Au nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux

Transcription

Au nom de Dieu le Tout Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Au nom de Dieu le Tout
Miséricordieux, le Très Miséricordieux
Université d’Ispahan
Faculté des Langues Étrangères
Département de Français
Master II
Étude de La Mélancolie dans Les Contemplations de Victor
Hugo et Méditations Poétiques d’Alphonse de Lamartine
Sous la direction de:
Dr. Mojgan Mahdavi Zadeh
Professeur consultant:
Dr. Zohreh Joozdani
Par:
Afsaneh Nazemi
Juin 2011
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‫ﻛﻠﻴﻪ ﺣﻘﻮق ﻣﺎدي ﻣﺘﺮﺗﺐ ﺑﺮ ﻧﺘﺎﻳﺞ ﻣﻄﺎﻟﻌﺎت‪ ،‬اﺑﺘﻜﺎرات‬
‫و ﻧﻮآوري ﻫﺎي ﻧﺎﺷﻲ از ﺗﺤﻘﻴﻖ ﻣﻮﺿﻮع اﻳﻦ ﭘﺎﻳﺎن ﻧﺎﻣﻪ‬
‫ﻣﺘﻌﻠﻖ ﺑﻪ داﻧﺸﮕﺎه اﺻﻔﻬﺎن اﺳﺖ‪.‬‬
Remerciements
J’adresse tout d’abord mes plus sincères et chaleureux remerciements à Madame
le docteur Mahdavi Zadeh, mon professeur directeur, qui m’a beaucoup
encouragée et supportée dans cette recherche. Sa patience, sa compétence, ses
conseils et son accompagnement amical m’ont aidée à travailler avec
enthousiasme.
Qu’elle
veuille
bien
accepter
toute
ma
respectueuse
reconnaissance.
Mes plus respectueux remerciements vont également à Madame le docteur
Joozdani, mon professeur consultant, qui avec ses précieux conseils et ses
corrections m’a guidée dans la rédaction et la révision de cette étude.
Ma profonde et sincère gratitude à tous mes chers professeurs, ceux d’université
de Chamran qui m’ont enseignée le français dès le début, et ceux d’université
d’Ispahan qui m’ont aidée à mieux connaître la langue et la littérature française.
C’est une bonne occasion d’adresser mes plus respectueux sentiments à
Monsieur le docteur Shokrian qui m’a encouragée avec ses conseils précieux.
Je remercie également mes chers parents qui m’ont dédiée la paix et la patience
dans toutes les étapes de la vie et qui m’ont toujours encouragée à étudier, mon
cher mari qui m’a beaucoup soutenue moralement et qui a toujours suivi avec
l’énergie la démarche de mon mémoire.
Enfin, toutes mes reconnaissances vont à tous ceux qui m’ont aidée de quelque
manière tout au long de cette étude, surtout, mes chères sœurs Razieh et Shakiba,
cher Mojtaba Narimani, chère Maryam Arabi, et Behzad Aeinevand.
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Résumé
La Mélancolie était depuis toujours une idée déplaisante chez les hommes.
Etymologiquement et à l’époque classique, c’était une dépression morale et
physique qui provoquait la tristesse. La lassitude de la vie, l’ennui,
l’insatisfaction, la nostalgie, l’angoisse et même la folie étaient les cortèges qui
accompagnaient le concept principal de La Mélancolie. En un mot, elle avait un
aspect négatif et funeste. Semblant si compassée, si ancienne et si démodée, à
notre époque moderne aussi, les hommes gardent une certaine réserve envers La
Mélancolie. Mais, en particulier à l’époque romantique, elle se manifeste en tant
qu’une tristesse adoucie, intérieure, souvent pour des causes assez vagues, mais
qui n’est pas sans charme. Elle procure un état assez doux et vague, qui accentue
le sentiment d’exister. Elle est liée aux plaisirs du souvenir, de l’imagination, de
la rêverie, des aspirations à l’infini et à l’idéal. Parfois, du point de vue religieux,
elle prend même la figure de mystère, de mysticisme et de sacré. Elle aide à
prendre conscience de l’imperfection, et finit par la critique, la méditation et
finalement par la conception de l’idéal. Elle enrichit la sensibilité, d’où les
œuvres du souvenir et de la souffrance. En fait, elle inspire l’écrivain et stimule
le génie. Si l’on considère les chefs-d’œuvre qui sont créés grâce à La
Mélancolie, on peut bien saisir son aspect autre. Celui de grandeur et de
fécondité qui produit les êtres les plus spirituels. Le risque de la vulgarité est
beaucoup plus grand pour le culte de joie que pour La Mélancolie. Le but de
cette étude est d’analyser, de manière comparative, les deux visages de La
Mélancolie et sa manifestation dans Les Contemplations de Victor Hugo et
Méditations Poétiques d’Alphonse de Lamartine, et de démontrer les remèdes et
les consolations auxquels ils recourent, afin de ne pas tomber dans une
mélancolie maladive.
