Fin de partie - Etude de l`exposition

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Fin de partie - Etude de l`exposition
Fin de partie - Etude de l'exposition
Extrait du Lycées de Fécamp
http://maupassant-lyc.spip.ac-rouen.fr/spip.php?article1292
Fin de partie - Etude de
l'exposition
- Enseignement - Disciplines - Lettres et sciences humaines - Lettres - Français -
Date de mise en ligne : dimanche 23 septembre 2012
Description :
Un commentaire des premières pages de "Fin de Partie", deuxième opus théâtral en français de Samuel Beckett (1906-1989).
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Fin de partie - Etude de l'exposition
Introduction
Après le succès inattendu de En attendant Godot, Beckett prend sa carrière théâtrale au sérieux, à tel point qu'il lui
faudra deux ans pour mener à bien sa seconde pièce en français : Fin de partie. Cette oeuvre assoit définitivement
sa réputation de dramaturge et consacre son statut d'auteur austère et exigeant.
C'est oublier un peu vite, peut-être, l'intérêt de Beckett pour l'univers des clowns : le dramaturge n'a ainsi jamais
caché son admiration pour l'acteur burlesque Buster Keaton, "l'homme qui ne rit jamais", qu'il fit d'ailleurs figurer au
générique d'un film expérimental de 17 minutes intitulé... Film !.
On voudrait montrer ici qu'en dépit d'un climat a priori austère et sombre, cette exposition possède malgré tout une
vraie force comique, sensible à la fois dans le rythme de la scène et dans son contenu.
Un climat digne d'une tragédie
Ce qui frappe d'emblée, c'est à la fois le caractère dépouillé du passage et sa tonalité extrêmement sombre.
Un texte dépouillé
Dépouillement du texte et sobriété du décor s'unissent ici pour créer une véritable atmosphère de tragédie.
Sobriété du décor
D'emblée, l'auteur multiplie les connotations péjoratives : l'éclairage est "grisâtre", les fenêtres sont "petites", "haut
perchées" et occultées par des "rideaux fermés".
Les accessoires sont peu nombreux : dans un décor nu figurent "un tableau retourné", "deux poubelles", "un fauteuil
à roulettes", sans compter l'escabeau que Clov se met en devoir de transporter d'une fenêtre à l'autre. Si insolites
soient-ils, ces accessoires doivent, dans l'esprit du spectateur, avoir une utilité dramatique [1] : notre curiosité, du
coup, s'en trouve aiguisée...
Sobriété de l'expression
Le laconisme des didascalies est chose normale au théâtre. Néanmoins, il se met ici au diapason de l'économie de
moyens générale. On relèvera plusieurs caractéristiques : l'utilisation du présent tout d'abord, puisque l'action
s'inscrit dans la durée de la représentation : "Il tourne la tête, regarde la fenêtre à droite." ; le recours fréquent aux
phrases averbales ensuite : ""Teint très rouge", Rire bref" ; le choix de phrases simples ou d'indépendantes
juxtaposées enfin : la page 12 en présente un exemple éloquent.
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Une tonalité sombre
Lieux lugubres, personnages murés dans leur handicap, propos désespérés : tout concourt à faire de cette scène un
tableau particulièrement sombre.
lieux
On ne reviendra pas sur l'éclairage "grisâtre". On relèvera cependant les éléments qui font de ce lieu un véritable
taudis : de "vieux draps", des "poubelles", "un grand mouchoir taché de sang". Certains metteurs en scène, tel
Alain Timar, insistent fortement sur cet aspect.
personnages
Les protagonistes de cette pièce sont des épaves : Clov a "une démarche raide et vacillante" ; Hamm est assis dans
un "fauteuil à roulettes". Encore ne sait-on pas que se cachent dans les poubelles les parents de Hamm, cul-de-jatte
relégués par le fils ingrat dans ces conteneurs immondes. On sait par ailleurs qu'il s'agit là chez Beckett d'un
processus d'immobilisation des personnages qui tend à s'accentuer de pièce en pièce.
propos
Les premières paroles de Clov sont déroutantes. C'est bien sûr une provocation beckettienne que de débuter une
pièce par les mots "C'est fini", mais il y a autre chose. Ici s'esquissent le caractère de Clov et les rapports qui
l'unissent à son compagnon d'infortune.
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Le pessimisme de Clov
En dépit d'une amorce tonitruante, le propos perd en assurance dès la première phrase, puisqu'on passe d'une
affirmation catégorique "Fini" à un doute prononcé : "Ca va peut-être finir." Malgré une révolte dont on ignore
véritablement ce qu'elle recouvre, à cause notamment du sujet impersonnel ("On ne peut plus me punir"), un
pessimisme quasi philosophique imprègne le court et laborieux monologue. Ainsi, la référence aux "grains qui
s'ajoutent aux grains" fait référence au philosophe Eubulide de Milet, et plus particulièrement au paradoxe du tas
. Par-delà cette référence, Clov veut signifier combien pour lui "Le temps se manifeste comme une succession
de mutations à la fois sans poids et écrasantes" (F. Thierry)
Des rapports dominant-dominé
Quant aux rapports qu'entretiennent les deux personnages, disons-le tout net : Clov est l'esclave de Hamm, dont
le pouvoir est symbolisé par le "sifflet" qu'il détient. Lorsque Clov énonce les dimensions de sa cuisine ("trois
mètres sur trois mètres sur trois mètres") ce sont les dimensions d'une cage qu'il donne : lorsqu'on évalue
spontanément les dimensions d'une pièce, on en exclut en général la hauteur !
Une exposition potentiellement comique
Mais si le fonds de cette scène peut paraître éminemment triste, voire tragique, il n'en demeure pas moins que son
traitement scénique se prête aux effets comique les plus appuyés.
