a quel moment commence et finit la personne

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a quel moment commence et finit la personne
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Version pré-print : pour citer cet article :
« La notion de personne en droit : à quel moment
commence et termine la personne » ? in La personne dans
les sociétés techniciennes,dir. R. Mache, l’Harmattan,
2007, p. 59
2
A
L E S
A P P L I C A T I O N S
:
Q U E L M O M E N T C O M M E N C E
E T F I N I T L A P E R S O N N E ?
La notion de personne en droit, si elle peut faire l’objet
d’une définition théorique, est nécessairement confrontée, en
pratique, à ses limites. Au-delà des rapprochements que l’on
peut mettre en évidence entre la personne et d’autres entités (les
animaux, la nature), il faut s’interroger avant tout sur le
commencement et la fin de la personne. Si l’on part d’un
présupposé théorique, selon lequel la personne juridique est
celle qui bénéficie de droits,1 on peut tenter de déterminer le
début et la fin d’une personne avec l’émergence et la disparition
des droits dont cette personne peut se prévaloir. Cette méthode
peut être appliquée à la période qui précède la naissance de la
personne humaine – c’est la question du statut juridique de
l’embryon et du fœtus (I) – mais on peut encore l’utiliser en ce
qui concerne le statut juridique du défunt (II).
Une hypothèse peut alors être soumise à vérification :
l’embryon ou le défunt ne peuvent être considérés comme des
personnes juridiques que s’ils bénéficient de droits. Une telle
problématique n’appelle pas de réponse tranchée.
1
Et parallèlement, sur qui repose des obligations ; mais cet aspect de la
question n’est pas nécessaire à la démonstration.
- 18 -
I ) D É F I N I T I O N
E T
D E L A P E R S O N N E
S T A T U T D E L ’ E N F A N T
C O N Ç U
La question du statut de l’embryon (ou du fœtus) s’est
présentée au juriste avec une particulière acuité depuis la
dépénalisation de l’avortement en 1975. Depuis, elle fait l’objet
d’un débat récurrent en matière de droit de la bioéthique. Sans
trancher ce débat, on peut mettre en évidence un certain nombre
d’éléments qui tendent à distinguer l’embryon de la personne
humaine (A) alors que d’autres éléments contribuent, au
contraire, à rapprocher l’embryon de la personne (B).
A) LE STATUT JURIDIQUE DE L’ENFANT CONÇU LE DISTINGUE
DE LA PERSONNE HUMAINE
L’embryon ou le fœtus possède un statut juridique
particulier qui lui empêche de bénéficier les droits les plus
fondamentaux (1) et qui ne le protège pas contre un risque de
destruction (2).
1) L’enfant conçu ne possède pas de droits
fondamentaux
Il faut citer en premier lieu l’article 16 du Code civil
selon lequel « La loi assure la primauté de la personne, interdit
toute atteinte à la dignité de celle-ci et garantit le respect de
l'être humain dès le commencement de sa vie ». Ce texte peut
être interprété comme établissant une distinction entre la
personne humaine et l’être humain. L’être humain existe dès le
commencement de sa vie, c'est-à-dire dès sa conception et il
doit être respecté ; mais, dans l’article 16 il se distingue de la
personne humaine, laquelle bénéficie de la primauté2. Ce texte,
2
Ce terme étant lui-même particulièrement ambigu.
- 19 -
qui émane de la loi de 1975 sur l’IVG 3 reprend, en réalité, une
distinction qui transparaissait déjà dans la Déclaration des droits
de l’homme et du citoyen de 1789. Dans son article 1er, ce texte
dispose que « les hommes naissent et demeurent libres et égaux
en droit » 4. Il sous-entend de façon assez explicite que l’égalité
juridique des hommes débute à leur naissance. Avant cette date,
il n’y a point d’égalité et l’embryon ne peut être traité comme
un homme juridique, c'est-à-dire comme une personne.
L’embryon ne bénéficie pas d’une égalité de
traitement juridique, c'est-à-dire qu’il ne peut se prévaloir de
droits fondamentaux, tel que le droit à la vie. On trouve une
illustration de ce statut juridique précaire dans le droit de la
procréation médicalement assistée. Selon le Code de la santé
publique, cette technique de procréation est admise pour
répondre à la demande parentale d’un couple. L’assistance à la
procréation ne peut donc être envisagée que dans le cadre d’un
projet parental. Le problème se pose néanmoins, une fois
l’embryon conçu in vitro, de savoir si cet embryon peut se
prévaloir d’un droit à vivre, c'est-à-dire, en premier lieu, à
naître. La question a été soulevée d’abord en jurisprudence à
propos du transfert in utero de l’embryon post mortem, c'est-àdire postérieurement au décès du père. La jurisprudence, puis la
loi, ont interdit ce transfert 5 soulignant ainsi l’absence d’un
droit à l’existence de l’embryon indépendamment du projet
parental. Si l’embryon ne possède pas un droit autonome à
naître, il est aussi mal protégé contre le risque d’atteinte portée à
son existence in vitro ou in utero.
3
Loi nº 75-596 du 9 juillet 1975 art. 6 Journal Officiel du 10 juillet 1975 ;
inséré dans le Code civil par la Loi nº 94-653 du 29 juillet 1994 art. 1 I, II,
art. 2 Journal Officiel du 30 juillet 1994.
