« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m`enrichis. »

Transcription

« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m`enrichis. »
« Si tu diffères de moi, mon frère, loin de me léser, tu m’enrichis. »
Antoine de Saint Exupéry
Texte de Amalia MOLINA
présentée par le district Ile de France Ouest
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Convention nationale 28 Juin 2011 Poitiers Futuroscope
SI JE DIFFERE DE TOI, LOIN DE ME LESER, JE T’AUGMENTE
Bonjour !
Je m’appelle Amalia, et je voulais vous dire que si je diffère de vous, loin de me léser , je vous augmente .
C’est un aviateur qui l’a dit ; enfin, il devait vraiment avoir de grandes ailes car il est l’un des rares à nous avoir vus,
nous, tels que nous sommes, dévoilant notre humanité en acceptant de regarder autrement. Alors aujourd’hui,
nous n’allons peut-être pas prendre l’avion, mais au moins prendre le train. Un train,….Paris-Toulouse, quoi de
mieux pour faire l’éloge de la différence ? Attendez un peu, vous allez comprendre. Ah oui et puis, faire l’éloge de
la différence, c’est déjà porter un jugement sur elle, alors qu’avant de lui faire un quelconque procès, écoutons là
d’abord un peu parler.
Ainsi, un train Paris-Toulouse disais-je, quoi de mieux pour faire l’expérience dite « du voisin ». Vous
savez bien, un train c’est un siège de 50cm sur 50 cm, oui c’est çà environ 1mètre carré, des bagages jusque là, le
voisin qui ronfle, le bébé qui pleure ….Nous ne sommes jamais tout seuls dans un wagon. Un wagon, c’est 60
places, retour de vacances : 1000 personnes, et une allée de 50 cm entre 2 rangées de sièges, alors ça en fait des
rencontres et des bousculades ! Et souvent, bercés par le ronronnement monotone du train qui nous amène vers je
ne sais quel destin, nous laissons notre regard se promener, et au détour d’un sac à main, dans le reflet d’une
vitre, soudain voilà que l’on croise le regard du voisin, et hop on détourne les yeux, « non chérie, ça ne se fait pas
de dévisager les gens »
Alors quel plus bel exemple de cette appréhension que nous avons de notre voisin. De cette distance
que l’on croit instinctivement nécessaire de maintenir entre nous, et l’Autre. Cette ALTERITE, oui mesdames,
messieurs, que nous serions même tentés d’écrire avec un grand A tant nous cachons derrière ce mot toute notre
incertitude, nos à priori, des rumeurs, nos peurs.
Car à ce stade, que perçoit-on réellement de l’autre ? une odeur ? Une apparence ? Reflet d’une appartenance
sociale ? Voilà que nous avons vite fait le lien, et notre corps devient tissu de nos conditions économiques et
sociales comme le disait Marx. Une apparence nous trahit. Et combien de personnes le croient encore et en ont la
devise d’une hiérarchie sociale ? Des chaussures usées, qu’est-ce que cela prouve ? Et si j’étais venue en jogging
aujourd’hui, m’auriez vous écoutée… ?
Alors oui, quel beau tissu et combien le jugement de l’étoffe est facile.
Décadence sociale, ostracisation, relégation, déviance, misère urbaine, question raciale, culture et ghetto,
stigmatisation des victimes, démission collective…Tant de mots, que nos journaux crachent chaque jour à NewYork ou à Tokyo, sur les rives du Gange ou sous les yeux d’un peintre amoureux de la Seine ; et qu’importe celui
qui meurt sous le pont. Et dans les prisons de Nantes ou du Chili, nostalgie de la lumière peut-être, peut-être estce cette cécité sociale. Oui nous sommes devenus aveugles, et entre invisibilité et haine, voilà que notre cœur
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balance. Population invisible dans les artères de la vie sociale, économie informelle, peut-être sommes nous
simplement devenus des produits, que l’on juge, critique, que l’on s’arrache à la vente aux enchères, à qui sera le
moins cher, à qui sera le mieux, aura le plus de goût…quelle réalité bien indigeste.
Et dans ce monde qui pousse, dans ce monde qui crie, de cette pluie qui coule et de tout ce qu’on nous roule,
nous serions tentés comme Stendhal d’affirmer que nous avons assez vécu pour savoir que « la différence
engendre la haine ».
Mais Saint Exupéry nous dit Stop : Indignez-vous !
Et du lycée avec celui qui mange seul , à la rue avec celui qui mis au banc de la société, à celui que l’on tue dans
une église ou dans une mosquée, avec un mot, une insulte, de l’argent, de la dynamite ; il n’y a pas de peur à
avoir, pas plus que de différence à brandir en arme dès le matin.
Oui nous sommes différents.
Cela est vrai. Même notre mère a été une autre avant que l’on ne l’appelle Maman, et puis même après, je veux
dire, elle ne fait pas partie intégrante de nous. L’autre est différent certes, puisqu’il n’est pas toi, que veux-tu qu’il
soit d’autre ? Ainsi nous sommes tous différents, mais c’est justement parce que nous sommes tous différents que
nous sommes uniques. : vous savez bien qu’« il n’existe qu’un enfant qui est le plus beau du monde, et chaque
mère en a un ».
L’unicité, c’est forger son identité, accomplir une vie, et nous vivons avec les autres, comme dans un train.
