Rembrandt€: le retour de l`enfant prodigue

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Rembrandt€: le retour de l`enfant prodigue
Rembrandt : le retour de l'enfant prodigue
Le Cardiologue
-- Le cardiologue - Vie sociale - Le coup de coeur du cardiologue - En 2009 --
En 2009
Rembrandt : le retour
de l'enfant prodigue
Par Christian Ziccarelli (Le
Cardiologue n° 327 décembre 2009)
Equipe éditoriale
Publié le jeudi 22 avril 2010
Résumé :
Modifié le dimanche 23 janvier 2011
Au détour d'une salle entière du musée de l'Ermitage (à Saint Pétersbourg) consacrée àFichier
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prodigue (acquis en 1766 par la Grande Catherine). Comment rester indiff érent devant un tel tableau ! Et pourtant le touriste de notre
époque, toujours pressé, entraîné par un guide souhaitant lui en montrer le maximum, n'y jette qu'un coup d'oeil furtif. Il faut prendre le
temps de détailler ce chef d'oeuvre de la peinture pour en découvrir toute la richesse chromatique et symbolique.
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Rembrandt : le retour de l'enfant prodigue
Au détour d'une salle entière du musée de l'Ermitage (à Saint Pétersbourg) consacrée à
Rembrandt, on découvre, le retour de l'enfant prodigue (acquis en 1766 par la Grande
Catherine). Comment rester indiff érent devant un tel tableau ! Et pourtant le touriste de notre
époque, toujours pressé, entraîné par un guide souhaitant lui en montrer le maximum, n'y
jette qu'un coup d'oeil furtif. Il faut prendre le temps de détailler ce chef d'oeuvre de la
peinture pour en découvrir toute la richesse chromatique et symbolique.
Cette remarquable illustration de la parabole du « retour de l'enfant prodigue », faite de rayons
lumineux et de plages obscures appelle le regard avec force.
« Le retour de l'enfant prodigue » de van Rijn Rembrandt, huile, Hollande, 1668 (262 x 205)
Un homme âgé, le père, les yeux mi clos, penché sur son fi ls cadet domine la scène, une lumière
mystérieuse les enveloppe. Le temps semble s'être arrêté, l'atmosphère diffuse permet à peine de
définir le lieu. Trois autres personnages, le visage éclairé, observent, avec plus ou moins d'intérêt,
ces retrouvailles. Un sixième reste dans l'ombre. C'est la silhouette d'une femme, mais, difficile de lui
donner un âge, est-ce la mère ou une servante ? « C'est une si belle chose que la lumière, que
Rembrandt, presque avec ce seul moyen, a fait des tableaux admirables... la lumière est le principal
moyen employé par l'artiste pour rendre le sujet frappant. C'est elle qui dessine ces traits, ces
cheveux, cette barbe, ces rides et ces sillons qu'a creusés le temps. Ce que Rembrandt a fait avec le
clair-obscur, Rubens l'a fait avec l'incarnat. Rubens a régné par les couleurs, comme Rembrandt par
la lumière. L'un savait rendre tout éclatant, l'autre tout illuminer ; l'un est splendide, l'autre est
magique ». Eugène Fromentin. [1]
L'oeil se focalise sur ces deux mains paternelles qui enserrent dans un geste d'amour, les épaules
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de l'enfant, l'une est noueuse masculine, l'autre fi ne, féminine. Ce fi ls cadet, qu'il croyait perdu à
tout jamais, est revenu. Sa condition laisse peu de doute. Il a perdu son identité, sa tête rasée
évoque un pénitent, un prisonnier, voire un esclave. A genoux, dans une attitude de soumission,
d'humilité, il est émacié, affamé. Ses vêtements sont en loques, le pied gauche calleux, sans
sandale, porte des cicatrices. Seul témoin de son ancienne condition, une épée pend à son côté. Le
père, au crépuscule de la vie, vieillard à la barbe blanche, presqu'aveugle, le reçoit avec miséricorde,
le blottit contre son coeur, lui pardonne ses errances. Rembrandt n'a-t-il pas voulu représenter
l'image de la compassion sans limites du Créateur ?