4
Cité par P. Sargos, dans son rapport sous cass. ass. plén., 29 juin 2001. La
décision est disponible ainsi que le rapport et les conclusions de l’avocat
général sur le site de la Cour de cassation : http://www.courdecassation.fr/
(rubrique « grands arrêts »). Pour un commentaire doctrinal : cf. not. Sur cette
décision, Y. Mayaud, D. 2001, juris., p. 2917.
5
Article L2141-2 C.sant.pub., loi nº 2004-800 du 6 août 2004 art. 24 I Journal
Officiel du 7 août 2004 : « L'homme et la femme formant le couple doivent
être vivants ». cf. aussi, L. Brunet, de la distinction entre « personne » ou «
chose » en droit civil : a propos du transfert post mortem d’embryon, in la
recherche sur l’embryon, qualifications et enjeux, RGDM, 2000, n°spécial., p.
57.
- 20 -
2) L’enfant conçu n’est pas protégé contre une atteinte
à sa vie
Cette absence de protection est particulièrement
évidente à propos de l’interruption volontaire de grossesse.
Qu’elle soit justifiée par une nécessité médicale, par la détresse
de la mère ou par la liberté de choix de celle-ci, l’IVG n’en reste
pas moins, au regard de l’embryon et d’un point de vue
juridique, un acte de destruction et d’atteinte à la vie 6. En
dehors de tout débat d’ordre éthique, cette atteinte à la vie ne
peut faire l’objet que de deux interprétations. Soit l’IVG est
considérée comme une atteinte à la vie réprimée par les
dispositions du Code pénal sur l’homicide volontaire, mais qui
fait l’objet d’une autorisation légale7, soit l’IVG n’est pas
considérée comme un homicide et l’embryon doit être exclu de
la catégorie des personnes au sens juridique du terme.
C’est la seconde interprétation qui a été préférée par la
jurisprudence à propos de la destruction involontaire
d’embryons et de fœtus. On peut citer à ce titre la décision
rendue le 9 mars 2004 par le Tribunal administratif d’Amiens 8,
lequel a été saisi d’une action en responsabilité dirigée contre un
centre hospitalier en raison de la destruction d’embryons
surnuméraires. Dans cette espèce, un récipient contenant des
embryons congelés destinés à une PMA s’était fissuré, puis
réchauffé. Les parents avaient demandé à l’hôpital des
dommages-intérêts pour perte d’être cher. Cette demande fut
rejetée par le tribunal qui affirma clairement que les embryons
surnuméraires « ne sont pas des personnes » et que les parents
6
Atteinte qui est limitée dans le temps pour l’IVG décidée par la mère, mais
qui peut avoir lieu jusqu’à la naissance en ce qui concerne l’IVG
thérapeutique. Article L2213-1 du code de la santé publique : « L'interruption
volontaire d'une grossesse peut, à toute époque, être pratiquée si deux
médecins membres d'une équipe pluridisciplinaire attestent, après que cette
équipe a rendu son avis consultatif, soit que la poursuite de la grossesse met
en péril grave la santé de la femme, soit qu'il existe une forte probabilité que
l'enfant à naître soit atteint d'une affection d'une particulière gravité reconnue
comme incurable au moment du diagnostic ».
7
L’autorisation de la loi est alors conçue comme un fait justificatif qui fait
échapper son auteur à toute poursuite pénale.
8
TA Amiens, 9 mars 2004, JCP 2005, II, 10003, note I. Corpart.
- 21 -
« ne sont pas fondés à se prévaloir de l’existence d’un préjudice
moral résultant, selon eux, de la perte d’un être cher » 9.
Cette jurisprudence est conforme à la politique du
législateur sur ce point. Lorsque le couple qui a eu recours à une
PMA a abandonné son projet parental, les embryons
surnuméraires peuvent être confiés à un autre couple, destinés à
la recherche, ou tout simplement détruit à l’issue d’un délai de
cinq ans 10. L’absence d’utilité de l’embryon surnuméraire ouvre
la voie à sa destruction, soulignant un peu plus l’absence d’un
droit de l’embryon à une existence autonome. Ce statut précaire
est encore appliqué à l’embryon ou au fœtus qui se développe in
utero.
La question s’est posée à de multiples reprises à propos
du décès prématuré d’embryons ou de fœtus à l’occasion d’un
accident de la circulation. Dans de telles circonstances, la
question se pose de savoir si l’auteur de l’accident peut être
condamné sur le fondement du délit d’homicide involontaire11.
La réponse à cette question a fait l’objet d’un important débat
avec, en filigrane, l’enjeu qui consiste à déterminer la date à
partir de laquelle l’être humain peut se prévaloir d’un droit à
vivre.
Le débat s’est alors porté sur la date à partir de
laquelle le fœtus est considéré comme viable. La viabilité du
fœtus peut être définie comme l’aptitude à vivre de façon
autonome une fois séparée de la mère. Ce stade du
développement est essentiel, car il permet de séparer
physiquement l’enfant de sa mère. Le critère pourrait aussi
permettre de distinguer juridiquement ces deux personnes ; mais
le problème réside dans le fait que la viabilité est très difficile à
dater 12. L’académie de médecine, interrogée par la Cour de
9
On peut souligner à cet égard que le décès d’un animal peut provoquer, selon
la Cour de cassation, la perte d’un être cher. Cass. civ 1ère, 16 fév. 1962, D.
