Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer

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Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
Notes d’allocution
Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
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Notes d’allocution
Diane Lavallée, curatrice publique
Consultation publique sur les conditions de vie des aînés
Montréal, le 26 octobre 2007
Ce document accompagne le mémoire du Curateur public du Québec intitulé Vieillissement et
inaptitude : un enjeu à considérer qui a été présenté lors de la Consultation publique sur les conditions
de vie des aînés. Pour plus de renseignements, s’adresser à :
Le Curateur public du Québec
600, boul. René-Lévesque Ouest
Montréal (Québec) H3B 4W9
Téléphone : 514 873-4074
Télécopieur : 514 873-4972
Courriel : [email protected]
Web : www.curateur.gouv.qc.ca
© Gouvernement du Québec, octobre 2007
La reproduction totale ou partielle de ce document est autorisée, à la condition que la source soit
mentionnée.
Madame la Ministre,
Madame et Monsieur les coprésidents,
Madame Sheila Goldbloom et Docteur Réjean Hébert,
Je profite de l’occasion qui m’est donnée aujourd’hui pour vous parler des
personnes que je représente. À titre de curatrice publique du Québec, je veille à
la protection de 11 000 majeurs que les tribunaux québécois ont déclarés
inaptes. De ce nombre, 4 000 personnes sont âgées de plus de 65 ans.
Avec le soutien de tout le personnel du Curateur public, j’ai la responsabilité de
veiller sur des hommes et des femmes dont personne d’autre ne veut ou ne peut
s’occuper. Cette tâche est complexe, car elle englobe tous les aspects de leur
vie, comme les soins médicaux, l’hébergement, la gestion de leur patrimoine et la
défense de leurs droits.
À ces personnes, dont je suis personnellement la tutrice ou la curatrice, il faut en
ajouter plus de 15 000 autres qui sont sous la responsabilité d’un proche, soit
dans le cadre d’un régime de protection privé, soit dans le cadre d’un mandat de
protection : je veille aussi au respect de leurs droits, mais en retrait, la loi me
confiant l’application des mesures de contrôle ou de surveillance qui visent à
s’assurer que ce proche s’acquitte correctement de ses obligations.
Si je me présente devant vous aujourd’hui, c’est parce que les 65 ans et plus
comptent pour 58 % des majeurs sous protection juridique. Leur âge moyen,
selon le type de régime, tourne autour de 80 ans.
En tant que curatrice publique, j’ai le devoir de sensibiliser l’ensemble des
intervenants et des décideurs à la réalité de ces personnes. C’est pour cette
raison que le Curateur public a déposé un mémoire à la Consultation publique
sur les conditions de vie des aînés.
Qu’est-ce qu’un aîné inapte?
Une personne aînée inapte, c’est Lucie, 84 ans, célibataire sans enfant qui
souffre de la maladie d’Alzheimer; c’est Gilles, 67 ans, schizophrène, qui omet
parfois de prendre ses médicaments ou encore, Béatrice, 78 ans, qui a subi un
grave traumatisme crânien dans un accident de voiture, il y a une vingtaine
d’années. Enfin, c’est Claude, atteint d’une déficience intellectuelle, et dont la
mère, qui a vu à ses besoins pendant des décennies, est maintenant trop âgée
pour lui accorder tous les soins qu’il requiert.
Lucie, Gilles, Béatrice et Claude ne correspondent en rien à l’image d’un âge d’or
qui rime avec voyages, parties de golf ou bénévolat dans la communauté. Dans
leur cas, des inaptitudes diverses s’ajoutent à la vieillesse.
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Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
Parmi les 65 ans et plus sous régime de protection public au 31 mars 2007, 36 %
avaient une maladie dégénérative, 32 %, une maladie mentale et 25 %, une
déficience intellectuelle.
Une réalité qui n’a rien de doré
Ces personnes âgées que je représente ne sont pas « rentables » au sens étroit
et économiste du terme. Leurs besoins sont inversement proportionnels à leur
rendement. Leur contribution active, quand elle s’est déjà manifestée, appartient
à un passé révolu.
