Requiem pour la Contre-Révolution

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Requiem pour la Contre-Révolution
RequiempourlaContreRévolution
RodolpheBadinand
Tabledesmatières
RequiempourlaContre-Révolution
Essaisimpérieux.Orientationspourl'HommedeTradition
NotesdissidentessurlanotiondeTraditionPrimordiale
Repenserunesociétédeprivilèges
Moncommunautarisme
QuandlaFranceprétendaitàl'Empire
DeMaastrichtàl'autreidéeeuropéenne
DéfenseduSaint-Empire
DécompositiondelaFrance
LeretourduRoi
Enguerre!
RodolpheBadinand
Requiem
pourla
Contre-Révolution
etautresessaisimpérieux
Collections/LesRéflexives
ÀDanielCologne
ÀLucSaint-Étienne
«Jenecherchepasàdétruiremaisàcréer.Àcréerdesguerriers…
J’appelleguerriersceuxpourquil’argentnecomptepas.
Ceuxquinel’aimentnilehaïssent.Ceuxquiluiéchappent.»
RaymondAbellio,LaFossedeBabel,Gallimard,1962
REQUIEMPOURLACONTRE-RÉVOLUTION
Réflexionssuruneimpasseintellectuellemajeure*
Plusdedeuxcentsansaprèssaformation,laContre-Révolutiondemeureuneénigmetantsurleplan
historiquequed’unpointdevuepolitique.
Conséquence de plusieurs décennies de bourrages de crânes scolaires, laïques et républicains,
l’acception du mot « contre-révolution » reste méconnue. On réduit trop souvent ce mouvement à la
tentative rétrograde et passéiste d’un retour à des temps révolus, d’où l’image d’Épinal du contrerévolutionnaire considéré comme un fieffé défenseur du « droit de cuissage », menant une vie oisive,
nostalgiqued’unordremoyenâgeux,oppresseurdepauvrespaysanslaborieuxécrasésparunefiscalité
inique.Cettesottevisions’inscritplusdansuncadrepolémiquepériméquedansuneanalysehistorique
pertinente. Il est néanmoins exact que ce concept apparaît à bien des égards difficilement cernable.
Quand on ne tombe pas dans la caricature mentionnée ci-dessus, on pense naïvement que la ContreRévolution n’est que la manifestation passagère et parfaitement dépassée d’une résistance au
mouvementquiiraitdansle«sensdel’Histoire».
Cette explication simpliste est erronée. En effet, le terme revêt une
ambiguïté sémantique difficile à résoudre. Révolution et Contre-révolution
appartiennentàcettecatégoriedemotsappelée«lesmots-valises».Suivant
les circonstances et l’endroit, leur signification change profondément. Par
exemple, dans la période 1986 - 1990, au moment de la Perestroïka, les
vieuxdignitairesdurégimesoviétique,sentantvacillerlesbasesdusystème
nomenklaturiste qui les favorisait tant, s’opposèrent à la « révolution
gorbatchévienne»etdevinrent,eux,leshéritiersdelaRévolutiond’Octobre
1917, des contre-révolutionnaires ! Leur contre-révolution - ô ironie de
l’histoire - ne visait pas à rétablir un Romanov sur le trône. Elle consistait
plusprosaïquementàpréserverleursprébendesdedirigeantscommunistes.
