télé-réalité en Allemagne qui veut gagner la “Chancelier Academy”?

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télé-réalité en Allemagne qui veut gagner la “Chancelier Academy”?
TAMTAMACTU
“ICH KANN KANZLER !”,
C’EST LE TITRE CHOC
DE CETTE ÉMISSION
DONT TOUT LE MONDE
PARLE OUTRE-RHIN.
LE BUT? IMAGINER UN
CHANCELIER MODÈLE
PARMI DES CANDIDATS DE
18 À 35 ANS, MOBILISER
LES ESPRITS AVANT LES
ÉLECTIONS DE SEPTEMBRE
ET JOUER À FOND LA
POLITIQUE DE L’AUDIENCE.
La chaîne ZDF a-t-elle trouvé la clé
du succès avec cette émission de téléréalité d’inspiration “démocratique” ?
PAR PRUNE ANTOINE, À BERLIN
À la tribune de l’ancien
Parlement de Bonn, un des
candidats présélectionnés
présente ses idées devant le
jury pour accéder à la finale.
Lequel de ces six finalistes l’emportera? Peut-être Antje, qui veut “remettre la famille au cœur de la société”.
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ting de quatre mois et un jury de personnalités chargé de choisir, non sans
rebondissements, les six politiciens en
herbe les plus convaincants. La finale
a été programmée le 19 juin, diffusée
en direct et en prime time. Bouclage
oblige, le nom du gagnant ne peut être
révélé dans ces pages, mais apprenez
ici comment, pour piquer la place d’Angela Merkel, les recrues, âgées de 18 à
35 ans, n’ont pas lésiné sur leurs efforts.
Un véritable programme politique.
Antje Krug, 31 ans, mère célibataire de
quatre enfants au chômage, s’est présentée en février dernier au casting.
« Moi qui ne regarde jamais la télé, j’ai
rempli un dossier de candidature sur Internet », se souvient-elle. Elle a envoyé
une photo, un texte de présentation,
suivi de son projet. Car Antje, qui a
grandi en ex-RDA, a une vision pour
« changer l’Allemagne ». Patronne de
sa tribu, elle aimerait « remettre la famille au cœur de la société ». L’Allemagne
a, selon elle, une politique d’éducation
désastreuse. Enfants des rues, enfants
battus, allocations parentales (« Eltern
geld ») insuffisantes : « Il faut, dit la candidate, des parents plus forts pour une
société plus forte. » Après avoir passé
avec succès la deuxième étape des sélections à Bonn, elle a su convaincre
les membres du jury, composé d’Enge
Angelke, une comédienne et humoriste très connue, d’Henning Scherf, ancien maire de Brême et membre du
SPD, et du présentateur et producteur
de télévision vedette, Günther Jauch.
PHOTOS STEFAN MENNE/ZDF ET AXEL SCHMIDT
C
’est la première émission
de télé-réalité politique
en Europe. À trois mois
des élections législatives
en Allemagne, qui décideront de la reconduction (ou non) d’Angela Merkel à la tête
du pays, chacun cherche son chancelier.
Les médias surtout entendent bien titiller la fibre citoyenne, tout en grignotant des parts de marché. C’est ainsi
que la ZDF, première chaîne publique
outre-Rhin, a lancé son émission « Ich
kann Kanzler! » (Moi aussi, je peux être
chancelier!) Le show promet de dénicher de futurs jeunes talents de la rhétorique. Si possible, photogéniques.
Une tâche titanesque pour la production : 2500 candidatures reçues, un cas-
PHOTOS STEFAN MENNE/ZDF
télé-réalité en Allemagne
qui veut gagner la “Chancelier Academy”?
En route pour la finale, Antje Krug, même si elle n’emporte pas le vote des
téléspectateurs, a déjà « tout gagné » :
la notoriété au moins.
Pousser les jeunes à s’engager. Ce « Nouvelle Star » à la sauce civique entend
surtout sensibiliser les jeunes à la politique, alors que l’Allemagne connaît en
2009 sa « super année » électorale :
scrutin des européennes en juin, régionales cet été et législatives en septembre. « Le timing de l’émission n’est pas
un hasard », reconnaît Roman Beuler,
rédacteur de l’émission. Opportunisme
ou logique marketing ? L’expérience
s’est révélée plus que convaincante
pour Henning Scherf, l’un des membres
du jury : « Nous n’avons pas trouvé
d’opportunistes, seulement des jeunes
engagés et constructifs. » Une opinion
qui va à contre-courant du phénomène
de désintérêt de la « génération Facebook » pour la politique...
