L`ETRE ET LE NEANT DANS FIN DE PARTIE DE BECKETT Yrd.Doç

Transcription

L`ETRE ET LE NEANT DANS FIN DE PARTIE DE BECKETT Yrd.Doç
Arzu KUNT
L’etre Et Le Neant Dans Fin De Partie De Be Beckett
L’ETRE ET LE NEANT
DANS FIN DE PARTIE DE BECKETT
Yrd.Doç.Dr.Arzu Kunt∗
“Je ne suis pas un être nécessaire”
Pascal
ÖZET
Uyumsuz tiyatronun öncü örneklerinden Samuel Beckett’in 1957
yılında yazdı ı Oyunun Sonu adlı tiyatro yapıtı ça da bireyin içinde
bulundu u varolu sıkıntısının trajik boyutunu en iyi ekilde yansıtan
yapıtlardan biri olmu tur. Anlamsız, saçma, bilinemez bir uzamda
tutsak olarak ya ayan ve giderek insani özelliklerini yitiren oyun
ki ileri bir yük gibi ta ımak zorunda oldukları varlıklarından
kurtulmalarını sa layacak ‘hiçlik’in pe indedirler. ncelemede, varlık,
hiçlik, sıkıntı, ölüm, yeniden do u gibi izlekler yardımıyla, ya ama
ve yokolma iste i arasında gidip gelen oyun ki ilerinin varolu sal
çıkmazdan kurtulabilmek, varlıklarını anlamlandırabilmek için “hiçlik”i
nasıl bir kurtulu yolu olarak algıladıkları ele alınmaktadır.
Anahtar Sözcükler:
Varlık,varolu ,hiçlik,ölüm,sıkıntı,sakatlık,güçsüzlük,do um.
ABSTRACT
Published in 1957, Samuel Beckett’s End Game is considered as
one of the plays of the absurd theatre reflecting perfectly the tragic
dimension of the existential anxiety of the modern individual. The
characters of the play are condemned to live in an absurd, unknown
space and they are incessantly in search of “nothingness” which will
provide them the way of escaping from their own existence.
According to the themes of being, nothingness, anguish, death and
rebirth, this sudy aims in the first place to analyse how the
characters oscillate between the will to live and the will to die to
escape from the existential impassibility and secondly the way they
perceive “nothingness” such
as significance of the
acknowledgement of being.
∗
stanbul Üniversitesi, Edebiyat Fakültesi, Fransız Dili ve Edebiyatı Anabilim
Ö retim Üyesi. [email protected]
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Dalı
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Keywords : Being, existence, nothingness, death, anxiety, infirmity,
disability, birth.
Face à un monde incompréhensible et irrationnel dû notamment aux
grandes ruines des deux guerres mondiales, plusieurs philosophes
contemporains (Jaspers,Marcel, Heidegger, et écrivains (Sartre, Camus)
s’inscrivant dans la lignée existentialiste ont privilégié la problématique de la
condition humaine axée notamment
sur le tragique de l’existence;
l’angoisse d’exister qui s’imposera à eux comme la préoccupation cruciale
provoquera notamment une recherche ontologique et métaphysique.
A côté des écrivains- philosophes qui ont séduit un large public par
leurs oeuvres “engagées” traitant l’incohérence du monde et de l’être et
l’angoisse qui en résulte, un groupe de dramaturges -Ionesco, Beckett,
Adamov-marqués profondément par l’incommunicabilité des consciences,
d’où le refuge dans l’anonymat, et par une quête d’ordre métaphysique à
travers l’expérience irréductible de l’absurde se sont frayés dés les années
1940 un chemin à part pour exprimer leur angoisse dans un monde absurde
délaissé même par Dieu, un monde dans lequel l’homme ne vit que sa
propre solitude; ils mettent le concept de l’absurde au coeur de leurs
oeuvres tout en relatant avec acuité une vision pessimiste, angoissée de la
vacuité de l’exisence liée à la problématique de la prise de conscience de
l’être humain confronté à sa condition précaire sur cette terre.
Liée à cette problématique existentielle de l’être, l’oeuvre
beckettienne témoigne à bien des égards de cette analyse aigue du
sentiment de l’angoisse; la dimension douloureuse de la vie, la souffrance
humaine, l’impossibilité de se repérer et par conséquent l’angoisse causée
par l’inanité de l’existence constituent en soi les thèmes essentiels de sa
production littéraire. Ce faisant, Beckett nous fait la peinture d’un être
démuni de ses qualités et attributs humains placé dans un tourbillon de
gouffre existentiel qui découvre l’angoisse du néant.
