François Léotard et le génocide des Tutsi

Transcription

François Léotard et le génocide des Tutsi
François Léotard et le génocide des Tutsi
Jacques Morel
10 mars 2012, v1.1
François Léotard fut ministre de la Défense de 1993 à 1995. On ne parle pas de son rôle dans le
génocide des Tutsi. Ce serait donc tout à fait à tort que le ministre de la Justice du Rwanda cite son nom
dans une liste de 33 responsables français, civils et militaires, « les plus impliqués dans le génocide ». 1
Analysons néammoins ce qu’a fait François Léotard au Rwanda.
1
L’attaque des « forces tutsies »
Le processus génocidaire contre les Tutsi commença en 1959. Considérés jusqu’alors par les Européens
comme une race supérieure, les Tutsi furent accusés d’être des féodaux aristocrates venus d’Ethiopie, qui
ont réduit les Hutu en esclavage. Des Hutu, soutenus par les Belges et les missionnaires, massacrèrent les
Tutsi, renversèrent le Mwami, le roi rwandais, et instaurèrent la République. Ce renversement fut appelé
« Révolution sociale ». Ce processus génocidaire reprit 30 ans plus tard, en octobre 1990, quand le Front
patriotique rwandais (FPR), composé de Tutsi réfugiés en Ouganda et d’opposants, voulu revenir par
la force dans son pays. Au prétexte de la protection de ses ressortisants, la France envoya aussitôt des
troupes. Une note de l’amiral Lanxade, conseiller militaire du président de la République, nous apprend
que la France soutenait alors le régime rwandais contre « les forces tutsies ». 2 Lanxade ne dit pas rebelles,
ni FPR. L’adversaire est selon lui, les forces tutsi, c’est-à-dire tous les Tutsi, le groupe tutsi, la race tutsi.
Notons que dans ces combats, au cœur des ténèbres africaines, on ne faisait pas de prisonniers. « Cette
guerre était une vraie guerre, totale et très cruelle », a dit le général Quesnot aux députés. 3
2
La France supplante la Belgique
Le régime rwandais recourut en 1990 à sa vieille méthode de défense contre les Tutsi de l’extérieur en
exterminant ceux de l’intérieur, pour les dissuader d’attaquer à nouveau. Les Belges pour une fois très
soucieux des Droits de l’homme retirèrent leurs troupes.
Le président de la Patrie des Droits de l’homme, étant par définition respectueux des Droits de
l’homme, n’avait pas à avoir de tels scrupules. Il maintint ses troupes. Grâce à ces massacres, la France
pris la place de la Belgique au Rwanda. Tout civil tutsi devenant suspect, la France s’engagea ainsi
activement dans le processus génocidaire.
3
Une guerre raciale
Un texte de 1992 que François Léotard n’a pas pu ne pas connaître puisqu’il est écrit en français,
définit pour les militaires rwandais qui est l’ennemi. C’est « le Tutsi de l’intérieur ou de l’extérieur,
1. République du Rwanda, Communiqué du rapport de la Commission nationale indépendante chargée de faire la lumière
sur le rôle de la France dans le génocide des Tutsi de 1994, remis le 16 novembre 2007, le Gouvernement rwandais retient
les faits et considérations suivants, Kigali, 05 août 2008, signé Hon. Tharcisse Karugarama, Ministre de la Justice/Garde
des Sceaux, pp. 12-13. http://www.francerwandagenocide.org/documents/CommuniqueDePresseRapportMucyo.pdf
2. L’amiral [Lanxade], chef de l’état-major particulier, Note à l’attention de Monsieur le Président de la République (sous couvert de Monsieur le Secrétaire général), 11 octobre 1990, Objet : Rwanda - Situation. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/Lanxade19901011.pdf
3. Audition du général Quesnot, 19 mai 1998. Cf. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [3, Tome III, Auditions,
Vol. 1, p. 341]. http://www.francerwandagenocide.org/documents/AuditionQuesnot19mai1998.pdf
1
4
LA FRANCE SAUVE LE RÉGIME RACISTE D’HABYARIMANA
2
extrémiste et nostalgique du pouvoir, qui N’a JAMAIS reconnu et NE reconnaît PAS encore les réalités
de la Révolution Sociale de 1959 et qui veut reconquérir le pouvoir au RWANDA par tous les moyens, y
compris les armes. » 4 Donc l’ennemi est le Tutsi, qu’il soit armé ou non. S’il ne l’est pas, il reste suspect.
Cette définition est voisine de l’expression « forces tutsies » auxquelles s’opposent l’amiral Lanxade et le
président français.
4
La France sauve le régime raciste d’Habyarimana
En février 1993, lors d’une offensive du Front patriotique rwandais, les militaires français sauvèrent à
nouveau l’armée rwandaise en pleine débâcle. Mais en France une autre débâcle, électorale celle-là, mis
au pouvoir la droite. Le président socialiste resta à l’Élysée. François Léotard obtint le portefeuille de la
Défense.