1962, juris., p. 199.
10
Art 2141-4 C. sant.pub. issu de la loi 2004-800 du 6 août 2004.
11
Atteinte involontaire à la vie, C.pén., art 221-6 et suiv.
12
Cf. par exemple J. Saint-Rose, conclusions sous cass. ass. plén., 29 juin
2001. « On estime généralement en France, dans les services de réanimation
néonatale qu'à partir de 32 semaines de grossesse une viabilité sans aide
médicale est acquise. A partir de 24 semaines la réanimation est en général
justifiée ; entre 22 et 24 semaines de grossesse elle se discute davantage en
raison d'une mortalité plus élevée et des risques de séquelles graves ; enfin, en
- 22 -
cassation, a noté que la notion de viabilité « est étroitement liée
aux possibilités de prise en charge médicale » 13. En d’autres
termes, la viabilité de l’enfant dépend avant tout des progrès de
la médecine dans l’assistance aux enfants prématurés. Ce
critère, par son imprécision, est difficile à transposer dans le
domaine juridique et le problème demeure entier.
En l’absence d’une distinction suffisamment nette de
la viabilité du fœtus, la Cour de cassation s’est contentée
d’appliquer les principes généraux du droit pénal à l’homicide
sur le fœtus. Dans un arrêt d’assemblée plénière, la Cour a alors
affirmé que le principe de l’interprétation stricte de la loi pénale
« s’oppose à ce que l’incrimination prévue par l’article 221-6
du Code pénal réprimant l’homicide involontaire d’autrui, soit
étendue au cas de l’enfant à naître, dont le régime juridique
relève de textes particuliers sur l’embryon ou le fœtus » 14. En
d’autres termes, l’enfant à naître est placé sous un régime
particulier qui le distingue de la personne. La destruction de
l’embryon ou du fœtus ne peut être qualifiée d’homicide.
Le débat a été alors porté devant la Cour européenne
des droits de l’homme pour savoir si l’embryon pouvait être
protégé par l’article 2 de la Convention européenne des droits
de l’homme garantissant le droit à la vie15. La Cour européenne,
dans un arrêt du 8 juillet 2004 16, a d’abord souligné l’absence de
consensus européen sur la nature et le statut de l’embryon et du
fœtus. Elle a ensuite affirmé qu’il n’était ni souhaitable, ni
possible de répondre à la question de savoir si l’enfant à naître
était une « personne » au sens de la Convention. En
conséquence, elle a pu déclarer que le droit français n’était pas
en contradiction avec le texte européen.
La question de l’homicide involontaire sur le fœtus
semble confirmer l’hypothèse selon laquelle les droits de la
dessous de 22 semaines de grossesse la réanimation fœtale n'est entreprise
qu'exceptionnellement. Le seuil de 22 semaines de grossesse paraît
difficilement franchissable car avant cette date l'air ne passe pas dans les
poumons ».
13
Cité par P. Sargos, dans son rapport sous ass. plén., 29 juin 2001.
14
Cass. ass. plén., 29 juin 2001 précit, n°99-85.973.
15
Conv.EDH art 2 : « Le droit de toute personne à la vie est protégé par la
loi ».
16
CEDH, 8 juillet 2004, Vo c/ France, D. 2004, chr., p. 2801, E. Serverin ; et
juris., p. 2456, note J. Pradel.
- 23 -
personnalité ne sont acquis qu’à partir de la naissance de
l’enfant. Avant la naissance, l’enfant conçu ne peut revendiquer
aucun des droits les plus fondamentaux de la personne. Cela ne
signifie pas, pour autant, que la période anténatale soit une zone
de non-droit. Bien au contraire, l’enfant conçu est l’objet de
nombreux textes qui en définissent le statut juridique. Un statut
qui rapproche cet être humain de la notion de personne
juridique.
B) LE STATUT JURIDIQUE DE L’ENFANT CONÇU LE
RAPPROCHE DE LA PERSONNE HUMAINE
Pour définir le statut de l’enfant conçu, les juristes ont
l’habitude de citer une maxime latine encore appliquée
aujourd’hui en droit des successions. Selon cette maxime,
l'enfant conçu est considéré comme né chaque fois qu'il s'agit
de ses intérêts 17. Par exemple, il a été jugé qu'un enfant conçu
au moment de l'accident mortel de travail survenu à son père,
pouvait prétendre à l’octroi d’une rente indemnitaire18. Pour
autant, la règle de l’assimilation de l’enfant conçu à l’enfant né
est imparfaite. En effet, les droits de l’enfant conçus ne seront
mis en œuvre qu’après la naissance. Si l’enfant décède avant sa
naissance, ou s’il naît non-viable, la règle doit être écartée 19.
Dès lors, c’est bien la naissance qui constitue la condition
nécessaire à l’acquisition d’un droit patrimonial. Mais la
formule de la maxime suggère l’ambiguïté du statut de l’enfant
à naître 20. Cette ambiguïté a été appuyée par le premier avis
rendu par le Comité consultatif national d’éthique le 22 mai
1984. La haute instance a ainsi affirmé que « l'embryon ou le
fœtus doit être reconnu comme une personne humaine
17
infans conceptus pro nato habetur quoties de commodis ejus agitur. Pour
une application, cf. par exemple Cass. civ. 1ère, 10 déc. 1985, bull, n°339, D.
1987, p. 449, defrenois 1986, p. 668.
