102 L`arboriculture bio La supériorité des systèmes de production

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102 L`arboriculture bio La supériorité des systèmes de production
bio
: fausses promesses et vrai marketing
L’arboriculture bio
La supériorité des systèmes de production raisonnée et intégrée sur le bio est également valable en arboriculture. Dans
les années quatre-vingt-dix, une étude du Centre interrégional d’expérimentation arboricole couvrant des essais effectués
entre 1994 et 1998 sur des pommes Smoothee, a démontré
que la protection fongicide en culture biologique nécessitait
14 fois plus de matière active qu’en production raisonnée
(86,4 kg/ha contre 6 kg/ha), avec 23 passages en bio contre
12 en raisonnée 8. De son côté, le site de l’université de Cornell (États-Unis) mentionne une comparaison de plusieurs
modes de production dont les résultats sont sans appel, la
note la plus favorable allant aux vergers en production intégrée. « L’impact pour les vergers en AB est dix fois plus fort, en
raison principalement de la toxicité des traitements fongicides à
base de soufre, appliqués à doses et fréquences élevées 9 », commente Benoît Sauphanor, de l’Inra d’Avignon. L’agronome a
réalisé des essais pour savoir si le cahier des charges AB garantissait réellement une meilleure préservation de la biodiversité en milieu agricole. Il a étudié deux zones de production,
l’une située dans la vallée de la Durance, près d’Avignon,
l’autre dans la vallée du Rhône, près de Valence. Cinq vergers
étaient conduits en AB et dix en production fruitière intégrée
(PFI). « Les vergers de pommiers en AB ont reçu en moyenne
29,9 traitements insecticides et fongicides, valeur proche de celle
des vergers conventionnels », avec des volumes appliqués « plus
de deux fois plus élevés » qu’en conventionnel, note Benoît
8. « Comparaison production raisonnée et production biologique », Réussir Fruits &
Légumes, décembre 1998.
9. Benoît Sauphanor et al., « Protection phytosanitaire et biodiversité en agriculture
biologique ; le cas des vergers de pommiers », Innovations agronomiques, Vol. 4, janvier 2009.
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Sauphanor. « La note d’impact [selon l’indicateur EIQ] est significativement plus élevée en AB qu’en conventionnel » en raison de l’utilisation importante de cuivre et de soufre, préciset-il. « La persistance du soufre explique l’impact de systèmes en
AB sur certaines communautés biologiques des vergers, que notre
étude semble confirmer, sur les hyménoptères et les prédateurs
d’acariens », poursuit l’agronome, qui constate en revanche
que les parcelles AB présentent « la plus grande abondance
et la plus forte richesse spécifique en arthropodes phytophages et
auxiliaires » et qu’elles accueillent mésanges bleues et moineaux friquets, qui « ne s’installent que dans les vergers AB ».
Le résultat final est donc mitigé. Ce qui l’amène à conclure
que « le cas des vergers de pommiers illustre bien le fait que
l’innocuité sur l’environnement des systèmes agricoles en AB n’est
que partielle ».
Le fameux problème du cuivre
« Environ 8 500 tonnes de cuivre sont utilisées chaque année par l’agriculture française, dont la moitié pour fabriquer la
bouillie bordelaise 10 », rappelle Rémi Chaussod, chercheur à
l’Inra, qui ajoute que « contrairement aux pesticides organiques
qui peuvent être dégradés, le cuivre s’accumule dans le sol ». Résultat, les concentrations observées par l’Inra dans les premiers centimètres du sol de parcelles situées en Champagne
sont supérieures à 200 mg/kg, soit 4 à 100 fois les teneurs
naturelles en cuivre des sols français ! Or, l’excès de cuivre entraîne une diminution radicale de la biomasse microbienne
– qui fait pourtant le bonheur des partisans de l’agriculture
biologique. C’est pourquoi, depuis 1992, le cuivre est dans
10. Rémi Chaussod, « Effets des traitements au sulfate de cuivre sur les sols viticoles », Presse Info, Inra, octobre 2000.
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la ligne de mire de la Commission européenne. En 2002,
puis en 2009, les formulations à base de cuivre ont failli être
interdites en Europe au motif qu’elles posaient un souci pour
l’environnement. Même pour Greenpeace – pourtant plutôt
favorable à l’agriculture biologique –, le cuivre est un « problème bien connu ». « Ce métal rougeâtre n’est pas biodégradable. Au contraire, il se cumule dans le sol et porte préjudice
aux organismes qui y vivent. Il réduit la biodiversité et fait disparaître les animaux utiles tels que les vers de terre », peut-on
lire dans Greenpeace Magazin. Consultant chimiste pour la
multinationale verte, Manfred Krautter affirme qu’« un métal
lourd ne peut simplement pas être une solution pour l’agriculture
biologique ». Même critique de la part des autorités sanitaires
allemandes : « L’agence fédérale pour l’Environnement [considère] que l’usage du cuivre représente un risque inacceptable
pour l’environnement, en particulier pour les oiseaux, les petits
mammifères, les vers de terre et les organismes aquatiques 11. »
À l’heure actuelle, l’agriculture biologique peut pourtant
difficilement se passer du cuivre. « Le cuivre est le seul fongicide réellement efficace contre le mildiou de la vigne et autorisé
au règlement européen 2092/91, paru en 1991, régissant l’agriculture biologique 12 », confirme l’Itab. « Mais compte tenu de
ses risques de toxicité, notamment sur le sol, ce règlement prévoyait l’interdiction totale de son usage à l’horizon 2002 », rappelle l’institut technique. Depuis, plusieurs pays ont franchi
le pas, comme le Danemark – où les cultures de vignes sont
inexistantes – et les Pays-Bas, qui ont retiré l’usage du cuivre
11. Compte rendu de la réunion du 29 janvier 2008, rassemblant autorités sanitaires
allemandes, instituts techniques et responsables politiques.