5
Le Conseil restreint du 2 avril 1993
Au premier Conseil restreint réuni le 2 avril 1993, Léotard déclara : « La situation est d’une grande
gravité et d’une grande urgence. Le FPR est en progression vers Kigali. Il marche avec des troupes en
civil. » 5 Pourtant, fin février, bombardé par les canons français, le FPR avait stoppé son offensive et
décrété un cessez-le-feu puis repris les négociation de paix à Arusha. Cette offensive était une invention
du ministre Léotard. D’ailleurs au même conseil, l’amiral Lanxade, alors chef d’état-major des armées,
dit : « Nous devons envisager une offensive du FPR dans le courant de la semaine prochaine. » Cette
offensive n’était donc qu’une présomption, non une réalité.
Remarquons bien que le ministre a dit que le FPR « marche avec des troupes en civil. » Donc pour
lui tout civil tutsi est un ennemi potentiel. Nous voyons là, qu’il fait sienne la définition de l’ennemi citée
plus haut.
À ce moment-là, au Rwanda, les militaires français sont sur les barrières et contrôlent les cartes
d’identité. Ceux qui portent la mention tutsi sont arrêtés. L’année suivante, ils seront tous tués systématiquement sur les mêmes barrières. Ceci montre que les militaires français au Rwanda prirent une part
active à la préparation du génocide.
6
Les Accords d’Arusha
Les négociations entre le FPR et le gouvernement rwandais reprirent et aboutirent à la signature des
Accords de paix d’Arusha en août 1993. Ces accords prévoyaient l’entrée du FPR au gouvernement et
la fusion des deux armées. Ainsi les Tutsi, chassés en 1959 par la Révolution sociale, allaient revenir au
pouvoir. C’était une remise en cause du fondement de la République rwandaise aux yeux des idéologues
hutu et de leurs soutiens français.
Alors que l’Élysée espérait transformer ses soldats en Casques bleus et pouvoir ainsi faire interposition
face au FPR, 6 celui-ci refusa que la France fasse partie de la force de maintien de la paix des Nations
Unies, la MINUAR.
En décembre 1993, nos militaires durent partir et ce sont les soldats belges qui revinrent en tant
que Casques bleus. Nous les avions supplantés en 1990 et voilà qu’ils reprenaient notre place. Après
Bien-Bien-Phu et les Accords d’Evian, nos militaires se voyaient infliger un nouveau Waterloo.
La Patrie des Droits de l’homme continua à fournir des armes en dépit des accords de paix.
4. République rwandaise, Ministère de la Défense nationale, Armée rwandaise, État-major, G2, 21 septembre 1992,
no 1437/G2.2.4. Objet : Diffusion d’information. Destinataires : Liste A, Comdt Sect OPS (Tous), Info : EM Gd
N. Signé Déogratias Nsabimana, colonel BEM, Chef EM FAR, SECRET. TPIR, K1020494 à K1020507. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/NsabimanaDefinitionEnnemi21septembre1992.pdf
5. Renaud Denoix de Saint Marc, général Huchon, Conseil restreint du vendredi 2 avril 1993 sur le Rwanda. http:
//www.francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint2avril1993.pdf
6. Conseil
restreint,
mercredi
3
mars
1993.
http://www.francerwandagenocide.org/documents/
ConseilRestreint3mars1993.pdf
7
7
L’ATTENTAT
3
L’attentat
On ne connaîtra jamais les auteurs de l’attentat du 6 avril 1994, qui abattit l’avion du président du
Rwanda. La Patrie des Droits de l’homme n’y est pas prête.
Devant les députés en 1998, François Léotard accusa le FPR : « Le missile qui a atteint l’avion, dit-il,
un SAM-16, de fabrication soviétique, était en dotation dans l’armée ougandaise et au FPR, et non dans
l’armée rwandaise ». 7 Nous remarquons que le ministre reprit toute l’argumentation d’une fiche de son
ministère « tendant à montrer que le FPR avec la complicité de l’Ouganda est responsable de l’attentat ». 8
Cette fiche précise : « Les auteurs de l’attentat ont utilisé des SA 16 de fabrication soviétique (d’après
les débris de missiles retrouvés sur les lieux de l’attentat). »
Qui donc a retrouvé ces débris de missiles et où sont-ils ? François Léotard déclara « qu’aucun élément
d’information n’avait pu être recueilli sur place du fait du bouclage immédiat des lieux, rendant impossible
l’accès aux débris de l’avion. » 9 Il ajouta « qu’à sa connaissance, c’étaient les FAR qui avaient bouclé
les lieux, » 10
Or, des coopérants militaires français sont allés sur le lieu du crash. « Ils ont été les premiers à réagir
à la chute du Falcon présidentiel à proximité du camp vers 20 h 30 ; l’officier et deux sous-officiers étaient
sur les lieux à 20 h 45 », précise en 1998 une note du ministère de la Défense, publiée par la mission
d’information parlementaire. 11
Dois-je dire que François Léotard a menti aux députés ? Pourquoi aurait-il menti ? Qu’avait-il à cacher ?
Nous savons de plus que les militaires français ont trouvé la « boîte noire », les deux enregistreurs qui
équipait l’avion. Pourquoi cette boîte noire et ces débris de missiles n’ont-ils jamais été remis par le
ministère de la Défense aux juges chargés de l’enquête sur cet attentat, qui a fait trois victimes françaises ?
