L`assurance du terrorisme en Tunisie : où en

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L`assurance du terrorisme en Tunisie : où en
L’assurance du terrorisme en Tunisie : où en sommes-nous ?
Nabil Ben Azzouz
D.U en Droit des assurances de l’IAL
Etudiant en Master 2 Droit des assurances à l’IAL
Assurance des risques divers
Depuis quelques décennies, le terrorisme est devenu un risque de dimension universelle qui
constitue une menace sérieuse pour tous les pays et toutes les populations sans réserve. Après
les événements désastreux du 11 septembre 2001, il s’est avéré que ce risque peut causer des
pertes humaines et financières extrêmement lourdes qui mettent les gouvernements ainsi que
les marchés de l’assurance devant le défi énorme de l’indemnisation des victimes. Ce risque
est de nos jours plus imprévisible et plus difficile à couvrir que bien d’autres risques
catastrophiques. C’est la raison pour laquelle il est aujourd’hui au centre d’intérêt des
gouvernements et des grandes institutions internationales, notamment l’Organisation des
Nations Unies qui lui consacre un service de la prévention du terrorisme au sein de l’Office
des Nations Unies contre la drogue et le crime (ONUDC) dont l’un des rôles principaux est de
prévenir et combattre le terrorisme à une échelle internationale.
En Tunisie, le terrorisme a frappé pendant les quarte dernières décennies avec des attentats
liés à des événements séparés qui ont causé des dégâts plus ou moins importants aussi bien du
côté humain que matériel avec le plus marquant en termes de pertes, celui perpétré devant la
synagogue de Ghriba à Djerba le 11 avril 2002 faisant 19 morts et trente blessés. Ce risque est
actuellement plus qu’imminent surtout après la révolution du 14 janvier 2011 compte tenu des
circonstances locales et régionales et il s’est aussi aggravé après l’anarchie survenue en Libye
suite à la disparition de l’ancien régime libyen et la montée des troupes terroristes en région
du Sahel de l’Afrique.
Cet aléa, qui pourrait donc avoir des retombées d’ampleur sur le plan économique et social,
incite les personnes physiques et/ou morales concernées à chercher une couverture contre ce
risque qui devrait leur fournir, ainsi qu’à leurs ayants droit, une indemnisation pour réparer les
préjudices corporels et matériels qu’ils pourraient subir en tant que victimes d’une attaque
terroriste. Cette couverture pourrait être normalement sollicitée auprès de deux organismes,
l’Etat d’un côté et le marché de l’assurance de l’autre, et ce, de diverses manières qu’on
développera ci-après. Il faut toutefois signaler que compte tenu de leur gravité, les actes
terroristes sont incriminés par le code pénal tunisien dont certains articles (notamment son
article 52 bis qui a été abrogé par la loi n°2003-75 du 10 décembre 2003 relative au soutien
des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et à la répression du blanchiment
d’argent) ont trait à la description des infractions qualifiées de terroristes et décrivent les
peines prévues pour ces infractions.
Sur le plan national, il serait plus que nécessaire aujourd’hui d’évaluer le système
d’indemnisation des victimes des actes de terrorisme actuellement en place en Tunisie, et ce,
dans le but d’identifier ses limites et de pouvoir y remédier afin de garantir une réparation
intégrale des préjudices corporels de ces victimes ainsi qu’une indemnisation adéquate quant
à leurs pertes matérielles qui portent préjudice à leurs patrimoines.
Une couverture d’assurance optionnelle et insuffisante :
Les différents contrats d’assurance garantissant les dommages d’incendie et autres périls
annexes, actuellement disponibles sur le marché de l’assurance tunisien, fournissent la
garantie des dommages matériels subis par l’assuré et causés à ses biens par un attentat ou un
acte de terrorisme d’une manière optionnelle et non obligatoire puisqu’aucune loi oblige les
assureurs à le faire pour le moment.
