la haie d`honneur

Transcription

la haie d`honneur
Romain Veilletet
Chez Betty
Roman Jeunesse
- Extrait -
Lucille se réveilla en sursaut et le cœur battant à tout rompre. L'après-midi touchait à sa fin et
l'orage grondait encore sur le village. La demoiselle avait trouvé le sommeil une heure auparavant,
laissant tomber « le Roman de Renart » sur un coussin au moment où, une fois de plus, Renart causait
bien des malheurs au loup Ysengrin, son souffre-douleur favori. La jeune fille fut soulagée que son
cauchemar ne fût pas réel. Dans celui-ci, elle y avait vu un grand nombre d'enfants aux visages tristes
et fatigués, implorant un secours qu'elle n'était pas en mesure de leur porter. Elle tentait d'approcher,
tendant les mains pour en saisir au moins une mais une force invisible l'empêchait d'avancer. Un
grand coup de tonnerre l'avait alors subitement sortie de ses songes. Cependant, les images
douloureuses et angoissantes de ce mauvais rêve restaient présentes à son esprit et un profond malaise
subsistait en elle.
⸺ Je vais descendre voir Betty, se dit-elle, sa bonne humeur habituelle me fera le plus grand bien et
me changera les idées.
En pénétrant dans le salon, elle eut la surprise de voir sa grand-mère déguster un thé à la menthe en
compagnie de Clarence, la gentille accompagnatrice rousse du voyage en train.
⸺ Bonjour Lucille, lança la jeune femme, le réveil a l'air difficile on dirait !
⸺ Oui, ai-je répondu, j'ai fait un rêve horrible. Il y avait des tas d'enfants très tristes avec des regards
désespérés qui me demandaient de les aider. Mais je ne pouvais rien faire pour eux. Mon
impuissance était insupportable.
A ces mots, Betty se leva et regarda Clarence. Elles n'échangèrent aucune parole mais semblaient se
comprendre néanmoins. Grand-Mère se rapprocha de moi, posa ses mains sur mes épaules et, d'un
ton très calme qui m'inquiéta étrangement plus qu'il ne me rassura, dit :
⸺ Ma Lucille, ma petite fée, te souviens-tu des détails de ton cauchemar ?
⸺ Oui, ils sont encore très clairs dans ma tête. Pourquoi ?
⸺ Peux-tu alors nous dire précisément ce que tu as vu dans ce sommeil s'il te plaît mon ange ?
Alors, bien que peu réjouie de me remémorer ces événements, je tentai de retranscrire du mieux
possible le déroulement de mon rêve.
⸺ Toi et moi nous promenions en vélo, comme nous l'avons fait cet après-midi. Puis, au lieu d'avoir
peur du serpent, je le suivais à travers la forêt, m'éloignant de toi sans y prêter attention. Je
m'enfonçais dans les sous-bois de plus en plus sombres, voyant malgré tout devant moi grâce à
une fine lumière dont j'ignorais l'origine. Puis, ma roue buta contre un bout de bois. Je tombai de
ma bicyclette et retirai de la terre le bâton responsable de ma chute, espérant me venger de lui en
le brisant en plusieurs morceaux. Je découvris alors que ce que je croyais être une petite branche
était en réalité un os humain. Epouvantée, je le laissai retomber au sol sans effectuer le moindre
geste, comme tétanisée. Le serpent fut beaucoup moins impressionné. Il profita de mon inertie
pour enrouler sa queue autour du petit os, puis disparut, s'éloignant dans les ténèbres en glissant
sans bruit à vive allure. C'est à ce moment-là que, seule et perdue au milieu de la forêt, j'aperçus,
tout autour de moi, des enfants, les pieds au sol pour certains, d'autres flottant dans les airs, tous
avec une identique expression de malheur, de tristesse, terrible et insoutenable. Beaucoup
cherchaient à m'atteindre en tendant leurs mains quand d'autres m'indiquaient avec insistance la
direction empruntée par le serpent pour prendre la fuite. La peur que j'avais ressentie en découvrant
l'os avait fait place au puissant désir de saisir les mains tendues des enfants. Mais cela demeurait
impossible. Une force invisible repoussait nos mains malgré toute l'énergie que nous employions.
