chapitre XXX - Le blog de Jocelyne Vilmin
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chapitre XXX - Le blog de Jocelyne Vilmin
Séquence 6 : Les combats des philosophes du XVIIIeme siècle Voltaire, Candide (œuvre intégrale) et un groupement de textes Lecture analytique 4 : - chapitre XXX de "Il y avait dans le voisinage..." à "... mais il faut cultiver notre jardin." Question : en quoi la rencontre avec les deux sages conduit-elle Candide à appliquer sa propre philosophie ? Introduction - Présentation de l’auteur et de l’œuvre : - Situation de l’extrait : après bien des péripéties qui ont amené Candide à côtoyer toutes les formes du mal sur terre (mal physique, d’origine naturelle : épidémie de peste (chapitre 4), tempête (chapitre 5), tremblement de terre (chapitre 6) ; mal moral, d’origine humaine : guerre (chapitre 3, viol (chapitres 3, 7, 11), esclavage (chapitre 19), etc… ; mal métaphysique tenant à la nature humaine et provoquant angoisse quant au sens de la vie ( chapitre 25)), Candide a retrouvé sa Cunégonde qu’il a épousée malgré sa laideur. À la métairie, vivent autour du héros et de sa femme, Pangloss, Paquette, frère Giroflée et Martin. Mais nos héros ne sont pas heureux et passent leur temps à philosopher vainement.. - Lecture - Reprise de la question et annonce du plan : L’épilogue, que l’on peut diviser en deux parties, montre comment les paroles de deux sages vont aider Candide dans la phase ultime de son évolution. Nous verrons donc dans un premier temps quel est l’enseignement de ces deux sages, puis comment Candide, au contraire de Pangloss, sait tirer profit de cet enseignement. I – L’enseignement des sages Les deux rencontres présentent l’intérêt de mettre en présence les deux personnages principaux du conte, Candide et Pangloss, et un sage susceptible de réfuter les propos de Martin : « l’homme (est) né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude, ou dans la léthargie de l’ennui » a) la rencontre avec le derviche : décidée par les protagonistes car ce derviche passe pour le « meilleur philosophe de la Turquie », elle prend la forme d’un jeu de questions/ réponses et constitue un petit apologue - la position de Pangloss : c’est bien entendu lui qui prend la parole et on s’aperçoit qu’il n’a aucunement changé.Ses questions sont vagues et éloignées de la réalité : « pourquoi un aussi étrange animal que l’homme a été formé », « que faut-il donc faire ? ». Ses préoccupations sont celles de la métaphysique que Voltaire critique parce qu’elle n’amène à rien et ne modifie pas l’ordre du monde : il s’agit pour Pangloss de disserter sur « l’origine du mal, de la nature de l’âme, et de l’harmonie préétablie ». Son discours est ponctué des mêmes expressions toutes faites dont il a abusé au cours de l’histoire : « raisonner des effets et des causes », « du meilleur des mondes possibles ». Pangloss montre ainsi que tout ce qu’il a vécu a été inutile : il lui est impossible de modifier sa manière de penser et de raisonner. Son propos est toujours aussi ridiculement inutile. - L’intervention de Candide : elle prend la forme d’un constat « il y a horriblement de mal sur terre », c’est effectivement la conclusion que Candide peut tirer de son expérience. Bien que ce constat ne soit pas accompagné de réflexion, on peut cependant penser que Candide est plus près de la réalité que Pangloss : il ne cherche pas à raisonner dans le vide et le constat peut servir de ferment à une réflexion constructive ultérieurement. - la réponse du derviche : elle est imagée, nette et catégorique. La parabole des « souris » illustre le problème de la Providence : « Sa Hautesse » (c’est-à-dire le sultan de Turquie)/ Dieu ; « un vaisseau » / le monde ; « les souris »/ les hommes. De la même manière que le sultan ne se préoccupe pas du destin des souris, Dieu ne se mêle pas des affaires des hommes. Voltaire présente ici sa conception de Dieu. C’est aussi une réponse brutale : - dans les paroles : le ton est peu courtois « De quoi te mêles-tu ? », « est-ce là ton affaire ? », « te taire ». Ce sont autant d’invitations à se détourner des tracas du monde et à se méfier des pièges de la parole. - dans les geste : le derviche « leur ferma la porte au nez » : c’est effectivement la seule réponse possible au discours vain de Pangloss, rien ne sert de discourir puisque rien ne fait changer Pangloss. b) la rencontre avec le « bon vieillard » : elle fait suite à la première et est due au hasard : Candide, Pangloss et Martin rencontrent cet homme après avoir entendu des faits horribles : « on venait d’étrangler deux vizirs du banc et le muphti », « on avait empalé plusieurs de leurs amis » dont on fait « grand bruit ». - Le calme du vieillard fait donc contraste et prouve par l’exemple l’efficacité de la doctrine du derviche : en effet, le vieillard est absolument indifférent à ces événements qui ne le concernent pas : « je n’en sais rien », « je n’ai jamais su », « j’ignore », « je ne m’informe jamais » répond-il à la question, inutile, de Pangloss. L’indifférence du vieillard, soulignée par les occurrences des expressions