Mots clés : Mélancolie, doute, mort, homme, amour, souvenir.
Abstract
Melancholy has always been an unpleasant idea for human beings.
Etymologically and in classical period, the word “melancholy” denoted a
spiritual and physical depression leading to a state of sorrow and grief. Lassitude,
boredom, dissatisfaction, nostalgia, anxiety and even insanity are all the
entourage accompanying the principal concept of melancholy. Overall, the word
has a great sense of negativity and grimness. Even in our modern era, although it
has become obsolete and outdated, human beings show certain reserve towards it.
However, especially in romantic period, it appears as a feeling of sweet and inner
sorrow (for usually quite vague reasons) which has its own charm. Melancholy
creates a quite delightful and hazy state which accentuates the sense of existence.
This state is associated with the pleasure of the memories, imagination, dreams
and aspirations for infinity and idealism. From a religious point of view, it
sometimes becomes a symbol of mystery, mysticism and the sacred. Melancholy
helps one to become aware of imperfection leading to criticism, reflection, and
finally the development of idealism. Melancholy enriches people’s feelings and
can result in the creation of works involving nostalgia and sufferance. In fact, it
inspires authors and provokes genius. If we consider the great masterpieces
which have been created by the influence of melancholy, we can very well
appreciate the other aspect of this state of mind i.e. greatness and fecundity that
produces the most spiritual beings. The risk of vulgarity is much greater for those
who follow the cult of happiness than for those who follow that of melancholy.
This study aims to comparatively analyze the two faces of melancholy and their
manifestation in Les Contemplations by Victor Hugo and Méditations Poétiques
by Alphonse de Lamartine and to reveal the remedies and the consolations they
use in order not to fall into an unhealthy melancholy.
Keywords: Melancholy, death, humans, love, memories.
Table des matières
Titre
Page
Introduction ................................................................................................................ c
Chapitre 1 : Mélancolie chez Hugo
1-1 Les raisons de La Mélancolie ............................................................................ 1
1-1-1 La mort des proches ................................................................................. 1
1-1-2 La politique ............................................................................................. 2
1-1-3 L’humanité .............................................................................................. 4
1-1-4 La carrière littéraire ................................................................................. 6
1-2 La Mélancolie à travers Les Contemplations ..................................................... 7
1-2-1 Le dégoût de La Mélancolie ..................................................................... 9
1-2-1-1 La fugacité de la vie .................................................................... 9
1-2-1-2 L’injustice sociale ....................................................................... 11
1-2-1-3 La mesquinerie de l’âme de l’homme......................................... 14
1-2-1-4 La mort de Léopoldine ................................................................ 17
1-2-1-5 La mort ........................................................................................ 18
1-2-1-6 La conception du doute ............................................................... 20
1-2-2 Le charme de La Mélancolie .................................................................... 21
1-2-2-1 L’amour ....................................................................................... 22
1-2-2-2 Le génie........................................................................................ 23
Chapitre 2 : Mélancolie chez Lamartine
2-1 Les raisons de La Mélancolie ............................................................................. 29
2-1-1 La mort des proches ................................................................................. 29
2-1-2 La politique ............................................................................................. 31
2-1-3 La carrière littéraire .................................................................................. 32
2-1-4 La conception religieuse .......................................................................... 34
2-2 La Mélancolie à travers Méditations Poétiques ................................................. 35
2-2-1 Le dégoût de La Mélancolie ..................................................................... 36
2-2-1-1 La fugacité de la vie ..................................................................... 36
2-2-1-2 La politique ................................................................................. 38
2-2-1-3 L’impuissance de l’homme face à la destinée ............................ 39
a Titre
Page
