TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART

Transcription

TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
AnnuAire frAnçAis de droit internAtionAl
lvii – 2011 – cnrs Éditions, Paris
ArbitrAge trAnsnAtionAl
et droit internAtionAl gÉnÉrAl
(2011)
Patrick JacOB
Franck lAttY
le contentieux transnational en matière d’investissements continue d’être
l’un des domaines les plus prolifiques de réalisation juridictionnelle du droit international, ce dont la présente chronique s’efforce de rendre compte 1. en 2011, les
tribunaux arbitraux compétents sur le fondement de traités de protection des investissements étrangers ont rendu autour d’une cinquantaine de décisions (sentences,
décisions sur la compétence, décisions de comités ad hoc saisis de demandes d’annulation de sentences, décisions sur des demandes de récusation d’arbitres, auxquelles
s’ajoutent nombre d’ordonnances procédurales) 2. le flot n’est pas près de tarir
dans la mesure où l’année 2011 a vu – un record – quarante-six nouvelles affaires
émerger, dont la plupart ont été soumises au centre international pour le règlement
des différends relatifs aux investissements (cirdi). Parmi ces nouvelles requêtes,
doit être relevé le recours initié par le cigarettier Philip Morris à l’encontre de
l’Australie, dont est contestée au regard du traité bilatéral relatif aux investissements (tBi) conclu avec Hong-Kong la politique sanitaire mettant en œuvre la
convention anti-tabac de l’oMs 3. un investisseur suédois contrôlant deux centrales
nucléaires situées en Allemagne a également saisi un tribunal arbitral contre la
république fédérale à la suite de sa décision de « sortir du nucléaire » 4. c’est dire si
l’exercice de la puissance publique, passé au crible du droit des investissements, est
scruté par les tribunaux arbitraux, qui dans l’examen de ces questions ne peuvent
faire abstraction des règles générales du droit international, notamment celles qui
entourent la souveraineté de l’État 5.
(*) Patrick JacOB, maître de conférences à l’université Paris sud 11.
(**) franck Latty, professeur à l’université Paris 13 sorbonne Paris cité.
1. Pour une présentation de la présente chronique, voy. cet Annuaire, 2008, pp. 467 et s.
2. voy. les statistiques (partielles) publiées in cnudci, Latest Developments in Investor-State Dispute
Settlement, iiA issues note n° 1 (2012), p. 1. voy. aussi la présentation de l’activité du cirdi en 2011 par
s. Manciaux, in JDI, 2012/1, pp. 265 et s. les décisions citées ci-après sont accessibles sur le site de la
faculté de droit de l’université de victoria (canada) « Investment Treaty Arbitration » [http://ita.law.uvic.
ca] ou sur le site du cirdi [icsid.worldbank.org].
3. cnudci, Latest Developments…, p. 2. voy. J. Garcia OLMedO, « the use of tobacco trademarks
versus Public Health : A new trend in investor-state Arbitration », International Arbitration Law Review,
2012, vol. 15, n° 2, pp. 42 et s. Pour une prise en compte à la marge de considérations de santé publique,
voy. cnudci (AlenA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, §§ 19, 183.
4. cnudci, Latest Developments…, ibid. une affaire impliquant les mêmes parties a fait l’objet
d’un règlement amiable en 2011 (voy. cirdi, Vattenfall AB e.a. c. Allemagne, aff. n° ArB/09/6, sentence
du 11 mars 2011).
5. Parmi les décisions arbitrales rendues en 2011 abordant cette question, voy. cirdi, Spyridon
Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§ 493, 686, 739, 741 et s. (compétence du tribunal pour apprécier au regard du traité applicable – avec souplesse en l’occurrence – les
mesures générales adoptées dans l’exercice de la puissance publique, y compris les décisions fiscales et la
réglementation sanitaire) ; cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15,
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
534
arbitrage transnational et droit international général
À l’instar de la stimulation doctrinale qui a accompagné le développement,
par exemple, du droit international du commerce ou des droits de l’homme, les
interactions entre la branche « exotique » du droit international qu’est le droit des
investissements et le droit international général suscitent de nouvelles réflexions 6.
la faculté qu’a la jurisprudence arbitrale transnationale d’alimenter le droit international général constitue l’une des facettes de ces interactions. comme l’a relevé
G. Bastid Burdeau au sujet du cirdi – mais la remarque vaut tout autant pour
les tribunaux transnationaux constitués selon le règlement de la cnudci, voire
dans le cadre de centres d’arbitrage habituellement spécialisés dans les litiges
commerciaux de droit privé –, la réussite de l’arbitrage transnational se mesure
« en termes d’influence dans le système juridique international : la jurisprudence née
de la convention de Washington, qui est une des plus fournies dans le contentieux
international, est citée de plus en plus et tend à exercer une influence très au-delà
du seul domaine du droit de l’investissement » 7.
les apports au droit international général des décisions arbitrales rendues en
2011 seront examinés en ce qui concerne les sources du droit international (i), la
responsabilité internationale (ii) et le droit du contentieux international (iii).
i. – ArBitrAGe trAnsnAtionAl
et sources du droit internAtionAl
depuis le début des années 1990, le contentieux transnational relatif aux
investissements étrangers est fondé pour l’essentiel sur les traités en assurant la
protection. la mise en œuvre du droit de traités codifié par la convention de vienne
de 1969, notamment lorsqu’il s’agit d’interpréter ces instruments, est donc quasi
systématique (A). des incursions dans le champ des autres « sources » du droit
international sont cependant monnaie courante (B).
sentence du 31 octobre 2011, §§ 322 et s., 340, 447-448 (pouvoir souverain de l’État de choisir sa politique
économique et d’adopter des mesures fiscales) ; cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et
al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, §§ 476, 548 et s.
(rejet de l’exception d’incompétence fondée sur le fait que le différend concerne la restructuration de dettes
souveraines ; contra op. diss. G. Abi-saab, §§ 269-271) ; cirdi, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ArB/07/6,
sentence du 7 juillet 2011, §§ 95, 125 (présomption de légitimité des mesures de puissance publique,
spécialement celles prises pour le respect de l’ordre public) ; cnudci, Sergei Paushok, CJSC Golden East
Company et CJSC Vostokneftegaz Company c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité,
28 avril 2011, §§ 298 et s. (droit de modifier le cadre législatif, de prévoir des taux d’imposition très élevés,
d’adopter des lois rapidement et sans consultation, d’imposer certains secteurs et non d’autres) ; cirdi,
Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 290 (le standard de traitement
juste et équitable n’interdit pas à l’État de faire évoluer sa législation).
6. voy. r. HOFMann / ch. J. taMs (dir.), International Investment Law and General International Law.
From Clinical Isolation to Systemic Integration ?, Baden-Baden, nomos, 2011, 275 p., notamment l’introduction des deux auteurs, « international investment law : situating an exotic special regime within the
framework of General international law », pp. 9-15. voy. aussi J. e. aLvarez, « the Public international
law regime Governing international investment », RCADI, 2011, vol. 344, pp. 368-433.
7. G. Bastid Burdeau, « rapport de synthèse », in f. HOrcHani (dir.), CIRDI, 45 ans après. Bilan
d’un système, Paris, Pedone, 2011, p. 434.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
535
A. Traités
1. Réserves aux traités
l’affaire Libananco, fondée sur le traité sur la charte de l’énergie, a soulevé l’intéressant problème de la définition des réserves aux traités. la turquie entendait
se prévaloir de la clause d’exclusion (dite aussi d’opting out) contenue à l’article 26
du traité, relatif au règlement des différends entre un investisseur et une partie
contractante. le paragraphe 3 de la disposition prévoit en effet que l’État peut, en
figurant sur la liste de l’annexe id du traité 8, ne pas donner son « consentement
inconditionnel » à l’arbitrage lorsque le différend a été soumis à ses juridictions
internes 9. il est également prévu que l’État souhaitant se prévaloir de cette échappatoire transmet une notification indiquant « ses politiques, pratiques et conditions
en la matière ». Au vu de la notification de la turquie qui se référait au principe de la
res judicata comme fondement à la limitation de son consentement, le tribunal s’est
interrogé sur la nature de la notification : s’agissait-il d’une déclaration similaire ou
équivalente à une réserve, dont le contenu conditionnait l’étendue et les effets des
limites apportées au consentement à l’arbitrage 10 ? le tribunal a répondu par la
négative : selon lui, la limitation du consentement à l’arbitrage offerte aux États par
l’article 26, § 3, opère de manière automatique, i.e. par leur simple inscription sur
la liste qui permet de les identifier définitivement, sans que le contenu de la notification, qui intervient pour des « raisons de transparence » selon l’article 26, puisse
conditionner ni le principe même de la limitation ni son étendue 11. Au surplus,
le tribunal a constaté que l’article 46 du traité sur la charte de l’énergie interdit
les réserves, ce qui l’a conduit à refuser d’envisager le système de l’article 26, § 3,
comme s’il s’agissait d’un « purpose-built regime for permitted reservations » 12 au
traité sur la charte de l’énergie ; il a refusé au même titre d’appliquer à l’article 26,
§ 3, les règles relatives aux réserves de la convention de vienne sur le droit des
traités et du droit international général 13.
une telle solution encourt la critique – le tribunal l’admet lui-même à demimot 14 – au regard du texte même de l’article 26 du traité qui vise les États ne
donnant pas un « consentement inconditionnel », ce qui a contrario pourrait signifier
que leur acceptation est soumise à conditions, et non qu’il y a automatiquement
absence de tout consentement. l’article 26 précise encore que la notification que
8. l’Annexe id comporte la « liste des parties contractantes qui ne permettent pas à un investisseur
de soumettre de nouveau le même différend à un arbitrage international, à un stade ultérieur, au titre
de l’article 26 ».
9. Article 26, § 2 : « si un différend […] n’a pu être réglé [à l’amiable], l’investisseur partie au différend
peut choisir de le soumettre, en vue de son règlement : a) aux juridictions judiciaires ou administratives de
la partie contractante qui est partie au différend ; ou b) conformément à toute procédure de règlement des
différends applicable préalablement convenue ; ou c) conformément aux paragraphes suivants du présent
article » ; § 3 : « a) sous réserve des seuls points b) et c), chaque partie contractante donne son consentement inconditionnel à la soumission de tout différend à une procédure d’arbitrage […] ; b) i) les parties
contractantes énumérées à l’annexe id ne donnent pas ce consentement inconditionnel si l’investisseur a,
au préalable, soumis ce différend selon les procédures prévues au paragraphe 2) points a) ou b). ii) Pour
des raisons de transparence, chaque partie contractante qui est indiquée à l’annexe id communique par
écrit ses politiques, pratiques et conditions en la matière au secrétariat au plus tard à la date de dépôt de
son instrument de ratification, d’acceptation ou d’approbation conformément à l’article 39, ou au dépôt de
son instrument d’adhésion conformément à l’article 41 […] ».
10. cirdi, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 545.
11. Id., § 546.
12. Id., § 547.
13. Ibid.
14. Ibid.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
536
arbitrage transnational et droit international général
doivent faire ces États comporte leurs « politiques, pratiques et conditions » 15 en
matière de procédures de règlement des litiges. il y aurait donc lieu de croire,
à rebours du tribunal arbitral, que l’État qui ne donne pas son « consentement
inconditionnel » à l’arbitrage, indique les modalités restrictives de ce consentement
dans sa notification. Au demeurant, le raisonnement du tribunal repose sur une
conception erronée, sinon très restrictive, de la notion de réserve. les travaux de
la commission du droit international des nations unies (cdi) qui ont débouché
sur l’adoption en 2011 du Guide de la pratique sur les réserves aux traités 16, ont
effectivement montré que les « clauses d’exclusion sont tout simplement des clauses
de réserve, et les déclarations unilatérales qu’elles permettent sont tout simplement
des réserves autorisées par le traité » 17. Au sens de la directive 1.1.6 du Guide, la
notification de la turquie s’apparente en tous points à une
« déclaration unilatérale faite par un État […], au moment où cet État […] exprime
son consentement à être lié par un traité[ 18], en conformité avec une clause autorisant expressément les parties ou certaines d’entre elles à exclure ou à modifier
l’effet juridique de certaines dispositions du traité à l’égard de la partie ayant fait
la déclaration ».
Partant, elle « constitue une réserve expressément autorisée par le traité »,
soumise donc au régime juridique des réserves, du moins tant que celui-ci est
compatible avec la clause de réserve de l’espèce – ainsi les objections aux réserves
ne sont généralement pas possibles dans ce contexte 19. une telle interprétation
n’est d’ailleurs en rien incompatible avec l’interdiction générale des réserves par
l’article 46 du traité sur la charte de l’énergie, qui peut être interprété comme ne
s’appliquant qu’aux réserves non expressément autorisées par les « clauses de
réserve » spécifiques du traité 20. c’est aborder la question déterminante de l’interprétation des instruments conventionnels relatifs aux investissements.
2. Interprétation des traités
i) Pour trancher les litiges qui leur sont soumis, les tribunaux arbitraux sont
immanquablement conduits à interpréter des traités internationaux 21, non seulement le traité de protection des investissements applicable, mais encore la convention de Washington pour les tribunaux ou comités ad hoc constitués dans le cadre
du cirdi 22. l’hommage à l’article 31 (« règle générale d’interprétation »), le cas
15. italiques ajoutés.
16. Ann. CDI, 2011, vol. ii(2), A/66/10/Add.1, chapitre iv « réserves aux traités ».
17. A. PeLLet, rapporteur spécial, comptes-rendus analytiques des séances de la première partie de
la 52e session, 2632e séance, 6 juin 2000, Ann. CDI, 2000, vol. i, A/cn.4/sr.2632, p. 170, § 13.
18. l’article 26, § 3, litt b, du traité de la charte de l’énergie prévoit que la notification est communiquée « au secrétariat au plus tard à la date de dépôt de son instrument de ratification, d’acceptation ou
d’approbation [ou] d’adhésion ».
19. voy. le commentaire de la directive 1.1.16, in Ann. CDI, 2011, vol. ii(2), A/66/10/Add.1, p. 67, § 9 :
« dès lors qu’une réserve est expressément autorisée par le traité, les États contractants […] savent à quoi
s’attendre ; ils ont accepté par avance dans le traité lui-même la ou les réserves en question ».
20. Id., p. 66, spéc. §§ 5 et s. dans cette optique, constitue également une « clause de réserve »
l’article 45 (« Application provisoire ») du traité sur la charte de l’énergie, mis en œuvre dans l’affaire
Yukos (cPA/cnudci, Veteran Petroleum Ltd. c. Russie, aff. n° AA 228, sentence partielle du 30 novembre
2009 ; voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 692-693), ce que la sentence Libananco admet
implicitement (§ 546).
21. sur la mise en œuvre des techniques interprétatives dans le contentieux transnational, voy. la
présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 685-692 et 2010, pp. 616-620. Adde f. Latty, « les techniques
interprétatives du cirdi », RGDIP, 2011/2, pp. 459-480.
22. voy. par ex. comité ad hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou,
décision du 1er mars 2011, § 85 (interprétation de l’art. 52 de la convention de Washington).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
537
échéant à l’article 32 (« Moyens complémentaires d’interprétation ») et, très exceptionnellement, à l’article 33 (« interprétation de traités authentifiés en deux ou
plusieurs langues ») de la convention de vienne de 1969 est dans la quasi-totalité
des cas accompli. la nature coutumière de ces règles d’interprétation, réaffirmée à
l’occasion 23, conduit en tout état de cause les arbitres ne se référant pas directement
à la convention de vienne à en mettre en œuvre les techniques 24.
la plupart des tribunaux s’emploient à montrer qu’ils appliquent scrupuleusement, pour ne pas dire scolairement, la règle générale d’interprétation énoncée
à l’article 31, selon laquelle « [u]n traité doit être interprété de bonne foi suivant le
sens ordinaire à attribuer aux termes du traité dans leur contexte et à la lumière
de son objet et de son but » 25. en ce sens, ils « réagissent comme s’il fallait obligatoirement partir de ces éléments pour construire n’importe quelle interprétation » 26. les références sont innombrables, dans la jurisprudence transnationale,
au sens ordinaire des termes 27 – précisé au besoin à l’aide de dictionnaires 28, de la
doctrine 29 ou de la jurisprudence 30 ; – au contexte interne 31 ou externe du traité 32 ;
à l’objet et au but du traité 33.
Préalablement à une interprétation susceptible de prêter le flanc à la critique,
un tribunal aura tendance à marquer un attachement suspect aux techniques
de la convention de vienne. Ainsi, pour accepter l’« arbitrage de masse » lancé
contre l’Argentine par des « petits porteurs » italiens, alors que la convention de
Washington comme le tBi applicable étaient muets sur cette possibilité, le tribunal
a d’emblée inscrit son interprétation dans le cadre des articles 31 et 32, tout en
renvoyant par la suite à plusieurs reprises à l’objet et au but du tBi ou même,
plus discutablement, à « l’esprit » de la convention de Washington 34. de même,
pour s’octroyer le pouvoir d’adapter la procédure à ce type de recours collectif, le
23. cPA (cnudci), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 115 ; comité ad
hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, § 85.
24. cnudci, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 7.3.2 et
11.2.6.
25. la règle est citée in extenso à plusieurs reprises in cirdi, El Paso Energy International Company
c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 338, 614, 730. voy. aussi cirdi, Hochtief
AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité, 24 octobre 2011, §§ 26 et
s. ; cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§ 311, 335,
869, 875. Pour le comité ad hoc de l’affaire Togo-Electricité, la règle d’interprétation de l’article 31 est
« universellement reconnue par des tribunaux et des comités ad hoc cirdi comme le principe directeur en
la matière » (comité ad hoc cirdi, Togo-Electricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ArB/06/07,
décision en annulation du 6 septembre 2011, § 45).
26. J.-M. sOreL, commentaire de l’article 31, in o. cOrten / P. kLein, Les Conventions de Vienne sur
le droit des traités. Commentaire article par article, Bruxelles, Bruylant, 2006, p. 1319.
27. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 591 (interprétation des dispositions du traité selon le sens des termes au moment de la
conclusion du traité et non au vu de la pratique conventionnelle ultérieure) ; cirdi, Libananco Holdings
Co. Limited c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre 2011, § 533 (priorité au sens ordinaire
si aucun élément ne permet d’identifier un sens particulier).
28. ex. : sentence El Paso, § 319 ; cirdi, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ArB/07/6, sentence du
7 juillet 2011, § 187.
29. ex. : sentence El Paso, § 237 ; sentence Tza Yap Shum, § 188.
30. ex. : sentence El Paso, § 237 ; sentence Tza Yap Shum, § 189-192 (jurisprudence de la ciJ).
31. ex. : sentence El Paso, § 599 ; cnudci, Alps Finance and Trade AG c. Slovaquie, sentence du
5 mars 2011, §§ 225 et s. ; cirdi, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin
2011, §§ 80 et s.
32. ex. : sentence El Paso, §§ 602, 616-624 (interprétation de la clause de sauvegarde du tBi à l’aide
des règles coutumières de responsabilité). voy. aussi infra i, A, 3 (état de nécessité) et iii, B, 2, (question
du droit applicable).
33. ex. : sentence El Paso, § 604 (mise en place d’un système équilibré).
34. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, §§ 291 et s. sur cette question voy. infra iii.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
538
arbitrage transnational et droit international général
tribunal s’est référé, dans le cadre des principes d’interprétation des traités 35, à
l’objet et au but de la convention de Washington 36.
les arbitres dissidents n’hésitent pas, de leur côté, à dénoncer dans leurs
opinions le dévoiement des articles 31 et 32 de la convention par le tribunal arbitral qui les a isolés. Ainsi, Georges Abi-saab a vigoureusement adressé le reproche
suivant aux arbitres de l’affaire Abaclat :
« the principles of treaty interpretation, as codified in articles 31 and 32 of the Vienna
Convention on the Law of Treaties of 1969, prescribe starting with the text in its
context and be guided by the object and purpose of the treaty, if need be, to clarify
any subsisting ambiguity. These principles do not prescribe nor justify, the invocation
left and right by the Tribunal, of the object and purpose, as subjectively represented
by it, in order to deduce directly from them the solutions it seeks to reach, jumping
over text, context and general rules of international law applicable to the matter » 37.
l’attitude « cavalière » 38 de certains tribunaux arbitraux à l’égard des règles
d’interprétation de la convention de vienne a été également relevée par la doctrine,
qui déplore « the general tendency to let policy considerations unduly influence the
interpretative approach » 39 et voit dans l’affichage du recours aux articles 31 et 32
un moyen de justifier un résultat voulu à l’avance 40. ces remarques, confrontées
à des interprétations particulièrement hardies comme celle menée dans l’affaire
Abaclat, ne paraissent pas dénuées de fondement. Pourtant, à rebours, on peut leur
opposer le fait que « [t]he rules of interpretation are not there to provide the answer
to a particular question of interpretation ; they give you the techniques by which
you find the answer to your question » 41. Pour dire les choses autrement, l’interprétation n’est pas une science exacte, de même que la règle énoncée à l’article 31
n’est pas une formule mathématique fournissant par a + b la solution unique
à tout problème d’interprétation. la convention de vienne offre simplement des
« directives générales » 42, parmi lesquels l’interprète – les arbitres majoritaires le
cas échéant – puise pour donner le sens à un énoncé – ou à un silence – donné. le
débat renvoie à vrai dire aux fondements même de la théorie de l’interprétation,
fonction de la connaissance 43 ou bien fonction de la volonté 44.
35. Id., § 528.
36. Id., §§ 518 et s. sur cette question voy. infra iii, A, 3.
37. décision Abaclat, op. diss. G. Abi-saab, § 258. voy. aussi l’opinion dissidente de ch. n. Brower
in cPA (cnudci), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, spéc. § 19 : « The Award
adopts the interpretation advanced by the Respondent […]. The Award, however, does not present any
rationale based on the application of Article 31 to support this conclusion ».
38. M. WaiBeL, « international investment law and treaty interpretation », in r. HOFMan /
ch. J. taMs, op. cit. note 6, p. 29.
39. l. Markert, « international investment law and treaty interpretation – Problems, Particularities and Possible trends », in r. HOFMan / ch. J. taMs, op. cit. note 6, p. 55. voy. infra note 271.
40. Id., p. 56.
41. sir f. BerMan, « evolution or revolution ? », in ch. BrOWn / k. MiLes, Evolution in Investment
Treaty Law and Arbitration, cambridge uP, 2001, p. 667.
42. P. daiLLier / M. FOrteau / a. PeLLet, Droit international public (Nguyen Quoc Dinh), Paris,
lGdJ, 2009, p. 290, n° 170.
43. selon cette théorie, l’interprétation porte sur des énoncés dotés d’une signification unique qu’il
importe de formuler, ou si elle est cachée en raison d’un énoncé peu clair, que l’opération d’interprétation
permet de révéler. Pour un énoncé donné, il n’y aurait donc qu’une seule interprétation exacte (M. trOPer,
v° « interprétation », in d. aLLand / s. riaLs (dir.), Dictionnaire de la culture juridique, Quadrige, Paris,
lamy-P.u.f., 2003, p. 843).
44. selon cette conception dite réaliste, tout énoncé recèle plusieurs significations possibles parmi
lesquelles l’interprète doit choisir ; la norme est le produit de ce choix et non pas l’énoncé initial (M. trOPer,
ibid.).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
539
ii) L’article 32 de la convention de Vienne mentionne à titre de moyen complémentaire d’interprétation le recours « notamment aux travaux préparatoires et
aux circonstances dans lesquelles le traité a été conclu », ce afin de « confirmer
le sens » résultant de l’application de la règle générale d’interprétation fournie
par l’article 31 45, ou lorsque cette dernière laisse le sens « ambigu ou obscur », ou
« conduit à un résultat qui est manifestement absurde ou déraisonnable » 46. Selon
le tribunal de l’affaire El Paso, ces cas d’ouverture de l’article 32 – auxquels est
curieusement ajouté le besoin d’établir le « sens particulier » voulu par les parties,
au sens de l’article 31, § 4 47 – sont suffisamment larges pour que la pratique autorise la mise en œuvre de l’article 32 de manière systématique 48.
Les moyens indiqués par l’article 32 n’étant pas exhaustifs 49, le tribunal de
l’affaire HICEE a inclus parmi ceux-là le recours à une note explicative du ministre
des affaires étrangères néerlandaises adressées à son parlement à l’occasion de la
ratification du traité bilatéral avec la Tchécoslovaquie 50. Cette note a été déterminante dans le rejet de sa compétence par le tribunal, qui a accordé une importance
toute particulière au fait que l’interprétation qui y était donnée par les Pays-Bas
de la disposition litigieuse du TBI correspondait à celle prônée par la Slovaquie,
en position de défendeur à l’instance : « That this represent a concordance of views
between the Contracting Parties to the treaty obligation in question – albeit in an
attenuated form – cannot be denied » 51. Pour le tribunal, l’existence d’une forme
d’accord entre les deux États n’était pas affectée par le fait que la concordance de
vues intervenait entre, d’une part, non pas la partie contractante originelle mais
un de ces deux États successeurs, et d’autre part, un État non partie au litige 52. Et
le tribunal de considérer que si la question de l’interprétation de la disposition en
cause s’était posée au cours d’un différend entre les deux États parties au traité,
cette concordance aurait eu un impact capital dans l’interprétation qu’aurait retenue
le tribunal arbitral saisi ou la Cour internationale de Justice 53. Pour le tribunal « a
treaty can have only one authentic meaning, which cannot on grounds of basic principle vary according to who are the parties to a particular dispute » 54. En l’espèce,
l’interprétation authentique conjointe empruntait des voies peu orthodoxes…
Les ambiguïtés qui entourent le rôle déterminant, en matière d’interprétation,
de l’État partie au traité mais tiers au litige sont mieux encore illustrées par la
question du recours aux travaux préparatoires en tant que mode complémentaire
d’interprétation. Le contentieux transnational, on l’a compris, présente la particularité de ne pas opposer deux États parties au même traité dont l’interprétation
45. Voy. comité ad hoc CIRDI, Togo-Electricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ARB/06/07,
décision en annulation du 6 septembre 2011, §§ 46 et 57, où le tribunal se réfère aux travaux préparatoires
pour « confirmer » son interprétation de l’article 57 de la convention de Washington. Voy. aussi CIRDI,
Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre 2011, §§ 551 et s.,
au sujet du terme « État tiers » dans le traité sur la charte de l’énergie.
46. Sur l’articulation entre les art. 31 et 32, voy. CPA (CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence
partielle du 23 mai 2011, §§ 117 et s. Contestant le recours à l’art. 32 alors que l’interprétation au terme
de l’art. 31, qualifié de « critère primaire d’interprétation » ne le justifiait pas, voy. l’opinion dissidente de
Ch. N. Brower, §§ 38 et s.
47. « Un terme sera entendu dans un sens particulier s’il est établi que telle était l’intention des
parties ».
48. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 607.
49. Voy. Y. Le BouthiLLier, commentaire de l’article 32 in O. Corten / P. KLein, op. cit. note 26,
pp. 1366 et s.
50. CPA (CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 137.
51. Id., § 136.
52. Ibid.
53. Id., § 137.
54. Id., § 139.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
540
arbitrage transnational et droit international général
est discutée, mais un État et investisseur non partie, qui n’a généralement pas
accès à l’historique des négociations, sauf lorsque les travaux préparatoires ont été
rendus publics. comme le tribunal de l’affaire Perenco l’a noté, « [i]n investor-State
arbitration, the private claimant does not speak for its State of nationality nor does
it necessarily have access to the State’s records relating to the negociating history
of the treaty which it invokes » 55. le principe du contradictoire et de l’égalité des
armes pourrait justifier la mise à l’écart de cette technique interprétative, ou à
tout le moins requérir du tribunal une extrême prudence dans l’appréciation de
travaux préparatoires fournis exclusivement par l’État défendeur 56. dans l’affaire
Perenco, le demandeur, une société des Bahamas, entendait se prévaloir du tBi
france/Équateur à l’encontre de ce dernier État, arguant de son contrôle indirect
par des intérêts français 57. l’equateur avait en l’occurrence sorti de ses archives
des documents de négociation montrant que, dans la définition des sociétés protégées par le traité, la mention du caractère « direct ou indirect » du contrôle avait
été supprimée, ce qui tendrait à exclure la compétence personnelle du tribunal à
l’égard d’une société indirectement contrôlée par des français. l’argument était
renforcé par le fait qu’une telle rédaction divergeait par rapport au modèle français
de tBi et aux traités conclus par la france à cette époque 58. incapable d’interpréter le traité au moyen de la règle générale de l’article 31 de la convention de
vienne – la décision arbitrale aurait pu préciser que sa mise en œuvre « laiss[ait] le
sens ambigu ou obscur », conformément à l’article 32 –, le tribunal a semblé considérer que l’analyse des travaux préparatoires constituait la clé de l’interprétation
de la disposition controversée. toutefois, pour éviter d’avoir une vision tronquée
des négociations, il a préféré surseoir à statuer sur la question de sa compétence
personnelle et inviter les parties à rentrer en contact avec les autorités françaises
afin de leur faire part de l’intérêt du tribunal pour les travaux préparatoires du
tBi conclu avec l’Équateur 59. l’interprétation de la clause du traité litigieuse, qui
conditionne largement l’issue du différend, repose donc dans une large mesure sur
la bonne volonté d’un État tiers au litige. cette solution montre une nouvelle fois
que la transposition au contentieux transnational de règles nées dans un contexte
interétatique ne se fait pas sans à-coups.
B. Autres sources
1. Coutume
Bien que le contentieux transnational en matière d’investissements repose
pour l’essentiel sur des instruments conventionnels, les tribunaux arbitraux sont
constamment conduits à mettre en œuvre des normes coutumières, au premier
rang desquelles figurent les règles générales du droit des traités et de la responsabilité internationale, ainsi que, dans certaines affaires, les standards coutumiers
55. cirdi, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ArB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 92. le tribunal renvoie à l’opinion dissidente de
sir f. Berman jointe à la décision du comité ad hoc cirdi, Industria Nacional de Lalimentos, SA et Indalsa
Perù c. Pérou, aff. ArB/03/04, 5 septembre 2007, § 9.
56. sir f. BerMan, « evolution or revolution ? », in ch. BrOWn / k. MiLes, op. cit. note 41, p. 669.
57. le tribunal note à ce sujet le caractère inédit de ce recours par un « national » qui n’a la nationalité
d’aucun des deux États parties au traité (cirdi, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal
Petróleos del Ecuador, aff. n° ArB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 90).
58. Id., §§ 74 et s.
59. Id., § 94. le tribunal précise qu’il « is not inviting argument from the French Republic. Rather, it
wishes to receive any travaux préparatoires that may shed light on the way in which this Treaty may differ
from other contemporaneous French Treaties » (§ 95). Cf. infra iii, c, 4, la question de la participation à la
procédure arbitrale d’États parties au traité applicable mais tiers au litige.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
541
de protection des étrangers. Le problème classique de l’articulation entre le droit
conventionnel et ces normes coutumières fait partie des questions couramment
abordées dans la jurisprudence arbitrale 60.
Plus rare est en revanche la confrontation des arbitres au processus même
de formation de la coutume et le constat subséquent de l’émergence de nouvelles
normes coutumières – au mieux l’existence de la norme coutumière est établie à
partir des conclusions fournies par d’autres autorités, par exemple celles de la CDI,
de la CIJ ou d’autres tribunaux arbitraux au sujet de l’état de nécessité 61.