Une émission à hauts risques. « Ich kann
Kanzler! » mise sur un format hybride
inédit, entre casting et divertissement.
Lors du tournage, les concepteurs ont
insisté sur l’émotion, « loin de toute
mise en scène ». Si Roman Beuler refuse de préciser le bugdet alloué de
l’émission, il évoque un programme
« phare » et « risqué » en termes d’audience. Il est vrai que « la chose publique » passionne moins les foules
que les podiums et les paillettes de
« Germany’s Next Topmodel ». Bizarrement, la programmation de l’émission n’a suscité aucune levée de boucliers parmi les cadors de la politique,
un silence qui vaut approbation, selon
la ZDF. Le message officiel
de la chaîne reste clair :
« Nous faisons de la propagande pour la démocratie, mais nous n’allons pas
combattre l’abstention électorale. » L’essentiel est de
provoquer un débat.
Un débat ou des dégâts ?
Pour François Jost, sociologue français qui vient de
publier « Télé-réalité »
(éditions Le Cavalier Bleu),
il s’agit là d’un « discours alibi », fréquemment utilisé par les chaînes pour
justifier la légitimité de leurs programmes. À ses yeux, une émission comme
« Ich kann Kanzler! », en plus de « témoigner d’un manque de représentativité des élites », transmet un message assez populiste : « Faire croire
qu’il suffit d’avoir deux, trois idées et
de la bonne volonté pour changer les
choses. » Magda Cabaj, une brillante
énarque de 31 ans vivant à Paris et
ayant passé sans succès la dernière
étape de l’émission, fustige, elle, l’esprit show qui a régné lors du casting.
« J’ai eu l’impression qu’ils recherchaient des “profils types” en fonction
de quotas, plus que de réelles idées
neuves. » À la ZDF, on se défend de
tout cela : « Nous ne prétendons pas
non plus offrir une carrière. L’émission
reste un jeu! » martèle Roman Beuler.
En Angleterre, la BBC, qui a également
acheté les droits du programme,
compte le diffuser en 2010, lors des
élections générales dans le pays. La
télé, ultime Botox pour les urnes? ■
MERKEL,
LA DISCRÈTE
UNE PREMIÈRE Après Schröder, Kohl
ou Bismarck, l’Allemagne a choisi
une femme à la tête de son système
parlementaire fédéral. En poste depuis
quatre ans, la chancelière allemande
n’affecte guère la politique spectacle.
La récente campagne de publicité qui
l’a dénudée pour vanter les mérites
d’une marque de sous-vêtements?
Face aux photos retouchées de Merkel
placardées sur les murs de Berlin,
courbes girondes et petite culotte, la
chancellerie n’a pas bronché.
SON STYLE Au scandale, Merkel préfère
opposer le silence. La distance et la
froideur est-allemande. Tailleurs stricts,
carré cendré immuable et regard
méfiant, la «gamine», comme l’appelait
affectueusement son protecteur Helmut
Kohl, a neutralisé sans pitié tous ses
ennemis depuis son arrivée au pouvoir.
QUELS RÉSULTATS ? Vingt ans après
la chute du mur de Berlin, le bilan
de la chancelière, dont l’itinéraire
reste intimement lié à la réunification
allemande, reste en demi-teinte :
la crise économique a touché le pays
de plein fouet et son gouvernement de
« grosse coalition » est affaibli. Saurat-elle convaincre ses compatriotes
lors des prochaines législatives?
Plus d’informations sur le gagnant
dans notre édition du 11 juillet.
UN PROGRAMME TRÈS CHARGÉ
POUR PARTICIPER à « Ich kann Kanzler! », les conditions étaient simples : avoir entre
18 et 35 ans, être membre d’un parti politique, mais pas forcément, et suggérer des
propositions concrètes pour améliorer le sort de ses concitoyens.
EN MARS, la rédaction de l’émission a examiné les 2500 candidatures parvenues
par Internet, avant de retenir quarante candidats.
UN CASTING a ensuite été organisé pendant deux jours à Bonn où le jury a choisi
six finalistes sur des questions de culture générale et des discussions plus personnelles.
FIN MAI, les six finalistes se sont retrouvés à Berlin, afin d’apprendre le métier de «politicien»
sur le terrain : conception d’une campagne politique avec collage d’affiche, distribution
de tracts, numéros de charme avec les électeurs dans la rue, le tout évidemment filmé.
EN FINALE, celui qui aura su se montrer le plus convaincant gagnera un stage dans
les institutions allemandes, et un salaire mensuel de chancelier, soit environ 18000 euros.
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