EGRH9-Responsabilite-employeur-public
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EGRH9-Responsabilite-employeur-public
1 Intervention du 29 novembre 2011 Neuvièmes rencontres professionnelles de l’Ecole de la GRH «La prévention des risques psycho‐sociaux» Quelles responsabilités pour l’employeur public ? Cathy Schmerber, Premier Conseiller à la Cour Administrative d’Appel de Lyon, Rapporteur Public dans la Chambre de la Fonction Publique 2 Des acteurs multiples – souvent représentés au cours de cette journée - sont concernés plus ou moins directement par la prévention des risques psychosociaux. Parmi ces acteurs, le juge occupe une place un peu particulière, car devant les juridictions il n’est plus tant question de prévention, que de répression et de responsabilité. La notion de RPS est totalement inexistante dans la jurisprudence administrative, de sorte que vous ne trouverez aucune décision juridictionnelle employant ce terme dans les bases de données jurisprudentielles. Pourtant, les tribunaux, puis les juridictions supérieures ont peu à peu et de manière croissante été saisis de litiges qui, sans employer cette dénomination, portent sur les risques psychosociaux. Dans le programme de ces 9èmes rencontres professionnelles, il m’a été demandé de traiter le thème suivant : « Quelles responsabilités –au pluriel- pour l’employeur public ? Intervention sur la responsabilité juridique –au singulier – des employeurs en matière de RPS ». Cette responsabilité est-elle alors une ou multiple ? Si la question se pose, c’est qu’elle est évidemment multiple, mais j’ai choisi de cibler mon intervention sur la responsabilité administrative. Non pas seulement parce que je préfère parler de ce que je connais le mieux, mais surtout parce que la responsabilité des employeurs publics se trouve principalement, pour ne pas dire exclusivement mise en cause devant les juridictions administratives et selon les règles spécifiques régissant le contentieux de la responsabilité administrative. A une convergence des préoccupations et du droit applicable aux secteurs privé et public, répond pourtant une persistance d’une mise en œuvre spécifique de la responsabilité des employeurs publics Les risques psychosociaux et leur prévention se sont imposés comme une préoccupation majeure dans le domaine de la santé au travail, aussi bien dans le secteur public que dans le secteur privé : à cette convergence des préoccupations, a répondu de façon quelque peu inhabituelle la convergence du droit applicable. Inhabituelle, car, vous le savez, les agents publics sont très largement soumis à des dispositions statutaires, les lois des années 80, complétées par de nombreux décrets, fixant la nature, la portée et les modalités de mise en œuvre de leurs droits, obligations et garanties. Dans le domaine qui nous intéresse aujourd’hui, 3 l’article 23 de la loi du 13 juillet 1983 portant droits et obligations des fonctionnaires pose ainsi en règle de portée générale que « des conditions d’hygiène et de sécurité de nature à préserver leur santé et leur intégrité physique sont assurées aux fonctionnaires durant leur travail ». Il paraît moins évident dans ce contexte statutaire que les agents publics puissent être soumis au droit commun des salariés : en vertu du décret n° 82-453 du 28 mai 1982, les dispositions du code du travail en matière d’hygiène et de sécurité sont applicables, sauf adaptations prévues par arrêtés, dans la fonction publique d’Etat. Il en va de même dans la fonction publique territoriale en vertu du décret n° 85-603 du 10 juin 1985 et des établissements publics de santé, sociaux et médicaux sociaux mentionnés à l’article 2 de la loi du 9 janvier 1986 portant dispositions statutaires relatives à la fonction publique hospitalière. Les 3 fonctions publiques, ainsi que leurs établissements publics, sont ainsi, soumis outre les dispositions statutaires, à celles aux du code du travail posant les principes de prévention en matière de sécurité et de santé au travail. Je ne m’attarderai pas davantage sur cette évocation rapide du code du travail car la responsabilité des employeurs publics n’est guère recherchée devant le juge administratif sur le fondement de ces dispositions, pourtant essentielles dans l’appréhension de la prévention