Outre ce relativisme sémantique qui fait dépendre le sens du contexte
général, Hannah Arendt nous apprend dans son EssaisurlaRévolution (1)
que c’était Condorcet qui forgeât le mot. Comme la Nouvelle Droite deux
siècles plus tard, ce fut donc l’adversaire qui la dénomma. Condorcet eut
toutefois le mérite de désigner d’une manière parfaitement négative et
tautologique ceux qui récusaient le processus révolutionnaire. Son
interprétationpermitleregroupementarbitrairedanslaContre-Révolutionde
touslesindividusqui,parl’écrit,leverbeoulecomportements’opposaient
au nouveau régime. L’élasticité de la définition favorisa l’association, dans
une même opprobre, des royalistes convaincus et des révolutionnaires des
factions rivales vaincues. Tous se voyaient accusés d’être les stipendiaires
de la Contre-Révolution. Le délire paranoïaque atteignit son acmé sous le
Directoire quand les thermidoriens traitèrent les robespierristes d’agents
royalistes et contre-révolutionnaires. Le non-dit et la théorie du soupçon
faisaientdéjààcetteépoque,desravages…
LesoriginesmultiplesdelaContre-révolution
L’absenced’unedéfinitionpositivemontreque,dèsl’origine,laContre-Révolutions’apparenteplusà
unenébuleuse,avecsesinévitablesrivalitésdepersonnes,sesquerellesdechapellesetsesdivergences
de stratégies, qu’à un bloc monolithique. L’absence d’homogénéité provient sans aucun doute possible
destroistendancesconstitutivesdontaucunenesouhaitaitconserverl’AncienRégimedanssaformede
1788.Jean-ChristianPetitfilsdistingue:
—uncourantthéocratiqueditles«défenseursdel’absolutisme»ouencore
les « absolutistes intégraux ». Leur mot d’ordre était « de revenir au statu
quoante, “ l’Ancien Régime moins les abus ”, pour reprendre une formule
longtemps utilisée par le comte de Provence (2) ». « Les aristocrates de
traditionféodale,notePetitfils,réclamentdansleurscahiersdedoléancesles
“ libertés ” confisquées qui leur permettraient de renforcer leur puissance
locale(3)»;
— un courant pré-libéral aristocratique dit « absolutiste ou despotiste
éclairé»quidéfendaitlerôledesparlements,promouvaitlesassembléesde
territoireetexigeaitlemaintiendelasociétéenOrdres;
— un courant réformiste, « conservateur historique » ou « conservateur
libéral»,dontlesmembres«cherchaientuncompromisacceptableavecle
mouvement de 1789. C’étaient des pragmatiques, des modérés, des
conciliateurs dans l’âme. […] Ils étaient partisans de l’abolition des
privilèges […]. Adeptes des Lumières, ils admettent parfaitement la
disparitiondusystèmejuridico-administratifdel’AncienRégime,complexe
etinefficace,etsonremplacementparunrégimerationnel,unifié,fondésur
denouvellescirconscriptions(4)».Multipledèssa«naissance»,laContreRévolution le fut aussi sur les plans culturel, social et géographique. Pour
constituerunecontre-révolutionmilitaire(celledesVendéensetdesChouans
de l’Ouest, du Berry ou de Provence), la Contre-Révolution recruta dans
touteslescatégoriessocialesavecuneprédilectionmarquéepourlesmilieux
populairesetpaysansd’unepart,lapetitebourgeoisie,d’autrepart.
L’objet de la présente étude n’est pas de relater l’histoire de la ContreRévolution en France, en Europe ou dans le monde, ni de retracer la vie,
l’œuvre et la postérité intellectuelle de ses théoriciens, de l’abbé Nicolas
JaminàJeanOusset.Ceseraitunetâchegigantesquequicommenced’ailleurs
à être traitée par les historiens des idées politiques contemporaines (5). Il
paraît en revanche plus intéressant de démontrer si la Contre-Révolution
s’inscrit,àsoncorpsdéfendant,danscetteModernitéqu’ellerécusetant,ou
bien si elle n’est que la résurgence de la Tradition pérenne dans une phase
d'accélérationparticulièrementgraveduKaliYuga.
LalentegenèsemétapolitiquedelaModernité
LaContre-RévolutionapparaîtenréponseauxdéfisposésparlaRévolutionetlaModernité.Rejetant
la Tradition et véhiculant les idées pernicieuses du progrès, de la raison et de l’égalité, la Modernité
inclut, d’une part, tout ce qui est simplement humain et, maintenant, de plus en plus infra-humain, et,
d’autre part, tout ce qui est coupé, dissocié ou séparé du sacré, de la Transcendance et des principes
traditionnels.
