L`HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE

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L`HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN AFRIQUE
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L’HARMONISATION DU DROIT DES AFFAIRES EN
AFRIQUE :
Regard sous l’angle de la théorie générale du droit
H. D. MODI KOKO BEBEY
Vice-doyen de la Faculté des sciences juridiques et politiques
Université de Douala (Cameroun)
SOMMAIRE
I- LA REMISE EN CAUSE DES DIVISIONS DU DROIT PRIVE
AL’émergence d’un droit privé des affaires
1Le domaine du droit des affaires OHADA
2L’adaptation du droit à l’activité de l’entreprise
BVers l’unification du droit privé en Afrique ?
1Les bases de l’unification
2L’étendue de l’unification
II- LE RECUL DU PRINCIPE DE TERRITORIALITE
AL’institution d’un droit uniforme en Afrique
1La technique d’uniformisation adoptée
2La portée du droit uniforme OHADA
BLa création d’une cour de cassation commune : La CCJA
1La compétence de la CCJA
2Les incertitudes sur l’efficacité de la CCJA
2
« Pour l’application du présent Traité, entrent dans le domaine du droit des affaires
l’ensemble des règles relatives au droit des sociétés et au statut juridique des commerçants,
aux recouvrement des créances, aux sûretés et aux voies d’exécution, au régime du
redressement des entreprises et de la liquidation judiciaire, au droit de l’arbitrage, au droit
du travail, au droit comptable, au droit de la vente et des transports, et toute autre matière
que le Conseil des Ministres déciderait, à l’unanimité d’y inclure, conformément à l’objet du
présent traité… » L’article 2 du Traité OHADA ainsi rédigé va-t-il relancer en Afrique la
vieille controverse sur la détermination du domaine de droit des affaires que l’on croyait
éteinte ou, en tout cas sans grand intérêt aujourd’hui en droit Français ? la question mérite
d’être posée, tant l’ampleur de la réforme est grande. On a même parlé d’ « une révolution
juridique en Afrique Francophone ».1
Déterminer le domaine du droit commercial n’a jamais été chose aisée. Cela est
connu2. Le problème s’est même beaucoup plus compliqué à l’époque contemporaine avec le
développement considérable de la discipline, lié à celui du monde des affaires3. L’expression
moderne de droit des affaires a ainsi remplacé progressivement celle de droit commercial.
Même si l’unanimité reste à faire s’agissant de l’appellation, tous les auteurs s’accordent pour
reconnaître que le droit commercial moderne ou droit des affaires a tendance à englober des
questions et à adopter des solutions qui sont hors du champ du droit commercial classique4.
Le Traité OHADA vient d’en donner une illustration supplémentaire, suscitant ainsi chez le
juriste des interrogations particulières. Celles-ci sont relatives, notamment, au domaine du
droit des affaires OHADA, à ses conditions d’application dans le temps et dans l’espace, au
sens à donner à l’harmonisation voire à l’uniformisation du droit des affaires en Afrique, au
rôle et à l’efficacité de la Cour commune de Justice et d’Arbitrage etc… Toutes ces questions
ont des implications directes sur la théorie générale du droit et leur examen à la lumière de
celle-ci permettra une bonne interprétation et une meilleure appréciation de la réforme. Telle
est la modeste ambition du présent article.
1-
J. PAILLUSSEAU « Une révolution Juridique en Afrique Francophone : L’OHADA in, Mélanges
Jeantin, Dalloz 1999.
2-
Il suffit justement de rappeler la controverse sur le choix entre la conception objective ou la conception
subjective du droit commercial et la conclusion unanime qu’en tirent les auteurs qui en rendent compte
aujourd’hui. Voir notamment M. GERMAIN et L. VOGEL Traité de droit commercial T. 1 (ancien
Traité Ripert et Roblot) 17e éd. LGDJ. N° 5 à 13 ; P. DIDIER, Droit commercial, T. 1 PUF (Thémis) p.
10 à 16 ; Y. CHARTIER, Droit des affaires, T 1. PUF (Thémis) 4e éd. P. 34 à 39.
3-
C. CHAMPAUD, le Droit des Affaires, Que sais-je ? P.U.F p. 25 qui considère le droit des affaires
comme le « reflet d’une mutation de civilisation »
4-
En ce sens, voir notamment C. CHAMPAUD, précité, p 21 ; Yves GUYON, Droit des Affaires 10e éd.
Economica. 1998, n° 1 p. 1 qui note que « le droit des affaires englobe notamment des questions qui
relèvent du droit public (intervention de l’État dans l’économie), du droit fiscal, du droit du travail
(place des salariés dans les sociétés anonymes) etc.
3
C’est à Port-Louis, en ILE MAURICE, que les chefs d’États de quatorze pays
d’Afrique francophone ont signé le 17 octobre 1993 le Traité Relatif à l’Harmonisation du
Droit des Affaires en Afrique couramment appelé aujourd’hui le Traité OHADA, du nom de
l’Organisation qui en est issue1. Ce Traité s’est fixé pour objectif principal « l’harmonisation
du droit des affaires dans les Etats-Parties, par l’élaboration et l’adoption de règle
communes simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en
œuvre de procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours à
l’arbitrage pour le règlement des différends contractuels »2. Le domaine du droit des
affaires OHADA, tel que défini par l’article 2 du Traité, est bien à la dimension de l’ambition
de ce dernier. Sans doute faudrait-il alors rappeler brièvement le contexte de la réforme.
Le Traité OHADA est signé en octobre 1993, à une époque où la plupart des pays
concernés traversent une grave crise économique. Il constitue alors une étape du processus
d’intégration régionale et de coopération institutionnelle devant aboutir à la création d’une
« Communauté Économique Africaine »3. Ce processus amorcé dans différents domaines se
justifiait surtout par l’insuffisance des mesures unilatérales adoptées par les États pour sortir
leurs économies de la crise4. Ainsi, par exemple, la conférence Interafricaine des Marchés
d’Assurance (CIMA) a adopté un Traité instituant une réglementation et un contrôle
communs du secteur des assurances, ainsi qu’un Code des assurances unique.
Dans la sous-région de l’Afrique centrale, une commission Bancaire (la COBAC) a été
créée au sein de la BEAC (Banque des États de l’Afrique Centrale), Banque Centrale
commune, par la convention du 16 octobre 1999, pour intervenir notamment dans
l’assainissement du secteur bancaire. De même, les États membres de l’UDEAC (Union
Douanière et Économique de l’Afrique Centrale) ont adopté dés 19925, une réforme fiscalodouanière visant à harmoniser leurs législations, à travers l’institution progressive de la Ttxe
sur la valeur ajoutée (TVA) et l’établissement d’un tarif extérieur commun (TEC).
1-
Les chefs d’États des pays africains membres de la zone Franc ont en effet décidé, lors du sommet de
Libreville (GABON) tenu les 5 et 6 octobre 1992, d’élaborer et d’adapter à brève échéance, un Traité
portant création d’une Organisation pour l’harmonisation en Afrique du Droit des Affaires (OHADA),
Traité signé à Port-Louis un an plus tard.
2-
cf, article 1er, Traité
3-
ibid, préambule. Ces objectifs ont été arrêtés par les Ministres des Finances des quatorze pays de la
Zone Franc réunis à Ouagadougou (Burkina Faso) en Avril 1991.