2-2-1-4 La mort de Julie Charles ............................................................. 44
2-2-2 Le charme de La Mélancolie .................................................................... 46
2-2-2-1 L’amour ....................................................................................... 46
2-2-2-2 La nature ..................................................................................... 48
2-2-2-3 Le souvenir de L’amour .............................................................. 50
2-2-2-4 La foi religieuse .......................................................................... 51
2-2-2-5 Le génie....................................................................................... 53
Chapitre 3 : De La Mélancolie hugolienne à La Mélancolie lamartinienne
3-1 Les points de convergence.................................................................................. 55
3-1-1 L'analyse de la fugacité de la vie.............................................................. 55
3-1-2 La carrière politique ................................................................................. 60
3-1-3 La carrière littéraire .................................................................................. 66
3-1-4 L’impuissance de l’homme face à la destinée ......................................... 69
3-1-5 La perte de proches .................................................................................. 76
3-1-6 Le désir et l’amour ................................................................................... 82
3-1-7 Le génie .................................................................................................... 85
3-1-8 La mort ..................................................................................................... 90
3-2 Les points de divergence .................................................................................... 92
3-2-1 La totalité et l’altérité chez Hugo ............................................................. 92
3-2-2 L’intériorité chez Lamartine .................................................................... 94
Conclusion ................................................................................................................ 97
Bibliographie ............................................................................................................ 105
b Introduction
La mélancolie est comme une idée qui change de sens d’une époque à l’autre.
Son histoire a subi une longue évolution depuis l’Antiquité. Traversant l’histoire de
l’humanité, ce mal de vivre est inhérent de la condition humaine. On le nomme «bile
noire» sous l’Antiquité, «acédie» aux premiers temps du christianisme, «Mélancolie» à
la Renaissance, «mal du siècle» chez les romantiques du XIXème siècle, «spleen» chez
les poètes, «nausée» chez Sartre, et «dépression» chez les médecins contemporains.
La mélancolie aussi vieille que le monde, a fait naître une vaste réflexion sur
tous les plans. Les Anciens ont décrit les effets pathologiques de celle-ci par l’examen
de l’humeur noire. On supposait généralement que son existence était déduite de
l’observation de vomissements de couleurs sombres. Ceux-ci furent rapportés à la rate,
où les grecs situaient le siège de la bile noire, parce que la rate, tout comme elle,
présente une couleur brune qu’ils avaient pu observer au cours des dissections. Au
XIXème siècle, dans Les Fleurs du Mal, Charles Baudelaire emprunta à l’anglais le mot
«Spleen» (rate), pour désigner cette mélancolie qu’il assimilait à l’ennui. Au cours du
IVème siècle avant Jésus-Christ, la mélancolie était considérée comme le fait de se
soumettre sous l’influence culturelle de folie et de fureur. Tous les troubles de la
conscience sont présentés comme des effets d’une substance néfaste, et le nom de celleci qui signifie «noir» tient aux idées de funeste et de nocturne. Au premier siècle avant
Jésus-Christ on dépeint les mélancoliques parfois taciturnes, solitaires, épris de lieux
isolés. Ils se détournent des hommes, ils regardent leur semblable comme un étranger.
Se consacrant au savoir, leur disposition à la sagesse les incite à oublier toute autre
préoccupation.
Homère, le premier, offre une image mythique de la mélancolie dans laquelle le
malheur de l’homme résulte de sa disgrâce devant les dieux. A vrai dire, pendant
l’époque médiévale‚ elle frappe les moines et les solitaires ; le sentiment brutal et
irrépressible d’être abandonné de Dieu. L’acedia (expression représentant la mélancolie
au Moyen-âge), est le mal absolu, le diable, Satan qui s’empare des pensées des moines.
Plus tard, Montaigne célèbre l’humeur mélancolique qui l’a conduit vers les Essais.
Les Grecs déjà la considéraient tantôt comme une maladie suicidaire, tantôt
comme un état d’exaltation poétique qui se confond avec l’enthousiasme de Platon.
c Aristote distingue la mélancolie acquise de la mélancolie innée. La première s’accorde à
la folie et au désordre des sens. Tandis que les mélancoliques de nature sont des êtres
d’exception, remarquables par leur lucidité, leur constance et leur refus d’illusion.