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Une scène très rythmée
On sait en effet combien le théâtre comique a besoin de rythme pour assurer son efficacité : c'est le secret d'un
auteur aussi indémodable que Feydeau, dont les pièces reposent sur un enchainement ininterrompu de scènes
échevelées.
L'attitude compulsive de Clov
Le principal ressort comique repose ici sur la pantomime [2] de Clov. Les deux tiers du passage sont consacrés à
cette activité harassante ! Les déplacements sont clairs et mesurés avec précision par la didascalie ("six pas vers la
fenêtre à droite" ; "trois pas vers la fenêtre à gauche" ; "un pas vers la fenêtre à droite". Certains ont voulu y voir une
sorte de chorégraphie pythagoricienne. Mais il s'agit simplement d'une symétrie maniaque, indépendante de toute
logique [3] et qui prétend dérisoirement compenser le manque de cohérence du monde.
Redondances et répétitions
Beckett souligne avec un certain plaisir les attitudes symétriques adoptées par son personnage : "Il regarde la
fenêtre à droite, la tête rejetée en arrière" ; "Il regarde la fenêtre à gauche, la tête rejetée en arrière" ou encore, à
quatre reprises "il descend de l'escabeau"). Or, on sait combien la répétition est source de comique. Clov est aussi
l'héritier des clowns, ou de ces burlesques américains qui font l'admiration de Beckett. Le "teint très rouge" des deux
personnages principaux corrobore ce rapprochement.
Une utilisation subtile des ressorts du comique
Sur cette base répétitive se greffent des effets comiques traditionnels dont Beckett joue avec maîtrise.
comique de gestes
On sait, depuis Bergson [4] que le rire est aussi "du mécanique plaqué sur du vivant". Par ses gestes raides ainsi
que par sa diction de robot, Clov participe de ce rire bergsonien. Par ailleurs, l'existence d'accessoires triviaux
comme les poubelles ancre la pièce dans la farce et l'empêchent de basculer dans le tragique ou le pathétique.
comique de caractère
Le monologue laborieux de Clov, ponctué de nombreux silences [5], peut lui aussi donner lieu à une interprétation
comique dans la mesure où il révèle la fêlure du personnage : "Par ces premiers mots, on n'entre pas dans une
classique scène d'exposition, et le propos du personnage est pour ainsi dire suspendu entre présence et absence présence d'un corps sur scène, absence de toute émotion, de toute manifestation psychique." (J.-P. Damour) Clov
est incapable de donner un sens à sa vie.
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comique de l'absurde
On en vient du coup à mettre en avant une autre forme de comique, si typique de l'époque qu'on l'a associée - à tort
ou à raison - à nombre d'auteurs de l'époque : l'absurde. Peut-être, concernant un auteur d'origine anglo-saxonne,
serait-on mieux fondé à parler de nonsense [6]. La volonté de Beckett est à la fois de montrer des personnages
désemparés dans un monde qui s'écroule et de renouveler en les contestant les règles qui régissent le théâtre. D'où
notre surprise et cette impression d'étrangeté à la lecture de la pièce.
Conclusion
L'intérêt de cette exposition est triple :
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elle se définit comme visuelle et non littéraire et souligne ainsi la spécificité de l'art théâtral ;
elle prend systématiquement le parti d'un dépouillement caractéristique du style de Beckett et révèle du coup un
univers très personnel ;
elle autorise des interprétations variées entre ces deux pôles opposés que sont le tragique et le burlesque et
favorise ainsi le travail du metteur en scène.
Symboliquement, on peut interpréter ce début comme une expérience de théâtre dans le théâtre : Clov est en
quelque sorte le metteur en scène et le régisseur de ce qui va se jouer sous nos yeux. Il faut que tout soit prêt pour
la représentation, le jeu.
Une autre interprétation fait de la pièce entière une partie d'échecs entre Clov et Hamm - plus précisément une fin de
partie - ce moment où ne subsistent plus que les rois et quelques pions (Nagg et Nell ?). Dans sa cuisine, Clov
attend alors le coup de Hamm : "a moi de jouer", dit le paraplégique...
Certains voient même dans ce bunker isolé où vivent les protagonistes de la pièce un avatar du crâne humain vu
pour ainsi dire de l'intérieur (les fenêtres représenteraient alors les yeux...)
Mais gardons-nous de voir dans cet univers trop de signes : "On ne serait pas en train de signifier quelque chose ?"
demande Hamm avec angoisse. Ironie de Beckett, qui ne prétend, lui, rien "signifier"...
[1] "Si dans le premier acte vous indiquez qu'un fusil est accroché au mur, alors il doit absolument être utilisé quelque part dans le deuxième ou le
troisième acte. Si personne n'est destiné à s'en servir, il n'a aucune raison d'être placé là." (Tchekov)
[2] Ce qui, dans le rôle d'un acteur ou d'un chanteur, relève de l'expression par le geste, de la mimique, du comportement scénique (par
opposition à ce qui est parlé ou chanté).
[3] Clov pouvait accomplir sa tâche avec bien plus d'efficacité et de rigueur.
[4] Philosophe français (1859-1941)
[5] (Un temps) est la didascalie préférée de Beckett dans Fin de Partie.
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Fin de partie - Etude de l'exposition
[6] "Tout comme l'humour noir, auquel il est souvent lié, le nonsense est souvent considéré comme une des formes les plus pures de l'humour,
tant il est loin de l'ironie et d'autres formes du comique. Né en Angleterre, il désigne une forme d'humour lié à l'absurdité ou à l'excentricité."
Nicolas Cremona
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