4-
Plusieurs réformes souvent dictées par les bailleurs de fonds internationaux (Banque Mondiale, Fonds
Monétaire International, Agence Française de Développement, etc…) ont été introduite à l’échelle
nationale. De nombreux États ont par exemple entrepris de libéraliser leur économie à travers la
privatisation des entreprises du secteur public ou parapublic. C’est le cas notamment du Bénin (L. n°
92-023 du 6 Août 1992 et décret n° 92-340), du BURKINA FASO (ord. n° 91-00044/PRES du 17
juillet 1991 et Décr. n° 91-085/MCIM), du Cameroun (Ord. n° 90/004 du 22 juin 1990 et Décr. n°
90/1257), de la Côte-d’Ivoire (Décr. n° 90-1610 du 28 dèc. 1990) de la Guinée (ord. n° 306-PRG-85 du
12 dèc. 1985) et du GABON (L. n°1/96 du 13 février 1996). Certains pays avaient également modifié
leur réglementation des investissements en vue de l’institution de zones franches fiscales (TOGO, loi du
18/09/89 ; Cameroun, Ord. Du 29/01/90 ).
5-
Acte n° 1/92 UDEAC-556- CD-SET du 30 Avril 1992
4
La transformation de l’UDEAC en CEMAC (Communauté Économique et Monétaire de
l’Afrique Centrale) n’a pas freiné cette volonté d’intégration.
La sous-région de l’Afrique de l’Ouest a également eu ses réformes visant à
l’intégration économique, dans le cadre d’institutions telles que l’UEMOA (Union
Économique et Monétaire Ouest-Africaine) et le CEDEAO (Communauté Économique et
Douanière de l’Afrique de l’Ouest).
Excepté le cas de la CIMA qui a institué un code uniforme, dans les autres Accords
d’intégration, les États s’engagent plutôt à harmoniser leur droit interne avec les dispositions
des Traités. Le Traité OHADA apparaît ainsi comme un acte réalisant une grande révolution
tant en ce qui concerne l’étendue des matières qu’il englobe que s’agissant de son domaine
d’application directe dans l’espace. Un double constat s’impose en effet ici, qui marque son
originalité :
! D’une part, afin d’organiser un cadre juridique propice au développement des
entreprises, les auteurs du Traité OHADA ont défini très largement le domaine du
droit des affaires africain. Cette définition extensive semble remettre en cause les
divisions traditionnelles du droit privé (première partie) ;
! D’autre part, l’institution d’une « Communauté Économique Africaine », objectif final
du processus d’intégration dont le Traité OHADA ne constitue que l’une des étapes,
nécessitera l’abandon de certaines parcelles des souverainetés nationales1. Le droit
uniforme OHADA marque ainsi le recul du principe de territorialité (second partie).
1- Voir notamment, DAVID, Unification internationale du Droit, in le Droit comparé, d’hier et de demain.
Economica 1982, p. 293 qui souligne la nécessité de renoncer, au moins en partie, à la souveraineté, dans le
processus d’unification internationale du droit.
5
I/
LA REMISE EN CAUSE DES DIVISIONS DU DROIT PRIVE
Le droit privé est défini, par opposition au droit public, comme l’ « ensemble des
règles de Droit qui gouvernent les rapports des particuliers entre eux »1. Traditionnellement
le droit privé se subdivise en plusieurs branches dont les principales sont : le droit civil, le
droit commercial, le droit rural, le droit social, la procédure civile, le droit pénal, le droit
international privé, le droit de la consommation2. Ces divisions ont souvent été modifiées à
l’époque contemporaine sous l’influence de deux facteurs contradictoires. D’une part,
certaines sous-branches s’étant considérablement spécialisées ont fini par acquérir une
véritable autonomie vis-à-vis de la branche-mère civile ou commerciale3. D’autre part, le
développement particulier d’une branche couvrant un domaine de plus en plus vaste a pu faire
penser à une unification du droit privé et parfois, à un rapprochement entre le droit privé et le
droit public, c’est-à-dire à l’unité du droit.
Les relations entre le droit civil - droit privé commun - et le droit commercial ont
souvent été caractéristiques de cette évolution sous forme de flux et reflux entre divisions et
unité du droit privé. En effet, le droit commercial a été défini comme l’ « ensemble de règles
particulières applicables aux commerçants, aux sociétés commerciales et aux actes de
commerce » ; il a pour « synonyme moderne » le droit des affaires4. Ce dernier, d’acception
plus large, s’étend au-delà de la distinction du droit privé et du droit public, et englobe la
« réglementation des différentes composantes de l’économie »5. Certes, le droit des affaires de
1-
En sens, le vocabulaire Juridique Capitant, sous la direction de G. CORNU, PUF.
2-
L’énumération est empruntée à Boris STARK, Introduction au Droit, 4è édition, par H. ROLAND et L.
BOYER. LITEC. P. 77 et s. elle peut être retenue ici, sous réserve de l’existence de disciplines mixtes
comme le droit pénal ou la droit social qui se rattachent également au droit public
3-
Par exemple, le droit maritime s’est aujourd’hui détaché du droit commercial de même que le droit des
transports terrestres ou aériens. De la même manière, les activités bancaires et d’assurance pourtant
visées par les articles 632 et 633 du code de commerce ont aujourd’hui une réglementation propre ; le
droit comptable se développe aussi de plus en plus, un Acte uniforme lui a été entièrement consacré par
l’OHADA.
4-
Vocabulaire Capitant, précité
5-
Cette évolution est bien résumée par le Professeur Paul DIDIER (Droit commercial, T 1 PUF, 2è èd. p.
21-22) qui conteste cependant que le droit des affaires soit une discipline véritablement nouvelle par
rapport au droit commercial, étant donné que « chacune des disciplines que l’on a voulu rassembler
sous cette bannière a conservé ses principes, ses méthodes et ses juridiction propres » L’auteur cite
notamment le droit fiscal, le droit pénal et le droit social.
6
l’OHADA n’a pas encore atteint cette dimension1. Mais il n’en est pas si éloigné, car son
ambition est de « faciliter l’activité des entreprises » et de « garantir la sécurité juridique
des activités économiques »2. Une telle ambition nécessitait la définition d’un domaine
d’application le plus large possible. La réforme de l’OHADA a ainsi consacré l’émergence
d’un véritable droit privé des affaires qui semble remettre en cause les divisions
traditionnelles du droit privé (A) et amorcer l’unification prochaine de celui-ci (B).
A-
L’émergence d’un droit privé des affaires
Que le droit des affaires ait tendance à attraire dans son domaine des activités de
nature purement civile3, ou qu’il fasse des incursions de plus en plus nombreuses dans les
autres branches du droit privé4 ne constitue pas une nouveauté, caractéristique du Traité
OHADA. L’« impérialisme disciplinaire »5 de ce droit, et son « pouvoir colonisateur »6 ont
déjà soulignés, en droit français notamment. Le particularisme du droit des affaires OHADA
provient surtout de la définition même de son domaine d’application qui marque l’éclatement
irréversible du droit civil.
1°/
Le domaine du droit des affaires OHADA
Le domaine du droit des affaires OHADA est à la dimension des ambitions de la
réforme. L’article 2 du Traité qui le définit énumère de manière non exhaustive, les matières
qui y sont incluses. Le texte est cependant silencieux sur les personnes auxquelles
s’appliquent les règles nouvelles. Seul le droit substantiel est en effet visé. Sans doute, les
rédacteurs du Traité n’ont-ils pas voulu relancer une vieille controverse, aujourd’hui sans
grand intérêt, sur le critère de la commercialité. Mais la lecture des différents Actes uniformes
revèlera que le droit des affaires OHADA est aussi bien le droit des commerçants, que celui
1-
La réforme de L’OHADA n’intègre pas encore des aspects du droit économique (concurrence,
distribution, relations financières avec l’étranger etc…) Mais toutes ces matières sont implicitement
comprises dans son domaine d’application. L’article 2 du Traité prévoit en effet d’y inclure « toute autre
matière.. » en rapport avec l’objet.