des risques psychosociaux. Aucun obstacle juridique n’empêche que la responsabilité des employeurs publics soit recherchée sur ce fondement : lorsque le juge administratif est compétent pour connaître de la situation d’un agent, il peut être amené à juger en appliquant le code du travail. C’est le cas par exemple pour les agents de la Banque de France, pour lesquels le Conseil d’Etat juge avec constance que sont applicables les dispositions du code du travail qui ne sont incompatibles ni avec le statut de l’établissement, ni avec ses missions de service public (par exemple, CE 4 décembre 2002 n° 234418 « Syndicat national autonome du personnel de la Banque de France »). Il s’agit peut-être là d’une voie qui reste à explorer, mais l’avenir se trouve entre les mains des requérants : le juge administratif ne choisit pas, en effet, le fondement juridique qu’il applique, mais statue au vu des textes et des arguments dont il est saisi. Or, force est de constater que la jurisprudence relative à la responsabilité des employeurs publics en matière de prévention des risques psychosociaux s’inscrit dans le cadre habituel de la responsabilité administrative et sur le fondement de quelques dispositions spécifiques sur lesquelles je vais insister. 4 Rappel de quelques règles générales relatives à la responsabilité administrative La responsabilité administrative – au sens strict du terme - de l’employeur public est nécessairement une responsabilité de nature indemnitaire, ce qui suppose que le requérant cherche à obtenir l’indemnisation des préjudices qu’il estime avoir subis, en relation avec une situation de RPS. Or, l’un des principes intangibles du droit de la responsabilité administrative est qu’elle est fondée sur un acte ou un comportement dommageable et, sauf exception, fautif. La charge de la preuve de l’existence de la faute incombe au demandeur, c'est-à-dire celui qui a subi une situation relevant des RPS. Cette victime doit également justifier de l’existence et de la réalité des préjudices dont il demande réparation, et du lien de causalité entre ces préjudices et la ou les fautes invoquées. La méconnaissance d’une obligation fixée par un texte législatif ou règlementaire contraignant constitue une illégalité. L’illégalité est, par principe fautive (CE Sect 26 janvier 1973 « Ville de Paris c/ Driancourt ») et, de ce seul fait, susceptible d’engager la responsabilité de la personne publique en cause. Toutefois, cette responsabilité ne sera pas nécessairement reconnue, ni sanctionnée par le juge administratif, si les autres conditions ne sont pas satisfaites. Ainsi, en cas de méconnaissance par l’employeur public d’une de ses obligations relatives, par exemple, à l’organisation du travail, sa responsabilité ne serait sanctionnée que si la faute avait occasionné à l’agent requérant un préjudice en lien direct avec cette faute. Très concrètement, un agent ne peut pas saisir le juge pour faire reconnaître la faute d’une collectivité territoriale à ne pas avoir par exemple mis en place une instance du type comité d’hygiène et de sécurité, si l’absence d’un tel comité n’a eu aucun effet sur les conditions de travail ou le déroulement de carrière de l’agent et ne lui a causé aucun préjudice. Par ailleurs, - autre principe - indépendamment des cas dans lesquels le préjudice invoqué résulte de la conjonction de deux fautes distinctes (CE 3 février 1911 « Anguet », p. 146), la juridiction admet la possibilité d’engager la responsabilité des personnes publiques devant le juge administratif an cas de faute unique à caractère personnel à la condition que celle-ci ne soit pas dépourvue de tout lien avec le service : cette hypothèse est naturellement satisfaite lorsque la faute a été commise à l’occasion du service, dans l’exercice des fonctions. En matière de RPS, cela revient concrètement à ce que le juge administratif puisse admettre la responsabilité de l’employeur public (Etat, collectivité territoriale, établissement hospitalier …) à raison de la faute commise par l’un de ses agents. 