l`investisseur français - Moneta Asset Management

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l`investisseur français - Moneta Asset Management
L’INVESTISSEUR
FRANÇAIS
© L’Investisseur Français, 2014. Réservé à un usage strictement privé. Toute diffusion ou reproduction est interdite. http://linvestisseurfrancais.com
Prophètes En Leur Pays
Novembre 2014
Messieurs, vous êtes familiers du
concept : vous savez qu’il ne s’agit pas
d’une interview de complaisance.
Allons, je suis sûr que vous avez mille
choses
croustillantes
à
nous
raconter…
Romain Burnand : Bien, le ton est
donné. Je vois que nous avons bien fait
de venir à plusieurs !
RB : Tu peux y aller Pierre, nous avons
renouvelé cette semaine ton contrat de
stage (rires).
Romain, on ne vous présente plus.
A ma droite, je reconnais Thomas
Perrotin.
RB : Et vous non plus. J’aime
beaucoup tout ce que vous faites,
notamment vos Apartés. Nous sommes
très flattés d’y figurer.
Avec votre permission, procédons à un
rapide tour de table avant que les
choses sérieuses ne commencent.
AK : Mon nom est Andrzej Kawalec.
Je suis chez Moneta depuis 2005, et je
travaille en tant qu’analyste dédié aux
fonds Multi-Caps [NDLR : Actions
françaises toutes capitalisations] et
Micro-Entreprises [NDLR : Actions
françaises petites capitalisations]. Mes
domaines de prédilection sont les
holdings,
l’immobilier,
et
plus
récemment les « utilities » [NDLR : les
services aux collectivités].
GU : Je suis Grégoire Uettwiller, chez
Moneta depuis 2012, analyste comme
Andrzej. Un peu touche-à-tout de
nature, bien que ces temps-ci je sois
plutôt concentré sur les entreprises de
transport et les équipementiers
automobiles.
PLT : Pierre Le Treize, stagiaire, chez
Moneta depuis trois mois.
TP : C’est moi-même. J’ai rejoint
Moneta en 2004. Je suis les secteurs
des infrastructures, des énergies
renouvelables, des sociétés de service
et quelques sociétés industrielles.
Savez-vous qu’à peine avions-nous
annoncé aux membres du Club cet
Aparté spécial Moneta qu’un déluge
de mails enthousiastes nous est tombé
dessus ?
RB : On ne s’y attendait pas. Merci à
eux tous !
Votre performance [NDLR : +512%
en onze ans pour le fonds MicroEntreprises] est atypique en France…
RB : Merci encore une fois. C’est le
fruit d’un travail collectif.
Un intellectuel de la finance ? Une
seconde, je cache mon portefeuille.
Je suis d’humeur à me faire des amis
autour de cette table. Romain,
rentrons dans le vif du sujet. On sait
que, de nature, les comités servent
rarement
les
décisions
d’investissements intelligentes. Quel
est l’intérêt pour un gérant de votre
renommée d’être entouré d’autant
d’analystes ?
RB : Dommage pour vous (rires), il
aurait été entre de bonnes mains !
TP : C’est vrai qu’on devrait vous
inviter plus souvent (rires) !
Je sais, je sais… Et à ma gauche, pour
conclure ce tour de table ?
RB : C’est une bonne question. Au
début j’étais seul et je faisais tout.
C’était simple. Je ne travaillais pas
tellement plus que maintenant. Je
passais mes journées à visiter des
entreprises, et mes soirées, ou plutôt
mes nuits, à travailler mes modèles. Je
passais mes ordres quand j’avais le
temps.
RB : Thomas est le premier analyste à
m’avoir rejoint, il y a dix ans de cela.
J’ai toujours aimé travailler avec lui,
c’est un véritable intellectuel de la
finance.
RL : Raphael Lucet, arrivé chez
Moneta en 2013. Pas vraiment de
secteurs de prédilection, je suis plutôt
versé bon sens et choses simples. Les
circonstances récentes m’ont toutefois
amené à suivre les sociétés de travaux
publics
et
d’infrastructures
autoroutières.
De la chair à canon pour Romain ?
Dans le genre choses simples, on ne
pouvait rêver mieux…
PLT : Non (rires), ce n’est pas le genre
de la maison. Le stage se passe
merveilleusement bien.
RL : Il faut s’adapter aux opportunités.
Je suis flexible. Comme nous tous ici
du reste.
[1]
Vos journées consistaient à appeler
des entrepreneurs et aller leur rendre
visite ?
RB : Non, j’allais simplement aux
réunions d’analystes. Comme à
l’origine j’étais spécialisé dans les
banques, je n’étais pas familier de
l’univers d’investissement, disons, plus
global. En février 2003, je crée la
société de gestion. Mon associé
[NDLR : Patrice Courty] me soutenait,
mais il continuait sa carrière en
parallèle. Ceci dit, nous n’avions
besoin de personne puisque nous
n’avions pas de fonds. Qui dit pas de
fonds dit pas de middle office, pas de
visiteurs, pas de clients, pas de comptes
à rendre, rien. Pour moi qui ai toujours
bien aimé l’analyse, c’était une période
bénie. Je me familiarisais avec la cote,
et j’étais libre de me concentrer à
100%.
On vous sent nostalgique…
RB : Pas du tout ! Mais c’était une
première
étape
indispensable.
Maintenant que nous sommes installés
avec deux milliards sous gestion, la
charge de travail va bien au-delà des
capacités d’un seul homme. Ce qui
répond à votre question.
En 2003, vous arrivez juste après le
grand krach...
RB : C’était une période idéale pour se
lancer : il y avait beaucoup de gens
désespérés, et autant de dossiers
faciles. Les opportunités fleurissent
après ce type de cataclysmes. Quand
j’étais analyste et concentré sur les
banques, je n’entendais pas beaucoup
d’entrepreneurs... J’entendais beaucoup
de gens intelligents et structurés, mais
pas d’entrepreneurs. En les rencontrant,
en découvrant comment ils géraient
leur affaire, en leur parlant directement,
on arrivait à capter un maximum
d’informations. Pour peu qu’on ait
l’esprit synthétique, on pouvait prendre
des décisions rapidement. Nous avons
lancé le fonds, il a très vite grossi, et
j’ai recruté Thomas et Andrzej. Ils
m’avaient tous deux aidé dans mes
débuts, sans se connaitre l’un et l’autre.
Ce sont les deux vétérans ?
RB : Les deux vétérans analystes oui,
après bien sûr Patrice Courty qui dirige
Moneta en binôme avec moi. Patrice
gère le fond Long/Short assisté de sa
propre équipe. Ce qu’il fait est différent
de nous et mériterait un Aparté à part
entière. Vous reviendrez ?
Comptez sur nous.
RB : En plus d’une longue expérience,
Patrice a une vision du marché à part.
On se connait depuis le début, on s’est
toujours beaucoup apprécié.
Pourquoi vous et lui avez ainsi
cliqué ?
RB : J’ai toujours beaucoup estimé
Patrice. Quand j’étais jeune analyste,
c’était mon meilleur lecteur, le plus
critique et le plus engagé. Il était
vendeur d’actions et, comme moi, il
était passionné d’investissement. Il
m’apprenait une foule de choses, se
référait à des situations que je ne
connaissais pas, faisait des connexions
auxquelles je n’aurais jamais pensé.
Replacez-nous un peu le contexte. A
l’époque, vous étiez un analyste
spécialisé sur l’industrie bancaire.
RB : Oui, et l’immobilier.
Par vocation ou par accident ?
RB : Une fois admis à mon premier
poste chez Meeschaert Rouselle, on
m’a demandé ce que je voulais faire.
J’ai proposé la banque, ce qui tombait à
pic puisque personne ne voulait s’y
coller (rires). J’avais fait quatre ans
dans l’audit avant [NDLR : chez Ernst
& Young], et cette expérience m’a
beaucoup servi quand je suis arrivé
dans l’analyse. Elle m’a permis de me
reposer sur un modèle qui faisait défaut
à beaucoup. Pour être franc, le niveau
était assez faible… Mais je ne sais pas
si c’est une bonne idée de mettre ça
dans l’Aparté.
Notre ligne éditoriale est claire : on ne
censure jamais rien.
RB : Alors laissez-moi nuancer mes
propos : le contexte était plus difficile
qu’aujourd’hui ; il y avait très peu de
communication financière, on ne
trouvait pas de livres, de publications
de qualité, la même culture de la
transparence et de l’actionnariat... Et
bien sûr, il n’y avait pas l’Investisseur
Français (rires) !
Ça, ce sera dans l’Aparté ! Par
curiosité, connaissiez-vous Warren
Buffett ou Benjamin Graham ?
RB : Non, je n’en avais jamais entendu
parler. Mais vous savez, à l’époque
[NDLR : en 1988], même aux EtatsUnis pas grand monde ne connaissait
Buffett…
Et vous parveniez à vous débrouiller
malgré ça ?
RB : Il n’y a pas que Buffett et Graham
dans la vie ! Les choses étaient assez
simples pour nous. Il y avait un
contexte post-crise, analystes et
investisseurs
étaient
découragés :
c’était facile pour nous de trouver des
idées.
Que de chemin parcouru depuis… A
Moneta, combien d’entreprises un
analyste suit-il en moyenne ?
RB : Une vingtaine, une trentaine... A
nous tous, nous suivons entre cent et
cent cinquante entreprises. Certains
dossiers sont prioritaires, comme par
exemple Eurotunnel, qui est un peu la
chasse gardée de Thomas. Le suivi est
moins intense sur d’autres dossiers
moins complexes, ou sur lesquels nous
ne sommes pas investis.
[2]
A titre personnel, avez-vous toujours
une affinité avec les banques et les
financières ?
RB : Je suis leur actualité, mais rien de
semblable au temps où j’étais un vrai
spécialiste sectoriel et ne connaissais
que ça. C’est très technique d’être un
spécialiste de la banque : vous devez
connaître et comprendre mille choses
très différentes, assimiler une multitude
de données toujours changeantes, en
lien avec l’économie mondiale ou
l’institution elle-même. J’ai levé le nez
du guidon, même s’il me reste quelques
compétences et quelques réflexes, au
demeurant fort utiles aujourd’hui.
Que pensez-vous de la situation des
banques
en
Europe,
et
particulièrement en France ?
RB : Le métier de banquier est un
métier difficile, sûrement l’un des plus
difficiles au monde. Je sais que c’est à
la mode de critiquer les banques, et à
vrai dire il y a matière à faire, mais la
réalité est plus nuancée. Mon avis est
que les établissements français sont
bien gérés comparés à leurs pairs
européens.
Crédit agricole avec un levier de trente
[NDLR : trente fois plus d’actifs que
de fonds propres] et des write-offs
chaque année, vous appelez ça une
banque bien gérée ?
RB : Attendez, attendez… On parle de
levier, mais tout dépend de la nature
des actifs au bilan. Tous les leviers ne
sont pas égaux entre eux ! Une banque
avec dix fois plus d’actifs toxiques que
de capitaux propres est plus dangereuse
qu’une banque avec vingt fois plus
d’actifs de qualité que de capitaux
propres tangibles. Chaque dossier est
complexe et mérite une analyse
approfondie, certainement plus en
nuances que ce que votre approche
initiale semble suggérer.
On sait que les banques en question
sont passées tout près du scalp, une
première fois en 2009, une deuxième
fois en 2011… Vous observez une
rationalisation aujourd’hui?
RB : Elle se fait à marche forcée.
Depuis la crise, les fonds propres ont
plus que doublé pour le même niveau
d’activité.
Et vous trouvez que nos banques
avancent assez vite ? Comparées par
exemple
à
leurs
homologues
américaines ?
RB : Elles font avec les réalités
auxquelles elles sont confrontées.
Tiens, puisque vous parlez des banques
américaines : pendant la crise de l’euro,
elles n’ont plus voulu prêter de dollars
aux banques européennes. Certains
établissements français ou allemands
étaient très impliqués dans les
financements à court-terme en dollars,
mais ils ont malgré tout réussi à
rapidement réduire leur exposition. Ils
ont su s’adapter dans un environnement
de
stress
maximum,
c’était
remarquable. La chance des banques
françaises, c’est que le séisme des
dernières années s’est produit sur les
activités de banque de gros, où il est
naturellement plus facile de réduire la
voilure. On parle d’équipes de
professionnels en BFI [NDLR :
activités
de
financement
et
d’investissement] très bien payés à
Londres, à New York, à Hong-Kong ou
à Genève… C’est plus facile de
s’ajuster dans cette catégorie. Si le
séisme avait touché les activités de
détail, la banque de réseau, cela aurait
été beaucoup plus difficile…
AK : Disons qu’il ne craint pas d’aller
à
l’encontre
des
pratiques
traditionnelles.
Andrzej, je me tourne vers vous.
Qu’est-ce qui vous différencie chez
Moneta ?
AK : Du levier, mais du levier très
sophistiqué (rires). Bref, pour nous la
ligne rouge, c’est qu’il lui prenne
l’envie de spolier les minoritaires.
Andrzej Kawalec : Une particularité
qui nous différencie sans doute, comme
l’a dit Romain, c’est que nous sommes
très analytiques. Nous fabriquons nos
propres modèles, nous les testons et les
enrichissons en permanence.
Pardon, mais qu’appelez-vous un
modèle ? Un spreadsheet ?
AK : C’est ça. L’étude du groupe
Bolloré est un exemple assez illustratif
de nos méthodes. Il y a des activités
récurrentes,
des
participations
financières,
une
structure
d’autocontrôle qui chapeaute le tout…
C’est un système très complexe, avec
beaucoup de flux à modéliser et
d’actifs à valoriser.
Et vous y arrivez ? La galaxie Bolloré
dans un spreadsheet ?
AK : Nous avons mis longtemps. C’est
un travail de plusieurs années. Nous
avons commencé à défricher le sujet en
2006, et n’avons obtenu nos premières
conclusions pertinentes qu’en 2011.
Bien sûr, l’analyse va bien au-delà d’un
simple tableau Excel.
Ne pensez-vous pas que dans un
dossier de cette nature, les chiffres et
les modèles s’effacent complètement
face à l’homme ? Que ce qui résume
la galaxie Bolloré, c’est avant tout
Vincent Bolloré ?
AK : Non, il y a toute une mécanique,
des actifs, une capacité bénéficiaire.
Investir dans la galaxie Bolloré est
certainement un vote de confiance sur
le top manager, mais nous ne tirons pas
de conclusions en regardant le seul
bonhomme. Ceci dit, nous n’avons pas
manqué de lire tout ce qui a été écrit
sur lui... Et comme vous le savez sans
doute, il s’est fait de nombreux
ennemis tout au long de son parcours.
Je ne savais pas.
Plutôt bon signe selon moi…
AK : Si on veut. On retrouve cette
attitude dans la manière dont il a créé
son empire. Le terme de « poulie
bretonne » a été inventé pour lui après
tout (rires) !
Avec le décodeur ?
AK : C’est un système de holdings en
cascade qui permet à l’actionnaire de
tête de contrôler un large conglomérat
malgré une mise de fonds réduite.
