nom à métaphore labyrinthique le suggère, est un drame
proposant un voyage sinueux aux tonalités mélancoliques et humoristiques.
Mais il ne s’agit nullement d’une entrée à sens unique dans le grand tunnel
de la solitude et autres petits problèmes quotidiens, thème déjà ultrarabâché
au théâtre et ailleurs. L’ambitieuse pièce de Jean-Marie Besset, mise en
scène par Gilbert Désveaux, possède une saveur particulière, rappelant
parfois celle du récent Cercles/Fictions de Joël Pommerat. L’on y raconte
une fable sociale, à la fois prenante et réaliste, quelque part subtilement
irrévencieuse et un brin humaniste…
Dans R.E.R, l’auteur de Villa Luco et de Perthus traite avec une légèreté
malicieuse de sujets sérieux : le rôle ambigu des médias, la mise en scène
permanente de l’individu lambda – bonjour Christopher Lasch et David
Riesman ! -, l’antisémitisme subtil ou encore le regard posé sur les
homosexuels. En outre, l’emploi d’une langue élégante et simple permet au
texte de Besset de s’aventurer dans les contours complexes de la fracture
sociale et des replis identitaires/communautaires.
En fait, l’intrigue de R.E.R. repose sur la mythomanie de Jeanne, pauvre fille
qui met en scène une agression dans un R.E.R. pour prouver au monde
qu’elle existe. L’histoire de Marie-Léonie Leblanc, véritable feuilleton
politico-médiatique de l’été 2004, a été une des sources d’inspiration de
Besset. Heureusement, le propos théâtral de l’auteur, riche, va au-delà du
seul cas de Jeanne la mythomane, s’attachant en permanence à
comprendre chaque personnage, pris entre les maillons de la mesquinerie et
de l’empathie. Les motivations de chacun y sont analysées avec beaucoup
de finesse. Et R.E.R. offre là une belle réflexion sur bon nombre de sujets,
qu’ils soient d’actualité ou concernant la sphère privée.
La mise en scène de Gilbert Désveaux, fidèle au texte de Besset, met à
contribution des comédiens chevronnés – le subtil Didier Sandre et la
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redoutable Andréa Ferréol - et de jeunes acteurs convaincants, comme
Marc Arnaud, Chloé Olivères, Mathilde Bisson et Lahcen Razzougui. Il y
a Herman, avocat parisien, esthète brillant et homme influent ; Jo, travailleur
occasionnel dans une société de gardiennage, emporté et amoureux ; Onyx,
jolie intellectuelle du Quartier latin, à la fois étudiante et ouvreuse de cinéma
; A.J., ingénieur amoureux, exilé à Pékin ; Jeanne, jeune femme
mythomane et paumée ; Madame Argense, femme simple et amère…
En une progression narrative au rythme jubilatoire, Désveaux nous fait
pénétrer dans le quotidien de tous ces personnages disparates amenés à se
rencontrer, à se tester, à se fuir pour mieux s’apprécier ou ne plus se voir. Un
décor stylé et original, un environnement sonore insolite et, surtout, la variété
de l’espace scénique – appartement, cabinet d’avocat, hall de cinéma,
aéroport, marché aux puces – contribuent à donner à la pièce ce climat fort
de suspense psychologique.
La plus grande réussite de R.E.R. réside peut-être dans cette continuelle
investigation sociétale, en toute légèreté, de ce que l’on pourrait appeler faute de mieux « le style de vie » des personnages. Une certaine façon
d’appréhender le monde, à travers un tempérament particulier – la référence
à Barthes, rappelée par Onyx, la conception littéraire wildienne de la vie
propre à Herman. Les personnages de R.E.R sont dotés de multiples
tics/codes/références. Chacun attire, séduit, agace, ou simplement ennuie
l’autre, le martelant - par hasard, par pur plaisir... - d’éclats identitaires…
Pour parler du social, Besset a privilégié l’angle de l’intimité, et donc de
l’insoutenable légèreté de l’être chère à Kundera.
Pauvre ou riche, moche ou beau, chacun en soi porte des œillères mais
aussi une capacité à sublimer… A l’écart des recettes faciles du cynisme et
des messages politiques ou philosophiques conventionnels, le théâtre de
Jean-Marie Besset avec R.E.R. prend une tournure résolument humaniste.
