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logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théorie de la rationalité séance 6 M. Cozic M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori 1. le jugement en logique: éléments historiques M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et rationalité des croyances et des jugements I l’un des rôles que l’on attribue à la logique (et l’une des raisons pour lesquelles on l’enseigne !) est celui de déterminer ce que sont des croyances (ou des jugements) rationnelles . Kant, Logique (1800) “Dans la logique, ce que nous voulons savoir, ce n’est pas comment l’entendement est, comment il pense, comment il a procédé jusqu’ici pour penser, mais bien comment il devrait procéder dans la pensée” (p. 12) . Frege, Ecrits posthumes “Juger, en étant soi-même conscient d’autres vérités en tant que raisons justificatives, s’appelle inférer. Il y a des lois concernant cette sorte de justification, et l’établissement de ces lois qui sont celles de l’inférence valide est le but de la logique” (1879-1891, p. 11) “La tâche de la logique est d’établir les lois d’après lesquelles un jugement peut être justifié au moyen d’un autre, sans considérer si cet autre est lui-même vrai.” (1906, p. 208) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et rationalité des croyances et des jugements I il y a deux sens dans lequels la logique peut s’occuper explicitement des croyances et des jugements: X sens descriptif: la logique explique comment les gens jugent, raisonnent, etc. On parlera de conception psychologique de la logique. Elle est rejetée par Kant et Frege. X sens normatif: la logique explique comment les gens doivent juger, raisonner, etc. On parlera de conception épistémologique de la logique, parce que l’épistémologie est (dans l’un de ses sens) la théorie de la connaissance et des croyances rationnelles. Correspond à l’idée que la logique détermine ce que sont des croyances rationnelles. M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori conception psychologique de la logique . Mill, An Examination of Sir William Hamiltons Philosophy, trad.fr. in Husserl (1913/1959), p. 56 “La logique n’est pas une science distincte de la psychologie et coordonnée avec elle. Pour autant qu’elle est science, elle est une partie ou une branche de la psychologie, se distinguant d’elle d’une part comme la partie se distingue du tout, et d’autre part comme l’art se distingue de la science. Elle doit entièrement à la psychologie toutes ses bases théoriques...” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et rationalité des croyances et des jugements I les conceptions psychologiques et épistémologiques de la logique ont en commun de voir en elle une théorie qui aborde explicitement les croyances, et d’autres actes ou états mentaux. Elles ont toutes les deux une vision mentaliste de la logique. I si l’on regarde comment se présente la logique déductive contemporaine, on ne voit pourtant guère de trace d’une théorie explicite des croyances (ou des jugements). I la logique se présente plutôt comme une théorie de X certaines relations entre énoncés ou propositions (la conséquence logique), ou X certaines vérités (les vérités logiques). ⇒ la logique se présente comme “non-mentaliste” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori 1.1. le jugement dans la logique traditionnelle M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori les jugements dans la logique traditionnelle I il n’en a pas toujours été ainsi: au coeur de la logique traditionnelle, on trouve une théorie du jugement I ex: dans la Logique de Kant, les jugements sont l’objet de l’une des trois parties, X après celle consacrée aux concepts (“idées” dans la Logique de Port-Royal), à partir desquels sont construits les jugements, et X avant celle consacrée aux raisonnements, “fonction[s] de la pensée qui permet de dériver un jugement d’un autre” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et jugements dans la Logique de Port-Royal I Arnauld & Nicole, La logique ou l’art de penser (1662/1683), traité logique le plus marquant de la fin de la période médiévale au milieu du XIXème juger = “action de notre esprit par laquelle joignant ensemble diverses idées, il affirme de l’une qu’elle est l’autre, ou nie de l’une qu’elle soit l’autre ; comme lorsqu’ayant l’idée de la Terre et l’idée de rond, j’affirme de la Terre qu’elle est ronde, ou je nie qu’elle soit ronde.” . le jugement