La plupart des contre-révolutionnaires actuels considèrent que la
ModernitéprovientdelaRévolutionfrançaise.Poureux,laRévolution est la
Modernité. C’est inexact. La Modernité ne date pas de la Révolution. Pour
employerlaterminologiedeRaymondAbellio,laRévolutionn’estquela«
communion»delaModernité.Celle-civienteneffetdebeaucoupplusloin.
Déjà, la Renaissance ne marque que le moment de son « baptême ». La «
naissance»intellectuelledumondemodernesesitueraitplusjustemententre
FrédéricIIdeHohenstaufen(6),undespèredel’Étatmoderne,etGuillaume
d’Occam(7).
La Modernité se constitua lentement, soumises aux cycles intellectuels.
Puis,àpartirduXVIIIesiècleaveclesuccèsdela«Révolutionatlantique»
en Amérique du Nord et en France, elle acquit une visibilité certaine. Le
triomphe des insurgés américains conditionna durablement les esprits
français. La Fayette et tous ces nobles volontaires en Amérique pour
combattre au nom de la Liberté ne comprirent pas qu’en luttant aux côtés
d’individusquiserebellaientcontrel’autoritédeGeorgeIII,ilssapaientle
principedelégitimité(8).
EnFrance,laGuerred’Amériquequisuscitaungrandespoirintellectuelet
économique, coûta fort chère pour ne rapporter que des broutilles, et deux
sièclesplustard, Disneyland-Paris.Les«Intellectuels»ou,pourreprendre
uneexpressiondeThomasMolnar(9),la«RépubliquedesLettres»,virent
dans la Révolution américaine la réalisation, sur les vestiges de l’«
obscurantisme », d’un monde meilleur, idyllique et paradisiaque. Cette
victoire rendit applicable les propositions politiques, économiques et
sociales de la « philosophie des Lumières ». Ces applications allaient être
poussées à leur paroxysme sous la Révolution française et dans les deux
siècles qui suivants. Les Révolutions américaine et française constituèrent
donclesdeuxpremiersassautsmodernescontrel’ordreroyaltraditionnel.
La réussite de la Révolution américaine contribua à accélérer le
phénomène pré-révolutionnaire en France. Loin d’être une éruption
spontanée, la Révolution française résulta d’un long et profond travail
idéologiqueetculturelsurlesmentalités(10).La«RépubliquedesLettres»
œuvra si parfaitement dans le domaine métapolitique que, au moment
propice,laRévolutionsedéclencha.LouisXVItentad’abordderéagir,mais
ilnevoulaitpasfairecoulerlesangfrançais.Sonespritdébonnairefavorisa
l’anarchie et rendit possible la prise de la Bastille. Cette prise, vue par
certainscommeladatedenaissancedelaFrance,libéradecetteforteresse,
imaginéecommelelieusymboliquedel’absolutismeroyal, sept prisonniers
(quatreescrocs,deuxmaladesmentauxetunjeunehommeincestueux).Louis
XVIacceptalefaitaccompli.
Jouant de la faiblesse du roi, la nouvelle Assemblée Nationale
Constituante selançaalorsdansunesériederéformes.Siellesupprimala
vénalitédeschargesdejusticeetétablitdespoidsetmesuresuniformes,elle
alla beaucoup plus loin puisque, le 4 août, après une soirée de libations
excessives (11), les députés ivres abolirent l’ensemble des privilèges et
proclamèrent l’égalité de tous devant la loi. Puis, accentuant le travail
séculaire de centralisation monarchique, l’Assemblée créa, le 15 janvier
1790,lesdépartements.Le2mars1791,laloid’Allardeabolitlesmaîtrises
et les corporations et, le 14 juin suivant, la loi Le Chapelier interdit le
compagnonnage et la coalition des travailleurs. Ces quelques mesures, les
plusexemplaires,mettentenlumièrelesdesseinsindividualistes,égalitaires
et hypocrites des constituants. La suppression des privilèges, surtout des
privilèges territoriaux, renforça considérablement le centralisme parisien
tandisquelesloisd’AllardeetLeChapelierouvrirentlavoieaucapitalisme
leplusdébridéetàunnouvelesclavage.
