aristote et la méthode scientifique

Transcription

aristote et la méthode scientifique
ARISTOTE ET LA MÉTHODE
SCIENTIFIQUE
Paolo C. BIONDI
Publié dans Aspects sociologiques, novembre 1993, pp. 4-9
Résumé
Certaines personnes considèrent la logique aristotélicienne comme une source de la science
contemporaine. En faisant une comparaison entre Aristote et quelques savants qui l'ont
précédé de même que quelques-uns qui l'ont suivi, on réalise qu’Aristote a établi les aspects
empirique et rationnel de la méthode scientifique moderne, même si on constate que l'esprit
des savants diffère maintenant de sien.
Abstract
Some people consider Aristotle's logic as one of the sources of contemporary science. A
comparison between Aristotle and several scientists who preceded and followed him will
enable us to determine his contribution to the scientific method presently in use. Apart
from the empirical-rational constitution of the actual method, which was first established
by Aristotle, the attitude guiding scientists today is different from his.
NATURE ET METHODE DE LA
SCIENCE
C
eux qui ont consacré leur vie à la
science ont transformé la nature, le
rôle et la méthode de celle-ci. Le
philosophe grec Aristote, en
développant la logique, est un des fondateurs
de la science. En effectuant un survol
historique des points tournants dans
l'évolution de la méthode scientifique
contemporaine, nous verrons comment la
logique aristotélicienne l'a influencée, en
gardant toujours à l'esprit qu'à l'époque
classique, la philosophie n'était pas séparée
de la science. En effet, le philosophe qui
recherchait les causes des choses s'engageait,
par le fait même, dans l'étude proprement
scientifique, la science étant, au sens ancien,
la connaissance des causes. Nous définirons
donc ainsi la science: tout savoir de nature
universelle et nécessaire comportant un
ensemble de connaissances sur un objet
déterminé1.
La science étant un type particulier de
connaissance, elle doit avoir une méthode
qui lui est propre, c'est-à-dire un ensemble
de moyens utilisés pour parvenir au but
scientifique, soit le savoir tel que nous
l'avons défini. La méthode scientifique
1
comporte deux aspects distincts mais
complémentaires. D'abord, il y a l'aspect
empirique qui porte sur les données sensibles
en nous fournissant la matière ou le contenu
du savoir. Ensuite, il y a l'aspect rationnel
qui organise les données sous une forme,
donnant des théories et des lois cohérentes
plus ou moins universelles. Ainsi, la théorie,
le côté rationnel, s'applique à un vaste
domaine de données, c'est-à-dire le côté
empirique.
La dimension empirique procède par
induction: on parvient à une généralisation à
partir de quelque chose de constant et de
commun à plusieurs cas particuliers.
L'induction peut être accomplie soit par la
simple observation de la nature sans
manipulation - l'astronomie en est un
exemple - soit par l'expérimentation, où l'on
observe l'objet dans un environnement
artificiel et contrôlé, comme on le fait en
physique avec la fission des atomes. La
dimension rationnelle, quant à elle, procède
par déduction logique: on reconnaît certaines
propriétés si elles découlent nécessairement
de théories universelles qui servent de
principe à la déduction. Par exemple, on
procède par déduction lorsque l'on conclut
que Socrate est un animal quand on sait que
Socrate est un homme et que tous les
hommes sont des animaux. Or, la méthode
scientifique est un va-et-vient entre notre
expérience du monde sensible et la
compréhension que nous en avons.
Aujourd'hui, cette méthode est surtout
expérimentale: on tente de vérifier ou
d'infirmer une hypothèse susceptible
d'expliquer les phénomènes 2 . Le critère est
toujours le monde sensible de l'expérience
qui permet de juger et de trancher entre les
différentes hypothèses.
LA SCIENCE AVANT ARISTOTE
Puisque la rationalité est le fondement
de notre culture scientifique, nous
considérons que la science est née à
1'époque grecque, avec Thalès qui est
reconnu comme étant le premier à avoir
donné une explication rationnelle du monde.