8
Amaryllis
Le soir de l’attentat, le colonel Tauzin, commandant le 1er RPIMa, attendait l’ordre de sauter sur
Kigali, pour prendre le commandement de l’armée rwandaise. 12 L’ordre ne vint pas.
Le 8 avril, la France décida d’intervenir au Rwanda pour évacuer ses ressortissants. L’ordre d’opération
Amaryllis révéla que le génocide des Tutsi avait commencé. Nous y lisons que « pour venger la mort du
président [...] les membres de la garde présidentielle ont mené dès le 07 matin des actions de représailles
à Kigali » dont « l’arrestation et l’élimination des opposants et des Tutsi ». 13
Que signifie « élimination des Tutsi » sinon détruire le groupe ethnique ou racial tutsi, comme tel ? Ce
8 avril, le ministre de la Défense, qui est un des auteurs de cette ordre d’opération, reconnaît implicitement
que le génocide des Tutsi est commencé.
Face à ce génocide, l’ordre d’opération prescrit une attitude de neutralité. « Le détachement français
adoptera une attitude discrète et un comportement neutre vis à vis des différentes factions rwandaises. » 14
Pourtant, la France, ayant signé la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide,
s’est engagée à le prévenir et à le punir ou au moins à en saisir les Nations Unies. Ce qu’elle ne fit point.
Les militaires français assistèrent au massacre des Tutsi sans s’y opposer. Ils ne coopérèrent pas avec
la force des Nations Unies (MINUAR) et les troupes belges pour les faire cesser.
Ils partirent le 15 avril en laissant des armes aux militaires rwandais quelques conseillers et quelques
sonnettes.
7. Audition de François Léotard, 21 avril 1998, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome III, Auditions,
Vol. 1, p. 98].
8. Fiche en possession du Ministère de la Défense tendant à montrer que le FPR avec la complicité de l’Ouganda
est responsable de l’attentat, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 280]. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/FicheMinDefFPRresponsableAttentat.pdf
9. Audition de François Léotard, ibidem, p. 98.
10. Audition de François Léotard, ibidem, p. 109.
11. Fiche du ministère de la Défense, 7 juillet 1998, No 543/DEF/EMA/ESG, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994
[3, Tome II, Annexes, pp. 268–269]. http://www.francerwandagenocide.org/documents/FicheMinDef7juillet1998.pdf
12. D. Tauzin [4, pp. 90, 106].
13. Ordre d’opération Amaryllis, 8 avril 1994, déclassifié, Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II,
Annexes, p. 344]. http://www.francerwandagenocide.org/documents/OrdreOpAmaryllis.pdf
14. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 346]. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/OrdreOpAmaryllis.pdf
9
TURQUOISE
4
La Patrie des Droits de l’homme ignora le génocide et ne voulut voir qu’une guerre où elle était l’alliée
du gouvernement et de l’armée hutu.
9
Turquoise
Malgré l’aide indirecte de la France, l’armée rwandaise, occupée à massacrer, reculait devant le FPR.
Le président intérimaire, celui qui déclencha les massacres dans la région de Butare, appela le président
français au secours, le 22 mai. Il devenait urgent d’aller au secours des assassins.
Au Conseil restreint du 15 juin, qui décida de l’opération Turquoise, François Léotard demanda
des « moyens lourds ». 15 La France obtint du Conseil de sécurité des Nations Unies un mandat pour
intervenir sous chapitre VII, c’est-à-dire avec le droit d’utiliser la force. Annoncée comme devant mettre
fin au génocide, l’opération militaire proposée par la France fut autorisée par la résolution 929 qui ne
parle pas de génocide. L’opération devait être « menée de façon impartiale et neutre ». 16
9.1
L’ordre d’opération Turquoise
Le stratagème de cette opération dénommée Turquoise, présentée comme humanitaire, mais destinée
en fait à éviter la défaite des auteurs du génocide, est exprimé explicitement au paragraphe « IDÉE
DE MANŒUVRE » de l’ordre d’opération Turquoise : « Afin de marquer le caractère humanitaire
de l’opération, assurer d’emblée la protection de la zone de rassemblement des personnes déplacées de
Cyangugu. » Il s’agit du camp de Nyarushishi, où sont regroupés 8 000 Tutsi.
« Ultérieurement être prêt à contrôler progressivement l’étendue du pays hutu en direction de Kigali
et au Sud vers Nianzi et Butare ». 17
L’opération avait donc un caractère offensif puisqu’elle visait Kigali, où l’armée rwandaise subissait
les assauts du FPR. Désignant la zone du Rwanda contrôlée par le Gouvernement intérimaire par « le
pays hutu », l’ordre d’opération considérait que cette zone était vide de tout Tutsi ou qu’elle devait le
devenir.
9.2
Collaborer avec les autorités locales
L’ordre d’opération visait aussi à : « Affirmer auprès des autorités locales rwandaises, civiles et
militaires notre neutralité et notre détermination à faire cesser les massacres sur l’ensemble de la zone
contrôlée par les forces armées rwandaises en les incitant à rétablir leur autorité. » Ainsi les militaires
français reçurent l’ordre de contacter les autorités locales. À ce moment-là, elles étaient toutes impliquées
dans le génocide. Elles n’avaient rien perdu de leur autorité, au contraire. L’ordre donné aux militaires
français, entre autres par le ministre de la Défense, était donc de collaborer avec les assassins.