12. Nicolas Constant, « Réduction des doses de cuivre pour lutter contre le mildiou
en viticulture biologique : synthèse des essais 2001-2005 du groupe de travail de
l’Itab », Alter Agri, n° 80, novembre-décembre 2006.
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dès 1999 en invoquant prioritairement les risques pour la
santé de l’utilisateur. « Même en utilisant des mesures de protection adéquates, l’usage de l’oxychlorure de cuivre présente un
risque pour l’utilisateur s’il subit une exposition cutanée ou par
inhalation », justifie le ministère de l’Environnement hollandais. Aux Pays-Bas, cette interdiction n’est cependant valable
que pour les agriculteurs conventionnels : le cuivre est toujours accepté en agriculture biologique, notamment pour la
production de pommes de terre bio !
En réalité, les autorités sanitaires communautaires sont
mal à l’aise avec ce dossier. Il est vrai que l’on ne peut indéfiniment déverser des produits non biodégradables sur les
sols. « Épandre cinq kilos par an correspond à déverser sur les
sols une demi-tonne de cuivre sur chaque hectare au bout d’un
siècle », explique Denis Dubourdieu, professeur d’œnologie
à l’université de Bordeaux. « Imaginez l’état des sols si l’on
avait utilisé le cuivre depuis le début de la culture de la vigne,
c’est-à-dire au moins deux mille ans ! », poursuit-il. « Il existe
de nombreux exemples où, dans des sols acides, les quantités de
cuivre fongicide accumulées depuis un siècle d’usage empêchent
aujourd’hui l’herbe, le blé ou même des arbres fruitiers, de
pousser », confirme Thierry Coulon, directeur technique de
l’Institut français de la vigne.
Paradoxalement, si le cuivre est toujours autorisé aujourd’hui, c’est grâce aux « ennemis » du monde du bio : les
géants de la chimie. En effet, ceux-ci ont fourni un effort
considérable pour soumettre aux autorités européennes un
dossier aussi convaincant que possible. Ce travail a été effectué par une task force regroupant un consortium de onze
sociétés privées, dont DuPont, NuFarm, Isagro et Cerexagro.
« Il fallait trouver un compromis afin de satisfaire les exigences
des pays-membres, dont certains insistaient sur la nécessité du
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cuivre 13 », explique la DG Sanco. Toutefois, la Commission
européenne a assorti cette fois-ci son autorisation (accordée
en janvier 2009) de quelques restrictions, notamment d’une
validité de sept ans et non de dix, comme c’est le cas habituellement.
L’Afssa, elle, recommande une application n’excédant pas
4 kg/ha/an (soit 500 g/ha pour huit applications par an),
contre 6 kg/ha/an autorisés aujourd’hui. Ce qui est loin de
satisfaire le lobby du bio, qui refuse de limiter à ce point les
dosages à l’hectare ! « La limitation à 4 kg/ha/an d’apports
de cuivre métal n’est pas compatible avec les besoins de renouvellement montrés par les études sur le lessivage (étude IFV)
et l’analyse de la pluviométrie (étude AIVB LR) », indique
l’Itab. « Les nombreuses recherches et expérimentations menées
depuis dix ans sur les réductions et les alternatives au cuivre
montrent qu’il n’existe pas de matière active compatible avec le
cahier des charges AB, susceptible de se substituer au cuivre ou
même de permettre de réduire son utilisation dans la limite des
4 kg/ha/an 14 », ajoute l’institut technique. Les années à forte
pression de maladies, les agriculteurs bio peuvent en effet
être conduits à traiter entre 9 et 12 fois en moyenne (voire
jusqu’à 30 fois en cas de pluies abondantes comme en 2007
et 2008). Tout ceci n’est ni très « durable », ni très « respectueux de l’environnement »…
Les grandes cultures
En grandes cultures (blé, orge, maïs, etc.), le problème de
la protection phytosanitaire se pose différemment. Contrai13. Entretien avec l’auteur, février 2009.
14. Monique Jonis, Usage du cuivre en agriculture biologique. Résultats d’enquête, Itab,
septembre 2009.
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