Socrate en présente le modèle absolu. Son génie se conforme avec une conception
pessimiste de l’existence et son courage de dire la vérité à ceux qui ne désirent pas
l’entendre. La Mélancolie était en quelque sorte, dans l’Antiquité, un privilège de la
sagesse. En fait, elle était le gage de l’équilibre qui permettait la réflexion. Aristote
parlait d’un équilibre heureux et efficace au sein de l’anomalie. La conclusion c’est que
le philosophe est mélancolique par «surabondance de l’humanité».
Depuis l’Antiquité gréco-latine, on s’interroge sur le lien qui unit le
tempérament mélancolique, le génie, et l’enthousiasme. Celui-ci peut apparaître comme
un moyen de soulager la mélancolie. Le terme d’«enthousiasme» introduit par Platon est
analogue de celui de «génie». Par Aristote comparant les effets de l’enivrement avec les
manifestations du génie et les troubles mélancoliques, une tradition naît que l’on
retrouvera jusqu’au XIXème siècle, qui montre que l’enthousiasme naît chez les
mélancoliques, et que la mélancolie peut prendre la forme de l’enthousiasme. Mais avec
la naissance de la psychiatrie moderne, ils ont perdu leur richesse ; l’enthousiasme est
devenu hystérie, la mélancolie dépression.
Être chagrin ne présente pas nécessairement les caractères du génie. Mais sa
présence cachée au sein de toute société forme un modèle que l’on ne voit pas et que
l’on admire sans le savoir, une différence qui excite la pensée car, en deçà du génie,
l’être-de-chagrin peut développer des qualités exceptionnelles de sensibilité, d’action,
de goût de la recherche et du savoir et souvent du dévouement. La mélancolie de l’êtrede-chagrin, sa bile noire, prend sa source dans la conscience de son imperfection et la
vision incessamment fortifiée de l’idéal à atteindre. S’il n’est pas un créateur
d’exception, son existence lui confère une attitude philosophique et une dignité.
Au XVIème siècle, chez les humanistes qui redécouvrent l’art et les textes grecs
et romains tel Michel-Ange, la mélancolie deviendra la condition d’apparition du génie.
A la Renaissance, il va être affecté d’un facteur positif avec le développement du néoplatonisme ; Michel-Ange y voit la distinction du grand artiste. La Renaissance met en
scène le monde comme chaos, ruine ou théâtre, dont le décor est disposé. Au tournant
de l’âge classique, la mélancolie prend des parures du baroque pour constituer une
d esthétique du désespoir. Mais dès le XVIIème siècle, Robert Burton médicalisait le
spirituel en identifiant des mystiques à des malades et en remplaçant «acédie» par
«mélancolie religieuse».
Plus tard, le romantisme entrera dans ce monde en ruines, faisant de la
mélancolie une maladie non pas subie mais élue, qu’on appelle vague à l’âme, vague
des passions ou mal du siècle. Elle est le signe distinctif de l’artiste, éternel exil qui est
absorbé dans des rêveries, de solitude, d’un chagrin sans cause. Les écrivains trouvent
dans les paysages leur état d’âme. Chateaubriand est le premier qui se jette dans les
paysages parce qu’il lui offre tous les traits de la mélancolie. A la même époque,
Leopardi (moraliste, poète, philosophe italien du XIXème siècle) élabore sa poétique sur
le sentiment de la mélancolie du monde extérieur. On reflète alors le monde extérieur
qui a les traits du paysage intérieur. Les romantiques ont cultivé ce goût pour les
espaces sauvages et retirés, éprouvant une certaine fascination pour cet état chaotique.
Dans certaines dispositions, la mélancolie évoque la «nature des amants de se complaire
à des pensées tristes», «l’âme de l’amant entraîné vers l’image de l’objet aimé, inscrite
dans son imagination». Les esprits des amants s’épuiseraient dans cette imagerie. Ils
dépérissent et sombrent dans la mélancolie.