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Le RER miroir de notre société à la Tempête.
19 mars 2010
Après la polémique sur sa nomination à la tête du Théâtre des treize vents place au théâtre pour Jean-Marie Besset, dont le texte
« RER » est mis en scène par son fidèle compagnon Gilbert Désvaux – désormais metteur en scène associé à Montpellier.
« RER » a été écrit avant « Perthus » (présenté l’année dernière au Rond-Point et repris cette année au Vingtième Théâtre).
Jean-Marie Besset s’est inspiré de deux faits divers similaires dont un a marqué l’opinion française : l’histoire de cette jeune
femme (jeanne dans la pièce) qui a simulé une agression raciste dans une rame RER au début de l’été 2004. André Téchiné en a
tiré un film, Jean-Marie Besset une pièce, dont la dramaturgie ne se limite pas à ce seul fait divers. Et c’est tout l’intérêt du
spectacle, l’auteur fait entrer d’autres personnages, ce qui lui permet d’épaissir le propos. Il y a l’avocat gay et juif de Jeanne
(Didier Sandre), sa mère – française moyenne, un peu raciste (Andréa Férréol), son petit ami Jo – qui vit du RMI et de petits
boulots (Marc Arnaud). Il y a aussi un couple à la relation particulière : Onyx – une intellectuelle bobo qui ne trouve dans sa
relation avec AJ – ingénieur sans culture, que le plaisir du sexe. Et tous ces personnages secrètent au fond d’eux une grande part
de fragilité, de malaise, quelque que soit leur positionnement sur l’échelle de la société, il y a des cicatrices dans leur âme.
Sans donner aucune leçon sur cette affaire qui a défrayé la chronique en 2004, Gilbert
Désvaux souligne cependant avec finesse l’emballement médiatique de l’époque. On entend les commentaires de confrères
journalistes (David Pujadas, Claire Chazal, Philippe Harrouard…). Aujourd’hui ils font forcément sourire. Tout comme la
récupération politique de Jacques Chirac, et malheureusement l’on n’est pas à l’abri aujourd’hui d’un nouveau
recommencement, même si certaines rédactions sont vigilantes dans leur traitement de l’information, mais avec les nouveaux
média il serait difficile d’éviter l’amplification d’un tel fait divers.
Mais revenons au spectacle, et tout d’abord à l’excellence de sa distribution. Le duo Besset-Désvaux s’est entouré d’un sacré
casting. Quel plaisir de retrouver Andréa Ferréol et Didier Sandre ! Leur scène de fin est un moment magnifique. Le rôle de la
jeune fille du RER est interprété par Mathilde Bisson. Fraîchement sortie du Conservatoire national supérieur d’art dramatique
après des débuts au Conservatoire de Bordeaux, elle s’impose d’entrée dans ce rôle et se hisse au niveau de ses aînés, et la barre
est haute avec Andréa Ferréol qui joue sa mère. Elle a le ton juste, un phrasé qui régale entre la BB des années 60 et Arletty.
Elle est naturelle et bouleversante de sincérité. Le tout est joué dans un dispositif scénique efficace, en mouvement, mais qui
n’étouffe pas les comédiens. Stéphane CAPRON – www.sceneweb.fr
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Kourandart
RER de Jean-Marie Besset au Théâtre de la Tempête par Irène
Sadowska Guillon
Posté par angelique lagarde le 17 mars 2010
Andréa Ferréol et Mathilde Bisson dans R.E.R © Marc Ginot
RER de Jean-Marie Besset
Mise en scène de Gilbert Désveaux
Avec Andréa Ferréol, Didier Sandre, Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet, Chloé Olivères et Lahcen Razzougui
Au Théâtre de la Tempête jusqu’au 18 avril
Mise en scène du désespoir
À l'origine de la pièce de Jean-Marie Besset deux faits divers, dans l'État de New York et en banlieue parisienne qui,
tous deux en raison de leur connotation raciste, voire antisémite pour le second, ont déclenché une tempête médiatique et
politique.