D’ailleurs, nous ne serions pas nés sans eux, sans un autre, père, sans une autre, mère. Nous sommes toujours
quelque chose par rapport à quelqu’un. Nos goûts sont les dégoûts des autres. Je suis beau, grand, mince,
gourmand, comparé à lui , je suis égoïste comme elle, j’ai ri avec lui, j’appartiens à ce monde ; de même nous
disons, MON frère, Ma sœur, Mon ami, Mon ennemi, (preuve qu’il nous apporte quelque chose)…Notre langage
est social, alors ne le faisons pas mentir, même les mots nous attachent entre nous . Et savez-vous ce
qu’étymologiquement voulait dire « frater » ? Appartenant à l’espèce humaine, si cela n’est pas la plus belle
preuve que nous sommes tous des frères, et pas qu’en poésie.
Certes nous ne vivons pas dans un monde rose, même les daltoniens vous le diront . Vous savez, tous ensemble
à la même table, nous tenant par la main, cela relève certainement de l’utopie me direz-vous. Et puis alors ! Après
tout, soyons réalistes, demandons l’impossible ! Merci le CHE pour ces paroles d’espoir, nous en avons bien
besoin.
L’autre, c’est une personne qui a vécu, qui a souffert, comme toi, qui s’est relevée, ou pas. Fragments de
vie broyés, assemblons-nous. Elle s’est forgée des opinions, héritière d’une culture, d’une famille, elle voit le
monde et l’a compris d’une façon qui t’étonnera toujours. Elle a des goûts, des couleurs, sur les joues, dans les
yeux, dans le cœur ! L’autre, c’est celui qui te tient la porte parfois, qui te dit le temps souvent, l’heure par hasard,
qui lit son journal, te donne à manger, t’apprend à lire, à marcher….Et regardez tout ce que nous avons appris à
construire ensemble, justement parce que nous avions des idées très différentes : l’échange constant d’opinions
divergentes nous fait avancer. Un peu comme le disait Châteaubriand dans Mémoires d’outre-tombe : « Mon esprit
fatigué et malade se délasse avec un esprit sain et reposé ». Ainsi PARTAGEONS.
Nous avons besoin l’un de l’autre. C’est notre bonheur qui est en jeu. Solitude, tu fais mal, écueil sans fin,
incolore, tu ne me parles pas ; et les rayons du soleil ne me touchent plus car personne n’est là pour les sentir
avec moi. Main : tu m’es étrangère et cet écart entre les doigts me rappelle sans cesse que la nature l’a fait pour y
placer une autre main, pour y glisser une autre solitude. Solitude, tu me détruis, et je pourrais être noire, jaune,
blanche, rose, violette, différente au possible, à l’extrême, je ferais tout et pourtant je ne serais rien ; peinture
moderne, tâches sur une toile délavée, j’ai froid ô moi que personne ne voit : si personne n’est là en effet pour me
voir en effet, qui suis-je ?
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C’est dans le regard des autres que nous existons.
Ainsi aimons ! Partageons, apprivoisons-nous dirait le petit prince ! Je vous l’ai dit, c’est notre bonheur qui est en
jeu mesdames et messieurs. Et le BONHEUR vient des autres. D’ailleurs, quand bien même la recherche du
bonheur ne serait que la recherche de soi-même pour quelques égoïstes, la réponse vient là encore des autres, et
quelle galère que ce connais toi toi-même.
Cessons de nous considérer comme des produits, économie informelle, stop : arrête le tapis roulant et que
le grondement du train ne nous fasse plus peur, je ne veux plus voir placardé au fronton de nos vies Game Over.
Et si comme Voltaire j’avais une prière à adresser à Dieu, « Tu ne nous a point donné un cœur pour nous haïr, et
des mains pour nous égorger ; fais que les petites différences entre les vêtements qui couvrent nos débiles corps
ne soient pas des signaux de haine et de persécution, que ceux qui couvrent leur robe d’une toile blanche pour
dire qu’il faut t’aimer ne détestent pas ceux qui disent la même chose sous un manteau de laine noire ; puissent
tous les hommes se souvenir qu’ils sont frères ! »
Et pour finir, j’aimerais simplement vous raconter une anecdote, une rencontre inattendue, qui m’arriva, il y a
quelques mois déjà, dans le métro. Je m’étais assise en face d’un couple de personnes du troisième âge comme
dirait ma grand-mère. Nous avions donc « 2 âges » de différence, nous étions somme toute multicolores au vu de
nos accoutrements, et je suis sûre que beaucoup auraient été persuadés que nos chanteurs préférés ne se
connaissaient pas, bref, nous différions. Et donc ce jour-là, je m’assois. Et pour une fois, mon voisin me regarde,
alors je lui souris, et je lui dis Bonjour ! Le monsieur me dit Bonjour ! Et là nous sommes restés ébahis, comme
deux enfants, étonnés de leur propre audace, immobiles. Et ce monsieur était tellement interloqué, que quelques
instants après, savez-vous ce qu’il m’a dit ? « C’est bien ».
Mais mesdames et messieurs, dans quel monde vivons-nous pour que quelqu’un vous remercie quand on le
salue ?
Ainsi, donnons une accolade au genre humain, et aux inconnus de ce matin, plus inconnus ce soir, donnez leur un
sourire. Dans cet exil nouveau, trouvez un compagnon de voyage. Pris en chasse, aujourd’hui dans ce monde
surinvesti de colères et de peurs, n’oublions pas qu’à l’angle d’une vie, dans le coin d’une dispute, à l’intersection
d’une rue, à la croisée des regards, la rencontre est là ; et tant les lieux, que les mots, que les failles, et les
silences échangés, font que les heures s’envolent pour un peu d’amour partagé.
« Et si quelque fois vous rencontrez une personne
Qui ne sait plus avoir le sourire,
Soyez généreux, donnez lui le vôtre
Car nul n’a tant besoin d’un sourire
Que celui qui ne peut plus en donner aux autres. »
Bonjour, je m’appelle Amalia.
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