Dit autrement : du levier.
sur laquelle nous nous basons est
publique. Quant à Vincent Bolloré,
depuis que nous sommes actionnaires
nous ne l’avons eu qu’une fois
personnellement en face de nous. Ceci
dit, nous aimons bien aller à ses
réunions, le vendredi soir à Puteaux.
C’est au bout du monde en apparence :
il faut marcher longtemps le long d’une
autoroute, tard le soir, à une heure où il
n’y a plus personne autour…
Il fait comme Goldman Sachs qui se
planque dans le New Jersey ? Il essaie
de décourager les curieux de venir
poser les questions qui fâchent ?
AK : Je suis sûr qu’il est plus
sympathique que Goldman Sachs
(rires). C’est un séducteur. Toutes ses
réunions s’achèvent avec des remises
de cadeaux, comme des bouteilles de
vin issues de son domaine de SaintTropez…
RB : Qu’il remet à ses visiteurs tout en
précisant qu’il ne boit pas lui-même
(rires) !
Il a déjà fait ça ?
AK : Structurellement, il est acheteur
ou vendeur de ses propres titres.
Comme il est l'actionnaire le plus
important sur plusieurs entités, il peut
vendre ou acheter en grande quantité, à
sa guise. Il est le market maker en
quelque sorte...
On l’a vu récemment, quand il en a
vendu tout un bloc logé dans une
entité non cotée de sa galaxie…
AK : A chacun de faire son analyse et
de tirer ses propres conclusions. Nous
avons les nôtres et nous sommes
confortables avec.
AK : Nous ne sommes pas naïfs sur le
personnage, même si nous avons
beaucoup d’admiration pour lui.
Jeremy [NDLR : l’un des auteurs de
l’Investisseur Français] a investi dans
la Financière de l’Odet il y a quelques
mois. De nombreux membres du Club
l’ont suivi.
AK : Nous pensons que la Financière
de l’Odet est marginalement plus
décotée que Groupe Bolloré.
Décotée par rapport à quoi ?
RB : Oui, plutôt deux fois qu’une !
AK : A la NAV [NDLR : valeur de
l’actif net] ajustée, soit la valeur
économique réelle des entités qui
composent le groupe. Nous estimons
une décote de l’ordre de 55%.
Expliquez-moi : vous émettez des
réserves sur le personnage mais placez
néanmoins votre argent chez lui ?
Heureuse coïncidence : vous êtes
parfaitement en ligne avec les
estimations de Jeremy…
AK : Nous pensons que s’il a parfois
flirté avec, il n’a jamais franchi la ligne
rouge. Il n’a pas non plus compromis
nos intérêts, et nous ne pensons pas
qu’il le fera. Mais nous restons
vigilants, comme nous le sommes
d’ailleurs avec chacune des sociétés
que nous avons en portefeuille.
AK : Nous avons procédé en réalisant
une somme des parties et en excluant la
boucle d’autocontrôle, donc en nous
basant sur environ neuf millions de
titres, plutôt que vingt-sept millions.
Si d’aventure il s’y essayait, vous avez
une quelconque garantie qui vous
protège ?
AK : Oui, à l’exception des
participations dans Havas et Vivendi
qui sont cotées en bourse.
AK :
Non,
aucune.
pourrions-nous ?
Comment parvenez-vous à valoriser
les opérations portuaires et logistiques
en Afrique ?
Corrigez-moi si je me trompe, mais
Moneta est investi chez Bolloré n’estce pas ?
Comment
Je vous voyais bien avec une sorte de
deal préférentiel à la Buffett…
AK : Pas du tout (rires), nous n’avons
aucun statut privilégié. L’information
[3]
Vous avez valorisé chaque entité de la
holding avec vos calculs maison ?
AK : Principalement à l’aide des
comparables. Il existe de nombreuses
sociétés cotées à travers le monde qui
exploitent des concessions portuaires.
Dans des environnements aussi
exotiques que Douala, Moroni ou
Lomé ?
pensé à nous (rires) !
AK : Il n’y a pas que l’environnement :
les comparables sont aussi plus liquides
et plus transparents. Il faut appliquer un
discount. Nous avons préféré être
prudents, et nous avons retenu 25%.
RB : Comme il l’a dit lui-même, ce
n’était même pas nécessaire puisque
tout était déjà placé… Mais il est venu,
accompagné de sept ou huit personnes,
même si c’est lui qui a parlé la majorité
du temps (rires). Indiscutablement,
c’est quelqu’un qui sait prendre des
risques.
Quelle part du groupe les activités
portuaires représentent-t-elles ?
AK : Approximativement la moitié de
la valeur du groupe. L’autre moitié,
c’est la somme du reste : les batteries,
Havas, Vivendi, Mediobanca, les
plantations et les autres investissements
plus marginaux de Bolloré.
Puisque
nous
sommes
entre
spécialistes, que pensez-vous de son
track record comme investisseur ?
AK : C’est très bon. Le cours de bourse
de sa holding le reflète bien : il a été
multiplié par onze en dix ans, quand le
CAC n’a pas fait grand-chose…
Vincent Bolloré est-il transparent sur
ses investissements et ses méthodes ?
AK : Au contraire, il est très secret.
Il ne dit jamais ce qu’il fait ?
Romain Burnand : Généralement, il dit
plutôt l’inverse de ce qu’il va faire en
réalité (rires) !
AK : C’est vrai qu’il est déroutant.
Mais il est efficace, et après tout c’est
ce que nous lui demandons.
Tout à l’heure vous parliez du biennommé
système
de
« poulies
bretonnes » : il ne s’y est jamais
brûlé les doigts ?
AK : Il a été une fois au bord du
gouffre, en 1992, avec le rachat de
l’armateur Delmas-Vieljeux qui a mal
tourné. Il est beaucoup plus prudent
depuis. Il n’y a pas autant de levier, et
toutes les activités produisent de
considérables cash-flows. C’est une
très belle mécanique.
Et comme allocateur de capital, que
vaut-il ?
AK : Il a racheté ses actions à chaque
fois que le cours de ces dernières était
déprimé.
Romain, Vincent Bolloré, vous le
connaissez personnellement ?
RB : Oui, enfin pas plus que ça. C’est
un séducteur, un instinctif. Il a
beaucoup de flair et de bagout. Il sait
manifestement très bien faire travailler
les gens dont il s’entoure. Il est venu
chez nous une fois, à l’introduction de
Blue Solutions. Il avait quarante
millions à placer, et manifestement il a
Il vous a démarché l’IPO…
Peut-on le comparer à un autre
entrepreneur célèbre ?
RB : Pour moi, il est vraiment à part.
Moneta investit dans Financière de
l’Odet et Bolloré?
RB : C’est ça. La position représente
5% du fonds Micro-Entreprises, et
environ 4% du fonds Multi-Caps.
Pourquoi ne pas avoir concentré
davantage si la conviction est forte ?
milliards d’euros. Aujourd’hui, la
capitalisation plus la dette [NDLR : la
valeur d’entreprise] est de dix
milliards. Bref, quinze ans après sa
construction, l’actif ne vaut toujours
pas ce qu’il a coûté. Il y a eu beaucoup
de prévisions très optimistes…
Les prévisions en disent beaucoup sur
ceux qui les font, mais guère
davantage…
TP : Le tunnel n’en reste pas moins un
actif unique au monde, et l’entreprise
jouit
d’une
concession
remarquablement
longue puisqu’elle
court jusqu’en 2086.
Un actif unique au monde, j’imagine
que ça coûte une fortune à
entretenir ?
TP : Pas grand-chose à vrai dire : c’est
de l’ordre de cinquante millions par an,
hors-assurances. Mais bien sûr, il faut
qu’il y ait de l’activité…
Et il y en a ?
RB : Une position ne peut peser plus
que 10% du fonds. C’est la loi. La
force et la faiblesse de notre modèle de
fonds ouverts, c’est qu’on peut y entrer
ou en sortir à tout moment. Nous
n’avons aucun intérêt à nous retrouver
à court de liquidités.
TP : Structurellement, les parts de
marché du tunnel sont amenées à
augmenter dans le temps, en particulier
grâce au trafic de camions.
Que disions-nous des prévisions à
l’instant ?
Quid de la liquidité du titre Bolloré ?
RB : Elle a augmenté avec le temps,
mais elle n’est pas non plus optimale
par rapport à la taille de nos fonds.
Ces limitations légales sont-elles une
contrainte que vous regrettez ?
RB : C’est sûr qu’il est beaucoup plus
facile de gérer trois millions que trois
milliards. Mais le défi n’en est que plus
intéressant.
Et Blue
souscrit ?
Solutions ?
Avez-vous
RB : Oui, mais la capitalisation est si
modeste que la position n’est pas
significative pour nous.
A la Bolloré, je vais procéder à la
hussarde et passer sans répit du coq à
l’âne. Thomas, si vous le voulez bien,
parlons un peu d’Eurotunnel, une
autre position historique de Moneta.
Thomas Perrotin : D’accord. C’est une
longue histoire.
Il suffit qu’elle commence par
« Eurotunnel » pour que je cache mon
chéquier…
TP : Beaucoup de valeur a été détruite,
c’est vrai.
Parlez-nous en.
TP : L’infrastructure a coûté treize
[4]
TP : (rires) La croissance est assez
récente. La politique tarifaire passée
était
maladroite.
Aujourd’hui,
l’arbitrage entre tarifs et parts de
marché est plus pertinent.
Corrigez-moi si je me trompe, mais la
rapidité est le principal avantage
compétitif d’Eurotunnel, n’est-ce pas?
TP : Le trafic express passe
naturellement par le tunnel. Sur ce
dernier segment la société dispose d’un
inimitable pricing power.
Le coût est nettement plus élevé qu’en
passant par un ferry ?
TP : Oui. Pour les clients, c’est un
compromis entre le prix et la nature des
marchandises transportées.
Grégoire Uettwiller : Par exemple,
Norbert Dentressangle [NDLR : une
autre position de Moneta] transporte
des fruits et des légumes du sud de
l’Europe vers l’Angleterre. Ils avaient
l’habitude de faire transiter une grande
partie de leur trafic par le tunnel mais,
depuis que les prix ont augmenté, ils
n’y font plus passer que le périssable.
Le reste transite par les ferries.
TP : C’est la partie cyclique de
l’activité. Il y a une base de revenus
stables et même en croissance avec
l’Eurostar et le passage de voitures,
autrement dit une activité de péage
avec d’excellentes marges. Le transport
de marchandises est lui plus cyclique,
directement dépendant de l’activité
économique globale.
Question qui fâche : l’affaire est-elle
enfin rentable ?
TP : Elle dégage environ cinq-cents
millions d’EBITDA [NDLR : revenus
avant taxes, intérêts, dépréciation et
amortissements] par an. Dernièrement,
la hausse de la demande a nécessité
quelques investissements lourds, afin
d’acquérir
des
locomotives
ou
d’aménager
des
infrastructures
d’accueil pour les camions.
Je récapitule : en bas de cycle, peu de
demande donc peu de profits, sinon
des pertes ; en haut de cycle, il faut
investir dans les capacités et ainsi
consommer le maigre profit, quitte à
se mettre à découvert pour le prochain
bas de cycle ?
TP : Relativisons. Il y a cinq cent
millions d’EBITDA et à peu près cent
millions d’investissements, soit quatre
cent millions de free cash flow prétaxes pré-intérêts. Il y a des frais
financiers
à
rembourser,
mais
l’échéancier est connu et ils vont en
décroissant. Quant aux impôts, c’est
simple : Eurotunnel n’en paiera pas
pendant au moins quinze ans. Suite aux
pertes massives enregistrées par le
passé, il y a plus de quatre milliards de
déficit reportable.
Deux milliards et demi pour centcinquante millions de free cash flow…
Croissance ou pas, votre modèle a
intérêt à être juste !
beaucoup compté dans notre décision.
TP : Il y a eu une particularité avec
Eurotunnel : c’est un actif réel, et la
séquence de flux est modélisable
jusqu’en 2086, date de fin de la
concession. Combien de business
peuvent-ils en dire autant ? Nous
tenons compte du risque, mais c’est
assurément un cas inhabituel.
RB : Nous avons commencé à investir
en 2006, après la restructuration de la
dette et la dilution des actionnaires. Il
n’y avait aucune étude, personne ne
suivait l’entreprise : le titre était le
paria de la cote.
J’en déduis que vous avez valorisé
l’action avec un raisonnement un peu
plus sophistiqué qu’en y collant un
multiple de dix fois les profits prétaxes…
TP : Oui, bien sûr (rires). Je ne vous
apprends rien en vous disant que la
valeur d’un actif, c’est la somme de ses
cash-flows futurs actualisés. Avec
Eurotunnel, la structure du capital est
excessivement
complexe,
les
remboursements de dettes variables et
échelonnés sur le long-terme. La
difficulté est de calculer les cash-flows
qui reviennent aux actionnaires. En
parallèle, il faut calculer un dividende
théorique qui sert à mesurer le coût des
fonds propres…
Combien avez-vous retenu pour ce
dernier ?
TP : 8,5%. C’est conservateur.
Concrètement, en termes de free cash
flow, à quoi doit-on s’attendre ?
Conservateur ? Chez nous,
retenons 9% pour Wal-Mart !
nous
TP : Après paiement des intérêts et des
investissements, quelque chose comme
cent-cinquante millions. Il y a un effet
de levier important et ce chiffre est
amené à croître.
TP : Comparons ce qui est comparable.
Le tunnel est un actif réel et unique au
monde. Wal-Mart est une franchise.
Les deux n’ont pas grand-chose à voir.
Pourquoi 8,5% en fait ?
Les prévisions en disent beaucoup sur
ceux qui les font…
TP : Les nouvelles liaisons LondresAmsterdam rencontrent un franc
succès. Malgré les compagnies lowcost, le train devient de plus en plus
compétitif face à l’avion, et ses parts de
marché augmentent sans cesse. Nous
avons déjà dix millions de voyageurs
qui transitent annuellement par le
tunnel. Avec les nouvelles lignes vers
l’Allemagne opérationnelles dès 2016,
cela fera quatre millions de voyageurs
supplémentaires. En moyenne, chaque
voyageur est facturé une vingtaine
d’euros. La projection de la capacité
bénéficiaire est plus intuitive qu’il n’y
parait.
On voit l’actif, on voit la capacité
bénéficiaire, on voit les perspectives.
Quel prix avez-vous payé pour tout
ça ?
TP : En termes de capitalisation
boursière, moins de deux milliards et
demi.
TP : 6,5% de taux réel, et 2%
d’inflation. Pourquoi 9% au fait
(rires) ?
6% pour la moyenne historique du
taux sans risque, et 3% de prime de
risque pour un business de la qualité
de Wal-Mart.
TP : Je vois. Pourquoi pas ?
Pour Eurotunnel, le fait qu’ils aient
investi treize milliards et qu’ils n’aient
jusque-là généré aucun retour sur
investissement ne vous refroidit pas ?
TP : Les choses ont changé. La dette a
été restructurée il y a plusieurs années.
Un nouveau management est arrivé.