désignant l’ignorance, est voulue et provient d’un choix de vie que les lignes suivantes décrivent. - L’indifférence aux événements extérieurs et sur lesquels, de toute manière, la vieillard n’a pas de prise, ne signifie une indifférence à autrui : au contraire, le « bon musulman » et sa famille font preuve du sens de l’hospitalité. Ils offrent à nos trois héros une collation tout autant exotique qu’alléchante et variée : « des sorbets », « du kaïmak », « des oranges, des citrons, etc… » - le dialogue final, amené par Candide, définit un art de vivre, tout de simplicité, de modicité (le vieillard ne possède que « vingt arpents ») et de travail. La dernière phrase pourrait servir de morale à ce second apologue : « le travail éloigne de nous trois grands maux, l’ennui, le vice et le besoin. » ➜ l’exemple des deux sages apporte à Candide une leçon dont il tirera les conséquences. - Premièrement, s’intéresser et disserter sur ce que l’on ne comprend pas et sur lequel on ne peut rien est stérile. - Deuxièmement, la parabole des souris souligne à la fois l’indifférence d’une puissance divine. - Troisièmement, l’homme par son travail peut améliorer son sort et celui des autres. II – L’évolution des personnages Les deux derniers paragraphes opposent Pangloss et Candide : au discours stérile du premier répond la capacité d’action du second qui va modifier l’existence de la « petite société » a) Pangloss : il n’a changé en rien - il ne pense pas par lui-même et a constamment besoin de se référer à des textes ou à des théories qu’il ne maîtrise pas : ainsi son discours sur les rois, constitué d’une longue énumération de l’antiquité à la période contemporaine n’apporte rien à la situation présente des héros. C’est un discours peut-être érudit mais parfaitement inutile. - le deuxième discours montre que son système de pensée n’a pas évolué : optimiste il était, optimiste il restera quelles que soient les épreuves traversées. Les termes sont les mêmes « le meilleurs des mondes possibles » ; l’argumentation basée sur de faux rapports de cause à effet, soulignés par la conjonction « car » et la suite des propositions introduites par « si », est identique à celle de premier chapitre. ➜ ironie de Voltaire qui montre à quel point la philosophie optimiste emprisonne l’homme dans le discours stérile et le manque d’action. b) Candide : il a dépassé son maître. Par deux fois, dans ce passage, il coupe la parole à Pangloss alors qu’au premier chapitre, il se contentait d’écouter. Les rôles sont désormais renversés : c’est Candide qui détient le rôle du maître. - Il est capable de réfléchir par lui-même: « Candide (…) fit de profondes réflexions », et de tirer la leçon de ce qu’il a vécu : la comparaison entre le vieillard et les rois de Venise lui permet de comprendre ce qui est bénéfique à l’individu. - il est à l’origine de l’harmonie qui va désormais régner à la métairie : elle se fonde sur la parole de Candide : « il faut cultiver notre jardin » c) « la petite société » : c’est un modèle de simplicité et d’harmonie. - le travail est la cause : « travaillons sans raisonner » dit Martin ; l’importance est donnée aux activités manuelles : « exercer ses talents », « excellente pâtissière », « broda », « très bon menuisier », « cultiver notre jardin » : chacun participe donc activement à la prospérité du domaine si bien que « la petite terre rapporta beaucoup » - cette vie modeste permet l’épanouissement de chacun : chacun a son rôle, est utile aux autres et même s ‘améliore : le frère Giroflée « devint honnête homme » - c’est aussi une société tolérante qui réunit des personnages extrêment divers, voire opposés : le manichéen Martin, l’optimiste Pangloss, le frère Giroflée… La religion et ses rites n’ont aucune influence sur ce petit monde. ➜ seul Pangloss est incapable de changer : il continue à parler pour ne rien dire. Le résumé des aventures de Candide n’a aucune utilité et souligne le contraste entre les vains discours de Pangloss et l’activité fructueuse de ses compagnons : trait d’ironie ultime de Voltaire. ➜La parabole de jardin où chacun trouve sa place en se rendant utile définit la leçon de Voltaire : l’action s’oppose aux discours inefficaces. ➜ la tolérance permet à tous de cohabiter. Conclusion : - Ainsi la rencontre avec les deux sages permet-elle à Candide d’abandonner la théorie de Martin : « l’homme (est) né pour vivre dans les convulsions de l’inquiétude, ou dans la léthargie de l’ennui » comme celle de Pangloss : tout est bien dans « le meilleur des mondes possibles ». Il sait désormais tirer profit de son expérience et de ses propres réflexions. - L’épilogue ne nous montre pas une situation extraordinaire mais un état où chacun peut s’accomplir grâce au travail, à l’action. C’est une leçon de réalisme et de lucidité. - On peut opposer l’épilogue à l’incipit : au monde fermé, illusoire et trompeur du château de Thunder-tentronck répond un univers, certes fermé, mais bien réel et maîtrisé. La sagesse est de voir les choses comme elles sont, d’agir pour les améliorer et non de discourir en vain des effets et des causes.