LaModernité,matricedestotalitarismes
Lesintentionsnuisiblesdes«Lumières»seretrouventdanslaDéclaration
des droits de l’homme et du citoyen adoptée le 26 août 1789. Dans leur
fougue humaniste, les constituants souhaitèrent remodeler la France et le
monde en rédigeant une déclaration universelle. Pourtant, ces merveilleux
philanthropes n’abolirent nullement l’esclavage aux Antilles. Pis, certains
possédaient des esclaves ou avaient fait fortune dans le commerce
triangulaire!Promouvantdesvaleursmatérialistesetindividualistes,cetexte
nie toutes les communautés organiques intermédiaires dans leurs fonctions
spirituelles,politiques,professionnellesousociales(12).Àlapluralitédes
humanités, des existences et des modes de pensée, elle propose la vision
monothéiste d’un monde simplement constitué d’individus dont l’agrégation
formeraituneseuleetuniqueentitéévidemmentparéedetouteslesvertus.
Maisl’effetleplusgravedecettedéclarationestl’engendrementdetous
les totalitarismes modernes. Le texte porte en lui-même l’esprit totalitaire
danssonarticleXIquistipule:«Lalibrecommunicationdespenséesetdes
opinions est un des droits les plus précieux de l’homme; tout citoyen peut
donc parler, écrire, imprimer librement, sauf à répondre de l’abus de cette
libertédanslescasdéterminésparlaloi».Quandonprendlapeinedelire
ladéclarationdanssonintégralité,ons’aperçoitqueseulcetarticleXI,qui
toucheauxlibertésd’opinionetd’expression,faitl’objetderestrictions.Les
seizeautresarticlesnementionnentnullepartdeslimitationsenverslesabus
provoqués, par exemple, par la liberté absolue de la propriété. « Sauf à
répondredel’abusdecettelibertédanslescasdéterminésparlaloi »est
une phrase si vague qu’elle permet toutes les interprétations possibles et
justifietouteslespolicesdelapensée.Orletotalitarismecommencequand
on empêche certaines opinions de s’exprimer sur la place publique… Dans
unarticlepubliédans LeLivredelamémoire consacréàlaVendée,Michel
Gurfinkiel tire d’un ouvrage du nationaliste israélien Israël Eldad La
Révolutionjuive,uneformuletoutàfaitsaisissante-choquantepourcertains,
remarquable pour d’autres - qui révèle enfin la nature véritable de la
Révolution française : « La dernière pierre que l’on arracha à la Bastille
servit de première pierre aux chambres à gaz d’Auschwitz (13). » Allons
même plus loin, il faut dire franchement que l’expédition du Mayflower et
1789,deuxexemplesflagrantsdelaModernité,aboutissentinévitablementau
génocide vendéen, au massacre de Wounded Knee (14), aux camps de
concentration,auGoulagetauxvillesmartyresdeDresde,d’Horoshimaetde
Nagasaki(15).Quandonenvoitlesrésultats,lesadulateurspatentésdeces
droits devraient se faire plus discrets… Face à cette première Révolution
totalitairesedressaalorslaContre-Révolution.