Leur condition actuelle nous renvoie à notre conception de la personne humaine
et à ce qui fonde sa dignité. Peut-être, également, à l’avenir implacable qui nous
attend et que, trop souvent, nous préférons ne pas envisager.
Pourtant, si, comme société, nous voulons nous assurer que l’inaptitude jumelée
à la vieillesse ne sera pas un facteur d’exclusion supplémentaire, il faut accepter
de voir les souffrances de ces aînés pour mieux les accompagner jusqu’à la fin
de leurs jours.
Ce serait aussi jouer à l’autruche que d’ignorer la nouvelle réalité
démographique : avec la hausse de l’espérance de vie vient aussi une
augmentation des maladies dégénératives. Les chiffres du Curateur public à cet
égard sont éloquents. Les personnes âgées ayant une maladie dégénérative
représentaient 43 % des nouvelles entrées dans un régime de protection public
en 2006-2007, contre 39 % en 2000-2001. La hausse est constante depuis les
dernières années. Quelle proportion des citoyens protégés occuperont ces
personnes dans 10 ans, dans 20 ans?
C’est peut-être un lieu commun, mais j’insiste : pour préparer l’avenir, nous ne
pouvons ignorer le présent. Fermer les yeux sur les conditions de vie actuelles
des personnes âgées inaptes équivaudrait à en faire des citoyennes et des
citoyens de seconde zone. Plus égoïstement, nous aurions aussi avantage à
réagir aujourd’hui à ce qui pourrait nous arriver demain, alors que nous serons
plus nombreux à vivre jusqu’à un âge très avancé.
Assurons-nous donc de donner un minimum de dignité à celles et ceux qui sont
touchés à la fois par les problèmes courants liés à la vieillesse et par d’autres,
plus graves, découlant de l’inaptitude.
Bien sûr, le réseau de la santé et des services sociaux offre différents services
en matière de soins et de soutien aux personnes aînées inaptes. Les familles
font aussi beaucoup pour les soutenir. Mais il y a encore des problèmes à régler,
comme en font foi les différents témoignages entendus pendant la Consultation
publique sur les conditions de vie des aînés. Et ce, particulièrement lorsqu’il y a
inaptitude.
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Quels sont donc les problèmes?
L’hébergement
Pour les personnes aînées inaptes, l’hébergement est un élément crucial. Par
hébergement, j’entends non seulement le logement, mais aussi tous les services
de santé et de soutien qu’elles requièrent quotidiennement. Je vous rappelle que
96 % des aînés sous régime de protection public et 78 % de ceux qui bénéficient
d’un régime privé vivent dans une ressource d’hébergement.
Comme je vous le disais un peu plus tôt, une maladie dégénérative, une maladie
mentale ou une déficience intellectuelle sont les causes les plus courantes de
l’inaptitude chez les 65 ans ou plus.
Même si les personnes affectées d’une déficience intellectuelle continuent d’avoir
une espérance de vie plus courte que la moyenne de la population, elles
atteignent maintenant l’âge où elles peuvent avoir besoin de soins gériatriques.
Quant aux personnes souffrant de troubles mentaux graves et persistants, elles
ont une espérance de vie plus proche de la moyenne. Avant la
désinstitutionnalisation des années 1980, elles vieillissaient généralement dans
un établissement psychiatrique équipé pour leur fournir des soins de longue
durée.
Aujourd’hui, après un détour du côté des ressources intermédiaires ou des
ressources de type familial, ces deux groupes sont souvent dirigés vers des
établissements de soins de longue durée, les CHSLD. Or, ce sont des milieux
plus fermés, à stimulation réduite, pas nécessairement adaptés à la situation de
ces personnes.
Par ailleurs, il y a deux ans, le ministère de la Santé et des Services sociaux
annonçait le gel des places en CHSLD de façon à favoriser le maintien à
domicile ou des formes d’hébergement privées. Nous ne sommes pas contre ce
choix, mais il faut s’assurer que les aînés inaptes auront accès aux soins dont ils
ont besoin, de même qu’à des mesures de soutien au logement qui tiennent
compte de leurs revenus. Or, de toute évidence, il manque encore des places
d’hébergement, comme l’attestent les listes d’attente.