Romain Burnand : Nous sommes
intervenus sur Eurotunnel pour diverses
raisons. Outre celles évoquées par
Thomas, l’inhabituelle complexité du
dossier
et
une
perception
remarquablement négative de la part de
l’ensemble des acteurs de marché ont
[5]
Une perception négative plutôt bien
justifiée, non ?
De quelle inhabituelle complexité
parlez-vous ?
RB : A l’époque, vous aviez huit titres
cotés en trois catégories : les actions,
les bons de souscription, et les
obligations remboursables en actions.
Cette dernière venait en deux souches,
en euros et en livres.
C’est bon, j’abandonne…
RB : Vous voyez (rires) ! Ne serait-ce
que calculer le nombre d’actions
émises après l’exercice des bons de
souscription relevait de l’exploit. Non
seulement personne ne s’intéressait au
dossier, mais en plus y avait-il une
vraie barrière à l’entrée.
TP : Et une faible liquidité !
RB : Un actif unique, un dossier
complexe, délaissé, certains diraient
méprisé : ça correspondait bien à nos
critères.
De là à justifier des retours sur
capitaux négatifs ou anémiques dans
le meilleur des cas, il y a un monde
n’est-ce pas ?
RB : C’est ici qu’un analyste de la
qualité de Thomas intervient. Sa
compréhension du dossier est toujours
très supérieure à celle du marché.
Thomas, vous êtes si génial que ça ?
TP : Non (rires), mais je travaille sur
Eurotunnel depuis des années. J’étais
banquier autrefois, chez Paribas. Mon
premier mandat y avait été d’évaluer
les obligations émises lors de la
première restructuration, en 1997.
RB : Thomas est un spécialiste de la
valorisation des entreprises. Quand je
vous disais tout à l’heure qu’il était un
intellectuel de la finance, c’est parce
qu’il est l’un des seuls que je connaisse
à pouvoir défricher des situations de la
complexité d’Eurotunnel. Là où tout le
monde avait capitulé, lui a pu mettre
sur pied un modèle qui tenait la route.
Accessoirement, je réponds à votre
question du début, quand vous me
demandiez quel intérêt je trouvais à
m’entourer d’une équipe d’analystes.
A combien valorisiez-vous l’action ?
TP : Ce n’est jamais une science
exacte, mais à huit euros environ.
Une simple note d’analyste peut-elle
ainsi servir de déclencheur ?
RB : A huit euros (rires) !
fondamentaux, et de gagner de l’argent
à chaque fois. Ce que nous n’avons pas
hésité à faire (rires) ! Nous sommes
des analystes, mais nous sommes aussi
des boursiers décomplexés : si le
marché nous offre la même
marchandise moins cher, nous n’allons
pas nous en priver.
Plutôt convainquant…
Vous prêchez un converti.
TP : Même si la valorisation n’est pas
une science exacte, nous avions la
conviction que l’entreprise valait
substantiellement
plus
que
sa
capitalisation boursière de l’époque.
RB : Attendez, ce n’est pas fini ! En
septembre 2008, c’est l’incendie dans
le tunnel…
TP : Elles font partie de l’information
de marché. Pourquoi voulez-vous que
nous les snobions ?
Romain ?
RB : Le désastre total… Il y avait un
très bon momentum au niveau de la
reprise du trafic, et d’un coup tout s’est
effondré.
A combien avez-vous acheté l’action ?
RB : Aux alentours de quatre euros.
A
combien
présentement ?
cote
l’action
RB :
Eurotunnel
a
été
un
investissement particulier, intéressant
et très profitable. La particularité, c’est
que nous en avons acheté à plusieurs
reprises, mais à chaque fois en
changeant d’instrument.
Il va falloir nous en dire un peu
plus…
RB : Au départ, nous avions une
position fixe dans l’action ordinaire.
Mais pendant la crise, nous avons été
extrêmement actifs sur l’arbitrage entre
actions, obligations remboursables en
actions et bons de souscription. Par
exemple, les obligations en question
étaient détenues en majorité par des
hedge funds ou des fonds de crédits. Ils
s’étaient fait repayer le principal en
actions or, avec la crise, ils se sont
retrouvés avec un besoin urgent de
liquidités. Qu’ont-ils fait à votre avis ?
Ils ont liquidé massivement…
RB : Précisément. Ça tombait à pic :
nous
connaissions
parfaitement
l’instrument, et nous étions en face
pour acheter.
Vous étiez la contrepartie
vendeur en détresse ?
d’un
RB : Pour l’essentiel, les gens qui
détenaient ces titres étaient des
prêteurs. Ils ont vendu leurs obligations
pendant la crise, à des prix qui, nous le
remarquions, décotaient fortement par
rapport à la valeur de l’action ordinaire.
Nous étions initialement investis sur
cette dernière, mais nous avons switché
avec les obligations remboursables en
actions : c’était un moyen pour nous
d’obtenir l’action à un prix encore
meilleur. Il y avait six titres différents.
Plus c’était complexe, moins c’était
liquide. Mais nous étions à l’aise. Du
coup, on arbitrait en permanence.
Dit plus simplement, vous faisiez du
trading ?
RB : Non, nous avons toujours fait du
fondamental. Mais les inefficiences de
marché étaient telles que nous avions
différentes opportunités de jouer ces
RB : C’est un schéma qui se répète
assez souvent.
J’en déduis que vous
attention à ces publications ?
prêtez
D’aucuns pourraient discuter du
niveau général de ces dernières…
Une crise, et maintenant un incendie !
L’occasion pour vous d’en profiter à
nouveau j’imagine ?
RB : Comme on était déjà dedans, à
vrai dire on a surtout perdu beaucoup
d’argent (rires) ! Notre position était
importante et le titre franchement peu
liquide. Impossible de vendre sans
passer inaperçu... On s’est bien fait
doucher.
Une fois de temps en temps, ça ne peut
pas faire de mal…
RB : Nous y sommes revenus malgré
tout. Après avoir touché le plus bas du
marché, au printemps 2009 je crois,
toutes les industrielles ont rebondi, sauf
Eurotunnel. C’était l’encéphalogramme
plat.
TP : Mais ce que nous remarquions,
c’est que la société avait été bien
refinancée. Le plan de restructuration
tenait la route, et malgré la crise il n’y
avait pas eu besoin de recourir à une
nouvelle augmentation de capital.
RB : On avait touché le fond. Même les
cycliques
remontaient.
Mais
Eurotunnel, rien à faire, tout le monde
les boudait. Ils n’étaient déjà pas très
populaires… La crise et l’incendie ont
achevé de reléguer le titre dans les
oubliettes de la bourse.
Et vous, vous y retournez ?
TP : Notre objectif de cours n’avait pas
changé. Je me souviens que Romain
campait dans mon bureau à
l’époque (rires) : il ne cessait de venir
me demander de refaire et de revérifier
mes calculs.
RB : Il y a eu un déclencheur. A
l’automne 2009, Chevreux a publié une
note. Ils n’y disaient rien de nouveau,
mais elle a produit comme une
étincelle. Les gens se sont souvenus de
l’existence d’Eurotunnel et, comme le
titre stagnait dans un marché qui avait
déjà bien remonté, ils sont revenus à
l’achat et le prix a décollé.
[6]
RB : On y trouve souvent des
informations intéressantes. A chacun
ensuite de voir ce qu’il en fait, ou quel
crédit il y accorde.
Et moi qui croyais que les plus belles
réussites en investissement se faisaient
avec ce que le marché détestait le
plus…
RB : Que tout le monde déteste un
dossier ne signifie pas qu’il faut
négliger ce qu’il s’en dit.
Les analystes que je connais sont les
premiers à déplorer le manque de
liberté qui leur est laissée. Par
exemple, comment l’un d’eux peut-il
publier une note critique envers une
société détenue par l’institution qui
l’emploie ?
RB : Les limitations que vous soulevez
existent, mais justifient-elles de se
priver d’une information inaccessible
autrement ?
C’est vous l’interviewé…
TP : Une note d’analyste amène de la
valeur ajoutée à celui qui connait déjà
la société : il peut plus facilement trier
le bon grain de l’ivraie. Si à l’inverse
vous ne connaissez pas la société,
l’utilité de la note est moindre.
Logique.
RB : Je vois où vous voulez en venir
ceci dit. Laissez-moi clarifier notre
pensée. Il y a plusieurs niveaux
d’information. Il y a la note du courtier
qui accompagne l’entreprise en roadshow. Généralement, il se contente de
retranscrire de l’information brute, ce
qui s’est dit, ce qui s’est fait… Ce n’est
rien de créatif, mais c’est cependant
fort utile.
Jusque-là tout va bien…
RB : Après, il y a l’analyste qui connait
la boite mieux qu’il ne connait sa
chambre. Il la suit depuis plusieurs
années et il sait tout sur elle. Le jour où
nous arrivons, il la comprend
forcément mieux que nous : il est
sensible à des paramètres qui nous sont
encore étrangers. Le lire nous aide à
structurer notre propre approche, ou à
défaut à comprendre comment lui a
structuré la sienne.
Thomas parlait de bon grain et
d’ivraie…
RB : Il y a enfin la note d’un analyste
tiers, qui a vu quelque chose que nous
autres n’avons pas vu. Aussi brillants
sommes-nous (rires), dans 100% des
cas nous manquons des éléments
pourtant critiques dans notre analyse
initiale,
éléments
que
nous
n’assimilons que dans la durée, au fur
et à mesure que nous nous
familiarisons avec le dossier. Voilà où
je voulais en venir : dans le premier cas
c’est une ressource qui mérite d’être
collectée, dans le deuxième cas un
service rendu qui mérite d’être
remercié et, dans le troisième cas, c’est
parfois une trouvaille ou une
information inédite. Je suis d’accord
avec vous, la pertinence est l’exception
plutôt que la règle. Mais même si elles
n’arrivent qu’une fois sur vingt, les
bonnes surprises méritent quand même
d’être cherchées.
Revenons-en aux dossiers du moment.
Vous parliez tout à l’heure de Norbert
Dentressangle, une société que tout le
monde connait sans nécessairement le
savoir…
Grégoire Uettwiller : Leur logo est très
distinctif !
l’activité transport. Ils sont légers au
niveau des actifs et génèrent beaucoup
de free cash flow. C’est une maison
très, très bien gérée... Le levier
opérationnel est faible et la politique
salariale efficace.
RB : Ce n’est pas lié à l’exploitation,
mais grâce à ça ils peuvent se
désendetter.
Norbert Dentressangle a fondé
l’entreprise durant sa vingtaine si je
ne m’abuse ?
GU : La famille Dentressangle possède
les deux tiers du capital.
Vous parliez d’activité cyclique.
Rachètent-ils leurs actions durant les
contractions ?
GU : Non, hélas.
Alors que font-ils de leurs free cashflows ?
GU : Ils rachètent des sociétés. Ils ont
fait deux grosses acquisitions sur les
dix dernières années, et ils viennent
d’en annoncer une nouvelle aux EtatsUnis. C’est une nouveauté pour une
société si typiquement française.
vous
qui
suivez
GU : Affirmatif.
Présentez-nous le topo.
GU : Ils transportent tout ce qui est
transportable : palettes, frigorifiques,
liquides,
matières
dangereuses...
L’activité se partage entre le transport
et la logistique contractuelle, chacune
pour la moitié du chiffre d’affaires. Au
niveau logistique, ils opèrent des
entrepôts avec leur staff. Il y a eu un
grand mouvement d’externalisation ces
dernières
années :
les
grandes
entreprises sous-traitent la gestion de
leurs stocks et de leurs flux. Norbert
Dentressangle s’est positionné sur cette
tendance, et ils ont bien tiré leur
épingle du jeu.
RB : La qualité des actionnaires est très
importante. Que l’équipe de direction
ait des intérêts alignés aux nôtres ne
peut pas non plus nous déplaire. Aussi,
c’est ce qui permet le maintien de la
très forte culture d’entreprise qui y
existe depuis les premiers jours... Selon
nous, c’est justement l’origine de son
succès.
On peut aussi dire cela du Groupe
Guillin, n’est-ce pas [NDLR : une
autre position de Moneta] ?
Raphael Lucet : C’est certain. C’est
d’ailleurs une position qui a très bien
marché pour nous.
Quand l’avez-vous initié ?
Quel est leur historique en matière
d’acquisitions ?
GU : Chiffre d’affaires et book value
ont triplé en dix ans.
Sympathique.
Grégoire, c’est
l’entreprise ?
toujours
C’est un détail qui compte pour vous ?
GU : Oui. Il en est toujours le
président, mais il ne gère plus
directement l’opérationnel.
C’est une position de Moneta ?
RB : Oui, mais pas dans les mêmes
proportions qu’Eurotunnel ou que
Bolloré, puisque beaucoup plus petite
et moins liquide.
Le
fondateur
est
l’actionnaire majoritaire ?
GU : A fortiori dans un secteur aussi
difficile. C’est une société très bien
gérée. Nous avons investi alors qu’elle
cotait à dix fois ses free cash-flows.
RL : Il y a un an. Mais je suis
actionnaire à titre personnel depuis
2009. L’action cotait cinquante euros à
l’époque [NDLR : cent-cinquante euros
aujourd’hui]. Rentabilité des capitaux
propres excellente, bilan très liquide,
entreprise à vendre à cinq fois ses free
cash-flows… C’était comme tirer des
poulets quand ils sortent de la cage
(rires) !
Mais encore ?
Où est la marge de sécurité dans un
business cyclique à dix fois le free
cash flow ?
GU : Ils sont si flexibles qu’ils sont
parfaitement capables de supporter une
baisse de chiffre d’affaires en modulant
leurs coûts. Quant à leur activité
logistique, elle est stable et en
croissance.
RB : A l’origine, nous avions des
hypothèses de croissance raisonnables
mais optimistes. Avec la crise, le
chiffre d’affaires a connu une
stagnation, mais on voyait ce qui se
passait ailleurs, chez ID Logistics par
exemple, où il y avait une très forte
croissance interne. La marée montait,
et il n’y avait aucune raison qu’elle ne
soulève pas Dentressangle.
C’est une offre intégrée ?
Je regarde les chiffres tout en vous
écoutant… Comment font-ils pour
générer de tels cash-flows ?
GU : C’est ça. Comme l’activité
transport est par nature cyclique, le
marché évalue l’entreprise avec un a
priori négatif. Mais nous, ce que nous
voyions, c’est qu’en vingt-cinq ans elle
n’a jamais perdu d’argent, même dans
GU : Ils rachètent des sociétés qui
possèdent souvent de l’immobilier en
propre. Ils le vendent, et ensuite ils le
louent.
Du
coup
l’intensité
capitalistique est faible, et le free cash
flow est plus élevé.
[7]
RL : L’activité est simple : ils font des
barquettes d’emballage pour toutes les
denrées alimentaires, et travaillent avec
les grandes chaines en Europe. Ce qui
m’avait plu au départ, c’est que nous
consommons tous leurs produits un
jour ou l’autre.