18
Cass. ch. réun., 8 mars 1939, Bull. civ., n° 70.
19
Cf. sur ce point supra, in 1) Approche théorique.
20
Ambiguïté reprise par certains textes internationaux. Par exemple, la
Convention internationale relative aux Droits de l'Enfant du 20 novembre
1989 stipule que « L'enfant a besoin d'une protection spéciale notamment
d’une protection juridique appropriée avant comme après sa naissance ».
- 24 -
potentielle ». Elle en déduit certains principes tels que
l’interdiction de toute expérimentation in utero ou de toute
utilisation commerciale ou industrielle de l’embryon et du
fœtus.
Le Comité national d’éthique a ainsi marqué une
volonté de distinguer l’enfant conçu d’une simple chose pour le
rapprocher d’une personne sans pour autant procéder à une
assimilation. En droit, ce statut intermédiaire se caractérise par
une protection qui éloigne l’enfant conçu de tout risque de
réification (1), mais aussi, et c’est plus surprenant, par certains
mécanismes juridiques qui aménagent indirectement des droits à
son profit (2).
1) Une protection juridique qui éloigne l’enfant conçu
du risque de réification
Le statut juridique de l’embryon résulte d’un ensemble
de textes qui posent un cadre strict pour chacune des atteintes à
la vie ou à l’intégrité de l’enfant conçu.
Ce dernier fait ainsi l’objet d’une protection pénale
détaillée qui prohibe par exemple l’interruption de grossesse
sans le consentement de la mère 21 ou encore l’interruption de
grossesse d’autrui exercée au-delà de l’expiration du délai
légal 22. Plus particulièrement, dans le Code pénal, figure une
section dédiée à la protection de l’embryon humain. Un
ensemble d’incriminations prohibent ainsi le commerce des
embryons 23 ou leur fabrication par clonage dans un but
thérapeutique ou scientifique 24.
Plus précisément, certaines utilisations licites de
l’embryon font l’objet d’une réglementation qui tend à montrer
que le statut de l’embryon se rapproche de celui d’un jeune
enfant. Tel est le cas de la loi du 6 août 2004 qui a ouvert la
possibilité de réaliser des recherches sur l’embryon. Certains
auteurs ont pu évoquer, à propos de cette loi, le spectre de la
21
C.pén. art 223-10.
C. sant.pub : art L. 2222-2. Il est à souligner que seul celui qui pratique
l’IVG illégale peut être poursuivi. La mère échappe, quant à elle, à
l’interdiction.
23
C.pén., art 511-15.
24
C.pén. art 511-18 et 511-18-1.
22
- 25 -
réification 25. Bien au contraire, la protection juridique accordée
à l’embryon est proche de celle qui concerne l’expérimentation
humaine sur les enfants 26. Quelques comparaisons suffisent à
s’en convaincre.
1) La recherche sur l’embryon est soumise à la double
condition qu’il n’existe pas de méthode alternative d’efficacité
comparable et que cette recherche soit susceptible de permettre
un progrès thérapeutique majeur 27. La recherche sur l’enfant né
est aussi soumise à la double condition que des recherches d'une
efficacité comparable ne puissent être effectuées sur des
personnes majeures et que l'importance du bénéfice escompté
pour les mineurs soit de nature à justifier le risque prévisible
encouru 28.
2) La recherche sur l’embryon ne peut être réalisée
qu’avec le consentement écrit du couple qui l’a conçu dès lors
que le projet parental a été abandonné 29. La recherche
biomédicale sur la personne d’un mineur est elle aussi soumise
à l’exigence d’un consentement écrit donné par les titulaires de
l’autorité parentale 30.
3) Le protocole de recherche sur l’embryon doit faire
l’objet d’une autorisation donnée par l’agence de la
biomédecine 31. Quant à la recherche sur le mineur, elle est
soumise, comme toute recherche biomédicale, à l’avis favorable
du comité de protection des personnes 32.
Ainsi, de nombreuses similitudes peuvent être établies
en ce qui concerne le statut de l’enfant conçu et celui de l’enfant
né au regard de l’encadrement juridique auquel sont soumises
les expérimentations. Des similitudes se retrouvent, dans un tout
autre champ du droit, en ce qui concerne l’état civil de l’enfant
conçu lorsque ce dernier vient à décéder avant sa naissance.
25
A. Dorsner-Dolivet, De l’interdiction du clonage à la réification de l’être
humain, JCP 2004, I, 172
26
Résultant de la loi nº 2004-806 du 9 août 2004, Journal Officiel du 11 août
2004.
27
C. sant.pub. art L. 2151-5.
28
C. sant.pub. art L. 1121-7.
29
C. sant.pub. art L. 2151-5.
30
C. sant.pub. art 1122-2.
31
C. sant.pub. art. L. 2151-5.
32
C. sant.pub. art. 1121-4.
- 26 -
L’enfant mort-né bénéficie alors d’une procédure particulière
d’inscription à l’état civil.