Dans l’affaire Grand River, le demandeur soutenait qu’avait émergé un principe de droit coutumier imposant aux autorités gouvernementales de consulter
les peuples indigènes lorsqu’elles envisagent des politiques ou actions publiques
les affectant 62. À l’inverse, le Canada avait soumis une communication tendant à
démontrer que la convention de l’OIT n° 169 sur les peuples indigènes et tribaux
ainsi que la déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones
ne présentaient aucun caractère coutumier, ce qui excluait qu’elles puissent rentrer
dans le champ de la « norme minimale de traitement » prévue à l’article 1105
de l’ALENA 63. Bien que ne se prononçant pas définitivement sur la question, le
tribunal a semblé donner raison au demandeur sur l’existence de la norme coutumière invoquée – un membre du tribunal avait écrit un article en ce sens, tandis
que l’International Law Association avait adopté des conclusions similaires 64. Mais
en l’espèce, le tribunal a constaté que l’obligation de consultation a pour bénéficiaire le peuple autochtone et non l’investisseur qui en est issu et qu’en tout état
de cause le standard de l’article 1105 ne saurait inclure pareille protection 65. Il
n’est toutefois pas inintéressant de constater que le droit des investissements est
susceptible d’ouvrir incidemment la voie au constat de l’émergence de normes
coutumières propres à d’autres branches du droit international – en l’occurrence
les droits de l’homme.
2. Principes généraux de droit
Les décisions arbitrales sont pléthores à invoquer des « principes généraux »
dont la source exacte n’est pas identifiée : les principes du droit international,
de nature coutumière, doivent pourtant être distingués des principes généraux
de droit, au sens de l’article 38, § 1, litt. c, du statut de la Cour internationale de
Justice 66. Les premiers « n’innove[nt] pas, mais synthétise[nt], au contraire, tout
un patrimoine de solutions juridiques depuis longtemps admises et appliquées » 67.
Les seconds « [d]’après l’opinion dominante […] seraient des principes tellement
60. Voy. M. PaParinskis, « Investment Treaty Interpretation and Customary Investment Law :
Preliminary Remarks », in Ch. Brown / k. Miles, op. cit. note 41, pp. 65 et s. et infra III, B (Droit
applicable).
61. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, §§ 617 et s. (exclusion de l’état de nécessité lorsque l’État a contribué à la situation de
nécessité).
62. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 210.
63. Id., 59.
64. Id., § 210.
65. Id., § 211. Voy. aussi infra III, B, 2 (Droit applicable).
66. P. Daillier / M. Forteau / a. Pellet, op. cit. note 42, p. 381, n° 223.
67. M. Virally, « Le rôle des “principes” dans le développement du droit international », in Le droit
international en devenir. Essais écrits au fil des ans, Paris, P.U.F., 1990, p. 203.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
542
arbitrage transnational et droit international général
inhérents à la pensée juridique qu’ils se retrouveraient pratiquement dans tous
les grands systèmes de droit » 68.
À quelle catégorie ressortit « the safeguarding of good faith » présentée comme
« one of the fundamental principles of international law and the law of investment »,
principe qui « [a]s in domestic law » permet de combler les lacunes du droit et de
clarifier les règles existantes 69 ? Quid encore du principe jura novit curia évoqué
à deux reprises dans la décision du comité ad hoc de l’affaire Continental 70 ?
certaines décisions arbitrales font toutefois l’effort d’accompagner l’affirmation
d’un principe général de quelque motivation permettant d’en identifier la source. la
décision Abaclat, qui s’est référée au principe général de droit « requiring that any
consent be genuine and intented, i.e., free from coercition, fraud and/or from any
essential mistake » 71, accomplit en la matière le « service minimum ». l’existence
du principe était-elle à ce point évidente qu’une analyse rigoureuse, fondée sur la
comparaison des différents systèmes juridiques nationaux et la démonstration de
la « transportabilité » (Basdevant) 72 de la norme dans l’ordre international eût été
superfétatoire ? toujours est-il que le tribunal se contente d’affirmer que « [i]t is
generally admitted that under such circumstances the party, who is victim of
coercion, fraud or mistake may avoid the contract » (opération de comparaison),
avant d’enchaîner : « the same principle should apply to the concept of consent
under Article 8(3) and Article 25(1) ICSID Convention » (examen de la « tranportabilité »).
À vrai dire, le défaut d’argumentation des tribunaux arbitraux ne contraste
guère avec l’empirisme, voire le mutisme, des juridictions interétatiques qui font
appel aux principes généraux de droit 73. Mérite à cet égard une mention spéciale
la sentence El Paso, rendue par un tribunal composé de trois professeurs de droit
(l. caflish, président, P. Bernardini, B. stern), qui à l’inverse de la pratique juridictionnelle dominante examine avec luxe de précisions académiques la nature des
principes généraux de droit 74, avant de s’appuyer sur les principes unidroit sur
les contrats commerciaux internationaux (« a sort of international restatement of the
law of contracts reflecting rules and principles applied by the majority of national
legal systems » 75) pour conclure que « there […] seems to be a general principle of
law recognised by civilised nations that necessity cannot be recognised if a Party
to a contract has contributed to it » 76. l’incursion dans le champ des principes
généraux de droit intervenait toutefois à titre surabondant, dès lors que le tribunal
venait de parvenir à la conclusion que la règle avait valeur coutumière 77. dans
la mesure où nombre de règles du droit de la responsabilité internationale ont été
façonnées à partir de la méthode des principes généraux de droit avant d’acquérir
68. M. viraLLy, « vers un tiers droit ? réflexions théoriques », in Le droit des relations économiques
internationales (Études offertes à B. Goldman), Paris, litec, 1982, p. 383.
69. cirdi, Malicorp Limited c. Égypte, aff. n°ArB/08/18, sentence du 7 février 2011, § 116.
70. comité ad hoc cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, décision sur
la demande d’annulation, 16 septembre 2011, §§ 268, 272.
71. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 436
72. P. daiLLier / M. FOrteau / a. PeLLet, op. cit. note 42, p. 384, n° 225.
73. voy. d. carreau / f. MarreLLa, Droit international, 11e éd., Paris, Pedone, 2012, p. 336, n° 41 ;
A. PeLLet, Recherche sur les principes généraux de droit en droit international public, thèse, Paris, 1974,
pp. 321-322.
74. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 622.
75. Id., § 623.
76. Id., § 624.
77. Id., §§ 617 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
543
valeur coutumière 78, une telle « relégation » montre que les principes n’occupent
qu’une place subsidiaire dans l’arbitrage fondé sur des traités de protection des
investissements comme au sein du « droit de la société interétatique » 79. cette
situation est d’autant plus paradoxale que dans l’arbitrage fondé sur des contrats
d’État comme sur des contrats de droit privé, au niveau du cirdi comme devant
les tribunaux arbitraux du commerce international, ce mode de formation du droit
continue de connaître un vif succès 80.
3. Actes unilatéraux
comme en 2010 81, certains tribunaux arbitraux ont été confrontés à des actes
unilatéraux émis par des États. concernant les actes intervenant, selon la typologie
de la cdi, « dans l’exercice de la liberté des États d’agir au plan international » 82, le
tribunal de l’affaire El Paso a été conduit, dans le cadre de l’examen de la violation
alléguée du traitement juste et équitable, à examiner la politique « agressive » de
promotion de son programme de privatisation menée à l’étranger par l’Argentine,
notamment auprès d’investisseurs américains à l’occasion de road shows sur le
territoire américain 83. le demandeur assimilait ces démarches à des actes unilatéraux au sens de la jurisprudence de la cour internationale de Justice dans l’affaire
des Essais nucléaires. sans surprise, le tribunal a rapidement écarté l’argument :
« what is involved here are two totally different types of unilateral declarations – one
made before the highest judicial body in the world, the other in commercial meetings – and […] no lesson can be drawn from the nuclear tests cases to give legal
weight to investment-promoting road shows. In the Tribunal’s view, such political
and commercial incitements cannot be equated with commitments capable of creating
reasonable expectations protected by the international mechanism of the BIT » 84.
le même sort a été réservé par le tribunal au préambule d’un décret mentionnant la garantie de la stabilité de l’environnement juridique et à une déclaration
politique du président de la république au congrès dans le même sens – s’agissant
de cette dernière, le tribunal « is aware, as is every individual, of the limited confidence that can be given to such political statements in all countries of the world »
78. voy. par ex. cPJi, Emprunts serbes, arrêt du 12 juillet 1929, série A, n° 29, pp. 33-40 ; Emprunts
brésiliens, arrêt du 12 juillet 1929, série A, n° 21, p. 120 (force majeure en tant que principe général de
droit).
79. d. carreau / f. MarreLLa, op. cit. note 73, pp. 343 et s.
80. Id., pp. 341-342. la « méthode des règles transnationales » (e. GaiLLard, « trente ans de lex
mercatoria. l’application sélective de la méthode des principes généraux du droit », JDI, 1995, p. 22) mise
en œuvre par les arbitres du commerce international est en effet similaire à celle qui préside à la formation
de principes généraux de droit dans l’ordre international, même si les exigences en termes de partage
du principe parmi les principaux systèmes juridiques sont moindres. voy. à cet égard l’étonnante opinion
dissidente de J. voss jointe à la sentence Lemire, dans laquelle l’arbitre minoritaire s’efforce de dégager
un principe général de droit sur le lien de causalité en matière d’offres publiques à partir de l’exemple des
seuls droits européen et allemand, avant d’évaluer ce principe au regard de « principes » plus généraux
du droit international, « notably the bias against awarding “speculative profits” and the requirement of
“particularizing’ damages” » (op. diss., §§ 272 et s. et §§ 290 et s. ; contra cirdi, Joseph Charles Lemire
c. Ukraine, aff. n° ArB/06/18, sentence du 28 mars 2011, § 297, note 317).
81. voy. cette chronique, in cet Annuaire, 2010, pp. 628.
82. cdi, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de
créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.
83. voy. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 84 (« In these meetings, the new-found openness of Argentina’s economy and the stability of
the new investment framework were emphasised. Potential investors were led to assume that prices would be
determined by market mechanisms and that costs and capacity payments be denominated in dollars »).
84. Id., § 392.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
544
arbitrage transnational et droit international général
(sic) 85. il faut toutefois noter que dans cette affaire comme dans l’affaire GEA
Group 86, les tribunaux arbitraux n’ont pas exclu par principe que la jurisprudence
de la cour sur les actes unilatéraux, qui concerne les relations interétatiques, soit
transposée au cas des relations transnationales, i.e. qu’un État puisse unilatéralement prendre un engagement international à l’égard d’une personne privée
étrangère.
l’affaire Brandes a par ailleurs confronté le tribunal saisi à un acte unilatéral
émis « dans le cadre et sur le fondement d’une habilitation expresse du droit international » 87, dans la mesure où était examinée la clause de règlement des différends
de la loi vénézuélienne de promotion et de protection des investissements de 1999,
qui mentionnait le cirdi et pouvait dès lors être envisagée comme découlant
d’une habilitation de la convention de Washington 88. le tribunal a toutefois semblé
s’éloigner de l’approche purement internationaliste des tribunaux Mobil et CEMEX
qui les avait conduits à envisager l’article 22 de la loi comme un acte international,
soumis aux règles d’interprétation du droit international, lesquelles, accordant une
attention particulière à la volonté de l’État, impliquaient la prise en compte des
règles vénézuéliennes d’interprétation 89. de manière moins alambiquée mais plus
« impressionniste », le tribunal s’est fondé sur la nature à la fois interne et internationale de la disposition pour considérer que « the initial process of interpretation
should be conducted according to the parameters set by the Republic legal system »
mais que le résultat de l’interprétation ayant des « direct effects on the operation of
Article 25 of the ICSID Convention, the conclusions from that initial analysis must
be read in accordance with the principles of international law » 90. l’analyse de la
disposition menée par la suite, au terme d’une analyse grammaticale écartée car
non concluante, de l’examen de son contexte, des circonstances de son adoption et
des buts poursuivis 91, ne diverge guère des méthodes de la convention de vienne
sur le droit des traités, au point qu’on peut se demander si le tribunal n’aurait
pas pu dégager des principes « transnationaux » 92, pour ne pas dire universels,
d’interprétation, applicables à des actes à la fois nationaux et internationaux, lui
évitant la « gymnastique », largement fictive, de la double interprétation au regard
du droit vénézuélien et du droit international public 93.
4. Jurisprudence et doctrine
la jurisprudence et dans une moindre mesure la doctrine sont abondamment
citées dans les décisions arbitrales du contentieux relatif aux investissements. leur
caractère « auxiliaire » en tant que « moyen de détermination des règles de droit »,
selon l’article 38 du statut de la cour internationale de Justice, se vérifie dès lors
85. Id., § 395.
86. refusant de voir dans divers comportements de l’ukraine des promesses adressées à l’investisseur, voy. cirdi, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ArB/08/16, sentence du 31 mars 2011,
§§ 288 et s. et 351 et s.
87. cdi, Principes directeurs applicables aux déclarations unilatérales des États susceptibles de
créer des obligations juridiques, Ann. CDI, 2006, A/61/10, § 176.
88. en ce sens, cirdi, Mobil c. Venezuela, aff. n° ArB/07/27, décision sur la compétence, 10 juin
2010, § 90 ; cirdi, CEMEX Caracas Investments BV et CEMEX Caracas II Investments BV c. Venezuela,
aff. n° ArB/08/15, décision sur la compétence, 30 décembre 2010, § 83.
89. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 618-620.
90. cirdi, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ArB/08/3, sentence du 2 août 2011,
§ 36.
91. Id., §§ 86 et s.
92. Cf. la notion d’ordre public transnational dégagée in cirdi, World Duty Free Company Limited
c. Kenya, aff. n° ArB/00/7, sentence du 4 octobre 2006, spéc. §§. 138 et s.
93. sur l’application du droit interne dans le contentieux transnational, voy. infra iii, B, 1.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
545
qu’elles interviennent en tant qu’outils d’interprétation des règles conventionnelles
applicables. Le comité ad hoc de l’affaire Duke Energy a ainsi lié la prise en compte
de décisions précédentes à la tâche interprétative au sens des articles 31 et 32 de
la convention de Vienne :
« the decisions of other committees may help to illuminate specific aspects of the
interpretative process which the Committee is charged to undertake, just as, in appropriate cases, reference to wider sources of jurisprudence may help to determine the
existence of a general principle of law applicable to the interpretation of the content
of Article 52, or indeed other relevant provisions of the Convention » 94.
La fonction interprétative de la doctrine se manifeste de la même manière dans
plusieurs décisions arbitrales qui montrent que les tribunaux transnationaux n’hésitent pas, à l’inverse de la CIJ par exemple, à afficher leur sensibilité à l’égard de
la « formulation scientifique du droit positif » 95. En l’occurrence, référence est faite
aux auteurs – essentiellement des spécialistes du droit des investissements – soit
pour appuyer 96, préciser 97 ou, exceptionnellement contrer 98, une interprétation
jurisprudentielle, soit pour pallier son absence 99. Dans cette optique, jurisprudence
et doctrine s’apparentent à des « moyens complémentaires d’interprétation » au
sens de l’article 32 de la convention de Vienne 100.
Ce serait toutefois livrer une vision estropiée de la jurisprudence que de la
réduire à un simple secours dans l’interprétation de normes conventionnelles 101.
Les tribunaux arbitraux ont en effet une tendance naturelle à l’envisager comme
une source autonome de droit guidant leur décision, même s’ils sont unanimes
pour rappeler l’absence de stare decisis 102. Le tribunal de l’affaire Impregilo a ainsi
94. Comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision
du 1er mars 2011, § 88.
95. P. Daillier / M. Forteau / a. Pellet, op. cit. note 42, p. 435, n° 257.
96. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, §§ 237 et s. (recours à la doctrine et à la jurisprudence concernant les mesures réglementaires de l’État qui, par principe, n’équivalent pas à une expropriation indirecte) ; CIRDI, International Quantum Resources Ltd, Frontier SPRL et Compagnie minière de Sakania SPRL c. Congo, aff.
n° ARB/10/21, ordonnance n° 3 du 28 novembre 2011, §§ 40 et s. (dans le silence de la convention de
Washington et du règlement CIRDI sur les conditions d’octroi des mesures conservatoires, le tribunal
recourt à la jurisprudence sur ce sujet, « complétée par les prises de position de la doctrine », en l’occurrence
le commentaire de la convention de Washington par Ch. Schreuer e.a., cité note 38 ; au sujet des mesures
conservatoires, voy. infra III, C, 1).
97. CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, § 318 (au
sujet du traitement juste et équitable ; les auteurs cités renvoient à l’appréciation casuistique, par le
tribunal compétent, des violations du standard).
98. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 10.3.5
et s. (le tribunal s’appuie sur la doctrine pour contrer l’interprétation extensive de la sentence Tecmed
concernant les espérances légitimes de l’investisseur).
99. Id., § 9.2.5 et s. (au sujet des obligations entourant la phase de pré-investissement, le tribunal
constate que la jurisprudence est sans secours mais que les « commentators » considèrent que les dispositions des TBI comportant des clauses sur l’établissement ne font pas naître de droits substantiels pour les
investisseurs) ; CIRDI, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ARB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 871 (au sujet des demandes reconventionnelles dans le contentieux transnational ; sur cette question,
voy. infra III, c, 2).
100. Voy cette chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 688-689.
101. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 695 et s. et 2010, pp. 628 et s.
102. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 61 (rappelant la règle du non-binding precedent, le tribunal indique qu’il « has given careful consideration to the reasoning set out in the cited authorities – both NAFTA and non-NAFTA investment cases »,
mais qu’il a tranché le différend « based on its own assessment of the facts and the applicable law ») ; CPA/
CIRDI, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. CPA n° IR 2011/1, aff.
CIRDI n° ARB/07/5, recommandation sur la demande de récusation, 18 décembre 2011, § 49 (le secrétaire
général de la CPA précise qu’il n’est pas lié par les précédents CIRDI mais qu’il peut les prendre en considération dès qu’ils « shed any useful light on the issues arising in this case ») ; comité ad hoc CIRDI, Continental
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
546
arbitrage transnational et droit international général
considéré que le meilleur moyen d’éviter que le traitement d’une question aussi
délicate que l’application des clauses de la nation la plus favorisée 103 soit tributaire
des opinions personnelles des arbitres était de « to make determination on the basis
of case law whenever a clear case law can be discerned » 104. Même s’ils ne le disent
pas aussi clairement, la plupart des tribunaux s’inscrivent généralement dans un
esprit de système, qui les conduit à souhaiter l’émergence d’une « jurisprudence
constante » 105, et partant à œuvrer à son développement, au besoin en écartant les
mauvais précédents, par exemple ceux qui représentent « an incorrect departure
from the developing jurisprudence » 106 sur une question donnée.
Il n’empêche que des divergences jurisprudentielles sur des questions aussi
fondamentales que la définition de l’investissement 107 ou le contenu des standards
de protection des investissements subsistent, voire se développent, dans l’arbitrage
transnational. Les tribunaux ont conscience que ces disparités nuisent, sinon à
la crédibilité de l’arbitrage transnational, du moins à sa prévisibilité et, partant,
au développement du droit des investissements. Animés par l’ambition de favoriser l’unification jurisprudentielle, certains arbitres n’hésitent pas à faire œuvre
pédagogique, par exemple en entreprenant de distinguer l’étendue des différents
standards de protection 108. La pratique parfois abondante de l’obiter dictum révèle
également l’inclinaison qu’ont certains tribunaux à vouloir « faire jurisprudence ».
Est symptomatique à cet égard, la sentence rendue par le tribunal de l’affaire Libananco qui fait montre d’une « prodigalité de moyens » : bien qu’ayant conclu à son
incompétence, le tribunal prend la peine de discuter les exceptions préliminaires
devenues inopérantes, non seulement « out of deference to the care with which all
of the Preliminary Jurisdictional Objections have been pleaded by both Parties »,
mais aussi – et surtout semble-t-il – « in the hope that it may be of some benefit to
those who have to confront these issues in future » 109.
Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision sur la demande d’annulation, 16 septembre
2011, § 141. Adde CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence
du 31 octobre 2011, § 650 (le tribunal indique qu’il n’accordera que « very limited consideration [to] prior
decisions in other cases involving Argentina since the arguments and evidence placed before each tribunal
are not the same in every case ») ; CIRDI, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ARB/08/3,
sentence du 2 août 2011, § 31 (prise en compte des décisions arbitrales « to the extent that those decisions
may shed light on the issue to be decided at this stage of the proceeding »).
103. Voy. infra III, A, 5.
104. CIRDI, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ARB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 108.
105. Comité ad hoc CIRDI, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/9, décision
sur la demande d’annulation, 16 septembre 2011, § 84.
106. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 9.6.8.
107. Voy. CIRDI, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ARB/08/16, sentence du 31 mars
2011, §§ 137 et s. (le tribunal relève les divergences jurisprudentielles sur la définition de l’investissement,
sans prendre position sur cette question).
108. CIRDI, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ARB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 226 (« ICSID case-law has developed in a way that generates some confusion and overlap
between these different standards of protection found in most BITs. In view of this situation, which is not
conducive to security of the legal framework and predictability of its application to foreign investments, the
Tribunal will endeavour to clarify as much as possible the scope of the different standards of protection, for
it is convinced that they should not be used indifferently one for the other »). Voy. aussi infra III, A, 5, les
analyses proposées par B. Stern sur la clause de la nation la plus favorisée, dans son opinion dissidente
de l’affaire Impregilo.
109. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 538.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
547
ii. – ArBitrAGe trAnsnAtionAl
et resPonsABilitÉ internAtionAle
confrontés à des demandes tendant à engager la responsabilité des États pour
violation de leurs obligations internationales, les arbitres font un usage régulier
des Articles de la commission du droit international sur la responsabilité de l’État
pour fait internationalement illicite. Bien que ces Articles portent sur la responsabilité de l’État vis-à-vis d’un autre État, ils sont abondamment employés dans le
contentieux investisseur-État 110. Pour J. crawford, les arbitres s’y réfèrent « a bit
like a drowning man might grab a stick at sea in the hope of having certainty » 111.
les éventuelles déviations tiennent d’ailleurs moins à la volonté d’adapter les solutions retenues à un contexte transnational qu’à des interprétations particulières
du texte adopté par la cdi. cela apparaît aussi bien s’agissant de l’engagement
de la responsabilité (A) que de son contenu (B).
A. Engagement de la responsabilité
1. Violation d’une obligation internationale
i) le fait internationalement illicite de l’État peut résulter d’une action comme
d’une omission 112. cela ne signifie toutefois pas que l’État qui omet de prévenir
les atteintes aux droits des investisseurs, quel qu’en soit l’auteur, engage systématiquement sa responsabilité. Pour qu’il en aille ainsi, encore faut-il que pèse
sur lui une obligation lui imposant d’adopter une attitude déterminée vis-à-vis des
agissements d’entités non-étatiques 113. c’est précisément l’objet des dispositions
des tBi relatives au standard de protection et de sécurité pleines et entières que de
faire naître, ou réitérer, pareille obligation. le tribunal de l’affaire Sergei Paushok a
rappelé que ces dispositions faisaient peser sur les États une obligation de vigilance
et de due diligence susceptible de se décomposer en une obligation de prévention et
une obligation de répression. il s’agit là d’obligations de moyens au sens civiliste
de l’expression. l’État n’est donc pas tenu de prévenir toute atteinte aux droits des
investisseurs mais doit prendre « reasonable actions within its power to avoid injury
when it is, or should be, aware that there is a risk of injury » 114. les arbitres s’accordent généralement sur ces points. Mais le tribunal de l’affaire El Paso a apporté
des précisions supplémentaires. d’abord en jugeant que l’obligation de protection
et de sécurité pleines et entières figurant dans les tBi n’est rien d’autre qu’une
110. ch. LeBen, « la responsabilité internationale de l’État sur le fondement des traités de promotion
et de protection des investissements », cet Annuaire, 2004, p. 697.
111. J. craWFOrd, « investment Arbitration and the ilc Articles on state responsibility », ICSID
Rev., vol. 25, n° 1, spring 2010, p. 128.
112. Article 2 des Articles. voy. f. Latty, « Actions and omissions », in J. craWFOrd / A. PeLLet /
s. OLLesOn (ed.), The Law of International Responsibility, oxford uP, 2010, pp. 355 et s.
113. cirdi, Gustav F W Hamester GmbH & Co KG c. Ghana, aff. n° ArB/07/24, sentence du 18 juin
2010, § 173, cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 637-638. voy. ciJ, Application de la Convention
pour la prévention et la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Serbie-Monténégro), arrêt
du 26 février 2007, § 429, où la cour, après avoir mentionné un ensemble d’instruments internationaux
prévoyant des obligations de prévention, prend soin de préciser qu’elle n’entend pas « déterminer s’il existe,
au-delà des textes applicables à des domaines spécifiques, une obligation générale, à la charge des États,
de prévenir la commission par d’autres personnes ou entités qu’eux-mêmes des actes contraires à certaines
normes du droit international général ».
114. cirdi, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 325.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
548
arbitrage transnational et droit international général
reprise du standard minimum de protection des étrangers issu du droit international coutumier 115. ensuite en considérant que cette obligation de vigilance ne
saurait être invoquée que lorsque les agissements d’entités non-étatiques sont en
cause 116. il s’agissait là de répondre à une tendance de certains arbitres consistant
à étendre le champ d’application du standard de protection et de sécurité pleines et
entières en y confrontant des comportements étatiques de nature à porter atteinte
à la sécurité juridique des investisseurs 117. les arbitres de l’affaire El Paso ont
ainsi entendu délimiter clairement le champ des différends standards applicables
en droit des investissements 118. suivant leur interprétation, l’État peut donc être
tenu responsable soit de ses actions lorsqu’elles sont contraires aux obligations qui
pèsent sur lui, telles que celles qui résultent du standard de traitement juste et
équitable, soit de ses omissions lorsqu’elles ont permis à des entités non-étatiques
de porter atteinte aux investissements en violation du standard, à valeur coutumière, de protection et de sécurité pleines et entières.
ii) les tribunaux arbitraux sont régulièrement conduits à examiner les notions
de faits continus ou composites, telles qu’elles ont été définies par la cdi aux articles 14 et 15 du texte de codification 119. les sentences rendues en 2011 confirment
que peuvent constituer des faits illicites composites, non seulement une expropriation rampante 120 mais également une atteinte, que l’on peut alors également
qualifier de rampante, au traitement juste et équitable. Article 15 des Articles à
l’appui, le tribunal de l’affaire El Paso a défini une telle atteinte comme « a process
extending over time and comprising a succession or an accumulation of measures
which, taken separately, would not breach that standard but, when taken together,
do lead to such a result » 121. Ainsi, tandis que chacune des mesures prises par l’Argentine pour adapter les secteurs de l’électricité, du gaz ou du pétrole à l’évolution
de sa situation économique pouvait être jugée raisonnable lorsqu’elle était examinée
isolément, leur effet cumulatif a, de l’avis du tribunal, complètement bouleversé le
cadre juridique applicable aux investissements étrangers, violant ainsi les engagements pris par l’Argentine et, donc, l’obligation de traitement juste et équitable 122.
les arbitres usent alors de la notion de fait composite dans un contexte différent de
celui pour lequel elle a été codifiée par la cdi. en effet, puisqu’aucune difficulté liée
à l’entrée en vigueur du tBi ou à la compétence ratione temporis du tribunal ne se
posait, il s’agissait moins en l’espèce d’identifier précisément le tempus commissi
delicti que de penser l’illicite dans une situation complexe.
il arrive toutefois également que la notion de fait composite soit invoquée afin
de contourner les limites ratione temporis à l’application du tBi ou à la compétence
du tribunal. les arbitres de l’affaire Sergei Paushok l’ont admis. Mais ils ont jugé
que l’éventuelle discrimination dans l’application d’une taxe entre l’investisseur
et l’un de ses concurrents qui bénéficiait d’un accord de stabilisation ne pouvait
être considérée ni comme un fait continu ni comme un fait composite. tandis que
le traité qui fondait la compétence du tribunal était entré en vigueur en 2006, l’origine de cette prétendue discrimination résidait dans le refus, qui remontait à 2001,
115. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 522.
116. Ibid., § 524.
117. voy. M. raux, La responsabilité de l’État sur le fondement des traités de promotion et de protection
des investissements, thèse, Paris ii, 2010, pp. 192 et s.
118. sentence El Paso, §§ 226-231, voy. supra note 108
119. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 ; 2009, pp. 700-701 ; 2010, pp. 638-639.
120. cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 329.
121. sentence El Paso, § 518.
122. Ibid., §§ 515-517.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
549
des autorités mongoles de conclure avec l’investisseur un accord de stabilisation.
c’est donc ce refus qui était en réalité en cause. or, il ne pouvait être considéré ni
comme continu, l’investisseur n’ayant jamais tenté de reprendre les négociations
alors qu’il en avait la possibilité, ni comme composite, dès lors que le refus de 2001
et l’application de la taxe en 2006 ne constituaient pas une série d’actes tendant
vers un même résultat 123.
2. Attribution
le contentieux arbitral transnational constitue un terrain particulièrement
fertile de mise en œuvre des Articles relatifs à l’attribution d’un comportement à
l’État. Mais les graines semées par la commission y poussent de manière plus ou
moins ordonnée.
i) la première difficulté concerne la définition de la notion d’organe. les tribunaux arbitraux transnationaux s’accordent pour considérer, avec la cdi, que tous
les comportements des entités ainsi qualifiées sont attribuables à l’État, tandis
que seuls les comportements adoptés dans l’exercice de prérogatives de puissance
publique par les entités qui y sont habilitées le sont 124. Mais ils hésitent sur la définition de la notion, spécialement lorsque l’entité en cause dispose d’une personnalité
juridique propre dans l’ordre interne 125. ils admettent certes sans difficulté que
des démembrements territoriaux de l’État, y compris des États fédérés, puissent
être qualifiés d’organes, ce que les États ne contestent d’ailleurs pas ou plus 126. la
question est toutefois plus délicate s’agissant des entités personnifiées sur une base
fonctionnelle. Au cours de l’année 2011, un tribunal cnudci a suivi la tendance
générale des tribunaux arbitraux transnationaux en considérant que Coal India,
une entreprise d’État intervenant dans le secteur de l’extraction de charbon, n’était
manifestement pas un organe de l’État indien 127. Mais un autre s’est interrogé sur
la pertinence de l’approche consistant à écarter la qualification d’organe dès lors
qu’une entité dispose d’une personnalité juridique propre en droit interne. Appelé
à se prononcer sur l’attribution à la Mongolie des comportements de sa banque
centrale en l’affaire Sergei Paushok, ce tribunal a mis en lumière deux conceptions
de la notion d’organe. suivant la première, une entité dotée de la personnalité juridique en droit interne pourrait néanmoins être qualifiée d’organe de l’État au terme
d’une analyse approfondie tenant notamment compte des fonctions qui lui sont
assignées 128. suivant la seconde, le seul fait qu’une entité dispose d’une personnalité juridique en droit interne suffirait à l’exclure de la catégorie des organes
de l’État pour la faire entrer, éventuellement, dans celle des entités habilitées à
l’exercice de prérogatives de puissance publique 129. le tribunal a semblé pencher
pour la première approche, en remarquant notamment qu’à la différence d’autres
entités qui avaient été exclues de la qualification d’organe 130, la banque centrale de
Mongolie « fulfills a major State function and the list of its responsibilities clearly
123. cirdi, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, §§ 498-499.