Quid de l’avantage compétitif d’une
telle entreprise ? Si je ne m’abuse, des
emballages en plastique, tout le monde
peut décider d’en faire demain
matin…
RL : Vous avez raison, sauf que tout le
monde ne peut pas le faire bien.
L’avantage compétitif de Guillin, c’est
la réactivité. Ils ont mille points de
vente sur tout le territoire français. Les
fruits et les légumes périssent vite, et il
faut pouvoir répondre à la demande
immédiatement. Guillin est en mesure
de faire ça : ils ont les stocks, ils ont le
réseau de distribution, ils ont
l’expérience et ils ont la qualité. Dans
ce business, si vous n’avez pas de
stocks immédiatement disponibles pour
vos clients, vous êtes morts. Tout le
monde n’a pas l’infrastructure, or c’est
celui qui répond le plus vite aux
commandes qui l’emporte.
Question naïve : qu’est-ce qui
empêcherait un Chinois de faire ça ?
RL : Les barquettes d’emballage sont
des produits qui n’ont pas assez de
valeur ajoutée pour être rentables si
importées depuis la Chine, ou même de
plus près. Et il faudrait compter le
temps de transport : le risque de rupture
de stocks serait trop fort. Guillin garde
toujours beaucoup de stocks en aval.
La demande est imprévisible, c’est
impossible d’anticiper à long-terme.
Donc encore une fois, il faut être réactif
et capitaliser sur la proximité.
Les avantages compétitifs
toujours locaux…
sont
RL : C’est ce que je dis tout le temps.
Et Guillin est très concentré sur son
activité. Ils ne font que ça, et ils le font
bien. Ils ne se laissent pas embarquer
dans d’autres choses.
Présenté ainsi, c’est très certainement
merveilleux…
RL : Il y a quelques risques,
essentiellement sur le coût des matières
premières, qui représentent grosso
modo la moitié des coûts de
production. La météo aussi, mais ce
n’est pas un élément récurrent. Le
marché sous-jacent est porteur,
d’autant plus que les hyper-marchés
tendent de plus en plus à vendre de la
marchandise pré-emballée : le vrac
pose des problèmes d’hygiène, de
merchandising et de pertes.
RL : On fait un DCF [NDLR :
Discounted Cash Flow] classique, en se
basant sur le trafic et avec une
hypothèse d’inflation raisonnable. Ce
qui est un peu plus sportif, c’est de
connaitre le coût du capital, sachant
qu’il y a beaucoup de dettes.
Mais sur la fin, il y a eu des difficultés.
Comment l’expliquer ?
RL : La construction ? Le marché
s’attendait
à
ce
qu’elle
s’effondre, mais rien n’est venu.
RL : Dans la construction, le principal
risque c’est que les contrats se passent
mal. Les marges sont minuscules, entre
2 et 4%. Si jamais le contractuel s’est
trompé sur le coût du chantier et sur
son pricing au client, l’exercice devient
rapidement déficitaire. C’est un
numéro d’équilibriste permanent, et
hélas ce n’est pas une science exacte.
L’erreur ne pardonne pas.
Parce qu’elle est encore très stimulée
par l’Etat ?
Et des erreurs, Eiffage en a commis
beaucoup ?
RL : Vous avez raison, les projets
initiés par les collectivités territoriales
représentent un tiers du chiffre
d’affaires.
RL : Oui, il y a eu quantité de
problèmes sur de gros chantiers : ils
avaient mal calculé leurs coûts. Ils
étaient prêts à tout pour remporter les
appels d’offre, donc ils optaient pour
du pricing trop agressif. Erreur
classique. Résultat, ils ont subi des
pertes aux premiers imprévus. Et quand
les imprévus se multiplient…
C’est surtout la deuxième partie de
l’activité qui m’inquiète…
Sérieusement, c’est pour un gag ?
Qu’êtes-vous allés faire dans ce
guêpier ?
RL :
Nous
savons
l’actualité
défavorable. Les collectivités en
question ont prévu dix-sept milliards
d’économies sur les trois prochaines
années,
et
leurs
dépenses
d’investissement sont amenées à
baisser. Le discours des concurrents est
pessimiste, comme chez Vinci par
exemple. Nous affrontons un vent de
face, mais je ne vous apprends pas que
c’est dans ce type de contexte qu’on
trouve des opportunités.
Où est l’opportunité chez Eiffage ?
C’est un peu le même mécanisme
qu’une compagnie qui provisionne
mal ses réclamations ?
RL : C’est exactement pareil. Un
constructeur ou un assureur qui veut à
tout prix faire croître son chiffre
d’affaires sera contraint, à un moment
ou un autre,
de pricer trop
agressivement, et de se mettre ainsi à la
merci du premier imprévu. Il vaut
mieux privilégier les marges plutôt que
le chiffre d’affaires.
Vous êtes rentrés à combien ?
RB : Autour de quatre-vingt dix euros
l’action.
RL : Dix fois les free cash-flows.
Bien plus cher qu’en 2009 donc ?
RL : Ils rencontraient de vrais
problèmes opérationnels. Ils avaient
perdu des parts de marché et commis
trop d’erreurs de gestion. Mais nous
pensons qu’aujourd’hui, ils ont toutes
les cartes en main pour retourner la
situation.
RB : Oui, cependant la société a
beaucoup évolué depuis. Ils ont fait une
acquisition au Royaume-Uni qui s’est
mal passée, mais malgré cette péripétie
on voyait le résultat progresser. La
division britannique avait beau être en
perte, le business sous-jacent était
toujours plus fort. C’était un signal
encourageant.
Enfant, vous étiez du genre à croire
aux comptes de fées ?
Raphaël, vous suivez aussi Eiffage
pour le compte de Moneta ?
RL : Vraiment ? Et que faisiez-vous ?
RL : Oui, aussi. Nous avons initié une
position en début d’année.
Vous aimez vivre dangereusement pas
vrai ?
RL : Non (rires), pourquoi ? Comme
vous le savez, il y a deux activités chez
Eiffage. D’abord les concessions
autoroutières, qui sont assez simples à
valoriser….
Simples ?
RL : Le règne de Jean-François
Roverato s’est mal terminé. Les choses
vont dans le bon sens à présent.
Et chez Eiffage, vous observez un
développement positif à ce niveau ?
RL : Oui. Aucun des grands projets du
moment ne subit de contrecoups. Le
management a changé : à présent, c’est
Pierre Berger aux commandes. Ils sont
concentrés sur les marges, c’est leur
objectif explicite. Ils sont beaucoup
plus disciplinés, et ça se voit.
Vous
les
personnellement ?
connaissez
J’étais son chauffeur. J’avais dixneuf ans. C’était un job d’été.
RB : On les rencontre souvent. La
nouvelle culture d’entreprise est
crédible. Je connais bien Eiffage. J’y ai
investi une première fois en 2003. Une
situation incroyable, un véritable cas
d’école : la société n’avait pas de dettes
et s’échangeait à six fois ses profits, qui
eux étaient en croissance.
RL : Vous avez une information
d’insider à partager ?
Parlez de tirer un poulet quand il sort
de la cage…
Roverato était très respecté par tous
les employés d’Eiffage. Je ne crois pas
avoir vu un tel dévouement au grand
patron nulle part ailleurs.
RB : Et ce n’était pas tout ! Elle valait
un milliard d’euros sur le marché, alors
qu’il y avait le viaduc de Millau
financé en fonds propres qui valait
quatre-cent
millions.
Situation
cocasse : la plupart des analystes
étaient à l’achat, mais le dossier
n’intéressait personne..
Saviez-vous que j’ai travaillé pour
lui ?
RL : C’est extraordinaire ce qu’il a fait
chez Eiffage. C’est lui qui a amené
l’entreprise où elle est aujourd’hui.
[8]
Sauf Moneta…
RB : Malheureusement, nous avons
vendu trop tôt, juste avant que Sacyr ne
se mette à acheter.
Sacyr ?
RB : Un groupe de BTP espagnol. Ils
voulaient acquérir Eiffage, et ils s’y
sont pris via une OPA rampante.
Roverato est devenu un chef de guerre,
de nouveaux actionnaires sont rentrés
au capital pour beaucoup trop cher,
enfin bref l’aventure a déstabilisé
l’entreprise. Roverato a été remplacé,
mais le nouveau dirigeant n’a pas fait
l’affaire et il est revenu. La période
était difficile, ce qui peut expliquer que
la discipline et l’efficacité en aient pâti
ensuite. Tout à l’heure nous parlions de
Guillin, et Raphael nous rappelait
comme ils sont concentrés sur leur
activité, et comme c’est justement la
clé de leur succès. Avec Eiffage c’est
pareil : il faut être sur le terrain tous les
jours, contrôler les coûts sur chaque
chantier. Tout peut si vite dégénérer...
Ils avaient perdu cette discipline, mais
ils sont en train de la retrouver.
Cramponnez-vous à vos sièges, voici
la question qui tue : France, bulle
immobilière ou non ?
RB : Bien malin qui peut répondre !
collectivités
territoriales,
et
la
diminution
attendue
de
leurs
investissements…
RL : Nous sommes conscients du
risque. Encore une fois, c’est cette
incertitude qui nous permet d’acheter à
bon prix. Nous avons fait nos modèles
selon des hypothèses prudentes, et nous
nous y retrouvons.
Concrètement Romain, vous voyez
quoi dans ce business ?
RB : Une société sous-rentable par
rapport à son potentiel normatif. Une
grosse marge d’amélioration. Un
management qui prend les bonnes
décisions. Une conjoncture négative
dont nous profitons pour investir. Vinci
est également une société intéressante,
mais les marges de l’activité sont plutôt
matures. Vous trouverez toujours des
gens pour penser qu’Eiffage souffre de
quelques handicaps structurels : ils sont
davantage concentrés sur la France, ils
ont gagné plusieurs appels d’offres
grâce à un pricing franchement
agressif… Les marges sont faibles et il
y a une dette importante qui coûte
cher : c’est assez pour désintéresser la
majorité des investisseurs.
Il y a aussi des particuliers n’est-ce
pas ?
Je peux en attester…
RL : Avec l’hypothèse selon laquelle
l’activité construction revient à une
profitabilité normale, aux alentours de
70€ par action.
RB :
Le
marché
recherche
généralement la simplicité, car les
dossiers faciles emportent le consensus.
Nous nous méfions de ça. Nous
préférons chasser sur des terrains
complexes
que
la
compétition
n’entreprend pas de défricher, soit
parce qu’elle est prisonnière de ses a
prioris, soit parce qu’elle ne suit pas
l’entreprise depuis aussi longtemps que
nous. Regardez Bolloré, cas d’école
d’un dossier complexe et opaque : nous
le suivons depuis des années, mais
n’avons commencé à investir que
récemment.
Non, à combien de fois les profits ?
Admettons. Mais nous parlons
d’immobilier résidentiel, or vous
évoquiez la réduction du budget des
RB : Attendez, attendez… Nous
sommes un fonds ouvert : par
définition, nous devons être investis. Et
cela nous va très bien. Notre mandat
n’est pas de faire l’allocation d’actifs
de nos clients, qui sont des maisons de
gestion d’actifs, des banques privées,
des fonds de retraite ou des compagnies
d’assurance.
Et combien avez-vous trouvé ?
RL : Si les prix de l’immobilier
baissent, les gens achèteront davantage.
Ceux qui aujourd’hui sont tenus à
l’écart par des prix trop élevés pourront
enfin investir. On sait qu’il y a un
déficit de l’offre foncière en France. A
priori, une baisse des prix serait
positive pour la construction.
RB : Les récents programmes ne sont
lancés qu’avec des niveaux de
préventes satisfaisants. Là aussi on
observe une certaine discipline.
Vous me tendez la perche. L’impératif
institutionnel auquel vous êtes soumis
ne vous contraint-il pas à être moins
regardant sur les marges de sécurité, à
prendre plus de risques ? Si vous
refusiez
d’investir,
faute
d’opportunités, vos clients vous
quitteraient…
RL : Nous avons plutôt fait une somme
des parties.
Vous avez acheté à combien ?
RL : Je ne crois pas qu’on puisse
comparer la situation aux Etats-Unis en
2007 avec celle de la France en 2014.
Imaginez que, ici, le prix du mètre
carré diminue de moitié demain. Vous
je ne sais pas, mais moi je connais
beaucoup de gens qui se précipiteraient
pour acheter… A vrai dire, c’est plutôt
une hausse du prix de l’immobilier qui
nuirait à Eiffage.
RB : C’est vous qui le dites… Avec de
tels raisonnements, on peut aussi
avancer qu’en 2009 il n’y avait aucun
risque, même si c’est partiellement
vrai. Simplement voilà, j’ai un scoop :
nous ne sommes pas en 2009.
RB : Bien sûr, mais le gros des actifs
sous gestion nous sont confiés par des
institutionnels. Comme les particuliers,
ils décident d’avoir une poche actions
et ils font appel à nous pour la gérer.
Nous ne sommes pas un fond
patrimonial... Notre métier est de
trouver les meilleurs investissements
du moment, de faire mieux que de
l’indiciel en gérant bien le risque. Nous
sommes parfaitement conscients des
points forts et des points faibles de
chaque dossier.
RL : La dette est chère en effet, mais
liée à l’activité autoroutes. C’est plus
gérable.
N’est-ce pas un risque majeur qui
pend au nez d’un groupe comme
Eiffage ?
Raphael, n’avez-vous pas tendance à
toujours voir le verre d’eau à moitié
plein
?
Aux
Etats-Unis,
la
construction n’a commencé à
sensiblement repartir que cinq ans
après le krach…
Quand on achète du très décoté
rentable par exemple…
RB : Le prix de l’action ?
Que pensez-vous de la récente sortie
du gouvernement sur la réévaluation
de la tarification des autoroutes ?
RB : Nous avons intégré ce risque dans
notre modèle.
Vous parliez de somme de parties. Je
vous écoute et ce que j’entends, c’est
surtout une somme de risques !
RB : Vous êtes dur (rires) ! Notre
métier est de contrôler le risque. Il ne
s’agit pas de le nier, mais de le
comprendre et de modéliser. Si on
cherchait une absence de risques, on ne
trouverait rien…
C’est très clair.
Ça se discute…
J’allais y venir…
RB : Ah ? Pouvez-vous me citer de
bons investissements qui ne comportent
aucun risque ?
RB : Sectoriellement, c’est notre plus
grosse position, à hauteur de 7% du
fonds.
[9]
Andrzej Kawalec : Tout ne peut être
aussi simple à comprendre que
l’immobilier résidentiel en Allemagne
(rires) !
AK : Nous avons commencé à nous y
intéresser à la fin de l’année 2011.
En pleine débâcle de l’euro…
AK : Ce qu’il est intéressant de noter,
c’est que les cycles immobiliers sont
différents selon les pays d’Europe. On
a observé une dynamique haussière
commune en France, en Italie et en
Espagne depuis les années 2000. En
Allemagne,
c’était
différent :
l’immobilier a connu un boom lors de
la réunification, dans les années 199095, notamment suite à un afflux de
migrants, mais la période suivante a été
plus difficile : l’économie souffrait
beaucoup des délocalisations vers
Europe de l’Est. Le pays a ensuite subi
des réformes très difficiles, qui ont
duré près de dix ans…
Pardon de dévier, mais leurs
problèmes à l’époque étaient très
similaires à ceux rencontrés par la
France aujourd’hui, non ?
