Les Cachettes De La Honte Toxique - Eki-Lib
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Les Cachettes De La Honte Toxique - Eki-Lib
Les Cachettes de la Honte Toxique C’est dans ce contexte que je me sens lle plus seul et le plus vulnérable. Je m’offrais une gâterie pour me récompenser d’avoir travaillé très fort. Tout de suite après avoir mangé une sucrerie quelconque, j’entrais dans une phase de relâchement. J’étais tout d’abord obsédé par mon geste. Ensuite, je me disais que, comme j’avais tout gâché, je pouvais aussi bien manger d’autres sucreries. Je me gaverais aujourd’hui seulement et je reprendrais le contrôle demain. Oui, mais « demain » n’arrivait jamais ! Et plus on mange des mets sucrés, plus on a envie d’en manger encore. Obsédé par les sucreries, j’entrais directement dans une phrase de relâchement. Cette phrase durait Le plus souvent, la jeune fille anorexique est issue d’une famille riche, dominée par le perfectionnisme et très préoccupé par son image sociale. Pour montrer sa respectabilité et son appartenance à une classe sociale supérieure, on doit préserver et projeter une image très spéciale. Voici les caractéristiques dominantes de ce type de famille : le perfectionnisme ; la nonexpression des émotions (règle du silence) ; un père autoritaire, strict et souvent tyrannique ; une mère obsessionnelle, complètement coupée de ses sentiments de tristesse et de colère ; une pseudo-intimité, une harmonie feinte dans le couple ; une grande peur de perdre le contrôle partagée par tous les membres du système familial ; des relations piégées et des alliances transgénérationnelles. Ces facteurs se présentent sous diverses combinaisons. habituellement jusqu’à ce que mes seins se mettent à grossir ! Je savais alors qu’il était temps de me remettre au régime, de faire de l’exercice physique et de renoncer au sucre. Dans mon cas, comme dans tous les cas de compulsion/dépendance, il n’y avait pas de juste milieu. C’était tout ou rien. L’anorexie Dans notre culture, un nombre croissant de femmes jeûnent et se laissent mourir de faim. Parmi tous les troubles de l’alimentation, l’anorexie est certainement le plus paradoxal et le plus dangereux. Particulièrement répandue dans les familles aisées oÙ l’on retrouve une fille âgée de treize à vingt-cinq ans, elle est presque épidémique dans certains collèges privés bien nantis. Grâce à son régime de famine et à son amaigrissement, l’anorexique prend le contrôle de la famille. Elle est l’illustration même de ce qui ne va pas dans sa famille. Elle a une maîtrise de soi rigide et excessive, nie toute émotion, s’efforce d’accomplir des performances et s’abrite derrière un mur de faux-semblants. Dans son système familial, elle devient le Pilier de service et le Bouc Émissaire. S’inquiétant de plus en plus pour sa vie, son père et sa mère se rapprochent l’un de l’autre. Au départ, l’anorexique traverse habituellement des cycles d’alimentation/jeûne et ressent un grand besoin de manger des mets sucrés. Souvent, elle souffre de dépression et s’impose une activité physique excessive. À mesure que la maladie progresse, elle associe à son régime draconien le recours à des laxatifs et au vomissement provoqué. Les différents stades d’inanition s’accompagnent d’intenses modifications de l’humeur et de l’état de conscience. L’anorexique souligne dramatiquement le refus d’être simplement humain qui est inhérent à la honte toxique. Ce refus soustend le dégoût et la négation de son corps, dégoût qui va jusqu’au rejet de sa vie instinctive et émotionnelle. L’anorexique renonce à sa sexualité en refusant littéralement les signes de sa féminité (les menstruations, le développement des seins). Elle renonce à ses émotions en refusant de manger. Pour elle, la nourriture semble être l’équivalent des émotions. Étant donné que toutes ses émotions sont reliées à la honte, en refusant de manger, elle évite de ressentir sa honte toxique. Par ailleurs, il existe entre l’anorexique et sa mère une relation trouble ainsi qu’une confusion en ce qui a trait aux frontières personnelles de chacune. En effet, il arrive fréquemment que, la mère ayant réprimé la colère et la tristesse qu’elle éprouve pour son mari, la fille porte le poids de ces sentiments, lesquels s’avèrent d’autant plus accablants qu’ils ont été profondément refoulés (rappelons-nous l’exemple des chiens affamés). En s’imposant un régime de famine, elle se protège de ces sentiments accablants. L’anorexie étant une maladie complexe, je ne crois certainement pas, au fil de ces quelques paragraphes, lui avoir rendu justice sur le plan clinique. Néanmoins, j’espère que le lecteur aura pu sentir que ce problème de dépendance prend sa source