L’assureur a donc le choix de proposer en option cette garantie en annexe à la garantie de
base, qu’est l’incendie, selon ses capacités financières ainsi que ses propres arrangements de
réassurance dans le cadre de conventions appelées ‘traités de réassurance’ qui lui procurent
une protection de son portefeuille de polices d’assurance et son capital d’une part, ainsi
qu’une capacité financière additionnelle d’autre part, lui permettant de couvrir ce genre de
risques appelés souvent par les assureurs des risques spéciaux. Ceci limite en fait le choix de
l’assuré qui, ayant l’intention de couvrir ses biens contre les actes terroristes, ne peut
approcher dans sa quête de couverture que les assureurs qui sont disposés à offrir la garantie
de ce risque.
En pratique, la majorité des assureurs en Tunisie ont mis en place les arrangements
nécessaires à travers leurs traités de réassurance respectifs afin d’être en position d’offrir aux
assurés, que ce soit les particuliers ou les professionnels, la garantie des dommages matériels
que peuvent subir leurs biens suite à des actes de terrorismes, et ce, en tant que garantie
annexe à la garantie de base incendie. Néanmoins, et dans la plupart des cas, les assureurs
limitent contractuellement leur engagement en fixant un plafond pour le montant de
l’indemnisation en cas de sinistre qui varie de 25% à 50% des sommes assurés. Ce
plafonnement de la garantie à un montant maximal prévue dans le contrat d’assurance réduit
l’indemnisation de l’assuré pour le dommage matériel qu’il a subi à un montant inférieur à sa
perte pécuniaire réelle surtout en cas d’une perte totale du bien assuré.
Ceci représente donc une perte au niveau du patrimoine de la victime potentielle puisqu’en
plus de la difficulté de trouver à s’assureur pour ces événements, surtout si les assureurs sur le
marché tunisien sont obligés de retirer ou réduire leur garantie optionnelle, elle se trouve aussi
privée de la possibilité de retourner à la situation patrimoniale dans laquelle elle a été juste
avant l’attentat et serait empêchée par conséquent de reprendre son activité personnelle ou
professionnelle normale dans les plus courts délais.
Outre la limitation contractuelle du montant de la garantie imposé par l’assureur à l’assuré
concernant les dommages matériels qu’il peut subir ainsi que le caractère facultatif de la
garantie qui le met sous le diktat du marché international de la réassurance quant à la
disponibilité de la couverture et ses conditions notamment son coût (la prime d’assurance
qu’il doit payer pour cette garantie), ce système actuellement en place ne vise pas les
dommages corporels qui représente une atteinte à l’intégrité physique des victimes. Par
ailleurs, il s’avère aujourd’hui que les victimes qui ne sont pas garanties contre ces
événements, tel que via des polices locales d’assurance-vie ou individuelle accident ou bien
des polices émises à l’étranger couvrant les ressortissants d’un certain pays contre les actes
terroristes auxquels ils sont victimes à l’étranger comme c’est le cas pour la France, ces
victimes restent sans garantie et ne peuvent réclamer aucune indemnisation pour les
préjudices qu’elles ont subis. Cette situation peut engendrer des drames sociaux surtout si les
conséquences de ces actes sont le décès ou l’incapacité totale ou partielle permanente des
victimes à la suite desquelles elles ne seront pas en position de poursuivre leur activité
professionnelle et seraient privées de leur ressources et revenus. Ceci pourrait donc avoir un
effet désastreux à l’échelle familiale et sociale.
Trouver une solution aujourd’hui pour remédier aux limites du système en vigueur est plus
que nécessaire afin de garantir le droit de chaque citoyen à une réparation intégrale de ses
préjudices corporels ou matériels causés par des actes de terrorisme dont le motif pour la
plupart du temps est d’ordre politique, ethnique ou religieux et visent en premier lieu l’Etat en
place ainsi que ses institutions et fonctionnaires. La solution en Tunisie exige une volonté
législative proactive qui devrait prendre les mesures nécessaires sur deux plans, le premier est
de légaliser la garantie des dommages matériels causés par les actes de terrorismes et le
deuxième serait de créer un fonds de garantie pour la réparation intégrale des dommages
corporels subis par les victimes de ces actes. Cette solution peut s’inspirer du modèle français
en vigueur qui, depuis la vague des attentas terroristes survenus en France en 1985 et 1986, a
incité le législateur français à promulguer en premier temps une loi du 9 septembre 1986 par
laquelle il a obligé les assureurs à inclure la couverture du risque terroriste dans les polices
d’assurance dommages et a reconnu aux victimes d’actes de terrorisme un régime
d’indemnisation spécifique grâce à un fonds de garantie contre les actes de terrorisme, suivie
en deuxième temps par la loi du 6 juillet 1990 par lesquelles il a créé le fonds de garantie des
victimes des actes de terrorisme et des autres infractions (FGTI) qui a institué le principe de
réparation intégrale des dommages corporels.
