RISE UP ! » (The beat goes on and goes girly)

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RISE UP ! » (The beat goes on and goes girly)
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« RISE UP ! » (The beat goes on and goes girly)
jeudi 26 novembre 2015, par Nicolas Romeas
Les Allen Ginsberg, William Burroughs, Lawrence Ferlinghetti, Jack Kerouac,
Gregory Corso, Michael Mc Lure, Philip Whalen, Lew Welch, et autres jeunes fous
de génie connus ou moins connus qui inventèrent la beat generation (une
génération cassée, battue, parfois béate, toujours rythmée, selon Kerouac) [1] pour
dire l’aporie, le désarroi et la fougue de leur désespoir, ce sont des hommes et des
univers d’hommes. Des hommes révoltés, sensibles, doués, qui ont entre 25 et 35
ans dans ce creux bouillonnant de l’Histoire aux lendemains de la deuxième guerre
mondiale et aux tout débuts de celle du Vietnam. D’importants précurseurs du
grand mouvement de révolte planétaire qui secouera toute la jeunesse d’Occident
dans les années 60 et 70. Mais ce sont des hommes.
Et si le Deuxième sexe de Simone de Beauvoir, paru en 49, avait aidé à réouvrir la brèche d’un féminisme
bien plus ancien mais régulièrement occulté, masqué ou interdit, le féminisme américain « moderne » ne
prit son vrai essor qu’à partir des années soixante, avec en 63 une première grande victoire : le vote de la
loi sur l’égalité des salaires (Equal Pay Act). Et celles de la beat generation, même et y compris dans ces
milieux « underground » américains évolués et très à gauche, furent le plus souvent perçues, dans une
vision assez conservatrice, comme de précieux soutiens de leurs compagnons mâles.
Il y en avait pourtant des femmes, engagées, révoltées, actives, mais aussi poètes, écrivaines, écriveuses,
artistes et performeuses avant la lettre, dans ce petit monde de la beat generation, des Joan Vollmer, Edie
Parker, Hettie Jones, Diane Di Prima, Joyce Johnson… Un peu dans l’ombre, donc, mais bien présentes.
Elles sont allées creuser dans le temps et l’espace pour les chercher, les ramener à la lumière. Qu’est-ce
qui relie, qu’est-ce qui rattache les françaises d’aujourd’hui, représentées ici par deux talentueuses jeunes
femmes, la comédienne et metteuse en scène Mirabelle Wassef et la musicienne-compositrice Séverine
Morfin, à ces artistes-là de cette époque-là ; ce moment charnière de l’Histoire américaine et donc de
l’Occident où la chape de silence commençait à se fendre ?
C’est que voyez-vous, la messe n’est peut-être pas dite, la révolte des poètes face à la marchandisation
mondiale et aux meurtres en série des imaginaires n’a peut-être pas hurlé, chanté ou murmuré son
dernier mot. La transmission va peut-être se faire, quand même, rhizomiquement, malgré tout ce qu’on en
a dit, d’abord souterrainement sans doute, entre ces âmes exsangues et assoiffées de l’après-guerre, ces
femmes de l’ombre emportées dans un tourbillon d’inventions, de complaintes et de cris où seuls les
hommes apparaissaient vraiment et d’où éclorent entre autres le Velvet underground ou Wharol, et une
génération que l’on croyait jusqu’il y a peu certes assez malheureuse, mais à l’abri dans l’asphyxiant écrin
d’un vide consumériste universellement imposé.
Mirabelle et Séverine jaillissent de cet écrin, le percent, elles ne se contentent pas d’explorer, de revisiter
ce passé, mais comme l’art doit le faire, le ramènent à la vie pour de vrai, sans chichi, dans la fougue d’un
présent retrouvé qui nous traverse comme une flèche et touche notre présent.
Elles ont creusé, cherché, fouillé, trié, choisi, fait traduire des textes à peu près inconnus de tous et
encore jamais lus en langue française.
Elles relient dans l’instant deux instants de la vie humaine, franchissent les décennies comme l’éclair,
soudent entre elles deux époques, élèvent la température au point de fusion, comme un arc électrique.
Elles le font avec une profonde simplicité, avec humour, sincérité, avec plaisir, non, avec joie, avec peu
d’artifices et le secret d’une sorellité incandescente qui rallume d’un coup le flambeau qu’on crut éteint
d’un élan vital ressurgi.
« La rencontre disent-elles, et le dialogue avec ces femmes poètes, Anne Waldman, Hettie Jones, Diane Di
Prima et Joyce Johnson, notamment à New-York nous à permis d’entrer avec elles en détail dans leurs
textes, leur pensée du monde, de l’époque Beat à aujourd’hui et d’être le témoin direct de leur
positionnement littéraire et citoyen sur les scènes artistiques et sociales internationales. »
Cette rencontre, comme celle de l’étincelle et de la poudre ou de l’étoupe, fait naître un feu dont nous
avons intensément besoin en temps d’obscurité mortelle. On aimerait que cette flamme embrase le public
et que ce ne soit pas qu’un spectacle, que cela se prolonge de paroles et de gestes de feu partagés avec
ceux assemblés autour de cette braise. On aimerait que les théâtres, retrouvant leur vraie fonction qui est
de faire bouger la société humaine, permettent enfin ça. Et si le jeu de mot n’était pas si risqué je les
appellerais « allumeuses ». Celles d’avant et celles d’aujourd’hui. Ou alors, renonçant au douteux jeu de
mot, le contournant : des « éclaireuses ».
Nicolas Roméas
PS : J’ai vu ça dans un précieux petit endroit près des Buttes-Chaumont à Paris : L’atelier du plateau, qui
se prête à merveille à ce type d’expériences plus intimistes que spectaculaires. Elles vont bientôt le jouer
à La Java, à Belleville, à Paris, le 27 janvier. On vous tient au courant pour la suite.
À voir ou revoir ce mercredi 27 janvier à La Java, 105, rue du faubourg du Temple 75010 Paris,
M° Goncourt ou Belleville.
Une traduction inédite en Français - un parcours musical original
Conçue et interprétée par Mirabelle Wassef comédienne et metteur en scène et Séverine Morfin, altiste
compositrice et improvisatrice avec la collaboration et la traduction de l’auteure, traductrice Française
Jacqueline Starer (prix Horace 2012) spécialiste de la Beat Generation et auteure de livres et d’articles
sur la littérature Beat, notamment : Femmes de la Beat Generation, Portrait d’un groupe qui n’en est pas
un Éditions D’écarts [2].
Notes
[1]
[2] Ce texte, publié dans le N° 200 d’Action Poétique (Juin 2010), est une version remaniée d’un article
paru dans le N° 2 de 2004 du Journal des Poètes (Bruxelles).