La disparition de ses capacités humaines tant sur le plan physique que
social, sa perte de repère spatio-temporel confèrent à l’être beckettien une
sorte de déshumanisation voire une décomposition de son être pris dans un
fatum irrémédiable.
L’un des phénomènes essentiels de la dramaturgie de Beckett est
qu’il tisse sa trame dramatique sur un univers inquiétant dans lequel les
valeurs qui régissent le cours normal de la vie se trouvent subverties. Tel est
le cas de Fin de Partie (1957), pièce attestant à bien des égards le discours
beckettien basé principalement sur une vision pessimiste de l’existence et
l’échec de toutes tentatives humaines dans ce monde dérisoire dépourvu de
sens. C’est sur une temporalité brouillée où l’instant est “nul” sur un espace
indeterminé que s’ouvre la pièce; “les hôtes” de ce cadre spatio-temporel
privés de tout repère possible sont figés dans un “intérieur sans meubles”
pareils à des prisonniers dans un espace clos quasi-obscure n’ayant que
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deux fenêtres; d’une part nous voyons sur scène Hamm paralytique et
aveugle servi par Clov, son valet qui souffre aussi de ses jambes et d’autre
part Nagg et Nell, parents de Hamm, deux culs de jatte enfermés dans des
poubelles! Ce climat effrayant nous révèle d’une manière claire que
l’existence menée par ces personnages est damnée au sens propre du
terme. “Fini, c’est fini, ça va finir, ça va peut-être finir” (p.144): telle est la
première réplique de Fin de Partie qui déjà offre aux spectateurs une
atmosphère de finitude déterminant “l’action” de la pièce. Pareille à une
lamentation pononcée au sortir d’un supplice cette phrase devient le signe
révélateur de “la fin du supplice de vivre” et par conséquent la fin de toute
vie. En effet, nous sommes face à une situation où la réalité humaine
échappe ou mieux dire se trouve inadéquate au cours normal de la vie
puisque ces personnages angoissés désirent mourir pour que leur existence
apparentée au supplice prenne fin... il faudrait donc “attendre”.Dès lors, vient
cette fois-ci s’instaurer le supplice de l’attente dans ce lieu maudit où le
temps s’est effacé à jamais :
Hamm: Quelle heure est-il?
Clov : La même que d’habitude.
Hamm: Tu as regardé?
Clov: Oui.
Hamm:Et alors?
Clov: Zéro.
Hamm: Tu n’en as pas assez?
Clov: Si!(un temps) De quoi?
Hamm: De ce...de cette...chose.
Clov : Mais depuis toujours.(Un temps) Toi non?(p.147).
C’est l’expression de la hantise de vivre, du désir de mourir qui
introduit à la pièce une dimension douloureuse absolue car pour Beckett “on
n’en finit pas de mourir, d’alimenter parcelle par parcelle ce lent
pourrissement qui commence à la naissance et qui, gagnant tout l’individu à
la façon d’un cancer, laisse à la fin une charogne.(Nadeau, 1971:40). A
l’inverse des protagonistes de la tragédie classique les personnages
beckettiens dant toute leur dimension tragique regrettent d’être nés; chez
eux la “faute” vient du fait d’exister et non pas de l’hybris qui est la
transgression des limites et d’une certaine manière la volonté de s’égaler
aux dieux. Effectivement, Beckett révèle l’absurde à son point ultime à
travers une image assez vile de ce que l’homme peut devenir dans un
temps détraqué et un lieu isolé, désertique dans lequel la stérilité est reine;
au centre de son écriture c’est bien une vie qui s’écoule comme “suspendue
dans un hors temps”, un néant... Tout comme le dit Clov “quelque chose suit
son cours.”(p.154). Ne restent que l’absurde du monde et son caractère
insignifiant qui en découle; décidément Hamm ne tarde pas à poser la
question cruciale:
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Hamm: Clov!
Clov (agacé): Qu’est-ce que c’est?
Hamm: On n’est pas en train de...de...signifier quelque chose?
Clov: Signifier? Nous, signifier! (Rire bref) Ah elle est bonne!(p.170)
Au fond, dans ce monde dépeuplé qu’importe si l’existence de l’être
ait une signification ou non. Le rire de Clov semble nettement répondre au
sentiment de contingence de leur présence. Notons qu’ils sont des êtres
sans causalité dans une existence dans laquelle toutes les références sont
abolies : “Le monde ressemble à une prison dans laquelle l’individu est
soumis à une relégation définitive. La place assignée à l’homme y est
incertaine.”(Pruner, 2003:71). En effet, tout comme Hamm ces personnages
nagent dans les abîmes de l’incertitude à partir du moment où ils prennent
conscience de leur inadéquation avec la nature, de la place qu’ils occupent
dans cet univers. “Plein perdu dans le vide, pour toujours, dans le noir”,
égarés dans l’irréalité ils perdent toute notion cohérente possible quant à un
repère extérieur:
Hamm : Ramène moi à ma place.(Clov ramène le fauteuil,
l’arrête). C’est là ma place?