2-
Préambule du Traité OHADA
3-
Yves GUYON : droit des affaires T. 1. Economica. 10e èd. 1998, 79 à propos de « l’attraction dans
l’orbite du droit des affaires, des actes de commerce par accessoire » et références citées.
4-
Paul DIDIER : Droit commercial. T. 1. 2è èd. Précité, p. 21, sur « la place du droit commercial dans
l’ordre juridique national. »
5-
Claude CHAMPAUD : Droit des affaires, que sais-je ? p. 23
6-
Barthélemy MERCADAL : le Droit des affaires : Pourquoi ? JCP. Èd. G. 1985 I. 3182
7
des activités commerciales1. En ce qui concerne le droit substantiel, l’observation principale
qui découle de l’article 2 du Traité OHADA est que certaines matières qui s’étaient « libérées
du joug » du droit commercial font à nouveau partie de son domaine, tandis que d’autres
relevant jusque-là du droit civil feront désormais partie du droit des affaires, du moins pour
l’application du Traité OHADA.
Ainsi, aux termes de l’article 2 du Traité OHADA « entrent dans le domaine du droit
des affaires, l’ensemble des règles relatives :
-
Au droit des sociétés commerciales ;
-
Au statut des commerçants
-
Au recouvrement des créances ;
-
Aux sûretés ;
-
Aux voies d’exécution ;
-
Au régime du redressement des entreprises et de la liquidation
judiciaire ;
-
Au droit de l’arbitrage ;
-
Au droit du travail ;
-
Au droit comptable ;
-
Au droit de la vente ;
-
Au droit des transports… »
L’énumération ne soulève aucune objection à propos des sociétés commerciales, du
statut des commerçants, du régime du redressement des entreprises et de la liquidation
judiciaire, ainsi que du droit de l’arbitrage. Toutes ces matières sont traditionnellement
considérées comme faisant partie du domaine originaire du droit des commerçants et des actes
de commerce2. On ne peut en dire autant d’une matière telle que le droit du commerce
maritime issu du livre II du Code du commerce et, auparavant de l’Ordonnance de 1681, et
qui formait déjà une discipline spéciale. Avec l’énumération du droit des transports et du droit
de la vente parmi les matières entrant désormais dans le domaine du droit des affaires, le
commerce maritime et tous les autres transports effectuent un « véritable retour aux sources ».
1-
Voir, Michel GERMAIN et Louis VOGEL : Traité de droit commercial (ancien Traité élémentaire :
Ripert et ROBLOT) T. 1. 17e édition. LGDJ. 1998, à propos du domaine du droit commercial et de
l’opposition entre la conception objective et la conception subjective. n° 1 à 12 ; l’article 2 de l’Acte
uniforme relatif au Droit commercial Général a repris la définition de l’article 1er C. com.
2-
Par exemple la loi du 1er Août 1893 avait déclaré les sociétés par actions commerciales par leur seule
forme, indépendamment de leur objet. Dans le code de commerce, seuls des commerçants pouvaient
être déclarés en faillite. Une loi du 31 décembre 1925, par adjonction à l’ article 631 C. com a admis la
validité de la clause compromissoire, etc… Ces exceptions et d’autres encore ont longtemps constitué
l’ « originalité » ou le « particularisme » du droit commercial. Voir sur la question Y. GUYON : Droit
des affaires, T. 1. précité, n° 3 à 15 ; Y CHARTIER : Droit des affaires. PUF (Thémis). T. 1, 4e éd.
1993. p. 45 et s; M. GERMAIN et L. VOGEL, Traité précité n° 334 et suivants.
8
Quant au droit du travail, appelé autrefois législation industrielle1 parce que régissant
la condition des employés et des ouvriers, il a toujours étudié diverses questions dont la
connaissance est utile au juriste d’affaires, dans la mesure où ces questions concernent la
situation du personnel d’une entreprise commerciale. Cela suffisait-il alors pour faire du
droit du travail une matière relevant du droit des affaires ? L’évolution du droit français va
dans un sens contraire. En effet, si à l’origine, le contrat de travail était régi par le Code civil,
l’essor pris à l’époque contemporaine par la sécurité sociale a fait du droit moderne du travail
une composante du droit social qui est lui-même considéré comme un droit mixte, à la fois
public et privé2. .Mais, comparaison n’est pas nécessairement raison. Le choix des rédacteurs
du Traité OHADA semble tenir davantage des raisons pratiques que de considérations de pure
théorie juridique.
La même observation pourrait être faite à propos du recouvrement des créances, des
voies d’exécution et surtout des sûretés, étant donné que la vie des affaires repose en grande
partie sur le crédit.
Toutes ces matières apportent au droit des affaires autant qu’elles lui empruntent. Elles
ne lui sont cependant pas fondamentalement liées, de par leurs sources différentes et leur
réglementation spécifique. Toutefois, par la volonté expresse du législateur et, « pour
l’application du Traité », les matières énumérées feront désormais partie intégrante du
domaine du droit des affaires. Le Traité OHADA innove pleinement de ce point de vue, en
attrayant dans son domaine, l’ensemble des règles susceptibles de s’appliquer pour régir un
aspect de l’entreprise ou de son activité. L’harmonisation du Droit des Affaires en Afrique a
ainsi donné naissance à un droit privé des affaires composé des seules règles de droit privé, à
l’exclusion de celles du droit public qui en feraient un véritable droit des affaires au sens
moderne de l’expression3. En attendant cette évolution plus que probable, on peut déjà
s’interroger sur l’ objectif poursuivi ici par les auteurs du Traité.
2°/
L’adaptation du droit privé à l’activité de l’entreprise
La justification première de l’étendue du domaine du droit des affaires OHADA réside
sans doute dans le souci d’adapter l’ensemble du droit privé à l’activité de l’entreprise. Mais
la réforme de L’OHADA vise aussi à assurer la sécurité juridique des activités économiques.
Les deux objectifs sont d’ailleurs intimement liés.
1-
Voir, notamment M. GERMAIN et L. VOGEL : Traité. T. 1 précité, n° 13
2-
Sur les divisions du droit et la notion de droits mixtes, voir notamment, J.L. AUBERT : Introduction au
droit et thèmes fondamentaux du droit civil. 8e éd. Armand Colin. n° 51. p. 40.
3-
Le refus d’empiéter sur le domaine du droit public c’est-à-dire des prérogatives des États se manifeste
notamment dans l’article 5 al. 2 du Traité qui prévoit que « les actes uniformes peuvent inclure des
dispositions pénales » tout en réservant aux États parties le soin de « déterminer les sanctions pénales
encourues. » Il est cependant permis de penser que l’intégration économique progressive permettra de
dépasser ces limitations et que la réforme de l’OHADA s’étendra alors à tous les domaines de l’activité
économique comme le laisse d’ailleurs entrevoir l’article 2 du Traité.