L’ÉglisecatholiquecontrelaRévolution
La première contre-révolution à s’opposer fut la Contre-Révolution
religieuse.LaRévolutioncommit,eneffet,saplusgraveerreurenvotant,en
1790, la Constitution civile du clergé. Les prêtres catholiques furent
désormais élus par tous les citoyens actifs, non-catholiques compris, et ces
curés durent prêter un serment de fidélité à la Nation. Dans de nombreuses
provinces, maints prêtres ne jurèrent point et prirent le chemin des maquis.
Plus tard, ils encadrèrent les jeunes paysans qui refusaient la conscription.
Ensemble, ils formèrent des bandes armées, constituant bientôt la contrerévolutionmilitaire.
L’Églisecatholique,apostoliqueetromaineavaitdéjàprisl’habitudederésisteràlaModernité.Àla
suite du concile de Trente, le catholicisme romain lançait la Contre-Réforme qui « modernisa » maints
aspects du catholicisme médiéval. Dans de nombreuses provinces, les nouveaux curés de formation
tridentine durent extirper de leurs paroisses les « superstitions ». Les historiens remarquent que les
territoiresquiacceptèrentdenepluscélébrerles«saints»locauxofficieuxsesécularisèrentrapidement
et devinrent des zones jacobines sous la Révolution (16)… Pris par la soudaineté des événements, de
nombreuxecclésiastiquesvirentdanslaContre-RévolutionlamanifestationlaplusrécentedelaContreRéforme.Considérantlegallicanismeetlejansénismecommedeshérésiesrévolutionnaires,lespenseurs
contre-révolutionnairesserangèrentparconséquentsouslabannièredel’ultramontanisme(17).Pendant
prèsdecentans,l’ÉgliseparutsymboliserlerempartparfaitcontrelaRévolution,cequinel’empêchait
pasdesignerunconcordatavecNapoléonBonaparte.
Au XIXe siècle, Rome poursuivit sa croisade contre les effets de la
Révolution.Lapapautésemontrarigideetsoutintlathèsedel’allianceentre
l’auteletletrône.Lafidélitéàlatraditioncatholiquedonnale Syllabus en
1864 et le concile Vatican l en 1870. Dans un monde plongé en plein
modernisme, l’Église catholique restait, pour les contre-révolutionnaires, le
dernier pilier traditionnel en Occident. Or, en 1890, Léon XIII, comprenant
qu’unetellevoiefiniraitenimpasse,demandaauxcatholiquesfrançaisdese
rallier à la République et encouragea les premiers mouvements de la
démocratie chrétienne. Le plus curieux fut que les premiers responsables
démocrates-chrétiens venaient du catholicisme social, d’inspiration
corporatiste.Ainsi,uncompagnondeRenédelaTourduPin,lelégitimiste
Albert de Mun, devenu député, participa à la constitution de la Droite
constitutionnelle(18).
Se détournant de l’action politique directe, certains papes du début de
notre siècle comme Pie X tentèrent, sans succès décisif, de briser les
courants modernistes. Puis, désireuse de se rallier à des personnalités
influentes ou de s’accommoder avec des États modernes, l’Église n’hésita
pas à désavouer ses propres partisans ou ceux qui défendaient ses
prérogatives traditionnelles. L’année 1926 vit successivement la
condamnation de l’Actionfrançaise et la signature d’un accord avec l’État
révolutionnaire mexicain au moment où les « Cristeros », les contrerévolutionnaires du centre du Mexique, allaient, au terme d’une offensive
victorieuse,prendreMexicoetrenverserlerégimeanticlérical(19).
Le catholicisme contemporain :
faux traditionalisme et vraie contre-
modernité
Aujourd’hui,etd’aprèsLeNouvelObservateur,LePoint, l’Événementdu
Jeudi ou LeMonde,l’Églisecatholiquetiendraitencoreundiscourscontrerévolutionnaire et Jean-Paul II incarnerait le pape réactionnaire. La
manifestationlaplusrécentedel’espritcontre-révolutionnaireseraitl’avantdernière encyclique Evangilium Vitæ. En réalité, l’Église - en tant
qu’institution - n’a jamais été contre-révolutionnaire. Pis encore, pour
perpétuer sa mainmise sur les âmes, elle se donne à tous les régimes
possibles et imaginables. Au-delà d’une attitude jugée de l’extérieur
conservatrice,lepapeactuelfaitdenombreusesconcessionsàlaModernité.