Le rôle de l'état civil consiste à répertorier les
naissances, les décès et les principaux événements de la vie des
personnes 33. Pourtant, lorsque l’enfant n’est pas né viable, une
procédure particulière est offerte aux parents afin d’indiquer
symboliquement, sur le registre d’état civil, que l’enfant a
existé. C’est l’acte d’enfant sans vie 34. L’officier d’état civil
dresse cet acte en indiquant le jour, l’heure et le lieu de
l’accouchement ainsi que l’identité des parents. Cet acte ne
préjuge pas de savoir si l’enfant a vécu ou non. Ainsi, l’enfant
conçu qui n’a jamais accédé à la vie après l’accouchement
reçoit aussi une reconnaissance juridique, sans pour autant que
cette reconnaissance ne crée des droits à son profit. Ces droits
existent pourtant avant la naissance dans certaines circonstances
particulières.
2) Des mécanismes juridiques qui accordent des droits
à l’enfant conçu
De façon très particulière, en droit international, il est
possible d’évoquer le cas peu fréquent, mais signifiant, de
l’exécution d’une femme enceinte. Cette hypothèse est prévue
dans le pacte international relatif aux droits civils et politiques
du 16 décembre 1966. Cette convention internationale stipule,
dans son article 6, que le droit à la vie est inhérent à la personne
humaine et précise qu’une sentence de mort ne peut être
exécutée contre des femmes enceintes. Ainsi, de façon indirecte,
le pacte établit une distinction entre la femme qui est
condamnée à mort pour avoir commis un crime, et l’enfant qui
bénéficie du droit à vivre malgré la peine qui frappe sa mère.
D’un point de vue éthique, la solution paraît évidente, mais d’un
point de vue juridique, elle réintroduit l’idée que l’enfant à
naître peut bénéficier des mêmes droits que les autres personnes
humaines.
De façon plus symptomatique en droit français, on
peut déduire de certaines décisions que l’enfant conçu est
33
Frédérique GRANET, Etat civil et décès périnatal dans les Etats de la CIEC,
JCP 1999, I 124.
34
C.civ. art 79-1.
- 27 -
protégé par le droit au respect de sa dignité. Le droit à la dignité
est visé par l’article 16 du Code civil et il est réservé, selon ce
texte, à la personne humaine. Une interprétation stricte devrait
conduire à exclure l’enfant simplement conçu du champ
d’application du principe de dignité. Telle n’est pas la solution
retenue par le Conseil constitutionnel qui a eu à se prononcer
sur cette question à propos de l’examen de la loi prolongeant le
délai de l’interruption volontaire de grossesse de dix à douze
semaines 35. Pour le Conseil 36, cette loi « n’a pas rompu
l’équilibre (…) entre, d’une part la sauvegarde de dignité de la
personne humaine contre toute forme de dégradation et, d’autre
part, la liberté de la femme qui découle de l’article 2 de la
Déclaration des droits de l’homme et du citoyen ». En plaçant
face à face la liberté de la femme et le principe de dignité à
propos de l’IVG, le Conseil constitutionnel a reconnu
implicitement que l’embryon ou le fœtus était protégé par le
droit à la dignité ; et que ce droit pouvait, dans une certaine
mesure, être opposé à celui de la mère. Loin de la réification,
cette décision marque au contraire un net rapprochement entre
le statut de l’enfant conçu et celui de la personne humaine. La
difficile frontière qui existe entre le commencement de la vie et
la naissance, se prolonge lorsque, à l’issue de sa vie, l’être
humain passe de l’état de personne à celui de défunt.
I I )
D E F I N I T I O N
D E L A
P E R S O N N E E T S T A T U T D U
D E F U N T
La mort de la personne humaine est définie
juridiquement par le Code de la santé publique. Elle consiste
soit dans l’arrêt cardiaque, soit dans l’état de mort cérébrale qui
désigne l’arrêt irrémédiable de toutes les activités du cerveau
35
Loi n°2001-588 du 4 juillet 2001 – art L. 2212-3 et suiv. C.sant.pub.
CC, 27 juin 2001, déc. N°2001-588, JCP 2001, II, 10635 ; D. 2001, juris., p.
2533.
36
- 28 -
bien que la respiration et les battements du cœur puissent être
maintenus artificiellement 37.
Le statut juridique du défunt oscille entre celui de chose
et celui de personne humaine. Le Code de la santé publique
utilise l’expression « personne décédée ». Le Code pénal, quant
à lui, parle d’atteinte à « l’intégrité du cadavre » mais vise aussi
la « mémoire des morts ». La personnalité de l’individu décédé
persiste ainsi, au moins de façon symbolique, à travers le
vocabulaire employé. Ce qui distingue le défunt de l’enfant
conçu, réside notamment dans le fait que le premier a connu une
existence en tant que personne humaine. À ce titre, il a pu
exprimer une volonté qui constitue l’un des critères de la
personnalité. L’appréhension du défunt par le droit doit ainsi
tenir compte de cette volonté qui a été exprimée et produira des
effets après le décès.
Pour autant, peut-on encore parler de personne humaine
à propos du défunt ? Il faut revenir vers l’hypothèse de départ,
qui attribue la personnalité juridique à celui qui peut se
prévaloir de droits. Ainsi, le défunt ne demeure une personne
humaine que s’il a pu conserver ses droits. On constatera ainsi
que les droits du défunt ne disparaissent que partiellement (A)
alors que sa volonté survit, dans une certaine mesure, à son
décès (B).
37
Article R1232-1 C.sant.pub : « Si la personne présente un arrêt cardiaque
et respiratoire persistant, le constat de la mort ne peut être établi que si les
trois critères cliniques suivants sont simultanément présents : 1º Absence
totale de conscience et d'activité motrice spontanée ; 2º Abolition de tous les
réflexes du tronc cérébral ; 3º Absence totale de ventilation spontanée ».
