Les citoyens belges en marche vers « Demain

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Les citoyens belges en marche vers « Demain
Le Soir Jeudi 18 février 2016
FORUM 21
Catherine Fonck Présidente du groupe CDH à la Chambre
Certains m’ont dit qu’on ne crevait
pas de ne pas être tout à fait
d'accord. Rester en négligeant
un désaccord majeur, je sais,
moi, que j’en aurais crevé »
© PHOTONEWS.
Refuser des traitements si comportement inapproprié ? Fumer, boire,
peu d’activités sportives, 10 kg de trop… on s’arrête où ?
CHRISTIANE TAUBIRA, ANCIENNE MINISTRE
FRANÇAISE DE LA JUSTICE
APRÈS AVOIR DÉMISSIONNÉ LE 27 JANVIER,
DANS LES « INROCKS ».
c'est vous qui le dites
Le silence de nos ministres Dans toutes les démocraties, une des prérogatives du parlement, et non des
moindres, est d’exercer un contrôle de l’exécutif. Si les ministres refusent de fournir des informations sur
leur action, non seulement ils mettent à mal ce contrôle mais en plus ils ouvrent la porte à la suspicion.
Dans ce gouvernement, c’est devenu une habitude : lorsqu’un ministre est mis en difficulté, il ne répond
pas et les autres… se taisent ! Quel exemple pour le peuple en général et pour nos jeunes en particulier.
JEAN-PAUL BOUILLON SUR LESOIR.BE
D’autres opinions sur www.lesoir.be/polemiques
le film
Les citoyens belges
en marche vers « Demain »
Le documentaire du militant écologiste Cyril Dion a déjà attiré 80.000 Belges dans les salles.
Un score hors normes pour un documentaire qui est devenu un vrai phénomène de société.
L
e cinéma d’Habay-laVieille n’avait plus connu
cela depuis ... le Titanic !
Cette petite commune de Gaume
abrite sans doute l’un des derniers cinémas ruraux associatifs
en Wallonie. Pierre Stassart, professeur à l’ULg en « études de
transition » (transition studies),
vit à proximité de la salle, qui
compte 220 places. « Le premier
jour de projection, une centaine
de personnes n’a pas pu entrer. »
La dernière fois qu’il a assisté à
un tel attroupement, c’était pour
le blockbuster de James Cameron.
L’anecdote fait sourire. Mais
elle est aussi terriblement révélatrice : le documentaire du militant écologiste Cyril Dion et de
l’actrice, devenue militante elleaussi, Mélanie Laurent, est un
véritable phénomène de société.
Et pas uniquement chez les « bobos bruxellois ». La preuve. En
France, le film flirte avec les
700.000 entrées. En Belgique,
80.000 personnes ont déjà vu ce
vaste reportage qui, en cinq chapitres, propose une série de solutions aux défis écologiques actuels, avec ce que cela implique
en
termes
d’alimentation,
d’énergie, d’économie, de démocratie et d’éducation (les cinq
chapitres en question). Et le
spectateur de passer des potagers urbains de Détroit au système éducatif finlandais ou au
conseil d’un village indien, laboratoire de démocratie participative.
Pour Arnaud de Haan, responsable de la programmation chez
Cinéart, le succès dépasse toutes
les attentes : « On espérait évidemment que le film fonctionne
et on pressentait que le public allait s’emparer de cette proposition là, mais cela a dépassé
toutes nos espérances. Le dernier
documentaire qui a eu un tel
écho est Bowling for Columbine,
de Michael Moore, il y a 15 ans !
C’est du jamais-vu ! Et on ne sait
pas où cela va s’arrêter, car de
nouvelles salles le programment
chaque semaine. 100.000 ?
150.000 entrées ? »
Comment expliquer un tel enthousiasme ? ... Par l’enthousiasme du film lui-même, tout
d’abord . « La démarche du documentaire est évidente : il s’agit de
proposer des solutions, de l’optimisme, résume Arnaud de Haan.
Et un documentaire qui parle de
l’état de notre planète en ces
termes-là, ça n’existait pas jusqu’ici. » Pierre Stassart va plus
loin : « De nombreux chercheurs
travaillent aux questions de
transition depuis un certain
temps maintenant. Le problème
qu’ils observent est que nous ne
savons pas ce que cela veut dire,
au XXIe siècle, « être heureux ».
Tout le modèle du progrès
construit dès les philosophes des
lumières jusqu’aux XIXe, XXe
siècles, ce discours qui affirmait
que la technique, la science et
l’industrie amèneraient le bienêtre, s’effondre aujourd’hui. Et
nous avons paradoxalement
peut-être plus besoin de philosophes et d’artistes que d’économistes et de politiques, pour imaginer le monde demain. Ce film
répond à ce défi, à ce besoin de
construire un nouveau récit qui
est à la fois constructif et enthousiasmant et qui ne se résume pas
uniquement à une grande catastrophe. »
Jean de Munck, sociologue à
l’UCL et spécialiste des mouvements citoyens et des nouveaux
modes
de
consommation,
abonde dans ce sens : « Le documentaire répond à la recherche
d’un nouveau grand récit de
l’humain, qui ne serait plus le
progressisme, mais bien un imaginaire de la mutation, dont les
gens peuvent être acteurs. Ce n’est
pas un film qui appelle à la prise
de pouvoir ou à la dénonciation,
mais à la transformation du vécu, du quotidien. Il y a là l’aboutissement d’une mutation culturelle engagée dès les années 70,
80 : à l’horizon, c’est la disparition de l’Etat, qui fait partie du
problème et non plus de la solution. Tous les problèmes évoqués
dans le film sont des problèmes
systémiques qui semblent dépasser nos capacités d’action: la
monnaie,
l’agro-business, ...