s’appelle aussi “proposition” . il y a deux termes dans un jugement, le sujet et le prédicat . l’affirmation est un “mouvement de notre âme”, distinct du désir, de la prière ou de la commande ; elle est signifiée par les verbes à l’indicatif M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori I des idées semblables sur le (i) jugement et (ii) l’organisation de la logique ont cours depuis longtemps et se retrouvent chez les logiciens de la période, jusqu’à Kant et au-delà: Watts (1725), Wolff (1754), Baumgarten (1761), Whately (1826), Lotze (1874) - cf. Anderson (2008) (i) le jugement comme acte de composition ou division de termes est déjà développé par Thomas d’Aquin (1225-1274), De la vérité (q.14, a.1) à partir d’Aristote, De l’âme (III, 11): “opération de l’intelligence... par laquelle elle compose et divise, en affirmant et en niant : et c’est en elle que l’on trouve le vrai et le faux, tout comme dans l’expression complexe, qui est son signe.” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori l’organisation tripartite de la logique (ii) l’organisation tripartite* de la logique était déjà présente en logique médiévale. (* Arnauld & Nicole ajoutent une quatrième partie consacrée à la méthode.) . dès Thomas d’Aquin, on rationalise et on prolonge ainsi l’oeuvre logique d’Aristote I mais le contenu de chacune des parties peut varier, et en particulier on peut trouver une théorie des propositions plutôt que des jugements . la Summa Logicae (1323) d’Ockham est divisée en 3 parties: 1. les termes 2. les propositions (propositio) 3. les syllogismes M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori l’organisation tripartite de la logique Figure: de Sundholm (2002) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori la ‘proposition’ I ‘propositio’ est utilisé au moins depuis Boëce (457-526) pour rendre apophantis et surtout protasis, les deux termes par lesquels Aristote désigne les expressions susceptibles d’être vraies ou fausses - ce qu’aujourd’hui on appelle des énoncés. . Aristote, De l’interprétation “‘...tout discours n’est pas une proposition (apophantis), mais seulement le discours dans lequel réside le vrai ou le faux, ce qui n’arrive pas dans tous les cas: ainsi, la prière est un discours, mais elle n’est ni vraie, ni fausse... La première espèce de discours déclaratif, c’est l’affirmation (kataphansis); la suivante, la négation (apophansis)” (17a5) . Aristote, Premiers analytiques “La prémisse (protasis) est le discours qui affirme ou qui nie quelque chose de quelque chose.” (20a16) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori jugement et proposition I en simplifiant sans doute, on utilise alternativement comme concept central de la logique 2 concepts, chacun en véhiculant une image différente • jugement ⇒ vision ‘mentaliste’ • proposition ⇒ vision ‘linguistique’ . au milieu du XIIIème, la vision linguistique, dominante, est concurrencée par la vision mentaliste articulée et défendue par Thomas d’Aquin (Commentaires sur les Seconds Analytiques) à qui l’on doit justement la version mentaliste du triptyque (soit appréhension/jugement/raisonnement). Cf Panaccio (2008), chap. 8 . la Logique de Port Royal marque l’avantage pris, pendant une longue période, par la vision mentaliste - même si les deux termes, et les deux concepts, communiquaient tout de même largement M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori la proposition, expression linguistique du jugement . Logic (1724), manuel de logique de référence pendant 100 ans dans le monde anglophone, écrit par Isaac Watts (1674-1748) “When the mind has got acquaintance with things by framing ideas of them, it proceeds to the next operation, and that is, to compare these ideas together, and to join them by affirmation, or disjoin them by negation, according as we find them to agree or disagree. This act of the mind is called judgment... As an idea is the result of our conception of apprehension, so a proposition is the effect of judgment.... A proposition is a sentence wherein two or mode ideas or terms are joined or disjoined by one affirmation or negation...In describing a proposition, I use the word terms as well as ideas, because when mere ideas are joined in the mind without words, it is rather called a judgment; but when clothed with words, it is called a proposition, even though it be in the mind only, as well as when as it is expressed by speaking or writing.” