Nulle part où aller : l`apatridie en Israël

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Nulle part où aller : l`apatridie en Israël
RMF32
soutien aux populations apatrides. Le
gouvernement américain est le donateur
le plus important de l’UNHCR, l’agence
internationale dont le mandat est de
protéger les personnes apatrides. 1
Les lois des Etats-Unis sont généralement
en accord avec les objectifs et les principes
des deux conventions2 principales qui
répondent au problème de l’apatridie ;
à savoir, les Etats-Unis ne contribuent
pas au problème de l’apatridie, et les lois
américaines ne traitent pas les personnes
apatrides différemment des autres
étrangers. Toutefois, les Etats-Unis n’ont
pas souscrit à ces instruments légaux
internationaux parce qu’ils contiennent
certaines obligations spécifiques qui sont
inconsistantes avec les lois américaines.
Par exemple, la Convention de 1961
interdit de renoncer à une nationalité si
ce renoncement menait à l’apatridie. Cette
interdiction légale dans la Convention
entre en conflit avec les lois des Etats-Unis
qui ont longtemps reconnu le droit des
Américains à renoncer leur nationalité,
L’APATRIDIE
même si cela conduit à l’apatridie. Ainsi,
bien que nous n’ayons pas souscrit à
ces deux conventions particulières,
nous sommes totalement engagés dans
leurs objectifs ; ne pas souscrire ne
diminue en rien notre engagement.
En fait, les Etats-Unis appuient les
objectifs de politique de ces conventions
et encouragent d’autres gouvernements
à se joindre à des efforts bilatéraux
et multilatéraux pour empêcher les
personnes de devenir apatrides, pour
identifier les personnes apatrides,
protéger les personnes apatrides de
l’exploitation, de la discrimination
et d’autres abus et de faciliter des
solutions dont la naturalisation,
l’enregistrement des naissances, la
réinstallation et d’autres mesures en
vue d’obtenir l’accès à la citoyenneté.
Qu’elles soient exclues délibérément
ou qu’elles passent simplement par les
mailles des filets légaux ou administratifs,
les personnes apatrides sont décrites
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comme des « fantômes légaux ».3 Le
gouvernement américain est heureux
d’apporter son soutien à ce numéro de la
Revue des Migrations Forcées : un effort
important pour reconnaître les personnes
apatrides, faire entendre leurs histoires,
sensibiliser l’opinion sur les causes et
les conséquences de leur situation, et
encourager la communauté internationale
à trouver des solutions à leur condition.
Nicole W Green ([email protected]) est
Responsable de Programme de Politique
et Todd Pierce ([email protected])
est Conseiller en Affaires Publiques
au Bureau de Population, Réfugiés et
Migration (http://www.state.gov/g/
prm/) du Département d’Etat américain.
1. En 2008, les Etats-Unis ont versé plus de $500
millions à l’UNHCR, y compris des contributions au
budget central de l’agence qui soutenait les activités de
protection et d’assistance aux populations apatrides.
2. Convention Relative au Statut des apatrides (1954);
Convention sur la réduction des cas d’apatridie (1961)
3. The World’s Stateless People: Questions & Answers,
UNHCR, 2006, p5.
Nulle part où aller :
l’apatridie en Israël
Oded Feller
C’est seulement ces dernières années qu’Israël a reconnu
l’existence du problème de l’apatridie sur son sol; toutefois, cela
n’a pas encouragé l’Etat à reconnaître la détresse des apatrides, ni
à mettre au point des solutions adéquates.
En ce qui concerne l’immigration, Israël
accorde au Juifs un statut privilégié,
voire exclusif. L’autorité du ministère de
l’Intérieur est particulièrement limitée
lorsqu’il s’agit d’empêcher un individu
qui remplit tous les critères légaux
d’immigrer en Israël. D’autre part, la
loi confère au ministère de l’Intérieur
un pouvoir discrétionnaire quasiment
illimité en ce qui concerne la délivrance
de visas aux personnes non Juives,
sans pour autant énoncer de critères
précis selon lesquels ces visas seraient
accordés ou refusés. En pratique, la
plupart des ressortissants étrangers ne
peuvent acquérir le statut de résident
permanent en Israël sans l’autorisation
du ministère de l’Intérieur, qui accorde
ce statut de manière très limitée.