Avec le romantisme, la mélancolie est non seulement le signe distinctif de
l’artiste, mais elle représente une façon choisie d’être au monde, plus qu’une notion
psychologique. Le sens de la mélancolie se complète par une vision en partie positive :
Amour de la rêverie, de la solitude ; chagrin sans cause ; tristesse habituelle. Dès cette
époque, la mélancolie n’est plus une maladie subie, mais élue. La tristesse de ne pouvoir
faire de l’action, ce dont Chateaubriand, Vigny, Musset, Lamartine, Hugo ont beaucoup
souffert différemment dans la nostalgie de «l’épopée impériale». Les écrivains adoptent
la mélancolie comme une façon de concevoir l’existence. La mélancolie est une réponse
digne, à leur exile social. Au XIXème siècle, c’est une impression de désaccord et
d’impuissance qui fonde la mélancolie.
Beaucoup d’écrivains romantiques témoignent, dans leurs œuvres, d’une
mélancolie qu’ils justifient par l’analyse de leur condition. Chez Lamartine, cette
mélancolie n’est encore que vague à l’âme, aspiration incertaine au bonheur. Chez
Musset ou Vigny, au lendemain de 1830, elle est associée à la désillusion qu’entraîne la
faillite des idéaux politiques, au désarroi que provoque la crise des croyances
e religieuses, au dégoût qu’inspire la tyrannie de l’argent. Chez Flaubert, vers 1840, puis
chez Baudelaire, elle prend la forme d’une atroce angoisse. La mélancolie romantique
exprime le malaise d’un monde bouleversé par les révolutions, les guerres, les troubles
économiques ou sociaux, et qui cherche péniblement un nouvel équilibre.
Lamartine avec la naïveté émouvante d’un être simple, se demande pourquoi son
âme est triste. Dans le poème 9 du livre III des Harmonies poétiques et religieuses, il
met l’existence en question. Il interroge sur l’origine de la terre, de la vie, de la gloire,
de l’amour. Les réponses sont dépréciative ; la terre est une prison, la vie un court
étonnement, la gloire une dérision de vanité de l’homme, et l’amour serait tout, s’il ne
devait finir. L’existence pour les romantiques est comme une question sans réponse
acceptable. A ce moment, on sent un manque, c’est Dieu. Autrement dit, la nonconnaissance le rend absent du monde. Dans le poème déjà cité, Lamartine évoque
l’inactivité d’un dieu qui, n’ayant pas révélé la totalité de son nom, ne peut être connu
qu’en énigme. Le sentiment de solitude que dit inlassablement la littérature du XIXème
siècle est lié, en partie, à l’essor de la vie urbaine. La foule parisienne au René de
Chateaubriand est comme un vaste désert d’hommes. Tandis que Lamartine, dans
Novissima verba, voit passer le poète parmi l’immense foule d’êtres détruits, qui
s’écoule. La foule est l’image de la désintégration sociale et individuelle. A vrai dire, les
actions et les réactions des individus ne signifient que la vaine errance du genre humain.
L’attitude mélancolique est liée à un certains évènements du temps. Le romantisme qui
trouve ses origines dans les bouleversements de la sensibilité des écrivains et des
penseurs de la seconde moitié du XVIIIème siècle, va s’épancher aux lendemains de la
chute de l’Empire, quand apparaissent les terreurs révolutionnaires et les contraintes de
l’ordre impérial. Ce qui fait l’unité du XIXème siècle, c’est d’être marqué du signe de
Révolution et l’entrée massive de la littérature en politique. Siècle du mal de vivre, est
d’abord une époque de crises, de bouleversements et de révolutions qui conduit les
romantiques à une forme de passivité ou à un retrait hors de la société. On constate une
distance historique entre l’Ancien Régime et la nouvelle situation de la France.
Incertitude, inquiétude, conscience des imperfections de la modernité. La génération de
1815 est accablée par un sentiment de malaise après les conquêtes meurtrières
entreprises par Napoléon. L’ennui devient à la mode. Un sentiment de malaise
inexprimable commença à agir dans tous les jeunes cœurs. Condamnés au repos par les
f souvenirs du monde, livrés aux pédants de toute espèce, à l’oisiveté et à l’ennui. Les
jeunes gens se sentaient au fond de l’âme une misère insupportable. On ne peut trouver
meilleur aperçu du mal de vivre qui exerce sa répression avec rigueur et que l’on
appelle mal du siècle.