9
La mise en place d’un droit des affaires « harmonisé, simple, moderne et adapté » a
constitué une préoccupation majeure pour les auteurs du Traité OHADA. Il s’agissait, à
travers cette réforme, de « faciliter l’activité des entreprises ». Le droit a donc ici une vocation
essentiellement organisatrice ou régulatrice1. L’idée n’est pas tout à fait nouvelle. Les
promoteurs du droit des affaires ont toujours envisagé la construction d’un système global
autour de l’entreprise considérée comme la « cellule de base de l’économie contemporaine »2.
Dans cette conception le droit des affaires apparaît comme « une technique de gestion et
d’organisation au service des finalités économiques, sociales, politiques et culturelles de
l’entreprise ».3 L’entreprise et les relations entre les entreprises sont ainsi devenues un objet
d’organisation juridique, l’objet essentiel du droit moderne des affaires4. Mais cette théorie,
parce qu’elle met le droit des affaires au service exclusif de l ‘économie a été critiquée5. Le
droit exprimant un système de valeurs doit poursuivre d’autres objectifs, notamment la
sécurité juridique. Le Traité OHADA échappe à cette objection.
En effet, tout en organisant l’activité de l’entreprise, il se préoccupe aussi de
« garantir la sécurité juridique des activités économiques ». Ce second objectif sera atteint
non seulement à travers une application diligente du nouveau droit, mais aussi, voire surtout,
à travers une meilleure connaissance des nouvelles règles. Ceci explique le choix opéré par les
auteurs de la réforme, d’inclure dans le domaine du droit des affaires OHADA, l’ « ensemble
des règles » de droit privé relatives à l’activité commerciale6. Ainsi, sans être une oeuvre de
codification du droit des affaires en Afrique, les Actes uniformes de l’OHADA tendent à
assurer la sécurité juridique, de la même manière que la codification à droit constant qui a lieu
aujourd’hui en droit français7. Mais, en regroupant de la sorte sous la bannière du droit des
affaires, un ensemble de matière dont certaines relevaient jusqu’alors du droit civil ou avaient
tout simplement acquis une véritable autonomie, la réforme de l’OHADA ne tend-elle pas
aussi à réaliser l’unification du droit privé ?
1-
Sur la fonction régulatrice du droit, voir J. CARBONNIER : Introduction, 26e éd. PUF (Thémis) n° 16 ;
G. CORNU : Droit civil, Introduction. 9e éd. Montchrestien (DOMAT) n° 23 ; J.L AUBERT :
Introduction, précité n° 10 à 14.
2-
M PEDAMON : Droit commercial (commerçants et Fonds de commerce…) Dalloz (Précis). Éd. 1994.
n° 71. p. 59
3-
C. CHAMPAUD : le droit des affaires, Que sais-je ? p. 63
4-
J. PAILLUSSEAU : « Le big bang du droit des affaires à la fin du xxe siècle » JCP. Éd. G. 1988. I.
3330
5-
M. PEDAMON, précité. n° 71. p. 60
6-
cf, article 2, Traité OHADA
7-
Par une loi du 16 décembre 1999 (J.O 22 déc. 1999, p. 19040) le parlement a autorisé le gouvernement
français à procéder, par ordonnances, à l’adoption de la partie législative de neuf codes. L’un des
objectifs visés par cette codification à droit constant est alors d’assurer l’ « accessibilité » et
l’ « intelligibilité » de la loi, objectif de valeur constitutionnelle selon le conseil constitutionnel qui
souligne que l’égalité des citoyens devant la loi implique d’abord une connaissance suffisante par ceuxci, des normes qui leur sont applicables. Voir les commentaires de N. MOLFESSIS, « les illusions de la
codification à droit constant et la sécurité juridique » RTD civ. N° 1, 2000, p. 187 à 194 ; et « les
10
avancées de la sécurité juridique », « la sécurité juridique et l’accès aux règles de droit » RTD civ. n° 3,
2000 p. 660 à 665.
B-
Vers l’unification du droit Privé en Afrique ?
L’idée d’une unification du droit n’est pas nouvelle. Elle a pris naissance au début du
siècle dernier avec le développement considérable du droit commercial. La question se posait
alors de savoir si à défaut de pouvoir absorber le droit civil des obligations et des contrats, le
droit commercial ne devait pas réaliser avec lui l’unité de droit privé1. Les mêmes causes
produisant les mêmes effets, la réforme de l’OHADA intervenue en Afrique à la fin du siècle
dernier relance la question de l’unification du droit privé, avec une nuance de taille toutefois :
cette unification serait voulue et organisée par le législateur lui-même. Il ne s’agirait donc
plus d’une unification de fait. Mais, si les bases de l’unification du droit privé ont été jetées
par le Traité OHADA, il reste qu’on est loin d’une fusion entre le droit civil et le droit
commercial que réaliserait le nouveau droit des affaires. Celui-ci ne tend pas véritablement à
absorber toutes les matières entrant dans son domaine. Il vise davantage à rassembler sous
une même étiquette juridique des règles techniques en rapport avec l’entreprise et ses
activités.
1°/
Les bases de l’unification du droit privé
Le premier fondement de l’unification du droit privé dans la réforme de l’OHADA est
légal. Il s’agit de l’article 2 du Traité qui définit le domaine du droit des affaires OHADA. La
pluridisciplinarité de ce droit lui confère alors une vocation à abriter des règles d’origines
diverses, notamment de droit civil, de droit pénal, de droit du travail et évidemment celles du
droit commercial classique. Et, le législateur n’a pas limité le domaine du droit des affaires
aux seules matière énumérées. Au contraire, il réserve la possibilité d’y ajouter « toute autre
matière que le conseil des ministres déciderait à l’unanimité d’y inclure, conformément à
l’objet du présent Traité … » Or le Traité poursuit l’objectif général d’harmonisation du droit
des affaires dans les États parties « par l’élaboration et l’adoption de règles communes,
simples, modernes et adaptées à la situation de leurs économies, par la mise en œuvre de
procédures judiciaires appropriées, et par l’encouragement au recours de l’arbitrage pour le
règlement des différends contractuels.» C’est dire que de nombreux aspects du droit
processuel, du droit des obligations et des contrats, du droit patrimonial de la famille etc.. sont
susceptibles, compte tenu de la situation économique et dans le but de « faciliter l’activité de
l’entreprise » ou de « garantir la sécurité juridique des activités économiques », de faire
ultérieurement partie d’un domaine du droit des affaires OHADA. Dans cette perspective,
c’est tout le droit privé ou presque qui sera concerné. Il est même possible d’envisager tout
simplement l’unité du droit, dans la mesure où l’avènement progressif du droit des affaires
pluridisciplinaire n’épargnera pas le droit public2.
1-
L’idée lancée par le juriste Italien VIVANTE à la fin du 19e siècle (un code unique des obligations,
Annales dr. Com. 1893, p. 1) a été reprise en droit français au début du 20e siècle par LYON-CAEN
(« De l’influence du droit commercial sur le droit civil depuis 1804 », Livre du centenaire du code civil,
t. III. p. 208) et ensuite par Léon MAZEAUD (vers la fusion du droit civil et du droit commercial
français, in l’unité du droit des obligations, 1974. p. 333 et s) ; voir sur la question : P. DIDIER, Droit
commercial précité. p. 18
11
2-
L’unité du Droit a été réalisée en Angleterre depuis le 18è siècle, avec l’abolition des juridictions
commerciales. L’Italie et la Suisse y sont également parvenues. Cf. Tallon, Réflexions comparatives
sur la distinction du droit civil commercial, Études Jauffret, p. 649 et s.