Pourtant, l’utopie du film est de
montrer que le changement systémique peut être rencontré par
la concaténation des actions locales. C’est d’ailleurs là-dessus
qu’on peut avoir un doute... »
tués à diffuser des films d’art et
d’essai ou des documentaires est
ainsi révélatrice.
Pour Pierre Stassart, la diversité des secteurs abordés joue aussi dans le succès du film : « C’est
« Le film répond au besoin de construire un nouveau
grand récit, constructif et enthousiaste » PIERRE STASSART, ULG
Un film générationnel ? « Le
film vise un public plutôt jeune,
estime Jean de Munck. Mais les
aînés se laissent faire volontiers !
On ne trouve pas dans ce documentaire un schéma de guerre
des générations. Au contraire, il
y a une soif d’actions positives
concrètes qui traverse les générations. » Impression confirmée
par Cinéart qui évoque un public
extrêmement diversifié, tant en
termes d’âges que de milieux sociaux. La projection du film dans
des cinémas wallons peu habi-
le premier film de ce type qui décline et articule entre eux cinq
volets de la transition. De nombreux documentaires n’abordent
qu’un angle : l’alimentation, par
exemple. Ici, les gens sont libres
d’aller là où ils veulent s’engager. »
A la sortie des salles en effet,
les idées fusent : changer son
fournisseur d’énergie ? Se former
à la permaculture ? Pousser la
porte du comité de quartier ?
Chacun son idée pour demain. ■
ÉLODIE BLOGIE
LES CHIFFRES
80.000
C’est le nombre d’entrées en
Belgique, en fin de sixième
semaine de programmation.
Un chiffre hors normes pour
un documentaire. A titre de
comparaison, le documentaire « Amy » sur la chanteuse aujourd’hui décédée
Amy Winehouse était déjà
« une bonne surprise » pour
Cinéart : il a fait 43.000
entrées...
10.000
Et les salles ne désemplissent pas : le film a aujourd’hui atteint un rythme
de croisière, qui ne diminue
pas, de 10.000 nouvelles
entrées par semaine. Or, en
général, le « parcours » d’un
film en salle qui marche bien
décroît rapidement après
quelques semaines.
26
Projeté dans 17 cinémas belges lors de son lancement, « Demain » est maintenant à l’affiche de 26 de ces complexes. © DR
Le film était initialement
distribué dans 17 cinémas
belges. Au fil des semaines,
des cinémas peu habitués à
ce style de programmation
(et donc non visés au départ
par les distributeurs) commencent à le projeter également, devant la demande du
public. On compte aujourd’hui 26 salles, mais le
chiffre devrait atteindre la
trentaine la semaine prochaine. Et c’est sans compter l’ensemble des centres
culturels et autres organisations qui organisent des
projections uniques...
engagement Aller voir le film, mais ensuite, que faire ?
S
i l’on a été voir le film Demain et que
l’on a envie de prendre part au mouvement, par où faut-il commencer ?
C’est notamment pour répondre à cette
question que les réalisateurs du film ont
ouvert un site internet (www.demain-lefilm.com) et qu’ils poussent les spectateurs, lors du générique de fin, à aller y
faire un tour. On y trouve des idées de solutions à entreprendre pour contrer les
crises écologiques, économiques et sociales en cours. Quinze solutions sont
présentées, détaillées et classées en trois
catégories : les actions individuelles
(manger peu de viande, changer de
banque...), les actions collectives (créer
une monnaie complémentaire, monter
une école alternative, transformer son
quartier en potager...) et les actions politiques (basculer la fiscalité du travail vers
le carbone, subsidier l’agriculture biologique et la permaculture...).
Si l’équipe du film a songé à présenter
des idées concrètes aux spectateurs, elle
n’est pas la seule à le faire. Parmi les projections organisées un peu partout en
Belgique (lire ci-dessus), certaines d’entre
elles sont organisées dans des centres
culturels, en lien avec des projets locaux.
Exemples : en janvier, à Gembloux, le
Gracq (Les cyclistes quotidiens ASBL) a
organisé une projection. En mars, le
centre culturel de Watermael-Boitsfort en
a prévu une aussi, avec, en fin de séance,
une présentation des différentes initiatives éco-responsables déjà en cours dans
la commune. Une autre façon d’inciter les
spectateurs à passer à l’action.
Le RCR – pour Réseau de consommateurs responsables, l’ASBL qui promeut
les initiatives locales, collectives et autogérées de consommation alternative en
Wallonie et à Bruxelles – est également
présent lors de certaines projections du
film Demain. « On était à Namur notamment et on a remarqué que deux ou trois
jours après l’événement, on a été contacté
par beaucoup de monde, explique David
Petit, chargé de mission au RCR. Il est difficile d’évaluer si, depuis la sortie du film,
des gens ont déjà lancé des nouvelles initiatives ou s’ils ont rejoint des projets existants. Mais on sent que ça bouge. On entend des choses. Une école “classique” qui
vient de lancer un potager. Une autre qui
a commencé un compost. Des gens qui se
demandent où placer leur argent... Le public qui va voir Demain est quand même
un public semi-averti, qui avait juste besoin d’un déclencheur pour s’y mettre. Ce
n’est pas un hasard si le film marche si
bien aujourd’hui. Il y a 15 ans, ce n’aurait
pas été pareil. » ■
CATHERINE JOIE
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