9.3
L’entrevue du colonel Rosier et de deux ministres
Ainsi le colonel Rosier, commandant le détachement du Commandement des opérations spéciales
(COS), rencontra secrètement deux ministres du Gouvernement intérimaire. 18 Ils lui dirent que du côté
FPR « il n’y a plus de réalité politique mais seulement une volonté militaire (les hommes de paille sont
tombés) ». 19 Rosier dit qu’il leur refusa des munitions. Mais sa condamnation des massacres, « je leur ai
dit qu’il serait catastrophique pour leur image que d’autres massacres aient lieu », trahit sa complaisance.
N’ayant plus aucune assise politique, le FPR, écrit Rosier, « est contraint à la victoire militaire. Un coup
15. Conseil restreint du 15 juin 1994. Secrétariat : Colonel Bentégeat. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/ConseilRestreint15juin1994.pdf
16. ONU, S/RES/929 (1994). http://www.francerwandagenocide.org/documents/94s929fr.pdf
17. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994, [3, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 387]. Nianzi, en fait Nyanza, est
l’ancienne résidence royale à 40 km au nord de Butare sur la route de Kigali. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf#page=2
18. Augustin Bizimana, ministre de la Défense et Jérôme Bicamumpaka, ministre des Affaires étrangères.
19. Colonel Rosier au général Le Page, samedi 25 juin 1994, 7 h 45. Cf. Sylvie Coma, Rwanda : Les bonnes affaires du
capitaine Barril au temps du génocide, Charlie Hebdo, 9 septembre 2009. Texte publié également par Benoît Collombat
de France Inter le 16 septembre 2009. Voir http://sites.radiofrance.fr/franceinter/ev/fiche.php?ev_id=955. http:
//www.francerwandagenocide.org/documents/RosierLepage25juin1994.pdf .
10
KIBUYE
5
d’arrêt à sa progression et une reculade symbolique anéantirait sa stratégie. » Ce coup d’arrêt allait-t-il
être donné par l’armée française ?
9.4
Les Français partagent avec les génocidaires la hantise des infiltrés
Pour éliminer les Tutsi, le gouvernement rwandais commanda de leur faire la chasse parce qu’ils
étaient des éléments infiltrés du FPR. C’est exactement ce qu’implique le texte définissant l’ennemi. Les
dirigeants français comme Léotard et Lanxade y adhéraient.
Sur place le colonel Rosier jugea les infiltrations probables et le fit dire à la télévision. 20
Jacques Isnard écrit dans Le Monde daté du 29 juin : « Dans ces actions à but humanitaire, destinées
à rassurer et à secourir la population en l’approchant au plus près, un Tutsi peut s’avérer un combattant
du FPR en puissance ». 21 Rapportant des propos entendus à l’état-major à Paris, il ne faisait là que
répéter ce que disait chaque jour la Radio Mille collines, en prenant soin de l’emballer dans un vocabulaire
rose bonbon comme humanitaire, rassurer, secourir.
9.5
Les Français ne désarment pas les tueurs
Le 26 juin, le colonel Rosier expliqua pourquoi les Français ne désarmaient pas ceux qui exécutaient
le génocide : « Les miliciens font la guerre, dit-il. Par souci de neutralité, nous n’avons pas à intervenir.
Sinon, demain, s’il y a des infiltrations de rebelles, on nous fera porter le chapeau. » 22
Donc les Français ne démantèlent pas les barrières où les miliciens contrôlent les cartes d’identité et
tuent les Tutsi. Ils laissent les FAR et les milices continuer l’élimination des Tutsi restants.
La note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères du 4 juillet 1994 sur le
concept de zone humanitaire protégée stipulera que « la question de la démilitarisation des FAR et des
milices se situant à l’intérieur du périmètre protégé peut se poser. À ce stade, il est proposé de ne pas
fixer cette mission à la force Turquoise ; elle demanderait en effet un volume de moyens plus important
que celui dont nous disposons actuellement. » 23 Quoiqu’ils aient dit, les Français n’ont pas désarmé les
tueurs.
10
10.1
Kibuye
La prétendue offensive du FPR sur Kibuye
Le 22 juin François Léotard annonça en Conseil restreint que « le FPR tente de s’emparer complètement de Kigali et fait effort sur Butare et Kibuye. » 24 L’ordre d’opération Turquoise du 22 juin répèta
que « Le FPR semble maintenant faire effort sur les directions Kigali-Kibuye [...] en vue de couper en
deux la partie ouest du pays encore sous contrôle gouvernemental ». 25
D’où Léotard tenait-il cette information ? Incontestablement celle-ci venait du Gouvernement intérimaire rwandais et du préfet de Kibuye, Kayishema.
Dans les montagnes de la Crête Zaïre-Nil, à Bisesero, il restait encore des Tutsi qui n’avaient pas été
exterminés. Profitant du relief, ils avaient résisté de manière organisée avec des pierres et des lances et
en se mélangeant aux agresseurs, ce qui interdisait ceux-ci d’utiliser leurs armes à feu. Mais revenus en
grand nombre et bien armés les 13 et 14 mai ceux-ci les avaient presque tous exterminés. Il restaient
20. Édition spéciale Rwanda, France 2, 25 juin 1994, 20 h.