124. Ibid., §§ 580 et 584.
125. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 486-487.
126. Pour un nouvel exemple, voy. cnudci (AlenA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis
d’Amérique, sentence du 12 janvier 2011, § 78.
127. cnudci, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, § 8.1.2.
128. sentence Sergei Paushok, §§ 582-583.
129. Ibid., § 585.
130. Ainsi de l’Autorité du canal de suez (cirdi, Jan de Nul N.V. et Dredging International N.V.
c. Égypte, aff. n° ArB/04/13, sentence du 24 octobre 2008, §§ 142-175) ou de l’Autorité nationale des autoroutes pakistanaise (cirdi, Bayindir c. Pakistan, aff. n° ArB/03/29, sentence du 24 août 2009, § 119).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
550
arbitrage transnational et droit international général
demonstrates that it fulfills a role that only a State can fulfill » 131. elle est en effet
chargée d’émettre la monnaie, d’établir et mettre en œuvre la politique monétaire
de la Mongolie, d’agir en tant qu’intermédiaire financier du gouvernement, de
contrôler l’activité des autres banques et de gérer les réserves de change de l’État.
Mais le tribunal n’a finalement pas jugé nécessaire de trancher la question, dès
lors que les comportements spécifiquement en cause avaient, quoi qu’il en soit, été
accomplis de jure imperii 132.
ces hésitations traduisent l’influence qu’ont pu jouer les Articles de la cdi
sur la pratique des tribunaux arbitraux alors même qu’ils étaient encore en cours
d’élaboration. cette pratique est en effet nettement marquée par le texte adopté en
première lecture aux termes duquel la notion d’organe inclut uniquement les entités
« ayant ce statut d’après le droit interne de cet État » 133. c’est cette définition qui a
d’abord conduit les arbitres à exclure de la catégorie d’organe toute entité disposant
d’une personnalité juridique propre dans l’ordre interne. Mais l’approche de la cdi
a évolué en seconde lecture, les Articles finalement adoptés indiquant que le terme
« organe comprend toute personne ou entité qui a ce statut d’après le droit interne
de l’État » 134. la nuance est de taille puisque l’inclusion du verbe « comprend »
vise à indiquer que la notion d’organe ne se limite pas aux entités qui ont ce statut
d’après le droit interne mais inclut « tous les organes, institutions et fonctionnaires
qui font partie de son organisation et agissent en cette qualité, qu’ils aient ou non la
personnalité juridique en droit interne » 135. les tribunaux arbitraux oscillent ainsi
entre une jurisprudence forgée à partir des articles adoptés en première lecture,
qui les conduit à restreindre la qualification d’organe aux entités qui ont ce statut
dans l’ordre interne, et le texte final des Articles, qui les invite à ne pas s’arrêter
à la personnalité juridique de l’entité considérée mais à examiner également ses
fonctions, ses pouvoirs et sa relation avec d’autres entités pour déterminer si elle
peut être qualifiée d’organe 136.
ii) si le tribunal de l’affaire Serguei Paushok n’a finalement pas jugé utile
d’établir que la banque centrale de Mongolie était un organe étatique, c’est parce
qu’il a considéré que les comportements spécifiquement en cause traduisaient quoi
qu’il en soit l’exercice de la puissance publique. le différend trouvait son origine
dans l’exécution d’un contrat entre l’entreprise d’extraction d’or de l’investisseur (la
GeM) et la banque. ce contrat était mixte puisqu’il prévoyait que l’or extrait par
la GeM serait, dans un premier temps, simplement déposé auprès de la banque,
avant, dans un second temps seulement, de lui être vendu. la réalisation de la vente
était alors suspendue à l’envoi d’une lettre à la banque par la GeM ou, à défaut,
à une date déterminée. la banque n’a toutefois pas respecté cette chronologie
puisque, alors même qu’elle n’était pas encore propriétaire de l’or, elle l’a d’abord
exporté afin qu’il soit raffiné et placé sur un compte non alloué avant de refuser
de le restituer à la GeM. les arbitres ont jugé que, sinon le contrat lui-même, du
moins les agissements de la banque au cours de son exécution traduisaient l’exercice
de la puissance publique puisqu’elle avait disposé de l’or dans le but d’accroître les
131. sentence Sergei Paushok, § 582.
132. Ibid., § 586.
133. Article 5 du projet adopté en première lecture (1996), reproduit in J. craWFOrd, Les Articles de
la CDI sur la responsabilité de l’État, Paris, Pedone, 2003, p. 400.
134. Article 4, al. 2.
135. commentaire général du chapitre 2 de la partie 1 des Articles, § 7, reproduit in J. craWFOrd, Les
Articles…, op. cit. note 133, p. 111. soulignant ce point, voy. P.-M. duPuy, « Quarante ans de codification
du droit de la responsabilité internationale des États : un bilan », RGDIP, 2003, pp. 316-319.
136. commentaire de l’article 4, § 11, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 118. sur ce point, voy. P. JacOB, L’imputation d’un fait à l’État en droit international de la responsabilité,
thèse, rennes 1, 2010, pp. 127-134, à paraître, Paris, Pedone, 2012.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
551
réserves monétaires de la Mongolie 137. Même si le tribunal n’a guère précisé son
raisonnement sur ce point et même s’il a fait référence aux pouvoirs spécifiques
conférés à la banque centrale par la loi, il est remarquable que l’élément déterminant qu’il a retenu afin d’établir qu’elle a agi de jure imperii tient au but poursuivi
par sa décision. Même si l’article 5 des Articles se réfère à la notion de « prérogatives
de puissance publique », on ne peut donc affirmer avec certitude que, pour ce qui
est de l’attribution à l’État aux fins de la responsabilité internationale, le critère
des moyens l’a emporté sur celui des fins. la formule de la sentence Jan de Nul
rendue en 2008 selon laquelle « [w]hat matters is not the “service public” element,
but the use of “prérogatives de puissance publique” or governmental authority »
peut alors sembler quelque peu péremptoire 138.
iii) Ayant considéré que les agissements de la banque centrale de Mongolie dans
l’exécution du contrat qui la liait à la GeM étaient non seulement attribuables à
la Mongolie parce qu’accomplis de jure imperii mais constitutifs d’une violation de
l’obligation de traitement juste et équitable, le tribunal a encore dû s’arrêter sur
un dernier point. la Mongolie considérait en effet que sa responsabilité ne saurait
être engagée dès lors que la banque centrale ne pouvait légalement conclure un
tel contrat, dont la cause résidait principalement dans la volonté de la GeM de se
soustraire à une taxe en suspendant la vente jusqu’à ce que la législation fiscale
évolue. le tribunal a alors considéré que, « whether or not the [contract] would have
been impermissible under Mongolian law, this is not sufficient to make it impermissible under the Treaty and international law », notamment car l’entreprise de
l’investisseur « was in its right to assume that Mongol Bank was acting within the
powers granted to it by the State » 139.
Bien qu’il ne s’agisse pas d’attribuer un comportement à l’État aux fins de la
responsabilité puisque la violation du traité ne résultait pas de la conclusion du
contrat mais de son exécution, il serait tentant de voir dans cette précision une
application de l’article 7 des Articles. celui-ci prévoit en effet que le comportement
d’une personne agissant en qualité d’organe ou d’entité habilitée à l’exercice de
prérogatives de puissance publique est attribuable à l’État même si elle « outrepasse sa compétence ou contrevient à ses instructions », le commentaire précisant
que tel est le cas dès lors que la personne « agit à titre apparemment officiel, ou
en se prévalant d’une compétence » 140. le tribunal s’est d’ailleurs appuyé sur des
sentences dans lesquelles les arbitres s’étaient référés aux règles d’attribution aux
fins de la responsabilité afin d’établir que des engagements illégalement pris par
des organes étatiques avaient pu faire naître des attentes légitimes dans le chef
des investisseurs 141. il s’est toutefois gardé de citer l’article 7, de sorte qu’il n’est
pas certain que l’on puisse voir ici un nouvel usage décontextualisé des Articles
relatifs à l’attribution aux fins de la responsabilité, dont cette chronique se fait
137. sentence Sergei Paushok, § 592 : « The Tribunal therefore has no hesitation in concluding that
MongolBank acted de jure imperii, if not in entering into the SCSA, at least when it exported GEM’s
gold for refining and deposited it or its value in an unallocated account in England “with the purposes of
increasing the country’s reserves”. Those actions were de jure imperii and went beyond a mere contractual
relationship ».
138. cirdi, Jan de Nul N.V et Dredging International N.V. c. Égypte, aff. n° ArB/04/13, sentence du
24 octobre 2008, § 170 ; voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 487-488.
139. sentence Sergei Paushok, § 607.
140. commentaire de l’article 4, § 13, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 118. voy. aussi commentaire de l’article 7 § 8, où la commission estime qu’« en somme, la question est
de savoir s’ils avaient apparemment qualité pour agir » (ibid., p. 129).
141. cirdi, Southern Pacific Properties (Middle East) Limited c. Égypte, aff. n° ArB/84/3, sentence
du 20 mai 1992, §§ 81-85 ; cirdi, Kardassopoulos c. Géorgie, aff. n° ArB/05/18, décision sur la compétence
du 6 juillet 2007, §§ 189-194.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
552
arbitrage transnational et droit international général
régulièrement l’écho 142. l’analogie est d’ailleurs douteuse. en effet, il s’agit ici
de déterminer si l’investisseur a pu légitimement se fonder sur les engagements
pris par l’État. tel ne serait pas le cas s’il était en mesure de se rendre compte
de l’illicéité de l’engagement. or, l’article 7 prévoit qu’un comportement doit être
attribué à l’État aux fins de la responsabilité quand bien même l’organe étatique
aurait manifestement dépassé sa compétence 143. dès lors, si analogie il devait y
avoir, peut-être serait-ce plutôt avec l’article 46 de la convention de vienne sur le
droit des traités 144.
iv) une autre sentence rendue en 2011 met en lumière une dernière difficulté
en matière d’attribution. elle porte cette fois sur l’application de l’article 8 des
Articles, qui conduit à attribuer à l’État le comportement d’une personne ou d’un
groupe qui « en adoptant ce comportement, agit en fait sur les instructions ou les
directives ou sous le contrôle de cet État ». Bien que le contexte soit fort différent
puisqu’ils examinent les liens entre États et entreprises publiques plutôt qu’entre
États et groupes armés, les tribunaux arbitraux ont transposé dans le contentieux
investisseur-État la controverse qui a opposé la ciJ au tPiY s’agissant du type et
du degré de contrôle nécessaires pour attribuer le comportement d’une entité non
étatique à l’État. là où les uns, fidèles à l’approche de la ciJ, estiment qu’« international jurisprudence is very demanding in order to attribute the act of a person
or entity to a State, as it requires both a general control of the State over the person
or entity and a specific control of the State over the act the attribution of which is
at stake » 145, d’autres, se rapprochant du tPiY tout en estimant appliquer une lex
specialis, considèrent que « the approach developed in such areas of international
law is not always adapted to the realities of international economic law and that
they should not prevent a finding of attribution if the specific facts of an investment
dispute so warrant » 146. la sentence rendue par un tribunal cnudci en l’affaire
White se rapproche de la première tendance. Après avoir rapidement exclu que
le comportement de Coal India puisse être attribué à l’État sur le fondement des
articles 4 et 5 des Articles, le tribunal a rappelé que le test permettant de déterminer si cette entreprise a agi pour le compte de l’inde est « a tough one » et qu’il
« involves a high threshold » 147. en s’appuyant sur la jurisprudence de la ciJ, sur le
commentaire de l’article 8, et sur certains précédents arbitraux, le tribunal a alors
considéré que l’investisseur devait démontrer que l’inde « had both general control
over Coal India as well as specific control over the particular acts in question » 148.
on ne saurait nier qu’il y a là une question ardue. les termes du débat
paraissent toutefois avoir été davantage obscurcis que clarifiés par la controverse
autour de la notion de contrôle. l’arrêt rendu par la ciJ en l’affaire du Génocide a
pourtant éclairé le double rôle qu’elle peut jouer dans l’opération d’attribution. le
142. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 488-489 ; 2009, pp. 703 et 708 et s. ; 2010,
p. 643.
143. commentaire de l’article 7, § 2, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 126.
144. Aux termes duquel « le fait que le consentement d’un État à être lié par un traité a été exprimé
en violation d’une disposition de son droit interne concernant la compétence pour conclure des traités
ne peut être invoqué par cet État comme viciant son consentement, à moins que cette violation n’ait été
manifeste et ne concerne une règle de son droit interne d’importance fondamentale ». en ce sens, s’agissant
de l’estoppel, voy. cirdi, Duke Energy Electroquil Partners & Electroquil S.A. c. Pérou, aff. n° ArB/03/28,
sentence du 25 juillet 2008, §§ 241-251, cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 485, n. 145.
145. cirdi, Jan de Nul N.V et Dredging International N.V. c. Égypte, aff. n° ArB/04/13, sentence du
24 octobre 2008, §§ 172-173, cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 490.
146. cirdi, Bayindir c. Pakistan, aff. n° ArB/03/29, sentence du 24 août 2009, § 130, cette chronique
in cet Annuaire, 2009, pp. 702-703.
147. cnudci, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 8.1.4
et 8.1.10.
148. Ibid., § 8.1.18.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
553
contrôle exercé par l’État sur l’entité qui agit peut tout d’abord conduire à la muer
en organe de facto sur le fondement de l’article 4. La CIJ exige pour qu’il en aille
ainsi que l’entité en cause se trouve soumise à un degré particulièrement élevé
de contrôle, qualifié de « totale dépendance » 149. Mais le contrôle peut également
conduire à attribuer à l’État, sur le fondement de l’article 8, le comportement d’une
entité qui demeure non-étatique 150. Ce contrôle ne porte alors plus sur l’entité
de manière générale mais sur l’opération au cours de laquelle le comportement
en cause a été adopté. Il ne faut toutefois pas perdre de vue que ce critère n’a été
introduit par la Commission aux côtés de celui des instructions que pour préciser,
et non restreindre, les cas dans lesquels un comportement peut être considéré
comme ayant été accompli pour le compte de l’État 151. Or, en se focalisant sur la
question du contrôle lorsqu’ils mettent en œuvre l’article 8, en exigeant alors un
contrôle général sur l’entité qui agit et un contrôle spécifique sur les comportements en cause, les arbitres risquent de perdre de vue que cette disposition tend
avant tout à attribuer à l’État les comportements des entités qui, tout en restant
non-étatiques, agissent dans un cas particulier pour son compte 152. Si l’on revient
à cette idée simple au fondement de l’article 8, les controverses sus-évoquées se
réduisent finalement à un problème de preuve. En admettant que la charge de la
preuve repose sur celui qui invoque un fait, il s’agit alors seulement de déterminer
quel est le standard de preuve qui peut lui être opposé et quels sont les moyens de
preuve qu’il peut invoquer afin de démontrer qu’une entité non-étatique a adopté
un comportement particulier pour le compte de l’État. L’approche peut alors être
centrée dans un premier temps sur le comportement en cause et consistera à
rechercher s’il a été adopté à l’instigation des organes de l’État. Faute de pouvoir
l’établir, elle pourra dans un second temps s’élargir à l’opération dans laquelle ce
comportement s’insérait en considérant que, si cette opération s’est déroulée sous
le contrôle de l’État, il est possible d’en déduire que le comportement en cause a
été accompli pour son compte 153.
La pratique des tribunaux arbitraux transnationaux en matière d’attribution
montre ainsi que, si les principes posés par les Articles sont bien admis par les
arbitres, leur mise en œuvre concrète ne se fait pas sans difficulté. C’est encore
plus le cas s’agissant des circonstances excluant l’illicéité, et spécialement de l’état
de nécessité.
3. Circonstances excluant l’illicéité
L’année 2011 a connu son lot de sentences tentant d’apporter des précisions
sur l’état de nécessité dans le contexte de la crise argentine, sans que l’on puisse
constater une harmonisation jurisprudentielle totale 154. Ces précisions ont porté
aussi bien sur la possibilité d’invoquer l’état de nécessité et les conséquences qui
s’ensuivent que sur les conditions qui doivent être réunies pour que cet argument
puisse prospérer.
149. CIJ, Application de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide
(Bosnie-Herzégovine c. Serbie-Monténégro), arrêt du 26 février 2007, §§ 391-393.
150. Ibid., §§ 397-398.
151. Voy. J. Crawford, « Premier rapport sur la responsabilité des États », Ann. CDI, 1998, vol. 2,
partie 1, pp. 43 et s. et les observations du président du comité de rédaction lors de la 2562e séance de la
Commission (Ann. CDI, 1998, vol. 1, pp. 306-307).
152. L’article 8 adopté en première lecture prévoyait ainsi l’attribution à l’État du comportement des
personnes qui « agiss[ent] en fait pour le compte de cet État » sans autre précision (reproduit in J. Crawford, Les Articles…, op. cit. note 133, p. 400).
153. C’est en pratique l’analyse à laquelle se livrent, par-delà leur opposition de principe, aussi bien
le tribunal de l’affaire White que celui de l’affaire Bayindir. Sur la preuve, voy. infra III, c, 3.
154. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 490-493 et 2010, pp. 644-647.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
554
arbitrage transnational et droit international général
i) une première difficulté est en voie de clarification. elle porte sur le fondement permettant d’invoquer l’état de nécessité et sur les liens qu’entretiennent les
traités bilatéraux et le droit international coutumier sur ce point. ces liens ont été
discutés dans deux directions.
d’un côté, certains arbitres ont envisagé que le silence d’un traité ne contenant aucune clause de sauvegarde puisse être interprété comme signifiant que les
États parties ont entendu exclure la possibilité d’invoquer l’état de nécessité pour
échapper à leur responsabilité vis-à-vis des investisseurs 155. si le tribunal qui avait
soulevé cette difficulté n’avait pas jugé nécessaire de la résoudre dès lors que les
conditions de l’état de nécessité n’étaient, quoi qu’il en soit, pas réunies, les arbitres
de l’affaire Impregilo ont jugé que le fait que le tBi Argentine/italie ne contienne
qu’une clause se contentant de prohiber toute discrimination dans l’indemnisation
des dommages causés en situation de crise « cannot be read so as to exclude the
application of customary international law to an emergency situation » 156. ils ont
donc accepté d’examiner les arguments de l’Argentine au regard du droit international coutumier tel que codifié à l’article 25 des Articles. Bien que forgé dans un
contexte interétatique, le concept d’état de nécessité doit donc pouvoir s’acclimater,
moyennant de menus aménagements 157, au contentieux investisseur-État quand
bien même les tBi ne le prévoiraient pas.
la question est plus ardue en sens inverse, c’est-à-dire lorsque les tBi
contiennent une clause de sauvegarde, comme c’est le cas du tBi États-unis/
Argentine 158. là où les uns considéraient que cette clause devait être appliquée
en tant que lex specialis et écartaient dès lors l’application du droit coutumier,
d’autres assimilaient purement et simplement les règles conventionnelles et coutumières 159. la plupart des tribunaux suivent à présent sur ce point la voie tracée par
la décision du comité ad hoc de l’affaire CMS 160. c’est le cas en 2011 des arbitres
de l’affaire El Paso, qui ont jugé devoir statuer d’abord au regard de l’article Xi du
tBi en tant que lex specialis 161. cette approche n’est pas sans effets. ceux-ci sont
potentiellement de deux ordres, que l’on examine les conditions ou les conséquences
de la reconnaissance d’une situation de nécessité. s’agissant des conséquences,
les arbitres considèrent l’article Xi comme une règle primaire, en ce sens qu’elle
limite le champ d’application des obligations substantielles pesant sur l’État. ils
estiment ainsi qu’en situation de crise l’État peut prendre toute mesure nécessaire
au maintien de l’ordre public ou à la protection de ses intérêts essentiels sans
violer ses obligations en vertu du tBi car celles-ci sont suspendues. en l’absence
d’obligation, il ne saurait y avoir de fait illicite et, donc, de réparation. À l’inverse,
155. cnudci, BG Group c. Argentine, sentence du 24 décembre 2007, §§ 407-409.
156. cirdi, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin 2011, §§ 343-344
et 355.
157. la sentence Impregilo précise ainsi que la règle selon laquelle le comportement adopté en
situation de nécessité ne doit pas porter « gravement atteinte à un intérêt essentiel de l’État ou des États
à l’égard desquels l’obligation existe ou de la communauté internationale dans son ensemble » (article 25,
al. 1, b) n’est pas transposable dans le contentieux investisseur-État. en effet, cette limite repose sur
l’idée d’une balance des intérêts étatiques respectifs. or, « the interests of a small number of a Contracting
State’s nationals or legal entities are not consistent with or qualify as an “essential interest” of that State.
It follows that any impairment of those interests is irrelevant » (§ 354). sur ce point, voy. cette chronique
in cet Annuaire, 2010, pp. 645-646.
158. Article Xi : « This Treaty shall not preclude the application by either Party of measures necessary
for the maintenance of public order, the fulfilment of its obligations with respect to the maintenance or
restoration of international peace or security, or the protection of its own essential interests ».
159. voy. J. e. aLvarez, loc. cit. note 6, pp. 368-433.
160. comité ad hoc cirdi, CMS Gas Transmission Company c. Argentine, aff. n° ArB/01/8, décision
sur la demande d’annulation du 25 septembre 2007.
161. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 552.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
555
l’article 25 des Articles est perçu par les arbitres comme une règle secondaire, en
ce sens qu’il n’affecterait pas les obligations substantielles de l’État et donc l’existence d’un fait illicite mais lui permettrait seulement d’échapper, dans un second
temps, à sa responsabilité. il s’agirait ainsi davantage d’une circonstance excluant
la responsabilité que d’une circonstance excluant l’illicéité et la question de l’indemnisation des dommages causés alors que l’État se trouvait en situation de nécessité
resterait entière. l’article 27 des Articles précise d’ailleurs que « l’invocation d’une
circonstance excluant l’illicéité (…) est sans préjudice (…) de la question de l’indemnisation de toute perte effective causée par le fait en question ». le comité ad hoc de
l’affaire Continental casualty a rappelé cette importante différence. l’investisseur
reprochait au tribunal de ne pas s’être prononcé sur la question de l’indemnisation,
après la fin de la situation de nécessité, des dommages qu’il avait subis du fait des
mesures prises par l’Argentine pour y remédier. le comité lui a rétorqué que « if
it is the case, as the Tribunal found, that the BIT was simply inapplicable to the
2001-2002 measures by virtue of Article XI, due to the crisis then prevailing, then
it would follow that those measures cannot be a violation of the BIT, even if their
consequences continue to be felt after the crisis is over » et donc que le tribunal avait
implicitement mais nécessairement considéré que l’Argentine n’était pas tenue de
compenser les pertes subies par l’investisseur, même une fois la crise passée 162.
ii) le choix de l’application de l’article Xi du tBi ou de l’article 25 des Articles a
donc, aux yeux des arbitres, des effets non négligeables sur les conséquences de l’admission d’une situation de nécessité. il pourrait également en avoir sur les conditions d’une telle admission. c’est ce qu’avaient estimé certains arbitres qui, tout en
admettant que les conditions de l’article Xi pouvaient être interprétées à la lumière
de l’article 25, avaient jugé qu’elles devaient être appliquées plus souplement dans
le contexte spécifique du droit des investissements 163. les sentences rendues en
2011 font toutefois douter de cette souplesse. en effet, le tribunal de l’affaire El
Paso, qui s’est fondé sur l’article Xi du tBi États-unis/Argentine, n’a pas montré
davantage d’égard vis-à-vis des arguments argentins que celui de l’affaire Impregilo,
qui s’est appuyé sur l’article 25 des Articles en l’absence de clause de sauvegarde
dans le tBi qu’il avait la charge d’appliquer. l’un comme l’autre ont certes admis
que la situation dans laquelle l’Argentine s’est trouvée en 2001-2002 faisait peser
une menace sur ses intérêts essentiels ou sur ceux de sa population 164. Mais ils ont
tous deux considéré que cet État avait contribué de manière substantielle à cette
situation, de sorte qu’il ne saurait l’invoquer pour échapper à ses obligations ou à
sa responsabilité. la seule différence entre ces sentences tient au fait que, tandis
que les arbitres de l’affaire Impregilo ont pu se reposer sur le travail de la cdi, ceux
de l’affaire El Paso ont consacré d’importants développements à l’interprétation
de l’article Xi du tBi États-unis/Argentine, directives des articles 31 et 32 de la
convention de vienne sur le droit des traités à l’appui. d’abord pour établir un point
sur lequel les arbitres s’accordent généralement même s’il continue de faire débat
entre les parties et en doctrine 165 : l’article Xi n’est pas self-judging 166. ensuite
162. comité ad hoc cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, décision
sur la demande d’annulation du 16 septembre 2011, § 126 ; voy. aussi sentence El Paso, § 612.
163. cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, sentence du 5 septembre
2008, §§ 167-168.
164. sentence El Paso, § 611 ; sentence Impregilo, §§ 346-350, insistant non seulement sur la préservation de la stabilité économique et sociale de l’État mais également sur l’impératif de fournir de l’eau à
la population.
165. voy. A. Martin, « investment disputes after Argentina’s economic cirsis : interpreting Bit
non-Precluded Measures and the doctrine of necessity under customary international law », Journal
of International Arbitration, 2011, pp. 49-70, qui estime que l’article Xi laisse une marge d’appréciation
importante aux États et, donc, que les arbitres devraient restreindre leur contrôle.
166. sentence El Paso, §§ 563-610.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
556
arbitrage transnational et droit international général
pour juger que l’État qui en sollicite l’application ne doit pas avoir contribué de
manière substantielle à la survenance de la situation qu’il invoque 167. Pour ce faire,
les arbitres se sont référés non seulement à l’objet et au but du traité, mais aussi à
« toute règle de droit international applicable aux relations entre les parties » 168.
ils ont alors identifié une règle de droit international en ce sens, qu’elle résulte
du droit coutumier tel que codifié à l’article 25 des Articles ou qu’il s’agisse d’un
principe général de droit international 169. les deux tribunaux ont certes jugé,
souverainement selon le comité ad hoc de l’affaire Continental casualty 170, que
c’était au demandeur d’établir que l’État a contribué de manière substantielle à la
situation de nécessité 171. Mais ils ont tous deux considéré que, même si la crise de
2001-2002 était due à plusieurs facteurs tant exogènes qu’endogènes, l’attitude de
l’Argentine y avait contribué de manière substantielle 172.
les signes adressés par les arbitres dans le sens d’un respect des compétences
souveraines des États d’accueil des investissements et, plus largement, d’un rééquilibrage en leur faveur du régime des investissements 173 n’ont donc pas pleinement
pénétré l’appréciation de l’excuse de nécessité. certains arbitres le regrettent toutefois, au rang desquels B. stern, qui s’est séparée de la majorité dans les deux cas,
affirmant qu’on ne saurait constater à la légère qu’un État a contribué de manière
substantielle à la crise économique qui le frappe 174. les dissonances qui perdurent en la matière conduisent d’ailleurs certains auteurs à mettre en lumière le
rôle déterminant « des préférences politiques des individus qui agissent en tant
qu’arbitres » sur le processus arbitral 175. d’autres craignent que ces hésitations
et le poids accordé à la lex specialis dans certains cas ne mènent à une double
fragmentation du droit international des investissements et du droit international
sous l’effet du droit des investissements 176. les divergences sont toutefois moindres
lorsque l’on aborde le contenu de la responsabilité.
B. Le contenu de la responsabilité
le contenu de la responsabilité désigne « la nouvelle relation juridique qui
découle de la commission par un État d’un fait internationalement illicite » et,
plus particulièrement, « [l]es conséquences juridiques à la charge de l’État responsable », autrement dit les obligations secondaires qui pèsent sur l’État en cas de
violation d’une obligation primaire 177. Même si ce dernier est d’abord tenu de cesser
l’illicite, de continuer à exécuter l’obligation primaire, voire d’offrir des garanties
167. Ibid., §§ 613-626.
168. convention de vienne sur le droit des traités, article 31, al. 3 c).
169. sentence El Paso, §§ 613-626.
170. décision sur la demande d’annulation Continental casualty, §§ 135-140, où le comité ad hoc
estime que, dans le silence de la convention de Washington et du règlement d’arbitrage cirdi, le tribunal
dispose d’une liberté dans l’appréciation de la charge et du standard de preuve. voy. infra iii, c, 3.
171. sentence El Paso, §§ 625-626 ; sentence Impregilo, § 358.
172. sentence El Paso, §§ 649-665 ; sentence Impregilo, § 358.
173. sentence El Paso, § 649 : « [The Tribunal] acknowledges Argentina’s right as a sovereign State
to choose the economic policy best suited to the needs of the population ». sur ce point, voy. cette chronique
in cet Annuaire, 2010, p. 608-614.
174. sentence El Paso, §§ 666-670, où l’arbitre souligne, malicieusement, qu’une analyse si rigoureuse
conduirait à juger les États-unis responsables de la crise mondiale de 2008 en raison de leurs défaillances
dans la surveillance de leur secteur bancaire ; sentence Impregilo, § 360.
175. r. BacHand, « les affaires arbitrales internationales concernant l’Argentine : enjeux pour la
gouvernance globale », RGDIP, 2010, pp. 301 et s. ; A. Martin, loc. cit. note 165, pp. 64 et s. voy. infra iii,
c, 5, la question de la récusation des arbitres.
176. J. e. aLvarez, loc. cit. note 6, pp. 394 ss.
177. commentaire général de la deuxième partie des Articles, § 1, reproduit in J. craWFOrd, Les
Articles…, op. cit. note 133, p. 230.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
557
de non-répétition, la principale obligation secondaire recherchée dans le contentieux arbitral transnational est l’obligation de réparer. Bien que des distinctions
soient envisageables selon que la réparation est due à un État ou à un investisseur
privé 178, les arbitres puisent dans les principes du droit international, tels qu’ils se
dégagent de l’affaire de l’Usine de Chorzów 179 et des Articles de la cdi, les règles
applicables en la matière. les sentences discutent alors abondamment aussi bien
du principe (1) que des formes ou de l’étendue (2) de la réparation due par l’État
auteur du fait internationalement illicite.
1. Le principe de la réparation
la réparation n’est due que s’il existe un dommage réparable (b) et un lien de
causalité entre ce dommage et le fait internationalement illicite (a). les sentences
rendues en 2011 apportent des précisions sur chacun de ces points.
a) Le lien de causalité
i) Bien que la commission du droit international ait exclu le dommage et le
lien de causalité des conditions d’engagement de la responsabilité pour les reléguer
au stade de la détermination de son contenu, les sentences arbitrales continuent
d’illustrer les hésitations qui entourent leur place dans la responsabilité internationale. sans aller jusqu’à remettre ouvertement en cause la solution retenue par
la cdi comme l’avaient fait les arbitres de l’affaire Merrill 180, certains tribunaux
examinent l’existence d’un dommage et d’un lien de causalité d’abord au stade de
l’engagement de la responsabilité, ensuite afin de statuer sur son contenu. c’est
ainsi que les arbitres de l’affaire El Paso ont recherché si la vente à perte de ses
actions par l’investisseur était due aux mesures étatiques en cause pour déterminer
si celles-ci pouvaient être assimilées à des mesures d’expropriation ou constituer un
traitement injuste et inéquitable 181. ils ont considéré qu’il n’existait pas de « direct
automatic causal link » 182 entre les mesures étatiques et la vente des actions, de
sorte qu’il ne saurait y avoir expropriation, mais que lesdites mesures « can be
considered a contributory cause of the losses suffered by El Paso » 183, si bien qu’elles
pouvaient constituer un traitement injuste et inéquitable. Ayant constaté que tel
était bien le cas, et donc que la responsabilité de l’Argentine était engagée, ils sont
ensuite revenus sur le lien de causalité afin de déterminer si ces mesures ouvraient
droit à réparation au bénéficie du demandeur. Puisqu’ils avaient déjà établi que
les mesures étatiques étaient la cause déterminante (« prevailing cause ») de la
vente « in the context of determining whether such measures may be considered a
violation of the FET standard », ils n’eurent alors aucun mal à conclure « that a
causal connection exists between the Government of Argentine measures and the
Claimant’s damage » 184.