Pendant les deux siècles qui séparent Thalès
(vers 625 av. J.C.-v. 547 av. J.C.) et Aristote
(384-322av. J.C.), ce sont les philosophes
qui font les premiers pas vers la science et
s'efforcent d'expliquer le monde en laissant
de côté les causes supra- rationnelles ou
mythologiques. Ils évitent toute référence à
l'intervention des dieux dans le monde et
cherchent surtout les causes dans la nature
cosmique et dans les conventions et les lois
humaines.
La naissance de la science est pourtant
graduelle et sans rigueur. Par exemple,
parmi les présocratiques qui s'intéressent
aux questions cosmologiques, quelques-uns
affirment poétiquement que le monde est un
navire flottant sur l'eau, et expliquent
scientifiquement que tous les êtres
proviennent de la raréfaction et de la
condensation de l'eau qui est l'être
primordial. Ces philosophes ont alors
tendance à réduire, un peu radicalement,
l'explication de tous les phénomènes
naturels à une seule cause. Mais la diversité
des théories cosmiques et la difficulté de les
vérifier dans un monde toujours en flux
détournent éventuellement l'attention des
philosophes du monde sensible vers les lois
et les conventions du monde humain. La
recherche de savoirs pratiques à l'homme
dans son activité quotidienne remplace la
pure spéculation sur le cosmos. Socrate tente
de définir les vertus dont la connaissance est
requise pour la vie morale. Mais la relativité
des lois et des conventions qui diffèrent
d'une société à l'autre rend la recherche
inefficace. Les sophistes exploitent les
ambiguïtés existant dans le langage pour
réussir en politique. Ainsi, les difficultés que
l'on rencontre dans l'acquisition d'une
science du monde, naturel ou humain,
provoquent la prise de conscience des
limitations de la capacité humaine de
connaître.
Apparaît en suite une attitude de
scepticisme et de cynisme qui méprise les
sens et le langage à cause de leur incapacité
à atteindre le savoir. Il devient plus clair que
2
la nature universelle de tout savoir exige, en
effet, un objet qui soit toujours identique et
immuable. Donc, si le monde sensible
change toujours, on ne peut se fier aux
connaissances des sens qui nous le révèlent
Si le monde humain est relatif, ni le langage
avec ses ambiguïtés, ni les lois sociales
établies au moyen de ce langage ne peuvent
nous fournir cette connaissance. Par
conséquent, Platon soutient que la seule
connaissance certaine est celle des idées
intelligibles, puis- qu’elles ne changent
jamais. L'idée de "table" reste toujours la
même, tandis que cette table-ci que l'on
perçoit maintenant peut être autrement (elle
peut être en bois ou en métal, ronde ou
carrée, etc.). De plus, il affirme que ce
"monde d'idées" est le "réellement réel" 3
puisqu'il présuppose que ce qui est s'accorde
avec ce qui est intelligible. De cette façon, la
réalité des idées est la source de l'existence
ainsi que de l'intelligibilité du monde naturel
et de la société humaine.
LA SCIENCE D'APRÈS ARISTOTE
Aristote est l'élève de Platon. Médecin
avant d'être philosophe, il est peut-être plus
disposé à accepter la réalité du monde
sensible et la possibilité de le connaître.
Pour Aristote, le "réellement réel" est
l'individu concret du monde sensible: cette
table-ci,
ce
cheval-ci,
etc.
Toute
connaissance
doit
commencer
par
l'information sensorielle parce que l'on
rencontre cette réalité à travers les sens.
Aristote se fie aux capacités naturelles des
sens pour percevoir un objet. Par exemple,
LA NAISSANCE DE LA SCIENCE EST
POURTANT GRADUELLE ET SANS
RIGUEUR
l'œil, naturellement ne se trompe pas de
couleur. L'organe sensible reçoit la forme de
la chose sensible qui est perçue, comme la
cire reçoit la forme de l'anneau. Cette forme
constitue l'aspect intelligible de l'individu
sensible. La répétition d'une même
perception devient éventuellement un
souvenir et l'organisation des souvenirs
répétés forme l'expérience 4 , ladite
organisation étant orchestrée naturellement
par la raison. Aristote montre donc que
l'individu du monde sensible est intelligible
puisque la perception sensible des
particuliers fournit la forme qui est à
l'origine de l'expérience, laquelle est
désormais quelque chose d'intelligible.
