insuffisance rénale aigue néonatale DIU

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insuffisance rénale aigue néonatale DIU
Points essentiels
L’Insuffisance rénale aiguë (IRA) anurique n’est que la face visible de l’iceberg,
l’évaluation de la fonction rénale chez le nouveau-né reste très difficile et repose sur la
clinique et les facteurs de risques anamnestiques.
« Primum Non Nocere » : il ne faut pas ajouter de la néphrotoxicité à une situation
d’IRA. Toute prescription médicamenteuse doit prendre en compte les bénéfices et les
risques à court et long terme.
Ne pas oublier que la néphrogénèse se poursuit jusqu’à 35 SA et que chez un
prématuré le rein n’est pas prêt à assurer sa fonction, il s’adapte comme il peut.
Toute situation clinique néonatale hypoxique est à risque néphrologique, le suivi de ces
enfants se fait sur le très long terme et repose sur une surveillance de la bandelette
urinaire et de la pression artérielle. C’est le capital néphronique résiduel qui compte
pour l’avenir, on doit réfléchir en terme de néphroprotection.
La prise en charge de ces enfants pose souvent des problèmes éthiques dans ce
contexte d’hypoxie, le pronostic néphrologique n’est pas le seul engagé.
I
Introduction
L’insuffisance rénale aiguë (IRA) néonatale a vu son incidence augmenter avec les
progrès de la réanimation (8 à 24% avec une mortalité de 10 à 61%). Mais ces chiffres
sont probablement encore sous estimés du fait de définitions peu adaptées à cette
période de la vie. L’IRA est rarement oligurique à cette période, ce qui entraine un
sous-diagnostic. Les néphrologues savent que beaucoup de situations pathologiques
du nouveau-né sont à risque de donner des restrictions néphroniques dont l’impact sur
la fonction rénale n’apparaitra que des années plus tard. Il faut donc reconnaître au
mieux ces situations, afin de limiter les lésions et de surveiller ces enfants longtemps
après leur sortie d’hospitalisation.
1
II
Mise en place de la fonction rénale chez le nouveau-né
La mise en place de la filtration glomérulaire chez le nouveau-né est un phénomène
continu qui débute avec la néphrogénèse vers 10 SA et se poursuit bien au-delà de la
naissance pour n’atteindre des valeurs adultes que vers l’âge de 1 an. Chez le fœtus
l’ultrafiltration rénale qui participe à la constitution du liquide amniotique (LA) est le
résultat d’un délicat équilibre entre vasoconstriction (système rénine angiotensine sur
l’artériole efférente) et vasodilatation (prostaglandine sur l’artériole afférente). Chez les
prématurés le débit de filtration glomérulaire (DFG) augmente de manière linéaire
depuis la naissance jusqu’ à 35SA (fin de la néphrogénèse) grâce à l’augmentation du
nombre et de la taille des néphrons. Après le terme il y a accélération du DFG qui
double en 2 semaines sans augmentation du nombre de néphrons. En pleine
maturation il est difficile d’évaluer la fonction rénale normale chez le nouveau né en
fonction de tous ces paramètres : âge gestationnel, poids ou taille et pathologies
néonatales ou gravidiques associées.
III Evaluation de la fonction rénale chez le nouveau-né
La classification pRIFLE adopté chez l’enfant pour décrire le niveau de la fonction
rénale n’a pas de validation néonatale. L’évaluation de la fonction rénale repose alors
principalement sur la diurèse et le taux de créatinine. Le profil évolutif de la diurèse des
nouveau-nés rend difficile son interprétation: première miction retardée, alternance de
phases « polyuriques » avec des phases « oliguriques » sur 24 heures. De plus une
diurèse conservée n’élimine pas l’IRA. Par ailleurs il faut une diminution d’au moins
50% de la masse néphronique fonctionnelle pour voir une augmentation des chiffres de
créatinine (variables en fonction de la méthode de dosage). Ce marqueur est donc
tardif, imprécis (plus le DFG physiologique est bas, plus une augmentation de la
créatininémie sous-estime la baisse de ce DFG : une partie de la créatinine est
réabsorbée au niveau tubulaire) et il dépend de la créatinine maternelle, du terme de
l’enfant. La créatinine sanguine est à évaluer dans le contexte clinique, et en fonction
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de la cinétique d’évolution sur plusieurs jours. L’analyse de la fonction rénale sur la
mesure de clairance serait donc en théorie préférable. Seules les clairances de l’inuline
et de la créatinine ont été évaluées chez le nouveau-né (tableau I). La clairance de
l’inuline est probablement la meilleure mais sa réalisation en routine est impossible,
elle
peut
servir
de référence
Schwartz ( clairance =
aux
valeurs
calculées
par
la méthode
de
k × T (cm)
), au mieux avec des k propres à chaque laboratoire
créatP
en fonction de la technique de mesure de la créatininémie (en moyenne 29 si
créatinine en µmol/l et 0,33 si créatinine en mg/dl). Les autres marqueurs de
l’insuffisance rénale n’ont pas fait la preuve de leur efficacité dans l’évaluation du DFG
chez le nouveau-né. Certaines nouvelles molécules comme la lipocaline 2 semblent
prometteuses en permettant un diagnostic précoce avant le stade d’insuffisance
rénale, au moment de la constitution des lésions.