178. J. craWFOrd, « investment Arbitration and the ilc Articles on state responsibility », op. cit.
note 111, p. 130 ; Z. dOuGLas, « other specific regimes of responsibility : investment treaty Arbitration
and icsid », in J. craWFOrd / A. PeLLet / s. OLLesOn, op. cit. note 112, pp. 820 et s.
179. cPJi, Usine de Chorzów (fond), arrêt du 13 septembre 1928, série A, n° 17, p. 48.
180. cnudci/AlenA (cirdi), Merrill & Ring Forestry LP c. Canada, sentence du 31 mars 2010,
§§ 243 et s., cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 635-637.
181. sentence El Paso, §§ 270-280 pour ce qui est de l’expropriation et 488-509 pour ce qui est du
traitement juste et équitable.
182. Ibid, § 279.
183. Ibid., § 507.
184. Ibid., §§ 684, 687.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
558
arbitrage transnational et droit international général
L’examen du lien de causalité peut donc se situer aussi bien au stade de l’enga­
gement qu’à celui du contenu de la responsabilité 185. On peut comprendre que le
contenu de l’obligation primaire 186 conduise les arbitres à rechercher si les mesures
étatiques ont contraint l’investisseur à vendre ses actions dès lors qu’il ne saurait
y avoir d’expropriation sans perte de contrôle sur l’investissement. L’examen du
lien de causalité étonne en revanche s’agissant d’établir une atteinte au traitement
juste et équitable. La conception objective de la responsabilité défendue par la CDI
permet en effet d’envisager qu’une telle atteinte puisse être caractérisée sans qu’un
préjudice, ou tout du moins un préjudice économique, en résulte nécessairement 187.
L’examen du lien de causalité demeurerait certes nécessaire pour déterminer le
mode de réparation approprié ou l’étendue de la réparation due, mais il ne serait
pas indispensable pour établir le fait illicite et, donc, engager la responsabilité. La
bifurcation opérée dans l’affaire Lemire tend à le confirmer. Bien qu’ils aient déjà
constaté dans une première sentence que les agissements de l’Ukraine étaient
constitutifs d’un traitement injuste et inéquitable 188, les arbitres ont jugé devoir
encore établir, au stade de la réparation, si ce traitement avait causé les pertes
qu’invoquait le demandeur, condition de leur indemnisation 189.
ii) Quoi qu’il en soit, les tribunaux doivent examiner le lien de causalité au stade
de la détermination du contenu de la responsabilité. C’est ainsi que les arbitres des
affaires El Paso, Tza Yap Shum, Impregilo ou Lemire ont chacun établi, à l’heure de
statuer sur la réparation, que les pertes subies par les investisseurs ne résultaient
pas seulement des risques inhérents à leur investissement, du retournement de la
conjoncture économique ou de leurs choix stratégiques mais aussi des mesures éta­
tiques illicites 190. Confronté à une situation dans laquelle le demandeur prétendait
avoir subi d’importantes pertes économiques parce que les irrégularités commises
par les organes ukrainiens dans la procédure d’attribution des fréquences radio­
phoniques avaient entravé le développement de la station de radio dans laquelle
il avait investi, le tribunal de l’affaire Lemire a apporté d’intéressantes précisions
sur ce point. Pour établir le lien de causalité, les arbitres devaient déterminer si, en
l’absence de fait illicite, 1°) la station du demandeur aurait obtenu les fréquences
radiophoniques auxquelles elle prétendait et 2°) l’obtention de ces fréquences lui
aurait permis de se développer de la manière projetée 191. En effet, pour prétendre
à une réparation, le demandeur doit certes établir l’existence d’une chaîne qui
mène de manière ininterrompue du fait illicite au dommage, mais cette chaîne
peut comprendre plusieurs maillons. Dans ce cas, le lien de causalité n’est pas pur
mais transitif 192. L’incertitude gagne alors, mais les arbitres considèrent que le
lien de causalité ne doit pas nécessairement être certain. Il suffit pour l’établir de
démontrer, objectivement, que le fait illicite devait en toute probabilité et suivant
le cours naturel des choses causer le dommage ou, subjectivement, que l’auteur du
185. Soulignant la différence entre ces deux liens de causalité, voy. B. Stern, « The Obligation to
Make Reparation », in J. Crawford / A. Pellet / S. olleSon, op. cit. note 112, p. 570.
186. Commentaire de l’article 2 des Articles, § 9 : « La nécessité de tenir compte [du dommage]
dépend du contenu de l’obligation primaire, et il n’y a a pas de règles générales à cet égard » (reproduit in
J. Crawford, Les Articles…, op. cit. note 133, p. 102).
187. Voy. les observations de F. latty, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 635­637.
188. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, décision sur la compétence et la responsabi­
lité, 14 janvier 2010, §§ 476, 477, 486, commentée dans cette chronique, in cet Annuaire, 2010, p. 648­649.
189. CIRDI, J. Ch. Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du 28 mars 2011, §§ 153 et s., alors
même que le demandeur considérait que le lien de causalité avait été établi dans le cadre de la décision
sur la compétence et la responsabilité (§ 154).
190. Sentence El Paso, §§ 682­687 ; sentence Tza Yap Shum, § 270 ; sentence Impregilo, §§ 370,
376­377.
191. Sentence Lemire, §§ 173­202 s’agissant du premier lien et 203­207 s’agissant du second.
192. Ibid., §§ 163­167, reprenant la distinction établie par B. Stern in Le préjudice dans la théorie
de la responsabilité internationale, Paris, Pedone, 1973, p. 186.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
559
fait illicite pouvait raisonnablement prévoir qu’il causerait le dommage 193. Appliquant ces standards de preuve, le tribunal a jugé que, si la procédure d’attribution
des fréquences radiophoniques avait été juste et équitable, la station de radio
dans laquelle M. Lemire avait investi aurait probablement obtenu les fréquences
auxquelles elle aspirait et que cela lui aurait probablement permis de prendre une
envergure nationale 194. Il faut dire que la station de radio du demandeur présentait, au regard de ses concurrents qui ont conquis le marché ukrainien après son
éviction, de sérieux atouts : outre le savoir-faire reconnu de M. Lemire et la place
qu’elle occupait déjà à Kiev, elle comptait en effet dans ses rangs le fameux (sic)
DJ Pascha !
iii) On constate alors que l’examen du lien de causalité conduit les arbitres à
des analyses factuelles particulièrement détaillées. Il arrive d’ailleurs qu’ils doivent
non seulement se livrer à un examen approfondi de la viabilité économique des
investissements réalisés mais encore se mettre dans la peau des autorités nationales pour déterminer quelle aurait été leur attitude en l’absence de violation. Les
arbitres de l’affaire Lemire durent ainsi se substituer aux autorités ukrainiennes
pour déterminer si la station de radio de l’investisseur aurait dû obtenir, au regard
des critères définis en droit interne, les fréquences auxquelles elle prétendait 195.
De même, après avoir constaté que l’Inde avait privé l’investisseur d’un recours
effectif en ne statuant pas sur sa demande d’exécution d’une sentence CCI dans
un délai raisonnable, le tribunal de l’affaire White s’est placé dans la situation
des juridictions indiennes pour déterminer si elles auraient rendu cette sentence
exécutoire 196.
b) Les dommages susceptibles d’être réparés
De même que la CDI considère que « le préjudice comprend tout dommage,
tant matériel que moral, résultant du fait internationalement illicite de l’État » 197,
les tribunaux arbitraux transnationaux admettent que le dommage ne se limite
pas au dommage matériel, notamment économique, mais peut inclure le dommage
moral. Mais s’ils admettent le principe d’une telle réparation, ils ne l’octroient
que de manière exceptionnelle 198. Cela s’explique en partie par le fait que les
dommages dont la réparation est recherchée par les investisseurs sont essentiellement économiques. Une tendance se fait toutefois jour dans le contentieux arbitral transnational, où les investisseurs cherchent à obtenir l’indemnisation de
leur préjudice moral à défaut ou en sus de celle de leur préjudice économique 199
tandis que les États tendent quant à eux, par des demandes reconventionnelles,
à obtenir l’indemnisation du préjudice moral qui naîtrait de l’usage abusif par les
193. Ibid., §§ 169-170.
194. Ibid., §§ 201-202, 207, 208. Voy. contra l’opinion dissidente de J. Voss, pour qui en présence d’un
marché public le manque à gagner ne saurait être indemnisé qu’avec une grande circonspection, ainsi
que le montrent le droit de l’UE et le droit allemand, sollicités afin d’établir un principe général de droit
international en ce sens (voy. supra note 80).
195. Ibid., §§ 173-202.
196. CNUDCI, White industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 14.3.114.3.6. Voy. infra III, B.
197. Article 31, al. 2 (Droit applicable) des Articles.
198. Pour un exemple, voy. CIRDI, Desert Line Projects LLC c. Yemen, aff. n° ARB/05/17, sentence du
6 février 2008, commentée dans cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 498.
199. Outre la sentence Desert Line précitée, voy. CIRDI, Victor Pey Casado & President Allende
Foundation c. Chili, aff. n° ARB/98/2, sentence du 8 mai 2008, §§ 689, 704 ; CIRDI, Biwater Gauff Ltd.
c. Tanzanie, aff. n° ARB/05/22, sentence du 24 juillet 2008, sp. op. diss. Born, §§ 29-33 et, pour ce qui est
des sentences rendues en 2011, CIRDI, Joseph Charles Lemire c. Ukraine, aff. n° ARB/06/18, sentence du
28 mars 2011, § 333 ; CIRDI, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ARB/07/6, sentence du 7 juillet 2011, § 281.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
560
arbitrage transnational et droit international général
premiers de l’arbitrage 200. Malgré cette tendance, les condamnations à la réparation des préjudices moraux restent rares en raison de la rigueur des tribunaux sur
ce point. Ainsi, après avoir admis que les dommages moraux puissent être réparés
« in exceptional circumstances » 201, les arbitres des affaires Lemire et Tza Yap
Shum ont précisé quelles pouvaient être ces circonstances. ils ont alors jugé que
pareille réparation n’est envisageable qu’à la triple condition que 1. « the State’s
actions imply physical threat, illegal detention or other analogous situations in
which the ill-treatment contravenes the norms according to which civilized nations
are expected to act », 2. « the State’s actions cause a deterioration of health, stress,
anxiety, other mental suffering such as humiliation, shame and degradation, or loss
of reputation, credit and social position » et que 3. « both cause and effect are grave
or substantial » 202. Appliquant cette triple condition, ces tribunaux ont jugé que les
situations de MM. lemire et tza Yap shum ne satisfaisaient pas « the extraordinary
tests required for the recognition of separate and additional moral damages » 203,
tantôt parce que les désagréments subis par les investisseurs, tantôt parce que les
comportements étatiques en cause n’étaient pas suffisamment graves 204.
les arbitres mettent ainsi en balance l’attitude de l’État et ses conséquences sur
l’investisseur pour déterminer si ce dernier a subi un dommage moral. en exigeant
que non seulement les souffrances endurées mais encore la violation des standards
de comportement attendus des nations civilisées soient graves et substantielles, ils
semblent introduire une gradation dans la responsabilité internationale, analogue
à celle qu’avait proposée du bout des lèvres J. crawford devant la cdi sans être
suivi 205. il est certes possible de réconcilier cette exigence avec les Articles finalement
adoptés en considérant que la gravité ou le caractère intentionnel 206 de la violation ne
constituent pas des exigences supplémentaires mises à la réparation d’un dommage
moral mais conditionnent l’existence même d’un tel dommage, de sorte que l’investisseur ne subirait pareil dommage que lorsque ses droits sont gravement bafoués 207.
cette approche n’en met pas moins en lumière l’« élément (…) de châtiment » qui
peut s’attacher à la réparation du dommage moral 208 et donc la proximité qu’elle
entretient avec la notion de dommages-intérêts punitifs développée dans les systèmes
de common law mais qui reste marginale en droit international 209, et spécialement
200. cirdi, Europe Cement Investment & Trade S.A. c. Turquie, aff. n° ArB(Af)/07/2, sentence du
13 août 2009, § 181 ; cirdi, Cementownia “Nowa Huta” S.A. c. Turquie, aff. n° ArB(Af)/06/2, sentence
du 17 septembre 2009, §§ 169-171.
201. décision Lemire sur la compétence et la responsabilité, § 486.
202. sentence Lemire, § 333 ; sentence Tza Yap Shum, § 281.
203. sentence Lemire, § 344.
204. sentence Lemire, §§ 334-345 ; sentence Tza Yap Shum, §§ 282-285.
205. J. craWFOrd, « troisième rapport sur la responsabilité internationale des États », doc. A/cn4/507
Add. 4 (2000), § 409 : « Aux fins du débat, le rapporteur spécial propose qu’en cas de violations graves
d’obligations envers la communauté, l’État responsable soit obligé de verser des dommages-intérêts punitifs ».
206. la sentence Desert line parlait ainsi de « fault-based liability », § 290, voy. cette chronique in
cet Annuaire, 2008, pp. 500-501.
207. P. duMBerry, « compensation for Moral damages in investor-state Arbitration disputes »,
Journal of International Arbitration, 2010, pp. 247-276.
208. H. LauterPacHt, « règles générales du droit de la paix », RCADI, 1937, vol. 62, p. 355.
209. tandis que le commentaire de l’article 36 des Articles indique que l’indemnisation « n’a pas
pour but de punir l’État responsable et n’a pas non plus un caractère “expressif” ou exemplaire » (§ 4,
reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133, p. 262), celui de l’article 37 précise toutefois
que la satisfaction peut prendre la forme de « l’octroi de dommages-intérêts symboliques pour préjudice
non pécuniaire » (§ 5, reproduit in ibid., p. 280). les dommages-intérêts symboliques octroyés au titre de
la satisfaction se distinguent toutefois des dommages-intérêts substantiels susceptibles d’être accordés
à titre punitif.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
561
en droit des investissements 210. sans doute cette dimension punitive justifie-t-elle
d’ailleurs l’approche restrictive des arbitres lorsqu’il est question de réparation du
dommage moral. leur rigueur ne les empêche toutefois ni de tenir compte de la
gravité de la violation en cause dans l’exercice de la marge d’appréciation dont ils
disposent à l’heure de procéder au calcul de l’indemnisation 211, ni de rappeler que la
reconnaissance dans la sentence des violations par l’État de ses obligations internationales ainsi que l’indemnisation des pertes économiques éprouvées peuvent constituer une compensation suffisante des aspects moraux du préjudice subi 212. c’est donc
davantage à l’indemnisation du dommage moral qu’à sa réparation, éventuellement
sous forme de satisfaction, que les arbitres se montrent réticents.
2. Les modalités de la réparation
s’il n’est pas certain, contrairement à ce qu’affirmait la cdi, que l’indemnisation soit la forme de réparation la plus couramment réclamée dans la pratique
internationale 213, tel est bien le cas dans le contentieux arbitral transnational qui
nourrit donc le droit de l’indemnisation (a). les autres modes de réparation restent
en revanche marginaux même s’ils ne sont pas inexistants (b).
a) L’indemnisation
l’indemnisation pose des difficultés récurrentes, qui portent sur le calcul de
l’indemnité due et sur celui des intérêts.
i) la question du calcul de l’indemnité due est particulièrement complexe,
ouvrant une marge d’appréciation importante aux arbitres, qui l’admettent d’ailleurs ouvertement 214. un premier élément pris en compte tient à la nature des
comportements étatiques en cause. la plupart des tBi prévoient en effet les principes d’indemnisation applicables en cas d’expropriation licite en indiquant que l’indemnisation doit tenir compte de la « juste valeur de marché » de l’investissement
exproprié à la date de la mesure d’expropriation. les traités restent en revanche
silencieux lorsque d’autres mesures sont en cause. les arbitres se tournent alors
vers le droit international général, tel qu’il résulte des principes dégagés dans l’affaire de l’Usine de Chorzów et de la codification opérée par la cdi, pour déterminer
les règles applicables au calcul de l’indemnisation due en cas d’expropriation illicite,
de traitement injuste ou inéquitable ou d’atteinte au droit à un recours effectif 215.
ils cherchent donc à replacer l’investisseur dans la situation financière qui aurait
été la sienne en l’absence de fait illicite (but for scenario) 216. cela implique que
« l’indemnité couvre tout dommage susceptible d’évaluation financière, y compris le
210. Plusieurs tBi, dont le modèle américain de 2004, interdisent ainsi l’octroi de dommages-intérêts
punitifs (article 34, al. 3). sur ce point, voy. J. r. Laird, « Moral damages and the Punitive Question in
icsid Arbitration », ICSID Review, 2011, pp. 171-183.
211. P. duMBerry, loc. cit. note 207, pp. 270-274.
212. sentence Lemire, §§ 339, 344. voy. aussi infra.
213. commentaire de l’article 36, § 2, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 260.
214. sentence Lemire, § 247 : « While the existence of damage is certain, calculating the precise amount
of the compensation is fraught with much more difficulty, inherent in the very nature of the “but for” hypothesis. Valuation is not an exact science. The Tribunal has no crystal ball and cannot claim to know what
would have happened under a hypothesis of no breach; the best any tribunal can do is to make an informed
and conscientious evaluation, taking into account all the relevant circumstances of the case, not unlike that
made by anyone who assesses the value of a business on the basis of its likely future earnings ».
215. sentence Lemire, § 147 ; sentence Tza Yap Shum, § 253 ; sentence White, § 14.3.3.
216. sentence Lemire, § 149.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
562
arbitrage transnational et droit international général
manque à gagner dans la mesure où celui-ci est établi » 217. Mais, comme le tribunal
de l’affaire Lemire l’a remarqué, « this is only a theoretical definition of a general
standard » 218, dont l’application effective reste délicate. les arbitres doivent en
effet opter pour une méthode d’évaluation 219.
la logique de la réparation intégrale peut alors les conduire à choisir la
méthode des flux monétaires actualisés (méthode dcf, pour discounted cash-flow).
si elle permet d’évaluer la valeur d’un investissement en fonction de son rendement
escompté sur une période déterminée, cette méthode est complexe 220 et comporte
un fort aspect prospectif. la cdi a même considéré qu’elle « fait appel à un large
éventail d’éléments qui relèvent foncièrement du domaine de la spéculation » 221.
cela n’a pas empêché le tribunal de l’affaire Lemire de la mettre en œuvre après
avoir remarqué que le standard de preuve pouvait être allégé lorsqu’il s’agit, non
plus d’établir un lien de causalité entre le fait illicite et le dommage, mais d’évaluer
ce dommage 222. Ainsi, une fois établi que la croissance de la radio dans laquelle le
demandeur avait investi a été entravée par le traitement illicite que lui a infligé
l’ukraine, l’évaluation de la taille et du rendement qu’elle aurait pu atteindre en
l’absence de cette violation peut se faire plus souplement. les arbitres ont tout de
même pris certaines précautions dans la mise en œuvre de la méthode dcf : en
écartant les hypothèses les plus spéculatives ; en fixant un taux d’actualisation
tenant compte du risque accru d’un investissement sur le marché ukrainien ; enfin
en confrontant le montant finalement obtenu, « developed on a number of assumptions, some of which necessarily involve more estimation than certitude », à d’autres
paramètres afin d’établir qu’il restait proportionné au montant initialement investi
compte tenu du risque de l’opération 223.
d’autres tribunaux ont toutefois renoncé à cette méthode lorsque les risques
des investissements en cause étaient tels qu’il était impossible d’affirmer avec une
probabilité suffisante qu’ils auraient prospéré en l’absence de fait étatique illicite.
en pareil cas, les arbitres peuvent s’appuyer sur la valeur comptable ajustée de
l’investissement à la date de la mesure illicite, c’est-à-dire sur le patrimoine net
de l’entreprise affecté d’un coefficient calculé à partir de la valeur de vente d’entreprises comparables sur le marché 224, voire se contenter d’indemniser la valeur de
l’investissement effectivement effectué par le demandeur 225. il arrive toutefois
217. Article 36 al. 2 des Articles.
218. sentence Lemire, § 152.
219. Pour un exposé des différentes méthodes envisageables, voy. B. saBaHi, Compensation and
Restitution in Investor-State Arbitration, oxford, oxford uP, 2011, pp. 112 et s.
220. Même si les arbitres s’appuient, pour la mettre en œuvre, sur les rapports des experts désignés
par chacune des parties dont ils livrent une appréciation critique (sentence Lemire, § 254) ou peuvent
désigner, avec l’accord des parties, un expert indépendant (sentence El Paso, § 698).
221. commentaire de l’article 36, § 26, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 273.
222. sentence Lemire, § 246 : « Once causation has been established, and it has been proven that the in
bonis party has indeed suffered a loss, less certainty is required in proof of the actual amount of damages;
for this latter determination Claimant only needs to provide a basis upon which the Tribunal can, with
reasonable confidence, estimate the extent of the loss ». voy. aussi comité ad hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision sur la demande d’annulation du 1er mars 2011, § 257.
223. sentence Lemire, §§ 261, 267-271, 275-287 et 298-309.
224. sentence Tza Yap Shum, §§ 261-273, dans laquelle les arbitres refusent d’appliquer la méthode
dcf dans la mesure où les gains escomptés de l’exploitation d’une usine de transformation de produits
de la mer restaient hypothétiques puisque, jusqu’à l’adoption des mesures étatiques en cause, son bilan
annuel était systématiquement déficitaire.
225. sentence Impregilo, §§ 361-381, dans laquelle les arbitres refusent de tenir compte des gains
escomptés de l’exécution d’un contrat de concession dans la mesure où ces gains restaient hypothétiques compte tenu de la conjoncture (situation économique de l’investisseur rendant difficile la réalisation complète des investissements nécessaires à la réussite de l’opération ; doutes quant à sa capacité à
augmenter le taux de recouvrement des sommes dues par les usagers). Contra, l’opinion dissidente de
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
563
que le calcul de l’indemnité soit plus simple. tel était le cas de l’affaire White,
dans laquelle les arbitres ont calculé l’indemnisation due sur la base de la somme
octroyée par la sentence cci dont le demandeur demandait l’exécution devant les
juridictions internes défaillantes augmentée des sommes engagées pour en obtenir
l’exécution 226. l’arbitrage cnudci a ainsi permis à l’investisseur de changer de
débiteur : la somme qui lui était due par son cocontractant l’est désormais par
l’État, faute pour celui-ci d’avoir fait exécuter son obligation par celui-là dans un
délai raisonnable.
en dehors de ces quelques cas où l’évaluation du dommage est aisée, le raffinement des raisonnements déployés ne parvient toutefois pas à masquer l’immense,
et peut-être irréductible, marge de manœuvre dont disposent les arbitres à l’heure
de statuer sur le montant de l’indemnisation 227.
ii) cette marge existe également s’agissant d’octroyer des intérêts mais l’attitude des arbitres paraît alors moins aléatoire. le taux de ces intérêts peut être
discuté 228 et la date à partir de laquelle ils commencent à courir (le dies a quo)
peut dépendre de la date à laquelle le tribunal a évalué le dommage 229. Mais les
tribunaux tendent à s’accorder quant au type d’intérêts octroyés. en effet, tandis
que la cdi a pu remarquer que « les cours et tribunaux ont généralement pris
position contre l’allocation d’intérêts composés » 230, les arbitres sont au contraire
enclins à en octroyer en considérant que de tels intérêts « reflects economic reality
and will therefore better ensure full reparation » 231. ces intérêts, « qui sont capitalisés et deviennent à leur tour productifs d’intérêts » 232, ont été octroyés dans
toutes les sentences rendues en 2011, ce qui tend à indiquer que, par-delà les
divergences encore observées par les arbitres, une tendance nouvelle, sinon une
« jurisprudence constante » 233, se dégage progressivement sur ce point 234. cela
n’exclut toutefois pas que les intérêts composés puissent être jugés inappropriés
dans certaines situations 235.
b) Les autres formes de réparation
les autres formes de réparation demeurent marginales dans le contentieux
arbitral transnational. elles n’en sont toutefois pas totalement exclues.
i) c’est ainsi que le tribunal de l’affaire ATA avait octroyé à l’investisseur la
restitution juridique qu’il sollicitait après que la Jordanie eut mis fin, en violation
du tBi, à une convention d’arbitrage contenue dans un contrat de construction.
considérant que « the single remedy which can implement the chorzów standard is
ch. n. Brower, §§ 35-39, qui défend l’application de la méthode dcf en remarquant que, dès les premières
années d’exécution du contrat de concession, son bilan était positif.
226. sentence White, 14.3.6.
227. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 650-653.
228. sentence El Paso, § 745 ; sentence Tza Yap Shum, §§ 289-290 ; sentence Lemire, §§ 355-356 ;
sentence Impregilo, § 383.
229. sentence Tza Yap Shum, § 291 ; sentence Impregilo, § 384. ces tribunaux ayant écarté la prise
en compte du lucrum cessans, les intérêts commencent à courir à partir de la date des mesures illicites et
non à partir de la date de la sentence.
230. commentaire de l’article 38, § 8, reproduit in J. craWFOrd, Les Articles…, op. cit. note 133,
p. 285.
231. sentence El Paso, § 746 ; sentence Tza Yap Shum, § 291 ; sentence Lemire, §§ 357-361 ; sentence
Impregilo, § 382.
232. V° « intérêts composés », in J. saLMOn (dir.), Dictionnaire de droit international public, Bruxelles,
Bruylant/Auf, 2001, p. 598.
233. cirdi, Gemplus SA et Talsud SA c. Mexique, aff. n° ArB(Af)/04/3 et ArB(Af)/04/4, sentence
du 16 juin 2010, §§ 16-26.
234. voy. B. saBaHi, op. cit. note 219, pp. 152-153.
235. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 652-653.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
564
arbitrage transnational et droit international général
a restoration of Claimant’s right to arbitration », les arbitres avaient alors ordonné
à la Jordanie de permettre à l’investisseur de soumettre le différend contractuel à
l’arbitrage conformément à la convention d’arbitrage contenue dans le contrat 236.
la mise en œuvre de cette restitution ne s’est toutefois pas faite sans mal. tandis
que l’investisseur considérait que seul son droit à l’arbitrage devait être restauré, la
Jordanie estimait devoir rétablir le statu quo ante et permettre non seulement à l’investisseur mais aussi à son cocontractant de soumettre leur différend à l’arbitrage
ou de former des demandes reconventionnelles. c’est pour trancher ce point que la
Jordanie a adressé une demande en interprétation au cirdi sur le fondement de
l’article 50 de la convention de Washington. le tribunal a alors explicité sa sentence
en affirmant que la restitution octroyée ne pouvait que signifier le rétablissement
du statu quo ante, et donc la réactivation de la convention d’arbitrage in toto. en
effet, modifier cette convention pour ne permettre qu’au demandeur de recourir
à l’arbitrage, aurait constitué un excès de pouvoir de la part du tribunal 237. cet
exemple montre que la pénétration de la restitutio in integrum dans le contentieux
transnational peut faire naître de nouvelles difficultés au stade de la mise en œuvre
des sentences, d’autant que l’article 54 de la convention de Washington n’impose
aux États d’assurer l’exécution sur leur territoire que des « obligations pécuniaires
que la sentence impose » 238.
ii) on rappellera enfin que la satisfaction n’est pas étrangère au contentieux
investisseur-État, même si les demandeurs cherchent le plus souvent à obtenir
l’indemnisation de leur préjudice. l’examen attentif des sentences rendues sur la
question du dommage moral indique ainsi que les arbitres sont moins réticents
à réparer ce type de dommage par la voie de la satisfaction qu’à l’indemniser. en
effet, tout en jugeant que l’investisseur n’avait pas subi de dommage moral, le
tribunal de l’affaire Lemire a considéré que, quoi qu’il en soit, la reconnaissance
dans la sentence des violations par l’ukraine de ses obligations internationales ainsi
que l’indemnisation de son préjudice économique constituaient une compensation
suffisante des aspects moraux du préjudice subi 239. ceci confirme que, bien qu’ils
se gardent de le reconnaître explicitement, les arbitres semblent voir la satisfaction
comme le moyen idoine de réparation des préjudices moraux dans le contentieux
arbitral transnational 240.
iii. – ArBitrAGe trAnsnAtionAl
et droit du contentieuX internAtionAl
seront abordés dans cette partie, les apports au droit du contentieux international des décisions arbitrales rendues en 2011 pour ce qui touche aux questions
de compétence (A), de droit applicable (B), de procédure arbitrale (c), et de voies
de recours (d).
236. cirdi, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ArB/08/2,
sentence du 18 mai 2010, §§ 131-132, cette chronique in cet Annuaire, 2010, p. 654.
237. cirdi, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ArB/08/2, décision sur l’interprétation et la demande de mesures conservatoires du 7 mars 2011, §§ 39-45. voy. infra
iii, d, 1.
238. tandis que certains s’appuient sur le fait que cette disposition ne mentionne pas la restitution
pour en déduire qu’elle doit être exclue des modes de réparation des atteintes aux investissements étrangers (Z. dOuGLas, op. cit., note 178 pp. 829 et s.), d’autres soulignent que l’article 54 ne concerne que la
mise en œuvre des sentences dans l’ordre interne et n’interdit pas aux arbitres de prescrire des mesures
de restitution (B. saBaHi, op. cit. note 219, p. 64).
239. sentence Lemire, §§ 339, 344.
240. cette chronique in cet Annuaire, 2008, p. 502.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
565
A. Compétence
1. Compétence de la compétence
le principe Kompetenz-Kompetenz, en vertu duquel une juridiction règle ellemême les différends relatifs à sa propre compétence, est occasionnellement réaffirmé par les tribunaux arbitraux transnationaux 241. dans l’affaire Hochtief, alors
que l’Argentine contestait la compétence du tribunal cirdi, les arbitres ont rappelé
ce principe bien établi, non sans relever qu’un paradoxe lui était inhérent : si, en
effet, un tribunal conclut qu’il n’a pas compétence dans une affaire, « a pedant might
object that it had no right to determine even that question » 242. s’agissant de tribunaux arbitraux ad hoc, par opposition aux juridictions permanentes, on pourrait
aller jusqu’à dire, en poussant le raisonnement, que l’absence d’un consentement à
leur compétence remet en cause jusqu’à leur existence même. la décision d’incompétence serait dès lors rendue par un tribunal pourtant juridiquement mort-né. le
tribunal de l’affaire Hochtief présidé par le professeur vaughan lowe n’a toutefois
pas eu l’ambition de faire œuvre académique. sa subite incursion dans le champ
de la théorie du droit a été immédiatement effacée par le constat que « the Law has
chosen to side with pragmatism rather than pedantry and Kompetenz-Kompetenz is
a firmly established principle, adopted in Article 41(1) of the ICSID Convention » 243.
la digression a toutefois le mérite de mettre en évidence la part d’incohérence ou
d’artifice qui s’attache au principe : un tribunal incompétent dispose à tout le moins
de la compétence pour se déclarer comme tel.