Pourtant selon Aristote, l'expérience ne
constitue pas encore le savoir. Elle ne sert
que de point de départ, comme connaissance
première requise par toute science. La
science est selon lui, la connaissance qui
nous indique la cause de la chose, que cette
cause est vraiment celle de la chose et que la
chose ne pourrait être autrement 5 . En
d'autres mots, la science ne porte que sur le
nécessaire, celui-ci ne pouvant être
autrement
et
l'universel,
puisque
l'expérience, étant le point de départ de la
science, est universelle. Par conséquent la
science est la connaissance de l'individu du
monde sensible en tant qu'il est intelligible
puisque seulement ce qui est intelligible est
universel et nécessaire.
ARISTOTE ÉTABLIT LA STRUCTURE
DE LA MÉTHODE SCIENTIFIQUE
EEN FONDANT L’ASPECT
RATIONEL À PARTIR D’UNE BASE
EMPIRIQUE
Soulignons ici qu’Aristote, à l'instar de
Platon, montre que la science est le savoir de
ce qui est intelligible. Cependant, en accord
avec les présocratiques, il donne un
fondement empirique à l'intelligible. Avec sa
conception de l'expérience, jouant le rôle
d'un pont unifiant le sensible et l'intelligible,
Aristote établit la structure de la méthode
scientifique en fondant l'aspect rationnel à
partir d'une base empirique.
Pour Aristote cependant, la science
n'est que la connaissance de la cause d'une
chose, comme nous l'avons indiqué. Il
développe alors la méthode qu'il faut suivre,
selon lui, pour s'assurer que la cause est
3
nécessairement celle de la Chose que l'on
veut connaître scientifiquement. Ce procédé
déductif est le syllogisme qui est "un
discours dans lequel, certaines choses étant
posées, une autre chosé différente d'elles en
résulte nécessairement, par les choses
mêmes qui sont posées" 6 . Par exemple, le
syllogisme suivant
Toute figure ayant trois côtés est un
triangle. L'isocèle est une figure ayant trois
côtés. Donc, l'isocèle est un triangle. La
conclusion résulte nécessairement des deux
principes précédents puisque la cause qui
fait que l'isocèle est nécessairement un
triangle est le fait qu'il soit une figure ayant
trois côtés et qu'une telle figure est selon sa
définition, un triangle. On constate ainsi le
rôle central que joue la définition dans le
syllogisme. Elle est le moyen terme liant les
deux autres dans la conclusion et elle assure
ainsi le lien de causalité requis dans la
déduction. Socrate eut raison de chercher la
définition des choses pour mieux les
connaître. Mais Aristote va plus loin
puisqu’il indique ce qu'il est possible de
définir, la manière de parvenir à une
définition valide et comment la définition
correspond à la chose définie. De plus, le
problème du langage est relié à la définition,
puisqu'une définition est un discours qui
exprime ce qu'est une chose. Aristote nous
fait prendre conscience de certains pièges
linguistiques qu'il faut éviter si l'on veut
avoir une connaissance réelle des choses;
par exemple, la pluralité d'acceptions d'un
mot.
Le syllogisme, qui est la voie générale
menant à la science, prend une forme et une
valeur particulière selon différents principes.
Le syllogisme démonstratif découle de
principes certains, premiers, vrais et
immédiats. A cause de la certitude des
principes, la démonstration nous assure une
connaissance scientifique de l'objet étudié.
Par contre, les syllogismes découlant de
principes qui ne sont pas certains diminuent
la nature scientifique de la connaissance.
Autrement dit ces syllogismes nous
fournissent une connaissance qui est plus ou
moins certaine. C'est l'objet étudié qui
détermine déjà si les principes seront
certains ou probables. Comme nous le
mentionnions, la science originant de ce qui
est universel et nécessaire, c’est-à-dire
intelligible, plus l'objet est intelligible, plus
certain est le principe du syllogisme et plus
certain est le savoir qui en découle.