Mais il faut se garder ici de tout optimisme démesuré, en dépassant la pensée des
rédacteurs du Traité. L’unification du droit privé dans le système OHADA ne peut se faire
qu’autour de la notion d’entreprise et de celle d’activités économiques qui sont au cœur de
l’harmonisation du droit des affaires en Afrique. Il ne peut donc s’agir que d’une unification
des seules règles techniques relatives à tel ou tel aspect de l’entreprise, de son activité ou de
ses relations avec d’autres entreprises.
2°)
L’étendue de l’unification du droit privé
L’unification du droit privé que tend à réaliser l’OHADA ne concerne que les seules
règles techniques c’est-à-dire toutes les règles qui, dans les différentes branches concernées
du droit privé peuvent s’appliquer à l’entreprise, sans cesser d’appartenir au droit civil, au
droit pénal, au droit du travail, au droit des transports, voire au droit commercial1. etc…
Certes, au contact du droit des affaires ces différentes règles connaîtront quelques adaptations
pour être conformes aux techniques et à l’esprit de celui-ci2. Mais, il n’en demeurera pas
moins qu’en dehors des relations privées d’affaires, chacune de ces règles retrouverait alors
son domaine et son esprit originaires.
Par exemple, les conséquences du redressement judiciaire du conjoint commerçant sur
les régimes matrimoniaux sont connus3. On sait notamment que la soumission d’un époux
commun en bien à une procédure collective crée de sérieuses difficultés qui ne peuvent être
résolues par les règles traditionnelles du droit civil. La loi française du 25 janvier 1985 et
l’Acte uniforme de l’OHADA sur les Procédures Collectives d’Apurement du passif
contiennent alors des dispositions particulières permettant de résoudre les problèmes posés de
1-
Certains auteurs proposent en effet l’expression « droit commercial des affaires » pour montrer que le
vocable droit des affaires est inadapté et surtout qu’en dépit de sa pluridisciplinarité, le droit des affaires
se nourrit essentiellement de droit commercial. Voir notamment Y. CHARTIER. Précité, p. 45. En
réalité, l’expression droit commercial des affaires traduirait l’idée de l’unification du droit privé, dans le
cadre de la branche pluridisciplinaire qu’est le droit des affaires
2-
On signalera par exemple qu’aux termes des articles 4 et 10 de l’Acte uniforme de l’OHADA portant
Organisation des sûretés, le cautionnement est désormais présumé solidaire et que l’écrit est requis
comme condition de validité, contrairement aux anciennes dispositions du code civil. Mais il est permis
de penser qu’il ne s’agit là que du cautionnement commercial, le cautionnement civil demeurant régi
par le code civil ou la loi qui en tient lieu dans les différents États.
3-
Voir notamment sur la question, A. PERRODET, le conjoint du débiteur en redressement judiciaire.
RTD com. 1999. 1 ; SIMLER, les interférences des régimes matrimoniaux et des procédures collectives,
PA. n° spéc. 17 juin 1998, 28 ; RUBELLIN, Régimes matrimoniaux et procédures collectives,
Strasbourg 1998 ; DERRIDA, le sort du passif né du chef du conjoint en cas de redressement judiciaire
d’un époux sous le régime de la communauté légale, Mélanges COLOMER, 153 ; M. et P. STORCK,
les biens communs dans les procédures de redressement judiciaire, Mélanges HUET-WEILLER, 449
etc…
12
manière spécifique. Dans les deux cas, les solutions du droit des affaires s’appliquent par
préférence à celles du code civil1. Mais en dehors d’une procédure collective, le droit civil
reprend son empire et il ne sera plus question d’une quelconque unité avec le droit des
affaires. La solution serait la même, chaque fois que pour des raisons pratiques, une règle de
droit civil ou pénal etc.., est modifiée pour être adaptée aux besoins de la vie des affaires.
En somme, à travers le droit des affaires, l’unification du droit privé donnerait
naissance non pas au droit des affaires lui-même en tant qu’excroissance du droit commercial,
mais au droit privé des affaires regroupant notamment le droit commercial, le droit civil, le
droit pénal, le droit fiscal etc… C’est dans ce sens qu’on peut comprendre les expressions
telles que droit pénal des affaires, droit fiscal des affaires et aujourd’hui, droit commercial
des affaires, droit civil des affaires, que certains préfèrent appeler droit civil de l’entreprise2 .
C’est aussi le sens qu’il faudrait donner à la réforme de l’OHADA qui vise à harmoniser le
droit des affaires dans plusieurs pays d’Afrique, en rassemblant dans divers actes uniformes
des règles de droit privé c’est-à-dire de droit civil, commercial, pénal…Le vocable droit privé
des affaires traduirait donc bien cette réalité. A cela il pourra bien entendu être ajouté un droit
public des affaires. Les données ne chargeront pas pour autant, car le droit des affaires (privé
et public) qui en résulterait ne concernera aussi que les seules règles techniques, sans
modification des règles de fond du droit constitutionnel ou du droit administratif, c’est-à-dire
sans que se produise une véritable fusion des disciplines concernées dans le droit des affaires.
L’unification du droit privé ne peut ainsi être que partielle. Mais, à travers ce
regroupement des règles techniques, le Traité OHADA réalise un progrès important dans la
recherche de la sécurité juridique en favorisant l’ « accessibilité » et l’« intelligibilité » des
normes. Ceci n’est pas cependant son unique intérêt au plan de la théorie du droit. Le Traité
OHADA constitue également une avancée remarquable dans le processus d’uniformisation
des législations nationales africaines.
II-
Le recul du principe de territorialité
La territorialité est la « vocation d’un Droit à s’appliquer uniformément sur
l’ensemble d’un territoire, sans acception de nationalité ni de religion. »2 En retenant
cette assertion générale, on pourrait dire, à la lecture de l’article 10 du Traité OHADA que le
droit uniforme qu’il institue est avant tout d’application territoriale. En effet, cet article
dispose que « les actes uniformes sont directement applicables et obligatoires dans les États
1-
La cour de cassation veille à la stricte application des règles des procédures collectives dans ce cas, sans
doute pour garantir l’égalité des créanciers. Elle a par exemple décidé (Cass. Ass. Plèn. 23 déc. 1994. D.
1995, 145. note DERRIDA) que le dessaisissement du débiteur en liquidation judiciaire interdit au
créancier du conjoint in bonis d’exercer des poursuites sur des biens communs en dehors des cas où les
créanciers du failli pouvaient eux-même agir.
2-
Vocabulaire juridique Capitant, précité
13
Parties… » Le territoire étant un « élément constitutif de l’État dont il forme l’assise
géographique et dont il détermine le champ d’exercice des compétences », le principe n’est
que d’autant respecté. Mais les choses se présentent différemment s’agissant du droit des
affaires OHADA qui émane d’un Traité international instituant entre les différents États
Parties, un véritable droit uniforme transcendant les frontières nationales (A). La spécificité
du droit des affaires OHADA va même au-delà de l’uniformisation des législations étatiques.
Les auteurs du Traité ont aussi voulu lui assurer une unité d’interprétation et d’application
dans les différents États, en instituant une Cour Commune de Justice et d’Arbitrage, véritable
cour de cassation internationale (B).