Cette politique d’immigration enfreint
donc les droits humains en général,
et particulièrement le droit à ne pas
subir de discriminations en fonction
de sa race. Cette politique inflexible
sous-tend aussi l’attitude d’Israël
envers les apatrides non Juifs.1
Selon le droit israélien, les apatrides
résident illégalement en Israël. Ils
encourent le risque d’être arrêtés et
détenus en tant que résidents clandestins.
En raison de leur manque de statut
officiel, ils n’ont pas le droit de travailler.
Ils n’ont pas non plus accès à l’assurance
santé nationale ni aux prestations
sociales. De plus, ils ne détiennent aucun
document d’identité ; ainsi n’ont-ils
pas le droit de conduire ou d’ouvrir
un compte en banque et éprouvent-ils
des difficultés à obtenir des documents
matrimoniaux. S’ils quittent Israël, ils
n’auront pas le droit de revenir. On
estime qu’il se trouve actuellement entre
quelques centaines et quelques milliers
de personnes apatrides en Israël.
Immigrants ayant perdu leur
citoyenneté précédente
Trois individus qui étaient des anciens
citoyens de l’Union soviétique mais qui
n’avaient acquis la citoyenneté d’aucun
des pays formés après sa chute ont été
arrêtés en tant qu’immigrants clandestins
et maintenus ensuite en détention. Ils ont
finalement été relâchés quelques mois plus
tard lorsqu’il était devenu clair qu’ils ne
pouvaient être déportés nulle part ailleurs.
Ils sont donc restés en Israël sans statut
légal. En réponse à une pétition pour
accorder à ces trois personnes le statut de
résident permanent en Israël, le ministère
de l’Intérieur a affirmé que l’apatridie n’est
pas une condition obligeant les États à
accorder un statut légal aux individus.
Par la suite, la Cour des affaires
administratives a déclaré que le ministère
de l’Intérieur devrait encourager les
apatrides à faire appel à lui afin de
formaliser leur statut plutôt que de les
garder à vue, puisque, comme il est de
toute façon impossible de les déporter
hors d’Israël, il est inutile de les maintenir
en détention. La Cour donna l’ordre
L’APATRIDIE
au ministère de l’Intérieur de mettre
au point une procédure pour traiter les
cas d’apatridie, afin de créer un cadre
selon lequel les apatrides se verraient
accorder des permis de séjour temporaire,
et de définir le niveau de coopération
souhaité de la part des apatrides afin
de déterminer s’il est possible de les
rapatrier dans leur pays d’origine.
En réponse, le ministère de l’Intérieur
a introduit une procédure d’examen
des demandes de statut de la part des
apatrides - mais seulement après que ceuxci ont été arrêtés. En d’autres mots, afin
d’obtenir un permis de séjour temporaire,
les apatrides doivent d’abord être arrêtés
puis emprisonnés et subir ensuite un
processus bureaucratique particulièrement
long. Lors de ce processus, les apatrides
doivent fournir des documents délivrés
par leur pays d’origine, qu’ils ne
posséderont pas forcément et qu’ils
seront incapables d’obtenir. De surcroît,
cette procédure ne s’applique qu’aux
personnes qui possédaient la citoyenneté
d’un autre pays auparavant et n’offre
donc aucune solution aux apatrides nés
en Israël, tels que les résidents bédouins.
Bédouins apatrides
En raison de la désorganisation du
processus d’enregistrement sous le
mandat britannique et lors des premières
années de l’État israélien, mais aussi
à cause des difficultés des Bédouins
Bédouins
protestant
contre les
démolitions
d’habitations
dans le Néguev.
