L`aventure boursière des entreprises ferroviaires belges

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L`aventure boursière des entreprises ferroviaires belges
L'aventure boursière des entreprises ferroviaires belges
Hans Willems, Frans Buelens, Arvid Claassen
Les maintes études soulignant l'importance économique des chemins de fer belges n'abordent
généralement que de manière sporadique l'évolution boursière au cours du 19e siècle des nombreuses
entreprises ferroviaires. Un examen de l'évolution des cours et des dividendes des chemins de fer
belges au cours de cette période nous apprend que le secteur était en 1865 l'un des plus importants de
la place boursière bruxelloise avec 23 sociétés privées.i A la fin de l'année 1865, les capitaux investis
en bourse dans des sociétés ferroviaires représentaient 51% de l'ensemble des capitaux des entreprises
cotées en bourse. Les sociétés ferroviaires préféraient cependant un financement par des emprunts via
obligations, puisque 56% des capitaux de ces sociétés étaient constitués d'obligations contre 44%
d'actions.ii Et 91% de l'ensemble des valeurs en obligations du secteur privé étaient des titres
ferroviaires.
L'introduction de ceux-ci sur la place de Bruxelles n'a démarré que très lentement. La Société
Anonyme des Chemins de fer du Haut et du Bas Flénu a essuyé les plâtres en 1835. En raison d'un
règlement boursier très strict, les entreprises (ferroviaires) belges éprouvaient de très grandes
difficultés à être admises en cotation : deux seulement y sont parvenues avant 1847. L'Etat, qui
décidait ou refusait leur introduction en bourse, appliquait le refus systématique tant que la ligne ferrée
en question n'était pas terminée. Cette règle n'a été assouplie que par la loi du 26 mars 1847. Pour
contourner ce problème, les sociétés belges se sont tournées vers d'autres moyens de financement, ce
qui explique pourquoi la bourse de Londres notait une demi-douzaine d'entreprises belges de chemins
de fer en 1845. iii La ‘railway mania’ qui animait cette place boursière forte de plus de 200 entreprises
ferroviaires, a suscité un climat ambiant très favorable, notamment pour les titres étrangers.
Cours des actions en £ de la société 'Namur and Liège' à
Londres (valeur nominale de 500 BEF)
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Source: The Economist, 1845 – 1852.
Le graphique ci-dessus prend comme exemple le cours de l'action de la société des Chemins de fer de
Namur à Liège. Après un creux de 1,375 livre sterling en avril 1846, le cours progresse jusqu'à 10
livres en février 1849, après avoir connu des vicissitudes parfois importantes. Après une dégringolade
continue jusqu'en octobre de la même année, l'action se redresse pour finalement osciller autour des 7
1
£. Les variations de cours de ces cotations étrangères étaient liées davantage à l'évolution des cotations
anglaises qu'à l'évolution des bénéfices des entreprises concernées.iv
Etant donné le petit nombre de titres ferroviaires côtés sur la place bruxelloise, il nous est difficile de
nous faire une idée du climat de hausse durant cette période.v A partir de 1847, nous relevons l'entrée
en bourse de Bruxelles de nouvelles compagnies ferroviaires (Anvers-Gand, Sambre et Meuse,
Charleroi-Erquelinnes, Namur-Liège). D'autres les rejoignent par la suite, si bien que 23 des 42
entreprises ferroviaires existantes en Belgique sont cotées en bourse en 1865.
Au 19e siècle, la valeur d'une action était en grande partie déterminée par le dividende qui lui était
attribué. Par le succès inégal des entreprises belges de chemins de fer, les actionnaires étaient
confrontés à une très grande diversité dans la perception des dividendes. Certaines entreprises ont cédé
l'exploitation de leurs concessions à l'Etat ou à de grandes sociétés fusionnées comme les Bassins
Houillers du Hainaut (associés à la Banque de Belgique)vi ; elles ont alors perçu une rente annuelle,
une part fixe des recettes ou encore un mélange des deux (en fonction des termes de l'accord).vii Dans
la plupart des cas, ces revenus stables ont été utilisés pour rembourser les obligations et allouer un
dividende aux actions privilégiées qui donnaient généralement droit à un intérêt fixe (par exemple la
Société de chemins de fer de la Flandre occidentale: actions privilégiées bénéficiant d'un intérêt de
5,12%). Par l'importance de ces versements, la probabilité qu'un dividende soit versé aux actionnaires
ordinaires était fort mince. Le cas du Chemin de fer de Maeseyck est parlant, puisque la société a
alloué pendant 13 ans un dividende de 1 franc belge par actions ordinaires.
En raison du taux d'intérêt invariable, les actions de chemins de fer avaient, dans le chef des
concessionnaires privilégiés, un statut identique aux obligations garanties, et ce même pour les
entreprises plus petites et moins rentables. Les sociétés les plus performantes ont en outre eu la
possibilité de combiner ces garanties d'Etat avec un dividende réel, de façon à pouvoir augmenter
considérablement les montants affectés aux dividendes, en faisant un judicieux usage des différentes
sortes d'actions.viii
Pour terminer, les graphiques suivants illustrent les évolutions boursières de trois actions de sociétés
belges de chemins de fer. On constate la progression pour ainsi dire parallèle des actions des sociétés
Antwerpen- Rotterdam et Pepinster-Spa jusqu'en 1873. Parties en 1859 d'une valeur nominale de 250
FB, ces deux actions se comportent d'abord de manière très favorable jusqu'en 1873. Mais alors que
celle d'Antwerpen-Rotterdam recule jusqu'en 1880, nous constatons que le cours de l'action de
Pepinster-Spa poursuit sa progression à la hausse jusqu'à sa disparition de la place bruxelloise en
1877. Cette disparition est peut-être motivée par le fait que l'Etat avait incorporé cette ligne dès 1872
en raison de son intérêt stratégique.