Vers le milieu du XIXème siècle, le discours sur la mélancolie, sur le plan de
théologie et de philosophie, devient médical. On parle de neurasthénie, et au siècle
suivant, de dépression. Les mêmes symptômes continuent mais la mélancolie change
d’image, une nouvelle fois. La dépression est la terrible nuit de l’âme qui s’abat sans
avoir la moindre résistance. Ses ravages sont très considérables, parce qu’ils se
développent dans une société fragilisée par apparition de l’individualisme. Mais la
dépression n’est pas fatale et ne paraît pas. Certains psychanalystes en ont découvert les
avantages. Beaucoup d’écrivains en ont apporté des témoignages qui sont des chefsd’œuvre. En effet, il y a un accord entre dépression et création, entre humeur noire et
génie. Qu’on la considère comme une maladie, un péché ou une volupté, elle apparaît
comme une réaction spontanée d’écrire.
La mélancolie est un mal, pas une maladie. Mais dire cela, c’est la réduire à sa
moitié, à son état proprement dépressive. Elle est aussi un bien, puisque c’est elle qui
nourrit les grands hommes. Le mal peut être aussi fécond que dangereux. On peut
distinguer les oscillations perpétuelles de la mélancolie, affectée tantôt d’un facteur
positif, tantôt négatif. Celle-ci a deux visages ; elle est à la fois un dégoût de la vie et
une source de création. À travers des âges, elle a guidé et inspiré les écrivains. Ainsi,
elle a inspiré les plus grands écrivains, depuis la Grèce antique. Considéré davantage
comme bénéfique que destructeur, «le soleil noir» ne finit pas à se manifester à travers
les siècles. On peut dire qu’aucune disposition de l’âme n’a occupé la littérature si
longtemps que la mélancolie. On ne peut imaginer le nombre d’œuvres qui contiennent
le mot même de mélancolie dans leur titre. Ni le bonheur, ni la joie de vivre n’ont
produit autant de chefs-d’œuvre.
L’humeur noire a inspiré les plus grands écrivains. Rien ne les satisfait et ne
saurait les satisfaire, et sans doute, c’est pourquoi ils ont laissé tant de chefs-d’œuvre.
C’est dans les situations les plus pénibles, avec les pleurants affligés, que l’on trouve les
premières représentations de l’homme accablé, plongé dans une méditation
douloureuse. Cela commence avec cette question d’Aristote dans Problème 30,1 : Pour
g quelle raison tous ceux qui ont été des hommes d’exception, en ce qui concerne la
philosophie, la politique, la poésie ou les arts, sont-ils manifestement mélancolique ?
Par cette question, la mélancolie est associée au génie. Dans Le Temps retrouvé, Proust
explique que la seule utilité du bonheur, c’est de rendre le malheur possible, et constate
que les œuvres montent d’autant plus haut que la souffrance a plus profondément creusé
le cœur de l’écrivain. Les optimistes joyeux sont incapables de rêver.
L’homme est en fait épris d’absolue, exigeant l’amour et la beauté sous toutes
ses formes et à tous ses degrés. Il semble bien qu’à toute époque cet étrange mal, tantôt
recherché et tantôt attaqué, soit le compagnon de l’humanité souffrante ou désirante. On
ne peut en effet emprisonner la bile noire dans un siècle, une idéologie, un mode de
pensée ou un mouvement littéraire. Chaque ère a possédé pour ainsi dire sa mélancolie,
lui attribuant des substances, des motifs, des positions et des mots. Cette disposition de
corps et d’âme procède d’une lutte perpétuelle entre l’homme enthousiasmé devant sa
connaissance et ses espoirs, et l’homme troublé par ce savoir qui augmente sa douleur et
ses interrogations angoissantes, le désarroi qui saisit l’homme qui a perdu la
connaissance de l’univers, qui est impuissant d’édifier un monde pacifié et harmonieux.
Tout renforce l’idée que le monde n’a pas été créé à la mesure humaine, et que l’homme
n’en est ni la cause ni le maître. La mélancolie pourrait alors apparaître comme le
produit de l’histoire.