21. Jacques Isnard, M. Léotard va inspecter un dispositif encore léger et fragile, Le Monde, 29 juin 1994, p. 3. http:
//www.francerwandagenocide.org/documents/IsnardLM29juin1994.pdf
22. Stephen Smith, Dialogue difficile avec les massacreurs, Libération, 27 juin 1994, p. 16.
23. Note du ministère de la Défense et du ministère des Affaires étrangères, 4 juillet 1994. Objet :
Rwanda ; concept de zone humanitaire protégée, contenu, évolution. http://www.francerwandagenocide.org/documents/
MinDefMinAffEt4juillet1994.pdf#page=2
24. Conseil restreint du 22 juin 1994, Secrétariat : Colonel Bentegeat. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/ConseilRestreint22juin1994.pdf
25. Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Rapport, p. 306 ; Annexes, p. 386]. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/OrdreOpTurquoise22juin1994.pdf
10
KIBUYE
6
encore quelques Tutsi en juin. Il fallait tout nettoyer avant que les Français ne soient là, disait le préfet
Kayishema. 26
Le 2 juin 1994 il demanda des renforts en raison d’infiltrations et de rumeurs d’attaque du FPR sur
Kibuye. Il demanda des armes pour la « protection civile ». 27 Il en redemanda pour que la population fasse
le ratissage à Bisesero « dans le cadre de la défense civile » 28 Le 17 juin, le gouvernement intérimaire organisa un ratissage à Bisesero et ordonna au commandant militaire de Gisenyi 29 « d’apporter son soutien
au groupement de gendarmerie de Kibuye pour l’opération de ratissage dans le secteur Bisesero. » 30
Léotard le 22 juin tenait donc ses informations des organisateurs du génocide avec qui les Français
n’avaient cessé de correspondre pendant le génocide.
10.2
Des journalistes signalent aux Français des Tutsi en danger à Bisesero
Le 25 juin, des journalistes allèrent à Bisesero et virent des bandes de tueurs continuer à brûler et
massacrer. Ils en informèrent le capitaine de frégate Marin Gillier des commandos de marine, le 25 juin, 31
et le capitaine Bucquet du RICM le 26. 32
Le 26 juin, le colonel Rosier se rendit à Kibuye et rencontra probablement le préfet Kayishema.
10.3
Le 27 juin, Marin-Gillier assistent aux massacres
Le 27 juin, la chaîne France 2 montra le groupe COS de Marin Gillier observer des « combats »
avec « des armes automatiques lourdes » sur les hauteurs de Bisesero depuis Gishyita. Dans le reportage
diffusé le 28, Isabelle Staes dit : « Des hommes du Front Patriotique Rwandais y sont positionnés. On
parle de mille à deux mille rebelles. Nous sommes à Gishyita, point névralgique de l’opération Turquoise.
Car c’est ici que les rebelles tutsi seraient les plus avancés en territoire hutu. » 33
10.4
Le 27 juin, Duval rencontre des survivants tutsi à Bisesero
Le même jour, 27 juin, le lieutenant-colonel Duval, alias Diego, se rendit à Bisesero avec 12 hommes
et trois journalistes, Patrick de Saint-Exupéry, 34 Dominique Garraud 35 et Christophe Boisbouvier. 36 Il
26. Patrick de Saint-Exupéry, La « solution finale » du préfet de Kibuye, Le Figaro, 5 juillet 1994, p. 6. http://www.
francerwandagenocide.org/documents/LaSolutionFinaleDuPrefetDeKibuye.pdf
27. Dr Kayishema Clément, Préfet de Kibuye au Ministre MININTER Kigali, 2 juin 1994, No 003/04.09.01, Situation
de sécurité dans la préfecture de Kibuye pour la semaine du 29.5.1994 au 2.6.1994. Cf. TPIR, Procès Kayishema, Exh.
340, K0040772 http://www.francerwandagenocide.org/documents/SecurityReportKibuyeJune1994.pdf ; Aucun témoin
ne doit survivre [1, p. 255].
28. Clément Kayishema, Télégramme au ministre de la Défense, 12 juin 1994. Trouvé à la préfecture de Kibuye par Alain Ribaux, enquêteur du TPIR, présenté comme pièce à conviction no 296 dans l’affaire Clément
Kayishema - Obed Ruzindana à la séance du 16 février 1998. http://www.francerwandagenocide.org/documents/
KayishemaToMinisterOfDefence12June1994.pdf Cf. Ubutabera no 31, 2 mars 1998 ; Jugement de Kayishema au TPIR,
V. Conclusions factuelles, section 428.
29. Ce commandant militaire, le colonel Nsengiyumva, a été nommé officier de liaison entre l’armée rwandaise et Turquoise. Cf. Rapport du colonel Rosier, chef du détachement COS, NMR 001/TURQUOISE/DET COS, Goma le 27/07/1994,
Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994 [3, Tome II, Annexes, p. 398]. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/RosierRapport27juillet1994.pdf
30. Aucun témoin ne doit survivre [1, p. 256]. Cette lettre est écrite en français. Le terme de « ratissage » était utilisé par
l’armée française pendant les opérations de « maintien de l’ordre » en Algérie. http://www.francerwandagenocide.org/
documents/KaremeraNsengiyumva18juin1994TPIR.pdf
31. Vincent Hugeux, Les oubliés de Bisesero, L’Express, 30 juin 1994, p. 42 ; Aucun témoin ne doit survivre [1, p. 788].
Il a précisé que c’est le 25 juin qu’avec Sam Kiley et Scott Peterson, ils ont informé Marin Gillier.