En 1987 à Wappingers Falls, Tawana Brawdley, une adolescente noire de 15 ans, trouvée dans un sac en plastique, les cheveux
tailladés, accuse six hommes blancs de l'avoir enlevée, séquestrée et violée. Un an plus tard le Grand Jury établit qu'il s'agissait
d'une affabulation : la jeune fille aurait mis en scène son agression avec la complicité de sa mère pour échapper à la violence de
son beau-père.
Un scénario similaire se produit en juillet 2004 sur la ligne D du RER entre Louvre et Sarcelles. Marie Léonie Leblanc, 23 ans,
accuse six jeunes Noirs et Maghrébins entre 15 et 20 ans, de l'avoir violemment agressée. Croyant qu'elle était juive, ils lui
ont tailladé les cheveux, lacéré son pantalon et son T-shirt, dessiné au marqueur des croix gammées sur le ventre, sans que tout
cela n'ait provoqué une réaction des passagers qui voyageaient dans le même wagon. Alors que les incidents antisémites sont en
forte hausse, l'affaire Marie Léonie Leblanc provoque une vague d'indignation et remonte jusqu'au sommet de l'État. Le
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Président Chirac et toute la classe politique, Droite et Gauche confondues, condamnent cet acte barbare. Les médias en font
leurs choux gras. Trois jours après, Marie Léonie avoue avoir fabriqué de toutes pièces cette agression pour attirer l'attention sur
ses problèmes personnels et obliger ses parents et son compagnon à s'occuper d'elle.
Jean-Marie Besset qui a suivi de près ces deux affaires, à New York et à Paris, loin de les traiter au premier degré, extrapole le
fait divers. Il interroge le phénomène social inquiétant du recours à la médiatisation du désarroi, des problèmes personnels réels
ou imaginaires, en les exhibant soit dans des émissions de télé-réalité soit en se mettant en scène comme victime d'un acte
fictionnel, de préférence raciste ou antisémite, censé émouvoir l'opinion publique. Ce phénomène relève parfois de la
mythomanie, du désir de sortir de l'anonymat, de la marge mais il traduit aussi des tentatives désespérées de dénoncer la
solitude, l'indifférence, le manque d'amour, de s'arracher à une vie sans avenir.
Dans RER qui fait à la fois référence à l'affaire de Marie Léonie Leblanc et renvoie à cet espace commun où toutes les classes
sociales se côtoient, Jean-Marie Besset condense l'échiquier social français. Ses protagonistes comptent deux jeunes couples
en difficultés. Le premier est à la marge : Jeanne, caissière au Lidle de Drancy partage la vie de Jo, travailleur occasionnel dans
une société de gardiennage. Le second en revanche n'appartient pas à la même catégorie sociale : Onyx, belle intellectuelle
extravagante du Quartier latin fréquente A. J., ingénieur en mission en Chine, pragmatique et conformiste. Nous ferons
également la connaissance de Madame Argense, mère de Jeanne, femme simple, homo et xénophobe, d'Herman, grand avocat
de Gauche, esthète, Juif et homosexuel et enfin d'un vendeur de valises à la sauvette.
Ces personnages qui vivent aux antipodes ne se seraient jamais rencontrés si Jeanne n'avait pas inventé l'agression antisémite
dont elle prétend avoir été la victime pour conjurer la grisaille, le vide de sa vie, forcer les siens à s'intéresser à elle. À la faveur
de l'enquête d'Herman tous ces personnages de milieux, de métiers, d'origines différents, vont entrer en collision. L'acte
désespéré de Jeanne va bouleverser leurs relations, révéler leurs conflits, leurs ressentiments, leurs préjugés, leurs désirs frustrés,
leurs solitudes. L'espace de ce bouleversement ont-ils fait un pas les uns vers les autres ? Seule Jeanne a trouvé peut-être le
chemin d'une autre vie.
À l'exception de la première et de la dernière scène se jouant dans un espace dépouillé, Gilbert Désveaux inscrit la pièce dans
un décor réaliste, un dispositif mobile, extrêmement efficace qui, se déplaçant, tournant sur lui-même, fait apparaître quasi
instantanément divers lieux : appartement d'Herman, commissariat, logement de Jeanne et de sa mère, magasin d'une entreprise
gardée par Jo, entrée d'un cinéma. Les séquences s'enchaînent avec une remarquable fluidité dans une belle tenue du rythme et
de la tension dramatique.