L'action de la société d'Anvers à Rotterdam repart à la hausse en juillet 1880, soit après le rachat par
l'Etat de la partie belge de la ligne. Cette progression se poursuit jusqu'en 1895, lorsque la valeur de
l'action a quasiment quadruplé par rapport à sa valeur nominale. Bien que la société n'exploitait plus
aucune ligne elle -même à partir de 1880, elle restait en fait un maillon essentiel de la société du Grand
Central belge. Et la progression très prononcée de sa valeur dans les années 1890 est probablement à
mettre en corrélation avec les espoirs des actionnaires d'un rachat, en des termes favorables, de la
société par l'Etat Belge. Les évolutions globalement positives de ces deux axes "internationaux"
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contrastent fortement avec le cours, plus saccadé et moins heureux, de la Compagnie des chemins de
fer Est Belge, qui exploitait diverses lignes du bassin Charleroi. Nous identifions facilement les
remous de la conjoncture qui ont secoué les secteurs belges du charbon et de l'acier tout au long de la
seconde moitié du 19e siècle. C'est ainsi que l'action a chuté à plusieurs reprises, pour atteindre un
cours plancher d'un rien supérieur au quart de sa valeur nominale (500 francs belges) vers 1869. Mais
chaque fois, elle a remonté la pente pour atteindre de nouveau le seul symbolique du demi-millier de
francs en 1893. Néanmoins, il n'a jamais été question de plus-value.
1
Cours de l'action en BEF de la société 'Pepinster à
Spa' (valeur nominale de 250 BEF)
Cours de l'action en BEF de la société 'Est-Belge'
(valeur nominale de 500 BEF)
Source: Cours Authentique 1859-77.
02-mai-91
02-mai-88
01-juin-85
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02-déc-78
02-janv-81
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Source: Cours Authentique 1859-91.
Cours de l'action en BEF de la société 'Anvers à
Rotterdam' (valeur nominale 250 BEF)
02-oct-91
02-juin-94
01-déc-88
02-mai-84
02-sept-86
02-nov-79
02-mars-82
02-mai-75
02-sept-77
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29-nov-65
27-mars-67
01-avr-63
01-août-64
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Source: Cours Authentique 1859-95.
i
ii
iii
Bourse de Bruxelles, Cours Authentique, 1835–1900.
G. Van de Velde, Le rendement des placements (1865-1939), Louvain, 1943, p. 335.
The Economist, 1845–1852.
iv
The Economist du 27 juin 1846.
v
Pourtant, lors de l'introduction en bourse du Chemin de fer de la Sambre à la Meuse en 1837, les demandes
d'inscriptions ont été 100 fois supérieures aux possibilités. Voir L. Frère, Etude historique des sociétés
anonymes belges, s.l., 1938, vol. I, p. 37.
Par exemple la société du Haut et Bas Flénu, qui cède en 1865 l'exploitation de ses lignes à la Banque de
Belgique en échange d'une annuité de 460.000 BEF (jusqu'en 1926). L'obligation a successivement échoué
aux Bassins Houillers du Hainaut, à la Société Générale d’Exploitation et à l'Etat Belge. Le capital initial de
3,5 millions de francs belges, relevé à 4 millions de francs répartis sur 4.000 actions de 1.000 BEF chacune, a
été divisé en 1866 en deux sortes d'actions. Les 4.000 actions initiales ont été dédoublées en 4.000 actions de
capitaux (avec un dividende fixe de 60 BEF) et 4.000 actions ordinaires (avec un dividende fixe de 50 BEF)
pour lesquelles était prévu un amortissement de 49 ans à raison de 1.000 BEF par action.
Le Chemins de fer de Namur à Liège, par exemple, a perçu chaque année une rente annuelle d'un million de
francs belges de la Compagnie française des chemins de fer du Nord et de 672.330 BEF de l'Etat pour
l'exploitation des lignes qu'elle avait en concession. La société des Chemins de fer direct de Bruxelles à Lille
et Calais a reçu de l'Etat un 'fermage' de 50% des recettes brutes. Voir Recueil Financier, 1902, pp. 153–173.
vi
vii
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viii
La société de Braine Le Comte à Gand (fondée en 1863), par exemple, avait trois genres d'actions : 6.000
actions privilégiées de 500 BEF et 6.000 actions à dividende de 500 BEF, auxquelles il faut rajouter 1.200
actions de jouissance réservées aux concessionnaires. Les résultats financiers ont été fabuleux. Sur
l'ensemble du capital engagé, un bénéfice important a été enregistré pour la période 1867-1913, sur lequel les
actions des concessionnaires (dites de jouissance) étaient les plus rémunératrices, malgré leur absence en
cotation boursière. Un investissement initial de 500 BEF dans une action à dividende a donné droit en 1892 à
un dividende de 89,7 BEF, de 152,5 BEF en 1905 et même de 208 BEF en 1913. Parallèlement à cela, le
cours de l'action est passé de 2.100 BEF en 1892 à 4.225 BEF en 1905 pour redescendre à 4.172 BEF en
1913.
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