Clov: Oui, ta place est là.
Hamm : Je suis bien au centre?
Clov : Je vais mesurer.
Hamm: Je me sens un peu trop sur la gauche.(Clov déplace
insensiblement le fauteuil.Un temps.)Maintenant je me sens
un peu trop sur la droite. (Même jeu.) (p.165).
Pour ainsi dire, c’est dans cette irréalité que réside leur réalité:
Hamm a voulu chercher, définir sa place mais nous voyons qu’il heurte aux
impasses. il ne peut pas se fixer , il se trouve au milieu d’une confusion,
d’un anonymat universel par excellence. Toutefois, ces types
d’interrogations abondent dans Fin de Partie; elles exposent la forme
masquée de cette question essentielle: “Qui suis-je?” Décidément, comme
Hamm qui ne peut pas saisir “sa place” dans le monde les personnages
beckettiens deviennent victimes d’une problématique identitaire liée à ce
“je” aliéné baignant dans un vide éternel. “Ces personnages amnésiques,
dont le passé n’est jamais connu qu’à travers des bribes, ces êtres aveugles
ou presque, ces enterrés vivants qui s’interrogent sur leur corps, ne savent
pas plus où ils sont que qui ils sont.”(Hubert, 1987: 94).
Dans l’incapacité d’aboutir à une détermination quelconque quant à
leur communion avec le monde, ne reste qu’une seule certitude pour ces
êtres: c’est qu’ils sont voués à un pathos sans remède. A cet égard, la
souffrance, notamment corporelle, participe chez Beckett au constat amer
du tragique de la condition humaine. En cela, nous pouvons définir l’espace
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beckettien en tant que lieu de souffrance ,de désillusion, et de l’infirmité;
assurément, c’est là que va prendre corps la dégradation systématique des
personnages dépossédés, seuls vivant une existence minée uniquement
par le mal qui provient d’une double torture, la première étant la pénurie et la
seconde l’impotence physique qui sont les thèmes récurrents de la pièce. La
pénurie est dans un premier temps alimentaire; au fait les personnages n’ont
quasiment plus rien à manger; c’est uniquement Hamm qui connaît “la
combinaison du buffet” dans laquelle se trouve la nourriture hélàs réduite à
des morceaux de biscuit. Les personnages sont menacés par la mort
puisqu’ils se trouvent dans un état à devoir partager même un seul biscuit;
comme l’indique M.C.Hubert “la nourriture est un moyen de chantage à
l’intérieur du couple beckettien. Tantôt l’un des personnages la possède et
nourrit l’autre qui lui est totalement assujetti, tantôt les deux protagonistes
sont dépendants l’un de l’autre. (p.95) d’où une menace mutuelle
interminable entre eux. Par ailleurs, le chantage se manifeste également
chez “le couple” Hamm et Clov d’une autre manière. Clov veut quitter son
maître tout au long de la pièce; à cet égard, la réplique “je te quitte” devient
un leitmotiv représentatif. Ils sont dépendants l’un de l’autre car s’il part
Hamm va mourir et par conséquent Clov aussi puisqu’il ne connaît pas la
combinaison du buffet.
La pénurie peut également se révéler dans l’expression d’un monde
dépeuplé, hostile comme si ses seuls survivants sont claustrés à l’intérieur
de “ce refuge” :
Clov: (Il monte sur l’escabeau, braque la lunette sur le
dehors). Voyons voir... (Il regarde, en promenant la
lunette.) Zéro...(il regarde)... zéro... (il regarde)... et zéro.
(Il baisse la lunette, se tourne vers Hamm.) Alors?Rassuré?
Hamm : Rien ne bouge.Tout est...
Clov : ZérHamm(avec violence):Je ne te parle pas!(Voix normale) Tout
est.. tout est... tout est quoi? (Avec violence)Tout est quoi?
Clov: Ce que tout est? En un mot? C’est ça que tu veux savoir?
Une seconde.(Il braque la lunette sur le dehors, regarde, baisse
la lunette, se tourne vers Hamm.) Mortibus. (p.168).