Le personnage debout, les jambes écartées, appuyé sur un bâton, vêtu comme le père d'une grande
cape rouge, lui ressemblant trait pour trait, le regard distant et sévère, ne peut être que le fils aîné.
Ses mains jointes serrées l'une contre l'autre, sur sa poitrine, son attitude figée et rigide expriment le
reproche. Il garde ses distances, et semble peu empressé de partager l'accueil du père.
Quel est cet homme assis les bras croisés et semblant se frapper la poitrine ? Pour Barbara
Haeger, [2] il s'agit « d'un intendant représentant les pêcheurs et les publicains, alors que le fi ls aîné
représente les pharisiens et les scribes... ». Un bas-relief sculpté, montrant un joueur de flûte est le
seul élément évocateur de la fête voulue par le père.
« Rembrandt ne s'en tient pas à la lettre, mais à l'esprit du texte biblique ». [3] Le peintre a choisi de
représenter le moment le plus fort ; celui où loin de l'agitation du monde extérieur, le père pardonne à
son fils. Jakob Rosenberg résume cette vision de façon très belle « Le groupe père-fils est
extérieurement sans mouvement, mais intérieurement tout bouge... » [4]
Trois couleurs dominent. Le rouge sombre de la cape du père, symbole du sacré, couleur de l'âme,
du mystère de la vie, de la mort s'oppose au jaune brun doux de la tunique du fi ls ou plus brillant du
sol, symbole de la vie, véhicule de la jeunesse, de la force, mais aussi de la perversion des vertus.
Le brun, symbolise l'humilité (humus = terre) et la pauvreté.
Turner a écrit quelques lignes magnifiques sur le sort fait par Rembrandt aux objets et aux êtres. Sur
chacun « il a jeté ce voile de couleur incomparable, cet intervalle lumineux qui sépare le point du jour
de la lumière de la rosée, sur lequel l'oeil s'attarde, totalement captivé. Celui-ci ne cherche pas à s'en
libérer, mais, pour ainsi dire, semble croire que c'est un sacrilège de percer la coquille mystique de la
couleur à la recherche de la forme ». [5]
Né en 1606, vivant à une époque faite de bouleversements sociaux, politiques et culturels, Rembrandt, de confession protestante, fut toute sa vie un lecteur assidu de la Bible, et nombre de ses oeuvres plus ou moins énigmatiques en représentent des épisodes. En 1668, lorsqu'il peint le retour de l'enfant prodigue, probablement une de ses dernières toiles, il ne lui reste qu'un an à vivre, c'est un homme misérable et seul. Après une courte période de popularité et de richesse, sa vie fut une succession de pertes douloureuses, de déceptions et d'échecs par la mort de plusieurs de ses enfants (son fils Rumbartus en 1635, ses deux filles portant le même prénom, Cornelia en 1638 et 1640) et de sa première femme Saskia en 1642. Sa seconde épouse la veuve Geertje Dircx termine sa vie en asile. En 1656, après l'annonce officielle de sa faillite, on procède à une vente publique de tous ses biens (collection d'objets d'art, maison et mobilier). Hendrickje Stoffels, employée comme ménagère, meurt en 1663 probablement d'une épidémie de peste, après lui avoir donné un fils qui mourra en bas âge et une fille, Cornelia, qui lui survivra. Enfin Titus, le fils, bien aimé, décède à presque 27 ans en 1668.
[1] Eugène Fromentin : Les maîtres d'autrefois : Belgique, Hollande, Paris, Plon, 14e éd. 1904, chap. XVI
[2] The Prodigal Son in 16th and 17th Century Netherlandish Art : Depictions of the Parable and the Evolution of a Catholic
Image, » Simiolus Netherlands Quarterly for the History of Art 16 (1986):128-38
[3] The Prodigal Son in 16th and 17th Century Netherlandish Art : Depictions of the Parable and the Evolution of a Catholic
Image, » Simiolus Netherlands Quarterly for the History of Art 16 (1986):128-38
[4] Le retour de l'enfant prodigue : Henri J.M. Nouwen
[5] Rembrandt, l'ombre d'or : Télérama hors/série à l'occasion de la grande exposition d'Amsterdam. Février 2006
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