Ilnecherchequ’àconsolidersasuprématiesurunorganismeplusquejamais
traversé par des courants conflictuels. Si une partie des fidèles qui suit
volontiers«lamadonedesplateauxdetélévision»,JacquesGaillot,trouve
lespositionspontificalesexagérées,uneautrequisedéclaretraditionaliste,
les juge au contraire trop timorées. Entre ces Charybde et Sylla louvoient
avecplusoumoinsdefacilitélespartisansdeJean-PaulII.Celui-cin’estpas
unpapecontre-révolutionnaire;c’estunpapecontre-moderne.Sonplusgrand
souhait serait de « catholiciser » la Modernité comme il rêverait de
romaniserlemondeorthodoxeetdechristianiserlejudaïsme.
(...)
NOTES
*Àl’origine,cetexte,écritaumilieudesannées1990étaitdestinéauxmembresdel’ÉcoledescadresduG.R.E.C.E.,d’oùle
tonoffensifdelaconclusion.Nousl'avonslaissételquel,refletd'unepériodequifutle«secondprintemps»delaN.D.(de
mauvaisespritsparleraientd'«étéindien»…).Onaparailleurscomplétélabibliographie.
1:HannahArendt,EssaisurlaRévolution,Gallimard,1985.
2:J.-C.Petitfils,«Lesoriginesdelapenséecontre-révolutionnaire»,LaContre-révolution : origines, histoire,postérité,
sousladirectiondeJeanTulard,Perrin,1990,p.22.
3:Id.,p.25.
4:Id.,p.27.
5:SurlaContre-révolution,onpeutconsulterLouis-M arieClénet,LaContre-Révolution,P.U.F.,1992;sousladirectionde
RogerDupuyetdeFrançoisLebrun,LesrésistancesàlaRévolution,Imago,1987;GérardGengembre,LaContre-Révolution
ou l’histoire désespérante, Imago, 1989 (un ouvrage fort partial) ; sous la direction de Bernard Demotz et de Jean Haudry,
Révolution Contre-Révolution, Le Porte-Glaive, 1990 (très intéressant) ; Jacques Godechot, La Contre-Révolution (1789 1804), P.U.F., 1984, l’auteur est aussi l’inventeur du concept de « Révolution atlantique » : la révolution américaine ayant
influencéelarévolutionfrançaise;StéphaneRials,RévolutionetContre-RévolutionauXIXesiècle,Albatros/D.U.C.,1987.Le
grandlivredesynthèsesurl’histoiredelaContre-Révolutionresteàfaire…SurlaVendée,onsereporteraàl’ouvragecollectif,
LaVendéedansl’histoire,Perrin,1992,etàRaynalSecher,Legénocidefranco-français.LaVendée-Vengé,P.U.F.,1986.Onlira
enfin l’excellent opuscule de Stéphane Rials, Le légitimisme, P.U.F., 1983, consacré aux partisans de la branche aînée des
Bourbonschasséeen1830etdontlesmotivationss’inscriventenpartiedanslamouvancedelaContre-Révolution.