AK : Il fallait réformer une socialdémocratie qui vivait au-dessus de ses
moyens. Les rapprochements sont
évidents.
Soyons positifs : si les réformes ont
fonctionné chez eux, elles peuvent
fonctionner chez nous…
AK : C’est un autre débat. Quoiqu’il en
soit, en Allemagne elles ont fait
exploser le chômage. Or on observe
traditionnellement une corrélation
étroite entre le prix de l’immobilier
résidentiel et le niveau du chômage.
Quand il explose, les prix stagnent ou
régressent, et vice-versa.
Ce n’est pourtant pas ce qu’on
observe en France…
AK : Mais si ! Les prix sont restés
élevés en Ile-de-France, mais c’est
parce qu’il y a très peu de chômage
dans la région de la capitale….
L’Allemagne connait supposément le
plein-emploi…
AK : Les prix de l’immobilier y ont
connu quinze ans de purgatoire entre
1995 et 2010. Ils se reprennent depuis.
Coïncidence ?
2011, c’était le point d’inflexion ?
AK : Oui, et l’occasion pour nous de
découvrir que le secteur n’existait en
bourse que depuis très peu de temps.
Les premières cotations datent de juste
avant la crise [NDLR : de 2007-2009],
et elles s’étaient faites à des prix très
élevés, en dépit de lourdes dettes. Bien
sûr, ça a été l’apocalypse dès les
premières secousses : il y avait
beaucoup de financements à l’aide de
CMBS
[NDLR :
Commercial
Mortgage-Backed Securities], et plus
personne ne voulait toucher à ça….
Personne, à part Moneta…
AK : Nous avons entrepris d’étudier
toutes les foncières allemandes listées
en bourse. Nous commencions à en
acheter certaines, mais pas les
bonnes…
RB : En fait, nous achetions les plus
décotées. On avait dû louper un
épisode (rires), parce qu’on a vite
compris qu’elles ne l’étaient pas sans
raison.
AK : C’est à ce moment-là que nous
tombons sur Gagfah : introduite en
bourse à dix-neuf euros en 2006, cote à
deux euros en 2009, et à six euros en
2011. Il y avait alors trois problèmes.
D’abord, un litige avec la ville de
Dresde, où Gagfah possède quarantemille logements : la municipalité
réclamait un milliard d’euros de
dommages et intérêts. Ensuite, un délit
d’initié du patron qui, par un curieux
hasard, avait vendu ses titres juste
avant les ennuis juridiques…
AK : Une bonne qualité, et c’est
justement ce qui nous a plu. Le
patrimoine foncier de Gagfah comptait
cent cinquante mille logements répartis
sur tout le territoire allemand. Il était
très raisonnablement valorisé, de
l’ordre de 850€ le mètre carré. Avec
Romain, nous sommes allés faire un
tour d’actifs…
Vous êtes allés enquêter sur le
terrain ?
AK : … Oui, mais nous avons défini
nous-mêmes notre parcours. Nous ne
voulions pas être guidés par la société.
Et qu’avez-vous vu ?
AK : A Berlin, des immeubles des
années trente d’excellente facture.
Saviez-vous que dans la capitale moins
de 15% des habitants sont propriétaires
de leur logement ?
Vous en déduisez que les achats vont
croître et tirer les prix du marché vers
le haut ?
Encore une coïncidence…
AK : Enfin, il y avait trois milliards et
demi de dettes sous forme de CMBS à
refinancer avant 2013, donc à échéance
de deux ans.
Le coup de grâce !
AK : En pleine crise de l’euro, deux
ans après la crise des prêts
hypothécaires
américains ?
Oui,
plutôt !
Avant de développer, auriez-vous la
bonté de nous rappeler ce qu’est un
CMBS ?
RB : C’est une titrisation de dettes. Une
foncière peut se financer de différentes
façons : à la banque avec un crédit
hypothécaire, sur le marché obligataire,
où on lui attribue un rating [NDLR :
une notation de crédit] et lui fixe des
covenants [NDLR : des règles de
gestion destinées à protéger les
créanciers], ou bien par une titrisation
de ses actifs, qui sont alors « sortis » de
la foncière, mis au sein d’un véhicule
financier, et c’est ce véhicule qui émet
différentes tranches de dettes, de la
plus senior à la plus junior. Chez
Gagfah, on retrouvait ce type de
structure complexe. Le moins que l’on
puisse dire, c’est que ça n’a pas plu au
marché…
Il pensait que Gagfah n’allait plus
pouvoir honorer ses engagements ?
AK : Le mur de dettes était conséquent.
Ajoutez-y le contexte de crise et les
autres problèmes mentionnés, et un
refinancement par émission d’actions
semblait inévitable.
A quelle qualité d’actifs ce mur de
dettes était-il adossé ?
[10]
AK : Pas nécessairement, mais c’est
une statistique intéressante.
Je pense à ces villes chinoises avec un
taux de propriété qui dépasse les
100%... Est-ce un indicateur de haut
ou de bas de cycle sur un marché
immobilier ?
AK : C’est l’un des indicateurs.
Et concernant Gagfah, à part Berlin ?
AK : Un quart du portefeuille de
logements est à Dresde, une ville
d’Allemagne de l’Est avec des
fondamentaux corrects. Le reste est
dispersé sur tout le territoire.
Comment avez-vous su que les
actionnaires échapperaient au bain de
sang lors du refinancement ?
RB : Notre analyse était strictement
financière. La crise de l’euro n’était pas
une crise de liquidités : il y avait de
l’argent partout, c’est simplement que
les gens avaient peur. Il y avait le mur
de la dette, il y avait la panique, il y
avait Fortress [NDLR : un gestionnaire
d’actifs américain] et ses méthodes de
cow-boy
comme
actionnaire
majoritaire à 65% du capital ; et bien
sûr, il y avait la municipalité de Dresde
qui, trop maligne, profita du moment
de vulnérabilité de Gagfah pour faire
pression sur eux et les attaquer en
justice. Mais ce que nous voyions,
c’était qu’à 850€ le mètre carré, la
société décotait par rapport à sa valeur
d’actif réévalué d’au moins 50%.
Rien que ça ?
RB : Le patrimoine foncier était de
grande qualité, il produisait un
rendement mensuel de 5€ brut le mètre
carré, soit environ 60€ brut à l’année,
et son taux d’occupation était
satisfaisant.
AK : Il y avait intérêt. Comme ce sont
de petits logements et de petits loyers,
les frais de gestion sont importants. Et
puis il y a la
maintenance des
immeubles, coûteuse elle aussi.
RB : Net, le rendement au mètre carré
était d’environ 5%. Il suivait l’inflation
et allait en augmentant. Dans un
contexte de taux proches de zéro, ce
type d’actif est très demandé. Nous
étions prêts à parier que la société
trouverait
une
solution
de
refinancement. La confiance s’est
restaurée, et effectivement c’est ce qui
s’est produit.
Comment ça, « la confiance s’est
restaurée » ? Par enchantement ?
RB : Le dirigeant, un Américain, a été
remplacé par un Allemand. Le conflit
qui les opposait à la ville de Dresde a
été réglé quasiment dans la foulée.
J’imagine que c’est le moment que
vous avez choisi pour investir ?
RB : Non, nous sommes rentrés en
plein pendant les problèmes de
refinancement. C’était un cas similaire
à Eurotunnel : un actif décoté négligé,
nous qui investissons, puis les
catastrophes
imprévues
qui
s’enchainent… Chez Eurotunnel, nous
avions eu l’incendie. Chez Gagfah, le
procès, puis le délit d’initié du
précédent dirigeant…
Une mauvaise
jamais seule…
nouvelle
n’arrive
RB : L’adage s’est vérifié. Mais en
dépit de cela, nous savions l’action
sous-valorisée. Une autre chose qui
nous plaisait, c’est que la société ne
faisait aucun marketing. Ni road-show,
ni rien…
Et c’est bon signe selon vous ?
RB : Oui, car ainsi les analystes ne la
suivent pas, et la recommandent encore
moins… Elle reste sous le radar.
AK : Accessoirement, on disait Gagfah
au bord de la faillite, mais la société
rachetait ses actions. La NAV [NDLR :
Net Asset Value, ou valeur de l’actif
net réévalué] était autour de 12€. Les
premiers rachats ont eu lieu à 5,75€.
J’ai malgré tout l’impression que vous
avez pris un risque insensé…
RB : Insensé, certainement pas. Le
risque existait mais nous l’avions
quantifié. Nous maitrisions bien le
dossier et nous étions à l’aise, a fortiori
dans un contexte de taux bas, et malgré
un consensus unanimement négatif.
Nos clients étaient un peu moins
sereins, et nous dépensions beaucoup
d’énergie à les tranquilliser (rires)…
Nous avons récemment publié une
note [NDLR : Arbitrage 101] qui
explique l’impact décisif, du niveau
des taux dans chacune de nos
décisions d’investissement. Partagezvous cette approche à Moneta ?
RB : Bien sûr ! Plus les taux baissaient,
plus nous nous intéressions aux actions
qui ressemblaient à des obligations,
comme Gagfah. Nous étions deux fois
plus concentrés sur les free cash-flows
que d’habitude. C’est d’ailleurs ce qui
nous a amené à Guillin et Norbert
Dentressangle.
Au sujet de Gagfah, vous parliez tout
à l’heure d’un rendement net de 5%.
Pardon, mais moi ça ne m’excite pas
du tout…
RB : C’est parce que vous êtes
gourmand (rires). 5% net indexé dans
le pays le plus solide de la zone euro,
avec des loyers faibles et sur un marché
en bas de cycle, pour un institutionnel
c’est plus qu’intéressant. Aussi, qui dit
taux en baisse dit levier moins coûteux.
A chaque échéance de dette, une
nouvelle tranche est émise pour moins
cher que la précédente... Comme les
foncières
allemandes
peuvent
augmenter leurs loyers de 2 ou 3% par
an, nous projetions un free cash-flow
en augmentation de 7 à 10% par an
chez Gagfah, ou 5 à 6% sans levier.
Comment la thèse s’est-elle jouée
finalement ?
RB : Nous avons multiplié notre
investissement par trois. Aujourd’hui,
le prix de l’action a dépassé la NAV.
La thèse d’investissement a évolué elle
aussi.
ne pas vendre ?
RB : Nous nous sommes bien allégés,
essentiellement pour arbitrer vers
d’autres foncières.
Vous disiez tout à l’heure avoir eu à
tranquilliser vos clients. A la réunion
des investisseurs particuliers de
Moneta [NDLR : du 11/09/2014], j’ai
remarqué que les questions portaient
quasi exclusivement sur la macroéconomie, plutôt que sur les différents
investissements
du
fonds.
Ma
question, de but en blanc et sans
prendre de gants : n’en avez-vous pas
ras la casquette d’être ainsi interrogés
sur l’accessoire plutôt que l’essentiel ?
RB : La macro est importante selon
moi. Après tout, les opportunités sont
souvent le fruit de leur contexte. Par
exemple,
bien
comprendre
les
dynamiques du marché de l’immobilier
résidentiel allemand est un véritable
atout pour saisir les subtilités du
dossier Gafgah. Idem pour Eiffage : où
en est la construction en France ? Où
en sont les financements ? Les
programmes publics ? Les inquiétudes
sont-elles déjà dans le cours ? Si oui, à
quel degré ? Ce qu’il est important de
comprendre, c’est que nous ne faisons
pas de prévisions macro-économiques.
On se contente d’analyser les tendances
du moment, d’abord car on peut ainsi
trouver des idées d’investissements,
ensuite pour comprendre ce que fait le
marché. Par exemple, ce qu’il cherche
comme titres. Si vous observez bien,
vous remarquez que depuis la baisse
des taux il recherche et surpaie pour
des actions « taux », assimilables à des
obligations, qui paient des dividendes
réguliers.
Pour paraphraser Warren Buffett, ce
n’est pas comme si pour vous le
marché n’existait pas ?
C’est-à-dire ?
RB : Nous nous sommes renforcés
quand Fortress sortait. Ils avaient
supporté un lock-up [NDLR : une
interdiction de vendre leurs titres]
pendant longtemps, et ils se
retrouvaient à liquider avec une décote.
Nous avons joué ça : nous anticipions
qu’ils allaient vendre et qu’il y aurait
une pression sur le cours. Plus ils
s’allégeaient, plus on se renforçait.
Finalement,
le
flottant
s’est
considérablement
élargi ;
la
capitalisation a augmenté, et l’action a
réintégré les indices. Ce sont alors les
fonds indiciels qui se sont mis à
l’achat, et cette fois-ci la pression était
sous le cours (rires)… Maintenant que
l’action cote à 15€, elle fait consensus.
L’efficience des marchés dans toute sa
splendeur !
RB : A qui le dites-vous…
Puisque la thèse est réalisée, pourquoi
[11]
RB : Vous savez, il y a un monde entre
ce que dit Buffett et ce qu’il fait. De
plus, le contexte aux Etats-Unis est très
différent d’ici : leur marché est
immense et relativement indépendant,
quand le nôtre est beaucoup plus petit
et davantage connecté aux autres
économies européennes. Encore une
fois : nous ne faisons pas de prévisions,
encore moins de prophéties, mais nous
aimons comprendre le contexte dans
lequel nous évoluons.
Avez-vous une opinion au sujet de
l’évolution des taux ? Pensez-vous
qu’ils puissent ainsi rester au
plancher encore longtemps?
RB : Nous n’avons pas d’opinion. Oui,
c’est possible. Aux Etats-Unis, ils sont
restés longtemps à 1 ou 2%, même en
période de reprise économique.
Avez-vous mis en place des stratégies
visant à vous couvrir contre une
éventuelle remontée ?
RB : Comment pourrions-nous ?
Vous avez des actions CNP
Assurances en portefeuille. Les
compagnies d’assurances-vie sont un
bon moyen de jouer un tel scénario…
actifs qui en bénéficieraient, comme
CNP, et de l’autre des actifs qui
gagnent en valeur au fur et à mesure
que les taux restent bas, comme Gagfah
et son 5% net que vous dédaigniez tout
à l’heure (rires).
RB : Nous pensons que l’action CNP
décote largement par rapport à sa
valeur intrinsèque. L'option d’une
remontée des taux n’est qu’une cerise
sur le gâteau.
Avec l’assurance, comme avec la
banque, 99% du succès repose sur le
talent, ou plutôt la discipline du
management. Celui de CNP remportet-il votre confiance ?
Comment estimez-vous la valeur
intrinsèque d’une compagnie comme
CNP ?
RB : Question complexe. La CNP est
un paquebot, avec quantité d’actifs
dépendant de la collecte des années
passées. La société évolue dans un
cadre très réglementé ; il n’y est pas
question de fantaisie ni de créativité.
Bien sûr, ce qui est le plus rentable
dans l’assurance-vie, c’est le modèle en
unités de compte, qui se développe
mais n’est pas encore prépondérant
chez
CNP.