Etant une attitude choisie, la mélancolie n’est pas sans plaisir. C’est Rousseau
qui, dans l’Emile, fait remarquer que la mélancolie est amie de la volupté ;
l’attendrissement et les larmes accompagnent les plus douces jouissances. Hugo, qui a
le sens de dualité et d’antagonisme, affirme dans Les Travailleurs de la mer : «La
mélancolie, c’est le bonheur d’être triste». En examinant la cause du plaisir que font
éprouver les beaux-arts et tous les chefs-d’œuvre de l’imagination, on constate que ce
plaisir tient au besoin de reculer les limites de la destinée humaine. La mélancolie, cette
émotion vague, ce sentiment élevé, fait oublier pendant quelques instants ces limites qui
serrent le cœur. Les esprits médiocres sont assez satisfaits de la vie commune, mais le
sublime de l’esprit doit son essor au besoin d’échapper aux bornes qui limitent
l’imagination.
La mélancolie est l’une des dispositions humaines les plus fondamentales dans
lesquelles l’homme fait l’expérience des profondeurs de son existence. Elle permet de
h voir plus profond. C’est pourquoi elle se manifeste dans la solitude et semble se
complaire dans l’isolement. Celui qui ne connaît pas la mélancolie, tient le
mélancolique pour orgueilleux, qui ne se laisse pas approcher. Jamais celui-ci ne vit
selon les modes proposées ou imposées. Il ne se laisse pas aveugler par le superficiel, il
regarde à travers lui et le dénonce comme illusion. Il ne se contente pas de ce que tout le
monde fait. Il se sent exposé à des reproches, mais il vit d’une secrète espérance. Chez
le mélancolique il y a des conflits intérieurs, qui le font souffrir en permanence. Il
appartient à la catégorie des gens qui pensent différemment, car il recherche de manière
radicale des raisons de vivre, qui semblent oubliées chez les autres. La mélancolie est
issue d’une idée philosophique, et n’est pas une simple tristesse ou une dépression. Sa
mélancolie forme son caractère sombre et cependant un trait de lumière et une sérénité.
Pour mieux aborder la problématique de cette recherche, il est à noter que la mélancolie
ne se borne pas seulement à son aspect négatif, et qu’elle suscite également les moments
de plaisir. C’est pourquoi nous allons étudier cette conception, de manière comparative,
dans Les Contemplations de Victor Hugo et Méditations Poétiques d’Alphonse de
Lamartine. Il est évident que Hugo et Lamartine, sont tous les deux, des précurseurs et
des chefs du courant Romantique. Ils sont de génération qui a subi les crises du XIXème
siècle ; celles qui ont provoqué la mélancolie et le mal du siècle. Alors, au début, ce qui
est important c’est d’étudier les origines de la mélancolie chez les deux poètes. Comme
celle-ci est présentée par sa double phase, on va étudier sa manifestation chez Hugo et
Lamartine, et démontrer si sa figure est-elle maléfique ou charmante dans les œuvres
mentionnées. Un autre aspect remarquable de cette étude est de discuter sur la manière
de se consoler pour atteindre le plaisir, chez les deux poètes. Quelles sont les raisons
principales de la mélancolie de Hugo et de Lamartine, tout au long de leurs vie? Est-ce
qu’ils mettent en scène le charme de la mélancolie à côté de son dégoût dans leurs
œuvres? Sont-ils seulement plongés dans le dégoût de la mélancolie ? Comment se
présente la notion du plaisir à la mélancolie ? Est-ce que la manière d’atteindre le
charme est identique ou différent chez eux ? Est-ce que la façon de se libérer de
mélancolie maladive est identique ou différente chez les deux ? Trouvent-ils de
solutions pour leurs crises mélancoliques ?
Afin d’apporter la réponse aux questions ci-dessus, le premier chapitre, sera
consacré à la mélancolie chez Hugo. Une première partie aux causes principales de sa
i mélancolie et une deuxième partie à la manifestation de celle-ci à travers Les
Contemplations : le dégoût qui se manifeste dans la fugacité de la vie, l’injustice
sociale, la mort, la mesquinerie de l’âme de l’homme, la mort de Léopoldine, le doute ;
et le charme qui se révèle dans le génie et l’amour. Au deuxième chapitre, on étudiera la
mélancolie chez Lamartine ; dans la première partie les causes fondamentales de sa
mélancolie et dans la deuxième partie la manifestation de celle-ci à travers Méditations
Poétiques : le dégoût qui se manifeste dans la mort de Julie Charles, l’impuissance de
l’homme face à son destin, la fugacité de la vie, la politique ; et le charme qui se révèle
dans le génie, l’amour, les souvenirs, la foi religieuse, la nature. Et enfin dans un dernier
chapitre, nous allons déchiffrer par une étude comparative, les points de convergence et
ceux de divergence de nos deux poètes sur la notion de La Mélancolie.