De leur côté, les centres de réadaptation en déficience intellectuelle ont
commencé à préparer le transfert d’aînés en CHSLD, mais manifestement, ils ne
sont pas assez préparés à le faire et le processus s’avère plus lent que prévu. À
titre d’exemple, il est arrivé que, faute de moyens adéquats pour gérer des
troubles du comportement, un CHSLD retourne un aîné dans son hébergement
d’origine.
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Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
Enfin, malgré les politiques de réinsertion, beaucoup d’aînés ayant une maladie
mentale grave sont restés en milieu psychiatrique. Dans certains cas, leurs
symptômes se sont atténués avec le temps. Mais après des décennies
d’internement, leur déplacement dans des ressources intermédiaires n’a pas été
concluant et a fait réapparaître certaines manifestations de leur maladie. Il faut
donc les garder en établissement, mais dans un CHSLD installé à l’intérieur d’un
hôpital psychiatrique, qui offre un milieu de vie adapté à leur situation. Une forme
de réinstitutionnalisation, quoi!
Toutes ces situations illustrent à quel point les besoins des personnes aînées
inaptes sont pointus et complexes. Nous devons absolument en tenir compte
dans les décisions et les politiques concernant leur hébergement. Il faut éviter
que ce groupe de la population se retrouve pris dans les dédales d’un système
qui les ballotterait à gauche et à droite, à cause d’un manque de ressources
adéquates.
L’hébergement en résidence privée
Quant aux résidences privées, même si bon nombre d’entre elles offrent un
hébergement de qualité, d’autres présentent de sérieuses lacunes. Au cours des
dernières années, on y a constaté divers problèmes, comme le manque
d’hygiène ou l’absence de services de base. Depuis 1999, le Curateur public a
donc décrété un moratoire sur l’hébergement dans ce réseau. Il n’y consent
qu’en dernier recours, dans certains cas seulement.
La certification obligatoire des résidences privées pour personnes âgées,
réclamée par le Curateur public et par de nombreux organismes, devrait
permettre d’exercer un meilleur contrôle de qualité. Mais même convenables, les
résidences privées ont leurs limites. Le respect de normes reconnues n’offrira de
garantie de sécurité que dans la mesure où l’on évitera de demander à ces
résidences d’accueillir des personnes à qui elles ne sont pas en mesure d’offrir
certains soins plus spécialisés.
Les proches aidants
Les enquêtes indiquent que les familles fournissent 80 % des soins à domicile.
La tendance est la même pour les régimes de protection : les trois quarts des
aînés protégés sont sous la responsabilité d’un proche, soit dans le cadre d’un
régime privé, soit dans le cadre d’un mandat de protection. Plus de six fois sur
dix, ce proche est une femme.
Malheureusement, le maintien à domicile est encore marqué par un sousfinancement chronique au Québec. Le transfert des patients du milieu
institutionnel vers un milieu dit « naturel » a souvent été plus rapide que la
présence de services équivalents au point d’arrivée. Pour les familles, cela
représente souvent une hausse du fardeau financier, car certains services offerts
gratuitement en hébergement public ne sont plus subventionnés, ou le sont dans
une moindre mesure.
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Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
Il faut être conséquent avec ces choix. Sans s’attarder aux modalités qui ne sont
pas du domaine de ses compétences, le Curateur public appuie toute mesure
visant à accroître le soutien aux proches aidants et le maintien à domicile dans
des conditions acceptables pour les aînés vulnérables.
Du côté de la protection juridique, le Curateur public a entrepris un « virage
préventif » axé sur le soutien aux proches qui assument la charge de tuteur ou
de curateur dans le cadre d’un régime privé. Depuis quelques années, nous
avons mis l’accent sur l’information qui leur est donnée afin de les aider à
assumer leurs obligations. Cela peut également contribuer à réduire les
négligences et les abus.