Article R1232-2 C.sant.pub : « Si la personne, dont le décès est constaté
cliniquement, est assistée par ventilation mécanique et conserve une fonction
hémodynamique, l'absence de ventilation spontanée est vérifiée par une
épreuve d'hypercapnie. De plus, en complément des trois critères cliniques
mentionnés à l'article R. 1232-1, il est recouru pour attester du caractère
irréversible de la destruction encéphalique : 1º Soit à deux
électroencéphalogrammes nuls et aréactifs effectués à un intervalle minimal
de quatre heures, réalisés avec amplification maximale sur une durée
d'enregistrement de trente minutes et dont le résultat est immédiatement
consigné par le médecin qui en fait l'interprétation ; 2º Soit à une
angiographie objectivant l'arrêt de la circulation encéphalique et dont le
résultat est immédiatement consigné par le radiologue qui en fait
l'interprétation ».
- 29 -
A) LA DISPARITION PARTIELLE DES DROITS DU DEFUNT
De façon similaire à l’enfant simplement conçu, le
défunt perd la plupart de ses droits fondamentaux (1) 38 ; mais il
bénéficie toujours d’une protection juridique (2).
1) L’extinction des droits de la personnalité
Cette disparition semble logique dans la mesure où le défunt ne
laisse derrière lui que son patrimoine alors même que les droits
de la personnalité présentent un caractère extrapatrimonial. On
peut citer, de façon topique, le droit au respect de la vie privée
prévu à l’article 9 du Code civil. « Le droit au respect de la vie
privée n’appartient qu’aux vivants » affirmait clairement la
Cour d’appel de Paris dans un arrêt du 6 mai 1997 39. Cette
solution a été confirmée par la Cour de cassation à propos de la
publication d’un ouvrage révélant la maladie d’un président de
la République après le décès de ce dernier. La Cour a pu
affirmer que « le droit d'agir pour le respect de la vie privée
s'éteint au décès de la personne concernée, seule titulaire de ce
droit » 40.
Une solution identique est reprise à l’article 34 de la loi
du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse à propos de la
diffamation. Cette infraction, qui constitue une atteinte à
l’honneur de la personne diffamée, connaît un champ
d’application réduit en ce qui concerne le défunt. La loi prévoit
ainsi que la diffamation et l’injure contre la mémoire des morts
ne peuvent donner lieu à une action en justice que « dans le cas
où l’auteur de ces diffamations ou injures aurait eu l'intention
de porter atteinte à l'honneur ou à la considération des
héritiers, époux ou légataires universels vivants ». Ainsi, les
héritiers ne peuvent agir au nom du défunt pour sauvegarder son
honneur. Le droit à l’honneur s’éteint avec le décès.
En définitive, tout se passe comme si le défunt perdait
son statut de personne pour ne devenir plus qu’un corps. Ce
sentiment est renforcé à la lecture de l’article 16-2 du Code civil
qui permet de faire cesser les atteintes au corps humain. Sur le
38
Ceux de la personnalité
CA Paris, 6 mai 1997, D. 1997, juris., p. 596, note B. Beignier.
40
Cass. civ. 1ère, 14 déc. 1999, bull, n°345, D. 2000, juris., p. 372, note B.
Beignier, JCP 2000, II, 10241, concl. Petit.
39
- 30 -
fondement de cette disposition, les juges du fond ont pu
affirmer que « la dépouille mortelle d’un individu fait l’objet
d’un droit de copropriété familial » 41, qui doit alors être
considéré comme un simple objet. Mais cet objet bénéficie
d’une protection qui rapproche sa situation juridique de celle
d’une personne.
2) LA SURVIE D’UNE PROTECTION JURIDIQUE DU DEFUNT
Cette protection concerne d’abord le corps du défunt.
Ainsi, l’article 16-2 du Code civil permet au juge de « prescrire
toutes mesures propres à empêcher ou faire cesser une atteinte
illicite au corps humain ». Cette protection est assurée à la
personne en vie, mais aussi au corps du défunt. Elle est
renforcée par l’article 225-17 du Code pénal qui réprime le délit
d’atteinte à l’intégrité du cadavre 42. Symboliquement, ce délit
est intégré dans la partie du Code pénal qui envisage les
atteintes à la personne humaine, assimilant ainsi les morts à des
personnes. Cette infraction est d’ailleurs inspirée par l’humanité
qui demeure dans le corps du défunt. La Cour d’appel de Nancy
a pu affirmer à cet égard que « le but de l’acte doit être un
outrage envers le mort, un manquement dû au respect de sa
personne » 43.
Dans le même esprit, le droit assure encore la
protection de la dignité du défunt. Cette solution a été affirmée à
deux reprises à propos de la publication de photos de personnes
récemment décédées. Dans une importante décision du 20
décembre 2000, la Cour de cassation a affirmé qu’une Cour
d’appel, « ayant retenu que la photographie publiée
représentait distinctement le corps et le visage du préfet
assassiné, gisant sur la chaussée d'une rue, (elle) a pu juger,
dès lors que cette image était attentatoire à la dignité de la
41
Notamment TGI Lille, ord. 5 déc. 1996, D. 1997, juris., p. 376, note Labbée.