Rien qu’en lisant les dialogues de Hamm et de Clov nous
comprenons d’emblée qu’un air apocalytique s’empare du monde; celui-ci
confirme nettement la solitude des êtres et le néant dans lequel ils baignent.
Là-bas tout est “zéro”... tout s’éteint irrémédiablement tant à l’extérieur qu’à
l’intérieur de cet espace-refuge. Lorsque soudain “une puce” apparaît
aussitôt que Clov la distingue Hamm exige qu’il la rattrape : “Une puce! Il y
a encore des puces? Mais à partir de là l’humanité pourrait se
reconstituer!Attrape-là, par l’amour du ciel!” (p.171). Il en est de même pour
“le rat” dans la cuisine. Stupéfait, il demande “s’il y a encore des rats?”et
ordonne Clov pour qu’il “l’extermine”(p.189). C’est là en effet l’aspiration à
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une disparition, un anéantissement total à l’intérieur même du refuge; faisant
cela, Hamm semble se révolter contre toute signe de vie y compris la
sienne. D’ailleurs c’est la raison pour laquelle il qualifie son père de “maudit
progéniteur”(p.150) étant le responsable de son existence.
Quant à l’impotence physique Hamm semble résolument avoir
compris la règle du “jeu” lorsqu’il explique à Clov :“Un jour tu seras aveugle.
Comme moi. Tu seras assis quelque part, petit plein perdu dans le vide,
pour toujours, dans le noir. Comme moi.”(p.173). Peu importe si c’est
Hamm, Clov, Nagg ou Nell... l’essentiel c’est qu’ils sont tous condamnés à
une déchéance physique voire à une dégénerescence progressive qui,
apparemment, n’a pas de fin. Ils figurent la parfaite incarnation de l’être
ayant perdu toutes ces qualités humaines; rien que de voir “vivre” les
éclopés comme Nagg et Nell dans des poubelles, perdant progressivement
l’ouie, la vue ou les dents expliquent parfaitement le supplice, la misère dont
ils souffrent; “corps souffrant qui crie malhuer, il signale à tout instant son
existence par les maux qui le torturent.” (Hubert, 1987:77). En effet, on les
entend crier à chaque instant; qu’importe si c’est Nagg qui constate: “J’ai
perdu ma dent, je l’avais hier”(p.155) ou Hamm qui interroge Clov à
plusieurs reprises: “Comment vont tes yeux? Comment vont tes
jambes?”(p.149). Outre la misère qu’implique ces questions ou constatations
nous remarquons qu’elles révèlent une vérité encore plus cruelle: les
personnages de Beckett réduits à un morcellement corporel prennent
conscience de leur propre anéantissement :
Clov: Je me dis-quelquefois, Clov, il faut que tu arrives à
souffir mieux que ça, si tu veux qu’on se lasse de te punir
un jour. Je me dis-quelquefois, Clov, il faut que tu sois là
mieux que ça, si tu veux qu’on te laisse partir-un jour.(...)
puis un jour, soudain, ça finit, ça change, je ne comprends
pas, ça meurt, ou c’est moi, je ne comprends pas, ça non
plus.(...) Je me dis que la terre s’est éteinte, quoique je ne
l’aie jamais vue allumée.(p.214).
Clov semble avoir lui aussi compris que l’existence et la souffrance
vont de pair; vivre une peine qui provient bien de notre destin inéluctable,
insurmontable par excellence. Les hésitations de Clov sont causés par la
souffrance morale car il est difficile d’accepter,de comprendre l’arbitraire du
mal qui le cerne de toute part ou mieux dire l’insoutenable légèreté de
l’être... Il ne sait rien hormis “le cogito renversé de Beckett” : “Je pleure donc
je suis.”(Manteau, 2000:88). Dès lors, de cette vision désespérée de la
condition humaine découle le constat de “la souffrance d’être” donnant au
personnage la possibilité d’accéder à la conscience de soi-même dans les
profondeurs de son fondement ontologique.
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Les personnages de Fin de Partie comprennent que l’existence n’est
faite que de misère et par là nous voyons que Hamm fait allusion à Dieu
lorsqu’il crie avec désespoir “le salaud il n’existe pas.” (p.190); “ (...)
