Le contrôle de l`immigration en France depuis 1945 / A. Spire

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Le contrôle de l`immigration en France depuis 1945 / A. Spire
Le contrôle de l’immigration en France depuis 1945 / A. Spire (chargé de recherches au
CNRS, CERAPS, université Lille-II) :
Le mot « intégration » est de nos jours un terme polysémique qui tient à la fois de la description
sociologique, du point de vue idéologique et de l’action politique.
Il reflète de plus un double point de vue, celui des immigrés et des sociétés d’accueil, ce dernier
étant aujourd’hui le plus valorisé (ex. : idée couramment répandue selon laquelle si les immigrés
ne s’intègrent pas, cela vient d’eux, pas de la société d’accueil).
Pourtant l’Etat à travers les politiques migratoires favorise plus ou moins l’intégration. C’est le
cas aussi au quotidien d’un certain nombre d’agents de l’administration, notamment en
préfecture.
On peut définir dans l’histoire récente de l’administration française deux grandes périodes
correspondant à deux orientations successives de la politique de l’Etat et de l’action de ses agents
vis-à-vis du contrôle des migrations.
I) 1945-1975
Cette période est tout d’abord marquée par une grande stabilité législative : l’entrée et la
résidence sur le territoire français, l’acquisition de la nationalité française sont régis par deux
ordonnances du GPRF de 1945 (19 octobre et 2 novembre) qui fixent notamment le délai de
présence sur le territoire français pour être naturalisé à 5 ans (rappel : 10 ans en 1889, 3 ans en
1927). Ces ordonnances, courtes et rédigées dans une certaine précipitation afin d’éviter que
l’Assemblée ne s’empare de cette thématique de la politique migratoire, sont assez floues et
laissent place à des interprétations, qui vont être diverses selon les variations temporelles et
spatiales du besoin de main-d’œuvre étrangère.
On a donc souvent le sentiment par opposition à la période actuelle que pendant les Trente
glorieuses la France accueillait largement et indifféremment les migrants souhaitant s’y installer,
mais en fait dans la pratique quotidienne des préfectures, une politique d’immigration sélective
était menée à partir des ordonnances de 1945.
Trois logiques d’application des ces textes pouvaient prévaloir selon les époques et les
préfectures :
- une logique de police : si l’étranger n’est pas dangereux, il est admis à séjourner
sur le territoire français.
- une logique de main-d’œuvre se traduisant soit par une volonté de limiter la
concurrence des travailleurs étrangers par rapport aux Français, soit au contraire par une volonté
de faire appel à la main-d’œuvre étrangère pour répondre aux besoins des entreprises.
- une logique de population valorisant les étrangers considérés comme les plus
assimilables.
En fonction de ces différentes logiques, les flux migratoires étaient hiérarchisés, certains étant
considérés comme plus souhaitables que d’autres. Dans les années 1950, ce sont surtout les
Italiens qui sont valorisés par rapport aux Espagnols et aux Portugais, et les travailleurs sont
mieux accueillis que les réfugiés politiques (qui sont de possibles « agitateurs »). Après la
décolonisation, cette « hiérarchie » évolue : les Portugais sont mieux accueillis en raison du
tarissement de l’immigration italienne et par opposition aux migrants africains. Parallèlement, les
étrangers exerçant une profession intellectuelle sont favorisés contrairement aux années 1950 où
on faisait surtout appel à des travailleurs manuels, notamment du secteur du bâtiment.
Face à cette politique migratoire sélective de fait, les migrants construisent des stratégies. Ex. : ils
adaptent la déclaration de leur profession aux besoins de main-d’œuvre du moment, changent de
département en fonction des critères appliqués dans telle ou telle préfecture.
II) 1975- aujourd’hui
Cette période est tout d’abord marquée par de nombreuses modifications de la législation sur le
droit d’entrée et de séjour sur le territoire français (plusieurs dizaines depuis 1980), notamment
en raison des alternances politiques, certains de ces changements législatifs intervenant avant
même que les décrets d’application de la précédente loi soient parus.
Cela montre combien la politique migratoire est devenue un enjeu national qui suscite de
nombreux débats politiques et publics. On peut d’ailleurs se demander si la multiplication des
débats législatifs au sujet de l’immigration ne contribue pas à en faire un sujet polémique.
Par ailleurs, la France est à partir des années 1980 de moins en moins ouverte aux flux
migratoires économiques (contrairement aux flux de réfugiés politiques, de personnes bénéficiant
du regroupement familial, ou d’étudiants).
Mais en même temps de nouvelles garanties sont créées pour les immigrés (ex. : création en 1984
d’une carte de résident valable 10 ans, pas de reconduite à la frontière des parents d’enfants
français).
Aujourd’hui de nouvelles fermetures et suspicions apparaissent (ex. : titres de séjour de courte
durée désormais majoritaires), notamment en lien avec la thématique de la fraude (ex. : un
mariage mixte est aujourd’hui plus souvent interprété comme une tentative de fraude que comme
un signe d’intégration).
Cependant le contrôle migratoire se déplace de plus en plus de toutes façons vers l’extérieur
(frontières de l’UE, consulats français à l’étranger).

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