5 Très précisément, en cette matière, deux hypothèses de faute personnelle engageant la responsabilité de la personne publique me paraissent envisageables : 1- la faute résultant du comportement d’un agent qui, sur le lieu de travail, adopterait un comportement de harcèlement à l’encontre de l’un de ses collègues ; 2- la faute des supérieurs hiérarchiques ou, le cas échéant, des agents en charge de la gestion des ressources humaines, qui auraient par un comportement « actif » provoqué une situation de RPS ou par leur carence, échouer à prévenir la survenance d’une telle situation. Sans aucune mention expresse, la jurisprudence administrative assure ainsi le respect des textes de portée générale, qui prévoient que les chefs de service sont chargés, dans la limite de leurs attributions et dans le cadre des délégations qui leur sont consenties, de veiller à la sécurité et à la protection de la santé des agents placés sous leur autorité » (article 2-1 du décret du 28 mai 1982 relatif à l’hygiène et à la sécurité du travail ainsi qu’à la prévention médicale dans la fonction publique, dans sa rédaction issue du décret du 9 mai 1995). Principales hypothèses de mise en œuvre de la responsabilité administrative des employeurs publics L’une des difficultés est de déterminer ce que l’on entend par « risques psychosociaux » : je crois que vous avez abordé la question de cette définition ce matin ; dans l’un des documents relatifs à ce colloque, le terme de RPS était suivi d’une courte énumération, non exhaustive : « violences, harcèlement, stress … » Par rapport à cette ébauche de définition, il m’a semblé intéressant et approprié d’aborder deux hypothèses particulières de mise en cause de la responsabilité des employeurs publics : 6 1- L’engagement de la responsabilité administrative du fait d’une situation de harcèlement moral Fondement juridique Article 6 quinquiès de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983 introduit dans le statut par la loi de modernisation sociale du 17 janvier 2002, aux termes duquel : « Aucun fonctionnaire ne doit subir les agissements répétés de harcèlement moral qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d'altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel (…) ». Avant l’entrée en vigueur de ces dispositions prohibant le harcèlement moral dans la fonction publique, le Conseil d’Etat avait déjà admis que des faits caractérisant un harcèlement moral constituent une faute de nature à engager la responsabilité de l’administration (CE 24 novembre 2006 n° 256313 « Mme B. »). Etait ainsi ériger en principe général du droit la garantie selon laquelle aucun fonctionnaire ne devait subir des faits répétés de harcèlement qui ont pour objet ou pour effet une dégradation des conditions de travail susceptible de porter atteinte à ses droits et à sa dignité, d’altérer sa santé physique ou mentale ou de compromettre son avenir professionnel. Dans cet arrêt de 2006 et dans les développements jurisprudentiels qui ont suivi, le Conseil d’Etat a ainsi posé les critères permettant de caractériser une situation de harcèlement moral, en l’espèce constitué par « un comportement vexatoire de l’administration à l’encontre d’un agent sur une longue durée » ; il est également question de « dénigrement systématique », de « consignes inutilement tatillonnes » et de l’emploi de « termes humiliants ». Dans ses conclusions, le commissaire du gouvernement, Didier Casas, faisait état « d’un dysfonctionnement administratif important et parfaitement anormal ». Le harcèlement moral est donc ainsi constitué par des agissements répétés ou habituels, vexatoires et humiliants, dont la dégradation des conditions de travail est la conséquence, voulue ou avérée, selon les termes de la loi « pour objet ou pour effet ». Nous retrouvons là des notions caractérisant les situations de survenance des risques psychosociaux : toutefois, alors que la responsabilité « managériale » de l’employeur public tend à prévenir toute dégradation des conditions de travail, une telle dégradation n’est pas nécessairement révélatrice de faits constitutifs de harcèlement moral et, en l’état actuel de la jurisprudence administrative, n’est pas nécessairement susceptible d’engager la responsabilité de l’employeur public. 