Aristote a été le premier philosophe à
présenter explicitement une méthode
scientifique. Telle que nous l'avons décrite,
l'expérience est un procédé inductif qui
donne une orientation empirique à la
science. Cette orientation est appuyée par
l'affirmation d'Aristote qui soutient qu'il faut
toujours vérifier le savoir dans le monde
sensible, lequel, étant la réalité de l'individu
concret est la mesure de la vérité de la
science7. De plus, la logique aristotélicienne
fonde l'aspect rationnel de la méthode
puisqu'elle enseigne la structure du
syllogisme ainsi que le rôle de la définition
et celui du langage. La reconnaissance de la
contribution significative d'Aristote dans la
classification des espèces, la taxonomie,
témoigne de l'utilité actuelle de sa logique
dans l'organisation des faits empiriques et
permet d'en rendre compte. Finalement il
distingue les différentes sortes de
syllogismes, ce qui lui permet de reconnaître
deux rôles principaux de la science. Le
savoir peut être théorique ou pratique, c'està-dire spéculatif, ou en vue d'agir et de faire.
Autrement dit on peut connaître simplement
pour connaître ou bien connaître pour
réaliser pratiquement quelque chose à l'aide
du savoir. L'originalité d'Aristote réside
d'abord dans sa logique par laquelle il a
rassemblé et organisé, dans un système
compréhensif et cohérent la diversité des
savoirs élaborés par plusieurs philosophes
précédents.
LA SCIENCE APRES ARISTOTE
Même si on reconnaît encore volontiers
l'influence de la logique aristotélicienne
dans la classification des espèces, sans
mentionner son importance en philosophie,
on ne reconnaît cependant plus aujourd'hui
son influence dans la plupart des autres
sciences.
Pourquoi?
Après
l'époque
4
classique, le monde occidental s'intéresse à
la philosophie de Platon, et celle d'Aristote
est oubliée. Ce n'est qu'au Moyen Age,
pendant la période dite scolastique,
qu'Aristote recommence à exercer une
influence majeure dans la pensée
occidentale. On maintient la priorité, telle
que conférée par Aristote lui-même, du rôle
spéculatif et théorique de la science. Par
conséquent, l'emphase est mise davantage
sur l'aspect rationnel de la science plutôt que
sur son aspect empirique. De plus, le côté
rationnel étant fondé sur la logique
aristotélicienne, la science garde son
caractère philosophique. En effet, on
cherche la définition et la cause des choses,
le "qu'est-ce" et le «pourquoi» étant des
interrogations de nature philosophique. Mais
avec les grands bouleversements de la
Renaissance, qui ont remis en question notre
façon de voir le monde et l'homme, toute
autorité est rejetée. La méthode scientifique
d'Aristote, telle que présentée par les
scolastiques dans sa version logique et
philosophique, est donc rejetée. Ainsi, la
science qui s'impose à partir de la
Renaissance est, en partie, une réaction
contre le rôle spéculatif, la nature
philosophique et la méthode logique de la
science scolastique8.
Francis Bacon et Galilée, deux
fondateurs de la science contemporaine,
illustrent bien cette réaction négative.
Bacon, en affirmant que "le savoir est le
pouvoir", valorise le rôle pratique de la
science qui se met désormais de plus en plus
au service du faire et de l'agir humain. Il
attaque
expressément
1'"Aristote
scolastique" et son emphase sur la logique et
la dimension rationnelle dans la science 9 .
Selon lui, il faut plutôt mettre l'emphase sur
l'induction et sur l'expérience sensible. Mais
l'induction de Bacon diffère de celle
d'Aristote, puisque le premier soutient que
les sens et la raison ont besoin d'aide dans la
recherche empirique de la connaissance
scientifique. Il développe donc une méthode
d'induction compliquée qui ne peut être
effective que dans l'environnement contrôlé
de l'expérimentation.