A-
L’institution d’un droit uniforme des affaires en Afrique
L’inadaptation des lois internes aux besoins et intérêts de la situation internationale a
été maintes fois soulignée1. Les auteurs ont notamment fait remarquer que la diversité des lois
gêne le commerce international2. Mais, ils reconnaissent aussi, l’existence en dépit des
frontières d’une « société internationale » des États et des individus qui tendent à s’organiser,
et à vivre dans un « ordre international »3. C’est dans cette perspective que les États membres
de l’OHADA, désireux de réaliser progressivement leur intégration économique4 ont convenu
de « la mise en place dans leurs États, d’un Droit des affaires harmonisé, simple, moderne et
adapté… »5 En réalité, plus qu’une simple harmonisation des législations de différents États,
le Traité OHADA vise à créer entre un véritable droit uniforme, facteur d’intégration
économique.
1°/
La technique d’uniformisation adoptée
Au sens de l’article 1er du Traité OHADA, l’harmonisation du droit des affaires qui
constitue l’objectif principal du Traité doit se faire à travers « l’élaboration et l’adoption de
règles communes… ». Le premier alinéa de l’article 5 précise alors que « les actes pris pour
l’adoption des règles communes prévues à l’article premier du présent Traité sont qualifiés
1-
Voir notamment, Hubert BAUER, les traités et les règles de droit international privé. R.C.D.I.P. 1966.
p. 548, et le rapport cité de Rabel, conférence sur un projet de convention relative à une loi uniforme sur
la vente (La Haye, 1-10 octobre 1951)
2-
Voir, Y LOUSSOUARN et J.D. BREDIN, Droit du commerce international (Préf. H. BATIFFOL)
Sirey 1969. n°5. p. 10
3-
H. BATIFFOL, Traité, 4e éd. n° 19. p. 20
4-
La réforme de l’OHADA ne vise pas spécifiquement à organiser le commerce entre les différents États.
L’objectif poursuivi est plutôt d’éviter que des entreprises soient soumises à des législations différentes
d’un État à l’autre.
5-
Préambule du Traité OHADA
14
‘’Actes uniformes’’ ». Il apparaît, à la lecture de ces deux textes, que pour les rédacteurs du
Traité, les termes harmonisation et uniformisation revêtent la même signification. Sans doute
l’idée de départ qui était celle d’une harmonisation a-t-elle été dépassée par l’élaboration et
l’adoption de règles communes ou « Actes uniformes ».
En effet, contrairement à l’uniformisation, l’harmonisation laisserait une certaine
marge de manœuvre aux États qui pourrait conserver leurs textes nationaux en veillant
simplement à ce qu’ils ne soient pas contraires au droit issu du Traité1. L’uniformisation
quant à elle implique une réglementation identique que les États concernés tendent à instaurer
dans une matière juridique donnée, en abandonnant l’ensemble de leurs législations internes
sur ladite matière. En ce sens, l’uniformisation a pu être considérée comme un « mode
d’intégration plus poussée que l’harmonisation, la coordination ou le rapprochement de
législations »2. C’est effectivement l’objectif poursuivi à travers les différents Actes
uniformes de l’OHADA qui sont « directement applicables et obligatoires dans les EtatsParties, nonobstant toute disposition contraire de droit interne, antérieure ou
postérieure. »3 .Cela signifie que le juge national doit reconnaître la supériorité du Traité et
des Actes uniformes sur le droit interne et qu’il « a l’obligation d’assurer le plein effet des
normes issues du droit uniforme, en laissant au besoin inappliquée, de sa propre autorité,
toute disposition contraire de la législation nationale, même postérieure, sans qu’il ait
demander ou à attendre l’élimination préalable de celle-ci, par voie législative ou par tout
autre procédé constitutionnel »4.
Le juge qui ne suivra pas cette prescription verra sa décision cassée par la CCJA, en
cas de pourvoi. La Cour commune de Justice et d’Arbitrage a en effet pour mission principale
d’assurer dans les États-Parties « l’interprétation et l’application commune du Traité, des
Règlements pris pour son application et des Actes uniformes »5.
L’existence de cette Cour suprême de l’OHADA rendrait de facto inutile tout recours
en manquement contre un État qui aurait maintenu ou adopté dans sa législation interne, des
dispositions contraires au Traité. La sanction d’un tel manquement étant l’inapplication par
1-
La technique de l’harmonisation est utilisée en droit communautaire européen, par le biais de la
transposition des directives en droit interne. En effet, les directives de la CEE s’adressent aux États qui
doivent, dans le délai imparti prendre des mesures législatives ou réglementaires adéquates pour la
réalisation des objectifs fixés, harmonisant ainsi leur législation interne. Leur autorité n’est donc a priori
que médiate. Voir notamment, ch. GAVALDA et G. PARLEANI, Droit des affaires de l’Union
Européenne. 3e èd LITEC 1999. p. 26 n°48
2-
Vocabulaire Juridique Capitant, précité
3-
Article 10, Traité OHADA
4-
Cette solution tirée de l’arrêt Simmenthal (CJCE,aff 106-77 : Rec. 1978 p. 629) avait été admise par la
Cour de cassation française dans l’arrêt de principe de la chambre mixte du 24 mai 1975, sté des cafés
Jacques Vabre (AJDA 1975 p. 567, note J. BOULOUIS). Elle a également été consacrée avec un peu de
retard certes, par l’arrêt d’Assemblée du Conseil d’État du 20 octobre 1989, NICOLO (AJDA 1989, p.
756 et 788, note Denys SIMON) et ensuite avec les arrêts Boisdet du 24 septembre 1990 (AJDA 1990,
9067) et, ROTHMANS et PHILIP MORIS du 28 février 1992 (AJDA, 1992, 210)
15
5-
Voir infra p 17.
les tribunaux nationaux et, à défaut par la CCJA, des dispositions incriminées1. A moins
d’imaginer alors que l’État récalcitrant donnerait la consigne à son administration de ne pas
exécuter les arrêts de la CCJA contraires aux dispositions postérieures de son droit interne2.
Ce qui s’apparenterait davantage à une hypothèse d’école.
2°/
La portée du droit uniforme OHADA
Le droit uniforme issu du Traité OHADA est d’abord applicable dans le territoire de
chacun des États membres. Certes, dans la terminologie habituelle, l’expression ‘’droit
uniforme ‘’ est réservée aux « règles que les États s’engagent à introduire dans leur
législation nationale en les substituant aux règles actuellement existantes, et qui peuvent
s’appliquer aussi bien dans les rapports avec des États contractants que dans les rapports
avec les États non contractants »3. Mais il est aussi admis que des conventions peuvent
conduire à un droit uniforme, lorsque « les mêmes règles sont incorporées dans le système
juridique de chacun des États contractants »4. C’est la conséquence directe de l’adoption
d’Actes uniformes directement applicables dans les Etats-Parties au Traité OHADA5.
La question peut alors se poser de savoir si les règles ainsi unifiées ont le caractère de
droit international privé matériel ou si au contraire le droit uniforme OHADA constitue un
véritable « Jus commune » régissant des relations commerciales internationales. En réalité, le
Traité OHADA ne vise pas l’exclusion de règles de conflit concurrentes. Il ne saurait donc
être considéré comme une source de règles de droit international privé matériel, quand bien
même l’uniformisation aboutirait à supprimer les différences de législations. Le Traité
OHADA n’institue pas davantage un « jus mercatorum » transnational ou anational qui
régirait toutes les relations de commerce ayant des attaches essentielles avec plusieurs États.
1-
Voir cependant, J. LOHOUES-OBLE : Traité et Actes Uniformes commentés et annotés, Juriscope
1999, p. 27 qui s’interroge sur l’inexistence dans le Traité d’un recours en manquement à l’instar de
celui du droit communautaire européen où la CJCE a compétence pour sanctionner les États coupables
de manquement. La clé du problème se trouve entre les mains des juges, dans le système OHADA.