La maltraitance
L’inaptitude rend les personnes âgées particulièrement vulnérables. Si les aînés
en général sont l’objet de stéréotypes auxquels ils souhaitent échapper, les
personnes aînées protégées les cumulent tous et, selon toute apparence, y
correspondent : elles sont gravement handicapées, leurs facultés sont altérées et
elles sont socialement dépendantes.
Cela démontre bien l’importance de s’interroger sur toute forme de stigmatisation
des aînés inaptes, car les préjugés font le lit de la maltraitance. Les négligences
envers ces personnes se rapportent généralement à leurs besoins essentiels :
l’alimentation, l’hygiène, le logement, la liberté d’aller et venir, les soins
médicaux, la médication, etc. Ils sont le fait de proches ou de familiers dont
dépendent les citoyens vulnérables.
Tout comme le Directeur de la protection de la jeunesse le fait pour les mineurs,
le Curateur public a le pouvoir d’intervenir lorsqu’il reçoit un signalement pour
une personne adulte inapte. Dans ce sens, chaque citoyen a la responsabilité de
nous signaler des situations d’abus dont il serait témoin envers des personnes
inaptes ou présumées inaptes. Le Curateur public vérifie l’information et, lorsqu’il
y a lieu, s’assure de rétablir des conditions pour que la victime de maltraitance ou
d’abus soit en sécurité. Selon nos statistiques, 55 % des signalements traités en
2006-2007 mettaient en cause des aînés.
Cependant, la majorité des cas de maltraitance ou d’exploitation ne seraient
jamais signalés. D’une part, les gens hésitent à dénoncer des situations qui
impliquent un proche. D’autre part, le personnel de la santé et des services
sociaux, les notaires, les avocats et les établissements financiers sont trop
souvent réduits au silence à cause des règles du secret professionnel.
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Vieillissement et inaptitude : un enjeu à considérer
Pourtant, plusieurs provinces canadiennes, notamment l’Ontario, l’Alberta et le
Manitoba, permettent la suspension du secret professionnel lorsqu’il y a lieu de
signaler une situation d’exploitation. Dans certains cas, le signalement est même
obligatoire. Le Québec pourrait-il s’inspirer de ces exemples?
Bien sûr, divers organismes publics défendent les citoyens vulnérables. Qu’on
pense, entre autres, au Protecteur du citoyen, à la Commission des droits de la
personne et des droits de la jeunesse, aux centres de santé et de services
sociaux ou encore, aux comités d’usagers. Le Curateur public a d’ailleurs
entrepris de signer des ententes avec plusieurs d’entre eux afin de coordonner
les efforts dans les cas d’abus envers les personnes protégées.
Mais beaucoup reste à faire. Aussi y a-t-il lieu d’inviter le réseau de la santé et
des services sociaux ainsi que les autres milieux professionnels concernés à se
concerter pour lutter contre la maltraitance envers les aînés.
Cette mobilisation permettrait notamment de conforter le simple citoyen dont
c’est le devoir de signaler aux autorités compétentes les situations d’abus dont il
a été témoin.
Conclusion
À cause de sa proximité avec cette frange vulnérable de la population, le
Curateur public est un observateur privilégié. Je considère que mes
responsabilités vont au-delà de la représentation légale des majeurs inaptes que
le législateur m’a confiée ou de la surveillance des représentants privés. Elles
s’étendent à l’ensemble des personnes inaptes, qu’elles aient ou non un régime
de protection.
Ma présence se veut donc un apport aux travaux de votre commission, en
traduisant la situation des personnes âgées inaptes et de leurs besoins, afin que
toutes les mesures, politiques et actions qui découleront de cette consultation
prennent en compte leurs réalités.
Enfin, je nous invite toutes et tous à demeurer attentifs aux besoins des
personnes âgées inaptes. Ignorer cette situation, ce serait leur refuser la dignité
et le maintien de leur autonomie, allant ainsi à l’encontre du plus strict respect de
leurs droits.
En leur nom, je vous remercie de l’attention que vous porterez à leur situation.
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