IV Etiologies des insuffisances rénales (IR) néonatales
Les causes d’IR néonatales sont souvent intriquées ou dans la continuité les unes des
autres (tableau II). La plus fréquente est l’asphyxie périnatale, qui peut compliquer une
pathologie anténatale déjà à risque d’IR néonatale (dysplasie multikystique bilatérale,
dysplasie ou hypoplasie rénale bilatérale, valves de l’urètre postérieure ou pathologie
néphrologique congénitale, exposition anténatale aux IEC…), le diagnostic est alors
souvent plus précoce. L’échographie rénale est un examen indispensable au
diagnostic, si possible avec un doppler, associée à la bandelette urinaire qui recherche
du sang (penser aux thromboses artérielles) ou des protéines (témoins de lésions
rénales). Tout nouveau-né hospitalisé doit donc être considéré à risque d’IRA, ce qui
implique une surveillance de la PA, de la bandelette urinaire, et de la diurèse, seuls
marqueurs disponibles quotidiennement. Les situations avec anuries sont rares, elles
ne posent pas de difficultés diagnostiques mais laissent déjà entrevoir un risque de
réduction néphronique sévère, d’autant plus que l’anurie se prolonge. En l’absence
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d’anurie, les situations à risque recherchées sont l’asphyxie périnatale quel que soit le
degré (Sarnat I à III), un score d’APGAR ≤6 à 5 minutes, l’utilisation récente (ante ou
post-natal) de médicaments néphrotoxiques, les cardiopathies congénitales, les
situations de déshydratations sévères (grande prématurité, perte de sel), et les chocs
septiques.
V Prise en charge
Dans ces situations d’IR, ou à risque d’IR, il faudra mettre en place les règles de
néphroprotection, éviter l’agression néphrologique iatrogénique pour protéger le capital
néphronique. L’utilisation de diurétiques à la phase initiale de l’insuffisance rénale
oligurique peut aider à maintenir un débit urinaire mais également à protéger le rein.
Ce traitement doit être arrêté rapidement en cas d’inefficacité. La dopamine n’a pas
montré d’amélioration du pronostic ni de diminution du recours à la dialyse, quelle que
soit la dose utilisée. La dopamine peut cependant être nécessaire à maintenir une
hémodynamique stable chez le nouveau-né, de même que toute autre molécule
permettant
le
L’échographie
maintien
doppler
de
l’hémodynamique
cardiaque
et
rénale
(Dobutamine,
permet
une
hydrocortisone.
l’évaluation
de
l’hémodynamique plus fine, associée à la clinique et la mesure de la PA. Il faut éviter
tout médicament néphrotoxique ou en adapter les posologies s’ils sont indispensables.
Le reste du traitement est très symptomatique et va de la correction de l‘équilibre
acido-basique au maintien de l’homéostasie sanguine qui nécessite parfois le recours
à la dialyse péritonéale le temps que la diurèse reprenne. Dans la pratique seule
l’anurie prolongée nécessite une dialyse urgente, les autres indications sont évaluées
sur l’ensemble du tableau clinique, anamnestique et biologique. La question de la mise
en route de la dialyse doit également tenir compte du pronostic extra rénal
(encéphalopathie ischémo-anoxique associée) et du pronostic rénal (risque d’évolution
vers une insuffisance rénale chronique, une dialyse chronique ou une transplantation).