à accéder aux autorités compétentes,
certains des résidents bédouins de
la région du Néguev au sud d’Israël
n’ont pas été enregistrés et n’ont jamais
reçu de statut légal en Israël. Il n’existe
aucune estimation officielle du nombre
d’apatrides issus de la tribu Azazma
mais, selon certaines organisations
de défense des droits de l’homme,
environ plusieurs centaines vivent
actuellement dans la région du Néguev.
RMF32
le ministère de l’Intérieur demande au
père d’effectuer un test de paternité ADN
pour confirmer qu’il est bien le père
biologique de l’enfant. Ce sont les parents
qui doivent financer les procédures
juridiques et le test d’ADN puis, tant que
les résultats ne sont pas connus, l’enfant
demeure apatride et n’a pas le droit
d’accès aux services de santé ou sociaux.
Le ministère de l’Intérieur refuse d’offrir
ses services aux membres apatrides de
cette tribu ou de résoudre la question de
leur apatridie de manière systématique.
Au fil des ans, le ministère de l’Intérieur
a accepté d’examiner un certain nombre
de demandes de statut individuelles
mais seulement au cas par cas. Le
processus individuel est compliqué et
s’accompagne de nombreux obstacles
bureaucratiques et de frais de dossier
élevés. En outre, les apatrides - qui ne
détiennent aucun document d’identité
- doivent aussi prouver leur identité
par le biais d’un processus judiciaire
coûteux qui nécessite d’engager les
services d’un avocat, d’accumuler des
témoignages, de payer divers frais et
de gérer un processus complexe.
Apatrides de naissance
Lorsqu’un enfant naît de père israélien
et de mère non israélienne dont le statut
légal en Israël n’a pas encore été formalisé,
Shabtai Gold
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Les enfants de résidents permanents
d’Israël qui ne sont pas des citoyens principalement les enfants de Palestiniens
vivant à Jérusalem-Est - ne reçoivent
pas automatiquement de statut légal à
la naissance. L’enfant acquerra un statut
légal en Israël s’il est né en Israël d’un
parent qui est résident permanent et dont
la vie est centrée autour d’Israël. Les
parents sont aussi responsables d’effectuer
une demande pour que leur enfant soit
reconnu comme résident et de prouver
où leur enfant est né et où se trouve le
centre de vie de l’enfant et des parents. La
demande peut prendre des mois, voire des
années, avant d’être traitée, à cause, entre
autres, de procédures bureaucratiques
nombreuses et minutieuses.2
Si l’enfant est né hors d’Israël – en général
dans les Territoires palestiniens occupés
– les parents doivent faire une demande
de réunification familiale afin d’obtenir
un statut légal pour leur enfant en Israël.
Cette requête est sujette aux dispositions
de la loi qui empêche les Palestiniens
d’acquérir le statut de résidents
permanents en Israël. En conséquence,
dans de nombreux cas l’enfant n’a pas le
droit de bénéficier des services sociaux
ou de santé ; la seule chose qu’il peut
espérer est d’obtenir un permis de
résidence en Israël avec sa famille.
La politique d’immigration rigide
d’Israël envers les personnes non
Juives ne fait aucune exception pour
les apatrides. Israël doit reconnaître
la détresse des apatrides et agir de
manière à mettre au point des solutions
adéquates accompagnées de directives
transparentes rendues publiques, tout
en simplifiant le système bureaucratique
imposant qui domine actuellement.
Oded Feller ([email protected]) est
avocat pour l’Association des droits
du citoyen en Israël www.acri.org.il
1. Toute discussion majeure sur la question des apatrides
en Israël doit inclure les apatrides résidant dans les
Territoires occupés. Toutefois, cet article abordera
uniquement la question des apatrides résidant en Israël.
2. Voir Elodie Guego « Le «transfert silencieux» des
habitants de Jérusalem-Est sera bientôt accompli » sur
http://www.migrationforcee.org/pdf/MFR26/mfr26.pdf
dans RMF26 sur le « Déplacement palestinien : un cas
d’exception ? »