2. Séparation compétence / fond
de manière on ne peut plus classique, les tribunaux arbitraux transnationaux
apprécient leur compétence avant de se prononcer sur le fond de l’affaire, ce qui
entraîne généralement une bifurcation des procédures : une première décision sur
la compétence précède, le cas échéant, la sentence arbitrale tranchant le différend.
Ainsi, une question de fond – par exemple la mesure de réparation sollicitée par le
demandeur dans l’affaire Perenco – soumise au tribunal lors de la phase préliminaire verra-t-elle logiquement son examen reporté à une étape ultérieure, en dépit
des efforts du défendeur pour la présenter sous un aspect préliminaire – dans l’affaire Perenco, les défendeurs demandaient au tribunal de se déclarer incompétent
pour ordonner une mesure de restitution juridique 244.
une telle division du travail soulève néanmoins dans sa mise en œuvre des
difficultés pratiques, en raison des chevauchements fréquents entre les questions
« procédurales » et les questions de fond 245, en particulier lorsqu’est examinée la
241. cirdi, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ArB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, § 239. voy. s. W. cHanG, « inherent Power of the
Arbitral tribunal to investigate its own Jurisdiction », Journal of International Arbitration, vol. 29, n° 2,
2012, pp. 171 et s. ; et la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 706-707.
242. cirdi, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité,
24 octobre 2011, § 11.
243. décision Hochtief, § 11. l’article 41, § 1, de la convention de Washington dispose : « le tribunal
est juge de sa compétence ».
244. cirdi, Perenco Ecuador Limited c. Équateur et Empresa Estatal Petróleos del Ecuador, aff.
n° ArB/08/6, décision sur la compétence, 30 juin 2011, §§ 233-240. sur la restitution, voy. supra ii.
245. cnudci, Alps Finance and Trade AG c. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 119
(« frequent overlap between procedural and substantive issues »). considérant, à rebours de certaines
décisions arbitrales, que la condition de l’investissement réalisé de bonne foi ressortit davantage au fond
de l’affaire qu’à la compétence du tribunal, voy. cirdi, Malicorp Limited c. Égypte, aff. n°ArB/08/18,
sentence du 7 février 2011, §§ 115-119 ; cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.)
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
566
arbitrage transnational et droit international général
compétence matérielle du tribunal 246. en la matière, il est courant que les tribunaux transnationaux se réfèrent à la jurisprudence de la cour internationale de
Justice dans l’affaire des Plates-formes pétrolières selon laquelle sa compétence
ratione materiae dans une affaire est établie « si les violations du traité […] alléguées […] entrent […] dans les prévisions de ce traité » 247. Ainsi les tribunaux sontils conduits à examiner prima facie des questions de fond – y a-t-il une violation
potentielle du traité ? – aux fins d’établir leur compétence.
dans l’affaire Duke Energy, le tribunal arbitral, saisi non sur le fondement d’un
traité mais en vertu de la clause compromissoire d’un accord de stabilisation, avait
raisonné de manière similaire, en jugeant que le différend relevait de sa compétence
dans la mesure où les faits litigieux étaient de nature à constituer une violation de
l’accord conclu entre l’entreprise et le Pérou. saisi d’une demande d’annulation, un
comité ad hoc a été conduit à examiner les déterminations du tribunal en la matière.
il a ainsi relevé que de la mise en œuvre du « prima facie standard » en matière de
compétence pouvaient naître des confusions. le tribunal de l’affaire Duke Energy
n’y avait pas échappé en concluant que le demandeur « has made a prima facie case
that the dispute falls within its jurisdiction » 248, ce qui pouvait laisser accroire que
sa compétence n’était établie qu’« à première vue ». en se fondant sur l’arrêt de la
cour dans l’affaire des Plates-formes et la fameuse opinion jointe de la juge Higgins,
le comité ad hoc a pris la peine de détailler les deux temps du raisonnement devant
conduire un tribunal à apprécier sa compétence matérielle sans empiéter sur le
jugement des questions de fond :
« First, since – as the Tribunal here correctly observed – it ‘must not in any way
prejudge the merits of the case’, an arbitral tribunal must, for the purpose of its
jurisdictional determination, presume the facts which found the claim on the merits
as alleged by the claimant to be true (unless they are plainly without any foundation). In that sense, its determination may be said to be prima facie. But, second, in
the application of those presumed facts to the legal question of jurisdiction before it,
the tribunal must objectively characterise those facts in order to determine finally
whether they fall within or outside the scope of the parties’ consent. In making this
determination, the tribunal may not simply adopt the claimant’s characterisation
without examination » 249.
et le comité ad hoc d’ajouter qu’un tribunal qui suit la démarche en deux temps
décrite trouvera le juste équilibre entre « avoiding pre-judging the merits, on the
one hand, and objectively determining the question of jurisdiction on the other » 250.
À son terme, il adoptera une position définitive – et non prima facie – sur la question
de sa compétence 251.
c. Argentine, aff. n° ArB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 382. estimant
que la condition de l’écoulement d’une période de négociation, en raison de son expiration, ne relève plus
de la compétence mais de la réparation, voy. cnudci, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et
CJSC Vostokneftegaz Company c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011,
§ 220 (voir aussi le paragraphe 224 au sujet de la question de l’abus de procédure).
246. voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 707 et s.
247. ciJ, affaire des Plates-formes pétrolières, arrêt du 12 décembre 1996, CIJ Recueil 1996, p. 810,
§ 16.
248. cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision sur la compétence, 1er février 2006, § 90. de manière assez ambiguë, voy. cirdi, El Paso Energy International Company
c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, § 192 (le tribunal relève que dans sa décision
sur la compétence, il a conclu que « the Claimant has made out a prima facie case that there is indeed an
investment agreement as that notion may be generally understood »).
249. comité ad hoc cirdi, Duke Energy, § 118.
250. Id., § 118.
251. voy. le paragraphe 31 de l’opinion de r. Higgins jointe à l’arrêt des Plates-formes pétrolières,
arrêt du 12 décembre 1996, in CIJ Recueil 1996, p. 855.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
567
la méthode de raisonnement prônée par le comité appelle toutefois certaines
remarques. concernant le premier temps de la démarche, il est vrai que dans la
plupart des cas l’examen des faits allégués demeure superficiel au stade de la
compétence – seuls des faits manifestement infondés pourront aboutir à exclure
la compétence matérielle du tribunal. il faut néanmoins relever que certaines
sentences procèdent dès le stade de la compétence à un examen approfondi des
faits, ce en vue de déterminations définitives. la sentence Phoenix de 2009 a en
effet considéré que si la compétence du tribunal dépendait de l’existence même de
certains faits, ceux-là devaient être prouvés au stade préliminaire 252. dans son
sillage, le tribunal de l’affaire Libananco a jugé qu’il pouvait dès le stade de la
compétence établir de manière définitive la réalité de certains faits – en l’espèce la
propriété de parts de société 253. dans ces cas de figure, il s’agissait toutefois d’établir l’existence d’un investissement, condition matérielle de compétence du tribunal,
et non celle de violations potentielles du traité au sens du « Platform test ».
s’agissant du deuxième temps de la démarche, à lire la décision du comité ad
hoc, une certaine ambiguïté demeure au sujet de l’étape de la qualification juridique, dont on pourrait comprendre qu’elle présente un caractère définitif (« in order
to determine finally »), par opposition au caractère prima facie de l’examen des faits.
or, la qualification juridique « objective » se fait au terme d’un examen qui n’a rien
d’irrévocable – en ce sens, on peut soutenir qu’il s’agit d’une qualification elle aussi
« prima facie » 254, même si l’examen est normalement plus poussé que celui des
faits. en effet, sauf à empiéter sur le fond de l’affaire, il suffit d’établir que les faits
allégués constituent potentiellement une violation des diverses obligations du texte
applicable, non qu’ils aboutiront à une telle violation, car « [c]e n’est qu’au stade
du fond, une fois exposés les moyens de preuve et les moyens de défense éventuels
que l’on peut passer du mode éventuel à celui de la réalité » 255.
le degré d’intensité de l’examen de la qualification juridique des faits demeure
toutefois problématique, comme l’illustre l’affaire Alps. en vérifiant que les prétentions du demandeur rentraient bien dans le champ d’application du traité, le
tribunal a semblé s’inscrire dans le droit fil du « Platform test ». Pour le tribunal
« [t]he prima facie standard is meant to determine whether the claims are sufficiently
plausible under the BIT » ou, en d’autres termes, si les allégations du demandeur
252. cirdi, Phoenix Action, Ltd. c. République tchèque, aff. n° ArB/06/5, sentence du 15 avril 2009,
§ 61 (« If the alleged facts are facts that, if proven, would constitute a violation of the relevant BIT, they
have indeed to be accepted as such at the jurisdictional stage, until their existence is ascertained or not at
the merits level. On the contrary, if jurisdiction rests on the existence of certain facts, they have to be proven
at the jurisdictional stage »).
253. cirdi, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 121 et s. (« the Tribunal confirms its view that it is not required to make a pro tem assumption of
the truth of a fact if the evidence of that fact has been fully presented, and sufficient evidence exists for the
Tribunal to make an informed and dispositive finding at this stage »).
254. en ce sens voy. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff.
n° ArB/07/5, décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 303 (« the Tribunal applies a prima
facie standard, both to the determination of the meaning and scope of the relevant BIT provisions invoked
as well as to the assessment of whether the facts alleged may constitute breaches of these provisions on its
face »). voy. aussi, concernant l’existence d’un investissement fondant la compétence matérielle du tribunal,
cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du 31 octobre
2011, §§ 193 et s., où le tribunal revient sur sa décision sur la compétence, dans laquelle il avait conclu
qu’il existait prima facie des accords d’investissement fondant sa compétence en matière de réclamations
fiscales. Au fond, le tribunal estime que les conventions en question, conclues par des sociétés argentines
et non par le demandeur, ne peuvent finalement pas être qualifiées d’accords d’investissement au sens du
traité. la conclusion initiale du tribunal selon laquelle il a compétence pour les mesures fiscales touchant
les accords d’investissement n’est pas remise en cause ; seule l’est la qualification juridique, faite prima
facie, des accords concernés.
255. opinion de r. Higgins jointe à l’arrêt des Plates-formes pétrolières, arrêt du 12 décembre 1996,
in CIJ Recueil 1996, p. 856, § 33.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
568
arbitrage transnational et droit international général
une fois prouvées « would be capable of constituing a violation of the BIT » 256.
Mais c’est au terme d’un examen pour le moins expéditif que le tribunal a conclu
que le « prima facie plausibility test » n’était pas rempli : au lieu de confronter les
faits aux obligations du traité, le tribunal s’est contenté de postuler qu’aucune
violation du traité ne saurait résulter de simples erreurs de droit de la part de
juridictions nationales, contenues dans des décisions ne visant pas spécifiquement
le demandeur et demeurant susceptibles de recours internes. si la remarque est
sans doute exacte en ce qui concerne le déni de justice évoqué par les arbitres 257,
on peut douter qu’elle le soit nécessairement au regard de standards plus généraux
du droit des investissements, notamment celui du traitement juste et équitable 258.
en l’occurrence, le caractère littéralement bâclé de l’examen de la qualification
juridique s’explique peut-être par le fait qu’il n’intervenait qu’à titre subsidiaire :
à titre principal le tribunal avait jugé qu’il n’avait pas compétence ratione personae
vis-à-vis du demandeur qui, ne menant pas d’activités économiques réelles sur le
territoire suisse 259, ne correspondait pas à la définition de l’investisseur au sens
du traité. dans l’affaire Abaclat et al. en revanche, le tribunal a estimé au terme
d’un examen plus attentif que les faits allégués étaient susceptibles de constituer
une violation du traitement juste et équitable, voire un acte d’expropriation, ainsi
qu’une violation de l’obligation de s’abstenir de prendre des mesures discriminatoires et d’assurer le traitement national, l’examen de l’exactitude des faits étant
repoussé à la phase du fond 260.
3. Compétence/recevabilité
dans cette même affaire Abaclat et al., le tribunal a consacré de longs développements à la distinction entre compétence et recevabilité, après avoir constaté
que le terme large de « compétence » utilisé aux articles 25 et 41 de la convention
de Washington sur le cirdi était susceptible de couvrir des questions de recevabilité 261. les circonstances de l’espèce expliquent un tel luxe de précisions, dont
les tribunaux transnationaux font en général l’économie dès lors que le résultat
de l’incompétence comme de l’irrecevabilité est le même : le tribunal ne statue pas
sur la réclamation. or l’affaire Abaclat et al. était soumise au cirdi par plusieurs
dizaines de milliers de « petits porteurs » italiens d’obligations souveraines émises
par l’Argentine, représentés par la tfA (Task Force Argentina), une association
créée dans cette optique par huit grandes banques italiennes. la question du
recours collectif ou « arbitrage de masse » 262 en rapport avec des dettes souveraines
étant ignorée tant par le traité argentino-italien applicable que par la convention
de Washington 263, le problème se posait de savoir si elle devait être envisagée sous
l’angle de la compétence ou de la recevabilité.
sous l’angle de la compétence, la mise en œuvre de l’arbitrage de masse
supposait un consentement au moins implicite de l’Argentine à la possibilité
256. cnudci, Alps Finance and Trade AG v. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 248.
257. Id., § 250.
258. rejetant la condition d’épuisement des voies de recours internes en ce qui concerne le traitement
juste et équitable, voy. comité ad hoc cirdi, Helnan International Hotels c. Égypte, aff. n° ArB/05/19,
décision sur la demande d’annulation, 14 juin 2010, § 47.
259. sur ce point, voy. le comm. de l. acHtOuk-sPivak, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007
et s.
260. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 315.
261. décision Abaclat et al., § 245
262. voy. le commentaire de la sentence par e. OnGuene Onana, in JDI, 2011, pp. 286 et s. et par
B. POuLain, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s.
263. décision Abaclat et al., § 297.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
569
pour les investisseurs d’intenter des actions collectives, dont l’absence aurait eu
pour effet de mettre un terme définitif à la procédure. sous l’angle de la recevabilité en revanche, point n’était besoin selon les deux arbitres majoritaires de se
préoccuper du consentement spécifique de l’État pour ce type d’actions, l’attention
devant se concentrer sur les conditions procédurales d’admission de la requête :
à partir du moment où le système d’arbitrage du cirdi n’est pas incompatible
avec les actions collectives, le consentement de l’Argentine était réputé inclure
cette forme de recours 264.
de manière d’autant plus surprenante qu’elle est aussi confuse que peu argumentée, la démarche des arbitres majoritaires pour répartir les questions de
compétence et les questions de recevabilité a été d’examiner l’immuabilité ou non
des exigences préliminaires en fonction de l’unité ou de la pluralité des requérants 265. si l’on comprend bien la position des arbitres tercier et van den Berg,
relèveraient ainsi de la compétence les questions préliminaires ne nécessitant pas
un examen individualisé des réclamations, dès lors qu’elles sont soumises à des
conditions invariables, quel que soit le nombre de requérants. en revanche, les
questions procédurales qui ne se poseraient pas en présence d’un seul demandeur
ressortiraient à la recevabilité. À l’usage, la distribution ainsi opérée apparaît
bien peu convaincante, notamment lorsqu’est examinée la compétence ratione
personae du tribunal. en effet, faute de procéder à un examen individualisé de la
situation des requérants (ce qu’il s’est interdit dès lors qu’il traite de sa compétence), le tribunal se contente d’identifier des conditions générales touchant à la
nationalité et à la capacité des personnes physiques et morales demanderesses 266,
sans jamais vérifier qu’elles sont bien remplies en l’espèce – il semble postuler que
globalement, elles le sont 267. de même, au regard de la compétence matérielle, le
tribunal se contente de présumer le caractère « homogène » des différentes réclamations sans jamais procéder à un examen individualisé, ce qu’il justifie in fine au
stade de l’examen de la recevabilité : l’homogénéité des réclamations justifie une
simplification des méthodes d’examen et de la procédure 268. la décision rendue
sur la compétence n’établit donc pas définitivement la compétence du tribunal,
paradoxe qui fait écho à l’ambiguïté entretenue par le tribunal sur la nature de
l’action intentée, qualifiée d’« hybride » entre la technique de la représentation et
celle de l’agrégation 269. l’action serait en effet agrégative et non représentative
dans la mesure où elle repose sur une pluralité de réclamations fondées sur une
addition de consentements individuels à l’arbitrage, par opposition à la technique
de la class-action par laquelle un représentant intente une action unique au nom
d’un groupe de demandeurs non spécifiquement identifiés et dont le nombre peut
demeurer indéterminé. Mais dans certains de ses aspects (et en dépit de la pluralité des réclamations), l’action aurait une dimension représentative en raison de
264. Id., § 491. Contra, opinion dissidente G. Abi-saab, § 19 (les questions de recevabilité sont étrangères à la détermination de l’étendue du consentement).
265. décision Abaclat et al., § 249 : « If there was only one Claimant, what would be the requirements
for ICSID’s jurisdiction over its claim ? If the issue raised relates to such requirements, it is a matter of
jurisdiction. If the issue raised relates to another aspect of the proceedings, which would not apply if there
was just one Claimant, then it must be considered a matter of admissibility and not of jurisdiction ». voy.
aussi les paragraphes 484-490 de la décision et contra op. diss. G. Abi-saab, §§ 122 et s., qui définit la
compétence comme le pouvoir d’exercer la fonction juridictionnelle, dont les limites relèvent par nature
de la compétence (§ 126).
266. décision Abaclat et al., §§ 412 et 421.
267. Id., §§ 409 et 414, où le tribunal estime curieusement qu’à ce stade de la procédure (la décision
sur la compétence pourtant) il ne lui revient pas de « to determine whether the information submitted by
Claimants so far sufficiently evidences the fulfilment of these conditions » (§ 409) cf. supra 1.
268. Id., § 544.
269. Id., § 488.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
570
arbitrage transnational et droit international général
la passivité des demandeurs, dont les intérêts collectifs – et non individuels – sont
défendus par l’association tfA 270.
la position de départ des arbitres majoritaires était, semble-t-il, que le
tribunal devait accepter de se prononcer sur l’action collective intentée 271, ce
qui supposait, en l’absence de consentement exprès de l’Argentine 272, d’exfiltrer
la question de l’arbitrage de masse du champ de la compétence. Ainsi, pour la
majorité du tribunal, « the ‘mass’ aspect of the present proceedings relates to the
modalities and implementation of the ICSID proceedings and not to the question whether Respondent consented to ICSID arbitration » 273. Même dans ce
cas de figure, en l’absence de dispositions concernant l’arbitrage de masse dans
la convention de Washington et le règlement d’arbitrage du cirdi, le tribunal
aurait pu déclarer l’action collective irrecevable. il a en l’occurrence préféré
s’appuyer sur son pouvoir de trancher les questions de procédure non résolues
pour définir les adaptations procédurales nécessaires à la poursuite de l’action
collective devant le cirdi 274. en filigrane, apparaît l’idée que les questions de
recevabilité autorisent une plus grande flexibilité dans leur appréciation que
celles de compétence 275.
de manière similaire, l’exigence de consultation et d’écoulement d’un délai
de dix-huit mois après l’introduction d’une requête devant les juridictions nationales, prévue par la clause de règlement des différends du tBi argentino-italien,
n’a pas été considérée par le tribunal comme une condition de compétence, mais
de recevabilité 276. l’on sait que « la répartition matérielle entre compétence et
recevabilité n’est pas stable » 277. néanmoins, à partir du moment où les conditions précitées sont incluses dans la clause du tBi qui comporte l’engagement
juridictionnel, il y a tout lieu d’y voir, à l’instar de la cour internationale de
Justice 278, une condition non de recevabilité mais de compétence. comme le dit
avec finesse Georges Abi-saab dans son opinion dissidente, « in this case these
270. décision Abaclat et al., §§ 486-487. Contra op. diss. G. Abi-saab, §§ 130 et s.
271. Cf. la critique formulée par G. Bastid Burdeau, selon qui le système cirdi est « au service des
grands investisseurs », les petits et moyens investisseurs n’y ayant pas accès : « rien n’est fait pour les y
encourager, et on cherche au contraire à les en dissuader », loc. cit. note 7, pp. 442-443). voy. l’op. diss. de
G. Abi-saab, §§ 263 et s., où l’arbitre reproche au tribunal d’avoir eu à l’esprit des « policy considerations »
l’ayant conduit à retenir sa compétence, auxquelles il oppose d’autres considérations au terme desquelles
il ne reviendrait pas au cirdi de connaître des problèmes relatifs aux dettes souveraines des États.
272. dans son opinon dissidente, G. Abi-saab constate que toutes les expériences d’actions collectives
en droit international (devant des commissions mixtes, le tribunal irano-américain de réclamations, etc.)
ont été établies spécifiquement pour régler un type particulier de réclamations de masse (aucune n’a
été intentée devant un tribunal déjà en place ni sur le fondement d’un titre juridictionnel préexistant).
toutes ces expériences ont par ailleurs reposé sur l’expression du consentement des parties concernées,
à l’exception du cas particulier de la commission de compensation des nations unies créée par le conseil
de sécurité après la guerre du Golfe (§§ 183 et s.). voy. H. HOLtzMan / e. kristJansdOttir, International
Mass Claims Processes : Legal and Practical Perspectives, oxford university Press, 2007, 504 p. (ouvrage
dont des extraits étaient reproduits dans les annexes des pièces de procédure écrite des demandeurs).
273. décision Abaclat et al., § 492.
274. Id., §§ 506 et s. voy. infra iii, c, 1, la question des pouvoirs du tribunal arbitral.
275. voy. les remarques de J. crawford, in J. craWFOrd / a. PeLLet, « Aspects des modes continentaux
et anglo-saxons de plaidoiries devant la c.i.J. », International Law Between Universalism and Fragmentation – Festschrift in Honour of Gerhard Hafner, nijhoff, leiden-Boston, 2008, p. 835.
276. décision Abaclat et al., § 494. Contra, voy. op. diss. G. Abi-saab, §§ 20 et s. voy. aussi le paragraphe 447 de la décision : la question de la validité du pouvoir de l’avocat pour exprimer le consentement
de son client à l’arbitrage est une question procédurale relevant de la recevabilité, tandis que la validité
du consentement lui-même ressortit à la compétence.
277. c. santuLLi, Droit du contentieux international, Paris, Montchrestien, 2005, p. 145, § 255.
278. voy. notamment ciJ, Activités armées sur le territoire du Congo (nouvelle requête : 2002) (RDC
c. Rwanda), arrêt du 20 février 2006, exceptions préliminaires, Rec. 2006, pp. 39-40, § 88.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
571
conditions become conventionally jurisdictional, in addition to being admissibility
conditions by their legal nature » 279.
le tribunal a examiné ces conditions avec une souplesse qui confine au
laxisme 280. envisagé sous l’angle de la recevabilité, il est vrai que l’enjeu paraissait
moindre puisqu’était en cause, selon le tribunal, non pas le consentement même,
mais sa mise en œuvre effective 281. dans cette optique, l’absence de saisine des
juridictions argentines par les demandeurs ne présentait aucun caractère dirimant
dans la mesure où elle n’aurait en tout état de cause pas permis la résolution du
différend dans un délai de dix-huit mois, tandis que barrer l’accès des demandeurs
à l’arbitrage aurait abouti à les priver d’un mode efficace de règlement du litige 282.
une telle mise en balance des intérêts au-delà de la lettre du traité, déjà très
discutable au regard de la recevabilité, serait d’autant plus difficile à justifier si
elle intervenait dans le champ de la compétence, qui repose sur l’exigence fondamentale du consentement 283.
de manière très similaire, à l’occasion de l’examen de la clause de la nation la
plus favorisée contenue dans le tBi Allemagne-Argentine 284, le tribunal de l’affaire
Hochtief a considéré que la condition relative à la période de dix-huit mois de litige
devant les juridictions nationales prévue également dans le traité relevait non pas
de la compétence mais de la recevabilité. Pour le tribunal, il s’agissait d’une condition relative à la manière selon laquelle le droit de recours à l’arbitrage devait être
exercé, sans effet sur la compétence du tribunal 285. cette conclusion fait suite à
de longs développements sur la distinction entre compétence et recevabilité riches
d’analogies avec la procédure devant la cour internationale de Justice, dont il
ressort que l’incompétence est irrémédiable et indisponible, tandis que l’irrecevabilité d’une requête peut être corrigée, de même que les conditions de recevabilité
restent à la disposition des parties 286.
Quoi qu’il en soit, force est de constater que les tribunaux transnationaux
retiennent une interprétation parfois très souple, et partant assez discutable, des
conditions procédurales fixées par les clauses d’engagement juridictionnel des tBi,
qu’ils ont tendance à considérer comme des formalités dont l’irrespect n’entame ni
la compétence du tribunal ni même la recevabilité de la demande 287. dans cette
veine, le tribunal de l’affaire Alps a considéré que la fonction du délai de négociation (considéré comme une condition de recevabilité) était d’éviter que l’État soit
soudainement attrait devant un tribunal international, sans avoir eu l’opportunité
279. op. diss. G. Abi-saab, § 23.
280. décision Abaclat et al., §§ 579 et s. fustigeant la manière expéditive et cavalière dont les arbitres
majoritaires ont traité cette question, voy. op. diss. G. Abi-saab, §§ 25 et s.
281. décision Abaclat et al., § 494.
282. Id., § 583.
283. insistant sur cette exigence dans l’ordre juridique international, voy. op. diss. G. Abi-saab, §§ 6
et s. et § 147. l’arbitre minoritaire note en particulier que dans l’ordre international, dans lequel se situe
l’arbitrage de l’espèce, les organes juridictionnels, n’ayant qu’une juridiction d’attribution, sont habilités à
juger « d’en-bas », par opposition aux ordres juridiques internes où le pouvoir centralisé crée « d’en-haut »
des juridictions de droit commun. Pour G. Abi-saab, la mise en balance des intérêts opérée par le tribunal
le conduit à statuer ex æquo et bono et partant, en l’absence d’accord des parties sur ce point, ultra vires
(op. diss. §§ 32, 251).
284. voy. infra 5.
285. cirdi, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité,
24 octobre 2011, § 96.
286. Id., §§ 90 et s.
287. voy. notamment cnudci, Lauder c. République tchèque, sentence du 3 septembre 2001, § 190 ;
cirdi, SGS Société générale de surveillance SA c. Pakistan, aff. n° ArB/01/13, décision sur la compétence,
6 août 2003, § 184. Contra cirdi, Enron c. Argentine, aff. n° ArB/01/3, décision sur la compétence,
14 janvier 2004, § 88.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
572
arbitrage transnational et droit international général
de corriger son comportement avant le lancement de la procédure d’arbitrage 288.
Mais il a semblé admettre que l’obligation disparaissait lorsque l’État n’est pas
disposé à entrer en négociations 289, tout en reconnaissant explicitement que la
forme imparfaite de la notification à l’État ne constitue pas un obstacle à l’exercice
de sa juridiction 290. la fonction utilitariste de la période de négociations a été
éludée par les arbitres de l’affaire Paushok qui ont estimé que même si la condition d’une période de six mois de négociations prévue par le tBi russie-Mongolie
n’était pas satisfaite, sa compétence ne serait pas remise en cause, dès lors que le
délai fixé avait expiré depuis le dépôt de la requête d’arbitrage. le non respect de
la période de six mois serait alors un élément à prendre éventuellement en compte
au stade de la réparation 291. ces solutions contrastent du reste avec l’extrême
rigueur manifestée par la ciJ dans l’affaire Georgie c. Russie au sujet de la tenue
de négociations préalables à la saisine de la cour 292, sans que la différence de
nature du contentieux – mixte d’une part, interétatique de l’autre – fournisse une
explication convaincante à ces approches pour le moins divergentes.
4. Compétence ratione temporis
le contentieux transnational en matière d’investissements soulève régulièrement des questions de compétence temporelle, qui sont tranchées en application
des principes généraux du contentieux international dégagés en la matière 293.
Ainsi le tribunal de l’affaire Paushok a-t-il soigneusement distingué l’application dans le temps des obligations matérielles du traité russo-mongol de l’espèce 294
et la compétence ratione temporis du tribunal arbitral créé sur son fondement. en
l’absence de stipulations prévoyant l’application « rétrospective » du traité à des
violations intervenues avant son entrée en vigueur et en vertu du principe de non
rétroactivité, le tribunal a considéré que les investissements russes en Mongolie
ne bénéficiaient de la protection du traité qu’à partir de la date de son entrée en
vigueur 295 – ce qui n’interdisait pas que des investissements réalisés avant cette
date fussent couverts par le traité 296. une autre question, déjà connue de la cour
mondiale, était de savoir si le tribunal avait compétence à l’égard d’un différend
ayant surgi après l’entrée en vigueur du traité mais portant sur des faits intervenus bien avant cette date 297 – en l’espèce, l’échec prétendument discriminatoire
288. cnudci, Alps Finance and Trade AG v. Slovak Republic, sentence du 5 mars 2011, § 209. voy.
la présente chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 632-633.
289. Id., § 201.
290. Id., § 200.
291. cnudci, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 220.
292. ciJ, Application de la convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (Géorgie c. Fédération de Russie), arrêt du 1er avril 2011, exceptions préliminaires, §§ 122
et s.
293. voy. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 172 et s.
294. sentence Paushok, § 428. le tribunal cite l’affaire cirdi, Impregilo SpA c. Pakistan, aff.
n° ArB/03/03, décision sur la compétence, 22 avril 2005, § 309.
295. dans le même sens, et faisant référence aux règles du droit intertemporel énoncées par Max
Huber dans l’affaire de l’Ile de Palmas, voy. comité ad hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, §§ 172 et s.
296. sentence Paushok, § 429 et s. Cf. la présente chronique in cet Annuaire, 2008, pp. 484-485 ;
2009, pp. 693-694 et 700-701 ; et 2010, pp. 620-621.
297. voy. notamment, en plus des affaires Mavrommatis et Ambatielos citées par la sentence Paushok
(§§ 464 et s.), cPJi, Phosphates du Maroc (Italie c. France), arrêt du 14 juin 1938, exceptions préliminaires, série A/B, n° 74, pp. 22 et s. (déclaration française de juridiction obligatoire concernant « tous les
différends qui s’élèveraient après la ratification de la présente déclaration au sujet des situations ou des
faits postérieurs à cette ratification ») ; ciJ, Certains biens (Liechtenstein c. Allemagne), arrêt du 10 février
2005, exceptions préliminaires, Rec. 2005, pp. 19 et s., §§ 29 et s. (exclusion par l’art. 27 de la convention
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
573
de négociations en vue de la conclusion d’un accord de stabilisation 298. Hormis le
cas spécifique des actes continus ou composites 299 et en l’absence de stipulation
expresse en ce sens, le tribunal a jugé que la clause de règlement des différends
du TBI s’opposait à ce qu’une réponse positive lui fût apportée. Pour le tribunal,
bien que la clause de règlement des différends fût silencieuse sur ce point, elle ne
pouvait être interprétée comme traduisant une volonté des parties de soumettre à
la compétence du tribunal des différends susceptibles de couvrir des faits remontant
potentiellement à des dizaines d’années avant l’entrée en vigueur du traité 300.