Les acteurs, tous très justes, confèrent une authenticité, une vérité humaine profonde à leurs personnages sans jamais les réduire
à des stéréotypes d'homosexuel, de Juif, d'antisémite, etc… Andréa Ferréol en Madame Argense, engoncée dans ses préjugés,
allergique à la différence, est particulièrement troublante face à Herman, Juif, homosexuel, magistralement campé par Didier
Sandre.
L'humour et la dérision font sans cesse irruption dans la gravité du propos de la pièce, traitant avec une remarquable
acuité, sans didactisme aucun, sans délivrer de messages, de thèmes sensibles, difficiles à aborder qui, tel le RER
souterrain, traversent notre société. Un spectacle en tous points réussi, à voir d'urgence !
Irène Sadowska Guillon
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie, route du Champ de Manœuvre
75012 Paris
Réservations au 01 43 28 36 36
Site : www.la-tempete.fr
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R.E.R
Incident pour avarie de matériel
Tôt dans la matinée, une jeune fille se fait agresser dans le RER D. Rouée de coups,
ses vêtements sont lacérés et ses agresseurs lui dessinent des croix gammées sur le
ventre. Un incident qui défraye la chronique et constitue le point de départ d’un
trafic dense entre plusieurs mondes.
Jeanne se promène toujours avec une valise à la main, c’est sa façon à elle de
voyager, de s’évader, d’échapper à son quotidien de caissière chez Lidl. Jo, une
p’tite frappe du 93, kiffe la meuf et l’embarque dans ses combines. Le RER passe,
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transite de la banlieue vers Paris, dans un sens où dans un autre, tout comme ces
gens qui se croisent chaque jour ! Herman, un avocat socialement installé, juif et
homosexuel, vit dans un loft confortable de la capitale. Epris du jeune A.J., cadre
dynamique, ambitieux et déterminé, il accepte, contre mauvaise fortune bon coeur,
d’aider le jeune loup à entrer dans la bergerie. A.J. est amoureux d’Onyx, ouvreuse
dans un cinéma d’art et d’essais, poursuivant ses études à Normale, accordant au
jeune homme des entrevues rapides pendant lesquelles le sexe domine la parole.
Herman se lie d’amitié avec la jeune fille afin de la rapprocher d’A.J.
L’intrigue se noue, les destins se croisent et le RER passant par Drancy, y accueille,
un matin de bonne heure, Jeanne qui se fera agresser, molester et traiter de sale
juive. Un fait divers qui défraye la chronique, les médias sont sur les rails de l’info
ou de l’intox ?
Bien plus qu’un fait divers
9 juillet 2004. Entre Louvres et Sarcelles, Val d’Oise. Marie-Léonie Leblanc, 23 ans,
voyage dans le RER D, accompagnée de sa fillette de treize mois. Violemment
agressée par des Noirs et des Maghrébins, ils lui tailladent les cheveux, lacèrent son
pantalon et son tee-shirt au couteau et lui dessinent des croix gammées sur le
ventre car ils croyaient qu’elle était juive. Mais trois jours plus tard, Marie-Léonie
revient sur ses déclarations et avoue avoir menti. Elle voulait attirer l’attention sur
ses problèmes personnels.
Un fait divers défrayant la chronique au sein d’une société qui s’enlise dans un
désastre politico-médiatique. Jean-Marie Besset utilise cet événement comme un
point de départ pour son R.E.R, traversant les vies de ces gens que rien ne destinait
à se rencontrer. L’auteur porte un regard lumineux sur son époque, en évoquant les
soucis de ses contemporains dans une langue sans aspérités. Sur les rails de
l’actualité, il détourne le fait divers pour mieux exploiter sa dimension éminemment
sociale et en tirer une galerie de portraits dont le trait d’union, en deçà de toutes les
différences qui les opposent, est la solitude.