7 Dans sa jurisprudence, le Conseil d’Etat a en effet déterminé certaines limites : le juge vérifie l’existence de motifs tirés de l’intérêt du service ou des nécessités du service justifiant les agissements invoqués (voir également CE 26 octobre 2007 n° 284683 ou 4 mars 2009 n° 311122), apprécie les faits par rapport à la notion d’exercice normal du pouvoir hiérarchique (l’arrêt précité du 24 novembre 2006) ainsi que les contraintes de gestion de l’administration affectant l’ensemble du personnel (26 novembre 2008 n° 305076). Ces limites jurisprudentielles font alors écho à la notion « d’éléments objectifs étrangers à tout harcèlement », au sens des articles pertinents du code du travail. J’insiste sur ce point, qui me paraît essentiel pour appréhender la jurisprudence administrative en la matière : pour chacun des faits invoqués par le requérant, le juge vérifie évidemment si ce fait est matériellement établi ou, souvent, s’il n’est pas discuté, mais lorsque c’est le cas, il vérifie ensuite de quelle façon ce fait s’inscrit ou non dans les dispositions statutaires. Pour vous donner un exemple très concret : un agent se plaint de ce que son périmètre de compétence a été arbitrairement réduit ou que des tâches inintéressantes lui sont confiées. Le juge vérifie alors quelles tâches doivent normalement être confiées à cet agent compte tenu du corps auquel il appartient, en se fondant sur les décrets statutaires qui énumèrent normalement les missions pouvant être confiées à tel ou tel agent selon son corps d’appartenance. De la même façon, nous avons eu à connaître à la Cour de la demande d’une jeune femme qui exposait qu’après avoir été considérée comme un agent modèle, ses conditions de travail s’étaient considérablement dégradées à son retour de congé maternité, à telle point que cette dégradation révélait une situation de harcèlement moral. Les problèmes qu’elle faisait valoir tenaient notamment au refus de sa hiérarchie de lui accorder les congés lorsqu’elle le souhaitait, ainsi que des horaires aménagés pour poursuivre l’allaitement de son enfant : là encore, l’appréciation a été faite par rapport au droit applicable et il s’est avéré que les exigences de l’agent allaient bien au-delà des aménagements horaires prévus par les textes et que, s’agissant des congés, elle prétendait, sans aucun fondement juridique, être prioritaire par rapport à ses collègues (CAA Lyon 16 mars 2010 n° 08LY00468). On peut donc constater que le statut des fonctionnaires et agents publics, qui leur assure protection et garanties, constitue également le cadre juridique à l’aune duquel s’apprécie les faits invoqués par le demandeur et c’est donc ce statut qui fait souvent obstacle à ce que la responsabilité de l’employeur public soit retenue, alors même que l’insatisfaction, voire la souffrance de l’agent est réelle. 8 Car il s’agit là du point suivant: le préjudice dont il est demandé réparation est souvent lié à l’état de santé de l’agent, invoquant un syndrome dépressif et exposant toutes les conséquences pouvant en découler : l’existence d’une pathologie de nature dépressive, dont l’agent affirme qu’elle est la conséquence de la dégradation de ses conditions de travail, ne suffit pas à engager la responsabilité de l’employeur public, même si la réalité de la pathologie est établie. Une condition nécessaire et incontournable de la reconnaissance de la responsabilité par le juge et du droit à indemnisation de l’agent est constituée par la démonstration du lien de causalité entre la faute alléguée et le dommage. Très récemment, la jurisprudence a évolué sur un point important : dans l’arrêt « Mme B. » du 24 novembre 2006, le Conseil d’Etat considérait, faisant ainsi application des règles contentieuses habituelles en droit de la responsabilité, que lorsque l’agent contribue par son attitude, à la dégradation des conditions de travail dont il se plaint, cette circonstance est de nature à conduire à un partage de responsabilité entre l’agent et l’administration, la question se posant alors au moment de l’appréciation du préjudice et de son indemnisation. Par un arrêt de Section du 11 juillet 2011 rendu sous le n° 321225, le Conseil d’Etat a précisé que « la nature même des agissements en cause exclut, lorsque l'existence d'un harcèlement moral est établie, qu'il puisse être tenu compte du comportement de l'agent qui en a été victime pour atténuer les conséquences dommageables qui en ont résulté pour lui. Le préjudice résultant de ces agissements pour l'agent