dans un état d’esprit transformé par la honte familiale. Le fait de croire que l’on peut vivre tout en refusant de s’alimenter constitue le rejet ultime de son humanité. Il s’agit là d’une tentative d’être plus qu’humain. La boulimie Bien qu’habituellement l’anorexique règle son problème de famine en passant par le cycle de gavage/purge propre à la boulimie, ce trouble de l’alimentation peut se développer indépendamment de l’anorexie. De nos jours, les femmes ne sont plus les seules à souffrir de boulimie ; on voit en effet de plus en plus d’hommes qui, obsédés par le culte de la forme physique et voulant préserver la jeunesse de leur corps, recourent au vomissement provoqué et deviennent boulimiques. Pour Kaufman, la boulimie, la boulimarexie et l’anorexie constituent, sans aucun doute, les syndromes d’une honte profondément enracinée. Selon lui, la honte toxique est aussi présente dans la phase de gavage que dans celle de la purge. À l’instar de Tomkins, il croit que la nourriture sert de substitut aux besoins relationnels paralysés par la honte : Quand la personne se sent vide à l’intérieur, qu’elle a faim d’être unie à quelqu’un, qu’elle désespère de se blottir dans les bras de quelqu’un, qu’elle a un grand besoin d’être désirée et admirée—mais que tous ces besoins sont devenus tabous à cause de la honte—elle se tourne plutôt vers la nourriture. Jamais cette attente ne peut être satisfaite par la nourriture et, à mesure qu’elle se transforme en honte, la personne mange encore plus pour anesthésier sa honte. La méta-honte, la honte de se gaver en cachette, est un déplacement de l’affect, une transformation de la honte de soi en honte de la nourriture. L’obésité présente la même dynamique. Dans les cas de boulimie, la phase de gavage intensifie la honte qui, à son tour, déclenche la phase de purge, laquelle est aggravée par un dégoût et un mépris de soimême. Le vomissement est un réflexe de dégoût. Certaines situations émotionnelles dégoûtantes ne nous donnent-elles pas la nausée ? On dira que telle chose nous rend « malade », que cela nous reste « en travers de la gorge » ou que c’est « difficile à digérer ». Consciemment, la personne boulimique se force à vomir pour ne pas grossir, mais inconsciemment, elle le fait pour se nettoyer de la scandaleuse quantité de nourriture qu’elle vient de dévorer. Ainsi, elle se lave littéralement de sa honte. Selon Tomkins, le vomissement boulimique est l’exagération d’un affect. Une fois que la chose exagérée a atteint un certain pic d’intensité, il devient possible de s’en libérer. Le vomissement aggrave l’humiliation et le dégoût de soi-même, portant la honte jusqu’à un sommet oÙ se produit un effet d’éclatement suivi du sentiment d’être nettoyé et purifié. Kaufman abonde dans le même sens : « Une fois que les sentiments d’humiliation ont été exagérés en intensité et en durée, ditil, ils finissent par s’évanouir, par se consumer. » Beaucoup d’individus pétris de honte ont l’air d’être en contact avec leurs émotions parce qu’ils les expriment intensément. Mais, comme Cermak l’à souligné, l’explosion affective étant un moyen d’en finir avec les émotions, elle aboutit exactement au même résultat que l’exagération de l’affect dont parlait Tomkins. C’est une stratégie masochiste qui vise à résorber l’émotion en l’intensifiant. L’exagération fonctionne également dans le sens opposé : on peut intensifier ses émotions jusqu’à ce qu’elles explosent, mais on peut tout aussi bien les diminuer jusqu’à ce qu’elles se figent. La dépendance aux émotions Il est possible de modifier son humeur sans recourir à une quelconque substance chimique ou à la nourriture. Pensons, par exemple, au fameux racket des émotions—le troc d’un sentiment indésirable contre un sentiment autorisé par la famille—dont j’ai parlé dans les pages précédentes. Ce phénomène illustre bien de quelle manière on peut devenir dépendant d’une émotion quelconque, et plus particulièrement de cette forme de colère intensifiée que l’on appelle la rage. La rage, la seule émotion qui ne peut être dominée par la honte, est en fait une colère aggravée par la honte. La colère, tout comme l’instinct sexuel, est une énergie émotionnelle qui nous protège : elle assure notre autoconservation, c’est-à-dire la conservation de notre vrai moi. Notre colère, c’est notre force. À partir du moment oÙ elle est contaminée par la honte, elle devient pareille à ce chien affamé que l’on ne peut garder prisonnier dans la cave. Une fois que notre identité est envahie par la honte, notre colère tourne à vide. Sous l’emprise de la honte, elle se transforme en rage, s’échappe de sa prison et entre en action. La rage effraie tous ceux qui nous entourent.