Historiquement,
le
management s’est montré prudent. La
culture de la maison nous inspire
confiance.
RB : C’est très complexe. Nous
utilisons dans nos modèles le concept
d’embedded value [NDLR : en anglais
dans la conversation], un indicateur qui
prend en compte les critères de flux et
de capitalisation, et qui fait autorité
dans la valorisation des compagnies
d’assurances-vie. Nous avons aussi un
rendement sur dividende confortable…
CNP est connue pour avoir un
portefeuille d’actions plus important
que la moyenne de ses pairs.
RB : Oui, ce qui compense l’impact
défavorable de la baisse des taux. Je ne
suis pas dans le détail de leur gestion,
mais le montant des plus-values
latentes est très important : nous avons
une réelle protection à ce niveau-là.
Leur comptabilité est conservatrice,
comme en témoignent leurs réserves et
provisions.
L’entreprise est profitable ?
RB : Oui, même si les métiers de
l’assurance-vie
sont
difficiles
actuellement. La rentabilité des
capitaux engagés y est faible, très
faible… Les activités à risques
[NDLR : assurances emprunteurs,
accidents, sinistres et produits de
retraites] représentent une moindre
partie des capitaux engagés, mais ont
une bien meilleure rentabilité.
Pourquoi l’assurance-vie est-elle si
difficile ?
RB : Parce que les clients n’obtiennent
que des retours anémiques sur les fonds
euros, rarement plus de 2,5% ou 3%.
Ce n’est pas très vendeur ! Tant que les
taux restent bas, l’assurance-vie ne
rapportera
pas
grand-chose.
Heureusement, chez CNP il y a
beaucoup d’obligations plus anciennes,
qui rapportent davantage que les 1,5%
qu’on obtient actuellement sur le
marché.
Si les taux restent bas,
investissement tourne court ?
votre
RB : Vous nous demandiez à l’instant
si nous étions couverts contre une
éventuelle remontée des taux. Vous
voyez, d’un côté nous détenons des
Ils se sont bien
Amérique du Sud…
RB : L’activité est aussi trop
dépendante des marchés à mon goût.
Bien, nous avons déjà enregistré
presque trois heures d’entretien…
RB : Le temps passe trop vite. Nous
n’avons même pas évoqué le tiers des
dossiers du moment.
Préservons un peu de mystère.
Romain, avec votre permission,
j’aimerais recentrer la conversation
sur vous, sur comment vous vous êtes
fait. La majorité de nos lecteurs sont
des investisseurs autodidactes : ils
apprennent
en
calquant
leurs
méthodes sur celles des gérants qu’ils
admirent. Vous êtes très respecté dans
la communauté des investisseurs
francophones, et je sais comme
beaucoup de nos camarades sont
curieux de vous.
RB : C’est sûrement plus d’égards que
je n’en mérite, mais ce que vous dites
me touche beaucoup.
développés en
Racontez-nous comment vous avez
mis le pied à l’étrier.
RB : Ils ont signé il y a dix ans un
accord avec une institution d’Etat
brésilienne. Le deal était très contesté à
l’époque, mais il s’est finalement
révélé être une très bonne affaire.
L’activité brésilienne représente près
de 20% de la valeur de CNP
aujourd’hui. L’assureur conçoit des
produits qu’il distribue ou fait
distribuer,
typiquement
par
l’intermédiaire de La Poste ou de son
partenaire brésilien. En France, le
marché est mature. Ils auront besoin de
relais de croissance comme sur les pays
émergents pour réellement faire la
différence.
RB : J’ai commencé à m’intéresser à la
bourse très jeune, vers treize ou
quatorze ans. Plus tard, pendant mes
études,
j’ai
créé
un
club
d’investissement à l’ESSEC. A peine
un an avant l’élection de François
Mitterrand (rires)…
Le marché ne semble pas convaincu…
Vous deviez vous sentir seul au
monde…
RB : La CNP n’est pas valorisée
comme une entreprise de croissance
mais comme une rente en extinction.
Notre point de vue est moins
pessimiste, et le
dividende nous
permet d’attendre sereinement. Nous
avons en plus une call-option
intéressante si les taux remontaient.
Avez-vous une opinion sur AXA ?
RB : Non.
Déjà contrarien ?
RB : Il n’y avait pas de financiers ni
d’entrepreneurs dans mon milieu. Mes
parents étaient universitaires. Je ne sais
pas pourquoi je me suis autant
passionné pour
la
bourse et
l’investissement.
RB : J’avais tout de même réuni une
vingtaine de curieux dans mon club !
Nous avions des contacts avec
quelques sociétés de bourse… A
l’époque les techniques d’analyse
n’étaient pas aussi approfondies
qu’aujourd’hui : on discutait de
prévisions ou de résultats, mais tout
restait très superficiel.
Parlez-nous
de
investissement.
Pensez-vous qu’un investisseur, même
chevronné, peut comprendre un tel
dossier ?
RB : Je pense que oui. Mais clairement,
c’est très technique et spécifique. Avec
AXA, ce que l’on sait, c’est qu’il y a eu
de vrais succès et autant de vrais
échecs partout dans le monde. Pour
tout vous dire, je m’y suis frotté mais
j’ai abandonné (rires).
Bienvenue au club.
[12]
votre
premier
RB : C’était bien avant l’ESSEC. Je
devais avoir treize ans. J’avais un livret
de caisse d’épargne dont le rendement
était de 5% par an, ou quelque chose du
genre. Un jour, en lisant le journal, je
remarque qu’il existe des obligations
Renault qui paient 8,75%. Je me
souviens être resté interdit : pourquoi
se limiter à du 5% quand on peut faire
du 8,75% ? Ni une ni deux, j’ai fait
acheter l’obligation par mes parents
(rires).
Résultat ?
RB : La chance du débutant : les taux
ont baissé, les obligations ont monté.
J’ai revendu avec un profit.
Votre premier investissement était
donc obligataire ?
RB : Oui… Mais je n’avais aucune
idée de ce que je faisais. Je n’avais pas
étudié la solvabilité de Renault, les
charges d’intérêts ni rien. J’avais juste
vu 8,75% et j’avais signé (rires).
Rassurez-nous : vous avez évolué
depuis ?
RB :
Modestement,
modestement…
très
Comment en êtes-vous venu aux
actions ?
RB : Toujours en regardant le journal :
je voyais le prix des actions monter
chaque semaine et, bien sûr, ça me
démangeait d’y participer. J’ai
commencé à suivre le secteur que je
trouvais le plus intuitif, l’agroalimentaire.
Curieux…
Vous ne vous inscrivez pas dans un
cadre ou une méthode précise ?
Acheter des mégots de cigare comme
Graham, des franchises d’exception
comme Buffett, de l’obligataire
distressed comme Klarman ou des
situations
spéciales
comme
Greenblatt…
RB : Il y a des principes de
valorisation. Il faut les comprendre et
les intégrer, mais il existe bien trop de
modèles pour accepter d’être enfermé
dans une capsule ou dans une autre.
J’ai naturellement adopté une approche
plus ouverte, plus flexible. Vous parlez
tout le temps de Buffett ; je l’admire
autant que vous, mais j’aime aussi
beaucoup Peter Lynch [NDLR : le
gérant star du fonds Magellan durant
les années 80, entre autres auteur de
l’excellent One Up On Wall Street], qui
lui n’est pas nécessairement « value »,
mais au contraire très flexible dans son
approche.
C’est l’une de nos idoles à nous
aussi…
RB : J’étais un autodidacte momentum
(rires). Comme beaucoup de débutants,
je me disais quitte à gagner de l’argent,
autant que ce soit rapide ! Je
commence donc à investir dans les
actions qui avaient le plus monté sur
les quinze derniers jours. C’était ma
stratégie, si j’ose dire, et bien sûr ça a
tourné court rapidement. Fin 73, début
74, c’était la fin du marché haussier, la
crise du pétrole et la récession. Bref, la
fin des haricots. Je ne vous fais pas de
dessin.
Quand avez-vous commencé
rationaliser votre approche ?
RB : Bien sûr, c’est sympathique
présenté comme ça. Mais en réalité, je
ne vous apprendrai pas que chacun a
une interprétation bien à lui de ce
qu’est la valeur…
RB : Sa performance est inégalée
[NDLR : 29% de performance
annualisée entre 1977 et 1990].
Il est vrai que vous faites davantage
penser à Lynch qu’à Buffett !
RB : Si je devais m’identifier à
quelqu’un, ce serait le Peter Lynch des
années 80. Ceci dit, l’environnement
est très différent aujourd’hui. Et je suis
bien assez occupé à être Romain
Burnand !
à
RB : Sur le tard. A l’ESSEC j’étais un
peu plus éclairé, mais rien de
franchement brillant. Certains de nos
cours nous introduisaient aux dérivés
sur les matières premières… Nos
professeurs se formaient aux EtatsUnis, et revenaient avec ce type de
contenus encore inédits ici. A l’époque,
la mode en France était à l’analyse par
les flux. C’était très intelligent. Je me
souviens à ma sortie de l’école, quand
je cherchais du travail comme analyste,
j’étais très fier de dire que je
connaissais la méthode.
Autrement dit, Romain Burnand n’est
pas un value investor né…
RB : Pas franchement, non… Et vous,
vous êtes décidemment obsédés avec le
value investing (rires) !
Acheter un dollar pour cinquante
cents, effectivement c’est la méthode
qui nous parle…
Nous autres [NDLR : de l’Investisseur
Français] avons tous commencé après
un krach boursier, Serge le premier,
en
2003...
Nous
sommes
naturellement biaisés par ça.
RB : L’important est de comprendre ce
que l’on fait. Après, peu importe la
méthode tant qu’elle est articulée et
produit des résultats.
A quelle époque avez-vous senti que
vous montiez une puissance ?
RB : Quand je suis devenu analyste.
J’étais dans l’audit avant : c’est le
krach de 1987 qui m’a réveillé.
Quelque chose se passait et je voulais
en
être.
Meeschaert
Rouselle
recherchait de jeunes diplômés pour
étoffer leur bureau d’études : ça
tombait à pic.
Vous vous retrouvez alors assigné au
suivi des banques…
RB : C’était un secteur à défricher : la
[13]
plupart
d’entre
elles
étaient
nationalisées, mais cependant cotées
via des certificats d’investissements.
J’ai fait mes armes à Meeschaert
Rouselle, mais c’est chez Cholet
Dupont que j’ai vraiment progressé.
Notre Directeur Général, Michel
Vigier, était un ancien de l’analyse
bancaire. C’est un personnage que vous
gagneriez à rencontrer… Avec lui, il
n’y aurait pas un mais des centaines
d’Apartés à écrire.
Pourquoi pas ?
RB : Cholet était une petite structure.
Nous étions six ou sept analystes, très
attachés à la culture de la maison,
réellement motivés par un souci
d’excellence. Le fait qu’un ancien
analyste [NDLR : M.Vigier] soit
devenu le Directeur Général en dit long
sur le prestige qui était accordé aux
métiers de la recherche… J’étais
sensible à ça, il y avait un respect du
travail intellectuel qui collait bien avec
mon tempérament.
A l’œuvre, on reconnait l’artisan.
RB : C’est la devise de l’Investisseur
Français n’est-ce pas ? Elle vous
correspond bien.
Est-ce à cette époque que vous êtes élu
meilleur analyste de France ?
RB : N’exagérez pas (rires), j’ai été élu
meilleur analyste de l’industrie
bancaire.
Je crois avoir déjà posé cette question,
mais votre précédente expérience dans
l’audit vous a-t-elle servi à devenir
l’analyste reconnu d’alors ?
RB : Sans aucun doute. J’y ai appris à
être carré et rigoureux. Je me souviens
que mes études étaient plutôt
théoriques… Ça m’a toujours bien plu
la théorie, mais l’audit c’est exactement
l’inverse : de la pratique et rien d’autre.
Vérifier,
compter,
revérifier,
recompter… Il fallait mettre les mains
dans le cambouis, et c’est exactement
ce qu’on attend d’un bon analyste.
L’expérience fait le professionnel…
RB : Et pourtant, l’impression d’avoir
perdu mon temps dans l’audit m’a
poursuivi durant des années. Passer si
longtemps
dans
les
plus
microscopiques détails des bilans et des
comptes de résultats, quelque part je
trouvais ça absurde... C’est plus tard
que j’ai compris comme cette
expérience fût formatrice. Quand j’ai
commencé dans l’analyse des banques,
j’avais un net avantage sur mes
collègues.
La transparence des
institutions n’avait pas grand-chose à
voir ce qu’elle est aujourd’hui. A
l’époque, c’était le chef comptable qui
expliquait les comptes de la banque.
Moi qui m’étais formé à la compta,
quand quelqu’un me parlait compta je
comprenais tout de suite, sans avoir
besoin de décodeur.
Investissiez-vous
banques ?
alors
dans
les
RB : Non, ce n’est pas que l’envie
m’en manquait, mais je ne voulais pas
de conflits entre ma profession et mes
opérations personnelles. En revanche,
j’investissais dans les holdings et les
sociétés immobilières qui décotaient
par rapport à la valeur de leur actif net.
Racontez-nous.
RB : Les holdings étaient un modèle
contesté et, souvent, elles sortaient de
la cote. Les banques et les assurances
détenaient beaucoup de sociétés de ce
type. Quand je voyais une décote,
j’allais sur le terrain inspecter les
immeubles ; je ne m’arrêtais pas
qu’aux chiffres, j’allais creuser mes
dossiers.
Si
j’étais
convaincu,
j’achetais.
Ma
chance,
c’est
qu’effectivement un grand nombre de
ces sociétés ont été sorties de la cote, et
que les offres de retraits se faisaient
typiquement à des prix égaux ou
proches de l’actif net.
Benjamin Graham conseillait à un
jeune investisseur qui débute de se
constituer un portefeuille diversifié de
holdings décotées…
RB : Je n’avais pas lu Graham, mais
c’est intuitivement ce que j’ai fait. Je
restais dans mon cercle de compétence
puisque j’étais un familier des banques.
Ce n’est que des années plus tard que
j’ai commencé à m’intéresser à de plus
petites entreprises, en croissance et
bien gérées.
aux particuliers, essentiellement pour
l’habitat, les prêts aux entreprises,
plutôt pour l’investissement, et puis les
« prêts
aux
autres
acteurs
économiques ». En 85-86, cette ligne
ne pesait pas grand-chose. Et puis,
subitement, je remarque qu’elle croît
d’une manière exponentielle…
Comme vous suiviez les banques, vous
étiez bien placé pour comprendre ces
données publiées par la banque
centrale…
RB : Pas tellement plus qu’un autre.
J’appelle immédiatement la Banque de
France, qui m’apprend que ces « prêts
aux autres acteurs économiques » sont
des crédits faits aux promoteurs et
marchands de biens immobiliers… On
parlait de cent milliards de francs, une
somme tout à fait considérable à
l’époque.
Même aujourd’hui !