Galilée aussi pense que la méthode et le
but de la science sont pratiques. Par la
fabrication d'instruments et dans une
situation artificielle, il poursuit des
expérimentations
pour
comprendre
"comment" se fait le mouvement Dès lors, le
côté empirique occupe une place dominante
dans la science, et l'empirisme, qui n'est que
de l'induction par simple observation chez
Aristote 10 , se transforme en une
expérimentation qui permet de contrôler
l'induction qui, elle, devient de plus en plus
statistique.
En plus du changement du rôle (de la
spéculation vers l'action) et de la méthode
(de la logique vers l'expérimentation), on
peut noter une transformation dans la nature
même de la science. La prédominance
croissante des mathématiques dans les
siècles suivant la Renaissance impose un
caractère
mathématique
plutôt
que
philosophique au savoir. La révolution
copernicienne montre, par des preuves
mathématiques,
que
l'univers
est
héliocentrique (conception cosmologique qui
considère le soleil comme l'astre autour
duquel tournent les planètes), à rencontre de
l'univers géocentrique (conception qui faisait
de la Terre le centre de l'univers) d'Aristote.
Les lois mathématiques de Kepler appuient
l'hypothèse copernicienne et, de plus,
montrent que les orbites planétaires sont
elliptiques; ce qui va encore à rencontre de la
cosmologie circulaire d'Aristote. Ainsi,
l'infirmation de la
AU MOYEN-AGE, […] ON MAINTIENT
LA PRIORITÉ, TELLE QUE
CONFÉRÉR PAR ARISTOTE LUIMÊME, DU RÔLE SPÉCULATIF ET
THÉORIQUE DE LA SCIENCE
cosmologie aristotélicienne au moyen de
calculs mathématiques est telle que la
logique aristotélicienne, fondée sur le
langage, est graduellement remplacée par la
logique mathématique, avec son langage
symbolique qui semble rendre compte des
phénomènes de façon plus précise.
L'influence des mathématiques infiltre même
5
la philosophie. Descartes, par sa méthode du
doute systématique, rejette tout ce qui ne lui
semble pas certain et cherche à fonder sa
philosophie sur les mathématiques qui, selon
lui, est la science qui a le plus de rigueur et
de certitude. Il établit ainsi une
métaphysique mathématique 11 dans laquelle
le monde sensible n'est que l'extension
géométrique.
CONCLUSION
Aujourd'hui, la science ressemble
beaucoup plus au modèle établi par Bacon,
Descartes et d'autres savants modernes qu'à
celui d'Aristote. On peut alors se demander
si la logique aristotélicienne influence
encore, de près ou de loin, la science
contemporaine. Notre réponse est oui et non.
Oui, parce que l'on garde encore les deux
dimensions de la science, empirique et
rationnelle, leurs procédés respectifs,
l'induction et la déduction, ainsi que
l'orientation empirique qui mesure la validité
des raisonnements. Non, parce que l'on
pense aujourd'hui que la méthode
scientifique a été développée seulement à
partir de la Renaissance, comme le démontre
l'attitude de la plupart des savants
contemporains. Ainsi, même si l'on concède
qu'Aristote est le fondateur de la méthode
scientifique dans ses grandes lignes, il faut
admettre que l'esprit qui dirige l'effort des
scientifiques n'est plus le même.
mathématiques.
Ce
doute,
et
ses
conséquences pour la méthode scientifique,
est évident dans notre société. La "culture
scientifique" est une façon de percevoir le
monde qui implique que l'on se méfie des
autorités pour se fier plutôt à sa propre
expérience, voire expérimentations, qu’il
faut des sondages pour déterminer et
contrôler l'opinion publique et posséder des
études scientifiques avec statistiques à
l'appui pour soutenir une position
quelconque. En outre, la primauté du rôle
pratique de la science contemporaine
détermine les décisions sociales de manière
telle que l'on ne demande plus pourquoi la
société doit se comporter de telle ou telle
manière. Par exemple, pourquoi faut-il
conquérir l'espace ou axer l'économie sur la
technologie? En subordonnant la science à la
pratique et aux techniques, on se demande
plutôt: comment agir de façon plus efficace
et plus "rationnelle"? Cela nous ramène aux
Grecs qui, s'ils le pouvaient encore, se
demanderaient peut-être comment notre
société a pu perdre l'émerveillement et
l'étonnement qui sont les sources de tout
savoir et qui aboutissent à la contemplation
philosophique.