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et jugement chez Kant I la Logique de Kant s’inscrit dans cette tradition mentaliste de la logique traditionnelle. Il donne notamment une version de la ‘théorie synthétique du jugement’ (Anderson, = le jugement comme combinaison ou synthèse de représentations) . Kant, Logique (1800) “Un jugement est la représentation de l’unité de la conscience de différentes représentations, ou la représentation de leurs rapports en tant qu’elles constituent un concept.” (p. 110) I quelques éléments supplémentaires: . le type élémentaire de jugement est le jugement catégorique où les représentations assemblées ou synthétisées dans le jugement sont typiquement un sujet et un prédicat et où elles sont combinées par la copule M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et jugement chez Kant I quelques éléments supplémentaires: . le jugement peut être affirmatif (‘S est P’), négatif (‘S n’est pas P’) ou indéfini (‘S est non-P’) . il n’y pas que des jugements catégoriques, mais aussi des jugements hypothétiques (si...alors....) et disjonctifs. Dans ces jugements, il n’est pas question de mise en relation d’un sujet et d’un prédicat, mais de deux jugements. D’où l’abstraction de la définition kantienne du jugement. . la logique s’intéresse à la forme des jugements, pas à leur contenu M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori I pourquoi Kant donne une définition plus abstraite que celle des versions classiques de la théorie synthétique du jugement: “Je n’ai jamais pu me satisfaire de la définition que les logiciens donnent d’un jugement en général: c’est, à ce qu’ils disent, la représentation d’un rapport entre deux concepts. Or, sans disputer ici avec eux sur le défaut qu’à cette définition de ne convenir en tous cas qu’aux jugements catégoriques et non aux jugements hypothétiques et disjonctifs (en tant que ces derniers ne contiennent pas un rapport de concepts, mais de jugements mêmes), simplement...je remarquerai que ce en quoi consiste ce rapport n’est pas ici déterminé.” (C1, B 141) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et jugement chez Kant I la théorie synthétique du jugement fait face à I difficulté ]1: tout jugement catégorique, affirmatif, ne semble pas pouvoir être analysé comme une synthèse ou combinaison. . exemple: les jugements existentiels singuliers, comme Dieu existe ne se laissent pas facilement voir comme la combinaison de deux concepts (Dieu d’un côté, de l’autre ??) I certains (ex., Herbart, Drobisch, 1863) optent pour une théorie dualiste du jugement catégorique affirmatif qui reconnaît, à côté des jugements synthétiques, d’autres jugements, parfois appelés ‘thétiques’. M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori logique et jugement chez Kant I difficulté ]2: toute combinaison de représentations n’est pas un jugement. L’objection a été formulée par Brentano (1870/77, cité par Martin, 2006, p. 65), qui l’attribue à Mill: “...une combinaison de représentations peut avoir lieu sans qu’un jugement soit donné. J. St. Mill...a déjà remarqué que quand je dis “montagne d’or”, c’est une combinaison de représentations, mais pas un jugement...Mill a également montré que, que je crois ou non que Mahommet était un prophète de Dieu, je dois combiner les deux concepts “prophète de Dieu” et “Mahommet” l’un avec l’autre.” Cite Mill: “To determine what it is that happens in the case of assent or dissent besides putting two ideas together is one of the most intricate of metaphysical problems” Mais pour lui la synthèse n’est même pas nécessaire, voir par exemple: il pleut, Dieu existe, etc... M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori 1.2. le jugement chez Frege M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le jugement chez Frege I on pourrait s’attendre à voir le jugement disparaître chez Frege, mais en fait, il figure, par un symbole particulier, dans sa théorie logique initiale (Frege, 1879). Il était particulièrement attaché à cette innovation (voir Frege, 1906) . Frege (1879) distingue entre le jugement marqué par |−A et le contenu du jugement marqué par −A Quand | − A est employé, celui qui écrit exprime qu’il tient pour vrai −A, tandis que si −A il ne fait qu’attirer l’attention sur −A. M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le jugement chez Frege . Frege (1891), “Fonction et concept’ “Quand on écrit une égalité ou une inégalité, par exemple 5>4, on pense communément avoir en même