RB : Or je connais bien le marché
immobilier, puisque justement j’y
investissais souvent. Je savais qu’en
face de l’offre, la demande était en
majorité constituée d’assureurs, de
FCPI [NDLR : Fonds Commun de
Placement Immobilier] et d’étrangers.
Quand survient la crise du Golfe
[NDLR : en 1991], les répercussions
sur les marchés boursiers sont très
violentes. Et un jour où je rends visite
au dirigeant d’une société immobilière
parisienne, même si rien n’est dit, je
sens que la tension s’est propagée à son
activité…
Que se passait-il ? Les étrangers
désertaient ?
RB : Analyser dans le détail des
sociétés aussi complexes que les
banques y contribue certainement.
C’est d’ailleurs ce qui m’a amené à
l’une de mes premières grandes thèses,
ce jour où je comprends que le marché
de l’immobilier français est mal
engagé…
RB : Les prix de l’immobilier avaient
explosé à la fin des années 80. La
hausse était astronomique et, chose
nettement plus grave, elle était financée
par de la dette. Il faut se replacer dans
le contexte d’alors : les banques
profitaient d’une nouvelle régulation, le
désencadrement du crédit. Ce dernier
était autrefois régulé, justement pour
limiter l’inflation, mais un jour ce
système a sauté. Le crédit a été libéré.
On ne gérait plus l’économie par son
encadrement mais plutôt par le contrôle
des taux d’intérêt.
Comment comprenez-vous ça ?
Sempiternel déjà-vu…
RB : En 1990, les dettes des
promoteurs et autres marchands de
biens étaient gigantesques, alors qu’en
face il n’y avait que peu d’acheteurs et
d’investisseurs…
RB : Le crédit devient plus disponible,
les banques se livrent une concurrence
féroce, et donc leurs marges chutent.
Elles cherchent désespérément d’autres
emprunteurs, et qui trouvent-elles ? Je
vous le mets dans le mille : les
promoteurs immobiliers ! Au début,
c’était un deal parfait : les marges y
étaient encore assez élevées, car à
l’époque les gens se méfiaient de
l’immobilier ; ils conservaient un vif
souvenir des déconvenues passées.
Vous commencez avec des choses
simples, puis vous montez en gamme
au fur et à mesure…
Beaucoup d’offre, peu de demande ?
RB : Les promoteurs détenaient
énormément de stocks. Or j’avais
repéré dans les documents de la
Banque de France un chiffre inhabituel,
au niveau des différentes lignes de prêt
à l’économie. On y retrouvait les prêts
Quel contraste avec aujourd’hui !
[14]
RB : Certes, mais aujourd’hui il y a
beaucoup moins de dettes. A la fin des
années 80, la hausse des prix était
basée sur l’anticipation et le levier.
Les deux ingrédients du désastre…
RB : Des marchands de biens
achetaient de grands immeubles, puis
les rénovaient entièrement avant de les
revendre, le tout financé par de la dette.
Les stocks et les encours étaient
démesurés. D’ailleurs, vous étiez peutêtre trop jeune pour le remarquer, mais
à Paris il y avait des grues partout.
Quand quelqu’un achetait un immeuble
emblématique pour un prix record, la
nouvelle faisait la une des journaux.
C’était la frénésie.
Est-ce différent aujourd’hui ?
RB : Aujourd’hui, les promoteurs ne
lancent un programme que s’ils ont
sécurisé au moins 50% de préventes.
Ils ne s’encombraient pas de telles
précautions à l’époque (rires) !
Professionnels comme particuliers
accumulaient
les
stocks :
leur
conviction était qu’ils trouveraient
preneurs, et chacun était sûr de gagner
à tous les coups.
La bulle n’était-elle pas évidente ?
RB : Encore une fois, il faut se replacer
dans le contexte d’alors... Les FCPI
enchaînaient les collectes record, et les
étrangers découvraient la France. En
1992, on signait le traité de Maastricht.
La montée en puissance de l’Europe
était le grand thème du moment : le
monde entier voulait acheter à Paris !
C’est très difficile de résister aux
grandes vagues…
Quand on voit où sont les prix de
l’immobilier parisien aujourd’hui, ce
n’était pas non plus un mauvais call à
long-terme…
RB : Vingt-quatre ans plus tard, c’est
facile de dire ça. A l’époque, je voyais
bien les cent milliards de francs de
crédits accordés aux promoteurs, en
revanche je voyais moins les acheteurs.
Avec la guerre du Golfe, les étrangers
ont déserté le marché. Les banques sont
devenues plus frileuses. Et le flux de
collecte des FCPI s’est brutalement
tari : de vingt milliards, on est passé à
moins de cinq milliards.
La demande s’évaporait…
RB : Les institutionnels avaient déjà
cessé d’acheter de l’immobilier. Les
étrangers et les FCPI sortaient à leur
tour. La fête était finie. Les promoteurs
se retrouvaient avec leurs stocks
d’invendus et leurs cent milliards de
dettes…
Quelques mois avant le pic, vous
publiez cette note qui annonce le
cataclysme à venir.
RB :
« Immobilier
Français :
Perspectives
de
Ralentissement
Durable ». Dans le genre, c’était plutôt
nuancé et diplomate (rires) !
Votre market timing était d’enfer !
RB : Je n’ai rien fait de plus brillant
que de rapporter une somme de stocks
à une somme de dettes.
Et ensuite ?
RB : En 1991, les prix s’effondrent. Ils
sont quasiment divisés par deux en
l’espace de quelques mois, pour
finalement atteindre leur plus bas en
1996.
La Berezina…
RB : Ce qui ne peut durer doit un jour
s’arrêter. L’état d’esprit pendant la
hausse était délirant : tout le monde
était sûr d’en profiter, si nécessaire en
se raccrochant au mythe de Paris
capitale européenne.
Cet état d’esprit euphorique est bien
connu des financiers. Question : le
retrouvez-vous quelque part en 2014?
RB : Ils sont eux aussi contraints par
des règles prudentielles, et ne peuvent
dépasser un certain niveau d’exposition
au marché actions qui, comme vous le
savez, est naturellement plus volatil.
Pour une caisse de retraite ou une
compagnie d’assurance, investir en
actions coûte un montant de fonds
propres plus important que pour
investir en obligations.
RB : Oui, nous l’observons au
quotidien. Prenez Gagfah : c’est cet
argent pas cher qui l’a sauvé de son
mur de dettes ! Le marché avait fait le
calcul : il valait mieux prêter à 3% sur
cinq ans à Gagfah contre de
l’immobilier résidentiel décoté qu’à
l’Etat à 0,90% sur dix ans. Vous
évoquiez Casino : eux aussi ont
rééchelonné leurs échéances.
N’est-ce pas à nouveau l’exemple
d’une bulle engendrée par une
nouvelle régulation ? Qui, ultime
ironie, se veut « prudentielle » !
AK : Même Pages Jaunes a retrouvé
des financements (rires) !
RB : Une telle conclusion est un peu
audacieuse... Je dirais plutôt qu’il s’agit
d’une convergence de différents
facteurs. Ce qui est clair, c’est que nous
ne sommes pas dans une situation
économique normale. La base du
problème, c’est que les liquidités
contenues dans le système ne sont pas
réinjectées dans l’économie réelle.
C’est la raison pour laquelle la BCE
abaisse ses taux au minimum : elle
entend ainsi forcer la consommation de
bien durables et le financement des
entreprises.
RB : Bien sûr. C’était la seule chose à
faire.
RB : C’est le pari des autorités
monétaires. Nombre
de
grandes
sociétés en ont profité pour améliorer
leur bilan, grâce à des financements
obligataires à longue échéance et à bas
taux d'intérêt. Une entreprise très
endettée au début de la crise comme
Véolia a ainsi eu le temps de s'adapter
au nouveau contexte de ses métiers,
tout en restant en activité et en évitant
de massivement diluer ses actionnaires
au plus mauvais moment. La question
qui se pose aujourd'hui n'est plus celle
du financement des grandes entreprises
mais des petites et moyennes, qui
n'ayant pas accès au marché obligataire
sont dépendantes des banques pour leur
financement. Autrement, voyez ce qui
se passe aux Etats-Unis : les entreprises
ont des fonds, mais elles rachètent leurs
actions au lieu d’investir. Elles
compensent ainsi leurs actionnaires au
détriment de la croissance économique.
C’est symptomatique : la confiance
n’est pas entièrement revenue.
Comme les taux d’intérêt [NDLR : dits
« taux sans risque »] sont au
plancher, les investisseurs se rabattent
sur les obligations risquées pour
quelques points de rendements, ou sur
les
obligations
« sûres »
pour
conserver leur capital…
Vous parliez de Gagfah sauvé par de
l’argent pas cher… Vous qui
connaissez bien le secteur bancaire,
peut-on dire que ce « almost free
money » l’a sauvé, en permettant aux
institutions de se recapitaliser dans
l’urgence ?
RB : En termes de performance, les
obligations ont été la meilleure classe
d’actifs ces derniers temps, soit un
développement inattendu. En 2012, qui
aurait parié que la France emprunterait
à 1,2% sur dix ans ? Il était
parfaitement légitime de s’attendre à
une remontée des taux. Sauf que
l’économie n’est pas repartie comme
attendu, forçant la BCE à mener une
politique exceptionnellement agressive.
Ajoutez-y les régulations prudentielles
et la fébrilité des investisseurs
traumatisés par la crise, et vous obtenez
la convergence de facteurs que
j’évoquais à l’instant. Cette bulle a
cependant un impact positif pour de
nombreuses entreprises : sur le marché
obligataire, les financements sont plus
accessibles et moins onéreux.
RB : Attention, ce free money n’est pas
du capital. Mais puisque vous me le
demandez, mon avis est que les
banques ont procédé aux ajustements
nécessaires. Elles sont devenues très
prudentes sur la distribution des crédits,
une situation inverse à celle que nous
évoquions précédemment. Comme les
entreprises se refinancent à taux bas sur
le marché obligataire, les banques en
profitent elles aussi pour alléger leurs
lignes de prêts, et ainsi dégonfler leur
actif.
D’où vient cet excès de liquidités ?
RB : Bonne question. On le voit sur la
dette. Il y a quelques jours, Unibail a
fait une émission de 750 millions
d’euros à huit ans à 1,1375%, et cette
dernière a déjà été souscrite trois fois !
Même Casino, pourtant notée junk,
émet de la dette à 4%...
RB : Après les crises des subprimes et
des dettes souveraines, le système
financier s’est virtuellement retrouvé
en situation d’insolvabilité. Les
banques centrales ont beaucoup injecté,
et ainsi évité la catastrophe.
Vous saluez cette décision ?
RB : La dette allemande à dix ans est à
0,90%. Que des gens soient prêts à
s’engager dix ans pour 0,90% de
rendement,
c’est
une
situation
véritablement inédite. Personnellement,
je préfère garder du cash que de rentrer
dans un tel système.
Selon vous, comment ce type de deals
peut-il trouver preneur ?
RB : Ce sont des institutionnels qui ne
veulent prendre aucun risque, comme
des compagnies d’assurances ou des
banques centrales qui doivent placer
leurs réserves. Il y a un excès de
liquidités dans le système, et on voit
qu’il peine à s’investir. On le voit bien
avec les banques, qui placent leurs
liquidités excédentaires à la BCE pour
un rendement négatif.
C’est absurde…
RB : Peut-être pas pour les banques,
qui en accord avec les dernières règles
prudentielles doivent garder de larges
réserves de liquidités. Comme il n’y a
pas d’inflation, ou très peu, elles
limitent les dégâts.
Les autres classes d’institutionnels se
rabattent sur de la dette hors-de-prix
par défiance envers le marché des
actions ?
Ces financements opportunistes, s’ils
ne sont pas idéaux pour les
investisseurs, se retrouveront bien un
jour dans l’économie réelle ?
En profitent-elles
devraient ?
[15]
autant
qu’elles
Vous êtes toujours à l’aise avec des
concepts pourtant très techniques…
RB : Il s’agit simplement de suivre les
flux financiers... Rien d’ésotérique ni
de sorcier !
Que vous inspire
d’aujourd’hui ?
la
situation
RB : Elle est inédite et complexe,
comme chaque situation à chaque
époque. Surtout, ne pas s’imaginer que
les choses ont un jour été simples et
faciles.
Vous qui avez beaucoup roulé votre
bosse, avez-vous déjà été plus inquiet
qu’aujourd’hui ?
RB : Bien sûr ! Souvenez-vous de
2009 : tout était à l’arrêt.
Comment l’avez-vous vécu ? Vous
étiez paniqué vous aussi ?
RB : Nous n’étions pas paniqués, mais
nous étions pleinement investis.
Intellectuellement, la période était
passionnante. Vous me connaissez,
c’est le genre de sujets que
j’affectionne particulièrement…
Vous étiez pleinement investis… Et
vos clients, comment ont-ils réagi ?
RB : Comme je vous l’ai dit, nous ne
faisons pas l’allocation d’actifs de nos
clients. Nous gérons juste leur
exposition actions. Si ma mémoire est
bonne, nous avons perdu 30%, quand le
marché en a perdu 40. Nos clients
institutionnels ont plutôt bien réagi.
Parmi nos clients particuliers, en
revanche, beaucoup ont paniqué.
C’était très difficile de les raisonner,
jamais ils n’auraient imaginé qu’une
telle débâcle puisse se produire.
Souvenez-vous, en 2005 et 2006 la
confiance était au beau fixe, les
perspectives de l’économie mondiale
florissantes. Il y avait la croissance
américaine, le miracle chinois, la
montée en puissance des BRICs, le
grand concept de l’époque…
Quand j’entends le mot « concept »…
RB : … Vous cachez votre portefeuille,
et vous avez raison. Bref, à l’époque,
tout allait bien dans le meilleur des
mondes. Quantité de fonds produisaient
d’excellents résultats, les gens se
battaient pour y investir. L’inversion a
été très brutale. C’est la même chose à
chaque crise.
A Moneta, vous réussissez malgré tout
à limiter la casse ?
RB : C’est notre discipline qui nous a
sauvés. En 2006, nous remarquions que
même de très nombreuses valeurs
cycliques étaient valorisées « blue
sky », c’est-à-dire que les flux étaient
modélisés
selon
un
contexte
éternellement porteur. On voyait ça
avec Norbert Dentressangle ou IMS, un
distributeur de produits métallurgiques
que nous avions en portefeuille. Bien
sûr, nous avons vendu trop tôt ! Dans
un bull market, c’est justement avant
de toucher le pic que la hausse
s’accélère… Ce qui explique que les
dernières résistances cèdent, et que les
gens rentrent sur le marché au plus
mauvais moment.
approchent de manière conceptuelle
plutôt que purement analytique.
Pas de surprises : c’est la discipline
qui fait la différence.
RB : Nous avons vendu nos cycliques
car nous ne pouvions plus justifier leurs
valorisations. Nous avons ensuite
arbitré vers des valeurs plus tranquilles,
comme Vivendi.
Vous n’avez pas davantage profité du
« maximum pessimism » ? C’était le
moment d’acheter ou jamais !
RB : Avec le recul, c’est très facile à
dire… Je vous garantis qu’en 2009 plus
personne n’avait envie d’investir. Le
système était à l’arrêt, la panique
régnait partout.