32. Patrick de Saint-Exupéry, Un accueil sous les vivas, Le Figaro, 27 juin 1994, p. 2.
33. France 2, 28 juin 1994 au soir.
34. Patrick de Saint-Exupéry, Rwanda : Les assassins racontent leurs massacres, Le Figaro, mercredi
29 juin 1994, p. 3. Nyagurati : de notre envoyé spécial. http://www.francerwandagenocide.org/documents/
LesAssassinsRacontentLeursMassacres.pdf
35. Dominique Garraud, Le nettoyage ethnique continue dans les montagnes rwandaises, Libération, 29 juin 1994, p. 16.
http://www.francerwandagenocide.org/documents/GarraudBiseseroLiberation29juin1994.pdf
36. Christophe Boisbouvier, RFI, Reportage sur la colonne Duval à Nyagurati, 27 juin, Afrique soir et 28 juin, Afrique
matin. Interview d’un « Tutsi des montagnes » (Eric Nzabihimana, survivant à Bisesero), 28 juin Afrique midi, récit en
direct de la rencontre entre Duval et les Tutsi à Bisesero, reprise de ce récit et de fragments de l’interview du Tutsi
à Afrique soir et le 29 juin à Afrique matin, reportage sur les commandos de l’air à Kibuye, Afrique midi, visite de
Léotard, Afrique soir, reportage à Kilinda, 30 juin, Afrique soir, direct depuis Bisesero où les Français s’occupent enfin des
10
KIBUYE
7
prit un guide qui était un milicien. À Bisesero, des Tutsi les arrêtèrent et leur demandèrent du secours. Le
survivant Eric Nzabihimana dit à Duval qu’ils venaient d’être attaqués. « Il y a deux heures les miliciens
ont tué cinq d’entre nous. » Il lui montra un cadavre encore chaud. Mais Duval repartit en leur disant :
« Pour l’instant nous ne pouvons rien faire. L’important, pour vous, c’est de survivre encore deux ou
trois jours. On reviendra, on sait où vous êtes... » 37 Patrick de Saint-Exupéry vit le soir-même Duval
faire son rapport au téléphone.
10.5
Rosier fait croire à la presse que des combattants FPR sont à Bisesero
Le soir même, 27 juin, le colonel Rosier fit dire à la télévision depuis Bukavu qu’il y a eu « des affrontements en fin de matinée et tout l’après-midi près de la ville de Kibuye, là où se trouve un détachement
français permanent. À environ 5 km des Français les plus proches du lieu où ont eu lieu ces affrontements
entre des gens du FPR infiltrés et puis ce qu’on appelle la défense civile ici. » 38
Le terme de « défense civile » probablement utilisé par Rosier est le même terme qu’emploie le préfet
Kayishema dans sa lettre du 12 juin. Le journaliste poursuit : « ces accrochages s’ils sont confirmés
voudraient dire d’abord que le FPR est effectivement infiltré, est infiltré très très loin en territoire du
gouvernement rwandais et qu’ensuite ça confirme aussi la volonté du FPR de couper ce qui reste du
Rwanda sous le contrôle des forces gouvernementales, de le couper en deux ». Nous notons le « s’ils sont
confirmés ». Rien n’empêchait les Français d’aller vérifier. Mais ils n’y sont point allés.
10.6
Pendant 3 jours les derniers survivants sont attaqués
Les Tutsi s’étaient regroupés à l’appel de Duval et, abandonnés par lui, ils se trouvèrent encore plus
exposés. Les attaques redoublèrent pendant ces trois jours. Il y eut environ 1 200 Tutsi tués du fait de
leur abandon par les militaires français.
10.7
Les Français évacuent des religieuses
Le 28 juin, Rosier ordonna à Duval d’évacuer en hélicoptères les religieuses de Kibuye, alors qu’elles
n’étaient pas particulièrement en danger. Mais il fit dire à la télévision qu’elles se sentaient menacées en
raison des accrochages survenus la veille non loin de Kibuye « entre éléments du FPR et partisans du
gouvernement provisoire » et l’information, « qui reste à confirmer », sur « l’intention du FPR de couper
ce qui reste de la zone gouvernementale en deux parties » fut répétée. 39
10.8
Marin-Gillier laisse passer les tueurs
À Gishyita, les Français contrôlaient des barrères. Ils les ouvraient au passage des tueurs qui montaient
vers Bisesero. Le 28 à midi, le bourgmestre Sikubwabo demanda à Gillier de l’aide pour combattre 300 à
500 terroristes réfugiés dans une galerie de mine d’étain à Bisesero. 40
Marin Gillier interdit à ses hommes de réagir alors qu’ils voyaient à la jumelle des civils se faire
massacrer à Bisesero. Il prétendit que c’était les rebelles du FPR qui massacraient la population. Il
consentit à envoyer une patrouille à pied vers Bisesero le 29 au matin, mais celle-ci ne trouva rien.