victime doit alors être intégralement réparé ». Cet arrêt a été largement commenté et les conclusions du Rapporteur Public, Mathias Guyomar sont particulièrement complètes sur l’état de la jurisprudence en matière de harcèlement moral. La théorie générale de la « faute de la victime », applicable dans le contentieux général de la responsabilité administrative est donc écartée. La jurisprudence en matière de harcèlement moral se distingue également des règles habituellement applicables au contentieux de la responsabilité administrative pour ce qui concerne la charge de la preuve. D’une manière générale, si rien n’interdit au juge de procéder à des mesures d’instruction, il incombe en effet au demandeur d’apporter au juge les éléments permettant d’établir l’existence d’une faute, la réalité du lien de causalité de cette faute avec les préjudices dont il demande réparation, puis la nature et l’étendue de ces préjudices. En matière de RPS, plus précisément de discrimination ou de harcèlement, le Conseil d’Etat a posé en principe, dans un arrêt d’Assemblée du 30 octobre 2009, « qu’il appartient au juge administratif, dans la conduite de la procédure 9 inquisitoire, de demander aux parties de lui fournir tous les éléments d’appréciation de nature à établir sa conviction ; que cette responsabilité doit, dès lors qu’il est soutenu qu’une mesure a pu être empreinte de discrimination, s’exercer en tenant compte des difficultés propres à l’administration de la preuve en ce domaine et des exigences qui s’attachent aux principes à valeur constitutionnelle des droits de la défense et de l’égalité de traitement des personnes ; que, s’il appartient au requérant qui s’estime lésé par une telle mesure de soumettre au juge des éléments de fait susceptibles de faire présumer une atteinte à ce dernier principe, il incombe au défendeur de produire tous ceux permettant d’établir que la décision attaquée repose sur des éléments objectifs étrangers à toute discrimination ; que la conviction du juge, à qui il revient d’apprécier si la décision contestée devant lui a été ou non prise pour des motifs entachés de discrimination, se détermine au vu de ces échanges contradictoires ; qu’en cas de doute, il lui appartient de compléter ces échanges en ordonnant toute mesure d’instruction utile ». Ainsi, si la charge de la preuve n’est pas inversée pour être mise à la charge de l’administration, c’est à l’employeur public qu’il appartient de démontrer l’absence de harcèlement ou de discrimination, dès lors que le demandeur va apporter au juge des éléments suffisamment convaincants et plausibles pour présumer des agissements fautifs invoqués. Vous exercez tous – je crois – des fonctions de gestion des ressources humaines : les éléments que vos services peuvent détenir sont évidemment essentiels dans la procédure contentieuse, dans ces contentieux très factuels, où il n’est pas tant question de démontrer l’absence d’erreur de droit que d’inverser la présomption que l’agent a pu, le cas échéant, faire peser sur l’employeur public. 2- L’engagement de la responsabilité administrative du fait de la carence dans la mise en œuvre de la protection fonctionnelle Fondement juridique Article 11 de la loi n° 83-634 du 13 juillet 1983, aux termes duquel : « La collectivité publique est tenue de protéger les fonctionnaires contre les menaces, violences, voies de fait, injures, diffamations ou outrages dont ils pourraient être victimes à l'occasion de leurs fonctions, et de réparer, le cas échéant, le préjudice qui en ait résulté. » Dans un arrêt du 12 mars 2010 rendu sous le n° 308974, le Conseil d’Etat a confirmé une décision de la Cour administrative d’appel de Nancy enjoignant 10 à une collectivité territoriale, en l’espèce une commune, d’organiser la protection d’un agent public victime de harcèlement moral. L’injonction a été prononcée en exécution de l’annulation par le juge de la décision par laquelle la protection fonctionnelle garantie par l’article 11 de la loi de 1983 avait été refusée à l’agent. Je vous indiquai précédemment que la responsabilité d’une personne publique relève du contentieux par nature indemnitaire : dans l’affaire jugée par le Conseil d’Etat, la demande indemnitaire a été rejetée pour des questions de recevabilité (absence de