De son côté, dans l’affaire Vito G. Gallo, le tribunal CNUDCI saisi sur le fondement de l’ALENA était confronté à un problème alliant compétence personnelle et
temporelle. Conformément à l’article 1117, § 1, de l’ALENA 301, il ne pouvait en effet
être saisi par le demandeur, de nationalité américaine, qu’à la condition que celui-là
prouvât sa possession ou son contrôle de l’entreprise canadienne ayant acheté une
mine abandonnée pour y stocker des déchets, et ce non pas au moment de l’arbitrage
mais à la « date critique » identifiée comme étant la date de l’adoption de la loi de
l’Ontario interdisant le stockage de déchets dans la mine. Faute d’avoir reçu une
telle preuve, le tribunal s’est déclaré incompétent ratione temporis 302.
5. Compétence du tribunal arbitral et traitement de la nation la plus favorisée
Parmi les questions de droit des investissements faisant l’objet d’un traitement jurisprudentiel notoirement contradictoire figure le champ d’application des
clauses de traitement de la nation la plus favorisée contenues dans nombre de
TBI 303. S’il n’est pas contesté qu’une telle clause permet à un investisseur de
bénéficier du traitement « substantiel » plus favorable prévu dans un autre traité
d’investissement 304, les tribunaux arbitraux – et parfois en leur sein les arbitres –
se déchirent sur la question de son extension aux procédures de règlement des
différends plus avantageuses en raison de conditions procédurales préalables à
l’arbitrage moins contraignantes (par exemple, conditions de délais plus courts,
absence d’obligation de soumission du litige aux juridictions internes etc.). Parmi les
arguments nourrissant le débat, il a été soutenu dans un sens que, dans l’examen
du traitement réservé à l’investisseur, la faculté de recourir à l’arbitrage constitue
une protection difficilement dissociable des règles dites substantielles, l’ensemble
façonnant le régime de protection de l’investissement 305. Dès lors, le principe de
européenne pour le règlement des différends des « différends concernant des faits ou situations antérieurs
à l’entrée en vigueur de la présente convention entre les parties au différend »).
298. Sentence Paushok, § 449. Distinguant clairement deux fondements d’incompétence ratione
temporis (date d’apparition du différend et date à laquelle les événements à l’origine de la réclamation
sont intervenus), voy. comité ad hoc CIRDI, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou,
décision du 1er mars 2011, § 71.
299. Voy. supra II, A, 1.
300. Sentence Paushok, §§ 467 et s.
301. « Un investisseur d’une Partie, agissant au nom d’une entreprise d’une autre Partie qui est une
personne morale que l’investisseur détient ou contrôle directement ou indirectement, peut soumettre à
l’arbitrage, en vertu de la présente section, une allégation selon laquelle l’autre Partie a manqué à une
obligation […] ».
302. CNUDCI, Vito G. Gallo c. Canada, sentence du 15 septembre 2011, § 326.
303. Voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 710-712. Pour une contribution récente
au débat, voy. M. PaParinskis, « MFN Clauses and International Dispute Settlement : Moving Beyond
Maffezini and Plama ? », ICSID Rev., vol. 26, n° 2, Fall 2011, pp. 14 et s.
304. « Incorporant » par le biais de la clause de la nation la plus favorisée prévue dans le TBI Australie/
Inde l’obligation de fournir aux investisseurs un recours effectif (effective means) contenue dans le TBI
Inde/Koweït, voy. CNUDCI, White Industries Australia Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011,
§§ 11.2.1 et s.
305. Voy. par ex. CIRDI/CNUDCI, Suez, Sociedad General de Aguas de Barcelona, SA et Vivendi
Universal, SA c. Argentine, aff. n° ARB/03/19, décision sur la responsabilité, 30 juillet 2010, § 57.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
574
arbitrage transnational et droit international général
l’« identité de genre » (ejusdem generis), selon lequel « la clause de la nation la plus
favorisée ne peut attirer que les matières relevant du même ordre de sujets que
celui auquel se rapporte la clause elle-même » 306, ne ferait pas obstacle au jeu de
la clause. en sens inverse, on peut éprouver des réticences à ce qu’une telle clause
ait pour effet de modifier le « mandat juridictionnel » 307 conféré à un tribunal par
le tBi applicable.
un document de travail rédigé par donald Mcrae pour le groupe d’étude sur
la clause de la nation la plus favorisée constitué par la commission du droit international des nations unies n’a pu que constater que
« les tribunaux ne résolvaient pas de la même façon le problème du recours à une
clause nPf pour incorporer dans l’accord dont il s’agissait les dispositions relatives
au règlement de différends. l’argumentation des tribunaux qui repoussaient ce
moyen n’était pas non plus constante » 308.
deux décisions arbitrales rendues en 2011 reflétant l’éclatement jurisprudentiel persistant sur la question sont de nature à inspirer les travaux de la cdi et,
au-delà, à alimenter le débat sur les clauses de la nation la plus favorisée 309.
dans l’affaire Impregilo, du nom de la société italienne dont le contrat de
concession de distribution des eaux avait été résilié pour non-exécution, le tribunal
a commencé par constater son incompétence au regard du tBi italie/Argentine, au
motif que la condition de soumission du litige aux juridictions nationales pendant
un délai de dix-huit mois, prévue par la clause de règlement des litiges, n’avait
pas été respectée 310. néanmoins, il a ensuite pleinement pris en considération la
procédure de règlement des différends offerte par le tBi Argentine/États-unis, qui
dispensait l’investisseur de la saisine préalable des tribunaux internes. Par le jeu de
la clause de la nation la plus favorisée prévue à l’article 3 du tBi Argentine/italie,
le tribunal a retenu sa compétence après avoir fait bénéficier le demandeur des
conditions procédurales plus souples offertes par le traité Argentine/États-unis 311.
ce faisant, il s’est inscrit dans la ligne jurisprudentielle de l’affaire Maffezini 312,
à partir de laquelle plusieurs tribunaux arbitraux ont jugé que le traitement plus
favorable couvert par les clauses de la nation la plus favorisée n’était pas seulement
substantiel mais également procédural.
306. commission d’arbitrage, Ambatielos, 6 mars 1956, RSA, vol. Xii, pp. 106-107 et ciJ, Ambatielos,
arrêt du 19 mai 1953, Rec. 1953, p. 10.
307. Z. dOuGLas, « the Mfn clause in investment treaty Arbitration : treaty interpretation off the
rails », Journal of International Dispute Settlement, 2012, p. 5.
308. Rapport de la CDI, 63e session, Assemblée générale, documents officiels, A/66/12, p. 302,
§ 353.
309. cirdi, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin 2011 (comm.
c. créPet-daiGreMOnt, in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s. ; s. Manciaux, in JDI, 2012/1,
p. 345 ; J. FOuret / d. kHayat, in The Law and Practice of International Courts and Tribunals, vol. 11,
2012, p. 187) ; cirdi, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité, 24 octobre 2011. le Rapport de la CDI précité s’arrête en particulier sur l’opinion de Brigitte stern
jointe à la sentence Impregilo ; la décision de l’affaire Hochtief ayant été communiquée postérieurement
aux réunions de la cdi en 2011, son rapport annuel n’en fait pas état.
310. cirdi, Impregilo S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin 2011, §§ 79-94.
311. Id., §§ 95-109. considérant de manière plutôt convaincante que les conditions du tBi Argentine/
États-unis ne sont pas nécessairement plus favorables que celles du tBi Argentine/italie mais qu’elles
sont simplement différentes, voy. l’opinion de B. stern jointe à la sentence, §§ 10 et s. B. stern estime
également que le traitement dont a bénéficié impregilo au terme de la procédure n’est pas le traitement
plus favorable du tBi argentino-américain, mais un traitement favorable sui generis dès lors que la
condition de renonciation aux voies de recours internes prévue par le tBi avec les États-unis ne lui a pas
été imposée (§ 12).
312. cirdi, Emilio Agustín Maffezini c. Espagne, aff. n° ArB/97/7, décision du tribunal sur les
objections à la compétence, 25 janvier 2000, §§ 56 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
575
cependant, l’apport de l’affaire Impregilo au débat sur la clause de la nation la
plus favorisée réside moins dans la sentence adoptée par les arbitres majoritaires
que dans l’opinion dissidente sur ce point de Brigitte stern. l’arbitre française, qui
a voulu faire œuvre de clarification, s’est employée à proposer une nouvelle manière
d’envisager la question, destinée non seulement à contrer le courant Maffezini
mais à pallier encore certaines insuffisances des décisions arbitrales ayant refusé
d’importer, via le jeu du traitement de la nation la plus favorisée, un mécanisme
de règlement de litiges provenant d’un autre traité 313.
Admettant que le traitement que peut espérer un investisseur couvert par un
tBi est susceptible de revêtir une dimension à la fois « substantielle » (règles matérielles de protection) et « procédurale » (faculté de recourir à l’arbitrage), Brigitte
stern estime néanmoins que ces deux aspects de la protection présentent une différence de nature telle que, en application du principe ejusdem generis, la clause de
la nation la plus favorisée ne saurait déployer ses effets en matière de règlement
des litiges. si dans les ordres internes, en effet, aux droits substantiels sont nécessairement associés des moyens de protection à travers le système juridictionnel,
tel n’est pas le cas dans l’ordre juridique international où, de manière générale, des
droits reconnus ne peuvent faire l’objet d’un recours en justice sans l’expression,
demeurant exceptionnelle, d’un consentement au juge par l’État concerné 314. si
la remarque vaut assurément encore pour la plupart des domaines du droit international dans lesquels « l’existence d’obligations dont l’exécution ne peut faire en
dernier ressort l’objet d’une procédure juridique a toujours constitué la règle plutôt
que l’exception » 315, on peut se demander si dans la branche du droit des investissements, les milliers de traités associant presque automatiquement aux droits
substantiels des investisseurs des droits juridictionnels ne militent pas en faveur
de l’assimilation des deux aspects du traitement. dès lors, le point de départ de la
démonstration de Brigitte stern serait faussé.
toujours est-il que, sur la base de la distinction entre traitement substantiel
de base et traitement juridictionnel complémentaire et conditionné, Brigitte stern
estime qu’une clause de la nation la plus favorisée s’applique uniquement aux droits
(substantiels ou juridictionnels 316) dont l’investisseur est susceptible de jouir, mais
non aux conditions fondamentales d’accès à ces droits déterminées par le traité
applicable 317. de même que l’accès aux droits substantiels est soumis à des conditions ratione personae, ratione materiae, ratione temporis, la mise en œuvre des
313. voy. notamment cirdi, Plama Consortium Ltd c. Bulgarie, aff. n° ArB/03/24, décision sur la
compétence, 8 février 2005, § 209. B. stern estime peu convaincant l’argument selon lequel la non-applicabilité de la clause de la nation la plus favorisée aux mécanismes de règlement des différends reposerait
sur le fait qu’une procédure ayant fait l’objet d’un accord « spécifiquement négocié » entre les deux États
parties au tBi ne saurait être écartée. en effet, toutes les dispositions d’un tBi sont censées reposer sur
une négociation entre les États concernés, sans que la pratique révèle une insistance particulière des États
lorsqu’est abordée la clause de règlement des différends État/investisseur (op. diss., §§ 21 et s.).
314. op. diss. Brigitte stern, § 45. Contra voy. cirdi, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31,
décision sur la compétence et la recevabilité, 24 octobre 2011, § 66 (« the (“procedural”) right to enforce
another (“substantive”) right is one component of the bundles of rights and duties that make up the legal
concept of what property is », souligné dans le texte).
315. C.I.J., Sud-Ouest Africain (Éthiopie et Libéria c. Afrique du sud), 2e phase, arrêt du 18 juillet
1966, Rec. 1966, p. 46, § 86.
316. la mention des droits juridictionnels dans le champ d’application de la clause de la nation la plus
favorisée laisse-t-elle entendre que la clause serait susceptible d’offrir à un investisseur le bénéfice d’une
procédure d’arbitrage lorsque le traité applicable ne prévoit que le recours aux juridictions internes ? on
voit poindre le paradoxe : l’investisseur pourrait se prévaloir de la clause de la nation la plus favorisée pour
bénéficier d’une procédure à laquelle l’État n’a pas consenti dans le traité applicable, mais il ne pourrait
pas bénéficier de conditions d’arbitrage plus avantageuses prévues dans un traité autre lorsque l’État a
donné son consentement à l’arbitrage dans le traité contenant la clause de la nation la plus favorisée.
317. op. diss. Brigitte stern, § 47.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
576
arbitrage transnational et droit international général
droits juridictionnels est soumise à des conditions personnelles (différend entre un
État et un national de l’autre partie au traité), matérielles (différend relatif à un
investissement), temporelle (applicabilité du traité à la date critique), auxquelles
s’ajoute une condition supplémentaire ratione voluntatis : le consentement de l’État
à l’arbitrage, modelé selon les conditions déterminées dans le traité 318. Pas plus
que les trois premières conditions 319, la quatrième ne pourrait être modifiée par
l’effet d’une clause de la nation la plus favorisée 320.
le raisonnement s’écroule toutefois si les conditions procédurales entourant
l’arbitrage (conditions de soumission préalable aux juridictions internes, conditions de délai) ressortissent à la recevabilité de la requête et non à la compétence
du tribunal 321. Brigitte stern a pris les devants en considérant, à l’instar de la
cour internationale de Justice et de plusieurs tribunaux transnationaux, que les
conditions procédurales contenues dans les clauses de règlement des différends
conditionnaient le consentement de l’État et donc la compétence du tribunal 322 –
dès lors, elles ne sauraient être dévoyées par le jeu d’une clause de la nation la plus
favorisée. la décision Hochtief rendue quelques mois après la sentence Impregilo
a pourtant pris l’exact contrepied de l’opinion de Brigitte stern en considérant
que la clause de la nation la plus favorisée était applicable au mode de règlement
des litiges 323. Bien que semblant inspirés par la distinction proposée par l’arbitre
française entre les droits reconnus par le traité et les conditions d’accès à ces
droits, les arbitres majoritaires de l’affaire Hochtief ont jugé que l’assouplissement
des conditions procédurales de saisine du tribunal via la clause n’aboutissait pas
à créer un nouveau droit à l’arbitrage (soumis au consentement de l’État) mais
affectaient simplement la manière dont ce droit préexistant pouvait être exercé.
rattachant cette distinction à celle opérée entre compétence et recevabilité, le
tribunal a considéré que « the question in this case is not whether the MFN clause
can alter the jurisdiction of tribunals established under the BIT but whether it can
affect the prescribed procedures for accessing that jurisdiction » 324. Autant dire que
le débat sur la portée des clauses de la nation la plus favorisée dans le domaine du
droit des investissements est loin d’être clos.
sans préjuger de l’impact qu’aura l’opinion de Brigitte stern sur les futures
décisions arbitrales abordant la question – la décision Hochtief tend à indiquer qu’il
sera réduit –, force est de constater qu’elle a déjà retenu toute l’attention du groupe
d’étude de la cdi 325, dont les conclusions sont d’autant plus attendues qu’elles
constituent peut-être un moyen de résoudre l’éclatement jurisprudentiel sur cette
question – du moins si les arbitres des futures affaires s’appuient sur les travaux
318. Id., § 52.
319. considérant, avec une motivation réduite au strict minimum, que l’objet de la clause de la nation
la plus favorisée est d’étendre le champ de la protection substantielle accordée aux investissements réalisés
par les investisseurs couverts par le traité et non d’élargir la définition des investissements et des investisseurs protégés, voy. cPA (cnudci), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 149.
320. op. diss. B. stern, §§ 63 et s.
321. voy. supra 3.
322. op. diss. B. stern, §§ 82 et s. insistant sur l’importance fondamentale du consentement dans
l’arbitrage international, voy. §§ 89 et s. voy. aussi supra iii, A, 3.
323. cirdi, Hochtief AG c. Argentine, aff. n° ArB/07/31, décision sur la compétence et la recevabilité,
24 octobre 2011, §§ 59 et s.
324. Id., § 91. Contra voy. l’opinion dissidente de J. ch. thomas, §§ 33 et s.
325. Rapport de la CDI, 63e session, Assemblée générale, documents officiels, A/66/10, §§ 357 et 359.
le groupe d’étude a été particulièrement intéressé, semble-t-il, par l’« étape préliminaire » suggérée par
B. stern relative aux « conditions fondamentales (ratione personae, ratione materiae, ratione temporis)
de jouissance des droits d’accès aux droits reconnus dans l’accord bilatéral d’investissement ». il y voit
« peut-être le cadre dont on tirerait la façon d’aborder la question de la qualification ejusdem generis ».
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
577
de la cdi en ce domaine de la même manière que dans d’autres, notamment le
droit de la responsabilité 326.
B. Droit applicable
on sait combien la nature hybride des tribunaux arbitraux se manifeste dans la
détermination du droit applicable aux différends qui leur sont soumis 327. les parties
au différend disposent à ce titre d’une autonomie, qui leur permet de choisir les règles
de droit appelées à le régir. ce n’est que faute d’accord entre elles que les arbitres
doivent procéder à cette détermination, le règlement d’arbitrage de la cnudci les
laissant alors libres de choisir la « loi qu’ils jugent appropriée » 328, tandis que la
convention de Washington prévoit l’application conjointe du droit de l’État contractant partie au différend et des principes de droit international en la matière 329.
saisis sur le fondement d’un tBi, les arbitres admettent que la clause de droit
applicable qu’il contient constitue le choix des parties au différend qui leur est
soumis 330. Mais dans le silence du traité, ils considèrent qu’en présence d’une réclamation conventionnelle, c’est-à-dire lorsque le demandeur se plaint de violations
des dispositions du traité, ils doivent se prononcer prioritairement sur la base de
ce traité à la lumière du droit international pertinent 331. Pour autant, le premier
tribunal à avoir admis de le faire avait déjà souligné que
« the Bilateral Investment Treaty is not a self-contained closed legal system limited to
provide for substantive material rules of direct applicability, but has to be envisaged
within a wider juridical context in which rules from other sources are integrated
through implied incorporation methods, or by direct reference to certain supplementary rules, whether of international law character or of domestic law nature » 332.
326. voy. supra ii.
327. M. FOrteau, « le juge cirdi envisagé du point de vue de son office : juge interne, juge international, ou l’un et l’autre à la fois ? », in liber Amicorum Jean-Pierre Cot, Bruxelles, Bruylant, 2009,
pp. 111 et s.
328. Article 35, al. 1 : « le tribunal arbitral applique les règles de droit désignées par les parties comme
étant celles applicables au fond du litige. À défaut d’une telle désignation par les parties, il applique la
loi qu’il juge appropriée ». on remarquera qu’avant la révision du règlement opérée en 2010, l’article 33
du règlement de 1976 mentionnait la loi (the law) applicable et non les règles de droit (the rules of law).
cette modification semble avoir été motivée par le souci de permettre aux parties de choisir l’application de
règles issues de plusieurs systèmes juridiques pour régir une même relation juridique (voy. J. PauLssOn /
G. PetrOcHiLOs, Revision of the UNCITRAL Arbitration Rules, rapport de septembre 2006, § 260, accessible
depuis le site de la cnudci <www.uncitral.org>). ceci tend à confirmer l’idée selon laquelle les arbitres
« appréhende[nt] les relations entre droit interne et droit international moins comme des relations d’ordre
juridique à ordre juridique que comme des relations de normes applicables à normes applicables à l’intérieur
d’une même sphère normative » (M. FOrteau, op. cit., p. 113, s’agissant du juge cirdi).
329. Article 42, al 1 : « le tribunal statue sur le différend conformément aux règles de droit adoptées par les parties. faute d’accord entre les parties, le tribunal applique le droit de l’État contractant
partie au différend – y compris les règles relatives aux conflits de lois – ainsi que les principes de droit
international en la matière ».
330. Y. BaniFateMi, « the law Applicable in investment treaty Arbitration », in K. yannaca-sMaLL
(ed.), Arbitration Under International Investment Agreements. A Guide to the Key Issues, oxford, oxford
uP, 2010, pp. 193-195.
331. cirdi, El Paso Energy International Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du
31 octobre 2011, § 130 ; cirdi, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ArB/07/6, sentence du 7 juillet 2011, § 64 ;
cnudci, Alps Finance and Trade AG c. Slovaquie, sentence du 5 mars 2011, §§ 193-199. voy. déjà comité
ad hoc cirdi, Compañía de Aguas del Aconquija, S.A. & Compagnie Générale des Eaux c. Argentine, aff.
n° ArB/97/3, décision d’annulation du 3 juillet 2002, §§ 95-96. la question se poserait différemment dans
l’hypothèse où une clause large de compétence permettrait à un investisseur de saisir le cirdi d’une
réclamation contractuelle sur le fondement du tBi. voy. c. santuLLi, op. cit. note 277, p. 329, n° 569.
332. cirdi, Asian Agricultural Products Limited c. Sri Lanka, aff. n° ArB/87/3, sentence du 27 juin
1990, § 21.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
578
arbitrage transnational et droit international général
deux difficultés peuvent alors se poser. la première porte sur la manière
dont les arbitres peuvent ou doivent combiner le droit international et le droit
interne (1), la seconde sur la possibilité de se référer à des règles de droit international extérieures au droit international des investissements pour trancher le
différend (2) 333.
1. Le droit interne
la nature hybride de leur office conduit les arbitres à glisser régulièrement du
droit interne au droit international voire à entremêler les deux dans leurs analyses.
le tribunal de l’affaire El Paso a ainsi rappelé que « both systems – the BIT supplemented by international law as well as Argentinian law – have a role to play » 334.
Ainsi, même lorsque les parties s’accordent pour désigner le droit interne comme
le droit applicable au fond du litige, elles peuvent solliciter la mise en œuvre du
tBi en tant qu’il en fait partie, ce qui amènera le tribunal à statuer principalement
sur la base du droit international 335. une perspective dualiste conduirait alors à
considérer que les arbitres sont chargés d’appliquer une norme interne d’origine
internationale. réciproquement, alors qu’ils appliquent prioritairement le tBi et
le droit international lorsqu’ils sont saisis d’une réclamation conventionnelle, les
arbitres doivent également mobiliser régulièrement le droit interne. ils le font au
stade de la compétence comme au stade du fond.
i) les arbitres considèrent classiquement que l’autonomie des parties quant
au droit applicable ne concerne que le fond du différend. ils examinent donc leur
compétence au regard de l’acte qui les fonde. c’est ainsi que les tribunaux cirdi
s’appuient sur la convention de Washington, et en particulier son article 25, pour
déterminer s’ils sont compétents pour connaître des différends qui leur sont soumis.
c’est la raison pour laquelle les arbitres de l’affaire Abaclat ont examiné la validité
du consentement des demandeurs, dont l’Argentine estimait qu’il avait été obtenu
par des manœuvres frauduleuses de banques italiennes qui avaient fédéré ces
« petits porteurs » dans leur propre intérêt, au regard de l’article 25 et des principes
du droit international, non au regard du droit interne 336. cela n’exclut toutefois
pas que le droit interne soit pris en compte dès l’examen de la compétence. tel est
le cas lorsque l’offre d’arbitrage dont s’est saisie le demandeur figure non dans un
traité mais dans une loi. dans la sentence Brandes, les arbitres ont ainsi interprété
333. Afin de statuer sur les demandes de récusation d’arbitres, les tribunaux ont également été
invités par certaines parties à se référer aux Lignes directrices sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage
international adoptées par l’International Bar Association le 22 mai 2004. Bien qu’ils ne s’estiment pas liés
par ces Lignes directrices mais uniquement par la convention de Washington et le règlement du cirdi,
ils leur reconnaissent tout de même une valeur indicative (comité ad hoc cirdi, Nations Energy Inc., et
al. c. République du Panama, aff. n° ArB/06/19, décision sur la demande de récusation de M. Alexandrov,
7 septembre 2011, § 57 ; cirdi, OPIC Karimum Corporation c. Venezuela, aff. n° ArB/10/14, décision sur
la demande de récusation du Professeur Philippe sands, 5 mai 2011, § 48 ; cirdi, Universal Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff. n° ArB/10/9, décision sur la demande de récusation
du Professeur Brigitte stern et du Professeur santiago tawil, arbitres, 20 mai 2011, §§ 73 et s.). sur la
récusation d’arbitres, voy. infra iii, c, 5.
334. sentence El Paso, § 129, qui reprend ici une formule déjà dégagée par un comité ad hoc cirdi
dans l’affaire Wena Hotels Limited c. Égypte, aff. ArB/98/4, décision d’annulation du 5 février 2002, § 40 :
« What is clear is that the sense and meaning of the negotiations leading to the second sentence of Article 42(1)
allowed for both legal orders to have a role. The law of the host State can indeed be applied in conjunction
with international law if this is justified. So too international law can be applied by itself if the appropriate
rule is found in this other ambit ».
335. cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§ 306.
336. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 430.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
579
l’article 22 de la loi vénézuélienne de protection et de promotion des investissements en combinant les principes issus du droit vénézuélien, puisqu’il s’agissait
d’apprécier la portée d’une déclaration unilatérale de l’État, et ceux résultant du
droit international général, dès lors que l’interprétation retenue devait avoir un
effet direct sur le consentement de l’État à l’arbitrage en application de l’article 25
de la convention de Washington 337. Mais tel peut également être le cas lorsque les
conditions d’admission d’une demande dépendent de situations formées dans les
droits étatiques 338. il en va ainsi lorsque l’existence d’un investissement nécessite
de déterminer, au regard du droit interne de l’État défendeur, la date et la validité de l’acquisition par le demandeur de parts dans une entreprise 339, ou encore
lorsqu’il est nécessaire d’établir, cette fois au regard du droit interne de l’État dont
l’investisseur prétend être issu, sa nationalité ou sa personnalité morale 340. cette
approche est classique. on peut dès lors s’étonner que les arbitres de l’affaire Alps
aient quant à eux choisi d’interpréter la notion de siège social, dont dépendait la
qualité d’investisseur suisse du demandeur au sens de l’article 1(1)b du tBi, non
au regard du droit suisse, mais au regard du droit international. ils ont alors utilisé
la notion de siège « in the meaning of international business law » 341, formule qui
peut être perçue comme un écho à la lex mercatoria 342.
ii) les arbitres doivent encore combiner droit international et droit interne
afin de trancher le fond du différend. toute violation du droit interne n’emporte
certes pas nécessairement violation du traité 343. Mais le droit interne constitue au
moins « a factual circumstance », dont l’examen est indispensable pour déterminer
si l’État a violé ses obligations internationales en appliquant son propre droit 344.
les arbitres doivent particulièrement s’y attarder lorsque le demandeur soutient
que ses attentes légitimes, protégées en vertu du standard de traitement juste et
équitable, ont été frustrées. en ce cas, il devient en effet nécessaire d’établir, sur la
base du droit interne, l’existence et la portée des engagements pris par l’État dans
son ordre interne afin d’identifier les attentes légitimes de l’investisseur et d’établir
leur violation éventuelle 345. Même alors, les arbitres n’excluent toutefois pas de
faire appel au droit international, notamment lorsque la conformité au droit interne
de l’engagement pris est discutée 346. il arrive enfin que les tribunaux arbitraux
appliquent le droit interne afin d’établir le lien de causalité. ils se mettent alors
dans la peau des autorités nationales – et appliquent donc les normes internes,
éventuellement d’origine internationale – afin de déterminer quelle aurait été leur
attitude en l’absence de violation 347.
337. cirdi, Brandes Investment Partners, LP c. Venezuela, aff. n° ArB/08/3, sentence du 2 août 2011,
§ 36. voy. supra i, B, 3 (Actes unilatéraux).
338. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 336-337.
339. cirdi, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 112-113.
340. sentence Abaclat, §§ 407 et 413, s’agissant de la nationalité des personnes physiques et morales,
§§ 416 et s. considérant qu’il n’est pas nécessaire pour être qualifié de société italienne au sens du tBi
d’avoir la pleine personnalité juridique dès lors que le droit italien permet à des entités qui en sont dépourvues d’investir et d’ester en justice.
341. sentence Alps, § 216.
342. l. atcHOuk-sPivak, « notion de siège social et protection des investissements », in Cahiers de
l’arbitrage, 20 novembre 2011, pp. 1007 et s., n° 7
343. sentence Spyridon Roussalis, § 599 ; sentence Alps, § 198.
344. sentence Alps, §§ 197-198.
345. sentence El Paso, § 135 ; cnudci (AlenA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier 2011, §§ 136 et s.
346. cnudci, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 607.
347. cirdi, Joseph Charles Lemire c. Ukraine, aff. n° ArB/06/18, sentence du 28 mars 2011,
§§ 173-202, s’agissant de l’octroi de fréquences radiophoniques ; cnudci, White industries Australia
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
580
arbitrage transnational et droit international général
Tout cela confirme que ce type d’« instance juridictionnelle a été pragmatiquement configurée sur la base de la relation juridique objet du différend (l’opération
d’investissement, qui se rattache à plusieurs ordres juridiques) au lieu d’être organisée en fonction d’un ordre juridique donné dans le cadre exclusif duquel elle se
serait déployée » 348.
2. Les autres règles de droit international
Une autre difficulté concerne la relation qu’entretiennent le droit international
des investissements et les autres règles du droit international, qu’il soit général
ou spécial 349.
i) On le sait, rejetant l’idée selon laquelle le droit des investissements constitue
un « self-contained regime », les tribunaux sollicitent régulièrement les règles secondaires du droit international général afin d’interpréter les obligations substantielles
contenues dans les TBI, d’engager la responsabilité de l’État pour violation de ces
obligations et d’établir le contenu de cette responsabilité 350. C’est précisément
l’objet principal de cette chronique que d’en rendre compte. Ils peuvent parfois
aller plus loin dans la prise en compte du droit international général en complétant
les dispositions des traités par la voie de l’interprétation. On peut le comprendre
dans le cas où les arbitres interprètent la clause de sauvegarde contenue dans
le TBI qu’ils doivent appliquer au regard des règles coutumières du droit de la
responsabilité et des principes généraux de droit international pour considérer
que l’État qui invoque une situation de nécessité ne doit pas y avoir contribué de
façon substantielle 351. Il est en revanche plus surprenant que le tribunal CNUDCI
réuni en l’affaire Alps ait jugé nécessaire de solliciter le droit international général
afin de définir la notion d’investissement. Le TBI qu’il avait la charge d’appliquer
la définissait largement en mentionnant notamment les « droit[s] à toute prestation ayant une valeur économique », ce qui permettait d’envisager d’y inclure
l’acquisition de titres de créance. Mais les arbitres ont jugé que, pour être qualifiée d’investissement, une opération devait en outre présenter une certaine durée,
une participation au risque et une contribution au développement économique de
l’État d’accueil 352. C’est en se référant non seulement à l’objet et au but du traité
mais encore au droit international général 353, en réalité essentiellement au droit
appliqué dans le cadre du CIRDI, que les arbitres ont procédé à cette « cirdisation »
de la notion d’investissement 354.
ii) La doctrine a également mis en évidence les potentialités qu’offraient les TBI,
susceptibles de permettre aux arbitres d’appliquer, ou plus modestement de tenir
Ltd. c. Inde, sentence finale, 30 novembre 2011, §§ 14.3.1-14.3.6 s’agissant d’accorder l’exequatur à une
sentence CCI. Voy. supra II, B, 1.
348. M. Forteau, op. cit., note 327 p. 117.
349. La question de l’usage de sources internationales extérieures se pose également, même si ce
n’est pas toujours dans les mêmes termes, devant la CEDH. Voy. G. Cohen-Jonathan/J.-F. Flauss puis
E. lambert-abdelgawad/s. touzé, puis D. szymCzak /s. touzé, « La Cour européenne des droits de
l’homme et le droit international », cet Annuaire, 2008, pp. 529-541 ; 2009, pp. 765-772 ; 2010, pp. 694-695 ;
2011, pp. 611.