Le maintien d’un anabolisme permanent est également indispensable.
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VI Le pronostic
Le caractère souvent réversible de l’IR néonatale ne doit pas faire oublier le risque à
long terme d’une IR chronique. Une fois la phase aiguë terminée, c’est le capital
néphronique restant et la glomérulosclérose qui déterminent le pronostic à long terme.
La surveillance de la croissance rénale par échographie, de la PA et de la protéinurie
chez ces enfants est à réaliser et traiter à tout âge. La population des très grands
prématurés,
parfois
hypotrophes
et
soumis
à
des
régimes
alimentaires
hyperprotidiques et des traitements néphrotoxiques (AINS pour fermeture de canal
artériel, aminosides…), dans un contexte de néphrogénèse inachevée sont les
candidats idéaux à la mise en place de cette surveillance. Des règles simples comme
une alimentation équilibrée, normalement riche en sel et l’éviction des médicaments
néphrotoxiques (AINS) sont des règles à expliquer aux familles. De même il ne faudra
surtout pas perdre de vue les nouveau-nés aux antécédents néphrologiques plus
« légers » qui en raison d’une perte de capital néphronique moins importante
développeront peut-être beaucoup plus tard, vraisemblablement à l’âge adulte, voire
aux âges extrêmes une insuffisance rénale, dépendante de cette réserve fonctionnelle
résiduelle. Ceci permettra d’envisager une prise en charge spécifique de ces troubles
(IEC, prise ne charge d’une hypercholestérolémie, hyperuricémie…) qui aura pour but
de maintenir ce capital néphronique fonctionnel le plus longtemps possible.
VII Conclusion
Le diagnostic d’IRA chez les nouveau-nés est souvent difficile et les causes très
souvent intriquées. La prise en charge est essentiellement symptomatique et
commence par supprimer ce qui est inutile (cathéter avec thrombose, médicaments).
Le bilan de base comporte une créatinine à évaluer avec pondération, une
échographie et une bandelette urinaire. Tout antécédent néphrologique doit faire
ensuite surveiller une bandelette urinaire et une PA une fois par an. Les principales
règles de néphroprotection doivent être expliquées aux parents.
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VIII Bibliographie
1. Askenazi DJ, Ambalavanan N, Goldstein SL. Acute kidney injury in critically ill
newborns: What do we know? What do we need to learn? 2009;24:265-274.
2. Andreoli SP. Renal failure in the neonate in Oh W, Guignard JP, Baumgart S ed.
Nephrology and fluid/electrolyte physiology. Elsevier Saunders 2008, 208-224.
Tableau I : Clairance de l’inuline
Age
Clairance de l’inuline en ml/min/1,73m²
Prématurés
1 – 3 jours
14,0 ± 5
1 – 7 jours
18,7 ± 5,5
4 – 8 jours
44,3 ± 9,3
3 – 13 jours
47,8 ± 10,7
1,5 – 4 mois
67,4 ±16,6
A terme
1 – 3 jours
20,8 ± 5,0
4 – 14 jours
36,8 ± 7,2
1 – 3 mois
85,3 ± 35,1
4 - 6 mois
87,4 ± 35,1
7 - 12 mois
96,2 ± 12,2
1 - 2 ans
105,2 ± 17,3
D’après Schwartz GJ, Furth SL Glomerular filtration rate measurement and estimation
in chronic kidney disease. Pediatr Nephrol 2007;22:1839-1848.
Tableau II Principales causes d’insuffisance rénales aiguë néonatales
Causes pré-rénales
Toute diminution absolue du volume sanguin circulant
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Déshydratation, syndrome de perte de sel, diabète insipide…
Toute diminution relative du volume sanguin circulant
Insuffisance cardiaque
Causes rénales intrinsèques (*)
Nécrose tubulaire aiguë (NTA)
Lésions vasculaires (Nécrose corticale, thromboses)
Atteinte infectieuse
Causes post rénale
Toutes obstructions bilatérales, ou unilatérales sur rein unique
Toutes obstructions sous-vésicales
(*) Souvent secondaire ou dans la continuité des causes pré-rénales
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