De la même façon que la violation ou la profanation de sépulture ou de
monuments édifiés à la mémoire des morts.
43
CA Nancy, 16 mars 1967, D. 1971, som. p. 212.
42
- 31 -
personne humaine » 44. Elle a précisé dans un arrêt du 20 février
2001, que l’atteinte à la dignité d’un défunt était caractérisée par
une photo indécente recherchant le sensationnel 45.
De façon plus étonnante, la Cour de cassation assure
une protection pénale de la vie privée de la personne décédée
alors même que cette protection n’est pas accordée sur le
fondement de l’article 9 du Code civil. À propos de la
publication d’une photo de la dépouille mortelle d’un président
de la République, la chambre criminelle a pu affirmer que « la
fixation de l’image d’une personne, vivante ou morte, sans
autorisation préalable des personnes ayant pouvoir de
l’accorder, est prohibée et la diffusion ou la publication de
ladite image sans autorisation entre nécessairement dans le
champ d’application des articles 226-1, 226-2 et 226-6 du Code
pénal » 46, lesquels protègent la vie privée des personnes. Cette
solution est surprenante, tant elle paraît contradictoire avec la
position adoptée en matière civile. Pour autant, si elle accorde
une protection particulière à la dépouille mortelle, la Cour de
cassation n’érige pas cette protection en véritable droit dont
pourraient se prévaloir les héritiers par représentation47. La
persistance de la personnalité est plus visible lorsque le droit
consacre la survie partielle de la volonté du défunt.
B) LA SURVIE PARTIELLE DE LA VOLONTE DU DEFUNT
Le corps d’un défunt peut être l’objet de nombreuses
tensions dans la mesure où il représente, parfois, un intérêt non
négligeable pour les vivants. Il peut servir à sauver des vies, par
un prélèvement d’organe, mais aussi à révéler des vérités, par
une expertise génétique. Le corps du défunt peut donc connaître
44
« Qu'une telle publication était illicite, sa décision se trouvant ainsi
légalement justifiée au regard des exigences tant de l'article 10 de la
Convention européenne que de l'article 16 du Code civil ». Cass. civ. 1ère, 20
déc. 2000, D. 2001, p. 885, p. 872 ; JCP 2001, II, 10488.
45
Cass. civ. 1ère 20 fév. 2001, n°98-23471
46
Cass. crim. 20 oct. 1998, D. 1999, juris., p. 107, note B. Beignier.
47
Cf. l’analyse de B. Beignier, selon lequel « le mort perd toute
individualité » ses héritiers étant propriétaires de son corps et agissant en leur
nom propre.
- 32 -
une nouvelle vie après la mort. Toutefois, la persistance de la
volonté du défunt après son décès n’est prise en compte par le
droit que si cette volonté a pu être exprimée par le défunt de son
vivant. L’atteinte au cadavre est alors soumise au consentement
de la personne avant son décès ; consentement qui peut être
présumé (1) ou qui doit avoir été exprimé (2).
1) Le consentement présumé
L’atteinte au corps du défunt peut présenter l’utilité
incontestable, dans certaines circonstances, de sauver la vie ou
d’améliorer la santé d’autrui par la technique du don d’organe.
Pour autant cette atteinte est soumise, selon l’article 16-3 du
Code civil, au consentement de la personne concernée.
Dans cet esprit, lorsqu’une personne se trouve en état
de mort cérébrale, un prélèvement d’organe ne peut être
effectué que si l’individu décédé a donné son consentement au
prélèvement. Depuis une loi du 22 décembre 1976, pour
favoriser le don d’organe, ce consentement est présumé avoir
été donné par la personne de son vivant 48. Par la suite, les
premières lois bioéthiques de 1994 adoptèrent une distinction
entre le prélèvement à finalité thérapeutique et ceux à finalité
scientifique (pour lesquels le consentement devait être
démontré) 49. Cette distinction a été abandonnée par la loi
relative à la bioéthique du 6 août 2004 et le Code de la santé
publique prévoit désormais que le prélèvement peut avoir lieu
« lorsque la personne n'a pas fait connaître, de son vivant, son
refus d'un tel prélèvement » 50. Le refus peut être exprimé du
vivant de la personne dans un registre national automatisé.
Néanmoins, dans la plupart des situations, le médecin se
48
Loi n° 76-1181, JO 23 déc. 1976, p. 7365
Cf. sur ce point, J.R. Binet, Le nouveau droit de la bioéthique, Litec, Paris,
2005.
50
C. sant.pub. 1232-1 : « Le prélèvement d'organes sur une personne dont la
mort a été dûment constatée ne peut être effectué qu'à des fins thérapeutiques
ou scientifiques. Ce prélèvement peut être pratiqué dès lors que la personne
n'a pas fait connaître, de son vivant, son refus d'un tel prélèvement. Ce refus
peut être exprimé par tout moyen, notamment par l'inscription sur un registre
national automatisé prévu à cet effet. Il est révocable à tout moment ». Une
limite au prélèvement scientifique est posée : C. sant.pub. 1232-3 : « Les
prélèvements à des fins scientifiques ne peuvent être pratiqués que dans le
cadre de protocoles transmis, préalablement à leur mise en œuvre, à l'Agence
de la biomédecine ».