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Chapitre 1:
Mélancolie chez Hugo
1-1 Les raisons de La Mélancolie
1-1-1 La mort des proches
Lorsque Victor Hugo n’était encore qu’un enfant, il a vu des disparitions des êtres
chers jusqu’à la fin de sa vie. Les crises conjugales de ses parents qui aboutissent à leur
divorce, l’assassinat de son beau-père par Napoléon premier, la mort de sa mère,
Sophie, la mort de Léopold, son premier fils, et la plus poignante, la mort de
Léopoldine, ont exercé une grande influence sur toute la vie du poète.
Après la mort de sa mère, il écrit à son futur beau-père, Pierre Foucher :
Les circonstances…me demandent de la patience,
vertu que je n’ai pas et que je n’aurai probablement
jamais. J’ai tout perdu en perdant ma bonne mère.
J’aurais besoin d’épancher les douleurs que
j’éprouve,
mais
une
légitime
délicatesse
me
l’interdit, et je dois souffrir tout seul quoique je
souffre pour les autres.» (Raimbault, 1996, 32)
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Hugo a tout perdu sur le plan affectif par la mort de sa mère.
A propos de la mort de sa fille, il écrit à Louise Bertin : «J’ai lu. C’est ainsi que j’ai
appris que la moitié de ma vie et de mon cœur était morte…J’acceptai l’éloignement où
j’étais d’elle afin qu’il lui manquât quelque chose. Il faut toujours un nuage. Celui-là
n’a pas suffi…» (Ibid. 39).
La correspondance avec Lamartine, dont la jeune fille est morte au cours d’un
voyage au Moyen-Orient, est un échange, ou plutôt un partage, de sentiments
douloureux, d’espoir, de regret. Lamartine écrit à Victor Hugo : «J’ai pleuré sur vous et
avant vous. J’y pense sans cesse. Le cœur ouvert ne se referme plus. Vous ne pouvez
être bien compris que par un père qui a perdu sa fille unique. Mais nous croyons en
Dieu, vous et moi, et dans la perpétuité de ses plus belles œuvres.» (Ibid.). Hugo conçoit
Léopoldine comme l’incarnation du plus intime de lui-même : «Quand on a vu, seize
ans, de cet autre soi-même, croître la grâce aimable et la douce raison, lorsqu’on a
reconnu que cet enfant qu’on aime fait le jour dans notre âme et dans notre maison.»
(Ibid. 42). Stéphane Mallarmé écrit à Hugo, en février 1859 : «Hugo ! Hugo ! La voix
du luth qui pleure un ange au ciel ravi, ta fille dormant sur une croix, est une voix qui
met au cœur bien des délices, à l’œil bien des sanglots» (Ibid. 38).
De l’activité contemplatrice de Victor Hugo relèvent également les pages aux cours
desquelles le poète semble abandonner la célébration des beautés de l’univers pour
s’interroger sur le sens de sa vie, pour se concentrer sur lui-même et sur ses souvenirs,
les vers dans lesquels la dimension autobiographique est la plus sensible, ceux inspirés
par la perte de Léopoldine.
1-1-2 La politique
Victor Hugo n’a jamais été le poète solitaire, uniquement absorbé par le spectacle
des éléments naturels, auquel pourraient faire penser certains spectacles de Guernesey.
Bien au contraire, il constitue le modèle du poète engagé, manifestant le plus vif intérêt
pour les convulsions de son siècle ; l’itinéraire politique complexe qui a conduit Victor
Hugo de l’ultraroyalisme à la république. De nombreux poèmes, manifestent les
préoccupations de l’écrivain pour les questions sociales. Par exemple, très souvent dans
Les Contemplations, l’autobiographie poétique fait ainsi apparaître l’autobiographie
politique. De ses années d’enfance, Victor Hugo tire un enseignement fondamental sur

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