6 : À la différence de Philippe le Bel, véritable précurseur de l’État moderne, Frédéric II de Hohenstauffen demeure un
empereurgermaniquefidèleauxprincipestraditionnelsbienquelaplupartdecesbiographeslecomparentàunhommedela
Renaissance.DansL’empereurFrédéricII,Gallimard,1987,ErnstKantorowiczécritnéanmoinsque«lesdonsexceptionnels
de cet empereur avaient absolument besoin, pour ne pas se perdre, d’un champ d’application et, pour exercer leur action
créatrice,illeurfallaitlecadrerigideetleplussolidequ’onpûtimaginer,c’est-à-direunÉtatfortementorganisé,créeparcet
empereurlui-mêmeetdontlaloidevîntsapropreloi»,p.202.Pourl’historienallemand,lesconstitutionsdeM alfiquidonnent
àlaseuleSicileunearmatureétatique,«constituentlabasedupremierÉtatlibérédel’Égliseetpurementséculier.Prémicesde
toute création d’État moderne, elles ont continué, bien que sous une forme affadie et plus matérielle, d’exercer leur influence
jusqu’ànosjoursàtraversl’absolutismeetlabureaucratie»,pp.210-211.Pourplusdescompléments,onpeutsereporterau
chapitreV«LetyrandeSicile»del’ouvragecitédeKantorowicz.
7 : La M odernité a des origines multifactorielles et il serait stupide de réduire son émergence à une seule cause. M ais le
nominalismeaparticipéàsagenèseenétablissantlesfondementsdel’individualisme.Eneffet,cetteécoledescolastiquetardive
considère que les catégories n’ont pas d’existence substantielle. Or s’il n’y a rien au-delà de l’être singulier, alors toutes les
communautésnesontquedesadditionsd’individus.
8:Certainsdecesvolontairesd’Amériquedevinrentplustarddescontre-révolutionnaires,commelechevalierdeCharette.
Toutefois,GeorgeIIIétait-ilvraimentlégitimealorsquesafamilleusurpait(etusurpeencore)letrôned’Angleterre?
9:ThomasM olnar,LaContre-Révolution,LaTableRonde,1982.UnouvrageremarquablesurlaContre-RévolutionauXXe
siècle.
10:Contrairementàunetraditioncontre-révolutionnairebienétabliequivoitdansuncomplotlesoriginesdelaRévolution,
celle-ci ne découle pas d’une conspiration. La Révolution n’est que le résultat pratique du long travail subversif des
Encyclopédistes, mais il est néanmoins exact que le chef de la franc-maçonnerie française, le futur Philippe-Égalité, attisa les
tensions politiques à partir de 1788. C’est depuis le Palais-Royal, un lieu où la police - fort laxiste d’ailleurs - ne pouvait
pénétrer, que s’imprimaient les libelles pré-révolutionnaires. Il faut aussi mentionner le jeu trouble du comte de Provence, le
futurLouisXVIII,quirêvaitdelacouronne,etdesinquiétudespersistantesdugouvernementbritanniqueenverslapuissance
navale croissante de la France et l’intensification de la spéculation financière à Paris dont l’activité boursière allait bientôt
dépassercelledelaCity.Lesboursicoteursanglaisdurentseréjouirdelagravitédesévénementspolitiquessurvenusdansla
capitale française. Cependant, nous appelons « Subversion » l’action pratiquée par les Encyclopédistes et leurs amis dont le
long travail intellectuel échelonné sur un siècle et demi, voire depuis la Renaissance, sapa progressivement les structures
traditionnellesenFrancedéjàfortmalmenéesparl’œuvrecentralisatricedesValoisetdesBourbons.
11:Cf.JacquesHeers,LeMoyen-Âge,uneimposture,Perrin,1992,pp.108-109.