Ainsi donc, Romain Burnand avait-il
lui aussi peur en 2009… Le mythe
s’effondre.
RB : J’étais serein, mais je savais le
contexte incertain. Qui aurait pu parier
sur une reprise aussi rapide ? C’était
possible, mais assurément pas écrit
d’avance.
Vous parcourez les pages quand
d’autres s’arrêtent à la couverture…
RB : Nous essayons... Ou pour
reprendre une autre métaphore, nous
vérifions que le moteur est sain plutôt
que de nous arrêter aux rayures sur la
carosserie. Si en plus c’est un dossier
auquel personne ne veut toucher, nous
sommes deux fois plus excités (rires).
En quoi Euler Hermes est-il un
dossier technique et atypique ?
RB : L’assurance crédit est une niche
très particulière, qui n’a rien à avoir
avec les autres métiers de l’assurance.
En quoi consiste l’activité ?
RB : Ils font ce que leurs clients ne
veulent pas faire. Ils analysent la
solvabilité des acheteurs et s’occupent
d’assurer la créance, et ainsi de
sécuriser la transaction. C’est un
service de grande valeur qui est rendu.
Est-ce profitable ?
Alors que faisiez-vous ?
RB : Nous procédions à quelques
arbitrages. Et nous investissions dans
Euler Hermes, le leader mondial de
l’assurance crédit.
Dites-nous tout.
RB : J’avais connu la société lors de
son introduction, en 2000. Avec la
crise, le prix de l’action s’était
effondré. De 23€ en 2003, il est
remonté à 120€ en haut de cycle, un
peu avant 2007… Avant de retomber à
40€, puis 20€ en 2009. Quand j’ai
lancé le fonds Micro-Entreprises, en
2003, nous avions une position. J’ai
revendu trop tôt, vers 70€, discipline
oblige… Après la crise, le prix est
redescendu sous la valeur de l’actif net
tangible. Ils n’avaient pas de problèmes
de solvabilité, j’étais donc plus à l’aise
avec eux qu’avec une banque, qui
risquait de rencontrer des problèmes de
refinancement. Le risque était réel mais
la valorisation très attractive, et la
société de qualité. Si la conjoncture
cessait de se dégrader…
Les choses ont mieux tourné que ce
que beaucoup de gens craignaient.
RB : Oui, et les profits sont revenus dès
2010. D’autant que quand tout le
monde a peur, un assureur peut exiger
de meilleures primes : le contexte était
porteur. C’est un investissement qui a
bien fonctionné pour nous.
J’ai l’impression que vous aimez bien
les valeurs cycliques...
RB : Nous aimons bien ce qui est
atypique, technique, et que nos pairs
[16]
RB : Très profitable. En moyenne,
quand un assureur crédit empoche 100
de primes, il paie 50 en sinistres et 25
en frais de ventes et d’administration.
Soit un ratio combiné [NDLR : dans
l’assurance, le ratio de profitabilité
des opérations de souscription] de
75%. C’est extraordinaire !
RB : Oui, mais c’est sur de toutes
petites primes.
Une telle profitabilité doit attirer
toujours plus de capital, donc de
compétition, et influer négativement
sur les marges…
RB : Pas vraiment. Il existe de fortes
barrières à l’entrée, car l’activité exige
d’avoir au préalable compilé une
gigantesque masse d’informations sur
toute une série de contreparties
économiques. Il y a une sorte d’effet
réseau impossible à dupliquer pour un
nouvel
entrant.
L’industrie
est
d’ailleurs très concentrée. Trois grands
noms se partagent le marché de
l’assurance crédit, dont deux sont
français : Euler Hermes, Coface et
Atradius, qui lui est espagnol. C’est un
métier qui s’est davantage développé
en Europe qu’aux Etats-Unis.
Quels sont les retours sur capitaux
moyens sur l’ensemble du cycle ?
RB : De l’ordre de 12%. L’activité est
intrinsèquement cyclique. On peut être
très profitable en haut de cycle, et très
déficitaire en bas… La difficulté est de
savoir comment se positionner.
12% sur le cycle long, c’est une vraie
performance pour un assureur…
la critique gratuite.
pas suffisant.
RB : Si vous l’achetez sous la valeur de
l’actif net, ou comme en 2009 sous la
valeur de l’actif tangible, c’est
effectivement intéressant.
Ces grandes capitalisations du
CAC40, dites « valeurs bon père de
famille » qui paient des dividendes
supérieurs à leurs profits, ça ne vous
indigne pas plus que ça ?
Fosun est une sorte de Berkshire
Hathaway… Clairement pas le genre
à surpayer ses acquisitions.
Euler Hermes
aujourd’hui ?
cote
à
combien
RB : A plus que la book. Coface est un
peu moins cher, mais c’est parce qu’ils
sont en position de challenger.
RB : C’est parfois une preuve
d’humilité que de reverser le capital
aux actionnaires…
Romain, êtes-vous toujours aussi fin
diplomate ?
Quid de vos positions ?
RB : Nous avons investi dans les deux.
Malgré la prime à payer sur la valeur
de la book ?
RB : C’est la juste reconnaissance de la
qualité de leur fonds de commerce.
Serge [NDLR : gérant de portefeuille
de l’Investisseur Français] : 12% de
retour sur capitaux en moyenne, en
payant une petite prime tu fais quelque
chose de l’ordre de 10%... Dans
l’environnement actuel, c’est plutôt
sympathique, a fortiori avec deux
milliards à gérer comme Romain.
RB : Nous ne sommes jamais à l’abri
d’une
mauvaise
nouvelle.
Accessoirement, la panacée des
assureurs crédit, c’est quand la
conjoncture repart : comme tout le
monde est encore frileux, ils peuvent
charger des primes supérieures à la
normale. Et comme il y a moins de
défaillances, les provisions sont
révisées à la baisse. C’est typiquement
dans ces périodes que les résultats
s’emballent.
Une question un peu plus polémique :
que pensez-vous du capitalisme à la
française [NDLR : en référence à la
note publiée sur le blog de l’IF le 19
mai 2014]? Etes-vous aussi critique
que nous le sommes ?
RB : J’ai lu votre petite note, et je
trouve votre jugement un peu dur.
Prenez Veolia : des erreurs de stratégie
ont en effet été commises, mais le
management est le premier à les
reconnaitre. Ils s’étaient endormis sur
leurs lauriers, un scénario assez
classique… Mais c’est une société qui
fonctionne selon des cycles très longs :
je pense qu’il y a matière à redresser la
situation.
RB : Je ne force pas le trait. Comme je
vous l’ai dit, je ne veux pas verser dans
la critique pure. C’est improductif. Je
préfère parler de ce dans quoi nous
investissons, plutôt que de tailler en
pièces ce dans quoi nous n'investissons
pas. Ceci dit, nous pouvons être très
critiques dès lors que nos intérêts
d'actionnaires sont mis en jeu…
Comme lors de l’épisode Buffalo
Grill ?
A l’origine, qu’est-ce qui vous plaisait
chez Club Med ?
RB : C’était une situation au ratio
risque/récompense déséquilibré en
notre faveur. L’environnement est
difficile depuis 2009, mais le Club
semble avoir malgré tout bien engagé
son redressement. Il y a eu des
investissements colossaux, pour plus
d’un milliard d’euros. Nous pensons
aussi que la marque a une grande
valeur.
Quid du free cash-flow ?
RB : Par exemple. Nous avons
combattu le projet d'OPRO [NDLR :
Offre Publique de Retrait Obligatoire]
à 20€ l’action présenté par Colony
Capital en 2005. Nous avons été
entendus par l'AMF, qui a retoqué le
projet… Bien lui en a pris : les
actionnaires ont eu droit à l'équivalent
de 51€ l’action un an plus tard !
Nous avons connu une péripétie
similaire avec Orchestra [NDLR : voir
la note publiée sur le blog de l’IF :
« Justice sera-t-elle rendue ? »].
RB : J’ai vu ça. De notre côté, quand
ces situations se présentent, nous avons
recours aux conseils de Colette
Neuville, la Présidente de l'ADAM
[NDLR : Association de Défense des
Actionnaires Minoritaires]. Ce fût le
cas en de nombreuses occasions, et ça
l’est à nouveau aujourd'hui dans notre
action vis-à-vis des organes de
direction de la société Altamir, à qui
nous demandons davantage de
transparence, et dont nous ne craignons
pas de critiquer la gestion.
En France, les actionnaires n’ont-ils
pas trop tendance à se laisser faire ? A
oublier qu’ils sont les propriétaires de
l’entreprise ?
RB : Si, assurément. C’est leur devoir
de mettre managements et conseils
d’administration sous pression.
Et Total ?
RB : Les exigences envers Total sont
toujours très élevées, aussi bien au
niveau financier, opérationnel que
éthique. Je ne sais pas si aucune autre
société du CAC40 est autant mise à
l’épreuve… Or ils font un métier
difficile : ils sont contraints de se
protéger, parfois au détriment de la
rentabilité. Je ne veux pas verser dans
RB : C’est très bien pour eux, moins
bien pour nous (rires). La dernière
offre
de rachat [NDLR : à 22€
l’action] nous convient déjà mieux,
même si nous ne sommes pas encore
décidés.
Comme vous l’avez fait chez Club
Med ?
RB : Ah, pas du tout ! Là, nous nous
sommes contentés de dire que nous
n’apporterions pas notre titres à l’offre
de rachat de Fosun [NDLR : à 17€
l’action]. Nous étions satisfaits de
l’intérêt porté au Club Med, mais nous
estimions que le prix proposé n’était
[17]
RB : Il est redevenu positif. Quand
l’environnement s’améliorera, le levier
opérationnel très important jouera en
notre faveur.
Et les actifs ?
RB : Nous savons qu’ils sont de
qualité, et suffisamment monétisables.
Comment pouvez-vous l’affirmer ?
RB : Parce que le premier projet de
rachat suggérait une émission de dettes.
Pour nous, Club Med est une entreprise
sous-valorisée par le marché, malgré un
fort potentiel de retournement.
Grégoire Uettwiller : La nouvelle
stratégie d’internationalisation de la
clientèle doublée d’une montée en
gamme porte ses fruits. La force du
Club Med, c’est qu’il propose la
meilleure offre au monde en matière de
ski, notamment grâce aux stations
alpines françaises. Le Club fédère une
clientèle fidèle, et le taux de
remplissage des nouveaux sites est
toujours
très
satisfaisant.
En
conséquence de quoi ils peuvent
demander à un partenaire local de gérer
la maintenance et la gestion de
l’infrastructure, moyennant bien sûr un
partage des profits. Le partenaire en
question est généralement ravi, car
avec un commanditaire comme le Club
Med, il est certain de recevoir du
monde. C’est pourquoi le Club investit
de moins en moins dans les villages…
On vire vers un modèle d’affaires à
moindre intensité capitalistique, d’où le
récent retour du free cash-flow.
Intéressant. Messieurs, nous causons
et le temps passe… Nous voici avec
pas moins de cinq heures dans la
boite !
RB : Déjà ? Et moi qui commençais à
peine à me sentir échauffé…
J’ai beaucoup de chance de travailler
ici.
Alors une question : votre portefeuille
personnel diffère-t-il de celui de
Moneta ?
Messieurs, mille mercis !
RB : Non, je m’interdis ça. L’essentiel
de mon patrimoine est concentré dans
les trois fonds Moneta. Le reste est
investi dans les fonds d’amis, comme
Jean-Pascal Rolandez [NDLR : The
L.T Funds] et Fabrice Revol [NDLR :
Kirao Multicaps].
Votre
parcours
comme
votre
personnalité forcent l’admiration.
Vous êtes un homme comblé ?
RB : Vous savez, j’éprouve un
immense plaisir à travailler avec mes
collègues Andrzej, Grégoire, Pierre,
Thomas et Raphael, ainsi qu’avec
Patrice, son équipe, et tous les gens qui
nous soutiennent, nous fréquentent, ou
collaborent de près ou de loin avec
nous. Travailler en équipe et produire
de bons résultats, c’est le Graal de tout
gérant. Mais vous avez déjà compris ça
à l’IF.
Pierre, je me retourne vers vous. Vous
êtes stagiaire, votre regard est neuf.
Dites-nous, qu’avez-vous appris chez
Moneta ?
Pierre Le Treize : Que la flexibilité est
une force. En arrivant, je m’imaginais
les
fonds
Moneta
comme
principalement axés value, or notre
univers d’investissement est bien plus
large et en nuances que cela…
RB : Merci à vous. Et bravo pour tout
ce que vous faites à l’Investisseur
Français. C’est du très, très bon travail.
A propos d’Apartés, j’ai beaucoup
aimé votre numéro consacré à John
Malone [NDLR : Méthodes de CowBoy].
D’ailleurs,
j’ai
quelques
questions à vous poser au sujet des
DTA
[NDLR :
Deferred
Tax
Liabilities]…
Il est bientôt minuit. Une prochaine
fois peut-être ?
RB : Rendez-vous est pris !
Nous autorisez-vous à rappeler que
vous êtes un (illustre) membre du
Club de l’IF ?
RB :
Pourquoi
demandez-vous
l’autorisation ? Je suis membre du Club
de l’Investisseur Français, ce n’est pas
un secret (rires) !
Finalement, ces cinq heures de
conversation chez Moneta n’étaient
pas pour rien…
RB :
Comptez-moi
indéfectibles soutiens.
parmi
Ce sera le mot de la fin. Romain,
Messieurs, merci encore !
RB : Vous êtes toujours les bienvenus
ici. A bientôt.
On sent bien que le dogme n’est pas le
genre de la maison…
PLT : Si je me fie à ce que j’ai observé
ailleurs dans l’industrie, c’est loin
d’être partout le cas.
Et de Romain, qu’avez-vous appris ?
PLT : Que le souci d’excellence n’était
pas en option (rires).
C’est curieux, on ne s’attend pas à
trouver une ambiance aussi cordiale
et détendue quand on visite un fonds
d’investissement…
PLT : C’est la culture Moneta. Nous en
sommes très fiers. Mais au niveau
décisionnaire, c’est plus pyramidal :
tout remonte vers Romain.
vos
RETROUVEZ
MONETA
(/moneta.fr)
ET
L’INVESTISSEUR
FRANÇAIS
Grégoire, vous confirmez ?
(/linvestisseurfrancais.com)
Grégoire Uettwiller : Oui. Moneta est
une structure assez unique, qui reste
fidèle à cet esprit qui l’animait ses
premiers jours. Les deux associésgérants sont les mêmes depuis le début
de l’aventure. Il n’y a pas d’objectifs
d’encours ou de croissance, juste une
réelle concentration des énergies vers
la performance. C’est unique, vraiment.
[18]
de vérifier la qualité de notre service.
Chacun peut s’inscrire au club et voir
par soi-même : tout à gagner et rien à
perdre, tu es satisfait ou remboursé.
Si
© L’Investisseur Français, 2014. Réservé à un usage strictement privé. Toute diffusion ou reproduction est interdite. http://linvestisseurfrancais.com
[19]

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