temps énoncé un jugement, on veut affirmer que 5 est plus grand que 4. Dans la conception que je viens d’exposer, “5>4” ou “1+3=5” ne sont que l’expression de valeurs de vérité, sans que rien y soit affirmé. Cette séparation du jugement et de ce sur quoi l’on juge semble inévitable; sinon, on ne pourrait exprimer une simple donnée, la position d’un cas, sans en même temps juger de son occurence. Nous avons donc besoin d’un signe particulier pour l’affirmation. J’emploie à cette fin un trait vertical placé à l’extrêmité gauche de l’horizontal, en sorte que en écrivant “| − 2 + 3 = 5” on affirme: 2+3 est égal à 5. On a donc pas seulement écrit une valeur de vérité comme dans “2 + 3 = 5” on a dit en même temps que c’est le vrai.” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori Frege: la pensée et les jugements I ultérieurement, Frege élabore le contenu du jugement comme pensée (Gedänke) = “ce dont on peut se demander s’il est vrai ou faux” (on parlerait aujourd’hui plutôt de ‘proposition’) . pensée = sens (Sinn) d’une proposition affirmative (6= impérative ou optative) I distinction entre “1. La saisie de la pensée - l’acte de penser. 2. la reconnaissance de la vérité d’une pensée - le jugement. 3. la manifestation de ce jugement - l’affirmation.” (Frege, 1918-9, p. 175-6) . l’acte de penser et le jugement sont deux événements ou états psychologiques qu’on doit distinguer de leur objet, la pensée (Gedänke). M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori nature du jugement I pas de ‘théorie synthétique du jugement’ (TSJ), pas même sous une forme générale comme celle que l’on trouve chez Kant (cf. Frege 1918-9, p. 205) . dans la TSJ, le jugement semble constituer son objet par un acte de l’esprit ; chez Frege, par le jugement quelque chose de vrai ou faux est tenu pour vrai. Frege (1918-9) “...la liaison des parties n’est pas créée quand le jugement s’applique à la pensée, elle existait antérieurement. Mais la saisie d’une pensée n’est pas non plus une création du penseur, elle ne fonde pas l’ordre des parties. La pensée était déjà vraie, avant même d’être saisie, elle consistait déjà dans tel ordre de ses parties. ” (p. 205) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori nature du jugement I le jugement est uniforme (i) pas de distinction entre jugement affirmatif et jugement négatif: dans les deux cas, on tient pour vrais des contenus Jean juge que Paul est grand = Jean tient pour vrai (le contenu exprimé par) ‘Paul est grand’ Jean juge que Paul n’est pas grand = Jean tient pour vrai (le contenu exprimé par) ‘Paul n’est pas grand’ (ii) pas de distinction entre jugement catégorique et jugement hypothétique: Jean juge que si Paul boit, Marie trinque = Jean tient pour vrai (le contenu exprimé par) ‘si Paul boit, Marie trinque’ M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le ‘Frege-Geach point’ I les ingrédients de base de l’analyse frégéenne du jugement se manifestent dans ce que l’on appelle de ‘Frege-Geach point’ (FGp) “Une pensée peut avoir le même contenu, qu’on la tienne pour vrai (assent to its truth) ou non ; une proposition peut apparaître dans le discours, ici affirmée, là non, en étant pourtant manifestement la même proposition.” (Geach 1964, pp. 449) I arg ]1: le (FGp) permet de comprendre une inférence comme le modus ponens si p, alors q p ———————— q Pourquoi ? Parce que (i) p n’est pas affirmé dans ‘si p, alors q’, mais que (ii) si les deux occurences de p n’étaient pas le même énoncé, on ne pourrait pas conclure à q. M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le ‘Frege-Geach point’ I arg ]2: le (FGp) permet de comprendre les énoncés complexes formés avec les connecteurs véri-fonctionnels. ex: quand on affirme ‘p ou q’, on affirme ni p, ni q. Mais si ce qu’on affirme est déterminé par p et q, alors p et q veulent dire quelque chose indépendamment du fait qu’ils sont affirmés. M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le ‘Frege-Geach point’ et la négation I arg ]3: symétriquement au (FGp), on peut considérer la négation de p sans rejeter (ou tenir pour fausse) p ⇒ l’analyse de la négation ne peut se contenter de supposer une attitude psychologique (resp. un acte de langage) qui serait l’oppposé du jugement (resp. de l’affirmation) - ce qui correspond aux ‘jugements négatifs’ dans la logique traditionnelle -, il faut un opérateur propositionnel de négation. . on peut aller plus loin et soutenir que le jugement négatif n’est pas