350. C’est d’ailleurs le lot de toutes les juridictions spécialisées, voy. C. santulli, op. cit. note 277,
p. 331.
351. Sentence El Paso, §§ 613-626. Voy. supra, II, A, 3.
352. Sentence Alps, § 231.
353. Id., §§ 196, 229, 239-245.
354. W. ben hamida, « La notion d’investissement : quand le CIRDI contamine la CNUDCI », in
Cahiers de l’arbitrage, 20 novembre 2011, pp. 1007 et s., nos 29 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
581
compte, de règles substantielles issues d’autres branches du droit international 355.
deux sentences rendues en 2011 montrent toutefois les hésitations des arbitres à
s’engager dans cette voie périlleuse.
le tribunal de l’affaire Spyridon Roussalis a fait un pas dans cette direction,
alors qu’il était confronté à un argument du demandeur selon lequel les agissements
de la roumanie à l’encontre de son investissement étaient contraires non seulement
aux standards résultant du tBi Grèce/roumanie mais encore à la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme (cedH) et à son premier protocole. le
tBi prévoyait en effet que le tribunal devait trancher le différend en application
du traité et des principes et règles du droit international applicables (article 9),
mais que les règles qui en résultent devaient céder face à toute obligation issue
du droit interne de l’une des parties ou du droit international applicable entre les
parties qui offre un traitement plus favorable à l’investisseur (article 10). considérant que cette disposition concernait les obligations internationales en vigueur
entre les parties au tBi, i.e. entre la Grèce et la roumanie, les arbitres ont jugé
envisageable d’appliquer la cedH et son premier protocole. Mais ils ont estimé
que la question était sans objet dès lors que la protection générale accordée par
ces instruments multilatéraux n’était pas plus favorable que celle, spécifique, qui
résultait directement du tBi 356.
un autre tribunal s’est montré peu favorable à l’idée même de recourir à une
source de droit international spécial extérieure au droit des investissements. dans
ce cas, une manufacture de tabac, Grand River Enterprises Six Nations, mettait en
cause la mise en œuvre par des États fédérés des États-unis d’un dispositif antitabac qui la mettait à contribution. les demandeurs prétendaient devoir échapper
à ce dispositif en tant que membres des « Premières nations d’Amérique du nord »,
protégés d’une part par le traité Jay conclu en 1794 entre les États-unis et la
Grande-Bretagne (également appelé traité de londres), d’autre part par le droit
international des droits de l’homme, et notamment par une règle coutumière imposant la consultation des peuples autochtones. Mais les arbitres ont rejeté la prise
en compte de ces règles de droit international en deux temps. Établissant le droit
applicable, ils ont d’abord considéré que l’article 101, al. 2, de l’AlenA, aux termes
duquel « les Parties interpréteront et appliqueront les dispositions du présent
accord […] en conformité avec les règles applicables du droit international », ne
fournissait pas « a license to import into NAFTA legal elements from other treaties,
or to allow alteration of an interpretation established through the normal interpretive processes of the Vienna Convention » 357. ils ont alors insisté sur le fait que leur
compétence ratione materiae ne s’étendait pas aux réclamations fondées sur des
traités autres que l’AlenA. cela ne les empêchait certes pas de tenir compte de
ces traités afin d’interpréter les obligations résultant de l’AlenA. Mais à l’heure
de le faire, ils ont considéré, d’une part, que l’existence du traité Jay n’avait pu
faire naître d’attentes légitimes dans le chef des investisseurs compte tenu des
difficultés d’interprétation qui en entourent l’application 358, d’autre part que le
standard de traitement juste et équitable garanti par l’article 1105 de l’AlenA,
qui correspond au standard minimum coutumier,
355. sur cette question, voy. ch. t. kOtuBy, « “other international obligations” as the Applicable
law in investment Arbitration », International Arbitration Law Review, 2011, pp. 162-172.
356. cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§§ 306-312.
357. cnudci (AlenA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, § 71.
358. Ibid., § 143.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
582
arbitrage transnational et droit international général
« does not incorporate other legal protections that may be provided investors or classes
of investors under other sources of law. To hold otherwise would make Article 1105 a
vehicle for generally litigating claims based on alleged infractions of domestic and
international law and thereby unduly circumvent the limited reach of Article 1105
as determined by the Free Trade Commission in its binding directive » 359.
Ainsi, tout en doutant de la conformité des agissements des États-unis aux
règles de droit international protégeant les peuples autochtones 360, les arbitres ont
considéré qu’un tribunal chargé d’appliquer l’AlenA n’était pas le forum approprié
pour trancher ces questions.
les arbitres admettent donc la prise en compte de sources du droit international extérieures au droit des investissements, que ce soit par la voie de l’interprétation en application de l’article 31, § 3, litt. c de la convention de vienne, du fait
de renvois exprès dans les clauses du traité telles que celle qui prévoit l’application
de la norme la plus favorable aux investisseurs, ou encore par le jeu de références
implicites telles que celles qui peuvent être dégagées de la protection des attentes
légitimes ou des clauses de respect des engagements, susceptibles de couvrir les
engagements internationaux de l’État. Mais ils rechignent à s’engager sur une voie
qui pourrait faire d’eux les juges de toute règle de droit international dès lors que
sa violation est susceptible d’affecter un investissement étranger.
c. Procédure arbitrale
1. Pouvoirs du tribunal
a) Pouvoir d’indiquer des mesures conservatoires
le pouvoir des tribunaux arbitraux cirdi de « recommander » des mesures
conservatoires est prévu à l’article 47 de la convention de Washington, lequel est
« confirmé et précisé » 361 par l’article 39 du règlement cirdi. faute de détails
fournis par ces textes sur les conditions permettant l’indication de mesures conservatoires, les tribunaux cirdi, aidés de la jurisprudence, notamment celle de la
cour internationale de Justice, et de la doctrine, ont façonné le régime des mesures
conservatoires 362. l’ordonnance rendue dans l’affaire International Quantum
Resources s’en est fait l’écho en notant qu’une demande de mesures conservatoires
« peut être admise si elle remplit les conditions suivantes :
« (i) le tribunal arbitral a compétence prima facie sur l’objet de l’arbitrage ;
(ii) le requérant démontre l’existence prima facie des droits à protéger ;
(iii) les mesures recherchées sont nécessaires, ce qui implique que les actions d’une
partie sont susceptibles de causer ou de menacer de causer un préjudice irréparable
aux droits en cause ;
(iv) les mesures recherchées sont urgentes, ce qui implique que le préjudice ou la
menace d’un tel préjudice ne permet pas d’attendre une décision finale sur le fond
du litige ;
(v) l’octroi des mesures recherchées ne préjuge pas du fond du litige.
359. Ibid., § 219.
360. Ibid., §§ 186-187, 247.
361. cirdi, International Quantum Resources Ltd, Frontier SPRL et Compagnie minière de Sakania
SPRL c. RDC, aff. n° ArB/10/21, ordonnance n° 3 du 28 novembre 2011, § 38.
362. voy. la présente chronique, in cet Annuaire, 2009, pp. 712 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
583
de plus, dès lors que la compétence du tribunal arbitral est limitée au litige qui lui
est soumis par les parties qu’il oppose, les mesures conservatoires ne sauraient en
principe porter sur les droits de tiers, qui ne sont pas impliqués dans la procédure
d’arbitrage » 363.
le tribunal a par la suite mis en œuvre ces conditions – qui stricto sensu n’en
sont d’ailleurs pas toutes – lorsqu’il a examiné les différentes demandes de la
société requérante. concernant par exemple la mesure sollicitée de suspension
du recouvrement par la république démocratique du congo des taxes fiscales et
autres charges sociales, il a estimé que sa compétence prima facie était remplie
(les taxes en question étant liées aux activités régies par le code minier à l’origine
de la compétence du tribunal) 364 et que le droit au maintien du statu quo et à la
protection de l’arbitrage était un droit à protéger dont l’existence prima facie n’était
pas contestable 365. en revanche, il a considéré que la nécessité de la mesure de
suspension n’était pas établie 366 et a par conséquent refusé d’ordonner la suspension du recouvrement.
b) Pouvoir de trancher les lacunes procédurales
l’article 44 de la convention de Washington sur le cirdi prévoit que
« [s]i une question de procédure non prévue par la présente section [sur les pouvoirs
et fonctions du tribunal] ou le règlement d’arbitrage ou tout autre règlement adopté
par les parties se pose, elle est tranchée par le tribunal ».
ce pouvoir inhérent à tout tribunal de combler les lacunes des règles le régissant 367 a dans le passé été employé pour régler les questions de production de
documents, de suspension des procédures, d’admission d’amicus curiae à l’époque
où le règlement d’arbitrage ne le prévoyait pas 368, etc. 369. c’est sur le fondement
de cette disposition que la question de l’« arbitrage de masse » a été traitée dans
l’affaire Abaclat et al.
Ayant considéré que la question de l’arbitrage de masse ne soulevait pas des
problèmes de compétence mais de recevabilité de la requête présentée par l’association tfA elle-même mandatée par les petits porteurs italiens 370, le tribunal
s’est employé en premier lieu à examiner si ce type de recours était compatible
avec le cadre du cirdi, puis, l’affirmative étant établie, à dégager « the procedural
adaptations that the tribunal would need to implement in order to make such ‘mass
363. ordonnance International Quantum Resources, § 40.
364. Cf., sous l’empire du règlement d’arbitrage de la cnudci, cPA (cnudci), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, ordonnance en indication de mesures conservatoires du
9 février 2011, § A, où le tribunal estime que les demandeurs « have established, to the satisfaction of the
Tribunal, a sufficent case for the existence of such jurisdiction at this preliminary stage of these arbitration
proceedings ». sur les ordonnances rendues dans l’affaire Chevron (et le peu de cas qu’en font les juridictions
équatoriennes), voy. le comm. de J. cazaLa in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s.
365. ordonnance International Quantum Resources, §§ 117 et s.
366. « si ces taxes et charges sociales ne sont que le résultat de l’exercice légitime du pouvoir de l’État
en vertu des dispositions légales applicables, on ne voit pas comment les procédures de recouvrement de ces
taxes et charges sociales compromettraient l’intégrité de l’arbitrage » (§ 121). Cf. cirdi, ATA Construction,
Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ArB/08/2, décision sur l’interprétation et la demande
de mesures, 7 mars 2011, § 46 (le tribunal considère, au vu de l’interprétation qu’il a donnée de la sentence
arbitrale, que la demande de mesures conservatoires « has become moot »).
367. cirdi, Southern Pacific Properties (Middle East) Limited c. Égypte, aff. n° ArB/84/3, décision
sur la compétence, 14 avril 1988, § 87.
368. voy. infra 4.
369. voy. le commentaire de l’art. 44 in ch. scHreuer e.a., The ICSID Convention. A Commentary,
2nd ed., cambridge, cambridge u.P., 2009, pp. 688 et s., nos 53 et s.
370. voy. supra iii, A, 3.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
584
arbitrage transnational et droit international général
action’ workable in an ICSID arbitration », dans la limite de la compatibilité de ces
adaptations avec le pouvoir du tribunal de trancher les questions procédurales 371.
la question se posait en effet de savoir si le tribunal avait le pouvoir de combler les
lacunes concernant la question des actions collectives par l’énonciation de règles
spécifiques sur une base ad hoc, ou si la question requérait l’adoption d’un règlement général ou la modification des règlements existants par le conseil administratif du cirdi 372. Pour le tribunal, seules étaient affectées (et requéraient des
adaptations) la manière dont il devait examiner l’affaire et la représentation des
parties ; l’objet même de l’examen demeurait intact 373. on peut néanmoins douter
que l’admission de l’arbitrage de masse au niveau du cirdi, qui déroge aux règles
d’arbitrage en vigueur, soit réductible à la simple administration procédurale d’un
cas d’espèce 374. Partant, elle aurait dû faire l’objet d’une intervention réglementaire
du conseil administratif, voire d’une révision de la convention de Washington, ce
qui tend à établir que les arbitres ont fait un exercice abusif de leur pouvoir, qu’une
procédure d’annulation pourrait à terme censurer.
2. Demandes reconventionnelles
dans le contentieux transnational fondé sur des traités de protection des investissements étrangers, l’État se trouve systématiquement en position de défendeur,
en raison notamment du caractère dissocié de l’expression des consentements à
l’arbitrage : tandis que l’État exprime l’offre d’arbitrage dans la clause du traité
relative au règlement des litiges, l’investisseur donne son consentement dans la
requête adressée au tribunal 375. le mécanisme de la demande reconventionnelle,
définie comme la « [d]emande incidente par laquelle une partie à une instance
prétend obtenir, en sus du rejet de la demande introduite contre elle, la satisfaction
par la partie adverse d’une prétention entretenant un lien de connexité avec l’objet
de la demande de cette partie » 376, permet toutefois à l’État de rechercher la mise
en œuvre de la responsabilité de l’investisseur.
telle a été la tentative effectuée dans l’affaire Spyridon Roussalis par la
roumanie, qui reprochait au demandeur de n’avoir pas respecté l’accord de participation relatif à un entrepôt de stockage de nourriture surgelée, alors qu’initialement M. roussalis invoquait la violation du tBi par la roumanie en raison de
divers comportements relatifs à sa prise de participation dans l’entrepôt. tandis que
la demande principale a été rejetée au fond, celle conventionnelle a été considérée
par le tribunal comme étant étrangère à sa compétence pour défaut de consentement 377. l’article 46 de la convention de Washington pose en effet expressément la condition selon laquelle les demandes reconventionnelles doivent être
371. cirdi, Abaclat et al. (anciennement Giovanna a Beccara et al.) c. Argentine, aff. n° ArB/07/5,
décision sur la compétence et la recevabilité, 4 août 2011, § 507.
372. Id., § 526.
373. Id., § 533. le tribunal estime que les adaptations de la procédure au caractère collectif de
la réclamation restent dans le cadre de ses pouvoirs, tant au regard de l’article 44 de la convention de
Washington qu’au regard de l’équilibre entre les droits des parties établi par la convention (voy. §§ 534 et s.,
où le tribunal considère que les adaptations nécessaires présupposent une homogénéité des réclamations,
et précise qu’elles ne doivent pas affecter les droits de la défense de l’État ni priver les demandeurs de
leurs droits procéduraux).
374. voy. l’opinion dissidente de G. Abi-saab qui estime que le tribunal a agi ultra vires (§§ 194). voy.
aussi le comm. de B. POuLain in Cahiers de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s., § 15.
375. voy. e. GaiLLard, La jurisprudence du CIRDI, Paris, Pedone, 2004, p. 2 ; J. PauLssOn, « Arbitration Without Privity », ICSID Review, 1995, pp. 232-257.
376. V° « demande reconventionnelle », in Dictionnaire de droit international public, op. cit. note
232, p. 316.
377. cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011, §§
859 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
585
« couvertes par le consentement des parties » – exigence qu’on retrouve plus ou
moins explicitement formulée dans le règlement d’arbitrage de la cnudci 378 ou
au niveau de la cour internationale de Justice 379. dès lors que la clause de règlement des différends du tBi Grèce/roumanie ne visait que les « différends entre
un investisseur de l’État partie et l’autre État partie concernant une obligation de
ce dernier », le tribunal a considéré qu’aucun consentement n’avait été exprimé
concernant les différends relatifs aux obligations de l’investisseur 380. Qui plus est,
la clause sur le droit applicable désignait le tBi et les règles et principes du droit
international, ce qui pour le tribunal excluait sa compétence matérielle eu égard
à l’absence d’obligations à la charge des investisseurs contenue dans le traité 381.
cette approche littérale, traduisant une conception rigoureuse de l’exigence du
consentement pour les demandes reconventionnelles, est inédite dans la jurisprudence en matière d’investissement 382, qui généralement rejette les demandes
en raison d’une connexion insuffisante avec la demande principale. eu égard au
caractère transnational des litiges, elle a pour effet d’exclure presque automatiquement la « possibilité de riposte offensive » 383 pour l’État. Partant, elle participe
au déséquilibre, au détriment des États et en faveur des investisseurs, du système
contentieux en matière d’investissements. il n’empêche : lorsque la compétence des
tribunaux arbitraux repose sur des traités, muets pour l’immense majorité d’entre
eux sur l’existence d’obligations incombant aux investisseurs 384, on perçoit mal
comment les demandes reconventionnelles à l’encontre d’investisseurs pourraient
être examinées par un tribunal sans qu’il excède son champ de compétence matérielle. Plutôt que d’être examinés à l’occasion de demandes reconventionnelles,
les comportements de l’investisseur contraires à des obligations contractuelles ou
légales 385 devraient être appréciés par les tribunaux arbitraux dans le cadre de la
mise en œuvre de la responsabilité de l’État en temps qu’éléments d’atténuation
de sa responsabilité.
378. l’art. 19 du règlement d’arbitrage de la cnudci de 1976 envisageait la possibilité pour le
défendeur de formuler une demande reconventionnelle « fondée sur le même contrat ». la disposition
a toutefois été étendue au cas des traités bilatéraux de protection des investissements (voy. cnudci,
Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company c. Mongolie, sentence sur
la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, §§ 694 et s.). le règlement modifié en 2010 a supprimé
la référence au contrat. l’art. 21, § 3, du règlement prévoit désormais : « dans son mémoire en défense, ou
à un stade ultérieur de la procédure arbitrale, si le tribunal arbitral décide que ce délai est justifié par les
circonstances, le défendeur peut former une demande reconventionnelle ou une demande en compensation,
à condition que le tribunal ait compétence pour en connaître ».
379. voy. l’art. 80 du règlement de la cour et ciJ, Application de la Convention pour la prévention et
la répression du crime de génocide (Bosnie-Herzégovine c. Yougoslavie), ordonnance du 17 décembre 1997
(demandes reconventionnelles), Rec. 1997, p. 258, § 32.
380. sentence Spyridon Roussalis, §§ 859 et s.
381. Id., §§ 870 et s.
382. voy. la déclaration de W. M. reisman jointe à la sentence. Pour l’arbitre, « when the States
Parties to a BIT contingently consent, inter alia, to ICSID jurisdiction, the consent component of Article 46
of the Washington Convention is ipso facto imported into any ICSID arbitration which an investor then
elects to pursue ».
383. r. cHaPus, cité par H. HeLLiO, « l’État, un justiciable de second ordre ? À propos des demandes
étatiques dans le contentieux arbitral transnational relatif aux investissements étrangers », RGDIP,
2009/3, p. 594.
384. P. JuiLLard, in ch. LeBen (dir.), Le contentieux arbitral transnational relatif à l’investissement.
Nouveaux développements, Paris, Anthemis/lGdJ, 2006, pp. 190-191.
385. voy. cnudci, Sergei Paushok, CJSC Golden East Company et CJSC Vostokneftegaz Company
c. Mongolie, sentence sur la compétence et la responsabilité, 28 avril 2011, § 678, où les demandes reconventionnelles ne reposent pas sur le traité applicable mais sur la violation du droit national (lois fiscales,
ordonnance de la chambre des lords), des accords de licence, ou d’obligations dont la source est non
identifiée (« obligations environnementales », « contrebande d’or »). ces demandes sont rejetées, non pas
parce qu’elles excèdent la compétence matérielle du tribunal, mais parce que lien entre elles et la demande
principale est insuffisant (§§ 693 et s.).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
586
arbitrage transnational et droit international général
3. Preuve
le contentieux en droit des investissements, dont la dimension factuelle est
très importante, soulève des problèmes presque systématiques de preuve 386. les
statuts et règlements régissant le procès international demeurant très discrets sur
l’administration de la preuve, les organes juridictionnels disposent en la matière
d’une marge d’appréciation considérable. le comité ad hoc de l’affaire Continental
Casualty a ainsi estimé que, du fait du silence de la convention de Washington et
du règlement d’arbitrage du cirdi,
« there cannot be any requirement that a tribunal expressly apply a particular burden
of proof or standard of proof in determining the dispute before it. Indeed, the tribunal
is not obliged expressly to articulate any specific burden of proof or standard of proof
and to analyse the evidence in those terms, as opposed simply to making findings of
fact on the basis of the evidence before it » 387.
Même si les tribunaux ne le formulent pas systématiquement de manière
expresse, en principe toute partie porte la « charge » de prouver les allégations
qu’elle avance 388. en ce sens, la sentence Vito G. Gallo a réaffirmé le principe actori
incumbit probatio ou, en anglais, « who asserts must prove », tout en insistant sur
les deux facettes du principe :
« the Claimant has to prove its case, and without evidence it will fail ; but if the
Respondent raises defences, of fraud or otherwise, the burden shifts, and the defences
can only succeed if supported by evidence marshalled by the Respondent » 389.
lorsqu’est examinée la compétence ratione temporis du tribunal, il incombe dès
lors au demandeur de fournir les preuves convaincantes de la date d’acquisition de
parts sociales lui permettant d’établir sa qualité d’investisseur à la date critique 390.
dans la même optique, c’est à la partie qui demande la récusation d’un arbitre
qu’il revient de prouver le manque manifeste d’indépendance ou d’impartialité
indiqué à l’article 57 de la convention de Washington 391. echouera à convaincre
le tribunal la partie qui ne parvient pas à fournir les éléments de preuve étayant
ses allégations 392.
de manière générale, l’appréciation des preuves n’obéit pas à des standards
prédéfinis 393. seule est déterminante, au cas par cas, la force persuasive des
386. voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 716 et s.
387. comité ad hoc cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, décision
sur la demande d’annulation, 16 septembre 2011, § 135.
388. voy. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 500-501, selon qui le terme de « charge de la preuve » est
impropre : toutes les parties au procès international doivent contribuer de bonne foi à l’établissement de
la vérité. en cas de doute, la partie qui n’a pas su prouver ses allégations verra celles-là écartées. Ainsi,
le concept de « charge de la preuve » viserait uniquement les règles relatives à la « répartition du risque
du doute ».
389. cnudci, Vito G. Gallo c. Canada, sentence du 15 septembre 2011, § 277. voy. aussi cirdi, Tza
Yap Shum c. Pérou, aff. n° ArB/07/6, sentence du 7 juillet 2011, § 71.
390. sentence Vito G. Gallo, § 284. dans le même sens, voy. cirdi, Libananco Holdings Co. Limited
c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre 2011, § 121.
391. cPA/cirdi, Abaclat et al. c. Argentine, aff. cPA n° ir 2011/1 et aff. cirdi n° ArB/07/5, recommandation sur la demande de récusation, 19 décembre 2011, § 50 ; comité ad hoc cirdi, Nations Energy
Inc., et al. c. République du Panama, aff. n° ArB/06/19, décision sur la demande de récusation de M. Alexandrov, 7 septembre 2011, § 65. sur la récusation des arbitres, voy. infra 5).
392. voy. cirdi, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ArB/08/16, sentence du 31 mars
2011, où le tribunal constate à plusieurs reprises que « the Claimant has not met his burden of proof »
(§§ 216, 219, 222, 225).
393. voy. cependant cPA/cirdi, Abaclat et al., recommandation sur la demande de récusation,
19 décembre 2011, §§ 51-53, où le secrétaire général de la cPA reprend le standard de preuve en matière
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
587
éléments de preuve présentés 394. Les décisions arbitrales qui consacrent des développements aux standards de preuve le font généralement en réponse aux arguments des parties invoquant un alourdissement ou inversement un allègement
des preuves à apporter concernant certains faits. La sentence Libananco a ainsi
considéré que le standard de preuve n’était pas plus élevé en matière de fraude 395.
Certes le tribunal fait sienne la proposition selon laquelle « the graver the charge, the
more confidence there must be in the evidence relied on ». Pour autant, il n’en résulte
pas nécessairement un alourdissement du standard de preuve : « It may simply
require more persuasive evidence, in the case a fact is inherently improbable, in order
for the Tribunal to be satisfied that the burden of proof has been discharged » 396.
4. Amicus curiae
La pratique de l’amicus curiae, présentée de plus en plus fréquemment comme
un facteur de transparence de l’arbitrage en matière d’investissement 397, a dépassé
le stade des « balbutiements » 398. Pas moins de cinq décisions arbitrales rendues en
2011 en portent trace, tant dans le cadre des règles d’arbitrage de la CNUDCI que
de celles du CIRDI. Ont manifesté leur « amitié » à l’égard des tribunaux arbitraux
non seulement des organisations non gouvernementales de défense de l’environnement 399 et des populations indigènes 400, ou une entreprise de conseil en management 401, mais encore des États souhaitant défendre une interprétation donnée
d’un traité multilatéral relatif aux investissements auquel ils sont parties 402. Cette
situation particulière d’État « intéressé » bien que demeurant tiers au litige a
de récusation d’arbitre, selon l’art. 57 de la convention de Washington, défini dans l’affaire SGS Société
générale de surveillance c. Pakistan. En la matière, doit être prouvée à la fois l’existence des faits indiquant
un manque d’indépendance et le caractère « manifeste » de ce défaut. Voy. note 423.
394. Accordant peu de poids aux témoignages d’anciens responsables tchécoslovaques, voy. CPA
(CNUDCI), HICEE B.V. c. Slovaquie, sentence partielle du 23 mai 2011, § 124 (« The witness evidence,
taken as a whole, fell into precisely that category against which the International Law Commission and
international tribunals have warned, namely ex post facto expressions of opinion about what was presumed
to have animated the negociation of a treaty text »).
395. CIRDI, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ARB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, § 125. Cf. sentence Vito G. Gallo, § 270, où le tribunal ne se prononce pas sur l’alourdissement du
standard de preuve lorsque la fraude est alléguée.
396. Sentence Libananco, § 125.
397. Voy. A. Crivellaro, « Transparence de la procédure et l’accès des tiers : amicus curiae », in
F. HorCHani (dir.), op. cit. note 7, p. 225 et s. ; S. Menétrey, « La transparence dans l’arbitrage d’investissement », Rev. Arb., 2012, n° 1, pp. 33 et s. ; M. ZaCHariasiewiCZ, « Amicus Curiae in International
Investment Arbitration : Can It Enhance the Transparency of Investment Dispute Resolution ? », Journal
of International Arbitration, vol. 29, n° 2, 2012, pp. 205 et s. Voy. également le projet de règlement sur
la transparence dans les arbitrages entre investisseurs et États fondés sur des traités (A/CN.9/WG.II/
WP.16), élaboré par le Groupe de travail II de la CNUDCI, qui comporte un projet d’article 5 relatif aux
« Observations présentées par des tiers » et un article 6 sur les « Observations présentées par une partie
au traité non partie au litige ».
398. Voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, pp. 718-721. Adde Ch. KnaHr, « The New Rules
on Participation of Non-Disputing Parties in ICSID Arbitration : Blessing or Curse ? », in Ch. Brown /
K. Miles, op. cit. note 41, pp. 319 et s.
399. CPA (CNUDCI), Chevron Corporation et Texaco Petroleum Corporation c. Équateur, ordonnance
procédurale n° 8, 18 avril 2011, § 7 ; CIRDI, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff. n° ARB/09/12,
ordonnance procédurale n° 8, 23 mars 2011.
400. Ordonnance Chevron et Texaco, § 7.
401. CNUDCI, Apotex Inc. c. États-Unis, ordonnance procédurale n° 2 sur l’intervention d’une tierce
partie, 11 octobre 2011, § 4.
402. CIRDI, Commerce Group Corp. et San Sebastian Gold Mines, Inc. c. Salvador, aff. n° ARB/09/17,
sentence du 14 mars 2011, §§ 40 et 81 et s., où le tribunal s’appuie sur l’interprétation de l’article 10.18 de
l’accord de libre-échange centraméricain défendue par le Costa Rica et le Nicaragua dans leurs soumissions
à titre d’amicus curiae. Cf. CNUDCI (ALENA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique,
sentence du 12 janvier 2011, § 59, où le Canada, conformément à l’art. 1128 de l’ALENA, a présenté des
conclusions au sujet de l’interprétation de l’art. 1105 de l’ALENA au regard du traité de Jay, d’une part,
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
588
arbitrage transnational et droit international général
d’ailleurs justifié qu’elle soit distinguée du cas des « vrais » amici curiae dans le
projet sur la transparence de l’arbitrage élaboré au sein de la cnudci 403.
la question spécifique de la participation d’« amis de la cour » à la procédure dès
le stade de la compétence a donné lieu en 2011 à plusieurs solutions distinctes. de
prime abord, les intérêts – qu’il s’agisse de l’intérêt général ou d’intérêts plus sectoriels – défendus par les organisations souhaitant participer à l’instance concernent
des questions de fond : il s’agit généralement d’attirer l’attention du tribunal sur des
éléments extérieurs au droit des investissements (défense des droits de l’homme, de
l’environnement etc.). dans cette optique, lorsqu’il y a bifurcation des procédures,
l’amicus curiae n’aurait pas vocation à se manifester au stade de la compétence
mais seulement à celui de l’examen des questions de fond 404. tel a été le sens
implicite de l’ordonnance rendue par la cour permanente d’arbitrage dans l’affaire
Chevron et Texaco. sur le fondement de l’article 15 du règlement d’arbitrage de la
cnudci de 1976 qui laisse le tribunal arbitral « procéder à l’arbitrage comme il le
juge approprié » 405, les arbitres ont discrétionnairement décidé de ne pas autoriser
« at this stage of the arbitration » la participation des organisations sollicitantes
en tant qu’amici curiae 406. si une solution similaire a été retenue par le tribunal
de l’affaire Apotex (refus de la participation en tant qu’amicus du Study Center for
Sustainable Finance, rattaché à l’entreprise de conseil BnM), le raisonnement pour
y aboutir a divergé. il est vrai qu’en plus du règlement de la cnudci était applicable la déclaration de la commission du libre-échange de l’AlenA qui comporte
une série de recommandations sur la participation de tierces parties 407. de plus, la
partie non contestante voulait faire valoir une position qui concernait directement
la compétence matérielle du tribunal dans la mesure où elle touchait à la définition
de l’investissement 408. s’il a admis implicitement que les perspectives différentes
offertes par les amici curiae pouvaient renforcer le processus arbitral 409, le tribunal
a en l’espèce rejeté la demande de BnM. en application des critères d’admission
des mémoires des tierces parties fixés par la commission du libre-échange 410, le
tribunal a jugé que l’apport à l’arbitrage de BnM sur la définition de l’investissement serait nul 411. en revanche, le tribunal a très explicitement considéré que les
et de la convention n° 169 de l’oit et de la déclaration des nations unies sur les droits des peuples indigènes, d’autre part.
403. voy. supra note 397. Cf. l’art. 63 du statut de la ciJ qui prévoit une procédure d’intervention
spécifique, non assimilable à une procédure d’amicus curiae, « [l]orsqu’il s’agit de l’interprétation d’une
convention à laquelle ont participé d’autres États que les parties en litige ».
404. en ce sens, voy. cnudci/AlenA, United Parcel Service of America Inc. c. Canada, décision sur
la demande d’intervention et la participation en tant qu’amicus curiae, 17 octobre 2011, § 71.
405. « sous réserve des dispositions du règlement, le tribunal arbitral peut procéder à l’arbitrage
comme il le juge approprié, pourvu que les parties soient traitées sur un pied d’égalité et qu’à tout stade de
la procédure chaque partie ait toute possibilité de faire valoir ses droits et proposer ses moyens » (§ 1). la
disposition est reprise en substance à l’art. 17 du règlement d’arbitrage de la cnudci modifié en 2010.
406. ordonnance Chevron et Texaco, § 20.