10.9
Des miliciens de Cyangugu viennent achever les Tutsi
Plusieurs témoins attestent que John Yusuf Munyakazi est parti de Cyangugu avec ses miliciens vers
Bisesero au vu et au su des Français. Des rescapés de Bisesero témoignent que des Tutsi qu’ils connaissent
ont été tués par les miliciens de Yusuf, surtout le 29 juin, jour de la visite du ministre Léotard.
Tutsi, 1er juillet, Afrique midi, reportage depuis Bisesero avec interview du même Tutsi Eric Nzabihimana, Afrique soir.
http://www.francerwandagenocide.org/documents/BoisbouvierBisesero.pdf
37. Patrick de Saint-Exupéry, ibidem.
38. France 2, 27 juin 1994, Dernière.
39. France 2, 28 juin 1994, Telematin, 7 h 30.
40. B. Lugan [2, pp. 268–269].
10
KIBUYE
10.10
8
François Léotard refuse le 29 juin de secourir les Tutsi
Le ministre François Léotard vint au Rwanda le 29 juin et se rendit à Gishyita. Il s’entretint avec
Marin-Gillier qui, écrit Corine Lesnes, « lui expose la situation dans ce qu’on appelle désormais « le
triangle de Kibuye ». La zone reste inexplorée et les renseignements sont confus. Des réfugiés s’y trouveraient. A moins que ce ne soient des éléments précurseurs du FPR, ou encore les uns et les autres à la
fois, tous étant soumis aux attaques des milices armées. Un autre renseignement fait état de règlements
de comptes intervillageois. « Quelle salade », soupire le général Jean-Claude Lafourcade » 41
Deux journalistes anglo-saxons, dont un reporter du New York Times, dirent au ministre qu’il y avait
deux à trois mille Tutsi encerclés à Bisesero. Ils demandèrent ce que fait la France. 42
Le ministre Léotard leur répondit : « Nous faisons ce que nous pouvons, c’est une opération délicate.
Il n’est pas question de s’interposer » et il glosa sur les effectifs encore trop faibles de l’opération. Les
journalistes insistèrent. Excédé, Léotard aurait dit selon Corine Lesnes : « Dès demain on va y aller. »
Mais selon le New York Times, François Léotard refusa toute opération pour évacuer ou protéger les tutsi
encerclés. 43
Marin-Gillier reçut effectivement un ordre d’aller le lendemain au-delà de Bisesero pour prendre
« contact avec un prêtre français qui vit dans un village menacé ». 44 L’ordre n’était donc pas d’aller
sauver les Tutsi.
10.11
Des affrontements entre milices et maquis tutsi
Au Conseil restreint du 29 juin, l’amiral Lanxade déclara : « Nous avons trouvé des camps de réfugiés
tutsis, nous avons évacué une communauté religieuse. Les affrontements continuent entre milices hutues et
maquis tutsis. Nous cherchons comment éviter la reprise des massacres. » 45 Ce maquis tutsi correspondait
aux prétendus accrochages à Bisesero. À Paris, on ne voulait donc pas entendre parler de survivants tutsi
pourchassés. Ils ne pouvaient être que des ennemis infiltrés.
10.12
Le 30 juin, des journalistes rencontrent les Tutsi
Le matin du 30 juin, Marin-Gillier dit qu’« ils se préparaient parce qu’ils avaient eu vent de commandos
FPR infiltrés dans la montagne, qu’il fallait aller vérifier et les débusquer éventuellement ». 46 Gillier passa
à Bisesero sans s’arrêter. Lâchée par lui, l’équipe de Philippe Boisserie de France 2 s’arrêta à Bisesero,
rencontra des Tutsi et fit un reportage qui sera diffusé le soir même. 47
Gillier rencontra le prêtre 48 et distribua de la nourriture aux Hutu, dont bon nombre devaient être
des tueurs. Deux journalistes, Michel Peyrard de Paris Match et Sam Kiley, qui avaient précédé Gillier,
ne comprirent pas son attitude et retournèrent à Bisesero où ils rencontrèrent d’autres Tutsi. Peu de
temps après le groupe de reconnaissance du 13e RDP mené par le capitaine Olivier Dunant et celui du
GIGN mené par Thierry Prungnaud, quittèrent Gillier et arrivèrent à Bisesero. Ils déclenchèrent alors
l’opération de secours.
10.13
L’opération de secours à Bisesero
800 Tutsi survivants furent retrouvés. Les blessés les plus graves furent transportés à Goma où des
amputations abusives seront faites. Les autres furent parqués dans un camp à Bisesero, sans toit, presque
sans vivres. Les Français seront furieux et les maltraiteront quand les Tutsi voudront rejoindre la zone
FPR.