nécessaire, et qu’on peut s’en dispenser. . si l’on reconnaissait deux formes de jugement, il faudrait distinguer, par exemple, deux schémas d’inférence pour le modus ponens, que l’on peut représenter avec un signe d’affirmation ` et un signe de rejet a (MP1) ` si p, alors q ; or ` p ; donc ` q (MP2) ` si ¬p, alors q ; or a p ; donc ` q M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le ‘Frege-Geach point’ et la négation . Frege (1918-9) “On rejettera donc l’hypothèse qu’il existerait deux manières de juger. Quelles en seront les conséquences ? Cette décision pourrait être estimée vaine s’il n’en résultait une économie des éléments logiques principiels et de leur expression linguistique. Tant qu’on admet deux manières de juger, il faudra: 1. Une affirmation pour l’assentiment. 2. Une affirmation pour le refus, liée dans un rapport inextricable avec le mot “faux”. 3. Les mots de négation comme “ne...pas” dans les propositions énoncés sans être affirmées. Si on admet, à l’inverse, une seule manière de juger, il faudra: 1. Une affirmation. 2. Un terme de négation. Une telle économie est toujours le signe d’une analyse plus pénétrante, laquelle permet une intelligence plus claire.” (p. 209) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori les implications supposées du ‘Frege-Geach point’ . le (FGp) est intensivement discuté dans l’analyse des propositions morales (et de valeur), comme une objection aux théories non-cognitivistes = (1) les énoncés moraux n’ont pas de conditions de vérité (non-factualisme sémantique) (2) les affirmations d’énoncés moraux n’expriment pas des croyances à propos de ce qui est, mais des attitudes psychologiques non-cognitives (semblables au désir ou à l’approbation, ou à une émotion). I application du (FGp): que signifient les énoncés moraux quand ils ne sont pas affirmés ? comment expliquer qu’ils se laissent composer, et qu’ils figurent dans les inférences, comme les autres énoncés ? M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori les implications supposées du ‘Frege-Geach point’ . exemple: (P1) s’il est mauvais de tourmenter le chat, alors il est mauvais d’encourager ton petit frère à le faire (P2) il est mauvais de tourmenter le chat ———————————————il est mauvais d’encourager ton petit frère à tourmenter le chat si, quand quelqu’un affirme (P2), c’est pour dire qu’il désapprouve que l’on tourmente le chat, quelqu’un peut en revanche affirmer (P1) sans désapprouver que l’on tourmente le chat. Donc les occurences de ‘il est mauvais de tourmenter le chat’ dans (P1) et (P2) n’ont pas la même signification, mais alors pourquoi l’argument est valide ? M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori ontologie des pensées I les pensées appartiennent à un “troisième monde” qui n’est ni le monde psychologique, ni le monde physique. I un jugement ne crée pas son objet mais “On pense que celui qui juge crée l’enchaînement, l’ordre des parties, et ce faisant produit le jugement. Cette opinion ne distingue pas la saisie d’une pensée de la reconnaissance de sa vérité...Il est évident que la liaison des parties n’est pas créée quand le jugement s’applique à la pensée, elle existait antérieurement. Mais la saisie d’une pensée n’est pas non plus une création du penseur, elle ne fonde pas l’ordre des parties. La pensée était déjà vraie, avant même d’être saisie, elle consistait déjà dans tel ordre de ses parties. ” (p. 194) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori ontologie des pensées . Frege, 1918-9 “Comment agit une pensée ? Par cela même qu’elle est saisie et tenue pour vraie. C’est un événement dans le monde intérieur d’un être pensant, il peut avoir quelques effets dans ce monde intérieur, et ceux-ci, pénétrant la volonté, se manifeteront dans le monde extérieur. Si je saisis la pensée que nous énonçons dans le théorème de Pythagore, la conséquence peut en être que j’admets sa vérité, puis que je l’applique en prenant une décision qui met en oeuvre des accélérations de masse. Ainsi nos actes sont ordinairement préparés par l’acte de penser et de juger.” (p. 194) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori jugement, logique et psychologie I perplexité: pourquoi cette présence d’un concept psychologique en logique, alors que l’une des thèses fondamentales de Frege est son anti-psychologisme = la logique et la psychologie doivent être séparées (cf. Curry (1987), Smith (201?)) Frege (1897) “En logique, toutes les distinctions