Comme disait Roland Barthes à propos du fait divers « […] tout est donné dans un
fait divers : ses circonstances, ses causes, son passé, son issue ; sans durée et sans
contexte, il constitue un être immédiat, total qui ne renvoie, du moins formellement
à rien d’implicite. C’est en cela qu’il s’apparente à la nouvelle et au conte, et non
plus au roman. ». Le nouveau directeur du CDN de Montpellier emprunte la rame du
convoi social pour restituer une histoire forte, dans laquelle des milieux sociaux
opposés sont amenés à se rencontrer, bien malgré eux.
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D’un compartiment à l’autre
Douze scènes qui explorent sept lieux, contenus dans des blocs, qui restituent
l’étanchéité des frontières de l’échelle sociale, parfois traversée par des ondes de
choc. D’un côté de la scène, un loft parisien, confortable et accueillant, de l’autre un
espace, un lieu de passage où les petites gens s’affairent. Deux mondes opposés
dont la ligne de partage est intelligemment délimitée par un jeu de lumières
étonnant et des décors mobiles qui évoluent au fil des scènes. Jeanne, errant sur le
plateau, rencontre Jo porte de Clignancourt, où elle achète des valises. Son rêve,
aller à l’aéroport Charles de Gaulle et partir, loin ! Mais entre une mère aux préjugés
bien arrêtés, détestant Jo, l’arabe avec lequel sa fille couche, qui ne lui offre comme
exotisme que le gardiennage d’un local en plein mois d’août, la jeune fille se sent
seule. Tout comme Herman, juif et homosexuel, épris d’un jeune cadre dynamique
qui lui échappe pour la belle Onyx. Chacun joue son rôle de passeur dans cette
aventure humaine, où les dialogues se télescopent, comme les évènements qui
poussent Herman à défendre la jeune Jeanne suite à sa fausse agression. D’un
compartiment à l’autre ou d’un bloc à l’autre, les sensibilités se croisent, se
heurtent, s’animent, s’arriment à un espoir qui n’échappe cependant jamais à son
destin social.
Le dispositif scénique est remarquable et emboîte le pas à chaque scène en
proposant un univers suffisamment lisible pour en saisir les codes. Le mise en scène
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de Gilbert Désveaux est d’une extrême simplicité et d’une remarquable justesse. Le
propos se suffit à lui-même et ce n’est pas la peine d’en rajouter.
Une distribution étonnante, complémentaire et talentueuse pour dire ce que l’auteur
veut nous raconter. Une Jeanne (Mathilde Bisson) confondante dans son rôle de
pauvre fille esseulée, toujours en partance. Un Jo (Marc Arnaud) viril et conquérant,
incarnant avec une extrême justesse, le fantasme de la banlieue, qu’il soit social ou
sexuel, Herman y succombe d’ailleurs lorsqu’il convoque le jeune homme chez lui
pour finalement lui proposer autre chose qu’un entretien. Didier Sandre (Herman),
élégant, distingué et en proie à sa propre solitude, investit les lieux avec toujours
plus d’intelligence, tout comme Onyx (Chloé Olivères), une comédienne
exceptionnelle à qui l’avenir promet une belle carrière. Madame Argense (André
Ferréol), juste et touchante, impose une présence forte, l’air de rien tout comme
A.J. (Lahcen Razzougui).
R.E.R emporte le public sur les rails de la collision sociale, avec justesse,
authenticité et un décalage entre les dialogues qui suscite le rire. Cependant,
l’auteur aurait pu, sans doute, tirer un peu moins le trait sur l’éternel sujet des juifs
et des homosexuels, thème rebattu, même si il relance la dynamique de la pièce à
chaque changement de scène.
Bruno Deslot
R.E.R
de Jean-Marie Besset
texte publié à L’Avant-scène théâtre
mise en scène Gilbert Désveaux
scénographie Alain Lagarde
lumières Pierre Peyronnet
costumes Alain Lagarde
son et images Serge Monsegu
avec Andréa Ferréol, Didier Sandre, Marc Arnaud, Mathilde Bisson, Brice Hillairet,
Chloé Olivères, Lahcen Razougui,
du 11 mars au 18 avril 2010
Théâtre de la Tempête
Cartoucherie
Route du Champ de Maoeuvre
75012 Paris
www.la-tempete.fr
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