condamné à la souffrance, à la mutilation et à l’absurde, et cette misère,
cette dérison gratuite ne peut qu’être le résultat des caprices d’un “Dieu”
dont la nature est constituée des mêmes éléments –les mots- et qui
comprend le mal qu’il fait.” (Coe, 1971:117). Ils ne ne veulent donc plus
vivre, ils ne croient plus en la vie qui devient leur objet de dégoût: “Mais
réfléchissez, réfléchissez, vous êtes sur terre, c’est sans remède!”(p.188)
ajoute Hamm. Et justement, ces êtres beckettiens vont ardemment désirer la
mort pour enfin fuir l’existence qui est sans aucune contestation un espace
maléfique. A partir de là, leur aspiration à la mort va s’apparenter à une idée
de reconstruction notamment comme moyen de délivrance de cette vie
déficiente. Ainsi, dans la quête du néant se dégage une certaine apothéose
de la mort au profit d’un non-être originel au nom d’une nouvelle affirmation,
d’un nouveau recommencement débarrassé de toutes les douleurs du
monde comme l’indique Hamm à travers ses paroles :
Hamm: (...) La fin est dans le commencement et cependant on
continue. (Un temps) Je pourrais peut-être continuer mon histoire,
la finir et en commencer une autre. (Un temps). Je pourrais peutêtre me jeter par terre. (Il se soulève péniblement, se laisse retomber.) Enfoncer mes ongles dans les rainures et me traîner en avant,
à la force du poignet.(Un temps.) Ce sera la fin et je me demanderai
ce qui a bien pu l’amener et je me demanderai ce qui a bien pu...
(il hésite)... pourquoi elle a tant tardé. (Un temps). Je serai là,dans
le vieux refuge, seul contre le silence et...(il hésite)... l’inertie.
(p.201).
Cette réplique met bien en valeur que les personnages attendent
l’anéantissement envisagé en tant que “re-commencement”; mourir devient
donc la clef pour accéder dans le néant salvateur. Ce faisant, les
personnages visent une nouvelle réalité pour retourner à leur position initiale
d’avant la naissance dans l’espérance de pouvoir renaître. En effet, dans
cette volonté de régénérescence réside une lueur d’espoir pour ces êtres qui
ressentent au plus profond de leur moi le malaise existentiel, la misère
irrémédiable de l’homme “sans Dieu”.
Par ailleurs, la trajectoire naissance-mort-renaissance pourrait être
rapprochée à la structure circulaire de la pièce puisqu’au dénouement nous
voyons Hamm se couvrir le visage de “son mouchoir taché de sang ” tout
comme dans l’exposition : “(...) Puisque ça se joue comme ça... (il déplie le
mouchoir)... jouons ça comme ça... (il déplie)... et n’en parlons plus... (il finit
de déplier)... ne parlons plus.(Il tient à bout de bras le mouchoir ouvert
devant lui.) Vieux linge! (Un temps.)Toi-je te garde.” Un temps. Il ramène le
mouchoir vers lui, s’en couvre le visage, laisse retomber les bras sur les
accoudoirs et ne bouge plus. (p.215). Apparemment, à travers ces derniers
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gestes Hamm confirme bel et bien ce commencement résidant dans toute
fin; ici,“le mouchoir” est révélateur de sa détresse humaine; par ce geste il
veut peut-être dissimuler l’expression de son visage surlequel est inscrit à
jamais la douleur...Reste à savoir si ce “re-commencement”sera toujours
teinté de malédiction ou s’il sera synonyme d’un état de béatitude...
Conclusion
Décidément tout comme Hamm les personnages beckettiens sont
bien une image de l’humain, de cet humain qui fait preuve du point ultime du
désespoir lié à la pulsion de la mort. Dans Fin de Partie se dévoile une
différente conception de la vie; en effet, ces êtres marchant dans les
chemins de la liberté se sont engagés vers un tout autre moyen quant à
l’élaboration de leur existence. Peu importe si ce trajet passe par le néant, le
constat amer de la contingence, l’essentiel c’est que l’être humain soit libre
dans ses actes en vue de passer au-delà de ses souffrances. Précisément,
comme le note Martin Esslin dans Le Théâtre de l’Absurde, “ les pièces de
Beckett révèlent son expérience de la temporalité et de l’evanescence, du
sens de la tragique difficulté qu’il y a à se saisir soi-même dans le processus
sans merci de rénovation et de destruction qu’entraîne l’écoulement du
temps.”(p.66). Cette tentation de définition de l’être oscillé entre la plénitude
et le vide, la temporalité et l’intemporalité, l’immanence et la transcendance,
la destruction et la “re-naissance” est, certes, l’une des preuves de base de
son ontologie où l’homme ne peut plus être considéré comme la “partie” des
systèmes tout faits, mais une entité autonome à partir de laquelle un
“système”, une nouvelle expérience peut se fonder.
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BIBLIOGRAPHIE SOMMAIRE
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Manteau, D. (2000) Leçon littéraire sur le mal. Paris Presses
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du Seuil.
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