Ceux-ci ont le devoir de refuser d’appliquer, en vertu de l’article 10 du Traité « toute disposition
contraire de droit interne, antérieure ou postérieure. »
2-
L’article 54 ayant prévu qu’ « aucune réserve n’est admise au présent Traité »L’État qui estimerait ne
pus pouvoir se soumettre en tout ou partie au droit uniforme devra suivre la procédure de révision et de
dénonciation décrite dans les articles 61 à 63.
3-
H. BAUER, les Traités et les règles de droit international privé matériel. R.C.D.I.P 1966 p 550, et
références citées.
4-
H. BAUER, précité p. 550
5-
En ce sens également, BOLMIN, BOUILLET-CORDONNIER et MEDJAD, JDI 2,1994 , p. 378
16
Ni droit international privé, ni droit du commerce international1, le droit uniforme OHADA
vise simplement à créer dans l’espace considéré, un cadre juridique propice à l’activité des
entreprises et à promouvoir ainsi un « nouveau pôle de développement en Afrique »2. Il s’agit
donc plus de mettre en place des « conditions propres à garantir la sécurité juridique des
activités économiques, afin de favoriser l’essor de celles-ci et d’encourager
l’investissement »3. C’est ce même souci de sécurité juridique qui a justifié l’institution d’une
Cour commune de Justice et d’Arbitrage.
B/
La création d’une Cour de cassation commune : la C.C.J.A
Les difficultés de l’organisation d’une justice internationale sont connues des
spécialistes4. Celle qui est le plus souvent évoquée a trait à la souveraineté des États, chacun
ayant le pouvoir exclusif de mettre en place ses institutions judiciaires et d’imposer les
décisions de justice à tous ceux qui vivent sur son territoire. Les Etats-Parties au Traité
OHADA ont résolu en partie cette difficulté, en instituant une Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage. Mais la création de cette juridiction internationale va bien au-delà du simple
règlement d’un conflit de souverainetés. Il s’agissait surtout pour les États concernés
d’assurer une unité d’interprétation et d’application du Traité, de ses règlements d’application
et bien sûr, des actes uniformes qui en sont issus. La Cour Commune de Justice et
d’Arbitrage apparaît ainsi comme une véritable Cour de cassation, investie de la mission
particulière d’assurer l’unité du droit uniforme. Mais il s’agit d’une Cour de cassation d’un
genre particulier dont l’efficacité reste sujette à caution.
1-
La compétence de la C.C.J.A
Aux termes de l’article 14 alinéa 1er du Traité OHADA « La Cour Commune de
Justice et d’Arbitrage assure dans les Etats-Parties l’interprétation et l’application
communes du présent Traité, des règlements pris pour son application et des Actes
uniformes ». Elle peut également être consultée, pour avis, par tout Etat-Partie ou par le
Conseil des ministres, de même que par les différentes juridictions nationales. Mais ce sont
surtout ses compétences en tant que juridiction suprême qui donnent toute son importance à la
C.C.J.A et font aussi son originalité.
1- Sur les rapports entre le droit international privé et le droit du commerce international, voir notamment : Y.
LOUSSOUARN et J. D. BREDIN, Droit du commerce International, précité, n° 1 à 6, spécialement les
numéros 4 et 5 ; J.M. MOUSSERON, J. RAYNARD R. FABRE et J. L. PIERRE, Droit du commerce
International LITEC 1997. n° 24.
2- 3-Préambule du Traité OHADA. Voir aussi, J. PAILLUSSEAU : Une Révolution juridique en Afrique
Francophone : L’OHADA, Mélanges Jeantin 1999 qui souligne l’intérêt d’un droit unifié pour la réalisation
de l’intégration économique des Etats-Parties au Traité OHADA
4-
Voir notamment CL. A COLLIARD, Institutions des relations internationales, précis Dallloz, 9e éd.
1990 ; Ch. ROUSSEAU et P.M. DUPUY, Droit international Public, précis Dalloz, 12e éd.
17
En effet, la CCJA peut être saisie par la voie du recours en cassation contre les
décisions rendues par les juridictions d’appel des Etats-Parties, dès lors qu’est en cause,
l’interprétation ou l’application des Actes uniformes1. Seules les décisions prononçant une
sanction pénale échappent à sa compétence2. En tant qu’organe de cassation, la CCJA est
avant tout juge du droit. Elle est donc compétente pour contrôler toutes les décisions rendues
en appel ou en premier et dernier ressort par des juridictions étatiques, jouant ainsi son rôle de
gardienne de la bonne interprétation et application de la loi par les juges du fond.
Le Traité OHADA va cependant bien au-delà de cette fonction traditionnelle d’une
Cour de cassation. Le dernier alinéa de son article 14 autorise la CCJA à évoquer et à statuer
sur le fond, en cas de cassation. Cette disposition fait alors de la CCJA un troisième degré de
juridiction statuant sans renvoi3. Ce choix peut se justifier, car l’institution de la CCJA vise
avant tout à assurer une unité d’interprétation et d’application des textes de l’OHADA. Ce
résultat ne peut effectivement être atteint que si certaines prérogatives exorbitantes sont
reconnues à cette juridiction internationale, lui permettant d’imposer sa jurisprudence à
l’ensemble des juridictions étatiques y compris les cours de Cassation nationales. Cette
tendance est parfaitement illustrée par l’article 16 alinéa 1er aux termes duquel « la saisine de
la Cour Commune de Justice et d’Arbitrage suspend toute procédure en cassation engagée
devant une juridiction nationale contre la décision attaquée… »4 De même l’article 20 du
Traité confère l’autorité de la chose jugée et la force exécutoire aux arrêts de la CCJA qui
« reçoivent sur le territoire de chacun des Etats-Parties, une exécution forcée dans les
mêmes conditions que les décisions des juridictions nationales. » La procédure d’exequatur
ne sera donc pas nécessaire pour l’exécution des arrêts de la CCJA dans les différents États
concernés.
Un parallèle peut être fait ici avec les juridictions européennes, spécialement, avec la
Cour de Justice et le Tribunal de Première Instance. Contrairement à la solution retenue dans
le Traité OHADA, il n’existe pas de Cour de cassation européenne qui serait compétente pour
réformer les décisions d’une juridiction ayant mal interprété ou appliqué un texte de droit com
1-
Cf, article 14 al. 3. en ce qui concerne la saisine de la CCJA, l’article 15 du Traité dispose que « les
pourvois…sont portés…soit directement par l’une des parties à l’instance, soit sur renvoi d’une
juridiction nationale statuant en cassation saisie d’une affaire soulevant des questions relatives à
l’application des Actes uniformes.