Un coup de tonnerre a alors retenti dans le jardin et je me suis réveillée en sursaut.
Les deux adultes se regardèrent à nouveau et Clarence me demanda :
⸺ Dis-moi Lucille, les enfants que tu as vus avaient-ils un signe distinctif particulier ?
Je réfléchis quelques secondes avant de répondre :
⸺ Oui, tous les enfants portaient la lettre C cousue ou imprimée sur leurs vêtements.
⸺ Célestine ! s’exclamèrent en cœur Clarence et Betty.
Betty m'embrassa sur le front alors que Clarence plongeait son regard dans le ciel sombre au-dessus
du village. Ma grand-mère me prit par la main et me dit :
⸺ Ma petite Lucille, il faut que tu m'écoutes très attentivement. Clarence et moi allons devoir nous
absenter. Je vais te montrer un passage souterrain qui te mènera jusqu'à la maison de monsieur
Noisette, de l'autre côté du jardin. Il te dira des choses que je te prie de croire. Fais-lui entièrement
confiance.
⸺ Mais à propos de quoi ? demandai-je, soudain vraiment inquiète face à la gravité du ton avec lequel
parlait Betty.
⸺ A propos d'autres choses peu communes que je n'ai pas le temps de t'expliquer tout de suite.
Betty se dirigea vers un des murs du salon sur une partie duquel elle fit délicatement rouler une
orange. Elle la fendit ensuite pour en extraire quelques gouttes de jus qui tombèrent sur le sol.
Aussitôt, une petite porte se matérialisa sur la tapisserie.
⸺ Le pouvoir des roux et des fruits qui leur ressemblent !! dit-elle en présentant le fruit devant elle
et le reposant dans une coupelle comme s'il s'agissait d'un objet d'une fragilité et d'une valeur
inestimables.
Puis elle ajouta :
⸺ Vite, mon ange, va chercher ta poupée et ta peluche de renardeau si tu le souhaites et reviens vite.
J'aurais bien eu un millier de questions à lui poser, notamment sur ce tour de magie à base d'orange
mais je compris que l'heure était à l'obéissance aveugle et non à la contestation. Je courus chercher
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mes deux jouets, enfilai un vieux pantalon de jeans et me pressai de revenir dans le salon. Betty
m'embrassa et mit dans chacune de mes poches la pierre et le flacon d'huile d'argan en me priant d'en
prendre soin. Elle ouvrit la porte et me fit pénétrer dans un couloir qui descendait au-dessous du
niveau du sol. Avant de refermer le battant derrière moi, elle me gratifia de son habituel petit clin
d'œil malicieux.
⸺ On se revoit très bientôt, ma petite fée rousse, pars vite chez monsieur Noisette.
La porte, à peine refermée, se dématérialisa et je fus plongée dans la plus totale obscurité. Avancer
dans de telles conditions n'était pas un gage de rapidité, quel qu'en fut le souhait de Betty. C'est alors
qu'une fine lueur traversa ma poche. J'en sortis le petit flacon jaune qui, miraculeusement, dégageait
une fine lumière, identique à celle de la flamme d'une bougie. J'allais décidément de surprise en
surprise depuis que j'avais posé ma valise orange en pays berrichon ! Je savais que la vie en
compagnie de Betty serait bien plus passionnante qu'avec mes parents mais jamais je n'aurais imaginé
qu'elle deviendrait aussi incroyable et mystérieuse. Suivant les conseils de mon aïeule, je longeai le
couloir en direction de la maison de monsieur Noisette qui m'ouvrit une porte semblable à celle que
Grand-mère avait créée dans son salon quelques instants auparavant.
⸺ Re-bonjour ! dis-je poliment en découvrant face à moi l'homme et l'écureuil Ardi assis sur son
épaule.
⸺ Sois la bienvenue, Lucille, nous t'attendions.
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