Paolo C. BIONDI12,
Troisième cycle,
Philosophie, Université Laval
En effet, le scientifique contemporain,
héritier du doute cartésien, considère toute
hypothèse
comme
probable,
tandis
qu'Aristote admet la possibilité de principes
certains dans quelques domaines; le
cartésianniste pose aussi le doute comme
principe, à la manière de Bacon, puisqu'il se
méfie des capacités humaines de connaître,
alors qu’Aristote suppose que la faculté de
connaître est naturelle à l'homme et
fonctionne efficacement par nature. Les
scientifiques actuels ressentent donc le
besoin de contrôler, de mesurer et de
manipuler par le biais d'expérimentations
dans un environnement artificiel. De plus, ils
éprouvent le besoin de précision et de
certitude
en
utilisant
des
calculs
6
1
Le savoir scientifique est universel puisqu'il s'applique à plusieurs cas particuliers. D est nécessaire puisque le
nécessaire, étant ce qui ne peut pas être autrement, est constant, régulier et répétitif. La science est ainsi une
connaissance certaine et précise puisque l'universalité et la nécessité rendent l'objet inchangeant. Dans l'article,
«science» aura le sens de savoir mais parfois, le mot désignera la méthode scientifique. Nous espérons que le
contexte clarifiera le sens voulu.
2
Ici, et partout dans l'étude, on utilise le mot «hypothèse» au sens contemporain, c.à.d. une théorie considérée
provisoirement comme vraie jusqu'à ce qu'elle soit soumise à l'épreuve de l'expérimentation pour pouvoir la
confirmer ou l'Infirmer de façon définitive. L'hypothèse chez Aristote a un autre sens spécifique à son système
logique.
3
GILSON, E. L'être et l'essence, Paris, Librairie Philosophique J. Vrin, 1987, pp.27-28.
4
ARISTOTE, Seconds analytiques, liv. II, ch, 19, 99b 30-100a 9. Il est Important de reconnaître la différence entre
l'expérience au sens contemporain et l'expérience d'après Aristote. Aujourd'hui, l'expérience ne signifie que les faits
sensibles. Par contre, l'expérience est plus que les faits sensibles pour Aristote puisqu'elle a besoin de la raison pour
organiser les faits particuliers perçus par les sens. L'intervention de la raison rend ainsi l'expérience universelle et
intelligible.
5
Ibid., liv. I, ch.2, 71b 10-12.
6
ARISTOTE, Premiers analytiques, MA, ch.l, 24b 19.
7
Ce point étant disputé par de nombreux philosophes et scientifiques, nous référons le lecteur au livre de SIMARD,
E., La nature et la portée de la méthode scientifique, Laval, Presses Universitaires, 1958, pp.233-50 où sont
reproduites plusieurs citations des traités d'Aristote appuyant cette Interprétation.
8
Nous ne prétendons pas que l'époque scolastique fut si homogène, bien qu'en général, notre interprétation de
l'évolution des tendances soit juste. BACON, R. est un exemple d'un aristotélicien qui a promu l'aspect empirique de
la science.
9
BACON, F., Novum Organum, liv. I, aphorismes 12-17.
10
Nous reconnaissons qu'Aristote a effectué dès dissections, mais il n'avait pas l'attitude baconienne selon laquelle il
faut contrôler et aider les sens pervertis par une déficience naturelle.
11
Par métaphysique, nous signifions tout principe indémontrable que le scientifique présuppose et qui dirige la
recherche du savoir. Un principe métaphysique est considéré comme certain, allant de soi et n'est pas mis en doute
par les conclusions de la science. D n'est donc pas une hypothèse puisque celle-ci est considérée comme probable et
est soumise aux conclusions de la science. La métaphysique mathématique présuppose donc que le monde a une
nature géométrique et qu'il peut être compris seulement en termes mathématiques.
12
L'auteur tient à exprimer sa gratitude à Mireille Boisvert pour les corrections qu'elle a apportées au texte.
7