2-
La répression des délinquants a toujours été considérée comme une prérogative de la puissance
publique relevant de la souveraineté des États
3-
Voir en ce sens, les commentaires de J. LOHOUES-OBLE, Traité et Actes uniformes commentés,
Juriscope 1999 p. 29 et 30. l’auteur fait remarquer que la loi Ivoirienne avait déjà consacré cette
orientation. On sait aussi que d’autres Cours Suprêmes, en l’occurrence la chambre des Lords
constituent un véritable degré de Juridiction supplémentaire par opposition à la tradition française, voir
sur ce sujet : La Cour judiciaire Suprême, Enquête comparative, Rev. Inter. Droit comparé 1978. p. S et
S, spécialement la synthèse de A. TUNC
4-
Toutefois, la suspension ne concerne pas les procédures d’exécution. Ce qui permet d’éviter des recours
dilatoires
18
munautaire1. L’absence d’une organisation judiciaire « intégrée » regroupant les juridictions
nationales et la Cour de Justice des Communautés peut constituer un vecteur d’interprétation
divergentes. La technique utilisée en droit communautaire pour pallier cet inconvénient et
sauvegarder une certaine unité d’interprétation a donc consisté à recourir à la question
préjudicielle2. La Cour de Justice des Communautés n’exerce une fonction de réformation
qu’à l’égard des seules décisions du tribunal de première instance des Communautés. Et,
contrairement à la CCJA, la CJCE ne peut pas rejuger l’ensemble du litige. Le pourvoi ici est
limité aux questions de droit. Le demandeur ne peut donc invoquer devant la CJCE que des
moyens de légalité externe de la décision attaquée, tirés de l’incompétence du tribunal ou
d’irrégularités de procédure, et des moyens de fond du droit tirés de la violation du droit
communautaire par le tribunal3. En clair, à la différence de la CCJA, la CJCE ne constitue pas
un troisième degré de juridiction4.
Le Traité OHADA réalise ainsi une sorte d’intégration judiciaire en plaçant la CCJA
au sommet d’une organisation juridictionnelle comprenant à la base les tribunaux d’instance
et à un niveau immédiatement supérieur, les cours d’appel nationales. Mais cette construction
originale qui assurerait à terme l’unité du droit porte aussi en elle des germes d’inefficacité.
2°/
Les incertitudes sur l’efficacité de la CCJA
« Qui trop embrasse, mal étreint ». Cet adage qui exprime la sagesse populaire va-t-il
se vérifier avec la CCJA de l’OHADA ? On ne saurait répondre de manière péremptoire à
cette interrogation qui traduit une préoccupation relative à l’efficacité de la Cour. Celle-ci est
à la fois une juridiction internationale devant régler le contentieux venant de plusieurs États,
et un troisième degré de juridiction qui évoque et statue sur le fond.
S’agissant tout d’abord de son rôle de Cour suprême internationale, nul ne doute que si
les différentes Cours suprêmes nationales souffrent déjà d’un certain engorgement, la
situation ne serait que plus grave au niveau de la CCJA. Connaître des pourvois en cassation
contre les arrêts des cours d’appel de l’ensemble des Etats-Parties ne sera guère une partie
aisée. Même si, pour relativiser la difficulté, on peut faire remarquer que le contentieux sera
1-
Comme le droit communautaire, le droit uniforme OHADA est d’application directe. Dans un cas
comme dans l’autre, les justiciables des Etats-membres peuvent en effet invoquer les textes résultant du
Traité international devant les juridictions nationales
2-
En présence d’une difficulté d’interprétation, les juridictions nationales peuvent, et parfois doivent
surseoir à statuer et renvoyer le problème devant la Cour avant de rendre leur décision au fond. Une
solution analogue est prévue par l’article 14 alinéa 2 du Traité OHADA qui permet aux juridictions
nationales compétentes pour régler en première instance et en appel, le contentieux relatif à
l’application des actes uniformes, de solliciter l’avis consultatif de la CCJA.
3-
Voir notamment, J.VINCENT - S.GUINCHARD - G.MONTAGNIER et A.VARINARD, les
institutions Judiciaires. 3e éd. Dalloz (précis) n° 155 et suivants.
4-
Le droit communautaire européen a opté pour un mécanisme de « coopération judiciaire »En ce sens,
C.GAVALDA, G. PARLEANI Droit des Affaires de l’Union Européenne LITEC, 3e éd 1999 n° 51 p.
28.
19
limité à l’interprétation et l’application du Traité OHADA et de ses textes dérivés. En
espérant également que le recours à l’arbitrage soit la solution adoptée par de nombreux
justiciables, il demeurera qu’une seule Cour de cassation pour les seize États actuellement
membres de l’OHADA risquerait de s’avérer insuffisante1. Cela, d’autant plus que la CCJA
composée de sept juges2 seulement n’est pas structurée en chambres spécialisées dans les
différents domaines du droit privé couverts par la réforme de l’OHADA3.
S’agissant ensuite de la compétence quant au fond, le Traité OHADA a fait de la
CCJA un troisième degré de juridiction. Ce qui constitue une cause supplémentaire
d’encombrement, car il sera question pour nombre de plaideurs de reprendre à zéro le procès
perdu en instance ou en appel à Douala, Dakar, Libreville, Bangui etc.. et même d’y apporter
des éléments nouveaux de preuve ou de discussion4. La perspective du coût élevé d’un
nouveau procès à l’étranger, pour les justiciables ne résidant pas en Côte-d’Ivoire, ne sera pas
très dissuasive eu égard aux montants importants de certains litiges. On peut donc
légitimement s’attendre à un développement croisant du contentieux devant la Cour.
A défaut d’augmenter le nombre de juges siégeant à la CCJA et de créer des chambres
spécialisées, notamment en matière de droit commercial des affaires, droit civil des affaires,
droit comptable et financier des affaires etc…, la prévention de l’encombrement de la CCJA
passera sans doute par la consécration de la technique de cassation par renvoi pour les affaires
nécessitant un examen approfondi. Il faudra simplement admettre dans un tel cas que
l’interprétation et les orientations données par la CCJA s’imposent à la juridiction de renvoi
qui peut être aussi bien une autre cour d’appel du même État que celle dont la décision est
contestée ou la Cour suprême nationale. Ce serait une extension utile du principe de la force
exécutoire des arrêts de la CCJA dans les Etats-Parties.
1-
l’OHADA regroupe aujourd’hui seize États membres. Mais l’article 53 déclare le Traité « ouvert à
l’adhésion de tout État membre de l’OUA et non signataire… » et à celle de « Tout autre État non
membre de l’OUA invité à y adhérer… »
2-
Cf, l’article 31 du Traité.
3-
Certes, l’article 9 du règlement de procédure de la Cour prévoit la possibilité de siéger en chambres de
trois à cinq juges (sur les sept que compte la Cour). Mais il s’agit moins d’une véritable répartition des
tâches ou d’une spécialisation que d’une atténuation du principe selon lequel « la Cour siége en
formation plénière » (article 9).
Une autre difficulté à craindre est relative à la maîtrise par le même juge de l’ensemble du contentieux
que peuvent susciter l’interprétation et l’application des Actes uniformes. L’école de formation des
magistrats spécialisés de DAKAR permettra t-elle de surmonter cette difficulté ?
4-
Il faut peut-être se souvenir que c’est la méfiance des milieux d’affaires à l’égard des institutions
Judiciaires de certains États qui a motivé la création d’une juridiction au-dessus des juridictions
étatiques. La CCJA aurait donc pour mission inavouée de rétablir la justice que les juridictions
nationales auraient faussée. Le préambule du Traité OHADA rappelle parfaitement qu’il s’agit
d’ « établir un courant de confiance en faveur des économies de leur pays en vue de créer un nouveau
pôle de développement en Afrique » Voir en ce sens, M. BOLMIN, G. BOUILLET-CORDONNIER et
K. MEDJAD, Harmonisation du Droit des affaires dans la zone francs. J.D.I. 2, 1994 p. 375 et s. qui
relèvent notamment parmi les griefs des opérateurs économiques « imprévisibilité des tribunaux,
corruption du système judiciaire, difficultés d’exécution, retards voire absence de publications des
textes et de jurisprudence. »