demande indemnitaire préalable), mais l’illégalité de la décision de refus de la protection fonctionnelle était évidemment fautive et susceptible d’ouvrir droit à réparation à l’agent. Dans cette affaire, le Rapporteur Public, Edouard Geffray, rappelle que la protection fonctionnelle ainsi garantie aux agents par la loi comporte pour l’employeur public une obligation d’assistance qui peut le conduire à engager une procédure disciplinaire contre les auteurs des actes de violence, de harcèlement … en cause, lorsque ces auteurs relèvent évidemment de son autorité. Dans un arrêt du 12 mai 2011, rendu sous le n° 10LY01399, la chambre de la CAA de Lyon dans laquelle j’exerce mes fonctions a écarté la faute d’une collectivité territoriale, dont il était soutenu qu’elle avait pris des mesures de protection insuffisante alors que la requérante était injuriée et physiquement menacée par l’un de ses collègues, qui l’a finalement agressée. Après avoir longuement hésité, je proposai de retenir la responsabilité de la collectivité territoriale : l’arrêt a été rendu sur conclusions contraires ; mes collègues ont considéré qu’en prenant à l’encontre de l’agent violent une sanction disciplinaire – un blâme – et en engageant, surtout, une procédure de licenciement, la collectivité avait pris les mesures adéquates. Ils n’ont pas été convaincus par ma proposition consistant à constater l’absence de mesures conservatoires, comme une suspension, destinée à éloigner l’agent violent de sa victime, sans doute du fait que, bénéficiaire d’un logement de fonction, le premier serait en tout état de cause resté sur les lieux. Vous pouvez constater que, dans le cadre de la protection fonctionnelle des agents, la responsabilité d’un employeur public peut ainsi être mise en cause du fait de sa carence dans l’engagement de poursuites disciplinaires. En principe, l’administration n’est jamais tenue d’engager une procédure disciplinaire, ni même d’infliger une sanction une fois que cette procédure a été engagée. ****** 11 Ces deux hypothèses de mise en œuvre de la responsabilité administrative me paraissent correspondre le mieux aux situations relevant des RPS, mais il paraît assez évident que la jurisprudence administrative va être amenée à évoluer sur ces questions, de plus en plus présente dans les relations entre employeurs et agents, y compris dans le secteur privé. Plus encore que l’hypothèse de l’obligation de protection fonctionnelle des agents, il me semble qu’une étude un peu plus fine de la jurisprudence montre, de par la typologie des faits sinon retenus par le juge, du moins invoqués par les demandeurs, que l’hypothèse du harcèlement moral est celle qui se rapproche le plus des situations pouvant être décrites au titre des RPS : la dégradation des conditions de travail peut ainsi résulter de la dégradation ou du retrait des moyens matériels : la CAA de Nancy a ainsi retenu, pour un professeur de musique, le retrait injustifié des instruments dont il est censé enseigner l’usage à ses élèves (CAA Nancy 15 novembre 2007 n° 06NC00990). La Cour de Lyon a en revanche refusé de retenir les arguments d’un agent se plaignant de n’être doté que de matériel informatique dépassé, en se fondant sur l’état d’équipement de l’ensemble du service ; - est parfois invoqué également la dégradation des locaux : un agent se plaignait ainsi d’avoir été affecté dans une annexe, isolée des autres services, mais la description de la situation s’avérait très excessive (CAA Lyon 18 janvier 2011 n° 09LY00727) - une situation souvent évoquée est celle de l’absence d’affectation réelle ou de la diminution ou de l’absence de toute tâche confiée à l’agent qui alors « placardisé » (CAA Lyon 26 février 2010 n° 07LY00852 ; ou les faits à l’origine de l’arrêt de Section précité du Conseil d’Etat du 11 juillet 2011) - la contestation de la hiérarchie et la situation de conflit du travail en résultant peuvent également être invoquées (CAA Lyon 12 avril 2010 n° 08LY02601) - Dans toutes ces situations, les requérants soumettent au juge leur ressenti par rapport à une situation professionnelle. Ce ressenti est souvent au cœur du débat sur les RPS et sur leur prévention ; le juge quant à lui ne retiendra la responsabilité juridique qu’en présence d’un comportement fautif.