407. l’article A de la déclaration prévoit notamment : « Aucune disposition de l’Accord de libre-échange
nord-américain (« AlenA ») n’empêche un tribunal, s’il le juge approprié, d’accepter les mémoires écrits
présentés par une personne ou une entité qui n’est pas une partie contestante (« tierce partie ») » (§ 1).
408. cnudci (AlenA), Apotex Inc. c. États-Unis, ordonnance procédurale n° 2 sur l’intervention
d’une tierce partie, 11 octobre 2011, § 10 : « the Applicant seeks to put forward a position that ‘the expenses
(venture capital) of claimant cannot qualify as investment under NAFTA … and the Tribunal has no jurisdiction to enter into the merits of this case’ ».
409. ordonnance Apotex Inc., § 22.
410. Art. B, § 6, de la déclaration de la commission du libre-échange : « 6. Pour déterminer s’il autorise
une tierce partie à présenter un mémoire, le tribunal évaluera, entre autres, dans quelle mesure : a) le
mémoire de la tierce partie aidera le tribunal à se prononcer sur des questions de fait ou de droit rattachées
à l’arbitrage en offrant une perspective, des connaissances ou des idées particulières qui sont différentes
de celles des parties contestantes ».
411. « [T]here is nothing in BMN’s intended submission that can properly be characterised as reflecting a distinct insight or perspective on the definition of “investment” that would otherwise be absent from
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
589
questions de compétence sont bien des questions « liées à l’objet du différend » 412,
qui ne peuvent par principe être privées de la possibilité de recevoir l’éclairage
d’amici curiae 413.
5. Récusation des arbitres
la convention de Washington a incorporé en ses articles 57 et 58 les « principes généraux de procédure » qui donnent aux parties le « pouvoir de contester la
participation d’une personne à la formation de jugement » 414. leur mise en œuvre
est ainsi susceptible de dépasser le cadre du cirdi pour nourrir un droit commun
de la récusation des arbitres.
l’existence d’un mécanisme d’annulation des sentences au sein du cirdi
constitue un élément propre à éviter les demandes intempestives de récusation d’arbitres ayant rendu des sentences défavorables aux intérêts de la partie concernée 415.
Pourtant, le fait est qu’au niveau du cirdi les demandes de récusation sont de plus
en plus fréquentes. Pas moins de quatre décisions en la matière ont été rendues en
2011 – rejetant toutes la mise en cause du ou des arbitre(s).
conformément aux principes généraux en la matière, l’article 58 de la convention de Washington prévoit que la demande de récusation est examinée par le
tribunal arbitral amputé de l’arbitre dont la récusation est sollicitée 416. dans
l’affaire Nations Energy, la disposition a été appliquée mutatis mutandis à la
demande de récusation d’un membre de comité ad hoc d’annulation 417, à l’instar
de la solution qui avait été retenue dans l’affaire Vivendi 418. lorsque la demande
de récusation concerne plus de deux arbitres, l’article 58 dispose que la décision
sur la demande de récusation est prise par le président du conseil administratif du
cirdi 419. la disposition a été mise en œuvre de manière originale dans l’affaire
Abaclat où, à l’issue de la décision rendue sur la compétence, l’Argentine sollicitait
la récusation des deux arbitres majoritaires (Pierre tercier, président, et Albert Jan
van den Berg), l’arbitre minoritaire (Georges Abi-saab) ayant du reste démissionné
du tribunal. en effet, après diverses manœuvres de l’Argentine qui souhaitait
visiblement une extériorisation de la procédure, la décision de rejet a été prise
this arbitral process, and that would therefore be of assistance to the Tribunal » (§ 26). le tribunal estime
également que BnM n’a pas démontré en quoi « l’arbitrage présente un grand intérêt pour la tierce partie »
(art. B, § 6, litt c de la déclaration, § 28 de l’ordonnance), ni en quoi « la question soumise à l’arbitrage est
d’intérêt public » (art. B, § 6, litt. d de la déclaration et § 29 de l’ordonnance).
412. Art. B, § 6, litt. b de la déclaration.
413. §§ 32-33 de l’ordonnance. Autorisant la production d’un mémoire en amicus curiae du centre
pour le droit international de l’environnement afin d’assister le tribunal sur la résolution des questions
de compétence, à l’exclusion des questions de fond, voy. cirdi, Pac Rim Cayman LLC c. El Salvador, aff.
n° ArB/09/12, ordonnance procédurale n°8, 23 mars 2011, ii) et iii).
414. c. santuLLi, op. cit. note 277, p. 447, n° 777.
415. voy. d. cOHen, « indépendance des arbitres et conflits d’intérêts », Rev. Arb, 2011, n° 3,
pp. 648-650.
416. Art. 58 de la convention de Washington (« les autres membres […] du tribunal […] se prononcent
sur toute demande en récusation […] d’un arbitre ».
417. comité ad hoc cirdi, Nations Energy Inc., et al. c. Panama, aff. n° ArB/06/19, décision sur la
demande de récusation de M. Alexandrov, 7 septembre 2011, §§ 41 et s.
418. comité ad hoc cirdi, Compañiá de Aguas del Aconquija S.A. et Vivendi Universal S.A. c. Argentine, aff. n° ArB/97/3, décision sur la demande de récusation du président du comité, 3 octobre 2001,
§§ 1-13.
419. voy. par ex. cirdi, Universal Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff.
n° ArB/10/9, décision sur la demande de récusation du Professeur Brigitte stern et du Professeur santiago
tawil, arbitres, 20 mai 2011.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
590
arbitrage transnational et droit international général
après que le cirdi eut sollicité l’avis du secrétaire général de la cour permanente
d’arbitrage sur la demande de récusation 420.
les demandes de récusation examinées en 2011 ont reposé sur un « défaut
manifeste » 421 d’indépendance ou d’impartialité des arbitres. il revenait alors
à la partie concernée de démontrer que l’arbitre « lacks the quality of being a
person who can be relied upon to exercise independent judgment and impartiality
of judgment » 422. le standard de preuve est élevé dans la mesure où « the burden
of proof is on the challenging party to establish, first, the existence of the facts
from which it is said that a manifest lack of the relevant qualities can be inferred,
and, secondly, to establish that such an inference can reasonably be inferred in the
circumstances » 423. dans l’affaire Abaclat, l’Argentine estimait que les solutions
retenues par les arbitres majoritaires, concernant en particulier l’admission de
l’arbitrage de masse 424, lui étaient à ce point défavorables qu’elles constituaient la
preuve d’un manque d’indépendance et d’impartialité. Pour le secrétaire général de
la cPA toutefois « dissatisfaction with a ruling is not a fact indicating a manifest
lack of independence or impartiality » 425, et ce même si les arbitres étaient dans
l’erreur : « An arbitrator can be wrong in fact or in law, and still be independent
and impartial » 426. nonobstant le caractère prétendument injuste de la décision
arbitrale, en l’absence de preuves objectives établissant le manque d’indépendance
ou d’impartialité, la demande de récusation a reçu un avis négatif.
un problème particulier résulte de l’« hyperactivité » de certains arbitres,
nommés dans plusieurs affaires similaires, souvent par les mêmes États ou le
cabinet les représentant, et qui plus est parfois auteurs d’opinions individuelles
permettant de connaître précisément leurs positions sur certains points controversés du droit des investissements quand ils ne participent pas par ailleurs au
développement de la doctrine en ce domaine. dans le « petit monde » de l’arbitrage
transnational, ces personnes ont parfois acquis à leur grand dam une réputation
pro-État ou inversement pro-investisseur, de nature à nuire à l’impartialité, sinon
à l’apparence d’impartialité, qui doit s’attacher à leur jugement.
encore rares, les demandes de récusation fondées sur les nominations multiples
d’un arbitre par une partie ou un conseil ont fait l’objet de deux décisions en 2011,
concernant les professeurs Philippe sands et Brigitte stern. dans les deux cas, la
demande a été rejetée, faute d’avoir répondu à la « relatively high burden for those
seeking to challenge ICSID arbitrators » 427. en la matière, en effet, le manque
d’indépendance devant être « manifeste », il doit être « clearly and objectively established » ; dès lors il ne suffit pas de « to show an appearence of a lack of impartiality
420. cPA/cirdi, Abaclat et al. c. Argentine, aff. cPA n° ir 2011/1 et aff. cirdi n° ArB/07/5, recommandation sur la demande de récusation, 19 décembre 2011, §§ 15 et s.
421. Art. 57 de la convention de Washington : « une partie peut demander […] au tribunal la récusation d’un de ses membres pour tout motif impliquant un défaut manifeste des qualités requises par
l’article 14, alinéa (1) […] ». l’article 14, al. 1, prévoit que « [l]es personnes désignées pour figurer sur
les listes doivent jouir d’une haute considération morale, être d’une compétence reconnue en matière
juridique, commerciale, industrielle ou financière et offrir toute garantie d’indépendance dans l’exercice
de leurs fonctions. […] » (it. aj.).
422. cPA/cirdi, Abaclat et al., recommandation sur la demande de récusation, § 50.
423. Id., § 63. voy. aussi comité ad hoc cirdi, Nations Energy Inc., et al. c. Panama, aff. n° ArB/06/19,
décision sur la demande de récusation de M. Alexandrov, 7 septembre 2011, § 65 ; cirdi, Universal
Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff. n° ArB/10/9, décision sur la demande de
récusation du Professeur Brigitte stern et du Professeur santiago tawil, arbitres, 20 mai 2011, §§ 70 et s.
424. voy. supra iii, A, 3 et 4.
425. cPA/cirdi, Abaclat et al., recommandation sur la demande de récusation, § 60.
426. Id., § 63.
427. cirdi, OPIC Karimum Corporation c. Venezuela, aff. n° ArB/10/14, décision sur la demande de
récusation du Professeur Philippe sands, 5 mai 2011, § 45.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
591
or independence » 428. Ainsi la nomination de Brigitte stern à quatre reprises par
le venezuela n’a-t-elle pas été considérée comme un manque manifeste d’indépendance ou d’impartialité : ayant été désignée arbitre dans plus de vingt affaires
cirdi, le président du conseil administratif a considéré au terme d’une motivation assez expéditive que l’arbitre française n’était pas dans une situation de
dépendance à l’égard du venezuela 429. Pour autant, la question des nominations
multiples n’est pas un faux problème, comme l’ont noté avec pertinence les deux
arbitres de l’affaire OPIC :
« multiple appointments of an arbitrator are an objective indication of the view of
parties and their counsel that the outcome of the dispute is more likely to be successful
with the multiple appointee as a member of the tribunal than would otherwise be
the case » 430.
« Not only must Justice be done ; it must also be seen to be done », dit l’adage
anglais 431. la théorie de l’apparence milite en faveur d’un resserrement de l’examen
des nominations multiples ; il en va de la crédibilité de l’arbitrage transnational
en matière d’investissement 432.
6. Répartition des frais de l’arbitrage
Plusieurs sentences rendues en 2011 abordent la répartition des frais de l’arbitrage, qui incluent aussi bien les frais de procédure que les frais de représentation 433. la question est loin d’être anecdotique dans la mesure où le coût des
procédures arbitrales peut être important, parfois aussi élevé que le montant des
préjudices dont les tribunaux ont à connaître. l’enjeu est de trouver un équilibre
entre la volonté d’éviter que le risque de devoir supporter les frais d’arbitrage ne
dissuade les parties d’accéder aux tribunaux et le souci de prévenir les recours
abusifs ou les procédés dilatoires 434. Malgré cet enjeu, « il n’existe pas de règle
générale du procès international » en la matière 435. Pas de règle donc, mais des
tendances qui se dessinent dans la manière dont les arbitres usent de leur pouvoir
discrétionnaire.
428. décision OPIC, § 45.
429. cirdi, Universal Compression International Holdings, S.L.U. c. Venezuela, aff. n° ArB/10/9,
décision sur la demande de récusation du Professeur Brigitte stern et du Professeur santiago tawil,
arbitres, 20 mai 2011, § 77.
430. décision OPIC, § 47. la décision se réfère par ailleurs aux directives de l’international Bar
Association sur les conflits d’intérêts dans l’arbitrage international, et plus particulièrement à la « liste
orange » (relations pouvant faire douter de l’indépendance à révéler nécessairement) qui répertorie les
situations dans lesquelles l’indépendance ou l’impartialité d’un arbitre peut soulever des doutes raisonnables, au sein de laquelle figure la nomination d’un arbitre à plusieurs occasions par la même partie ou
le même conseil (§ 48).
431. R.v Sussex Justices, Ex parte McCarthy, [1924] 1 KB 256, [1923] All er 233.
432. dans le même sens, voy. comm. J. FOuret / d. kHayat, in The Law and Practice of International
Courts and Tribunals, vol. 11, 2012, p. 185.
433. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 466-469, nos 806 et s.
434. s. Manciaux, JDI, 2012/1, pp. 265 et s.
435. c. santuLLi, op. cit note 277, p. 467, n° 807. l’article 61, § 2, de la convention de Washington
prévoit seulement que « le tribunal fixe, sauf accord contraire des parties, le montant des dépenses exposées
par elles pour les besoins de la procédure et décide des modalités de répartition et de paiement desdites
dépenses, des honoraires et frais des membres du tribunal et des redevances dues pour l’utilisation des
services du centre. cette décision fait partie intégrante de la sentence ». les accords d’investissement
peuvent néanmoins encadrer ce pouvoir discrétionnaire, comme c’était le cas dans l’affaire Commerce
Group Corp. et Sans Sebastian Gold Mines citée infra note 440.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
592
arbitrage transnational et droit international général
la tendance initiale des tribunaux arbitraux était de s’aligner sur la pratique
suivie dans le contentieux international 436 en partageant à parts égales les frais
de procédure entre les parties et en les laissant payer leurs frais de représentation respectifs 437. cette tendance reste vivace, ainsi que l’illustre la sentence Tza
Yap Shum, où le demandeur a dû assumer ses frais de représentation, évalués
à 900.000 dollars, plus la moitié des frais de procédure, alors même qu’il n’avait
obtenu la condamnation du Pérou à réparer son préjudice « qu’à » hauteur d’environ
un million de dollars 438 ! un tribunal cnudci a également opté pour un partage
à parts égales, alors même que le règlement de la cnudci prévoit que la partie
perdante doit, en principe, supporter les frais de procédure. Pour ce faire, il a
tenu compte de la situation économique et sociale des demandeurs, membres des
« Premières nations d’Amérique du nord », et du comportement du défendeur qui,
s’il ne constituait pas une violation de l’AlenA, n’en était pas moins peu en accord
avec les droits des peuples autochtones 439. on remarque toutefois qu’il arrive de
plus en plus fréquemment que les arbitres qui optent pour une répartition à parts
égales des frais de l’arbitrage ne le font pas en application d’une sorte de règle automatique mais après avoir apprécié, d’une part, l’équilibre général de la sentence et,
d’autre part, l’attitude des parties au cours de la procédure arbitrale 440. cela les
rapproche de la méthode suivant laquelle « the costs follow the event ».
le cru 2011 confirme que les arbitres tendent à adopter cette approche, qui
conduit à faire supporter par la partie perdante tout ou partie des frais de l’arbitrage 441. compte tenu de ces coûts, cette pratique peut aboutir à mettre à la
436. ciJ, Demande de réformation du jugement no 158 du Tribunal administratif des Nations Unies,
avis consultatif du 12 juillet 1973, Rec. 1973, § 98, p. 212 : « il faut tenir compte aussi du principe fondamental en matière de dépens qui s’applique au contentieux devant les tribunaux internationaux, à savoir
que chacune des parties supporte ses propres frais à moins que le tribunal n’en décide autrement par une
décision expresse (voir l’article 64 du statut de la cour) ».
437. opérant un constat en ce sens avant d’en prendre le contre-pied, voy. cirdi, EDF (Services)
Ltd. c. Roumanie, aff. n° ArB/05/13, sentence du 8 octobre 2009, § 322.
438. cirdi, Tza Yap Shum c. Pérou, aff. n° ArB/07/6, sentence du 7 juillet 2011, §§ 293-302, jugeant
que cette solution est de nature à inciter les parties à adopter un comportement aussi diligent que possible
dans le cadre de la procédure arbitrale.
439. cnudci (AlenA), Grand River Enterprises e.a. c. États-Unis d’Amérique, sentence du 12 janvier
2011, §§ 244-247.
440. comité ad hoc cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, décision sur
la demande d’annulation, 16 septembre 2011, §§ 280-285, estimant que les deux parties sont à l’origine de
la procédure et qu’aucune de leur réclamation n’a abouti. voy. aussi, cirdi, El Paso Energy International
Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/15, sentence du 31 octobre 2011, §§ 748-751 et cirdi, Impregilo
S.p.A. c. Argentine, aff. n° ArB/07/17, sentence du 21 juin 2011, § 385, soulignant que chaque partie avait de
sérieux arguments à faire valoir et que les sentences n’ont donné que partiellement raison au demandeur ;
cirdi, Commerce Group Corp. et San Sebastian Gold Mines, Inc. c. Salvador, aff. n° ArB/09/17, sentence
du 14 mars 2011, §§ 135-139, appliquant l’article 10.20.6 du Central American-Dominican Republic Free
Trade Agreement qui prévoit une répartition à parts égales des frais d’arbitrage à moins que la demande
soit manifestement mal-fondée (frivolous), ce qui n’était pas le cas en l’espèce ; cirdi, Malicorp Limited
c. Égypte, aff. n°ArB/08/18, sentence du 7 février 2011, §§ 146-148, remarquant que, bien que le demandeur
ait succombé au fond, sa demande a été jugée recevable et que le défendeur « was not itself completely
beyond reproach » dans l’opération qui a conduit à la saisine du tribunal ; comité ad hoc cirdi, Duke
Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision sur la demande d’annulation, 1er mars
2011, §§ 259-268, entérinant l’accord entre les parties sur la prise en charge par le Pérou, à l’origine de
la demande d’annulation, des frais de procédure mais laissant chacune des parties assumer ses frais de
représentation au motif que le Pérou, qui a succombé, avait présenté des moyens d’annulation sérieux et
a poursuivi la procédure d’annulation de manière constructive et professionnelle. Pour une critique de ces
motifs, voy. s. Manciaux, JDI, 2012/1, pp. 265 et s.
441. cirdi, GEA Group Aktiengesellschaft c. Ukraine, aff. n° ArB/08/16, sentence du 31 mars 2011,
§§ 362 et s., mettant la totalité des frais à la charge de l’investisseur dont la demande n’a été jugée que
partiellement recevable et a été rejetée en totalité au fond ; cirdi, Joseph Charles Lemire c. Ukraine,
aff. n° ArB/06/18, sentence du 28 mars 2011, §§ 377-383, mettant une partie des frais de représentation
du demandeur à la charge du défendeur au motif que, bien que toutes ses prétentions n’aient pas été
accueillies, le premier est « the overall winning party », contra op. diss. voss ; cPA/cnudci, HICEE B.V.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
593
charge de la partie défaite des montants prohibitifs. il suffit pour s’en convaincre
de constater que, dans l’année, les demandeurs des affaires Spyridon Roussalis et
Libananco ont été condamnés à verser respectivement pas moins de six millions
d’euros 442 et quinze millions de dollars aux États qu’ils avaient attraits devant les
tribunaux. il faut dire que dans cette dernière affaire, les frais de représentation
de la turquie s’élevaient à trente-cinq millions de dollars, somme que les arbitres
ont ramené à quinze millions en ne tenant compte que des frais qu’ils ont jugé
nécessaires en suivant une « ‘broad-brush’ approach ». Ainsi amputée, cette somme
n’a pas semblé déraisonnable aux arbitres compte tenu de la situation financière
du demandeur et de l’enjeu de l’affaire, sa requête portant sur pas moins de dix
milliards de dollars 443. il n’en reste pas moins que l’approche suivant laquelle
« the costs follow the event » permet de tenir compte de l’attitude des parties, et
notamment du caractère abusif de leurs recours 444, et conduit donc les arbitres à
mettre en œuvre une forme de responsabilité de type procédural 445.
d. Voies de recours
1. Interprétation
Même si les recours en interprétation demeurent assez rares dans la pratique
contentieuse internationale, il est courant que les statuts des juridictions internationales ou les règlements d’arbitrage comportent des dispositions qui organisent ce
type de procédure 446. tel est l’objet de l’article 50 de la convention de Washington
sur le cirdi, sur le fondement duquel, dans l’affaire ATA, la Jordanie a adressé
une demande d’interprétation de la sentence rendue par un tribunal cirdi le
18 mai 2010 447. la sentence, constatant que la cour de cassation jordanienne
avait violé le droit au traitement juste et équitable en mettant fin à la convention
d’arbitrage contenue dans un contrat de construction, avait ordonné le retour au
c. Slovaquie, aff. n° 2009-11, sentence supplémentaire et finale, 17 octobre 2011, mettant la totalité des frais
supplémentaires à la charge du demandeur dès lors que le tribunal s’est déclaré incompétent. voy. aussi
comité ad hoc cirdi, Togo-Electricité et GDF-Suez Energie Services c. Togo, aff. n° ArB/06/07, décision
en annulation du 6 septembre 2011, §§ 254-261, mettant la totalité des frais à la charge de la république
togolaise, dont la demande d’annulation a été intégralement rejetée.
442. cirdi, Spyridon Roussalis c. Roumanie, aff. n° ArB/06/1, sentence du 7 décembre 2011,
§§ 878-882, jugeant que le demandeur doit supporter 60 % des frais d’arbitrage au motif que sa demande
a été rejetée mais que la demande reconventionnelle de la roumanie, dont les frais de représentation
s’élevaient à plus de dix millions d’euros, l’a également été.
443. cirdi, Libananco Holdings Co. Limited c. Turquie, aff. n° ArB/06/8, sentence du 2 septembre
2011, §§ 560-569.
444. voy. notamment comité ad hoc cirdi, RSM Production Corporation c. Grenade, aff. n° ArB/05/14,
ordonnance du comité mettant fin à la procédure et décision sur les coûts, §§ 55-69, mettant les frais à la
charge du demandeur qui a entamé la procédure d’annulation avant de s’en désister selon une stratégie
que le comité semble considérer comme abusive, même s’il n’estime pas nécessaire de l’affirmer explicitement. voy. aussi, comité ad hoc cirdi, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Royaume
Hachémite de Jordanie, aff. n° ArB/08/2, ordonnance prenant note du désistement, 11 juillet 2011, § 33,
mettant à la charge de l’investisseur une partie des frais engagés par la Jordanie, pourtant à l’origine de
la procédure d’annulation et qui s’en est ensuite désistée, au motif que le premier « increased unnecessarily
the costs of the proceeding for the other Party ». non seulement la demande d’annulation avait été formée
en réponse à une demande d’interprétation de l’investisseur peu fondée, mais ce dernier avait adopté des
manœuvres dilatoires.
445. voy. cette chronique in cet Annuaire, 2009, p. 723 ; 2010, pp. 640-641.
446. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 361 et s.
447. cirdi, ATA Construction, Industrial and Trading Company c. Jordanie, aff. n° ArB/08/2, décision
sur l’interprétation et la demande de mesures conservatoires, 7 mars 2011 (comm. J. cazaLa, in Cahiers
de l’arbitrage, 2011/4, pp. 1007 et s. et J. FOuret / d. kHayat, in The Law and Practice of International
Courts and Tribunals, vol. 11, 2012, p. 160).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
594
arbitrage transnational et droit international général
statu quo ante en décidant que le demandeur était « entitled to proceed to arbitration » 448. les parties s’opposaient sur la question de savoir si la restauration du
droit à l’arbitrage concernait uniquement la société turque AtA ou si la convention
d’arbitrage ressuscitait in toto – ce qui autoriserait un recours ou une demande
reconventionnelle de la partie jordanienne 449. eu égard aux conditions de délai
pour former une demande d’annulation – et sans doute pour exercer une certaine
pression sur le tribunal – l’État avait assorti sa demande d’interprétation d’une
requête auprès du secrétaire général du cirdi aux fins d’annulation de la sentence,
conformément à l’article 52 de la convention de Washington – demande retirée à
l’issue de la décision examinée, qui a tranché en faveur de l’interprétation de la
sentence formulée la Jordanie.
dans sa décision sur l’interprétation, le tribunal qui avait initialement rendu
la sentence 450 a constaté, au vu des soumissions contradictoires des parties, qu’il
y avait bien « a need for authoritative interpretation of the Award », bien qu’il ait
« some difficulty in seeing how its Award could be misunderstood » 451. cette (légitime) « pointe d’agacement » 452 mise à part, force est de constater qu’il y avait bien
« un différend qui [s’était] élev[é] entre les parties concernant le sens ou la portée
de la sentence » 453, qu’il lui revenait de trancher en application de la convention de
Washington. il aurait pu ajouter, conformément à la jurisprudence en matière d’interprétation, que le différend sur l’interprétation avait des conséquences pratiques
déterminantes pour la mise en œuvre de la sentence 454. faisant abstraction de la
formulation un peu maladroite, ou du moins imprécise, qu’il avait retenue dans
sa sentence, le tribunal a estimé qu’au regard des règles en matière de restitution
juridique, il aurait commis un excès de pouvoir en décidant d’une mesure de restitution juridique modifiant la clause compromissoire initiale. Partant, la convention
d’arbitrage prévue dans le contrat était restaurée in toto et non uniquement en
faveur de la société turque. la solution paraît à ce point évidente qu’elle aurait
pu conduire le tribunal à déclarer la demande irrecevable 455. faute d’avoir retenu
une telle position et en l’absence de développements sur la portée de l’article 50
de la convention de Washington, la décision apporte peu au régime des recours en
interprétation, au demeurant déjà bien dégrossi au niveau du cirdi par la décision
Wena Hotels de 2005 456.
2. Annulation
l’article 52 de la convention de Washington et la jurisprudence du cirdi y relative jouent un rôle de premier plan dans l’émergence d’un droit commun du contentieux de l’annulation des sentences arbitrales, moins au niveau de la procédure – qui
demeure spécifique au centre – qu’au regard des cas d’ouverture des recours et
448. sentence ATA Construction, § 132. voy. cet Annuaire 2010, p. 654.
449. voy. supra ii, B, 2, b.
450. Art. 50, § 2, de la convention de Washington : « la demande est, si possible, soumise au tribunal
qui a statué »
451. décision ATA Construction.
452. J. cazaLa, comm. précité note 447, § 5.
453. Art. 50 de la convention de Washington.
454. cirdi, Wena Hotels Ltd. c. Égypte, aff. n° ArB/98/4, décision sur l’interprétation du 31 octobre
2005, § 87.
455. c. santuLLi, op. cit. note 277, p. 361 n° 617, cité par J. cazaLa, comm. précité note 447, § 5.
456. voy. le commentaire de l’art. 50 de la convention de Washington in ch. scHreuer et al, op. cit.
note 369, pp. 866 et s.
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS
arbitrage transnational et droit international général
595
des pouvoirs de l’organe d’annulation 457. les trois comités ad hoc ayant rendu des
décisions en 2011 ont chacun réaffirmé la ligne dominante au niveau du cirdi,
selon laquelle l’examen de la sentence contestée demeure strictement limité – en
dépit des décisions de certains comités qui ont retenu une conception plus intrusive
de leur office 458. la décision rendue dans l’affaire Continental illustre ce retour à
une certaine orthodoxie dans l’examen des sentences contestées. le comité rappelle
que les cas limités d’ouverture du recours en annulation excluent qu’un comité ad
hoc remplisse la fonction d’une cour d’appel – expressément exclue par l’article 53
de la convention 459 – et s’emploie à reconsidérer la substance du différend 460. Ainsi,
l’excès manifeste de pouvoir ne sera pas caractérisé lorsque le tribunal applique le
droit applicable, même s’il n’a pas identifié ou pris en considération toutes les dispositions pertinentes du corpus juridique concerné 461. en effet, « [f]or the tribunal
to take such a view, righlty or wrongly, even merely by implication, is an exercise
of tribunal’s power, and not an excess of power » 462. sans aller jusqu’à poser une
présomption de validité de la sentence arbitrale examinée, le comité de l’affaire
Continental estime que si deux interprétations d’une sentence sont envisageables,
celle qui ne conduit pas à l’annulation doit être privilégiée, quitte à recourir à l’idée
que certaines déterminations du tribunal demeurent implicites 463. ce positionnement semble faire écho à l’affirmation du comité ad hoc de l’affaire Duke Energy,
selon lequel « [t]he role of an ad hoc committee is to ensure the stability of the ICSID
arbitration system, not to overthrow awards because of its disagreements with the
arbitral tribunal » 464. la multiplication des annulations de sentences arbitrales
imparfaites affecterait en effet probablement la stabilité de l’édifice cirdi, déjà
ébranlé par l’imprévisibilité résultant de décisions arbitrales contradictoires sur
des questions pourtant fondamentales du droit des investissements et les demandes
de récusation d’arbitres de plus en plus fréquentes. inversement, n’y a-t-il pas
lieu de considérer qu’un contrôle plus poussé des sentences par les comités ad hoc
pourrait non pas seulement garantir une plus grande rectitude des sentences mais
surtout œuvrer en faveur d’une harmonisation des solutions ? en bout de course,
le système d’arbitrage cirdi en ressortirait renforcé.
457. voy. c. santuLLi, op. cit. note 277, pp. 375 et s. et la présente chronique in cet Annuaire, 2009,
pp. 725-726. voy. aussi c. B. LaMM, « internationalization of the Practice of law and important emerging
issues for investor-state Arbitration », RCADI, vol. 354, 2011, pp. 35 et s.
458. voy. la présente chronique in cet Annuaire, 2010, pp. 644-646 et ch. scHreuer, « from icsid
Annulment to Appeal. Half Way down the slippery slope », The Law and Practice of International Courts
and Tribunals, 2011, pp. 211-225.
459. « la sentence […] ne peut faire l’objet d’aucun appel […] » (§ 1).
460. comité ad hoc cirdi, Continental Casualty Company c. Argentine, aff. n° ArB/03/9, décision
sur la demande d’annulation, 16 septembre 2011, § 81. dans l’affaire Togo-Électricité, le comité ad hoc
saisi ajoute que, toute possibilité d’appel étant exclue, il « ne peut prendre en considération de nouveaux
éléments concernant le fond d’une affaire dans le cadre d’une procédure en annulation » (comité ad hoc
cirdi, Togo-Électricité et GDF-Suez Énergie Services c. Togo, aff. n° ArB/06/07, décision en annulation
du 6 septembre 2011, § 50). de même, le comité ad hoc de l’affaire Duke Energy refuse de « consider the
objections taken by a party to the decision or award of a tribunal in isolation from the grounds specified
in Article 52(1). To do so would amount to an appeal – a remedy which the Contracting States decided by
Article 53(1) should not be available » (comité ad hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments
n° 1, Ltd c. Pérou, décision du 1er mars 2011, § 89).
461. décision Continental Casualty, § 91.
462. Id., § 92. dans le même sens, voy. comité ad hoc cirdi, Togo-Électricité et GDF-Suez Energie
Services c. Togo, § 57. le comité a également estimé que l’excès manifeste de pouvoir implique un examen
prima facie de l’excès allégué, qui doit alors « sauter aux yeux » (§§ 55-56).
463. décision Continental Casualty, §§ 256-257.
464. comité ad hoc cirdi, Duke Energy International Peru Investments n° 1, Ltd c. Pérou, décision
du 1er mars 2011, § 165 (comm. J. FOuret / d. kHayat, in The Law and Practice of International Courts
and Tribunals, vol. 11, 2012, pp. 154 et s.).
TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS - TIRÉS À PART . CNRS ÉDITIONS