La mise en place d’une garantie légale :
Le législateur devrait dans ce cas prévoir une extension légale systématique dans les contrats
d’assurance de biens contre l’incendie (assurance multirisques habitation, assurance
multirisques entreprise, assurance automobile…) aux dégâts causés par des attentas ou actes
de terrorisme, sans limitation de la garantie à un plafond actuellement en vigueur de 25% ou
50% des sommes assurées. Ainsi les assureurs locaux seront tenus de couvrir les dommages
ayant pour origine un acte de terrorisme dès lors que ceux-ci se manifestent par un événement
garanti par le contrat affectant les biens assurés tels que l’incendie, l’explosion le bris de
glaces, etc…et seront garantis dans les mêmes conditions (capitaux assurés, franchises…) que
ceux de même nature qui n’ont pas pour origine un acte de terrorisme.
Cette décision pourrait certainement contraindre les assureurs locaux à s’adresser au marché
international de la réassurance spécialisé dans la couverture du risque de terrorisme, qui est
essentiellement basé à Londres, afin d’obtenir les conditions de réassurance adéquates avec
comme objectif principal, obéir à l’obligation légale et satisfaire la demande du marché local
quant au besoin de couvrir les biens des Tunisiens contre ce genre de risque sans
plafonnement et sans augmentation du coût de l’assurance pour l’assuré puisque la prime
d’assurance afférente à ce type de risque exceptionnel est souvent élevée en comparaison de
celle chargée par les risques ordinaires.
Bien que les assureurs soient obligés de charger une surprime dans les contrats d’assurance de
biens contre l’incendie pour les dommages résultant d’actes de terrorisme qui pourrait être
jugée chère par l’assuré, celui-ci serait libre de souscrire ou non cette garantie, et ce, en
fonction de sa propre évaluation pour l’intensité du risque auquel il est exposé d’une part, et
son coût (la surprime qu’il doit payer), d’autre part.
L’institution de cette légalisation de la garantie des actes de terrorismes doit être entérinée
dans le Codes des assurances tunisien qui doit prévoir que les assureurs doivent insérer dans
les contrats d’assurance de biens une clause étendant leur garantie aux dommages causés par
les actes terroristes. Notant que selon les dispositions du droit commun de la responsabilité et
le droit des assurances tunisiens, les assureurs ont le droit de mener une action de recours
subrogatoire contre l’Etat tunisien après indemnisation de leurs assurés, et ce, en vertu de
l’article 21 du Code des assurances qui dispose que « l’assureur qui a payé l’indemnité
d’assurance est subrogé, jusqu’à concurrence de cette indemnité, dans les droits et actions de
l’assuré contre les tiers qui, par leur fait, ont causé le dommage ayant donné lieu à la
responsabilité de l’assureur ».
Dans ce contexte, le droit tunisien admet l’action de recours contre l’Etat devant les
juridictions étatiques administratives. Ce recours est ouvert aux victimes directes mais aussi
aux assureurs subrogés dans les droits et actions de leurs assurés après les avoir indemnisés.
La responsabilité de l’Etat peut être fondée sur les articles 83 et 84 du Code des Obligations et
des Contrats tunisien et afin de pouvoir l’engager, la victime ou son assureur subrogé doivent
prouver la faute de l’Etat qui, dans le cas d’actes de terrorisme, peut être le fait de ne pas
assurer l’ordre et la protection des personnes et des biens.