qui sont faites dans une perspective purement psychologique sont à rejeter. Ce que l’on nomme l’approfondissement psychologique de la logique n’est rien d’autre qu’une falsification de la logique par la psychologie.” (p. 167) I élément de résolution: pour Frege, - logique = théorie de l’inférence valide, et - inférer = former de nouveaux jugements à partir d’anciens (voir citation initiale). Les jugements sont pertinents pour l’inférence. De fait, Frege (1879-1891): “...sont à rejeter toutes les distinctions qui, en logique, ne sont faites que d’un point de vue psychologique, et qui sont indifférentes pour l’inférence...” (p. 14) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori le jugement chez Frege I la différence entre la conception contemporaine et la conception de Frege s’aperçoit aussi quand il dit dans sa correspondance (cit. par Smith, 201?) que “l’on ne peut inférer que de propositions vraies. Anisi, si un ensemble de propositions contient une proposition dont la vérité n’est pas encore connue, ou qui est certainement fausse, alors on ne peut pas se servir de cette proposition pour l’inférence.” M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori Frege . Ecrits Posthumes (1897) “Ce qu’on appelle souvent “lois de la pensée”, c’est-à-dire les lois d’après lesquelles procède, au moins dans les cas normaux, notre activité de jugement, ces lois ne peuvent jamais être que des lois du tenir-pour-vrai, et non des lois des l’être-vrai. Celui qui tient quelque chose pour vrai...reconnaît par là qu’il existe quelque chose comme le fait, pour une chose, d’être vraie. Mais alors il est tout à fait vraisemblable qu’il y a aussi des lois de l’être-vrai, et s’il y en a, elles doivent être la norme pour le tenir-pour-vrai.”(p. 172) M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori 1.3. conclusions M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori conclusions (i) les conceptions mentalistes (psychologique ou épistémologique) de la logique placent le jugement au coeur de la théorie logique (ii) la logique contemporaine s’est écartée de ces conceptions et ne traite plus (explicitement) du jugement (iii) les conceptions mentalistes alternent avec des conceptions plus linguistiques depuis Thomas d’Aquin (au moins) et ont très largement dominé entre le 17e et la fin du 19e (cf. Logique de Port-Royal) (iv) le jugement est alors d’abord analysé comme une synthèse (de concepts ou d’idées, exprimés dans le langage par le sujet et le prédicat) (vi) les formes logiques ont leur origine dans les formes du jugement M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori conclusions (v) Frege continue d’accorder aux jugements une place en logique, mais (a) abandonne la théorie synthétique du jugement pour une analyse uniforme et moins explicite du jugement comme acte de tenir pour vrai un contenu (b) déplace les formes logiques des formes du jugement vers les formes des contenus du jugement M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori références: sources I Arnaud & Nicole (1683) Logique de Port-Royal, Lille: Librairie Giard, 1964 I Kant (1800) Logique, trad.fr., Paris: Vrin, 1970 I Frege, G. (1879) L’idéographie, trad.fr. Paris: Vrin I Frege, G. (1879-1891) “Logique”, in Frege (1969/1994) I Frege, G. (1897) “Logique”, in Frege (1969/1994) I Frege, G. (1918-19) “La pensée”, in Frege (1971) I Frege, G. (1918-19) “La négation”, in Frege (1971) I Frege, G. (1969/1994) Ecrits posthumes, trad.fr., Nîmes: Jacqueline Chambon I Frege, G. (1971) Ecrits logiques et philosophiques, trad.fr, Paris: Seuil M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori références I Anderson, L. (2008) “Comments on Wayne Martin, Theories of Judgment”, Philosophical Studies, 137, pp. 91-108 I Corcoran, J. (2011), “Hare and Others on the Proposition”, Principia, 15(1), pp. 51-76 I Currie, G. (1987) “Remarks on Frege’s Conception of Inference”, Notre Dame Journal of Formal Logic, 28(1) I Hanna, Robert, “Kant’s Theory of Judgment”, The Stanford Encyclopedia of Philosophy (Summer 2011 Edition), Edward N. Zalta (ed.), URL = <http://plato.stanford.edu/archives/sum2011/entries/kantjudgment/> I Kretzmann, N. (1970) “Medieval Logicians and the Meaning of the Propositio”, 67(20), pp. 767-787 I Martin, W. (2006) Theories of Judgment, Cambridge: CUP M. Cozic logique et jugement catégorique, 1 Approfondissement en théori références I Martin-Löf, P. 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