41. Corine Lesnes, M. Léotard craint de nouvelles difficultés pour le dispositif « Turquoise », Le Monde, 1er juillet 1994,
p. 4. http://www.francerwandagenocide.org/documents/LeMondeLesnesLeotard1juillet1994p4.pdf
42. Corine Lesnes, ibidem.
43. Raymond Bonner, Grisly Discovery in Rwanda Leads French to Widen Role, New York Times, July 1, 1994, p. A1.
http://www.francerwandagenocide.org/documents/nytGrislyDiscoveryBonner1july1994.pdf
44. Ce prêtre était Jean-Baptiste Mendiondo qui est resté pendant le génocide dans sa paroisse à Mukungu.
45. Conseil restreint du 29 juin 1994. Secrétariat : Vice-amiral de Lussy (État-major particulier). http://www.
francerwandagenocide.org/documents/ConseilRestreint29juin1994MaquisTutsi.pdf
46. Philippe Boisserie, Danielle Birck, Retour sur images, Les Temps modernes, no 583, juillet-août 1995, p. 215.
47. P. Boisserie, E. Maisy, D. Vérité, F. Granet, France 2, 30/6/1994, 20 h.
48. Gillier rencontra le prêtre Mendiendo à Gisovu selon Peyrard, à Gakuta selon Prungnaud.
11
CONCLUSION
10.14
9
Duval n’aurait pas envoyé de rapport
La Mission d’information parlementaire fit l’impasse sur la reconnaissance de Diego-Duval le 27 juin
à Bisesero. Elle publia le rapport de Gillier. L’honneur était sauf. Puis les militaires répondirent aux
accusations en prétendant que Duval n’avait pas fait de rapport et que ni Rosier, ni Marin-Gillier n’étaient
informés de la présence de survivants à Bisesero. Il leur suffisait pourtant d’écouter RFI qui parla le 28
à midi de la reconnaissance de Diego.
En 2006, le général Lafourcade, interrogé par Laure de Vulpian sur France Culture, déclara que quand
le deuxième compte rendu est arrivé, ils ont réagi immédiatement. Évoquant un deuxième compte rendu,
le brave général avouait ainsi qu’il y en avait eu un premier. Dans son livre sur l’opération Turquoise,
Lafourcade fournit des preuve que son 2e bureau avait bien reçu le rapport de Duval alias Diego.
En 2010, le journaliste Jean-François Dupaquier publia le rapport de Duval. 49 Les termes utilisés
par celui-ci sont quasiment identiques à ceux cités par Lafourcade dans son livre. Il est donc certain que
Duval a fait son rapport le 27 juin, mais que celui-ci a été volontairement mis aux oubliettes.
Tout ceci montre qu’il y a eu une entente entre l’état-major à Paris et le gouvernement génocidaire
pour laisser celui-ci terminer le travail d’élimination totale des Tutsi survivant à Bisesero.
11
Conclusion
Sous couvert d’une opération humanitaire, les Français ont livré à la mort plus de 1 200 Tutsi à
Bisesero. À Gikongoro, ils ont fait pire. Ils se sont installés à l’école de Murambi, là où le sang de plus de
25 000 Tutsi, massacrés le 21 avril, suintait des fosses communes en un liquide brunâtre. Ils y installèrent
des canons et s’allièrent aux tueurs pour arrêter à partir du 5 juillet l’offensive du FPR, qui, lui, mettait
fin au génocide. Tout s’est passé au Rwanda en 1994 comme si, à Auschwitz en 1945, l’Armée rouge s’était
alliée avec les SS contre les troupes anglo-américaines. Mais ça, Staline ne l’a pas fait.
Par ce qu’il a fait et fait faire à ses subordonnés en 1994, François Léotard, ministre de la Défense,
pourrait avoir à répondre sinon du crime de génocide, au moins des crimes d’entente en vue de commettre
le génocide et de complicité dans le génocide.
Au Rwanda, en 1994, le président de la Patrie des Droits de l’homme et son gouvernement décidèrent
de faire graver dans le marbre de l’histoire le célèbre tableau de Breughel « Le triomphe de la mort ».
Inspiré par la beauté de ce pays, qui ne devait être qu’un Paradis, un académicien immortel écrivit du
Rwanda : « Ce sont des massacres grandioses dans des paysages sublimes ». (Jean d’Ormesson, Le Figaro,
19 juillet 1994). 50
Références
[1] Alison Des Forges : Aucun témoin ne doit survivre. Le génocide au Rwanda. Karthala, Human
Rights Watch, Fédération internationale des Droits de l’homme, avril 1999. Traduction de Leave
None to Tell the Story.
[2] Bernard Lugan : François Mitterrand, l’armée française et le Rwanda. Éditions du Rocher, mars
2005.
[3] Paul Quilès : Enquête sur la tragédie rwandaise 1990-1994. Assemblée nationale, rapport no 1271,
http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/rwanda/rapport.asp, 15 décembre 1998. Mission
d’information de la commission de la Défense nationale et des Forces armées et de la commission des
Affaires étrangères, sur les opérations militaires menées par la France, d’autres pays et l’ONU au
Rwanda entre 1990 et 1994.
[4] Didier Tauzin : Rwanda : je demande justice pour la France et ses soldats ! le chef de l’opération
Chimère témoigne. Ed. Jacob-Duvernet, 4 avril 2011.
49. Jean-François Dupaquier, Là-haut, sur la colline de Bisesero, XXI, avril 2010, pp. 37–38.
50. Jean d’Ormesson, « J’ai vu le malheur en marche », Le Figaro, 19 juillet 1994.