Notant tout de même que le contrat d’assurance est un contrat ayant un caractère d’adhésion
dans la mesure où son contenu est souvent déterminé par l’assureur et auquel l’assuré adhère
sans pour autant avoir la possibilité ni le pouvoir de négocier certaines de ses conditions qui
lui sont défavorables. Dans ce contexte, et dans un souci de protection de l’assuré, l’assureur
est normalement tenu par une obligation d’information et de conseil envers son assuré, surtout
en période précontractuelle, qui consiste à lui fournir les informations qui lui permettent
d’être éclairé sur l’aspect désavantageux du contrat et de s’engager en connaissance de cause.
L’intervention de l’Etat : vers une législation antiterroriste
En ce qui concerne les dommages corporels causés aux victimes par des actes de terrorisme,
la situation actuelle est que, hormis les personnes qui ont souscrits des contrats d’assurance
individuelle accident ou assurance-vie couvrant ce risque, toute victime qui a subi des
préjudices corporels et n’ayant pas souscrit une assurance protégeant sa personne se trouve
sans couverture et ne peut prétendre à aucune indemnisation nulle part.
De ce fait, la deuxième mesure que le législateur tunisien pourrait prendre pour garantir le
droit des victimes d’actes de terrorisme à la réparation de leurs préjudices corporels serait de
légiférer pour la création d’un fonds de garantie dont la mission principale serait
l’indemnisation des victimes d’actes de terrorisme pour les dommages corporels qu’ils ont
subis. Cette couverture doit concerner toutes les personnes victimes d’actes de terrorisme
commis sur le territoire tunisien quelle que soit leur nationalité et devrait être sur la base
d’une réparation intégrale des dommages occasionnés par une atteinte à leur intégrité
physique. La condition de l’intégralité de la réparation des dommages subis par la victime
consiste à ce que cette réparation ne doit pas se limiter aux préjudices corporels au sens strict
mais devrait englober aussi la réparation des préjudices moraux, économiques et
professionnels.
Il faut aussi que la mise en œuvre de la garantie du fonds doit compter sur le principe selon
lequel la victime peut s’adresser au fonds indépendamment de la poursuite et de la
condamnation des terroristes, c’est à dire qu’elle n’est pas tenue d’obtenir l’indemnisation de
son préjudice de la part des personnes responsables du dommage causé par ces actes
terroristes avant de porter sa réclamation au fonds. Toute personne qui s’estime victime d’un
acte de terrorisme peut adresser directement une demande d’indemnisation à ce fonds de
garantie.
Ce fonds peut aussi prévoir que si la victime est décédée, ses proches peuvent être indemnisés
en réparation de leurs préjudices moraux et économiques. Les modalités de fonctionnement
du fonds liées aux conditions de son intervention, aux conditions d’indemnisation des
préjudices des victimes, à la procédure d’indemnisation ainsi qu’à son financement devraient
être fixées en concertation entre le législateur, les organismes de tutelle et les différents
acteurs du marché tunisien de l’assurance (assureurs, réassureurs, assurés et intermédiaires).
Concernant le financement de ce fonds, celui-ci peut être alimenté d’une part par la
contribution de l’Etat tunisien, contribution qui doit être adoptée dans le cadre de la loi de
finances de l’année de création du fonds, et d’autre part, par un prélèvement forfaitaire (sous
forme d’une taxe) à effectuer sur chaque contrat d’assurance de biens souscrit auprès d’une
société d’assurance tunisienne. Le montant de cette contribution serait fixé annuellement par
un arrêté du ministre des finances.
Signalant que les textes de loi qui devraient ratifier la création de ce fonds doivent aussi
garantir que le fonds de garantie pourrait être subrogé dans les droits que possède la victime
qu’il a indemnisé contre les personnes responsables de ces actes. Le fonds doit être soumis au
contrôle du ministère des finances qui doit approuver son statut et son règlement intérieur.
La mise en place d’un tel dispositif, qui consiste en la légalisation de la garantie prévue contre
des actes de terrorisme dans les contrats d’assurance de biens et la création d’un fonds de
garantie, permet donc aux victimes d’actes de terrorisme survenus en Tunisie d’être
indemnisées pour les dommages matériels et corporels qu’elles ont subis et contribue par
conséquent à la résolution d’éventuels problèmes sociaux et économiques auxquels l’Etat peut
faire face et qui peuvent être causés par ces actes dont l’intensité et les répercussions sont
considérables.