12:IlnefautpasoublierquelaDéclarationdesdroitsdel’hommeetducitoyende1789estuntexted’origineraciste.En
effet, les députés des anciens États-Généraux, élus par les sujets du roi de France, se considérant comme l’émanation d’un «
peuple»,voired’une«race»supérieure,décidèrentd’adopteraunomdetouslespeuplescommes’ilsétaientinvestisd’une
missiondivineunedéclarationnonpointnationale,maisuniverselle.Entrel’Êtresuprêmeetl’humanité,ilyauraitlesFrançais,
ou plus exactement les futurs « citoyens actifs », c’est-à-dire les bourgeois. Cette croyance en une supériorité des Français
considéréscommeleChristcollectifdesnationsposelepremierjalonduracismequinepeutêtrequemoderne.Danssonarticle
«Racismeettotalitarisme»,ClaudePolinécritque«lapassionracisteest[…]incompréhensibleendehorsd’unégalitarisme
sous-jacent,etc’estpourquoielleestinexistanteendehorsdesépoquesoùrègnel’idéed’égalité.C’estparcequ’onnevoudrait
passesentirl’égald’autreshommesqu’onestraciste;maisc’estparcequ’onsesentenréalitéleurégalqu’onl’est:leracisme
est une égalité mal vécue » dans Racismes Antiracismes sous la direction d’André Béjin et de Julien Freund, M éridiens
Klincksieck,1986,pp.154-155.
13:M ichelGurfinkiel,«Lamorsuredutotalitarisme»,Vendée,leLivredelamémoire1793-1993,sousladirectiondeJean
TulardetdePatrickBuisson,Valmonde,1993,p.78.
14 : Le 29 décembre 1890, des soldats yanquis - comme l’écrit Pierre Boutang - massacrent dans le Dakota du Nord à
WoundedKneecentvingthommesetdeuxcentstrentefemmesetenfants.En1973-1974,pendantsoixante-et-onzejours,des
militantsdel’A.I.M .(M ouvementindienaméricain)résistèrentàlagardenationaleetauF.B.I.quiassiégèrentlaréserve,faisant
au cours des combats deux morts du côté de la résistance amérindienne. Rappelons aussi que les États-Unis détiennent
désormaisleplusvieuxprisonnierpolitiquedumondeenlapersonnedeLeonardPeltier,militantdelacauseamérindienne.
15:Sansomettrelesgénocidesarménien,ukrainienetcambodgienperpétrésaunomduProgrès.
16:Enrevanche,lescontréesoùperdurauncatholicismepopulairerétifauxnouvellesmesurestridentinesdevinrentpourla
plupartdesfoyerscontre-révolutionnaires(Vendée,Bretagne,Normandie,M aine,M ontsduLyonnais,Haute-Provence…).
17 : Il faut nuancer cette interprétation. De nombreux contre-révolutionnaires français des XVIIIe et XIXe siècles restent
attachésauxlibertés«gallicanes»del’ÉglisedeFrance.
18:LaDroiteconstitutionnellereprésentaitencoreparadoxalementuncatholicismeintransigeantetuneopposanteaumonde
moderne;pourcelamême,ellesemontrahardiedanssesidéessocialesàuneépoqueoùlagauchepréféraitfairetirersurles
ouvriersengrève.SurlapenséesocialedelaContre-RévolutionauXIXesiècle,cf.ArnaudImatz,PardelàDroiteetGauche.
Permanenceetévolutiondesidéauxetdesvaleursnonconformistes,GodefroydeBouillon,1996,plusparticulièrementpp.105
-107.
19:Surla«Vendéemexicaine»méconnueenFrance,lelecteurconsulteradeJeanA.M eyer,Apocalypseetrévolutionau
Mexique.LaguerredesCristeros(1926-1929),Julliard,1974(unrecueildetextesmexicains),LaChristiade:l’Église,l’Étatet
le peuple dans la Révolution mexicaine, Payot, 1975, et Hugues Kéraly, La véritable histoire des Cristeros, Éditions de
l’Hommenouveau,2006.OnsereporteraaussiàLectureetTradition,n°305-306,juillet-août2002.
20 : Comme en témoigne la polémique en janvier 1991 entre François M aistre, un des traducteurs d’Evola, et le bulletin
littérairecontrerévolutionnaireLectureetTradition,n°167,janvier1991.
21 : M ichel M ichel dans Éric Vatré, La Droite du Père. Enquête sur la Tradition catholique aujourd’hui, Guy-Trédaniel
Éditeur,1994,p.215.
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