49
- 33 -
retrouve face au silence du défunt. Il ne peut alors se contenter
de ce silence, mais doit « s'efforcer de recueillir auprès des
proches l'opposition au don d'organes éventuellement exprimée
de son vivant par le défunt ». En d’autres termes, la volonté du
défunt sera exprimée par ses proches 51. Parfois, le droit exige
que cette volonté ait été exprimée clairement par la personne de
son vivant.
2) Le consentement exprimé
Le corps du défunt peut parfois receler des
informations qui seront utiles à la découverte de la vérité. Tel
est le cas dans un procès en recherche de paternité naturelle. La
question se pose alors de savoir s’il est possible d’aller
rechercher, sur le cadavre, des informations génétiques
permettant de connaître l’existence d’un lien de filiation
biologique ou encore d’identifier une victime. En matière
pénale, l’expertise génétique sur un cadavre n’est pas soumise à
l’expression antérieure de son consentement. Il s’agit d’une
mesure d’enquête ou d’instruction et l’empreinte génétique est
conservée dans le fichier national automatisé52. En revanche, en
matière civile, l’exigence du consentement est expressément
posée par l’article 16-11 du Code civil. Cette question a d’abord
fait l’objet d’un arrêt controversé rendu par la Cour d’appel de
Paris en 1997. La juridiction avait alors ordonné l’exhumation
du cadavre d’un acteur célèbre pour déterminer sa filiation53. La
loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique a remis en cause cette
solution 54. L’article 16-11 précise désormais que « sauf accord
exprès de la personne manifesté de son vivant, aucune
identification par empreintes génétiques ne peut être réalisée
après sa mort ». Le respect de la volonté de la personne vivante
est ici mis en évidence, puisque le juge ne pourra se fonder,
pour ordonner une expertise génétique post mortem, que sur un
consentement exprimé clairement.
51
Bien que la rédaction du texte ait été modifiée. Le médecin ne doit plus
rechercher la volonté, mais une éventuelle opposition. Dans la pratique, il est
vraisemblable que cette rédaction ne change rien.
52
CPP art 706-54.
53
CA Paris, 6 nov. 1997, D. 1998, p. 122, RTD civ. 1998, p. 87.
54
Loi nº 2004-800 du 6 août 2004.
- 34 -
Ce consentement exprimé avant la mort est encore
sollicité en ce qui concerne la recherche biomédicale. L’article
L. 1121-14 du Code de la santé publique dispose ainsi
qu’« Aucune recherche biomédicale ne peut être effectuée sur
une personne décédée, en état de mort cérébrale, sans son
consentement exprimé de son vivant ou par le témoignage de sa
famille ». La loi prévoit une possibilité d’expression du
consentement post mortem par la voie de la famille, mais,
contrairement au don d’organe, le médecin doit rechercher
l’expression du consentement et non pas l’absence d’opposition.
En définitive, la recherche de la volonté exprimée par le défunt
de son vivant semble être un élément important qui établit une
similitude entre le statut juridique avant et après la mort. Dans
la plupart des situations, la famille ou les proches du défunt ont
un rôle de représentants de cette volonté. Ils revendiquent, au
nom du défunt, une protection que ce dernier aurait revendiquée
de son vivant. La protection du corps du défunt ressemble alors,
en de nombreux points, à celle dont bénéficie la personne
humaine. Pour autant, si les effets de la volonté persistent après
la mort, nombre de droits fondamentaux disparaissent et il est
difficile de considérer le défunt comme une personne à part
entière.
Au regard des éléments qui viennent d’être évoqués, et
malgré l’ambiguïté créée par la diversité des solutions, il est
possible d’affirmer que la personne humaine débute avec la
naissance et s’achève avec la mort. Pour autant, l’enfant conçu
et le défunt forment certainement les éléments d’une catégorie
juridique intermédiaire entre les personnes et les choses. Cette
catégorie se caractérise par une protection juridique accordée à
l’enfant conçu et au défunt. Une protection qui ne leur confère
pas de droits, mais impose simplement à autrui des obligations.
À cette protection juridique, s’ajoutent deux prérogatives qui
rapprochent l’enfant conçu et le défunt de la catégorie des
personnes. La première réside dans le respect de la dignité,
véritable droit dont on ignore encore les modalités de mise en
œuvre. La seconde consiste dans le respect de la volonté lorsque
celle-ci a pu être exprimée. En définitive, cette catégorie
intermédiaire pourrait être intégrée dans celle, plus générale,
d’être humain, ou d’espèce humaine dont le statut juridique
reste à déterminer.
- 35 -
Quelles que soient les évolutions futures du droit, la
notion de personne humaine devrait, dans les années, décennies,
ou siècles à venir, être confrontée à de nouvelles frontières
inhérentes à la recherche scientifique. Ainsi, l’avènement
annoncé de l’utérus artificiel pourrait conduire à remettre en
cause le moment de la naissance comme l’événement fondateur
de la personnalité juridique. Dans un tout autre ordre d’idée, la
recherche sur les chimères homme-animal, que certains
chercheurs se proposent de réaliser, va nécessairement placer le
juriste devant les limites de sa définition de l’homme.
Le droit se trouve ainsi dans une position
inconfortable, consistant à définir clairement des situations
ambiguës qui résultent, la plupart du temps, de débats d’ordre
éthique et de positions de principe. Il n’est pas certain que la
fonction du droit soit de trancher ces débats. On tient peut-être
ici l’explication des nombreuses ambiguïtés qui viennent d’être
décrites.
Etienne Vergès
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